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Comment peut-on être français ?, par Jean-François Mattéi

            Hier, mardi 8 décembre, Jean-François Mattéi partage la page 16 du Figaro avec Ségolène Royal. Elle est en haut, et parle des "nouveaux rapports Sud-Nord"; il est en bas, et -sous le titre Comment peut-on être français ?- revient sur un thème qui lui est cher: celui de l'identité nationale.

            Tous les lundis, depuis presque trois mois maintenant, Jean-François Mattéi nous éclaire et nous accompagne dans notre propre réfexion, avec des extraits de son ouvrage Le regard vide, Essai sur l'épuisement de la culture européenne. Ce cheminement avec lui, et à partir de ces extraits choisis, s'arrêtera dans deux lundis.

            En attendant, profitons de cette intervention dans Le Figaro  pour passer encore un moment supplémentaire avec lui, en restant ainsi au coeur de cette question centrale et essentielle.

            "Comment peut-on être français, vous demandez-vous ? En évitant d'être le seul peuple qui, pour exalter l'identité des autres, croit nécessaire de répudier la sienne".

            Voici le texte intégral de l'article:

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            Qui se souvient de cette série de dessins de Jacques Faizant en 1975 ? Huit personnages identiques, affublés de leurs vêtements nationaux, levaient fièrement le poing en criant: "Vive le Viet-Nam !", "Vive le Portugal !", "Vive Cuba !", "Vive l'URSS !", "Vive la Chine !", "Vive la RDA !", "Vive la Palestine !" et "Vive l'Albanie !". La légende de chaque illustration sonnait comme un leitmotiv : "Valeureux patriote !". Une dernière case montrait un français moustachu levant son béret, et disant avec un sourire: "Vive la France !". La légende sonnait cette fois comme un glas: "Vieux con cocardier, chauvin, xénophobe et présumé facho !".

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Le dessin de Faizant dont parle J.F Mattéi

            Trente-quatre ans plus tard, rien n'a changé: le glas de l'identité sonne toujours pour nous seuls. Aux yeux du politiquement correct, il est interdit de réfléchir sur l "'identité nationale" comme si l'alliance de ces mots était blessante pour les autres peuples. On sait depuis longtemps, certes, que la notion d'identité est délicate à appliquer aux sociétés. Dans l'ordre anthropologique, comme le disait Lévi-Strauss dans un cours du Collège de France, l'utilisation de l'identité commence par "une critique de cette notion", car la question "qui suis-je ?" est aussi indécise que la question "que sais-je ?". Il reste pourtant que Lévi-Strauss reconnaissait que l'identité est "une sorte de foyer virtuel auquel il nous est  indispensable de nous référer". Ce foyer ne se referme pas sur une identité crispée, il s'ouvre sur une identité sereine lorsque la distinction de notre identité avec celle des autres assure leur reconnaissance mutuelle.

 

            En d'autres termes, c'étaient déjà ceux de Montesquieu, à la question "comment peut-on être français ?", la réponse en miroir est nécessairement "comment peut-on être persan ?". La mosaïque française s'est formée de diverses formes et de diverses couleurs dont chacune assure l'unité d'un dessin identique. Ce qu'ignorent les contempteurs de l'identité française, c'est que toute société est contrainte d'affirmer son être par opposition à celui d'autrui. C'est moins un processus d'exclusion de l'autre qu'un processus d'inclusion de soi, lequel a besoin de l'altérité de l'autre pour assumer son identité.

            Rousseau n'hésitait pas à donner ce conseil aux lecteurs d' Émile: "Défiez-vous de ces cosmopolites qui vont chercher au loin dans leurs livres des devoirs qu'ils dédaignent de remplir autour d'eux. Tel philosophe aime les tartares pour être dispensé d'aimer ses voisins." fausse reconnaissance de l'autre entraîne en effet cette mauvaise haine de soi en laquelle Castoriadis voyait "la forme la plus obscure, la plus sombre, et la plus refoulée de la haine". Elle n'exalte l'identité d'autrui que pour mieux nier la sienne au détriment de leur reconnaissance réciproque.

