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  • Éphéméride du 27 octobre

    31 octobre,leonard de vinci,francois premier,renaissance,joconde,sfumato,amboise,clos lucéIl y a treize jours, dans l’année, pendant lesquels il ne s’est pas passé grand-choseou bien pour lesquels les rares événements de ces journées ont été traités à une autre occasion (et plusieurs fois pour certains), à d'autres dates, sous une autre "entrée".

    Nous en profiterons donc, dans notre évocation politico/historico/culturelle de notre Histoire, de nos Racines, pour donner un tour plus civilisationnel  à notre balade dans le temps; et nous évoquerons, ces jours-là, des faits plus généraux, qui ne se sont pas produits sur un seul jour (comme une naissance ou une bataille) mais qui recouvrent une période plus longue.

    Ces jours creux seront donc prétexte à autant d'évocations :  

     1. Essai de bilan des Capétiens, par Michel Mourre (2 février)

     2. Splendeur et décadence : Les diamants de la Couronne... Ou : comment la Troisième République naissante, par haine du passé national, juste après avoir fait démolir les Tuileries (1883) dispersa les Joyaux de la Couronne (1887), amputant ainsi volontairement la France de deux pans majeurs de son Histoire (12 février)

     3. Les deux hauts lieux indissociables de la Monarchie française : la cathédrale Notre-Dame de Reims, cathédrale du Sacre, et la Basilique de Saint-Denis, nécropole royale. I : La cathédrale de Reims et la cérémonie du sacre du roi de France (15 février)

     4. Les deux hauts lieux indissociables de la Monarchie française : la cathédrale Notre-Dame de Reims, cathédrale du Sacre, et la Basilique de Saint-Denis, nécropole royale. II : La basilique de Saint-Denis, nécropole royale (19 février)

     5. Quand Le Nôtre envoyait à la France et au monde le message grandiose du Jardin à la Française (13 mars)

     6. Quand Massalia, la plus ancienne ville de France, rayonnait sur toute la Gaule et, préparant la voie à Rome, inventait avec les Celtes, les bases de ce qui deviendrait, un jour, la France (11 avril)

     7. Quand Louis XIV a fait de Versailles un triple poème : humaniste, politique et chrétien (28 avril)

     8. Les Chambiges, père et fils (Martin et Pierre), constructeurs de cathédrales, élèvent à Beauvais (cathédrale Saint-Pierre) le choeur ogival le plus haut du monde : 46 mètres 77 ! (4 mai)

     9. Quand la cathédrale Saint-Pierre de Beauvais a reçu, au XIIIème siècle, son extraordinaire vitrail du Miracle de Théophile  (28 mai)

     10.  Quand Chenonceau, le Château des Dames, à reçu la visite de Louis XIV, âgé de douze ans, le 14 Juillet 1650 (26 juillet)

     11. Le Mont Saint Michel (11 août)

     12. Quand François premier a lancé le chantier de Chambord. (29 septembre)

     13. Quand Léonard de Vinci s'est installé au Clos Lucé (27 octobre) 

     

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              Aujourd'hui : Quand Léonard de Vinci s'est installé au Clos Lucé 

     

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    Octobre 1516 : Léonard de Vinci s'installe au Clos Lucé. Il y vivra les trois dernières années de sa vie...

     

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    Auto portrait
     

    Né a Vinci, en Toscane, le 15 avril 1452, Léonard viendra finir sa vie en France, à la demande de François Premier qui l'admirait : l'appelant son "premier peintre, ingénieur et architecte", il devait déclarer à Benvenuto Cellini :

    "Il n'y a jamais eu un autre homme né au monde qui en savait autant que Léonard, pas autant en peinture, sculpture et architecture, comme il était un grand philosophe."

    Il s'éteindra au Manoir du Clos Lucé, où l'avait installé le roi, le 2 mai 1519.

    Il est enterré dans la Chapelle saint Hubert du château d'Amboise (ci dessous).

     

    tombe.jpg 

    Archétype et symbole de l'homme de la Renaissance, Léonard est tout à la fois un génie universel et un philosophe humaniste dont la curiosité infinie n'a d'égale que la force d'invention. Il est l'un des plus grands peintres de tous les temps, mais aussi probablement l'être le plus doué dans le plus grand nombre de domaines différents, qui aie jamais existé.

    C'est d'abord comme peintre qu'il fut reconnu : c'est lui qui a inventé le procédé du sfumato, terme qui signifie évanescent, avec une notion d'enfumé : ce mot dérive de l'italien fumo, la fumée. C'est une technique de peinture que Léonard de Vinci mit au point, et qu'il décrivit comme "sans lignes ni contours, à la façon de la fumée ou au-delà du plan focal".

    C'est un effet vaporeux, obtenu par la superposition de plusieurs couches de peinture extrêmement délicates, qui donne au sujet des contours imprécis. Il est utilisé pour donner une impression de profondeur aux tableaux de la Renaissance. On parle aussi de perspective atmosphérique.

    C'est ce procédé qu'il a utilisé pour le paysage de fond de la Joconde (ci dessous). 

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    Mais à côté - et en plus... - du peintre, il y a aussi l'ingénieur et l'inventeur, qui a développé des idées très en avance sur son temps, depuis l'hélicoptère, le char de combat, le sous-marin jusqu'à l'automobile. Le scientifique a beaucoup fait progresser la connaissance dans les domaines de l'anatomie, du génie civil, de l'optique et de l'hydrodynamique.

    Et François premier n'était pas le seul à parler avec admiration du grand Léonard de Vinci : voici quatre opinions, d'auteurs et d'époque fort différent(e)s, et qui, toutes, concordent :

     

    I - Giorgio Vasari (dans son ouvrage Le Vite , 1568) :

          "...Dans le cours normal des événements, beaucoup d'hommes et de femmes sont nés avec des talents remarquables ; mais, parfois, d'une manière qui transcende la nature, une seule personne est merveilleusement dotée par le paradis avec beauté, la grâce et le talent dans une telle abondance qu'il laisse les autres hommes loin derrière. Tous ses actes semblent inspirés et, de fait, tout ce qu'il fait vient clairement de Dieu plutôt que de compétences humaines. Tout le monde reconnaît que c'était vrai pour Léonard de Vinci, un artiste d'une beauté physique étonnante, qui a affiché une grâce infinie dans tout ce qu'il a fait et qui cultivait son génie si brillamment que tous les problèmes qu'il a étudiés, il les résolvait avec facilité..."

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    II - Johann Heinrich Füssli (1801) :

    "Ainsi fut l'aube de l'art moderne, lorsque Léonard de Vinci apparut avec une splendeur qui distançait l'excellence habituelle : composé de tous les éléments qui constituent l'essence même du génie."

     

    III - Hippolyte Taine ( 1866 ) :

    "Il ne peut sans doute pas y avoir dans le monde un exemple d'un génie si universel, si capable de s'épanouir, si empli de nostalgie envers l'infini, si naturellement raffiné, si autant en avance sur son propre siècle et les siècles suivants"

     

    IV - Bernard Berenson (1896) :

    "Léonard est un artiste dont on peut dire avec une parfaite littéralité : rien de ce qu'il a touché ne s'est transformé en une chose d'une éternelle beauté. Qu'il s'agisse de la section transversale d'un crâne, la structure d'une mauvaise herbe ou une étude des muscles, il l'a, avec son sens de la ligne et de la lumière et de l'ombre, à jamais transformée en des valeurs qui communiquent la vie."

     

    François Premier ne se trompait donc pas en faisant venir en France cette personnalité exceptionnelle...

