1789 ? 1790 ? : Ambigüité majeure de la Fête nationale...
Certes, officiellement, c'est le 14 juillet 1790 - et, donc, la Fête de la Fédération, moment fugitif et illusoire de véritable "union nationale"... - que l'on célèbre. Mais le télescopage des deux dates prête malheureusement, et assez souvent, à confusion.
Le 14 juillet 1789, on promène des têtes au bout des piques. François Furet l'affirme : dès cet épisode, la Terreur est en gestation, "la culture politique qui peut conduire à la Terreur est présente dans la révolution française dès l'été 1789", et la prise de la Bastille inaugure "le spectacle de sang, qui va être inséparable de tous les grands épisodes révolutionnaires".
"C'est ainsi que l'on se venge des traîtres." dit l'horrible légende de cette gravure de 1789 dépeignant des soldats ou des miliciens portant les têtes de Jacques de Flesselles et du marquis de Launay sur des piques.
Que s'est-il vraiment passé, "le 14 juillet" ? Rien de très glorieux, et, pour être parfaitement exact, rien que du franchement sordide, du répugnant à l'état pur : le gouverneur de la forteresse, Launay, se fiant à leur promesse, laisse entrer les assaillants, qui avaient préparé leur coup; il est assassiné, et sa tête promenée au bout d'une pique !... De la prison (!), on extrait les seuls sept prisonniers qui s'y trouvent : quatre faussaires, un libertin et deux fous, qui, dès le lendemain, seront discrètement conduits à Charenton.
Voilà la "gloire de la République" ?
Or, il se trouve que, depuis la Révolution, la Bastille est l'objet d'une falsification historique sans précédent, et d'une ahurissante réécriture des évènements, qui laisse rêveur, et qui est bien l'une des choses les plus stupéfiantes, mais aussi les plus sordides, qui soient.
Revenons-y quelques instants...
N'ayant plus aucune valeur militaire depuis des lustres, totalement sous exploitée en tant que prison d'État, et gênant l'accroissement de la capitale vers l'est, il y avait bien longtemps que les rois avaient résolu sa disparition. Seules les difficultés financières chroniques de la royauté retardaient sa disparition.
La Bastille, telle qu'elle se présentait au XVIIIème siècle (gravure du temps)
En 1789 eut lieu, ici, l'un des événements les plus ignobles d'une Révolution qui n'en manque pourtant pas. Le gouverneur de Launay accepta de rendre - sans combat - la forteresse aux émeutiers, à la condition expresse qu'il ne serait fait aucun mal à personne. Moyennant quoi, une fois les portes ouvertes, la garnison fut massacrée, et les têtes promenées au bout de piques...
Le pseudo mythe d'une prétendue "prise de la Bastille" - prise qui n'a jamais eu lieu puisque la citadelle s'est rendue sans combattre - mêle donc le mensonge le plus énorme à l'ignominie la plus révoltante, dans une réécriture volontairement falsificatrice de la vérité historique, où le burlesque le dispute au tragique et à l'horreur.
• 1. Dans notre Album : Écrivains royalistes (I) : Chateaubriand , celui-ci - témoin oculaire des faits - rappelle cette falsification de l'Histoire :
Mystification et falsification de l'Histoire...
"Le 14 juillet, prise de la Bastille. J'assistai, comme spectateur, à cet assaut contre quelques invalides et un timide gouverneur: si l'on eût tenu les portes fermées, jamais le peuple ne fût entré dans la forteresse. Je vis tirer deux ou trois coups de canon, non par les invalides, mais par des gardes-françaises, déjà montés sur les tours. De Launay, arraché de sa cachette, après avoir subi mille outrages, est assommé sur les marches de l'Hôtel de Ville; le prévôt des marchands, Flesselles, a la tête cassée d'un coup de pistolet; c'est ce spectacle que des béats sans cœur trouvaient si beau. Au milieu de ces meurtres, on se livrait à des orgies, comme dans les troubles de Rome, sous Othon et Vitellius. On promenait dans des fiacres les vainqueurs de la Bastille, ivrognes heureux, déclarés conquérants au cabaret; des prostituées et des sans-culottes commençaient à régner, et leur faisaient escorte. Les passants se découvraient avec le respect de la peur, devant ces héros, dont quelques-uns moururent de fatigue au milieu de leur triomphe. Les clefs de la Bastille se multiplièrent; on en envoya à tous les niais d'importance dans les quatre parties du monde. Que de fois j'ai manqué ma fortune ! Si moi, spectateur, je me fusse inscrit sur le registre des vainqueurs, j'aurais une pension aujourd'hui."
Mémoires d’Outre-tombe, La Pléiade, Tome I, page 168.
• 2. Dans notre Album Maîtres et témoins...(II) : Jacques Bainville, voir la photo "Variations sur le 14 Juillet"
Dans ce travestissement éhonté de l'Histoire, on ne sait ce qui prédomine, de la bouffonnerie ou de l'horreur : on a les symboles et les mythes qu'on peut !
• 3. et, dans lafautearousseau, l'excellent point de vue de Jérémy Loisse :
http://lafautearousseau.hautetfort.com/archive/2017/07/15/histoire-actualite-aux-sources-du-14-juillet-5963398.html
Alors que, le 14 Juillet 1790, on célèbre au contraire une espérance, vite déçue certes, et entachée de profanation et de sacrilège (1), mais, aussi, enthousiasmante et belle, malgré tout : au moins l'intention, dans l'opinion, était-elle bonne.
Pour Marc Bloch, repris par Max Gallo, tout Français véritable ne peut que vibrer à l'évocation de la Fête de la Fédération, qui n'a son pendant que dans le Sacre de Reims...
Ce qui, par contre, fait l'unanimité : l'hommage à l'Armée française... :
(1) : "...L'abbé Louis (qui devait devenir Ministre des finances de Louis XVIII, ndlr) était venu à jusqu'à Gand réclamer son ministère : il était fort bien auprès de de M. de Talleyrand, avec lequel il avait officié solennellement à la première fédération du Champ de Mars : l'évêque faisait le prêtre, l'abbé Louis le diacre et l'abbé Desrenaudes le sous-diacre.
Monsieur de Talleyrand, se souvenant de cette admirable profanation, disait au baron Louis : "L'abbé, tu étais bien beau en diacre au Champ de Mars !" Nous avons supporté cette honte derrière la grande tyrannie de Bonaparte : devions-nous la supporter plus tard ?..."(Chateaubriand, Mémoires d'Outre-Tombe, La Pléiade, tome 1, page 933).
"Et surtout, ne me faites pas rire !...", avait dit Talleyrand à l'un des participants de cette admirable profanation, au moment où il allait célébrer la Messe...
Le serment de La Fayette à la fête de la Fédération,
Talleyrand officiant, à droite...