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  • Autour du Prince Jean ! Le déplacement en Dauphiné et le discours de Vizille (2/2).

    TimbrebisRVB.jpg             Après avoir lu attentivement le discours du Prince tenu à Vizille, voici donc maintenant, en laissant divaguer librement notre réflexion, quelques propos inspirés par cette grande occasion manquée, ou ratée, ou dénaturée (qu'on prenne les mots que l'on voudra...) que fut 1789, ce "grand mouvement" dont parlait le Comte de Chambord, et qui est à la base de ce qu'a développé le Prince devant les mebres du Coseil général de l'Isère.. 

                On ne forcerait pas beaucoup le trait en affirmant que Louis XVI n'aurait peut-être pas été renversé, et encore moins assassiné, s'il avait agi comme les Rois d'Angleterre face à leurs opposants : à partir de 1215, lorsque leurs barons se soulèvent contre eux et leur arrachent la Grande Charte, ils ont peu à peu cédé la réalité du pouvoir, en échange de quoi ils ont gardé leur place, et les honneurs qui s'y rattachaient...

                Louis XVI n'aurait peut-être pas été renversé, non plus, s'il s'était agi seulement d'un simple transfert de pouvoirs politiques. L'immense majorité des Français étaient royalistes en 1789, comme d'ailleurs la plupart des penseurs et des élites (Montesquieu, Voltaire, Mirabeau...), et le Roi avait d'ailleurs accepté un important partage des pouvoirs, ouvrant la porte à la représentation nationale, devenue indispensable comme - en son temps - la représentation communale.

                En plein Moyen Âge féodal, la Royauté, une première fois, avait déjà bien su parfaitement s'adapter au mouvement communal, véritable révolte anti féodale, véritable "révolution" dans les esprits, les moeurs et le partage concret des pouvoirs. Pourquoi cela ne s'est-il pas passé, re-passé, six siècles après ? Que s'est-il passé ?.....

                Il faut bien se souvenir qu'à l'époque du Moyen-Âge, les villes étaient soumises à des seigneurs, féodaux et ecclésiastiques; lorsque les bourgeois, enrichis par le commerce, se sentirent assez forts, ils ont tout naturellement souhaité acquérir leur autonomie politique, judiciaire, fiscale et économique; ils ont tout naturellement souhaité être représentés en tant que tels, et participer, à leur niveau, aux décisions. 

                Le monde féodal, bien sûr, fit tout ce qu'il pût pour écraser ce nouveau pouvoir et l'empêcher de s'installer définitivement: le chroniqueur Guibert de Nogent est resté célèbre pour son apostrophe "Commune, nom nouveau, nom détestable !"... Il y eut, ici et là, quelques violences, mais ce qui fut bel et bien une "révolution" se passa finalement sans trop de problèmes, entre les règnes de Louis VI et celui de Philippe Auguste (en gros entre 1100 et 1200), en grande partie parce que les Rois de France eurent la sagesse, et l'intelligence politique, (on dirait familièrement le nez creux...) de s'allier à ce mouvement communal, de l'épouser, ce qui lui permettait d'affaiblir les féodaux et de consolider sa propre légitimité, en renforçant son pouvoir face à celui des féodaux, abaissés.

                La Royauté ne pouvait-elle donc pas et parfaitement, une deuxième fois, et à sept siècles de distance,  s'allier à un mouvement visant, cette fois, à représenter l'ensemble de la Nation ?....  

               Pourquoi donc ce qui s'est passé en plein Moyen Âge, à savoir cette rencontre, cette "amitié", cette alliance entre pouvoir royal et représentation populaire (à l'échelle des communes) n'a-t-il pas pu se reproduire en 1789, lorsque les temps furent mûrs pour que, cette fois à l'échelon national, le peuple français formât une Assemblée, avec l'accord et le soutien de la Royauté, nous évitant ainsi cette catastrophe (nationale et internationale) que fut la Révolution ? (1).

                A cause de l'irruption d'un petit groupe d'idéologues froids, durs petits esprits, arrogants, vaniteux, sûrs de détenir la vérité sur tout -et surtout "La" Vérité ! Prétentieux emplis de leurs certitudes qui leur venaient de cette intense préparation des esprits qu'a été le soi disant et auto proclamé, siècle des Lumières. Une expression, soit dit en passant, qui recouvre pas mal de vanité, de suffisance, voire d'Orgueil délirant : s'appeler soi même "siècle des Lumières", serait-ce que l'on tient pour rien -sans même remonter jusqu'à l'Antiquité, Aristote et Platon...- l'Humanisme, Pascal, Descartes et tant d'autres ? L'orgueil stupéfiant contenu dans cette formule devrait, semble-t-il, interpelller quelque part, comme on dit mainetnant dans le jargon.....

              Dans la société raffinée, policée, civilisée d'alors, le pays étant riche et puissant, fortement peuplé, bien éduqué et instruit, il était facile de vouloir tout réorganiser, tout améliorer, tout rationaliser, et tout de suite: on aimerait les voir, comme le disait Jacques Bainville, dans le monde de fer et de feu qu'ils nous ont légué ! Le résultat le plus clair de leur action fut de mettre la violence, la brutalité, la barbarie au service de l'abstraction...

               Il y eut ainsi - à partir d'une évolution nécessaire, souhaitable et positive, voulue par le Peuple - une véritable captation d'héritage, un détournement d'intention, un "placage" de préoccupations idéologiques totalement étrangères au plus grand nombre des Français; lesquels se soulevèrent d'ailleurs en masse contre cette folie, et ne furent "convaincus" que par la Terreur au sens propre, c'est à dire l'extermination...

              Il n'y a donc rien à conserver de la révolution de 1789; François Furet l'a très bien analysé, avec son immense honnêteté intellectuelle qui lui a permis, même s'il ne nous a jamais rejoints, de sortir de ses premières certitudes idéologiques, et d'effectuer un remarquable travail pour démystifier et démythifier la révolution: toutes les horreurs qui allaient suivre étaient en germe dans les premiers débordements: dès 1789 et les premières têtes fixées à des piques, la Terreur est en gestation ! En même temps il y a tout à garder dans "le grand mouvement de 1789", que souhaitait le Peuple français et sur lequel les révolutionnaires ont plaqué de force leur idéologie, mais pour le dénaturer, en changer le sens profond, lui faire prendre une direction qui n'était nullement celle que souhaitait l'opinion; il faut agir un peu comme avec ces films plastiques qui recouvrent un appareil : on enlève le film, on garde l'objet...; on se débarrasse ainsi de la stérilité de la révolution, tout en retrouvant la fertilité du mouvement voulu par l'opinion; on retrouve l'intuition des origines, débarrassée des scories nuisibles de la désastreuse idéologie révolutionnaire...

    (1): voir la note "26 millions de royalistes" dans la Catégorie "Révolution et république dans l'Histoire" (article d'Alain Decaux).

  • Quand Isabelle Hannart et SOS Education répondent intelligemment et sereinement aux inconscients du Ministère.

                  "Même à prix d’or, il est vain de vouloir instruire quelqu’un contre son gré." Nous ne pouvons qu'approuver à 100% la démonstration sereine et pleine de bon sens que fait Isabelle Hannart de l'absurdité, de l'immoralité et -aussi ...- des effets pervers inévitables qu'a, et qu'aura, la stupéfiante et dangereuse idée (?) de payer les élèves pour qu'ils viennent en cours (1).

                  On trouve cette excellente réfutation dans le non moins excellent blog de SOS Education ( http://www.soseducation.com/ ) que nous citons régulièrement dans ces colonnes, et qui représente l'exacte antithèse de la démagogie et -n'ayons pas peur des mots- de la cinglerie qui prévalent depuis si longtemps au Ministère, et qui ont tué l'Ecole.

    (1) : voir notre note "(Rions un peu d'eux). Lutte contre l'absentéisme scolaire : Et pourquoi pas les péripatéticiennes à l'oeil, tant qu'on y est ?.....", du 6 octobre, dans la Catégorie "Education".

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    PAYER LES ELEVES ?        

     
     
     

    La chronique d’Isabelle Hannart

    Comme mère de famille, je n’ai jamais eu l’impression, en conduisant mes enfants à l’école, de les emmener au bureau ou à l’usine.

    Il ne m’est jamais venu à l’idée qu’ils puissent être payés pour recevoir de leur maître ou professeurs un savoir qui les ouvre à la vie adulte. Pour moi, l’éducation représentait pour eux le meilleur des investissements.

    Je me trompais, s’il faut en croire l’« expérience » que vient de mettre en place l’académie de Créteil. Sous prétexte de lutte contre l’absentéisme, les élèves de certains lycées professionnels vont bénéficier d’une cagnotte financée par l’Etat – c’est-à-dire en fin de compte par vous et moi – s’ils consentent à se rendre en classe.

    On ne leur demande même pas de travailler : c’est la simple présence qui est récompensée.

    L’effort considérable que doit fournir l’élève pour aller dormir au fond de la classe à côté du radiateur lui donne droit de partager avec ses camarades une cagnotte qui s’élève à 2 000 euros en début d’année, puis grossit au fil des mois jusqu’à atteindre 10 000 euros. Cet argent leur permettra de se payer des leçons de conduite ou plus simplement un voyage d’agrément.

    De retour chez moi, j’ai porté un regard neuf sur un objet qui décore ma cuisine. C’est un petit pot en faïence blanche, garni de métal à l’intérieur et fermé par un bouchon de métal : l’ancêtre du thermos. Une maman, à la fin du XIXe siècle, y mettait la soupe que son enfant emportait le matin pour son repas à l’école. En effet, la distance qu’il devait couvrir à pied – des kilomètres à travers la forêt vosgienne – lui interdisait de rentrer déjeuner chez lui. Cet enfant, portant son thermos dans son baluchon, aurait été fort surpris qu’on lui propose de l’argent pour aller à l’école : il était déjà tellement beau pour lui que l’école soit gratuite !

    De même, qu’en penseraient, par exemple, les petits Marocains, alors qu’au cours de la période 2000-2007, le taux de scolarisation au Maroc n’a pas dépassé 39 % pour les garçons et 36 % pour les filles, selon l’Unicef ? Qu’en penseraient les petits Maliens, chez qui le taux atteint 15 % pour les garçons et 11 % pour les filles ? Qu’en penseraient les petits Indiens, alors que 70 millions d’entre eux ne sont pas scolarisés du tout ?

    Le sentiment qui domine, devant cette mesure inique, c’est l’injustice, notamment à l’égard des élèves qui font l’effort de se lever le matin pour se rendre en classe et qui n’auront pas droit à la cagnotte, parce qu’il n’est pas besoin de les acheter pour les motiver. Ce sont, au contraire, ceux qui perturbent le plus souvent la classe, qui chahutent, qui « sèchent » les cours, qui seront « récompensés », au lieu d’être sanctionnés.

    Il est injuste aussi de demander aux citoyens de payer des vacances aux cancres pour tenter de pallier leur absence de motivation. Je rappelle qu’avec un budget de près de 60 milliards d’euros, l’Education nationale représente déjà le plus gros poste de dépenses de l’Etat. C’est déjà un effort considérable. Est-il concevable d’en exiger davantage des contribuables pour « récompenser » le « présentéisme » ? Combien la nouvelle mesure coûtera-t-elle ? Que se passera-t-il quand, égalité de traitement oblige, il faudra l’étendre aux quelque 36 000 classes des 1 687 lycées professionnels français ? En admettant que l’on attribue 10 000 euros à chacune d’entre elles, le coût de la mesure s’élèverait à quelque 360 millions d’euros. Et pourquoi s’en tenir aux seuls lycées professionnels, quand il existe en France 9 651 collèges et lycées ? Les autres pourraient protester contre cette discrimination…

    A ce sentiment d’injustice s’ajoute celui de l’inutilité de cette mesure, que confirmait avec bon sens, dans le Parisien du 2 octobre, Amal, élève du lycée professionnel de Bobigny : « Ceux qui sèchent continueront à le faire ou alors ils viendront dormir en cours ! », disait-elle. Des amies qui enseignent l’histoire-géographie et le français dans des lycées professionnels de Seine-Saint-Denis me tenaient récemment le même discours. Autant dire que l’argent investi dans cette expérience absurde sera gaspillé. Même à prix d’or, il est vain de vouloir instruire quelqu’un contre son gré. Ce qui motive l’élève, c’est le goût d’apprendre. Cette cagnotte est d’ailleurs un affront fait aux élèves, infantilisés et tenus pour incapables de comprendre par eux-mêmes l’intérêt de faire des études.

    C’est aussi un affront aux enseignants et aux chefs d’établissement, auxquels le rectorat semble dire : « puisque vous n’êtes pas capables de convaincre vos élèves d’assister aux cours, soit en les intéressant, soit en leur imposant une discipline, nous allons les payer pour les faire venir. » On achève ainsi de dévaloriser les lycées professionnels, en accentuant l’image défavorable dont ils souffrent.

    Enfin, je m’interroge sur les conséquences de cette mesure absurde au sein des classes. Les établissements qui sont le plus concerné par l’absentéisme sont souvent aussi ceux qui sont le plus touché par la violence scolaire. L’éventuelle baisse de cette cagnotte risque d’y accroître les tensions – peut-être même les pressions sur les professeurs qui seront tenus responsables d’avoir diminué le pactole.

