1214 : Victoire de Bouvines
Ce triomphe est, de fait, la première manifestation publique de la réalité de la Nation Française. Et sa célébration serait, sans aucune doute, une bien meilleure date de Fête nationale que le plus qu'ambigu 14 juillet (voir l'Éphéméride du 14 juillet)...
En un peu plus de deux cents ans, en partant de presque rien, les Rois Capétiens ont créé un État fort, qui leur a permis, en retour, de commencer à créer réellement et durablement la France. Quoique très incomplète, elle existe déjà: à l'intérieur, comme conscience nationale librement voulue et vécue; à l'extérieur, comme le premier royaume de l'Occident.
C'est en quelque sorte la valeur de l'oeuvre des capétiens prouvée par l'Histoire...
L'église de Bouvines, dont les vitraux racontent la bataille
À Bouvines, Philippe Auguste affronte l'empereur Otton IV de Brunswick, allié du roi d'Angleterre Jean sans Terre, et les coalisés flamands, emmenés par Ferrand. Contre toute attente, la bataille se déroule un dimanche, jour du Seigneur, car Otton est l'ennemi du pape. Il a été excommunié et déposé par le souverain pontife au profit de son rival, Frédéric II.
Avant la bataille, Philippe Auguste réunit ses hommes :
"Je porte la couronne mais je suis un homme comme vous."
Et encore :
"Tous vous devez être rois et vous l'êtes, par le fait, car sans vous je ne puis gouverner"...
Les deux camps s'affrontent de midi jusqu'au coucher du soleil (ci dessus), et face à la débâcle des ses troupes, Otton préfère fuir plutôt que d'être capturé. Philippe Auguste ramène à paris Ferrand enferré (ci dessous)...
Sur la bataille elle-même :
http://www.nordmag.fr/patrimoine/histoire_regionale/bouvines/bouvines.htm
Et, dans notre Album L'aventure France racontée par les cartes, voir la photo "La France avant et après Philippe Auguste"
Pierre de Meuse a rédigé une excellente étude de la bataille de Bouvines, que nous avons publiée, en trois parties, dans notre catégorie "Idées, Histoire, Culture et Civilisation" : Bouvines (I), Bouvines (II), Bouvines (III).
Il s'agit, en vérité, de bien davantage qu'un récit - quoique tout y soit décrit par le menu - et de bien davantage que d'une évocation. Mais, outre tout cela, d'une étude politique, militaire, historiographique de la bataille de Bouvines...
Cette immense victoire est aussi l'oeuvre d'un de nos plus grands rois : Philippe II, justement appelé Auguste... :
De Jacques Bainville, Histoire de France, Chapitre V, Pendant 340 ans, l'honorable famille capétienne règne de père en fils :
"...Pour conduire cette lutte contre l’État anglo-normand, il se trouva un très grand prince, le plus grand que la tige capétienne eût donné depuis Hugues Capet. Philippe Auguste, devenu roi avant l’âge d’homme, car il était né tard du second mariage de Louis VII, fut d’une étonnante précocité. Chez lui, tout était volonté, calcul, bon sens et modération. En face de ces deux fous furieux, Richard Cœur de Lion et Jean sans Terre, fils d’Éléonore et d’Henri Plantagenêt, Philippe Auguste représente le réalisme, la patience, l’esprit d’opportunité. Qu’il allât à la croisade, c’était parce qu’il était convenable d’y aller. Il rentrait au plus vite dans son royaume qui l’intéressait bien davantage, laissant les autres courir les aventures, profitant, pour avancer ses affaires, de l’absence et de la captivité de Richard Cœur de Lion. Chez Philippe Auguste, il y a déjà des traits de Louis XI. Ce fut, en somme, un règne de savante politique et de bonne administration. C’est pourquoi l’imagination se réfugia dans la légende. La littérature emporta les esprits vers des temps moins vulgaires. Le Moyen Âge lui-même a eu la nostalgie d’un passé qui ne semblait pas prosaïque et qui l’avait été pareillement. Ce fut la belle époque des chansons de geste et des romans de chevalerie. Le siècle de Saladin et de Lusignan, celui qui a vu Baudouin empereur de Constantinople, a paru plat aux contemporains. Ils se sont réfugiés, pour rêver, auprès de Lancelot du Lac et des chevaliers de la Table Ronde. Il faudra quatre cents ans pour qu’à son tour, fuyant son siècle, celui de la Renaissance, le Tasse découvre la poésie des croisades.