     

    Les Carnets de Léonard sont célèbres :

    http://noe-education.org/vinci/D12101C01.php

     

    • Mais ce savant aimait aussi la Nature, les plantes, les jardins : découvrez le jardin de Leonard  : 

    http://loire-chateaux.org/fr/chateaux/clos-luce/chateau-du-clos-luce-parc-leonardo-da-vinci

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    Et maintenant, découvrez ce manoir que François Premier lui a offert : le Clos Lucé (ci dessus). Outre les appartements de l'artiste, l'intérêt de la visite réside dans l'exposition des maquettes réalisées par la Société IBM d'après les schémas laissés par de Vinci (élévateurs d'eau, ventilateur de conditionnement d'air mû par une chute d'eau, cric, machine à décharger  les bateaux, compteur de distances, prototype d'un bateau à aubes.).

    Pour mieux connaître le château et les maquettes, on visitera avec profit le site suivant :

     

    http://vinci-closluce.com/fr/presentation-lieu

     

    Voici trois des maquettes que l'on peut voir dans le Parc du Clos Lucé :

     

    • Le char d'assaut

    200px-DaVinciTankAtAmboise.jpg
     
     
    • L'hélicoptère
     
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    • La mitrailleuse
     
    800px-Modell_%27Schie%C3%9Fvorrichtung%27%2C_Au%C3%9Fenanlage_Clos_Luc%C3%A9.jpg

     

     

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    2 fevrier,capetiens,mourre,merovingiens,carolingiens,hugues capet,philippe auguste,plantagenets,croisades,bouvines,charlemagne,saint louis,senlisCette Éphéméride vous a plu ? En cliquant simplement sur le lien suivant, vous pourrez consulter, en permanence :

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    et découvrir pourquoi et dans quels buts lafautearousseau vous propose ses Éphémérides  :

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  • Comte, Maurras, Houellebecq : trois agnostiques catholiques, par Stéphane Blanchonnet

    Comte, Maurras, Houellebecq : trois agnostiques catholiques

    Ce n’est un mystère pour personne, Michel Houellebecq est un admirateur d’Auguste Comte, qu’il convoque sans surprise dans son entretien avec Michel Onfray. Mais récemment, c’est à Charles Maurras, disciple du fondateur du positivisme qu’il s’est intéressé, en allant à la rencontre des royalistes de l’Action française, le 1er juillet dernier à Paris. Comte, Maurras, Houellebecq : y a-t-il une filiation possible ? Nous avons demandé à un spécialiste de la pensée de Charles Maurras, Stéphane Blanchonnet, agrégé de lettres modernes et auteur en 2017 du Petit Dictionnaire maurrassien (éd. Nouvelle Marge), de se pencher sur cette question.

    Un récent ouvrage de critique littéraire, d’ailleurs assez intéressant, Le Style réactionnaire de Vincent Berthelier (éd. Amsterdam, 2022), a pour sous-titre « De Maurras à Houellebecq ». Cette réunion des noms de Maurras et de Houellebecq peut surprendre et d’ailleurs, elle n’est pas très logique dans ce livre. En effet, l’auteur, qui veut parler spécifiquement du style des écrivains réactionnaires, finit pourtant par classer Houellebecq dans cette catégorie en raison… de ses opinions et des thèmes qu’il aborde ! Sur le plan du style, il est en effet assez difficile de rapprocher le poète néoclassique, que Berthelier qualifie un peu hâtivement de « puriste », et le romancier de la post-modernité, encore que ce soit sans doute possible, mais ce serait la matière d’un tout autre article ! Il y a en revanche un rapprochement net et évident à faire entre Maurras et Houellebecq : leur qualité de disciples d’Auguste Comte, notamment en ce qui concerne le rapport au catholicisme. C’est ce rapprochement que nous nous proposons d’aborder ici, et nous l’élargirons à une comparaison entre les trois écrivains, les deux disciples et leur maître, Auguste Comte. 

    Comte, Maurras et Houellebecq ont d’abord en commun de voir le jour à des époques de grande césure dans l’histoire de France. On n’exagère pas en disant que chacun d’eux naît presque providentiellement au moment où le pays est plongé dans l’une des trois étapes fondamentales de son déclin, qu’ils se donneront justement pour mission de décrire et, dans des mesures assez différentes, de critiquer, dans leurs œuvres.

    1868, une France déjà affaiblie

    Comte naît en 1798, au moment où la France est au sommet de la puissance et du prestige qu’elle a acquis depuis Richelieu, puis Louis XIV, à tous les niveaux : démographique, politique, militaire, linguistique, littéraire, artistique, scientifique. Littéralement, elle règne sur le monde, pour paraphraser Joachim du Bellay, par sa langue, ses arts, ses armes et ses lois. La Révolution et l’Empire vont consommer en un ultime déchaînement d’énergie et de gloire tout ce capital accumulé depuis des siècles par la royauté capétienne, l’Église et le génie du peuple français – le premier peuple moderne à avoir eu la claire conscience, sans doute depuis la fin du Moyen Âge, de former une nation.

    Maurras, lui, naît en 1868, deux ans avant la guerre franco-prussienne de 1870, qui verra une France, déjà considérablement affaiblie depuis 1815, se faire battre par une Allemagne qui lui ravira sa suprématie continentale, comme l´Angleterre lui avait déjà ravi la maîtrise des mers. Elle sera en outre amputée de ses provinces de l’Est, que l’Ancien Régime avait si durement arrachées au monde germanique. Enfin, elle connaîtra la guerre civile avec l’épisode de la Commune et un début de crise démographique qui conduira à une première forme de recours à l’immigration.

    1956, l’année du désenchantement

    Michel Houellebecq, enfin, naît en 1956, en pleine décolonisation, processus entraînant la disparition de ce motif de fierté que pouvaient représenter, à tort ou à raison, pour les Français ces immenses taches roses sur les atlas géographiques figurant leur immense empire ultramarin (même s’il était composé en grande partie des sables du Sahara, à la différence du très rentable Empire britannique), mais aussi aux prémices des quatre phénomènes qui allaient entraîner la rupture peut-être la plus profonde dans l’être français puisqu’il ne s’agissait plus seulement de déclin de sa puissance, mais de transformation de sa substance elle-même : la fin des terroirs (et donc de l’enracinement régional), la disparition presque totale de la pratique religieuse catholique (encore majoritaire au début du XXe siècle et qui donnait au pays son armature morale), l’américanisation (ou la mondialisation désormais) des mœurs, de la culture et de l’imaginaire, l’immigration de masse, enfin, et le morcellement qui en résulte – la culture française devenant elle-même un « îlot » parmi d’autres, et de moins en moins majoritaire, dans « l’archipel » hexagonal. C’est dans cette France amenuisée, désenchantée et dévitalisée qu’évoluent les personnages de Houellebecq.