    Cette initiative démagogique risque ainsi d’engendrer de nombreux effets pervers. C’est pourquoi les 80 000 membres de SOS Éducation demandent au ministre, Luc Chatel, d’y mettre fin. Si l’Education nationale a de l’argent à dépenser, qu’elle le donne aux établissements, aux professeurs et aux élèves qui travaillent et préparent l’avenir. Car ce sont ces élèves méritants qui, demain, paieront les allocations chômages, les RMI, et la CMU de ceux de leurs camarades qui, aujourd’hui, refusent de se rendre en cours et d’étudier.

  • Quand ”la crise” fait surgir des convergences inattendues. Et prometteuses ?...

                Jean-Marie Harribey, 61 ans, est Professeur de sciences économiques et sociales et Maître de conférences d’économie à l’Université Bordeaux IV.

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    Avec Aurélie Trouvé, qui assure comme lui la co-présidence d'Attac



                Pendant la première moitié de sa vie professionnelle, il a enseigné en lycée, et, pendant la seconde, à l‘Université où ses recherches portent sur la critique de l’économie politique, les concepts de valeur et de richesse, le travail, la protection sociale et le développement soutenable.

                Il a publié notamment L’économie économe, Le développement soutenable par la réduction du temps de travail (L’Harmattan, 1997), Le développement soutenable (Economica, 1998), La démence sénile du capital (Le Passant Ordinaire, 2002), Raconte-moi la crise (Le Bord de l'eau, 2009). Il a dirigé Le développement a-t-il un avenir ? (Mille et une nuits, 2004), Le Petit Alter, dictionnaire altermondialiste (Mille et une nuits, 2006). Et il a co-dirigé Capital contre nature (PUF, 2003), Le développement en question(s) (PUB, 2006), et Sortir de la crise globale, vers un monde solidaire et écologique (La Découverte, 2009)

                Jean-Marie Harribey est chroniqueur à Politis et co-président d’Attac France depuis 2006.

     

                Voilà ce que l'on peut lire dans Libération du 14 septembre, en guise de petit texte de présentation du très intéressant article qu'il y publie, sous le titre « La crise financière est le fruit des “trente mortifères” ». Ne voit-on pas, dans cet article, un auteur lucide et sans parti pris qui, même s'il s'en étonnerait au cas où on le lui ferait remarquer, n'est pas loin du tout de la doctrine sociale de l'Eglise, d'une part, et, d'autre part, du Maurras annonciateur de l'Âge de fer, dont il a prédit la survenue en en analysant les causes dans L'Avenir de l'Intelligence. Jean-Marie Harribey veut "en sortir", et nous avec lui, et -on peut le penser- tous les gens de bonne volonté, dans quelque camp qu'ils se trouvent. Mais où trouvera-t-on la "force" qui permettrra d'en sortir, face à l'Argent devenu roi ?.....

                 A coup sûr, Jean-Marie Harribey, par delà tous les clivages et toutes les pesanteurs, est bien quelqu'un avec il serait bon d'ouvrir un débat. Qu'on en juge, voici son texte (intégral)....

                1-2-30. Tel est le tiercé perdant de l’histoire des trois dernières décennies. Il y a un an, la faillite de Lehman Brothers mettait l’ensemble du système bancaire mondial au bord de l’explosion. Mais elle n’était que le prolongement de l’ébranlement intervenu il y a deux ans au cœur même du capitalisme, les États-Unis, par suite du retournement du marché de l’immobilier et de la dévalorisation des actifs financiers qui lui étaient liés. Mais, à s’en tenir aux effets de la crise financière, on oublierait que celle-ci trouve ses racines profondes dans les transformations structurelles que le capitalisme mondial a connues depuis exactement trente ans.

                En effet, l’année 1979 symbolise le virage pris par les classes dominantes dans le monde pour relancer l’accumulation du capital compromise par la chute des taux de rentabilité. Cette année-là, sous la houlette de son président Paul Volcker, la FED américaine augmente brutalement ses taux d’intérêt et donne le signal du retournement de toutes les politiques économiques. Au keynésianisme des « trente glorieuses » va succéder alors le néolibéralisme des « trente mortifères », se fixant pour objectifs principaux de favoriser toujours davantage la rente financière et de repousser toujours plus loin la frontière de l’espace de la marchandise.

                Une fois abolis tous les obstacles à la circulation des capitaux, le monde s’engageait sur la voie des déréglementations, des privatisations, en un mot de la libéralisation pour rentabiliser tout ce qui avait jusque-là échappé à la loi du profit : transports publics, télécommunications, énergie, distribution de l’eau, école, culture, santé et retraites. Un nouveau cadre se dessinait à l’intérieur duquel se multipliaient fusions, absorptions, délocalisations, et ces restructurations renforçaient la concentration du capital.

                Sous couvert de lutte contre l’inflation, les salaires étaient déconnectés de la productivité du travail et entamaient une dégringolade relative de plusieurs points de valeur ajoutée. Pour faire entrer les pays du Sud dans le moule de la mondialisation, le Fonds monétaire international et la Banque mondiale leur imposaient des plans d’ajustement structurel. Le dogme reçut même une appellation contrôlée : le « consensus de Washington ». Le résultat fut brutal : nombre de pays du Sud connurent une spirale sans fin d’endettement pendant que leurs capacités de s’auto-alimenter s’amenuisaient au fur et à mesure qu’ils étaient intégrés de force dans le marché mondial.

                Fondamentalement, le modèle d’accumulation financière a donc fini par exploser parce que, à force de précariser la condition salariale, la finance hors-sol a fait long feu. Autrement dit, la finance a été rattrapée par une contrainte dont elle avait cru pouvoir s’exonérer : seul le travail produit de la valeur économique. À l’illusion d’un monde enchanté où la richesse naîtrait du néant, grâce à une finance faiseuse de miracles, a succédé une crise globale car il y a une limite à l’exploitation de la force de travail et à celle de la nature. La crise capitaliste est en effet d’autant plus grave qu’elle se déroule sur fond de crise énergétique et écologique sans précédent. Plus on s’approche des limites physiques de la planète, moins la reproduction du système économique et, au-delà, des conditions de la vie, est assurée. Ce ne sont pas les velléités de « croissance verte » ou de fiscalité écologique au rabais qui suffiront pour amorcer un modification des choix fondamentaux en matière de production et de consommation.

                Le bout du tunnel n’est donc pas en vue, en dépit de la croissance économique de nouveau légèrement positive en France, en Allemagne et au Japon. Un risque de krach obligataire plane sur un océan de déficits publics. Et l’emploi poursuit sa dégringolade et ne repartira pas sous l’effet de plans de relance dont la perspective est de court terme et surtout contraire à une démarche véritablement écologiste.

                À une crise systémique ne peut être opposée qu’une réponse systémique dont on n’entrevoit aucun signe dans les instances internationales ou les sommets du G20. En guise de suppression des paradis fiscaux, on les raye de la liste noire. La circulation des capitaux, pourtant à l’origine de la financiarisation de l’économie, reste sans limites, au point que le président de l’Autorité britannique des services financiers lui-même, Adair Turner, juge que la « finance est socialement inutile » et appelle à la mise en place de taxes sur les transactions. Les pratiques des banques demeurent inchangées malgré l’argent public qui leur a été octroyé. La dette des pays du Sud, devenue au fil des ans de plus en plus illégitime, attend toujours d’être annulée. L’Union européenne et les États-Unis ne renoncent pas aux subventions à leurs exportations agricoles, ruinant toutes les agricultures vivrières. La gestion du climat est en passe d’être confiée à une nouvelle sphère de la finance, celle qui s’est spécialisée dans la spéculation sur le prix du carbone, qui prendra le relais de celle sur le foncier, l’immobilier et les matières premières.

                Il ne s’agit plus seulement d’un défaut de régulation, comme consentent à le dire maintenant ceux qui dans le passé récent ont déréglementé à tout va, mais bien de la logique de l’accumulation du capital qui conduit à sacrifier êtres humains et environnement naturel. L’urgence est donc de borner strictement le champ de la rentabilité financière et de placer hors marché l’ensemble des biens communs, de telle sorte que le respect des droits politiques, sociaux et écologiques prime sur le droit des affaires et de la concurrence, et qu’un autre mode de développement humain soit inventé. C’est à cette condition que nous éviterons le délitement des sociétés sous les coups de boutoir de la marchandisation. « Le temps du monde fini commence », disait Paul Valéry. Les « trente mortifères » ont accéléré le processus. En sortir devient vital.

  • Deux feux à Marseille. Deux poids, deux mesures

                Si nous n'en avons pas parlé avant, c'est que nous préférions d'abord y voir plus clair, et non parce que cela ne nous intéressait pas. Le dilemme est bien connu: ou on réagit tout de suite, mais on court le risque d'être démenti par un fait nouveau, ou on attend un peu, par prudence et honnêteté intellectuelle, pour vérifier les infos, mais alors on court le risque d'être catalogué moins réactif.

               Pierre nous avait envoyé le texte d'une lettre ouverte à Jean-Claude Gaudin sur l'affaire du feu déclenché à Carpiagne, suite -disait-on- à un exercice de la Légion étrangère, pendant le mois de juillet. Juste après l'avoir reçu, l'AFP publiait le communiqué que nous reproduisons ci dessous. Et, pour finir, le vendredi 11 septembre, le principal intéressé prenait la parole dans La Provence. On peut donc considérer maintenant que les faits commencent à être établis avec assez de précisions pour demander des comptes, formuler quelques critiques, et lancer des accusations.....

     

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    Vite accusées: la Légion, l'Armée. Et plus qu'accusées: lynchées....

                Voici, dans l'ordre, et constituant un mini-dossier sur l' "affaire", le communiqué de l'AFP, la lettre ouverte à Jean-Claude Gaudin et l'entretien à La Provence

    I : Feu à Marseille. Les mineurs en liberté.

    Les deux adolescents de 14 ans interpellés hier (samedi 6 septembre, ndlr) sur le site de l'incendie qui a détruit six hectares de végétation basse aux portes de Marseille (ci dessous) ont été remis en liberté à l'issue de leur garde à vue, a-t-on appris dimanche de source policière. Ils feront l'objet d'une convocation ultérieure devant le tribunal pour enfants pour "incendie involontaire".

    Ils avaient été surpris la veille par un policier hors service et un apprenti-cuisinier, alors qu'ils jetaient des pétards. Ils avaient ensuite tenté d'éteindre le feu, qui s'est finalement arrêté à quelques dizaines de mètres des habitations à La Batarelle, dans les quartiers nord de Marseille. Les deux mineurs ont un casier judiciaire vierge et sont présentés comme "des jeunes sans histoire".

    Un dispositif terrestre de 150 hommes et la mobilisation de six Canadair avaient été nécessaires samedi pour maîtriser le sinistre, attisé par un fort mistral, qui s'était déclaré vers 16h30 dans une zone péri-urbaine.

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                A la lecture de ce communiqué, le texte envoyé par Pierre est encore plus parlant:

    II : Monsieur le Maire,  

     

                Vous avez publiquement, et sur toutes les chaînes des médias, accusé l’Armée qui a déclenché un feu de broussailles après avoir tiré, à balles traçantes, lors des exercices d’entraînement au camp de Carpiagne. Connaissant votre affection pour Marseille, vous avez dû avoir très peur en voyant le feu arriver aux portes de la Cité. Très en colère, vous avez demandé lors de ces interviews, une punition exemplaire pour le « contrevenant » qui avait commis « une stupide erreur » en entraînant ses hommes dans cette région à risques en cette période. Mais pourquoi crier si fort aujourd'hui contre notre Armée, alors que votre silence complaisant nous a atterrés lorsque, quelques jours plus tôt, le 14 juillet exactement,  ce sont des bandes de vos cités dites défavorisées qui ont mis Marseille en feu créant des incendies - quatorze selon La Provence – tout près des habitations et simultanément aux quatre coins de la ville. 

                Ces  bandes de jeunes ou moins jeunes avaient volontairement mis en péril la vie de vos administrés puisqu’ils avaient jugé important d’allumer leurs incendies près des habitationset leur dessein, à n’en pas douter, était de tuer sans distinction d’âge ou de sexe. Nous savons tous et vous aussi certainement, que, ce faisant, ils répondaient à un appel, sur Internet,  de ces immigrésqui peuplent la France mais la haïssent autant qu’ils haïssent les français. Comment se fait-il,  qu’après ces violences, autrement plus graves, le premier magistrat que vous êtes, ne se soit pas révolté contre ces hordes de dangereux pyromanes ? Vous aviez pourtant matière à demander aux Chef de l’Etat de sévir avec la plus grande fermeté et à l’Armée, Gardes mobiles et autre CRS,  de les déloger manu-militari afin de les traduire devant la justice française. Vous avez préféré passer sous silence les débordements qui s’étaient déroulés dans votre ville, et « vos médias » se sont contentés d’annoncer le nombre de voitures incendiées dans tout l’hexagone, précisant, comme s’il s’agissait d’une banalité, que le bilan avait été bien supérieur à l’année précédente pour la même occasion. 