Philippe Auguste n’avait qu’une idée : chasser les Plantagenêts du territoire. Il fallait avoir réussi avant que l’empereur allemand, occupé en Italie, eût le loisir de se retourner contre la France. C’était un orage que le Capétien voyait se former. Cependant la lutte contre les Plantagenêts fut longue. Elle n’avançait pas. Elle traînait en sièges, en escarmouches, où le roi de France n’avait pas toujours l’avantage. Henri, celui qu’avait rendu si puissant son mariage avec Éléonore de Guyenne, était mort. Richard Cœur de Lion, après tant d’aventures romanesques, avait été frappé d’une flèche devant le château de Chalus : ni d’un côté ni de l’autre il n’y avait encore de résultat (illustration ci dessus : dispute entre Philippe Auguste et Richard Coeur de lion, ndlr). Vint Jean sans Terre : sa démence, sa cruauté offrirent à Philippe Auguste l’occasion d’un coup hardi. Jean était accusé de plusieurs crimes et surtout d’avoir assassiné son neveu Arthur de Bretagne. Cette royauté anglaise tombait dans la folie furieuse. Philippe Auguste prit la défense du droit et de la justice. Jean était son vassal : la confiscation de ses domaines fut prononcée pour cause d’immoralité et d’indignité (1203). La loi féodale, l’opinion publique étaient pour Philippe Auguste. Il passa rapidement à la saisie des terres confisquées où il ne rencontra qu’une faible résistance. Fait capital : la Normandie cessait d’être anglaise. La France pouvait respirer. Et, tour à tour, le Maine, l’Anjou, la Touraine, le Poitou tombèrent entre les mains du roi. Pas de géant pour l’unité française. Les suites du divorce de Louis VII étaient réparées. Il était temps.
Philippe Auguste s’occupait d’en finir avec les alliés que Jean sans Terre avait trouvés en Flandre lorsque l’empereur Othon s’avisa que la France grandissait beaucoup. Une coalition des rancunes et des avidités se forma : le Plantagenet, l’empereur allemand, les féodaux jaloux de la puissance capétienne, c’était un terrible danger national. Si nous pouvions reconstituer la pensée des Français en l’an 1214, nous trouverions sans doute un état d’esprit assez pareil à celui de nos guerres de libération. L’invasion produisait déjà l’effet électrique qu’on a vu par les volontaires de 1792 et par la mobilisation de 1914. Devant le péril, Philippe Auguste ne manqua pas non plus de mettre les forces morales de son côté. Il avait déjà la plus grande, celle de l’Église, et le pape Innocent III, adversaire de l’Empire germanique, était son meilleur allié européen : le pacte conclu jadis avec la papauté par Pépin et Charlemagne continuait d’être bienfaisant. Philippe Auguste en appela aussi à d’autres sentiments. On forcerait à peine les mots en disant qu’il convoqua ses Français à la lutte contre l’autocratie et contre la réaction féodale, complice de l’étranger. Il y a plus qu’une indication dans les paroles que lui prête la légende au moment où s’engagea la bataille de Bouvines : "Je porte la couronne, mais je suis un homme comme vous." Et encore : "Tous vous devez être rois et vous l’êtes par le fait, car sans vous je ne puis gouverner." Les milices avaient suivi d’enthousiasme et, après la victoire qui délivrait la France, ce fut de l’allégresse à travers le pays. Qui oserait assigner une date à la naissance du sentiment national ?
Ce règne s’acheva dans la prospérité. Philippe Auguste aimait l’ordre, l’économie, la bonne administration. Il se contenta de briser le royaume anglo-normand et d’ajouter au territoire les provinces de l’Ouest, de restituer la Normandie à la France. Il se garda d’aller trop vite et, après Bouvines, d’abuser de la victoire..."