    Autre point commun important chez nos auteurs : tous ont perdu la foi chrétienne mais sont restés attachés à certains aspects du catholicisme. Comte affirme dans son testament : « Je me suis toujours félicité d’être né dans le catholicisme, hors duquel ma mission aurait difficilement surgi […] Mais, depuis l’âge de 13 ans, je suis spontanément dégagé de toutes les croyances surnaturelles, sans excepter les plus fondamentales et les plus universelles, d’où les Occidentaux tirèrent tous les dogmes catholiques1. » C’est presque au même âge (à 14 ans) que Maurras, en révolte contre la surdité qui vient de le frapper, mais aussi contre la lecture de Pascal, perd lui aussi la foi. Il est intéressant de noter ce qu’il en dit, bien des décennies plus tard, dans une lettre : « J’étais infirme, soit ! Mais cette vie, je l’aimais, j’aimais la santé et la force. Surdité à part, ma résistance physique, sous des aspects assez modestes et même médiocres, est au-dessus de la moyenne, qu’il s’agisse de marcher, de nager, de veiller dans mon bon temps. […] Pascal est le spectre de la maladie. Cette incompatibilité personnelle ne prouve certes rien contre son magnifique génie. Cela peut expliquer qu’il ne m’ait pas été bienfaisant, quelque admiration que m’ait toujours inspirée sa langue, sa poésie, et, de-ci de-là, sa logique2. » On le comprend, Maurras butte contre le dolorisme chrétien qui enseigne d’accepter les « croix », les épreuves, qui jalonnent nos existences pour mieux s’unir aux souffrances du Rédempteur sur sa propre Croix, dolorisme qui lui paraît en contradiction avec le catholicisme traditionnel, communautaire, joyeux, solaire (d’aucuns diraient « païen ») de son enfance provençale. Houellebecq enfin, dans un livre d’entretien avec Bernard-Henri Lévy, confie avoir fréquenté l’Église dans ses années de lycéen et d’étudiant, au point d’avoir suivi, avant de l’abandonner, une préparation au baptême pour adulte. Il en tire cette conclusion : « Un monde sans Dieu, sans spiritualité, sans rien, a de quoi faire terriblement flipper. Parce que croire en Dieu, tout bonnement, comme le faisaient nos ancêtres, rentrer dans le sein de la religion maternelle présente des avantages, et ne présente même que des avantages. […] Seulement voilà, le problème c’est que Dieu, je n’y crois toujours pas3. »

    Des bases profanes

    Dernier point commun : pour des raisons différentes, nos trois auteurs vont sentir la nécessité de retisser un lien avec la religion catholique, mais sur des bases profanes. Pour Comte, il s’agit du cœur de sa philosophie. Il constate que l’âge métaphysique (la modernité) a mis fin à un âge théologique, qui reposait certes sur des croyances à ses yeux irrationnelles, mais qui possédait une cohérence, une dimension organique, hiérarchique, propre à animer (au sens étymologique de « donner une âme »), à faire vivre, une civilisation. La modernité – la Révolution française en particulier – lui apparaît donc comme un moment exclusivement critique, négatif, dissolvant, dont il se donnera pour mission d’arrêter le cours anarchique pour bâtir un nouvel âge organique permettant de concilier Ordre et Progrès : l’âge positif. Et Comte s’inspirera très explicitement du catholicisme pour créer sa nouvelle religion positive, destinée au salut, par la science, de l’humanité tout entière.

    Maurras, qui n’a cessé de se proclamer le disciple de Comte, propose sa propre synthèse, apparemment plus modeste. Il ne s’agit plus de sauver l’humanité entière, mais la France (et à travers elle, la civilisation gréco-latine) en s’appuyant sur le catholicisme comme « Temple des définitions du devoir » et comme tradition vivante. À ses yeux d’agnostique, comme à ceux de son maître Auguste Comte, la vérité du dogme chrétien n’est plus intelligible, mais il considère que par sa force, encore immense dans la France de la Belle Époque – la France à laquelle il s’adresse– l’Église doit être défendue comme un élément incontournable de l’identité nationale et le canal à travers lequel nous accédons à la culture antique. Dans un texte fondamental qu’il a consacré à Comte, Maurras tient d’ailleurs à préciser que sa réduction du « Grand-Être » (l’humanité) à la civilisation gréco-latine (qui est, à ses yeux, LA civilisation), n’est pas hérétique d’un point de vue positiviste : « Comme le fait très justement remarquer l’un des meilleurs disciples de Comte, M. Antoine Baumann, humanité ne veut aucunement dire ici l’ensemble des hommes répandus de notre vivant sur cette planète, ni le simple total des vivants et des morts. C’est seulement l’ensemble des hommes qui ont coopéré au grand ouvrage humain, ceux qui se prolongent en nous, que nous continuons, ceux dont nous sommes les débiteurs véritables4. »

    Michel Houellebecq, lui aussi disciple revendiqué de Comte, parle, nous l’avons vu plus haut, de la foi de « nos ancêtres » avec une évidente nostalgie. Toutefois, contrairement à Maurras, qui s’adressait aux Français de 1900, il fait le constat que cette nostalgie n’est plus partagée un siècle plus tard que par une petite minorité, même s’il a exprimé sa sympathie pour cette minorité en affirmant avoir été impressionné par l’engagement de la jeunesse catholique lors des manifestations contre la loi Taubira en 20135. L’une des expressions les plus belles et les plus caractéristiques du regard porté par le romancier sur l’ancienne France se trouve dans ce passage d’Extension du domaine de la lutte consacré à la Vendée : « À l’extrémité de la plage des Sables-d’Olonne, dans le prolongement de la jetée qui ferme le port, il y a quelques vieilles maisons et une église romane. Rien de bien spectaculaire : ce sont des constructions en pierres robustes, grossières, faites pour résister aux tempêtes, et qui résistent aux tempêtes, depuis des centaines d’années. On imagine très bien l’ancienne vie des pêcheurs sablais, avec les messes du dimanche dans la petite église, la communion des fidèles, quand le vent souffle au-dehors et que l’océan s’écrase contre les rochers de la côte. C’était une vie sans distractions et sans histoires, dominée par un labeur difficile et dangereux. Une vie simple et rustique, avec beaucoup de noblesse. Une vie assez stupide, également. Je me suis ensuite dirigé vers une résidence plus récente et plus luxueuse, située cette fois tout près de la mer, vraiment à quelques mètres. […] Un sentiment déplaisant a cette fois commencé de m’envahir. Imaginer une famille de vacanciers rentrant dans leur Résidence des Boucaniers avant d’aller bouffer leur escalope sauce pirate et que leur plus jeune fille aille se faire sauter dans une boîte du style “Au vieux cap-hornier”, ça devenait un peu agaçant ; mais je n’y pouvais rien6. » Là où Comte prétendait réorganiser une religion pour l’humanité sur le modèle catholique, mais dont les dogmes seraient désormais scientifiques, là où Maurras voulait s’appuyer sur un catholicisme encore vigoureux, en tant que force sociale, pour enrayer le déclin de la civilisation, Houellebecq ne peut que constater le caractère inéluctable de ce déclin et le regretter, tout en marquant par l’adjectif « stupide », aux connotations péjoratives évidentes, mais qui signifie étymologiquement « immobile », ce qui le sépare de cette époque pour lui définitivement révolue.

    Pour conclure cette rapide comparaison de nos trois auteurs, nous pouvons essayer de nous résumer en les associant par paires. Incontestablement, Maurras et Houellebecq se ressemblent et se distinguent de Comte en tant qu’ils sont les disciples et lui le maître, l’inspirateur. Mais Comte et Houellebecq se ressemblent et se distinguent de Maurras, par un intérêt plus marqué pour la science – le thème du clonage et du transhumain hante le disciple d’Aldous Huxley qu’est aussi Houellebecq. Enfin, Comte et Maurras se ressemblent et se distinguent de Houellebecq par un plus grand optimisme : ils prétendent relever le défi de la modernité et instaurer (pour Comte) ou restaurer (pour Maurras) un ordre viable là où Houellebecq paraît plutôt faire le constat froid et clinique d’un nihilisme triomphant et hélas inéluctable – « mais je n’y pouvais rien ».  