     

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    Après la virulente "sortie" du Maire de Marseille, François Fillon lui-même....

                Par contre, ayant trouvé un coupable tout désigné pour  "noyer le poisson de la veille", en la personne d’un honnête soldat qui entraînait ses hommes, vous êtes apparu comme par enchantement, drapé dans votre indignation, réclamant réparation  à la stupide Armée qui avait osé menacer Marseille. A vous regarder piquer vos colères devant toutes ces caméras qui passaient près de vous, nous en avons eu le sang tout retourné comme on dit cheznous en Provence.  Car nous, aussi,  nous sommes très en colère ….. Contre vous Monsieur Gaudin. Car nous sommes marseillais et nous aimons Marseille autant,  sinon plus,  que vous. Et Marseille n'est pas seulement qu'un ramassis de voyous qui sèment la terreur dans Notre ville, Monsieur, elle nous appartient également.  Mais il nous semble que vous êtes bien plus zélé à protéger vos  délinquants, même s’ils sont des assassins en herbe,  qu’à protéger et défendre tous vos administrés. Ne verriez-vous en eux que des voix électorales potentielles qui vous aideraient à préserver votre siège lors des futures consultations qui auront lieu dès les premiers mois de 2010 ?

                 Nous vous rappelons que, nous aussi, nous votons. Et nous sommes nombreux à être fatigués de lutter contre cette délinquance qui a envahi notre ville. Nous vivons dans l’insécurité la plus totale à Marseille pendant que vous faites des effets de manches et poussez des coups de gueule pour attirer l’attention des marseillais et des pouvoirs publics contre un homme, un soldat de France,  dont le
    courage et l’honneur ne sont plus à prouver. Votre théâtralisme, votre partialité, votre irresponsable attitude, nous font honte. Ces deux
    affaires ayant eu le même résultat : des incendies, l’un causé volontairement,  l’autre accidentellement dans l’exercice d’une profession, il est encore temps que vous en appeliez à l’Etat, aux ministres et à tous les médias pour revenir sur vos déclarations tonitruantes et rétablir la vérité. L’adjudant Fontaine, de la Légion étrangère,  en entraînant ses hommes aux futurs combats qu’ils livreront contre les ennemis de la France d’abord et de la paix dans le Monde en général n’est pas responsable, SEUL, de cet accident terrible, soit, mais non criminel. Vos protégés, eux, ont provoquédes incendies criminels et vous ne les avez, en aucune manière, condamnés ni poursuivis. 

                 Y aurait-il, pour la ville de Marseille que vous représentez, deux sortes d’administrés ? Deux poids, deux mesures ? Des blancs coupables et  des immigrés innocents ?  Nous attendons rapidement votre réponse, Monsieur le Maire.   

                 III : et que dire, alors, du son de cloche que l'on entend avec l'entretien accordé à La Provence par l'adjudant Fontaine, lynché en direct, plusieurs jours durant, dans la plupart des médias ?

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    La Provence, vendredi 11 septembre
    Page globale ci dessus,
    détaillée ci dessous, pour une meilleur lecture
     I
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    II
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    III
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  • Quand le PS en général, et Moscovici en particulier, se moquent du monde.

    moscovici.jpg           On pourrait ajouter : et nous prennent pour des imbéciles.... 

               Comme Rocard, tout récemment, Moscovici voit du Vichy dans les propos du Président.

               Décidément, au PS on ne recule devant aucune éxagération lorsqu'il s'agit d'idéologie. Monsieur Moscovivi ferait mieux de s'excuser - puisque c'est la mode, et que c'est ce qu'ils demandent toujours, à gauche : la repentance... - d'avoir donné Vichy à la France.

                Car c'est bien la chambre du Front populaire, à une petite centaine d'exception près, qui a voté les pleins pouvoirs à Pétain, et c'est donc bien le Front Populaire - PS, PC et Radicaux - qui a créé Vichy....

                Est-ce pour faire oublier ce fâcheux souvenir qu'ils crient si fort, et à tout bout de champ ? Évidemment, oui.....

                Mais, bon... Revenons à notre point de départ...

                Mosco nous explique doctement qu'il a des parents étrangers (il cite une grand'mère roumaine) et même quatre ascendants étrangers. Mais c'est là, et en cela, qu'il nous prend pour des imbéciles. Et qu'il nourrit ainsi cet extrêmisme qu'il feint de dénoncer, alors que c'est, là aussi, une géniale création de Mitterrand....

                Il nous prend pour des imbéciles parce qu'il fait exprès de ne pas voir ce qui crève les yeux. A savoir que les migrations actuelles ne sont en rien comparables avec celles des siècles précédents.

                Les migrations de population (à quelques exceptions près, comme les Arméniens...) étaient - aux XIXème et XXème siècles - des migrations inter-européennes, et affectaient des populations avec qui, en gros, nous partagions un socle de valeurs fondamentales communes, tirées de l'ancestral héritage européen, commun à tous dans les grandes lignes.

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    Les immigrés d' "avant" (ici des polonaises en costume traditionnel)
    se sont intégrés, fondus, assimilés dans un ensemble France....

                 Mais aujourd'hui ? Et depuis 1975 ?  

                 La vague migratoire d'aujourd'hui diffère fondamentalement du passé par son ampleur inédite d'abord: peut-être 15 millions d'entrées en trente ans, jamais notre pays dans son histoire n'avait subi une telle pression, aussi soudaine qu'insensée, et très certainement porteuse de tensions (doux euphémisme) à très court terme.

                  Par ses origines ensuite, la grande masses des immigrés d'aujourd'hui provenant non plus d'Europe mais d'Afrique et d'Afrique du Nord (1);

                  Par son aspect idéologique, enfin, inédit lui aussi: le Système en place promeut ouvertement le métissage - qu'on pourrait qualifier de métissage idéologique...- chose là aussi totalement inconnue avant 1975.

                  Nous avons souvent cité -parce qu'elle nous semble profondément juste- cette réflexion de de Gaulle: 

                 "Il ne faut pas se payer de mots. C'est très bien qu'il y ait des français jaunes, des français noirs, des français bruns. Ils montrent que la France est ouverte à toutes les races et qu'elle a une vocation universelle. Mais à condition qu'ils restent une petite minorité. Sinon la France ne serait plus la France. Nous sommes avant tout un Peuple européen, de race blanche, de culture grecque et latine, et de religion chrétienne."

                  Jean-François Mattéi, dans son Regard vide, revient longuement sur la notion d'identité, et sur l'appropriation des apports extérieurs. Mais cette appropriation pourra-t-elle encore se faire si -comme c'est précisément le cas aujourd'hui- ces apports extérieurs, se font en très grand nombre sur un temps très court ? 

                   En français, on est l'hôte de son hôte, puisque le même mot désigne aussi bien celui qui reçoit et accueille chez lui, et celui qui est reçu. Mais l'hôte accueillant pourra-t-il accueillir une telle masse de personnes aux valeurs étrangères et à son pays, et à son Europe natale ? Et l'hôte accueilli pourra-t-il se fondre et d'intégrer, comme l'ont fait avant lui les polonais, les portugais, les italiens, les espagnols, s'il est par ses origines trop éloigné des valeurs du pays d'accueil ?

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    ... rien à voir avec la prétention de beaucoup, "aujourd'hui", qui viennent avec armes et bagages et prétendent transposer leur(s) façons de vivre dans le pays d'accueil. Il n'y a que les idéologues, qui ont des yeux pour voir mais qui ne veulent pas voir, pour refusent de faire la différence entre "avant" et "maintenant", pourtant évidente pour tout un chacun.....

     

                  On sait les problèmes qui se posent avec des personnes de religion différente, voire antagoniste (pour être clairs: les musulmans). Mais la religion n'est pas seule en jeu (2). Les problèmes ne se poseraient-ils pas, aussi, avec des gens non-religieux (ou a-religieux) mais avec des traditions très différentes des nôtres, voire incompatibles (polygamie, excision...) si d'aventure -comme le laissait entendre de Gaulle- ils cessaient d'être "une petite minorité" ?.

                  L'Europe, et la France, pourraient-elle maintenir et perpétuer leur(s) héritage(s) si, même en faisant abstraction de l'Islam, une part importante des populations devenaient de fait extérieures et étrangèresà ces sources dont parle de Gaulle: "...européenne, de race blanche, de culture grecque et latine, et de religion chrétienne..." ?

                  Même si elle est délicate à manipuler, la question mérite au moins d'être posée. Elle est légitime....

    (1) : avec une exception notable, celle d'une population asiatique, importante notamment à Paris...

    (2) : on sait d'ailleurs qu'il ne faut pas tomber dans le pessimisme total: un certain nombre d'immigrés d'Afrique sont chrétiens, et bon nombre de paroisses catholiques, y compris dans des zones sensibles, ont été redynamisées par cet apport immigré-chrétien...  Et, en touts cas, il ne faudrait pas s'imaginer que tous les immigrés sont musulmans....

  • Du bon sens un peu partout: une sociologue du CNRS parle de la burqa.

                Excellent article de Nathalie Heinich, sociologue au CNRS, dans Le Monde du 14 Août (1). Sous le titre La burqa, les sophistes et la loi, elle donne une belle leçon de bon sens et démonte calmement mais habilement, avec une force tranquille, les sophismes et les "étranges arguments" de certains.

                Elle se référe au Bien commun -expression que Boutang préférait à celle d'Intérêt général- et on repense, à la lecture de son texte, à cette idée d'un minimum de lois, pour un maximum de moeurs, qui caractérisait, selon Thibon, une société bien portante.

                Son texte est à lire, le voici.

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    La burqa, les sophistes et la loi.

    Les lois existent déjà, appliquons-les !

    D'étranges arguments sont apparus ces derniers temps à propos du débat sur le port de la burqa. Le 1er août, dans Le Monde, un enseignant à l'EHESS, Farhad Khosrokhavar, critique son éventuelle interdiction au nom de l'idée qu'elle risquerait de radicaliser le fondamentalisme islamique, alors que la France devrait " favoriser un islam modéré ".

    Le 28 juillet, un anthropologue américain spécialiste de l'islam, John Bowen, s'inquiète, sur le site Nonfiction.fr, de ce qu'une telle interdiction, relevant d'un " ordre moral ", pourrait constituer " une atteinte à la vie privée des gens, à la liberté dans la sphère privée ". Et, la même semaine, l'annonce selon laquelle cette pratique ne concernerait que " 367 femmes ", selon une enquête de la police, amène certains à estimer que, pour si peu, une loi serait inutile, voire nuisible.

    Etranges arguments ! Devrait-on renoncer à légiférer contre le crime parce que celui-ci ne serait le fait que de quelques individus ? La loi n'est pas affaire de nombre, mais de principe. Le problème posé par la burqa relève-t-il de la vie privée ? Evidemment non, puisque ce qui est en question est précisément son port dans l'espace public : personne, que je sache, n'a jamais songé à l'interdire dans les domiciles !

    Le raisonnement de M. Bowen s'appuie sur une conception unilatéralement libérale de la citoyenneté, qui ne voit d'autre valeur à défendre que celle de la liberté individuelle, en vertu de laquelle tout un chacun devrait pouvoir faire tout ce qu'il veut, où il veut, comme il veut, à la seule condition qu'il soit bien mû par sa propre liberté, sans contrainte aucune. Ce faisant, il ignore qu'une autre réalité existe : celle qu'il nomme " ordre moral ", mais que d'autres ne craignent pas de nommer " intérêt général " ou " bien commun " - une valeur tout aussi fondamentale à leurs yeux que celle de la liberté des personnes.

    Quant à l'idée de M. Khosrokhavar selon laquelle il faudrait s'abstenir d'interdire la burqa en France, en s'appuyant sur le précédent du foulard, qui aurait " apporté de l'eau au moulin des groupes fondamentalistes ou sectaires ", elle propose rien de moins que de déléguer aux institutions de la République le soin de faire le ménage au sein de l'islam, entre modérés et intégristes. Mais est-ce bien le rôle de nos institutions que d'intervenir dans une affaire interne à une religion ?

    Fantômes sordides

    Et si les musulmans modérés estiment que le fondamentalisme prend trop de place, pourquoi n'appellent-ils pas leurs coreligionnaires au respect des institutions du pays où ils vivent, plutôt que de demander à ces institutions de se renier elles-mêmes ? Que ne font-ils pas entendre clairement leurs voix ? Que ne se dotent-ils pas de porte-parole courageux qui condamneraient avec fermeté les excès commis au nom de l'islam, en France ou ailleurs ? Que n'appellent-ils pas à manifester contre les crimes islamistes, lorsqu'ils ont lieu ?

    Au lieu de cela, ils recommandent aux institutions républicaines de faire comme eux : surtout, pas de vagues ! Circulez, il n'y a rien à voir ! Des cercueils ambulants, des insultes vivantes à l'humanité circulant dans les rues comme si de rien n'était - chut ! Ne dites rien, il y en a que ça pourrait énerver !

