Les débuts de la "conspiration du silence"...
De "Salons et Journaux", pages 209/210 (fin du chapitre V) :
"...Il y avait cependant, en ce temps-là, un homme égal aux premiers parmi les plus grands politiques et penseurs français, ardemment patriote, d'une froide lucidité, d'un jugement inébranlable, entouré d'un très petit nombre de disciples, écrivant dans un journal peu lu et dont le nom, inconnu de la masse, faisait hausser les épaules des salonnards à gilet brodé comme d'Avenel, ou des politiciens même subtils comme Dausset.
Lemaître levant le doigt disait de lui : "C'est le premier et de beaucoup, mais je ne le dirai pas devant Syveton..." Puis, après un silence : "C'est même le seul."
Déroulède disait de lui : "Il faudra que nous ayons ensemble, un jour, un débat très sérieux, très complet..."
Jaurès et Clemenceau disaient de lui, depuis un article célèbre et qui avait retourné une situation compromise : "Il ne faut jamais discuter avec celui-là, ne jamais lui répondre."
Les imbéciles concluaient : "C'est un sophiste."
Cet homme portait, dans son esprit constructeur et hiérarchisant, le moyen d'éviter les pires malheurs et savait le remède aux maux sans nombre.
Cet homme portait, dans sa volonté, de quoi relever tous les autels et tous les courages.
Quand l'idée de son pays le tenait, il se passait de manger et de dormir, et, faute d'action, il écrivait vingt heures de suite, sans débrider des pages immortelles et des conseils de sagesse enflammée.
Il était né en Provence, sous le soleil. Il vivait dans la brume de Paris, insensible à tout ce qui n'était pas la prééminence du nom français, entre ses livres et quelques fidèles.
Il s'appelait Charles Maurras."
Illustration : Maurras (le deuxième à gauche) a vingt ans, à table avec des amis...