    Notes

    1 Testament d’Auguste Comte, 1884, p. 9, disponible sur le site Gallica de la BNF.

    2 Lettre de Maurras à Leon S. Roudiez, citée par Stéphane Giocanti dans Maurras, le chaos et l’ordre, éd. Flammarion, 2006.

    3 Houellebecq Michel & Lévy Bernard-Henri, Ennemis publics, coéd. Flammarion-Grasset, 2008.

    4 Maurras Charles, Auguste Comte, 1903, disponible sur www.maurras.net.

    5 Entretien avec Marin de Viry et Valérie Toronian, repris dans Interventions, éd. Flammarion, 2020.

  • Éphéméride du 12 août

    Cathédrale Notre-Dame de Reims, l'Ange au sourire, du groupe de la Visitation, du portail central...

     

     

     

     

     

    1271 : Couronnement de Philippe III, le Hardi  

     

    Comme Louis XIII, fils de Henri IV et père de Louis XIV, Philippe III est parfois négligé, entre son père Saint Louis et son fils Philippe le Bel, tant leurs deux règnes sont importants.

    Pourtant, comme celui de Louis XIII, le règne de Philippe III fut très loin d'être négligeable. Le Poitou, l'Auvergne et le Comté de Toulouse viennent agrandir le royaume, qui se développe et s'enrichit fortement.

    Les mentalités évoluent, et l'optimisme est général : c'est l'explosion du beau XIIIème siècle.

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    Enluminure des Grandes chroniques de France
     

    I. Le sourire du "beau XIIIème siècle"

     

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    "Ange au sourire", cathédrale de Reims
     
     

    Au cours de la soixantaine d'années qui sépare le début du règne de Louis VIII de la fin de celui de Philippe III, le visage de la France s'est profondément modifié.

    Progrès de la circulation des hommes et des biens, développement du commerce et de la prospérité marchande, épanouissement urbain, tels sont les principaux aspects de la période. Les gens s'accoutument à vivre mieux.

    Dans des maisons plus confortables, dotées d'une cheminée bâtie, les premiers meubles font leur entrée. Comme les greniers sont pleins et qu'on ne redoute pas la famine, on fait davantage attention à la qualité de l'alimentation : le vin, la viande, le poisson et les épices, achetés dans les foires, sont consommés plus fréquemment. L'habillement fait l'objet de soins attentifs : on recherche les tissus lourds aux couleurs chaudes ou violentes, on fait preuve d'élégance dans l'arrangement du costume.

    Les villes, dont la population ne cesse de croître et qui s'entourent de murailles les séparant du "plat pays" voisin, sont le lieu des transformations les plus spectaculaires. Comme la consommation de biens s'est accrue et que les acheteurs sont plus nombreux et plus riches, certaines professions comme les drapiers et les marchands d'eau à Paris se sont renforcées et ont pris une importance nouvelle; dans toutes les villes, les artisans spécialisés dans la fabrication d'un même produit se regroupent et s'unissent dans le cadre des Corporations.

    Disposant de revenus incomparablement plus élevés que ceux des artisans, les riches bourgeois, qui ont fait fortune dans le commerce des produits de luxe, se font construire des "hôtels" en pierre dans le centre des villes. Cultivés et ambitieux, ils consacrent une partie de leur temps et de leurs revenus aux affaires de la communauté urbaine. Ils y accaparent le plus souvent les fonctions municipales : maire, échevin, consul...

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    Il y a dans la civilisation française du XIIIème siècle quelque chose d'épanoui, à la fois de souriant et de fort, qui est le signe d'une grande époque. Les façades et les chapiteaux, que les artistes romans avaient peuplés de bêtes et de monstres inquiétants, sont désormais éclairés par les visages rayonnants d'anges (voir, plus haut, l'Ange au sourire...) ou de Christs.

    Dans les oratoires, comme la Sainte-Chapelle, ou dans les vastes cathédrales, comme Reims (ci dessus) ou Notre-Dame, partout l'élégance s'allie à la puissance de la conception, au jaillissement de l'élan créateur.

    Il émane de ces architectures fortes une plénitude sereine, symbolisant l'accord trouvé entre l'intelligence et la sensibilité, entre le divin et les choses de la terre. 

     

     

    II. De Jacques Bainville, Histoire de France, chapitre V: Pendant 340 ans, l'honorable famille capétienne règne de père en fils :

      

    "...À sa mort (1270) (de saint Louis, père de Philippe III, ndlr), il y a près de trois cents ans que règnent les Capétiens. Les progrès sont considérables, et le plus sensible, c'est que l'État français, dont les traits principaux sont fixés, a pris figure au-dehors. Il est sorti victorieux de sa lutte avec les Plantagenêts, la menace allemande a été conjurée et maintenant l'Angleterre et l'Allemagne sont en pleine révolution. Saint Louis, en, mourant, laissait à son fils (ci dessous), avec des "enseignements" dignes de lui, une situation excellente, mais qui allait comporter des développements imprévus.

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    Ce qui fait la complexité de l'histoire, c'est que les événements sortent sans fin les uns des autres. La dernière croisade de Louis IX, en coûtant la vie à plusieurs princes et princesses, ouvrait des héritages à son successeur Philippe III. La monarchie, depuis Louis VIII, appliquait un système qui avait ses avantages et ses inconvénients. Quand des provinces étaient nouvellement réunies, elles étaient données en apanage à des princes capétiens afin de dédommager les fils puînés et d'éviter les jalousies et les drames de famille où s'était abîmée la dynastie des Plantagenêts. On pensait que cette mesure transitoire aurait en outre l'avantage de ménager le particularisme des populations, de les accoutumer à l'administration royale, tout en formant autour du royaume proprement dit des principautés confédérées, destinées tôt ou tard à faire retour à la couronne à défaut d'héritiers mâles. Ce calcul ne fut juste qu'en partie, ce qui arrive souvent en politique : quelques-uns des apanagés, en petit nombre d'ailleurs, furent ingrats et indociles.

    Toutefois le fils de saint Louis recueillit tout de suite plusieurs héritages, dont celui de Toulouse. Mais le comte de Toulouse avait des vassaux qui refusèrent de reconnaître la suzeraineté du roi de France. Ils appelèrent le roi d'Aragon à leur aide. Philippe III, qui gagna à ces campagnes le nom de Hardi, fut obligé de défendre la frontière des Pyrénées. L'Espagne entrait dans nos préoccupations politiques.

    À peu de temps de là, ce fut la succession de Navarre qui mêla le roi de France aux affaires espagnoles. Nos frontières méridionales ne pouvaient être atteintes sans conflit avec l'Aragon et la Castille.

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    En même temps, Philippe III était attiré en Italie par d'autres circonstances. Nous avons déjà vu que Charles d'Anjou était devenu roi de Naples et de Sicile. Le frère de saint Louis avait été appelé par un pape français désireux de mettre fin en Italie à l'influence gibeline, c'est-à-dire allemande. Charles d'Anjou avait accepté, après de longues hésitations de Louis IX, et son succès fut complet. Pour en finir avec les intrigues allemandes, il fit condamner à mort le jeune Conradin, l'héritier des Hohenstaufen, dont les Allemands, six cents ans plus tard, au dire d'Henri Heine, ne nous avaient pas encore pardonné l'exécution.

    La révolte des Siciliens restée fameuse sous le nom de Vêpres siciliennes commença la décadence du royaume français de Naples. La France elle-même s'en trouvait atteinte et Philippe III dut venir au secours de son oncle. Le roi d'Aragon s'en mêla et l'on eut ainsi la première image des futures guerres d'Italie avec leurs complications germaniques et espagnoles. Pour être tranquille sur les Pyrénées, pour garder la Méditerranée libre, la France se trouvait entraînée trop loin. Il allait falloir se dégager.