    Le seul point sur lequel on peut donner raison à ceux qui ne veulent pas d'une loi contre le port de la burqa, c'est qu'elle n'est pas juridiquement nécessaire : il suffirait de faire appliquer celles qui existent déjà. Car il y a des lois pour défendre la sécurité, exigeant que tout un chacun puisse être identifié : personne ne doit pouvoir se soustraire à un contrôle d'identité. Et il y a des lois pour défendre la dignité humaine (oui, cette notion qui concerne le bien commun, au risque parfois d'entraver la liberté individuelle) : une dignité que la burqa ôte aux femmes qui la portent, en les privant de cela même qui fait l'humanité de l'être humain - son visage.

    Nul besoin d'avoir lu Levinas pour le comprendre : il suffit d'avoir un jour croisé dans la rue ces fantômes sordides pour comprendre que ce qui leur est ainsi dénié - par d'autres ou par elles-mêmes, peu importe - c'est l'appartenance à l'humanité, qui permet à tout un chacun de rencontrer et de reconnaître son prochain ; et pour se sentir soi-même atteint, dans sa propre humanité, par ce spectacle dégradant.

    Et ne nous y trompons pas : contrairement à l'affaire du foulard, qui appelait à juste titre l'application de la loi sur la laïcité, il ne s'agit plus d'un problème religieux, comme on voudrait nous le faire croire : les musulmans sont les premiers à rappeler que la burqa ne relève en rien d'une injonction islamique. Il s'agit, plus fondamentalement, d'un problème de rapport à la loi : un problème de mise à l'épreuve de l'autorité, de jeu infantile avec les limites de la permissivité, de déni de l'existence de principes moraux supérieurs aux caprices de la volonté individuelle. Ce pourquoi ceux qui ont autorité en la matière doivent y réagir, en faisant simplement ce pour quoi ils ont été élus ou nommés : étendre le champ d'application de ces lois au port de la burqa - et les faire appliquer.

    Nathalie Heinich

    Sociologue au CNRS

    (1) : Nathalie Heinich est sociologue, directeur de recherche au CNRS. 

           Outre de nombreux articles dans des revues scientifiques ou culturelles, elle a publié des ouvrages portant sur le statut d'artiste et la notion d'auteur (entre autres La Gloire de Van Gogh. Essai d’anthropologie de l’admiration, Minuit, 1991 ; Du peintre à l’artiste. Artisans et académiciens à l’âge classique, Minuit, 1993 ; Être écrivain. Création et identité, La Découverte, 2000 ; L’Élite artiste. Excellence et singularité en régime démocratique, Gallimard, 2005) ; l'art contemporain (entre autres Le Triple jeu de l’art contemporain, Minuit, 1998) ; la question de l'identité (entre autres États de femme. L’identité féminine dans la fiction occidentale, Gallimard, 1996 ; L’Épreuve de la grandeur. Prix littéraires et reconnaissance, La Découverte, 1999) ; l'histoire de la sociologie (entre autres La Sociologie de Norbert Elias, La Découverte, coll. Repères, Ce que l'art fait à la sociologie, Minuit, 1998 ; La Sociologie de l'art, La Découverte, coll. Repères, 2001 ; La Sociologie à l’épreuve de l’art. Entretiens avec Julien Ténédos, Aux lieux d’être, 2006 [vol. 1], 2007 [vol. 2] ; Pourquoi Bourdieu, Paris, Gallimard, 2007).

  • Mgr de Berranger : un départ que l'on ne regrettera pas (1/2)...

                Un signe ? Peut-être. Un symbole, oui, certainement. Et même un symbole fort. On a appris que le pape avait accepté la démission d'Olivier de Berranger, évêque de Saint-Denis. Une démission annoncée en juin dernier, l'évêque - âgé de 70 ans - souhaitant rejoindre sa famille spirituelle du Prado, à Lyon.

                Cette acceptation intervenant au moment même où le pape lève l'excommunication frappant les quatre évêques de la fraternité Saint Pie X, on peut bien dire que, oui, manifestement, une page se tourne, qu'un chapitre s'achève et qu'un autre commence .....

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                Disons-le tout net : nous ne pleurerons pas Mgr de Berranger. Son départ ne nous causera aucun chagrin, et c'est sans tristesse aucune que nous le verrons partir. C'est difficile à dire, ce n'est pas très agréable et ce n'est pas forcément non plus très charitable, mais nous le disons sans animosité particulière.

                Petit retour en arrière, pour comprendre le pourquoi du comment.....

                Sans tomber dans aucune attaque ad hominem, nous ne pouvons oublier l’action quasi constante de Monseigneur de Berranger en faveur de toute immigration, ni l’action négative qu’il a toujours menée, par sa collusion permanente avec tous les groupuscules du parti immigrationniste et sanspapieristeet contre son pays et contre sa religion.

                Nous n’essaierons bien sûr pas de présenter, ici, une lecture exhaustive de tous les faits et gestes de Monseigneur de Berranger. Nous nous en tiendrons à une unique déclaration, parce que celle-ci résume bien à elle seule toute son action – on n’ose pas dire : tout son apostolat !..... - et qu'elle suffit à elle seule à montrer comment il a, nous le disions à l'instant, joué et contre sa religion et contre son pays.

               Nous voulons parler de cette scandaleuse Lettre qu’il a publiée le 1° Octobre 2007, avec Claude Schockert (évêque de Belfort-Montbéliard). C’était l’époque où l’on parlait des tests ADN, et de mieux lutter contre l’immigration clandestine...…

              Intitulée « Déclaration à propos du projet de loi sur l’immigration », Schockert et  Berranger y écrivaient cette phrase ahurissante : « …Les chrétiens refusent par principe de choisir entre bons et mauvais migrants, entre clandestins et réguliers, entre citoyens pourvus de papiers et d’autres sans-papiers …» . Ah, bon ? On ne choisit pas non plus entre voleurs et volés, violeurs et violés, assassins et assassinés ? Qu'est-ce que c'est que cette pseudo morale ? Il y a des lois, et tout le monde doit les respecter. Point barre. A moins de cataloguer tout "migrant", en soi, comme être supérieur, du simple fait qu'il est "migrant"; et donc au-dessus des lois....

               Sentant venir l’objection, Schockert et Berranger  ajoutaient vite : « …quels qu’ils soient, ils sont nos frères en humanité ».  Certes, mais ce prince de l’Eglise, chargé d’enseigner la Vérité aux autres, commet une grossière erreur, et montre qu’il ne maîtrise pas si bien ce Catéchisme qu’il est pourtant censé expliquer à autrui. L’égale dignité des personnes, c’est une chose. Sur laquelle nul ne revient. Mais là, Schockert et de Berranger confondent l’égale dignité des personnes et celle – totalement farfelue, irrecevable et scandaleuse - des comportements. Que tout homme, même criminel, reste une créature de Dieu, oui. Mais son crime, lui, est odieux. On dirait que de Berranger l’a oublié…..

                Et c'est le deuxième aspect choquant de cette Lettre, nulle part Schockert et de Berranger ne faisaient allusion aux paroles, pourtant fortes,  contenues dans le Catéchisme de l’Eglise Catholique. Comme celle-ci ( paragraphe 2241, page 459 ) : «L’immigré est tenu de respecter avec reconnaissance le patrimoine matériel et spirituel de son pays d’accueil, d’obéir à ses lois et de contribuer à ses charges. ». Nos évêques se contentaient d’en appeler à la « conformité avec le droit européen et international » (sic !).

                Évacuer ainsi toute référence à ce que l’on pourrait appeler le discours officiel de l’Église, pour ne s’en tenir qu’à des lois somme toute simplement humaines : de la part de deux messeigneurs, était-ce bien raisonnable ? Était-ce tout simplement honnête ? Et, en mettant sur un pied d’égalité les immigrés «réguliers» et les immigrés « clandestins » - comme nous l’avons vu plus haut - nos deux évêques ne se mettaient-ils pas  directement en opposition avec le Catéchisme de l’Eglise Catholique, qu’ils sont pourtant censés prêcher ?...

                Suivaient encore plusieurs critiques à peine voilées, et de fort mauvais goût, sur une prétendue mauvaise action dont se rendrait coupable le peuple français, coupable de ne pas accueillir assez largement et assez généreusement les gentils immigrés ! Critique des « mesures toujours plus restrictives à l’encontre des migrants… concessions à une opinion dominée par la peur plutôt que par les chances de la mondialisation ». Critique de  « l’imposition de tests génétiques pour vérifier les liens de parenté» à cause «d’un risque de grave dérive sur le sens de l’homme et la dignité de la famille» (ah, bon ? chercher à lutter contre la fraude et les fausses déclarations, c’est attentatoire à la dignité de l’homme ? pauvre évêque, et pauvre message !….).

                Et, enfin, éloge sans réserve, sans nuance et sans retenue du regroupement familial « qui est un droit toujours à respecter ». On l’a vu plus haut, à aucun moment le duo Schockert/Berranger ne parle des devoirs des immigrés. Pour eux, le monde est simple et facile : l'immigré a tous les droits, et aucun devoir; la France a tous les devoirs, et aucun droit. Seule la France doit. Et elle leur doit tout : papiers, travail, allocs…

                  Eux n’ont pas –pour Schockert et de Berranger- à respecter une identité, une Histoire, des mœurs, des us et coutumes…. rien ! Tout est à sens unique : tout pour les immigrés, rien pour les autochtones. On caricature un peu, mais on n’est pas très loin de la vérité …..                  (à suivre…..)

  • Michèle Tribalat parle de l'Islam, de l'islamisme

                Nous avons publié lundi une des question/réponse de l'entretien fort intéressant accordé le mardi 27 Janvier par Michèle Tribalat, la démographe bien connue, auteur de "La République et l’islam"à Pierre Cassen, de Riposte Laïque.

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                Voici une autre question/réponse, plus longue cette fois, dans laquelle Michèle Tribalat - toujours dans le même entretien - attire l'attention sur deux ou trois choses que l'on ferait bien de prendre en compte à propos de l'Islam, de l'islamisme et des terroristes; ainsi que sur une erreur grossière que commettent ( par idéologie ?.... ) nos gouvernants et notre Pays Légal dans son ensemble, dans les rapports qu'ils entretiennent avec les musulmans.   

                 On appréciera dans les lignes qui suivent le solide bon sens de Michèle Tribalat. Un bon sens et une connaissance de son sujet qui s'opposent frontalement à l'aveuglement suicidaire de beaucoup de nos dirigeants actuels. Qui s'explique peut-être, en plus de l'idéologie, par leur méconnaissance profonde de l'Islam, en fait. Tout simplement.....

    Riposte Laïque : Vous avez écrit en 2002 un livre "La République et l’Islam, entre crainte et aveuglement", avec Jeanne-Hélène Kaltenbach. A cette époque, on était déjà rapidement traité de raciste dès qu’on critiquait certains aspects agressifs de l’islam. Vous dénonciez de nombreux reculs de la République, devant l’offensive islamiste. Quel est votre regard, huit ans après la sortie de ce livre, sur les réponses de la société française ?

    Michèle Tribalat : Ce livre, il faut le rappeler, avait un titre bien banal - La République et l’islam - et venait après d’autres ouvrages aux titres tout aussi convenus du genre l’islam et la République ou l’islam dans la République. À l’époque déjà, il était difficile d’annoncer la couleur de manière explicite. J’avais choisi un titre qui me paraissait bien plus pertinent et en rapport avec ce que nous souhaitions traiter dans cet ouvrage : Islam, les yeux grand-fermés. Ce titre exprimait bien notre projet et avait l’avantage de faire référence à un film osé de Stanley Kubrick - Eyes Wide Shut - allusion qui me plaisait beaucoup mais qui n’a pas plu à l’éditeur. Le titre nous a été imposé et je n’ai jamais souhaité le défendre.

                 Dans ce livre, nous voulions montrer les dangers de l’islamisme, montrer qu’il ne tombait pas soudainement du ciel, si l’on peut dire, que sa légitimité plongeait dans les textes sacrés et qu’il avait donc bien un rapport avec l’islam qu’il ne fallait pas éluder. Tous les commentaires du genre « les actes terroristes n’ont rien à voir avec l’islam » ou « ceux qui ont fait ça ne sont pas des musulmans » sont absolument contre-productifs. Ils n’aident pas les musulmans de bonne volonté à envisager les sacrifices nécessaires à l’acclimatation de l’islam en Europe.

                Les terroristes islamistes se réclament de l’islam. Au nom de quoi refuserions-nous de les croire, nous qui ne savons généralement rien de cette religion ? C’est une mauvaise stratégie parce que nous en arrivons à croire que le combat politique se résume à débusquer les cellules islamistes prêtes à poser des bombes. Tant qu’ils ne jouent pas aux artificiers, les militants de l’islam deviendraient ainsi présentables.

                Notre livre visait aussi, et sans doute avant tout, à révéler la faiblesse et la complaisance avec lesquelles nous accueillons les exigences politico-religieuses islamiques. Il ne faut pas espérer acclimater l’islam à nos sociétés modernes en présentant ces dernières comme spirituellement vides, sans honneur, sans histoire prestigieuse, sans culture propre, sans traditions, sans rien à défendre, sans continuité à construire. Nous regrettions donc cet autodénigrement, ce goût de l’autre excessif qui enlève toute consistance et tout attrait à la société dans laquelle l’islam doit trouver sa place.