            La polémique à propos de l'entré d'Albert Camus au Panthéon est un nouvel avatar de ce déni d'identité. On brandit aussitôt l'épouvantail d'une récupération.

             Mais par qui ? Le rédacteur en chef de Combatpartageait-il les thèses du Front National ? L'homme de gauche serait-il devenu, parce qu'il préférait la vie de sa mère à la justice du terrorisme, un homme de droite ? D'où viendrait la récupération ? Des européens d'Algérie qu'il n'a pas reniés quand ils l'ont exclu de leurs rangs ?

            Ce serait alors exclure, en même temps que Camus, une catégorie de français dont on ne reconnaîtrait pas l'identité.

            Le débat sur l'entrée du philosophe dans un temple consacré à tous les dieux, en termes modernes, à l'universel, est révélateur de la méfiance à l'égard de notre identité. Né d'un père d'origine bordelaise et d'une mère d'ascendance espagnole, Camus incarnait, par la générosité de son engagement comme par la fidélité de son enracinement, l'universalité de la culture française. Ce serait une amère ironie de l'histoire que l'auteur de l'Etranger, qui vivait de toutes ses fibres l'étrangeté de l'existence humaine, ne puisse incarner, en reposant au Panthéon, l'identité de la France qui est celle de ses oeuvres.

            Concluons. Deux amis du journal Pilote ont imaginé le personnage d'Astérix, l'une des figures les plus reconnues de l'identité française si l'on en juge par le nombre de lecteurs qui se sont identifiés à elle. Le dessinateur, Alberto Aleandro Uderzo, est le fils d'une famille d'immligrés italiens, et le scénariste, René Goscinny, le fils d'une famille de juifs polonais émigrés en Argentine, aux Etas-Unis puis en France. Dira-t-on que la culture française ne produit pas d'identité à travers les oeuvres que des étrangers ont conçues dans son foyer en assumant son passé gaulois ?

            Comment peut-on être français, vous demandez-vous ? En évitant d'être le seul peuple qui, pour exalter l'identité de autres, croit nécessaire de répudier la sienne.

Par Jean-François Mattéi, auteur de Albert Camus et la pensée de Midi(Éditions Obadia) et de L'identité de l'Europe, avec Chantal Delsol (PUF, à paraître en 2010).

Commentaires

  • L'article de Jean -François Mattei est bien venu et réconfortant, (merci de nous le signaler ) à un détail près. L'entrée de Camus au Panthéon n’est pas dénoncée pour ce qu’elle est : un acte d'impiété envers l'auteur de " La peste », qui doit être empêchée. Qu'il repose donc à la douce piété des siens et même s’il n’est pas chrétien, son agnosticisme n’a jamais revêtu le caractère haineux des thuriféraires de la Révolution française. Que lui aussi ne soit pas arraché scandaleusement comme Alexandre Dumas à son repos pour cet endroit devenu sacrilège, "glacière nationale," du culte de l'homme pour l'homme. Le Panthéon n'est pas voué à l'universel mais au culte épouvantable de l'homme par l'homme. À l'idolâtrie carnassière bien dénoncée par Jean de Viguerie . Et puis il suffit de relire « les démons « mais qui lit encore en France ? Selon de bonnes sources quand un cercueil entre au Panthéon, on y ôterait les croix de ceux qui ont eu auparavant un enterrement chrétien!
    De Gaulle y a mis Jean Moulin, soit, cela correspond à ses choix idéologiques, (quoique il aurait été mieux dans le voisinage de tombes bénites...) mais les autres arrachés à une terre bénite comme Alexandre Dumas pour ce culte antichrétien..
    Aucune Antigone n'a donné de la voix et s'y est opposé, sauf les compagnons d’Artagnan, à croire que l’encéphalogramme de notre pays est tombé au plus bas. Somme nous tétanisés devant le Moloch ?
    Quand à la querelle de ceux qui s'opposent au transfert à Camus parce qu'il a préféré sa mère, et n'est pas rentré dans leur névrose maniaque, elle est dérisoire, et ces fanatiques se rendent justice à eux-mêmes, et montre si cela était nécessaire, l'inanité de ce culte mortifère qui se dévore lui-même, qui est divisée sur lui même comme le … ….

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