    Philippe le Hardi mourut en 1285 au retour d'une deuxième expédition, cette fois en Catalogne. Son fils, Philippe le Bel, n'avait que dix-sept ans, mais il était singulièrement précoce..."

      

     

            III. Philippe III, à l'origine des Mont-joie :

     

    Sept Monts-joie, répartis le long de la route de Notre-Dame de Paris à la Basilique de Saint-Denis, furent élevés aux endroits où Philippe III le Hardi, portant le corps de son père Louis IX - bientôt saint Louis... - le 12 mai 1271, arrêta le convoi pour se reposer.

    Par la suite, tous les cortèges funèbres royaux s'arrêtèrent traditionnellement aux Monts-joie de Saint-Denis. Ce monument (ci dessous) passe pour être une mont-joie, mais il correspond probablement au pinacle d'une culée de l'église abbatiale.

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    On appelait autrefois Mont-Joye un monceau de pierres entassées pour marquer les chemins; la coutume des pèlerins était de faire des Mont-Joyes de monceaux de pierres, sur lesquels ils plantaient des croix, aussitôt qu'ils découvraient le lieu de dévotion où ils allaient en pèlerinage :
     
    Constituunt acervurn lapidum, et ponunt cruces, et dicitur Mons gaudii.
    La même chose est attestée des pèlerins de Saint-Jacques en Galice : Lapidum songeries … Galli Mont-Joyes vocant.

     

    Ce nom de Montjoies fut donné aux sept croix élevées au bord de la route de Paris à Saint-Denis sous le règne de Philippe III (1270 à 1285) : petits monuments gothiques, elles furent démolies comme “signes de la religion et de la royauté” en 1793. Cette gravure anonyme à l’eau-forte de la fin du 17ème siècle (ci-dessous) en restitue l’aspect : hexagonales, trois niches aveugles sur la plaine, trois niches avec trois grandes statues de rois orientés vers la route :

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    1527 : Mort de Semblançay

     

    Jacques de Beaune, baron de Semblançay, Surintendant des finances de François Premier, est pendu à Montfaucon.

    Son supplice, et la fermeté d'âme qu'il manifesta, ont inspiré à Clément Marot son célébrissime épigramme :

     

    Lorsque Maillart, juge d'Enfer, menoit

    À Monfaulcon Samblançay l'âme rendre,

    À votre advis lequel des deux tenoit

    Meilleur maintien ? Pour vous le faire entendre,

    Maillart sembloit homme qui mort va prendre

    Et Semblençay fut si ferme vieillart

    Que l'on cuydoit, pour vray, qu'il menast pendre

  • Le modèle libanais et la coexistence des religions

    Après les explosions au port de Beyrouth, Liban, août 2020.

     

    Le mandat français sur le Liban (1920-1943) s’est achevé dans la confusion. La guerre franco-française qui se déroula entre les forces placées sous l’autorité de Vichy et les gaullistes soutenus par les Britanniques, permit à deux hommes politiques libanais de passer un pacte et de sortir du mandat.

    Ces deux hommes , le maronite Béchara el-Khoury et le musulman sunnite Riad el-Solh, négocièrent ensemble un accord en 1943, traditionnellement appelé « Le Pacte national de 1943 ». Il marque l’indépendance du Liban après plusieurs siècles de vassalités diverses. La France, mécontente car mise de côté, réagit plus que maladroitement en emprisonnant les deux hommes. Cela ne fit que provoquer la colère des Libanais et les deux prisonniers furent libérés en gagnant une immense popularité. Le dernier soldat français quittera le pays du Cèdre en 1946.

    antoine de lacoste.jpgLe Liban étant un pays unique au monde, ce Pacte est non écrit : ni texte, ni version officielle, et pourtant c’est bien lui qui va régir l’organisation du pays en complément de la Constitution de 1926.

    Le Pacte établit d’abord que le Liban sera distant de la France mais aussi du monde arabe. Cela signifie en clair que les maronites renoncent à la protection française, qui fut pourtant décisive en plusieurs occasions, et que les musulmans renoncent au concept de Grande Syrie que Riad el-Solh avait un temps appelé de ses vœux.

    Rien ne sera dit et encore moins écrit sur la répartition communautaire toujours valable. Le président est maronite, le premier ministre musulman sunnite et le président de la chambre des députés musulman chiite, et c’est ainsi que cela fonctionne encore aujourd’hui.

    Ce Pacte fondateur est critiqué dès le début. Le célèbre journaliste de l’Orient (L’Orient-Le Jour aujourd’hui) Georges Naccache écrit un éditorial qui est entré dans l’histoire du Liban : « Ni occident, ni arabisation : c’est sur un double refus que la chrétienté et l’islam ont conclu leur alliance. Quelle sorte d’unité peut être tirée d’une telle formule ? Ce qu’une moitié de Libanais ne veut pas, on le voit très bien. Ce que ne veut pas l’autre moitié, on le voit également très bien. Mais ce que les deux moitiés veulent en commun, c’est ce qu’on ne voit pas. La folie est d’avoir cru que deux non pouvaient produire un oui. Deux négations ne feront jamais une nation. »

    Ce texte remarquable et, hélas, prémonitoire, montre bien que, dès l’origine les dirigeants libanais ont choisi le communautarisme plutôt que la nation. La situation ne fera que s’aggraver ensuite avec la montée en puissance d’une population musulmane chiite, en pleine expansion démographique contrairement aux autres. Elle prendra une importance de plus en plus grande, au point aujourd’hui de vivre en quasi-indépendance dans le sud du pays par le biais de la milice armée du Hezbollah.

    Au moins, pensaient certains, cela assurera une coexistence pacifique entre les religions. La suite prouvera que non.

    Il faut cependant être juste : ce n’est pas un motif religieux qui déclencha la guerre civile libanaise qui ravagea le pays de 1975 à 1990. La cause première fut la massive présence palestinienne et la volonté de ses militants de faire du Liban une base arrière pour combattre Israël et récupérer les territoires perdus.

    Après la guerre israélo-arabe de 1948, Israël, vainqueur, expulsa de nombreux Palestiniens après avoir conquis leurs territoires. D’autres fuirent les combats et l’on estime qu’au moins 700 000 palestiniens quittèrent leur pays pour s’installer en Jordanie, au Liban et en Syrie.

    C’est l’entrée de l’OLP (Organisation de Libération de la Palestine) dans la lutte armée qui fut la cause directe de la guerre. Successivement la Guerre des Six jours (1967), la prise de contrôle de l’OLP par Yasser Arafat (1969) et l’expulsion des combattants armés palestiniens de Jordanie vers le Liban (1970) provoquèrent un bouillonnement qui fut fatal.

    Chaque camp s’est armé. Les milices chrétiennes s’unissent sous la houlette des Forces Libanaises (FL) et une personnalité exceptionnelle émerge, Bechir Gemayel. Il sera assassiné en 1982 et le camp chrétien ne se remettra jamais de cette disparition. Le Hezbollah apparaîtra un peu plus tard. Les sunnites seront plus effacés.

    Il n’est pas question ici de raconter cette guerre, d’une grande complexité. Il faut cependant avoir présent à l’esprit qu’il y eut en permanence plusieurs guerres dans la guerre avec de nombreux acteurs aux alliances variables : chrétiens, chiites, sunnites, druzes, Palestiniens, Syriens, Israéliens, avec de surcroît des divisions internes souvent sanglantes, notamment, hélas, entre chrétiens.