                Nos remarques d’alors restent valables. Aujourd’hui, nous aimons l’authentique, pourvu qu’il soit « terroir » ou « exotique ». C’est ce qui nous amène à privilégier un islam tel qu’il se présente, avec ses coutumes, traditions et rites, à un islam rénové et adapté aux exigences de nos sociétés modernes. Nous y voyons un islam authentique alors que nous sommes incultes en la matière. Les musulmans progressistes prêts à moderniser leur religion et les habitudes culturelles qui vont avec nous plaisent beaucoup moins. Pourtant, ils connaissent de l’intérieur les méfaits et ravages d’une obédience aveugle à ce qu’exigerait une application intégrale de l’islam conçu comme parole divine inaltérable. Ils parlent haut et fort, avec émotion, désespoir et colère. Et, paradoxe, ce sont eux qui sont jugés excessifs.

                Il s’est ainsi trouvé des « sages » de la commission Stasi pour juger que l’audition de Chahdortt Djavann avait été une faute de goût. La France a tourné le dos à Ayaan Hirsi Ali alors que nous aurions dû être honorés de la compter parmi nous, mais a offert l’asile à un terroriste colombien et gracié une terroriste italienne. J’attends avec impatience la réaction de la France lorsque les États-Unis vont lui demander d’accueillir des « présumés » terroristes de Guantanamo. Il n’est pas impossible que nous en prenions quelques uns pour raison humanitaire.

                Nous n’avons pas, à ma connaissance, de mouvement musulman équivalent à celui qui est né aux Etats-Unis dans l’après 11 septembre -« Free Muslim Coalition » - et qui a compris que cet événement engageait la responsabilité des musulmans. Kamal Nawash, à l’origine de Free Muslim Coalition écrivait ainsi : « il ne suffit pas que les modérés musulmans déclarent que certains passages du Coran ont été exploités politiquement. Les musulmans doivent réaliser que ces passages n’auraient pas été exploités s’ils n’existaient pas… Nous, musulmans, devons balayer devant notre porte et congédier les nombreux leaders qui à longueur de sermons prêchent la haine, l’intolérance, la violence. Nous ne devons plus avoir peur d’admettre que, comme musulmans, nous avons un problème avec l’extrémisme violent. Si nous devions rester silencieux, nous ne pourrions espérer que l’on nous entende lorsque nous nous plaignons des stéréotypes et de la discrimination. Nous n’aurions pas à nous plaindre des mesures particulières dont nous faisons l’objet dans les aéroports. Pour dire les choses directement, nous, musulmans ne devons pas seulement nous joindre à la guerre contre la terreur. Nous devons en prendre la tête. »

                Nous aurions besoin d’un engagement de musulmans français de ce type. Pour cela, il faudrait ne pas décourager les bonnes volontés et ne pas considérer comme des transfuges douteux ceux qui se détournent de l’islam tel qu’il est. Et il faudrait au contraire assurer leur protection. Ce type de mouvement est indispensable pour que la critique légitime de l’islam ne débouche pas sur une mise en accusation des musulmans dans leur ensemble. Si la plupart des musulmans en désaccord avec les militants de l’islam se taisent et si les hommes et les femmes courageux qui parlent sont déconsidérés, l’amalgame est à redouter.

                Nous avons intérêt, l’État a intérêt, à favoriser l’émergence de ce courant de pensée musulman en France, plutôt que de flatter dans le sens du poil ceux qui nous expliquent que l’islam tel qu’il est doit le rester parce qu’il serait un gage de tranquillité. Toute action politique en la matière devrait ainsi être évaluée à l’aulne de cet objectif : « Est-ce qu’elle contribue à soutenir et épauler les hommes et les femmes courageux qui sont engagés dans ce processus de réforme ? Est-ce qu’elle aide les incroyants de culture musulmane à vivre leur vie, à exercer leur liberté de penser sans crainte ? Ou, au contraire, est-ce qu’elle livre les tièdes à la tutelle des islamistes ? »

  • L’affaire Kouchner, ou la Révolution pour rien…..

             Nous ne sommes pas des charognards, ni des moralisateurs, ni des donneurs de leçons. L’affaire Kouchner, en soi, n’est pas de notre ressort. Laissons l’accusation accuser, la défense défendre, et juger qui voudra, ou qui pourra. A ce stade de « l’affaire » il n’y a rien à dire d’autre….

             Si Bernard Kouchner est (ou était…) attiré par l’argent, voire corrompu, il ne serait ni le premier ni le dernier dans la longue liste, en France et dans le monde, des gens qui auraient confondu (comme on le dit dans la presse actuellement...) leur intérêt personnel  avec le  rôle qu’ils jouent en tant que grands fonctionnaires de l‘État.

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               Ce qui nous intéresse par contre, dans cette affaire Kouchner, c’est de passer d’un cas particulier au cas général, du cas d’une personne éventuellement corrompue au cas de la République et de la Révolution.

               Mais, pourquoi ? demandera-t-on peut-être; et quel rapport y a-t-il entre les deux ?

               Eh bien, voilà…..

               Quand les révolutionnaires ont massacré leurs opposants, établi le totalitarisme et décrété le premier génocide des temps modernes contre les Vendéens, la raison invoquée par eux pour justifier et même légitimer (!) toutes ces horreurs était qu’ils allaient régénérer, non seulement la France mais l'Europe, et même le genre humain ! Robespierre, Danton, les Conventionnels savaient très bien qu’ils tuaient des innocents (1), mais ils pensaient qu’ils allaient créer un monde nouveau, un Homme nouveau. Lénine, leur héritier-continuateur, n’a-t-il pas dit que la société sans classe serait si belle qu’on ne pouvait même pas l’imaginer ?

                Or, l’on ne peut que constater, deux cents ans après cette funeste Révolution, que rien n’a changé, et que même tout a empiré. La Révolution-mère, et celles qui l’ont suivie (2), ont détruit les antiques pouvoirs traditionnels qui se fondaient sur l’Histoire, sur le Sang – comme disait Maurras dans sa lumineuse démonstration de l’Avenir de l’intelligence… - et qui se reconnaissaient une autorité supérieure par le seul fait qu’ils admettaient la Transcendance.

                La Révolution et ses avatars ont remplacé ces antiques pouvoirs par des idées abstraites, des notions théoriques qui ne pèsent d’aucun poids face à la puissance de l’Argent, de l’Or; ce qui laisse encore plus qu’avant les mains libres à la corruption puisqu’il n’y a plus aucun pouvoir capable, ou simplement désireux, de s’opposer à elle.

                 C’est là, donc, qu’intervient notre critique. Non pas sur une personne, et contre elle (Kouchner, en l’occurrence), non pas sur un cas particulier mais, à travers ce cas particulier, pour remonter au cas général; et pour passer de la critique d’une personne à la critique d’un système. Notons d’ailleurs que la même chose peut être dite pour bien d’autres affaires, de Julien Dray aux carnets noirs d’Yves Bertrand, consacrés aux turpitudes de la République.

                 Des turpitudes et des ministres corrompus, des enrichissements personnels scandaleux, il y en a eu à foison pendant les mille ans de Royauté. Ce n’est donc pas là-dessus qu’il faut, en soi, attaquer le système actuel. Mais c’est sur ce fait précis que la révolution a échoué à changer l’Homme et le monde; que sous la République, issue de la Révolution tout continue comme avant, question corruption, et même avec une échelle démultipliée ; et que donc, de ce point de vue là, la révolution n’a servi à rien, et les faits se sont chargés de contredire Robespierre, Danton et les Conventionnels  qui voulaient régénérer la France, et qui n’ont rien régénéré du tout (3).

                Là est la critique.

                La République et la Révolution sont donc condamnables, là où la Royauté ne l’était pas, en soi. Car jamais, dans aucun texte, aucun Roi n’a promis d'apporter le système qui allaitt éradiquer toute laideur, toute bassesse, toute corruption de la Société. La République, elle, l’a promis/juré. Elle l’a assuré et proclamé, et c’est même pour cela, c’est au nom de cette promesse folle qu’elle s’est autorisée à massacrer et à génocider, en affirmant qu’on allait voir ce qu’on allait voir. Eh bien, justement, on voit : c’est comme avant, c’est même pire qu’avant…

                On voit donc bien, par ces quelques réflexions sur l’affaire Kouchner, que ce qui nous intéresse là ce n’est pas Kouchner en lui-même, son éventuel enrichissement personnel et son éventuelle corruption. C’est la corruption du système, la corruption du pays Légal, la corruption de la République institutionnelle.

                Parce que cette corruption est inadmissible, si l’on se réfère aux promesses de ses origines.

                Ce qui était inadmissible et fou, ce qui est et reste la corruption fondamentale, substantielle, de tout système politique issu de l’idéologie révolutionnaire, c’est, en soi-même, la prétention à changer radicalement l’homme et la société, à engendrer, en un sens quasi-religieux, un homme nouveau, quand il apparaît si difficile de seulement vouloir l’améliorer un peu …

     

    (1)     :       "Les scènes des Cordeliers, dont je fus trois ou quatre fois le témoin, étaient dominées et présidées par Danton, Hun à taille de Goth, à nez camus, à narines au vent, à méplats couturés, à face de gendarme mélangé de procureur lubrique et cruel. Dans la coque de son église, comme dans la carcasse des siècles, Danton, avec ses trois furies mâles, Camille Desmoulins, Marat, Fabre d'Eglantine, organisa les assassinats de septembre.…

                     Danton, plus franc que les Anglais disait, : "Nous ne jugerons pas le Roi, nous le tuerons." Il disait aussi : "Ces prêtres, ces nobles, ne sont point coupables, mais il faut qu'ils meurent parce qu'ils sont hors de place, entravent le mouvement des choses et gênent l'avenir."  (Mémoires d'Outre-Tombe, La Pléiade, Tome I, pages 298/299).

    (2) : toutes sorties d'elle et d'elle seule, qui est l'unique matrice : c'est le mérite de Soljénitsyne de l'avoir bien manifesté dans son discours des Lucs sur Boulogne (que vous pouvez lire dans la Catégorie Grands Textes, en Grands Textes I).

    (3) : Saint Just a tout de même osé dire, et écrire: "Je ne juge pas, je tue" (au procès de Louis XVI) et "Une nation ne se régénère que sur des monceaux de cadavres"...

  • Un hommage du Monde à Jean-François Gravier.....

              Dans sa page Rétrolectures (une fort bonne idée, cette page...), consacrée donc ce 15 juillet à Jean-François Gravier, Jean-Louis Andréani revisite son ouvrage Paris et le desert français.         

              Le commentaire est intéressant, et le ton élogieux. Y a-t-il une petite ambigüité, un sous-entendu, lorsqu'il, évoque les idées royalistes de Gravier ?  Faut-il subodorer une arrière-pensée dans le rappel "...avant de travailler pour Vichy" ou l'expression "inspiration pétainiste" ?Ce serait faire preuve d'une sorte d'amnésie à sens unique, aussi injustifiée que surprenante: imaginerait-on le même journaliste gêné de parler de Mitterand, par exemple, parce que celui ci a eu une période vichyssoise, fort bien connue de tous... ?

              Ne faisons donc pas de procès d'intention à Jean-Louis Andréani, que nous feliciterons au contraire pour la qualité de ses lectures et le choix de ses auteurs. Voici le texte de son article, intitulé sobrement "Paris et le Désert français".

              Dans un domaine qui n'est pas vraiment une pépinière de best-sellers, le livre de Jean-François Gravier, Paris et le désert français, a eu une carrière hors du commun. Plus qu'une référence, il reste un témoignage, un symbole : celui de la révolte contre une France déséquilibrée, entre une région-capitale écrasante, où tout se passe, et une province belle endormie qui suscite l'ennui et fait fuir les talents vers la Ville Lumière.       

              Lorsque le jeune géographe (né en 1915, il a lors 32 ans) publie en 1947, aux éditions du Portulan, il n'imagine pas que son essai (tiré à 3.000 exemplaires) puisse inspirer au général de Gaulle l'aménagement du territoire à la française et devenir la bible de la décentralistaion. L'influence de Gravier se retrouverait même dans la "nouvelle société" de Jacques Chaban-Delmas, premier ministre de Georges Pompidou de 1969 à 1972;
     
            En 1947, Le Monde ne rate pas Paris et le désert français, sans toutefois lui accorder une très grande place. Le supplément hebdomadaire "Une semaine dans Le Monde" du 25 octobre 1947 consacre environ une demi-colonne à ce "remarquable ouvrage". Même si l'auteur du papier cite surtout la préface de Raoul Dautry, ministre de la reconstruction et de l'urbanisme à la Libération.

              Réédité une première fois en 1958 par Flammarion, Paris et le désert français est couronné par le Grand Prix d'histoire de l'Académie française, le prix Gobert, le 17 décembre 1959. L'écrivain Maurice Genevoix prononce l'éloge du récipiendaire et salue "un chef-d'oeuvre (...), un ouvrage bénéfique" dont les répercussions devraient être "considérables". En 1972, l'ouvrage est réédité une troisième fois, de nouveau par Flammarion.

              A lire aujourd'hui les quelque 400 pages de l'édition de 1947, le "Gravier" correspond bien à l'empreinte qu'il a laissée dans la mémoire collective. La première partie, "Bilan", qui occupe la moitié de l'ouvrage, est un réquisitoire bourré de cartes, de chiffres, de tableaux. C'est elle qui a bâti la légende de Gravier. Dans un style incisif, malgré les références constantes aux statistiques, l'auteur y décrit avec minutie cette exception française qui fait que le centralisme politique hérité de l'Ancien Régime a gagné, de proche en proche, les sphères économique, culturelle, éducative, jusqu'à faire de la centralisation parisienne la règle générale. Le raisonnement de Jean-François Gravier est simple. Il défend la décentralisation au nom de l'efficacité, notamment économique, et du mieux-être des populations qui, à ses yeux, vont de pair.

              L'auteur considère que, comparée notamment à l'Allemagne - n'oublions pas que le livre sort deux ans après la guerre -, la France devrait rechercher, à long terme, un gain de presque 30 millions d'habitants, pour arriver à 73 millions, avec la production industrielle correspondante. Et il se demande si la centralisation est le meilleur moyen d'y arriver : "Peut-on fonder l'avenir d'une nation sur l'hémorragie interne ? Peut-on fonder sa renaissance sur le gonflement congestif de 4 % de son territoire et sur l'appauvrissement continu en hommes et en productions de la moitié de ses provinces ?" Gravier résume d'ailleurs en trois mots "les vrais problèmes français" : "population, énergie, investissement". L'auteur s'y montre adepte résolu du Plan et de "l'économie dirigée", qui prévaut à l'époque.

    "TENTACULES"

              Gravier est parfois utopique, excessif, verse dans l'autoritarisme pour servir sa volonté farouche de relancer la production. Mais l'ouvrage impressionne encore aujourd'hui par la force de ses descriptions, ses capacités d'anticipation. Ainsi, avec trente ans d'avance, le géographe (disparu en 2005) prône la création de 16 régions, chacune dirigée par un super-préfet. Il souligne la nécessité d'un "Grand Paris" d'environ 5 millions d'habitants, insiste sur les conséquences néfastes du laisser-faire urbanistique. Quant à la capitale elle-même, il déplore - en 1947 ! - que "Paris semble aménagé pour des automobiles et non pour des hommes - encore moins pour des enfants"...

              Mais il y a une face souvent ignorée de Jean-François Gravier, son engagement idéologique dans la mouvance maurassienne. Un jeune universitaire, Antonin Guyader, rappelle que le géographe, qui signe alors "François Gravier", a été membre des étudiants royalistes d'Action française, puis a continué à graviter dans les milieux de la droite monarchiste, avant de travailler pour Vichy (La revue Idées 1941-1944. Des non-conformistes en Révolution nationale, L'Harmattan 2006). Plus tard, Gravier aurait été sensible aux idées du personnalisme chrétien. Dans quelle mesure l'idéologie de jeunesse de Gravier a-t-elle pesé sur ses analyses ? Depuis la fin des années 1990, quelques auteurs dénoncent une inspiration pétainiste du Désert...

              Dans l'édition de 1947, Gravier montre une méfiance évidente envers les très grandes structures, qu'il s'agisse de la ville ou de l'entreprise, stigmatise "les tentacules" de Paris et des plus grandes villes. Mais il cite aussi en exemple Milan ou la structure urbaine multipolaire de l'Allemagne, veut faire de Poitiers et Aix-en-Provence un Oxford et un Cambridge français, défend le rayonnement de la capitale et soutient que l'aura intellectuelle, culturelle, du Paris de la fin du XIXe siècle ne souffrait pas d'une population moins importante. Le mouvement de repeuplement des campagnes, que souhaitait organiser Gravier, a d'ailleurs commencé aujourd'hui, à partir des bases mêmes qu'il évoquait : besoin d'espace, de nature, fuite de la saturation urbaine. Tandis que le poids démographique de l'Ile-de-France semble stabilisé, voire en légère baisse.

               Au demeurant, ce poids toujours décisif malgré l'attraction des nouvelles métropoles régionales, l'asphyxie qui gagne la région parisienne, les problèmes inextricables de logement, de transport, de pollution, amène à se poser une question essentielle : si la prise de conscience accélérée par l'ouvrage de Jean-François Gravier n'avait pas eu lieu, quel serait le visage de la France d'aujourd'hui ?

  • Douce France républicaine...ou chronique de l'insécurité ordinaire (8): ”Ferme ta gueule et conduis !”...

              Pour celles et ceux qui penseraient -peut être....- que nous parlons trop souvent des problèmes d'insécurité; ou que nous exagérons quand nous critiquons la politique que mène la république, quand nous disons qu'elle conduit à la banalisation et à l'institutionnalisation de la violence et de la délinquance ordinaire (la pire, donc...); voici -sans autres commentaires- l'article de Luc Bronner dans Le Monde du 4 juin, sous le titre: "Enquête: Dans les bus, c'est le tarif coup de poing".....

              Du mépris. Des insultes. Des crachats. Et parfois des agressions physiques. Les chauffeurs des bus, qui roulent dans les quartiers sensibles de l'Essonne, n'en peuvent plus de la violence ordinaire dans les transports en commun. "Quand on "ose" demander les tickets, on nous dit : "Ferme ta gueule et conduis !" s'émeut Jean Lucas, 52 ans, dont trente à conduire des bus dans l'Essonne, également délégué syndical au sein de la société de transport par autocars (STA), une filiale de Keolis qui couvre Corbeil-Essonnes et Mennecy.

              Au dépôt des bus de la STA, autour de la machine à café, les conducteurs ne parlent que des tensions quotidiennes dans leurs tournées. "Il va bien, Miguel ?", s'inquiète un chauffeur. "Il a eu cinq jours d'ITT (incapacité totale de travail), mais ça va", répond son voisin devant l'affichette expliquant que le chauffeur remercie ses collègues pour le soutien reçu après son agression. "J'ai été très sensible à toutes vos marques de sympathie", a fait écrire le conducteur blessé. Une histoire des plus banale :

              vendredi 23 mai, le chauffeur a demandé à un client de valider son ticket. "Ça ne lui a pas plu. Il l'a insulté pendant tout le trajet. Et lorsqu'il est arrivé à la gare, il l'a frappé", raconte Jean Lucas.

              Les quelque 80 chauffeurs de la société ont alors décidé de se mettre en grève et de réclamer la gratuité des transports. "Si nous n'avons plus à gérer le contrôle des titres de transport, 90 % des problèmes seront résolus", affirme Daniel Bastos, 29 ans, neuf ans d'expérience, délégué syndical de la CGT. "La gratuité, c'est aussi une façon de sortir de l'hypocrisie dans laquelle on est aujourd'hui : les gens honnêtes paient pour les autres", note Jean Lucas.

              Dans les faits, une partie des chauffeurs - plus des trois quarts, selon les syndicalistes - ont en effet cessé depuis longtemps de contrôler les titres de transport. En particulier sur les lignes qui traversent les quartiers sensibles. Dans la salle de repos des chauffeurs, Daniel Bastos montre des piles de "fiches de fin de service", les tickets qui résument l'activité de chaque bus, notamment les ventes de tickets à l'unité et les validations des cartes d'abonnement (Navigo, Cartes orange, cartes scolaires, etc.) : "Pour celui-là, il y a zéro euro de recette pour trois heures de fonctionnement. Ici, c'est 1,5 euro." Il fouille et trouve une recette plus importante : "25 euros, mais c'est un dimanche, avec les vieux qui vont au marché et qui continuent de payer."

              Comme les autres conducteurs, il a bénéficié d'une formation professionnelle de deux journées pour savoir comment réclamer les tickets. "On nous a appris à parler aux clients, à sourire, à formuler les phrases", ironise-t-il. Un voeu pieux dans le climat parfois tendu des cités : sa dernière fiche personnelle indique quatre heures de service dans les rues de Corbeil avec aucun ticket vendu et seulement 19 validations. Le tout pour un bus plein en heure de pointe. "Je ne demande plus aux clients de valider. Même ceux qui sont en règle ne le font plus."

              Une façon de gérer le risque partagée par Ahmed Hedjane, 32 ans, 1 500 euros par mois "avec les heures supplémentaires". Ce chauffeur refuse d'être insulté ou bousculé pour récupérer le prix d'un ticket ou vérifier les abonnements. Il laisse donc faire. "Sinon on s'embrouille toutes les cinq minutes."Son collègue, Eric Emidof, 35 ans, neuf ans d'expérience, met en avant le principe de précaution. "Certains jeunes n'attendent que ça. Ils veulent créer des problèmes". Lui a déjà été caillassé et insulté. "Trois jeunes s'amusaient à appuyer sur les boutons d'arrêt. Je leur ai dit d'arrêter. Ils m'ont traité d'"enculé" et m'ont dit "nique ta race.""

              Pour ces travailleurs de l'ombre, la question des moyens humains est décisive. Sur les lignes de la STA, où circulent plusieurs dizaines de bus, un seul contrôleur assermenté, aidé par une poignée d'agents de médiation, doit surveiller le réseau. Hervé Reviret, 35 ans, qui a travaillé six ans aux Ulis et exerce depuis huit ans à Corbeil-Essonnes, tente ainsi de sillonner les lignes où la fraude est la plus fréquente.

              Mais en l'absence d'équipes de soutien, comme celles dont dispose la RATP, il n'insiste pas : "Quand il y a un conflit, j'essaie de discuter. Mais pour 1,5 euro, c'est pas la peine de prendre des risques. Les patrons nous disent de faire ce qu'on peut." Lui aussi a déjà été insulté, "des petits Blacks et des Maghrébins qui m'ont traité de "sale Noir"".

             Les conducteurs expriment le sentiment d'être abandonnés. André Mariel, 57 ans, a été agressé en 2007. La première fois en vingt années de carrière. Des faits graves - "Un coup de manchette dans la gorge" - qui l'incitent à changer d'attitude : "Je n'ai pas peur. Mais, la prochaine fois, je me défendrai. On peut pas laisser passer sans réagir." Un collègue acquiesce : le risque existe de voir des chauffeurs être tentés de se défendre par leurs propres moyens. "On sait que les policiers sont eux-mêmes débordés. Comment ils pourraient venir nous aider quand il n'y a qu'une seule patrouille disponible pour toute une ville ?" interroge Daniel Bastos.

              L'entreprise et les pouvoirs publics ont rejeté la revendication syndicale. Pour des motifs budgétaires, de principe, mais aussi d'efficacité. "La gratuité remettrait en question le système de financement des transports en Ile-de-France. Cela poserait un problème d'égalité des citoyens devant la loi", relève Jean-François Bayle, adjoint au maire (UMP) de Corbeil-Essonnes. Lui défend l'augmentation du nombre d'agents de médiation et l'installation systématique de caméras embarquées.

              "La gratuité n'est pas une solution, ajoute Carlos Gutierrez, responsable du site STA. Lorsque cela a été expérimenté, on a constaté une augmentation des dégradations." La société relativise l'importance des incidents et insiste plutôt sur les opérations de communication lancées pour inciter les passagers à valider leurs titres de transport. "On s'efforce d'éduquer les clients", ajoute M. Gutierrez.

              Pour l'entreprise, les conséquences de l'absence actuelle de contrôles restent limitées. Car l'essentiel du financement provient des sommes versées par les pouvoirs publics pour les abonnements. Des subventions calculées en fonction de "comptages" réalisés tous les deux ans pour mesurer le nombre de passagers. Dans ces périodes, selon les témoignages des conducteurs, la société mobilise alors un maximum de personnel afin de réduire la fraude. Le reste du temps, "ne paient que ceux qui le veulent bien", conclut Eric Emidof.

  • Quand Ivan Rioufol parle de l'âme de la France...

              Courageux, intelligent, lucide: quels adjectifs employer pour qualifier le bon sens et la hauteur de vues dont fait preuve Ivan Rioufol dans son excellent bloc-notes du 25 Janvier: "Oser repenser l'immigration"?  Il va à l'essentiel, tout simplement, en parlant de "l'âme d'un peuple". On ne peut que le féliciter d'avoir (re)plaçé le débat à son vrai niveau.....

              Lucide, Jacques Attali ? Oui, quand il décrit la France immobile, devenue une "société de connivence et de privilèges". Président de la commission pour la libération de la croissance, son rapport, rendu mercredi, décrit bien le mal économique français. Cette remarque : "l'enrichissement n'est pas un scandale, seule l'est la pauvreté". La fougue libérale est même réjouissante, venant de celui qui, en 1982, défendit les nationalisations. Mais l'insistance à vouloir relancer l'immigration affaiblit la crédibilité du diagnostic.

              Soutenir l'«urgence à accueillir des étrangers, pour combler (des) lacunes démographiques et développer des innovations» revient à vouloir ignorer une inquiétude des gens face aux repliements identitaires nés d'une immigration sacralisée. Si la gauche universaliste se flatte d'être insensible à la préservation des civilisations, voir ce même relativisme défendu par un repenti des «110 propositions» socialistes fait douter de sa conversion. Faut-il rappeler qu'un peuple n'est pas interchangeable ?