    Comme on le voit ces acteurs sont parfois religieux, parfois étatiques. Il ne faut donc pas analyser ce conflit (ces conflits devrait-on dire), sous le prisme d’une guerre de religion. Les buts étaient ailleurs : Israël voulait détruire le Hezbollah et neutraliser le Liban, la Syrie voulait l’annexer, les Palestiniens en faire leur base militaire. S’il y avait un consensus supra-national et supra-religieux, il était simple : chasser les combattants palestiniens, ce qui fut fait finalement.

    Il faut toutefois observer que certains clivages religieux ne furent jamais dépassés : aucune alliance durable entre musulmans et chrétiens et pas d’avantage entre sunnites et chiites. Le plus souvent, musulmans et chrétiens furent face à face.

    Les accords de Taef signés en 1989, mirent pratiquement fin à la guerre mais le camp chrétien en sortit vaincu. Si l’équilibre religieux ne fut pas remis en cause, les pouvoirs du président chrétiens furent durement rognés au profit du premier ministre sunnite. De plus, la domination syrienne fut quasiment actée.

    En signe de protestation, la plupart des chrétiens ne participèrent pas aux élections suivantes, notamment sur la recommandation des différentes églises. Une minorité de chrétiens, rangés dans le camp de la Syrie, accepta la situation et c’est ainsi que l’immuable répartition communautaire entre les trois pouvoirs pu être maintenue.

    Le général Aoun tenta un dernier coup de dés. Après avoir désarmé par la force les FL au prix de consternants combats sanglants (alors que le Hezbollah restait armé), il déclencha une dernière guerre contre les Syriens. Comme on pouvait s’y attendre il perdit, provoqua la mort inutile de valeureux combattants chrétiens et partit en exil en France. Samir Geagea, l’irréductible chef des FL fut emprisonné de longues années.

    Le Liban poursuivit alors un chemin étrange où, sous l’apparence de l’aisance et de la modernité, il marchait en somnambule vers la ruine.

    En raison de la corruption importante de la classe politique, mais également de sa médiocrité, aucun investissement digne de ce nom n’a été réalisé dans les infrastructures de base nécessaire à la vie d’un pays : assainissement, électricité, gestion des déchets, traitement de l’eau et la liste est encore très longue. La classe politique libanaise a tout misé sur les services, notamment bancaires.

    Elle a cru trouver en la personne de Riad Salamé l’homme miracle qui devait permettre au pays de vivre dans l’aisance, sans effort. Le chef de la banque centrale libanaise avait instauré un système vieux comme la finance spéculative : servir des taux d’intérêt élevés pour attirer les capitaux de la très importante diaspora libanaise.

    La combine marcha quelques années avant que tout ne s’effondre, ruinant les petits épargnants libanais. Aujourd’hui, ils ne peuvent plus retirer leur argent de la banque, la devise libanaise a perdu 90% de sa valeur et les biens de consommation élémentaires manquent. Ce qui est disponible est bien évidemment hors de prix. La situation est si grave que les Libanais de l’étranger qui viennent rendre visite à leurs familles bourrent leurs valises de médicaments tant la pénurie sur place est importante.

    L’explosion du 4 août 2020 sonna comme une sorte de coup de grâce. Partie du port de Beyrouth, elle ravagea les quartiers chrétiens et une partie du quartier chiite. L’Etat montera à cette occasion sa totale incurie. Les habitants durent nettoyer les gravats eux-mêmes, les blessés furent emmenés à l’hôpital dans les voitures particulières des familles ou des voisins. Et que dire de l’enquête ? Le juge Bitar, résolu et courageux, se voit mettre des bâtons dans les roues par sa hiérarchie mais aussi par les députés ou le gouvernement. Chiites et chrétiens aounistes (partisans du Général Aoun rentré d’exil après le départ des Syriens et élu ensuite président) sont discrètement d’accord pour que l’enquête s’enlise comme à peu près tous les dossiers libanais.

    Dans ce contexte dramatique où l’existence même du Liban est menacée, que doit-on penser de la coexistence des trois religions chrétienne, chiite et sunnite ?

    Certes, à part quelques incidents sporadiques, elles ne se font plus la guerre et chacun peut librement exercer son culte. Les prêtres des différentes communautés chrétiennes vont et viennent librement et s’expriment de même. Les églises sont normalement entretenues et certaines forment des paroisses chaleureuses et dynamiques. Il est vrai que la guerre a réappris à de nombreux chrétiens la valeur de leur identité bimillénaire.

    Les chrétiens ne craignent plus, pour l’instant, d’être massacrés par les druzes ou les islamistes. La défaite de Daech ou d’al-Nosra en Syrie, grâce à l’intervention russe, constitue un répit certain et durable pour toute la région, même si la lutte n’est pas terminée.

    La situation est pourtant très grave et porte un nom : l’exil. De nombreux jeunes chrétiens, et parmi les plus brillants, s’en vont, découragés. Ils ne croient plus au Liban, ruiné par sa classe politique, toutes religions confondues.

    Ainsi la coexistence entre les religions, relativement apaisée malgré la présence d’un Hezbollah redoutablement armé, ne suffit pas . Et l’on repense aux propos pessimistes mais prémonitoires de Naccache en 1943 : « Deux négations ne feront jamais une nation. » Ce qu’il ne savait pas encore et c’est ce que l’Histoire nous a appris, c’est que le communautarisme aggrave le vice de départ car au fond, il est contre-nature.

    Et l’on repense aux études de Barrès ou de Renan sur la nation (les deux hommes connaissaient d’ailleurs fort bien le Liban). La terre est là mais les morts sont venus de conflits internes, jamais d’une quelconque grande guerre patriotique. Quant à la volonté de vivre ensemble souligné par Renan (quel dommage qu’un tel esprit se soit fourvoyé dans un anti-christianismeindigne de son intelligence), cette volonté n’existe que peu dans le peuple. Elle est par contre très présente dans la classe politique mais sous une autre forme : la volonté de s’enrichir ensemble.

    L’appauvrissement du Liban est d’une gravité et d’une profondeur inédites. L’Etat n’existe plus, les élites fuient et la classe politique s’autoreproduit sur fond d’enrichissement personnel.

    Mais tout n’est peut-être pas perdu. Beaucoup de Libanais le reconnaissent, même s’ils sont partis : ils n’oublient pas leur pays et veulent encore y croire. L’amour du Liban demeure malgré tout. Mais son sauvetage passe nécessairement par un grand coup de balai et la fin du communautarisme.

    Qui fera cela ?

  • La condamnation de l’Action française par le Vatican : mesure nécessaire ou erreur grossière ?

    Source : https://letudiantlibre.fr/

    Le 29 décembre 1926 marque la condamnation (1) par le Pape Pie XI du mouvement politique l’Action française, dirigé par Charles Maurras, et sujette encore de nos jours à une interminable controverse : cette sanction était-elle justifiée ?

    D’une part, nombre d’historiens s’inscrivent dans la lignée de Philippe Prévost, lequel, dans sa Condamnation de l’Action française, considère que cette sanction répond à des mobiles purement politiques. D’autre part, Jacques Prévotat, dans une thèse parue en 2001 (2), défend une position radicalement opposée : la mise à l’Index de l’Action française ne se justifierait que par des considérations religieuses.