              En fait, ce sont tous les experts de la commission qui ont oublié cette évidence, en accordant la priorité au paiement des retraites et à la croissance. Alors que la question posée, y compris par le chef de l'État, est la consolidation d'une culture partagée permettant de vivre ensemble, l'attrait matérialiste pour la table rase, partagé par une gauche «antiraciste» et un capitalisme hautain, risque de frustrer les Français en quête de destin.

              L'indifférence pour ce qui constitue l'âme d'un peuple se retrouve d'ailleurs dans d'autres propositions. La commission suggère ainsi que chaque élève sorte de sixième en maîtrisant le français, la lecture et l'écriture, mais aussi l'anglais, l'économie, l'informatique. Or, elle omet l'histoire et la mémoire commune. Le choix de supprimer les départements, porteurs d'une forte proximité, procède de ce désintérêt.

              La vision comptable d'une immigration destinée à équilibrer les comptes sociaux est un non-sens quand elle conduit à fragiliser la solidarité nationale. Qui peut assurer que les immigrés de demain accepteront de payer les retraites de leurs hôtes ? La France court à son éclatement en mettant son identité à l'encan, au prétexte que 50 000 nouvelles entrées par an apporteraient 0,1 % de croissance. Il faut oser penser une autre immigration : celle qui, pour l'essentiel, ne ferait que passer.

                                                                                             Faiblesse du diagnostic

              La jubilation avec laquelle certains médias ont accueilli la proposition de relancer "l'immigration, inévitable, indispensable" (Le Monde) s'accommode du flou entretenu sur le sujet. Non seulement l'échec de l'intégration des populations extra-européennes est relativisé par une bien-pensance qui n'y voit qu'un effet du chômage, mais les chiffres se prêtent à des contestations qui conduisent à sous-estimer le solde migratoire. Alors que le pays accueille officiellement 200 000 personnes chaque année (clandestins et demandeurs d'asile non compris), le discours convenu qui a trouvé écho auprès d'Attali assure que la France n'est pas un pays d'immigration massive. Comment élaborer une politique dans cette opacité acceptée ?

              La faiblesse du diagnostic sur cette question, qui entache la cohérence que revendique la commission pour l'ensemble de ses 316 propositions, se retrouve dans l'élaboration du plan Espoir banlieues, présenté mardi par Fadela Amara. La cacophonie montre le désarroi des politiques devant une réalité mal assumée : le ministre de la Ville a son idée, qui n'est pas celle de sa secrétaire d'État, tandis que le ministre de l'Intérieur en a une autre qui ne semble pas convenir au président de la République, qui présentera lui-même son plan le 8 février…

              Ce qui reste indicible est pourtant vérifiable : il existe désormais des Français qui se vivent comme étrangers à la nation. Deux France apparaissent, en dépit des dénégations des "sociologues". Le 11 janvier, à Bruxelles, des institutions musulmanes européennes dont l'UOIF pour la France ont signé une charte qui stipule, concernant les pays d'accueil : "Lorsque les lois en vigueur s'opposent éventuellement aux pratiques et règles islamiques, les musulmans sont en droit (le projet initial disait : "sont tenus") de s'adresser aux autorités pour expliquer leurs points de vue et exprimer leurs besoins et ce dans le but de trouver les solutions les plus adaptées." Un encouragement à contester les lois.

              Il faut répondre à cette fracture occultée et à ce risque de subversion. Même le mouvement d'émancipation Ni putes ni soumises, créé par Fadela Amara, cède la place dans les cités à un "féminisme voilé", tandis que le nombre de quartiers "sensibles" (751) ne cesse de croître. Les solutions ne se résument pas à des rénovations urbaines ou à de nouvelles lignes de bus. L'État doit reprendre pied dans ces territoires autonomes, qu'une constante immigration éloigne toujours davantage. Où voit-on que celle-ci pourrait être le "puissant facteur de croissance" vanté avec tant d'autosatisfaction par Attali ?

                                                                                                      Parti pris

              La France ne peut vivre recroquevillée, et la commission a raison de soutenir que les Européens y ont leur place. Mais pourquoi "supplier" (Attali, hier) les étrangers de venir occuper les 500 000 emplois vacants, alors que le pays compte plus de deux millions de chômeurs, surtout dans les cités ? Laisser croire que ceux-ci seraient inaptes aux métiers du bâtiment, du commerce, de la restauration, de la santé, de l'agriculture témoigne d'un mépris qui s'ajoute au sentiment d'abandon de la jeunesse. "Il faudra se lever le matin, la vie ce n'est pas glander", a expliqué mardi Nicolas Sarkozy, à Sartrouville (Yvelines). Cette politique paraît autrement plus convaincante.

  • L'idéologie immigrationniste a encore frappé...

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              Il fallait s'y attendre: la mise en place de réseaux d'exploitations en tous genres se poursuit....

              Voici ce que l'on pouvait lire, le vendredi 11 Avril, sur le site de LCI (texte rédigé par Amélie Gautier): 

              Témoignage - Salima Sy, jeune Sénégalaise a passé cinq ans enfermée dans un appartement, à s'occuper d'enfants, à tenir une maison, sans contrepartie (1)......

              Esclave ? Elle n'aime pas ce terme. Le mot la choque. Elle lui associe "colonie", "commerce", "traite des nègres". Non, elle lui préfère le qualificatif de "bonne à tout faire". Et d'emblée rajoute "une bonne à tout faire bien soumise", d'un sourire presque gêné. Bonne à tout faire, Salima Sy l'a été pendant près de cinq ans. Une bonne à tout faire dont les papiers avaient été confisqués, une bonne à tout faire travaillant tous les jours sans être payée, une bonne à tout faire séquestrée, loin de chez elle. En d'autres mots, elle a été une esclave des temps modernes en banlieue parisienne.

              L'histoire de Salima Sy débute en 1996 à plus de 4.000 kilomètres de là, à Dakar, la capitale du Sénégal d'où elle est originaire. Elle a 17 ans. C'est une bonne élève, ses parents l'envoient étudier en France pour qu'elle y décroche son bac. Un ami de la famille propose de l'héberger. La France : "ce pays qui faire rêver le monde entier, celui où on peut trouver facilement du travail", se souvient Salima, aujourd'hui âgée de 29 ans. J'étais impressionnée, heureuse, excitée".

              Du coup de main au quotidien.

              A son arrivée à l'aéroport de Roissy, la jeune fille déchante déjà un peu. Tout est gris, tout est froid. Mais dans sa tête, il y a cette phrase "N'oublie jamais la chance que tu as". Alors, pleine d'illusions et de confiance, Salima se ressaisit. C'est l'arrivée chez l'amie de ses parents. Elle s'appelle Aïda et très vite Salima tombe sous le charme de cette femme "belle, élégante, travailleuse, indépendante, intelligente". En échange de cet hébergement, la jeune fille devra s'occuper de ses deux enfants, de temps en temps.

              Aller les chercher à l'école, préparer à manger, faire le ménage... Du coup de main au quotidien, Salima se retrouve pris dans un engrenage. Subrepticement, les choses se compliquent ; le piège se referme. Aïda lui prend son passeport. "C'est plus sûr", explique-t-elle d'un sourire à Salima pleine de confiance. Et puis, Aïda devient moins polie, plus irascible. Le lycée ? "Il n'y a pas de place pour le moment", "je te propose des cours par correspondance", etc. "Et moi, je lui trouvais des excuses", se rappelle Salima. Perdue dans un pays étranger, la jeune femme ne voit rien ou refuse de voir. Dans sa tête, il y a toujours cette phrase "N'oublie jamais la chance que tu as".

              Les mois passent. Puis les années. La prise de conscience est lente. Salima culpabilise, craint de décevoir sa famille. D'ailleurs que dire, à qui ? Ici, en France, la jeune femme ne connaît personne. Elle n'a pas d'argent, plus de papiers et Aïda lui répète assez souvent que les clandestins ne sont pas aimés en France. C'est l'impasse près de cinq ans durant, jusqu'à une bonne rencontre. Enfin, on l'écoute, on la croit et Salima décide de se battre, de dire non et refuser cet état d'esclave moderne.

    (1): "Personne ne voulait me croire"de Salima Sy. Les éditions du Toucan. 16 euros.

              Notre commentaire: Il fallait s'y attendre, disions-nous en commençant. En effet, voici une énième illustration de ce que nous ne cessons de constater et de dénoncer: la mise en place de réseaux d'exploitations en tous genres, dont l'actualité ne cesse de fournir des exemples, tous plus pénibles les uns que les autres. Mais qui ont cette particularité de se rattacher tous au même essentiel, de conduire et de ramener tous à la même source: l'idéologie funeste du parti immigrationniste. Celle qui -alors que la vraie solution est de les aider sur place, chez eux...- consiste à mentir aux pauvres du monde entier, en leur laissant croire qu'ils trouveront ici ce qu'ils n'y trouveront évidemment pas. Le résultat est souvent effroyable pour des milliers de ces pauvres, et le mirage se brise très vite, finissant ici dans les taudis, là dans la prostitution, là dans l'esclavage... ou la prison, ou l'exploitation économique.....

               C'est lassant, mais que faire d'autre ? On ne peut que répéter les évidences déjà redites mille fois, et remonter à l'une des principales source du mal, en dénonçant à nouveau, comme à chaque fois, les dérives funestes d'une idéologie funeste.....

               Au Parti Immigrationniste on peut diviser les gens en deux: il y a les "idiots utiles" et ceux qui les manipulent, en sachant très bien ce qu'ils font. Ce sont les premiers qui ne comprennent rien à ce qui se passe, et à quoi ils prêtent la main sans comprendre les enjeux lointains. Par contre les trotskistes qui tirent les ficelles en coulisse, eux, savent très bien ce qu'ils font et pourquoi ils le font.

               Ils s'en fichent des immigrés, en tant qu'êtres humains, en tant que personnes. Les immigrés ne les intéressent que dans la mesure ou -eux aussi manipulés et sans comprendre les enjeux de la bataille dans laquelle ils sont embringués- ils sont "la" solution trouvée pour faire disparaître la France historique et traditionnelle. Les trotskistes veulent en effet casser la France pour édifier à sa place leur utopie. Ils n'y arrivent pas, et ça ne marche pas depuis 1789 ? Ce n'est pas grave ! Ils vont continuer de plus belle et -avec l'immigration et son corollaire, l'antiracisme, trouvaille géniale...- ils pensent qu'ils arriveront enfin à changer ce maudit peuple qui décidément leur résiste encore et toujours. On ne sait pas trop comment d'ailleurs (et cela tient du miracle...) avec ce bombardement médiatique, cette intox et ce bourrage de crâne quotidien auquel il est soumis.... 

              Et pour arriver à leurs fins, les trotskistes ne s'embarrassent pas de morale. A-t-on vu Robespierre ou la Convention avoir des scrupules ? Cela ne les gêne pas de mentir, ce n'est pas du tout leur problème. Ils s'en fichent bien pas mal de faire miroiter des mensonges, de faire croire à des braves types d'Afrique, dont le seul défaut est d'être pauvre ou misérable, qu'ils seront heureux ici et qu'ils y trouveront tout ce dont ils rêvent, alors qu'ils savent pertinemment qu'il n'en est et qu'il n'en sera rien. Et qu'ils ou elles seront en réalité, pour une très grande part, exploités ou esclaves, ou prostitués, ou squatters dans un taudis sordide et miteux, ou brûlés vifs dans un hôtel insalubre ou ils s'entasseront à cent vingt ou cent cinquante alors que, même neuf, il n'était prévu normalement que pour trente ou quarante....

              Le parti Immigrationniste et ses relais (artistes, comédiens, RESF etc....) est un parti pourvoyeur de "chair à profits" pour des employeurs qui ne pensent qu'à se remplir les poches en sous-payant des esclaves, traités comme du bétail.... Le parti Immigrationniste est un parti "dégueulasse", comme dirait une ministre....... 

  • Le regard vide, extrait n° 19.

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    Il faut être reconnaissants à Jean-François MATTEI, avons-nous dit, d’avoir écrit « Le regard vide - Essai sur l'épuisement de la culture européenne ». Et, en effet, il faut lire et relire ce livre, le méditer, en faire un objet de réflexion et de discussions entre nous. Il dit, un grand nombre de choses tout à fait essentielles sur la crise qui affecte notre civilisation – et, bien-sûr, pas seulement la France – dans ce qu’elle a de plus profond.  

     Ce livre nous paraît tout à fait essentiel, car il serait illusoire et vain de tenter une quelconque restauration du Politique, en France, si la Civilisation qui est la nôtre était condamnée à s’éteindre et si ce que Jean-François MATTEI a justement nommé la barbarie du monde moderne devait l’emporter pour longtemps.

     C’est pourquoi nous publierons, ici, régulièrement, à compter d’aujourd’hui, et pendant un certain temps, différents extraits significatifs de cet ouvrage, dont, on l’aura compris, fût-ce pour le discuter, nous recommandons vivement la lecture.

    -extrait n° 19 : pages 180/181/182/183/184.