    Il faut également mentionner le travail réalisé par Emile Poulat par le biais d’un article paru dans la Revue française d’histoire des Idées politiques (3) et qui adopte une position modérée, cette crise ne serait qu’un « mélange instable d’un faux débat sur l’orthodoxie doctrinale de ses adhérents catholiques et d’un débat avorté sur l’autonomie du politique devant l’intégralité de la religion ». (4)

    Avant de se pencher sur la pertinence d’une telle condamnation, il faut exposer brièvement les positions défendues par le Vatican et l’Action française.

    D’une part, les positions de l’Eglise romaine sont relativement complexes en raison de la « crise moderniste » qui la traversa à cette époque. Quoi qu’il en soit, le pape et une grande partie du clergé romain ont reproché à l’Action française ses attaches non-confessionnelles incarnées par son fondateur : Charles Maurras. Elle reproche aux catholiques de l’Action française de s’écarter de la foi catholique en mettant de côté l’aspect religieux pour ne s’attacher qu’à un positivisme politique basé sur la Raison dans le but de rétablir un régime monarchique.

    D’autre part, l’Action française se défend de ces accusations en affirmant qu’elle n’a toujours été qu’un mouvement politique et non un organisme de formation religieuse, la condamnation revêt donc pour elle une justification essentiellement politique.

    Mais qu’est-ce qui justifiait au fond, que les catholiques qui persistèrent à lire le quotidien de l’Action française fussent considérés comme des pécheurs publics, privés de sacrements et de funérailles religieuses (5) ? Quel est le véritable mobile qui se cache derrière cette condamnation ?

    Afin d’y répondre, il est essentiel de s’attarder sur la justification religieuse qui a été mise en avant par le Vatican. Ce-dernier militait de plus en plus pour la mise en place d’un « catholicisme intégral » qui ne pouvait souffrir que des fidèles puissent adhérer à un mouvement politique dirigé par un agnostique. Ce qui peut apparaître comme une incohérence ne l’est pas en réalité pour la simple et bonne raison que l’Action française n’a jamais rejetée le dogme de l’Eglise catholique contrairement à ce qu’affirmait le cardinal Andrieu, archevêque de Bordeaux et fer de lance de la lutte anti-maurassienne, dans un article mensonger publié le 25 août 1926 à la demande de Pie XI. Dans ce texte, il affirmait ceci en évoquant les membres de l’Action française : « Ils repoussent tous les dogmes que l’Église enseigne. Elle enseigne l’existence de Dieu, et ils la nient ». Maurras n’a jamais rejeté et nié la foi catholique dans l’élaboration de sa doctrine politique qui devait se couronner par une restauration d’un monarque catholique, en témoigne notamment les liens étroits qu’il entretenait avec le prince Philippe d’Orléans. Ces liens se concrétisent par les nombreuses lettres que le leader de l’Action française a échangé avec le Prince mais aussi par de nombreux articles où il a pu notamment exprimer toute l’admiration qu’il lui portait : « J’avais adhéré à la monarchie, mais j’étais aujourd’hui conquis par la personne du prince. » (6) . Maurras s’est donc évertué à préparer le terrain d’une restauration monarchique catholique et se voit sanctionner par une condamnation papale.

    De plus, même s’il est certain que Maurras a été influencé dans sa jeunesse par des auteurs païens et se déclarait agnostique, les catholiques de l’Action française n’étaient-il pas capable de faire la part des choses ? N’étaient-ils pas en mesure de distinguer le rationalisme maurassien de la doctrine catholique ?  Le rationnel du spirituel ? Bien sûr que oui ! Les arguments rationnels portés par l’Action française n’empêchaient pas la conservation d’un attachement profond au dogme catholique. L’Action française opérait parfaitement cette distinction lorsqu’elle affirmait dans son Non possumus (7) : « L’Action française n’a rien et n’entend rien avoir d’une autorité religieuse : ce n’est donc pas auprès de l’Action française que les consciences catholiques ont à s’informer de leurs devoirs religieux ».

    Que dire de l’attitude qu’avait eut le pape Pie X en 1913 à l’égard de Maurras lorsqu’il le qualifiait de « beau défenseur de la foi ». La pensée maurassienne étant déjà formée à cette époque là, on peut se demander si elle posait un véritable problème doctrinal. Si l’Action française était en opposition de principe avec le dogme catholique, pourquoi ce compliment de Pie X près de dix ans plus tôt ? S’agissait-t-il d’un calcul politique de Pie X voulant se servir de Maurras pour lutter contre l’anticléricalisme républicain au détriment du dogme catholique ou existait-il une absence de contradiction religieuse sérieuse ? La deuxième hypothèse semble la plus probable d’autant plus que la condamnation avait déjà été rédigée à propos de certains ouvrages de Maurras mais n’avait pas été prononcée, le pape distinguant les œuvres de jeunesse de Maurras et la doctrine de L’Action française. L’argument religieux apparaît donc comme très faible. La véritable justification est plutôt à rechercher dans le domaine politique.

    En effet, cette condamnation apparaît comme un moyen de favoriser le ralliement des catholiques à la République. En effet, la politique du Vatican, basée sous Pie X sur une résistance face à l’anticléricalisme républicain, ce qu’Emile Poulat appelait la « défense religieuse », a changé de priorité sous Pie XI et s’est traduite par une « conquête religieuse ». Cette-dernière passait par une soumission au régime républicain afin de mieux reconquérir les Français, comme si le régime républicain était indissociable de la doctrine libérale et anticléricale qui en est à l’origine. Il est intéressant de constater de ce fait une incohérence flagrante dans le raisonnement de cette politique de « conquête religieuse » consistant dans le fait de considérer que le régime républicain n’était qu’une forme de gouvernement et d’appliquer un raisonnement opposé pour la monarchie qui ne saurait être distinguée de la foi catholique.

    Maurras et son Action française apparaissait ainsi aux yeux du pape comme un obstacle empêchant le Ralliement des catholiques au régime républicain par son opposition virulente à la IIIe République et à sa promotion d’un régime monarchique ne constituant plus la priorité du Pontife.

    Enfin, il est nécessaire de replacer cette condamnation dans le contexte politique des années 1920 en rappelant le poids du mouvement maurassien. L’Action française constituait une véritable force politique avec une influence certes limitée mais disposant d’un potentiel important. Son rôle était non-négligeable notamment concernant la politique étrangère de la France durant cette période, incarnée par Briand et se traduisant par une tolérance marquée à l’égard de l’Allemagne. L’Action française fut une des seules forces politiques a dénoncer cette complaisance, rappelant à juste titre, spécialement par l’entremise de Jacques Bainville (8), le risque d’une revanche allemande et la nécessité de la contenir à tout prix. L’avenir leur donnera raison…

    Ce mouvement royaliste constituait donc une importante force d’opposition au sein du régime républicain.

    Les conséquences de cette condamnation ont été désastreuses tant pour l’Action française que pour la cause catholique. En effet, elle a plombé considérablement le mouvement en entraînant une baisse des ventes du quotidien (9) et un recul important de son implantation dans les milieux catholiques. Parallèlement, elle a offert une voie royale au mouvement nationaliste athée des Jeunesse patriotes qui va alors supplanter l’Action française dans le combat nationaliste.

    La condamnation portée à l’Action française revêt donc un caractère essentiellement politique et constitue une grossière erreur si l’on croit en la naïveté du pape et de son entourage ou une faute délibérée si l’on considère que le Pontife était parfaitement en mesure d’évaluer la portée de cet acte.

    Le 10 juillet 1939, la mise à l’Index de l’Action française va être levée par Pie XII, le mal était fait…

    Feygodor.

    (1) La condamnation porte sur une partie des œuvres de Maurras et sur le quotidien l’Action française

    (2) Catholiques français et Action française : étude des deux condamnations romaines, thèse soutenue en 1994 par Jacques Prévotat sous la direction de René Rémond.