                …..La démocratie est une statue de sable qui s’écoule au fil du temps avec pour seule vertu celle du sablier. On sait que les cellules d’un organisme savent reconnaître ce qui lui est propre et ce qui lui est étranger, sous la forme d’agents infectieux, grâce à leur propriété biologique de tolérance immunitaire ; cependant, dans certaines maladies, nos lymphocytes attaquent nos propres tissus et, ne reconnaissant plus ce qui appartient à l’organisme et ce qui ne lui appartient pas, produisent des anti-corps contre nous-mêmes. L’auto-immunité est ainsi la capacité destructrice d’un être vivant de supprimer ses défenses immunitaires, comme si elles étaient un facteur étranger, au point de se détruire du fait de cette altérité. Derrida nomme cette hantise de soi, qui consiste à s’affaiblir et à se suicider, « l’auto-infection de toute auto-affection » (1). La démocratie sera donc toujours différée dans un processus mortifère qui lui interdit d’accéder à une souveraineté propre. Elle restera condamnée, comme dans la peinture qu’en donnait Platon, à traîner dans les rues et à bousculer les passants, tout à son ivresse de saper les lois de la cité et à traiter également l’étranger et le citoyen, ou, mieux encore, à brutaliser le citoyen pour accueillir l’étranger. Rousseau avait déjà récusé sèchement cette bonne conscience cosmopolite : « Tel philosophe aime les Tartares pour être dispensé d’aimer ses voisins » (2). C’est là une conduite de mauvais citoyen, voire de « voyou », et Derrida n’hésite pas à s’en réclamer dans l’ouvrage qui porte ce titre : « Le demos n’est donc jamais loin quand on parle du voyou. Ni la démocratie très loin de la voyoucratie ». Voilà bien, avec la déconstruction reconnue du platonisme, la déconstruction revendiquée de la politique vouée à un suicide programmé dans le renoncement auto-immunitaire au propre de l’Europe.

                Les États européens ont mis en pratique ce choix mortel. Ils ont échoué à établir une unité politique qui ne se limiterait pas à un espace économique de libre-échange dont les principes culturels seraient exclus. En ce domaine, le projet de l’Europe est aussi vide, chez la plupart des gouvernants et chez beaucoup de créateurs, que le regard qu’une majorité d’Européens portent sur leur héritage commun. Il leur est effectivement devenu étranger. Le refus d’inscrire le patrimoine du christianisme dans le préambule de la Constitution européenne en témoigne au premier chef sous le prétexte que l’Europe ne serait pas  un « club chrétien ». L’absurdité de l’argument saute aux yeux. D’une part l’Union européenne, comme le note justement Pierre Manent, a bien été à l’origine un club, fondé en 1951 par des personnalités qui se réclamaient du christianisme, Robert Schumann en premier lieu, et qui ne réduisaient pas l’identité européenne à la seule Haute Autorité du Charbon. Et les pays fondateurs de l’Union se sont bien cooptés à la manière d’un club en demandant aux nouveaux arrivants de souscrire à leurs propres principes. D’autre part, le christianisme n’a jamais été un club dans la mesure où il s’est affirmé comme la religion universelle qui reçoit ses fidèles dans la communion. Dès lors, conclut Pierre Manent, quand on avance que l’Europe n’est pas un club chrétien, pour éviter de dire, contre l’évidence historique, qu’elle n’est pas chrétienne, « la seule chose qui empêche de dire que l’Europe n’est pas chrétienne, c’est qu’elle l’est en effet » (4). Il en va de même de l’héritage grec avec le rejet parallèle, dans le projet avorté de Constitution, de l’éloge de la démocratie athénienne par Périclès sous le prétexte que la Grèce avait été une nation esclavagiste. Tout concourt donc en politique et en économie à cet ébranlement de nos fondations culturelles. Que les  billets de banque européens, réduits au petit cap sémantique d’ « euro », ne présentent aucune œuvre d’art réelle de l’Europe, mais des portails, des fenêtres ou des ponts virtuels qui ne rappellent rien à personne, d’autant que les visages humains, ceux de Pascal, de Richelieu ou de Delacroix, mais aussi bien ceux de Léonard, de Keats ou de Wagner, ont été supprimés pour ne chagriner aucune nation, font chaque jour la preuve des ravages de l’auto-immunité décrite par Derrida.

                Karel Kosic se demandait dans Un troisième Munich ? si, après l’effondrement du nazisme et la décomposition du communisme, l’Europe n’était pas menacée par un mal moins visible, mais sans doute plus insidieux. « Le mal de Munich », aux métastases aujourd’hui mondiales, n’est autre que l’affaiblissement de nos démocraties poussées jusqu’à l’extinction de ses propres ressources. Retrouvant le diagnostic implacable de Nietzsche un siècle plus tôt, Kosic fustigeait nos renoncements devant la montée du nihilisme qui est en même temps, selon la formule de Castoriadis, la montée de l’insignifiance. « C’est par rien que nous sommes menacés tous, l’Europe et nous-mêmes ! Ce « rien » représente la plus grave menace pour le siècle à venir » (6). En dépit de son athéisme, l’auteur marxiste exigeait la reconnaissance du patrimoine chrétien des cathédrales et de la musique sacrée, celle de l’héritage grec des temples et des statues, et celle de la tradition critique des Lumières avec Diderot ou Kant. Dans l’accroissement de l’accessoire au détriment de l’inessentiel, du passager au détriment de l’éternel, de l’évènement au détriment de l’histoire, Kosic voyait le signe de la décadence irrésistible de la culture européenne. Après avoir échappé aux totalitarismes, la démocratie pourrait-elle s’élever de son propre effort vers le sublime au lieu de se complaire dans le mauvais goût et dans ce qu’il appelait l’absence de style ? Alors que la culture européenne avait fait depuis l’origine le choix d’une forme architectonique qui ordonnait l’articulation historique des espaces de la création et des domaines de la pensée, « l’époque moderne reposera sur la négation de l’architectonique » ; la pratique généralisée de la déconstruction derridienne en est l’exemple le plus frappant. Le processus qui résulte de l’abandon accepté des formes culturelles de l’Europe, dans la forme de l’idéalité, devient alors un ravage généralisé au monde entier. « Cette dévastation débilitante sème le vide, un vide rampant qui envahit les hommes. L’âme humaine souffre d’un trop-plein de vide » (7). Nul ne s’étonnera alors de ce regard avide que l’Europe porte chaque jour sur le vide qui l’habite.

    (1)     : J. Derrida, Voyous, page 154.

    (2)     : J.J. Rousseau, Émile ou de l’éducation, livre I, page 249.

    (3)     : J. Derrida, Voyous, page 97.

    (4)     : P. Manent, La Raison des nations, pages 94/95.

    (5)     : Thucydide, La Guerre du Péloponnèse, II, 35-46, pages 810/818.

    (6)     : K. Kosic , « Un troisième Munich ? », La Crise des temps modernes, page 117, souligné par l’auteur.

    (7)     : K. Kosic , "Un troisième Munich ?" ? La Crise des temps modernes, page 114.

     

     

     

    Le regard vide - Essai sur l'épuisement de la culture européenne,de Jean-François Mattéi. Flammarion, 302 pages, 19 euros. 

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  • Comment peut-on être français ?, par Jean-François Mattéi

                Hier, mardi 8 décembre, Jean-François Mattéi partage la page 16 du Figaro avec Ségolène Royal. Elle est en haut, et parle des "nouveaux rapports Sud-Nord"; il est en bas, et -sous le titre Comment peut-on être français ?- revient sur un thème qui lui est cher: celui de l'identité nationale.

                Tous les lundis, depuis presque trois mois maintenant, Jean-François Mattéi nous éclaire et nous accompagne dans notre propre réfexion, avec des extraits de son ouvrage Le regard vide, Essai sur l'épuisement de la culture européenne. Ce cheminement avec lui, et à partir de ces extraits choisis, s'arrêtera dans deux lundis.

                En attendant, profitons de cette intervention dans Le Figaro  pour passer encore un moment supplémentaire avec lui, en restant ainsi au coeur de cette question centrale et essentielle.

                "Comment peut-on être français, vous demandez-vous ? En évitant d'être le seul peuple qui, pour exalter l'identité des autres, croit nécessaire de répudier la sienne".

                Voici le texte intégral de l'article:

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                Qui se souvient de cette série de dessins de Jacques Faizant en 1975 ? Huit personnages identiques, affublés de leurs vêtements nationaux, levaient fièrement le poing en criant: "Vive le Viet-Nam !", "Vive le Portugal !", "Vive Cuba !", "Vive l'URSS !", "Vive la Chine !", "Vive la RDA !", "Vive la Palestine !" et "Vive l'Albanie !". La légende de chaque illustration sonnait comme un leitmotiv : "Valeureux patriote !". Une dernière case montrait un français moustachu levant son béret, et disant avec un sourire: "Vive la France !". La légende sonnait cette fois comme un glas: "Vieux con cocardier, chauvin, xénophobe et présumé facho !".

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    Le dessin de Faizant dont parle J.F Mattéi

                Trente-quatre ans plus tard, rien n'a changé: le glas de l'identité sonne toujours pour nous seuls. Aux yeux du politiquement correct, il est interdit de réfléchir sur l "'identité nationale" comme si l'alliance de ces mots était blessante pour les autres peuples. On sait depuis longtemps, certes, que la notion d'identité est délicate à appliquer aux sociétés. Dans l'ordre anthropologique, comme le disait Lévi-Strauss dans un cours du Collège de France, l'utilisation de l'identité commence par "une critique de cette notion", car la question "qui suis-je ?" est aussi indécise que la question "que sais-je ?". Il reste pourtant que Lévi-Strauss reconnaissait que l'identité est "une sorte de foyer virtuel auquel il nous est  indispensable de nous référer". Ce foyer ne se referme pas sur une identité crispée, il s'ouvre sur une identité sereine lorsque la distinction de notre identité avec celle des autres assure leur reconnaissance mutuelle.

     

                En d'autres termes, c'étaient déjà ceux de Montesquieu, à la question "comment peut-on être français ?", la réponse en miroir est nécessairement "comment peut-on être persan ?". La mosaïque française s'est formée de diverses formes et de diverses couleurs dont chacune assure l'unité d'un dessin identique. Ce qu'ignorent les contempteurs de l'identité française, c'est que toute société est contrainte d'affirmer son être par opposition à celui d'autrui. C'est moins un processus d'exclusion de l'autre qu'un processus d'inclusion de soi, lequel a besoin de l'altérité de l'autre pour assumer son identité.

                Rousseau n'hésitait pas à donner ce conseil aux lecteurs d' Émile: "Défiez-vous de ces cosmopolites qui vont chercher au loin dans leurs livres des devoirs qu'ils dédaignent de remplir autour d'eux. Tel philosophe aime les tartares pour être dispensé d'aimer ses voisins." fausse reconnaissance de l'autre entraîne en effet cette mauvaise haine de soi en laquelle Castoriadis voyait "la forme la plus obscure, la plus sombre, et la plus refoulée de la haine". Elle n'exalte l'identité d'autrui que pour mieux nier la sienne au détriment de leur reconnaissance réciproque.

                La polémique à propos de l'entré d'Albert Camus au Panthéon est un nouvel avatar de ce déni d'identité. On brandit aussitôt l'épouvantail d'une récupération.

                 Mais par qui ? Le rédacteur en chef de Combatpartageait-il les thèses du Front National ? L'homme de gauche serait-il devenu, parce qu'il préférait la vie de sa mère à la justice du terrorisme, un homme de droite ? D'où viendrait la récupération ? Des européens d'Algérie qu'il n'a pas reniés quand ils l'ont exclu de leurs rangs ?

                Ce serait alors exclure, en même temps que Camus, une catégorie de français dont on ne reconnaîtrait pas l'identité.

                Le débat sur l'entrée du philosophe dans un temple consacré à tous les dieux, en termes modernes, à l'universel, est révélateur de la méfiance à l'égard de notre identité. Né d'un père d'origine bordelaise et d'une mère d'ascendance espagnole, Camus incarnait, par la générosité de son engagement comme par la fidélité de son enracinement, l'universalité de la culture française. Ce serait une amère ironie de l'histoire que l'auteur de l'Etranger, qui vivait de toutes ses fibres l'étrangeté de l'existence humaine, ne puisse incarner, en reposant au Panthéon, l'identité de la France qui est celle de ses oeuvres.

                Concluons. Deux amis du journal Pilote ont imaginé le personnage d'Astérix, l'une des figures les plus reconnues de l'identité française si l'on en juge par le nombre de lecteurs qui se sont identifiés à elle. Le dessinateur, Alberto Aleandro Uderzo, est le fils d'une famille d'immligrés italiens, et le scénariste, René Goscinny, le fils d'une famille de juifs polonais émigrés en Argentine, aux Etas-Unis puis en France. Dira-t-on que la culture française ne produit pas d'identité à travers les oeuvres que des étrangers ont conçues dans son foyer en assumant son passé gaulois ?

                Comment peut-on être français, vous demandez-vous ? En évitant d'être le seul peuple qui, pour exalter l'identité de autres, croit nécessaire de répudier la sienne.

    Par Jean-François Mattéi, auteur de Albert Camus et la pensée de Midi(Éditions Obadia) et de L'identité de l'Europe, avec Chantal Delsol (PUF, à paraître en 2010).