    (3) Le Saint-Siège et l’action française, retour sur une condamnation, la Revue française d’histoire des Idées politiques, n°31, pages 141 à 159.

    (4) Ibid.

    (5) Les sacrements de la pénitence de l’extrême onction étaient toutefois tolérés.

    (6) Le tombeau du Prince, 1927, recueil d’articles publiés par Maurras suite à la mort de Philippe d’Orléans le 28 mars 1926.

    (7) Article de l’Action française qui refuse la demande du pape de disperser les catholiques qui en faisaient partie, 22 décembre 1926

    (8) Chargé de la politique étrangère à l’institut d’Action française.

    (9) La vente en kiosque du quotidien est passée de 60 000 en décembre 1925 à 40 000 un an plus tard, en décembre 1926. Elles se stabiliseront autour de 31 000-33 000 au cours des années suivantes. Source : Charles Maurras, le nationalisme intégral, Olivier Dard, 2013

  • Mai 68 • Les acteurs de la contestation [3]

    Guerre contre eux-mêmes ... 

     

     

    Les auteurs de Génération. Les années de rêve, Hervé Hamon et Patrick Rotman, ont dressé une longue liste des protagonistes de Mai 68. Nous reprenons ce qu’ils disent du milieu familial et social de chaque acteur.

    Henri Weber 

    Henri Weber, né le 23 juin 1944 à Leninabad, à proximité du fleuve Amour, débute son parcours de militant politique aux jeunesses communistes. « Son père tient une échoppe d’artisan horloger rue Popincourt. Et toutes ses études, à Jacques-Decour, ont eu pour environnement Barbès, Anvers, la Goutte d’or – la zone la plus chaude de Paris pendant la guerre d’Algérie. […] Les coups, la haine venaient battre jusqu’à la loge du lycée. Une société qui a sécrété Vichy, puis les ʽʽaffairesʼʼ d’Indochine, puis les ʽʽévénementsʼʼ d’Algérie, une société qui a traqué les juifs, les Viets, les Arabes, ne saurait être qu’intrinsèquement mauvaise. […] Avant la Seconde Guerre mondiale, les parents d’Henri Weber, juifs l’un et l’autre, vivaient en Pologne, à Czanow. Une petite ville de haute Silésie, séparée par treize kilomètres dʼOswieciw – que les Allemands désignent d’un autre nom : Auschwitz. »[1] En 1949 la famille Weber émigre à Paris. « On parle yiddish et polonais, rue Popincourt. Toutefois, chez les Weber, un subtil équilibre tend à s’établir entre l’assimilation et la préservation de la tradition originelle. […] Le père, qui publie des articles dans de confidentielles revues juives, incite ses fils à ʽʽréussirʼʼ, mais les éduque simultanément dans le mépris du fric. Les cousins du Sentier qui se taillent peu à peu quelque fortune au fil de l’expansion du prêt-à-porter, malgré leurs voitures et leurs cadeaux, resteront dépeints comme d’éternels joueurs de cartes analphabètes, incapables de s’émouvoir devant une page de Heinrich Heine. Les pauvres ! La première affiliation militante d’Henri est imposée. Il a neuf ans et, pour calmer ses turbulences, on l’inscrit à l’association Hachomer Hatzaïr (en français : la Jeune Garde), qui rassemble dans un style mi-politique mi-scout les cadets du Mapam, le parti des sionistes de gauche. À quatorze ans, d’ailleurs, il séjourne en Israël dans un kibboutz. L’expérience est passionnante, chaleureuse. »[2] 

    Bernard Kouchner 

    Bernard Kouchner alias le French doctor « a rejoint l’UEC pendant la guerre d’Algérie, par antifascisme. Fils d’un médecin de gauche, il s’inscrit vers quatorze ans à lʼUJRF[3]. Militant actif du lycée Voltaire, il n’hésite pas, pour ses débuts politiques, à prendre l’autocar et à apporter son soutien – décisif – aux dockers grévistes de Rouen. […] Mais le virus ne l’atteint pas jusqu’à la tripe ; aux distributions de tracts, il préfère les boîtes de jazz, les filles. […] Schalite repère ce carabin fin et cultivé, et l’attire à Clarté. Kouchner débute par un compte rendu du livre de Salinger LʼAttrape-cœur et atteint d’emblée les frontières de l’autonomie – louanger un ouvrage américain... »[4] À travers les articles qu’il rédige pour Clarté, Kouchner dévoile que sa réussite personnelle lui importe plus que le triomphe du prolétariat, dont il n’est pas, lui le fils de notable. Il « lʼavoue dans un papier irrévérencieux et qui fait scandale. Sous la forme d’une ʽʽLettre à un moderne Rastignacʼʼ, publiée par Clarté, il donne aux jeunes gens de 1963 quelques conseils pour ʽʽarriverʼʼ. Rastignac, s’il entend parvenir à ses fins, doit décrier la société – il n’est pas de réussite sans contestation. Provocant en diable, Kouchner lance : ʽʽJe suis communiste et Rastignac. Paradoxe ? Détrompez-vous : le mélange n’est pas détonant. Il est même étonnamment efficace. Vous riez ? Je vous attends.ʼʼ »[5] Repéré par un ancien résistant et ministre de De Gaulle qui côtoya Staline, Emmanuel d’Astier de La Vigerie, qui « ressent plus que de la sympathie pour les rebelles de lʼU.E.C. »[6], il est propulsé par ce dernier rédacteur en chef de LʼÉvénement. Après son départ de lʼU.E.C., vers 1965, il se lance avec dʼautres dissidents communistes – ceux qui se faisaient appeler les « Italiens » – dans le mouvement de solidarité avec le Sud-Vietnam. Le pays subit alors un intense pilonnage aérien au niveau du dix-septième parallèle : les B 52 déversent du napalm sans discontinuer. L’ampleur du massacre est telle que partout dans le monde l’indignation est totale. L’émoi provoqué par les corps brûlés que révèlent les photos des magazines réveille la fibre humanitaire de Kouchner. Avec Laurent Schwartz, Jean Schalit et Alain Krivine il fonde le Comité Vietnam national, dont il est membre du comité directeur. 

    Robert Linhart 

    Robert Linhart, sorti de la khâgne de Louis-le-Grand, est admis à lʼÉcole normale supérieure de la rue d’Ulm. Il est le « fils de juifs polonais réfugiés, […] né en France pendant la guerre (son père, avocat à l’origine, est devenu représentant de commerce, puis ʽʽhommes dʼaffairesʼʼ) »[7]. Rue d’Ulm, sous la houlette de son professeur de philosophie Louis Althusser, il devient « le Lénine de lʼE.N.S. »[8], place éminente que seul Benny Lévy, lui aussi ʽʽulmardʼʼ, pouvait lui contester. 

    Benny Lévy 

    Benny Lévy, dont le « père, qui parfois gagne et souvent échoue au jeu de l’import-export, ne pèse guère à la maison ; ni Benny ni son plus proche frère, Tony, ne comprennent exactement ce qu’il vend. »[9] Benny Lévy n’est pas français, il est né en Égypte, « où les Lévy mènent une existence tribale. La part de religieux est faible dans l’éducation des enfants (quoiqu’une grand-mère soit fille de rabbin). Le rite est plutôt un repère culturel, le rendez-vous du vendredi soir. On parle français. […] Mais l’usage de cette langue ʽʽétrangèreʼʼ est infiniment plus, pour la circonstance, qu’une séquelle de l’histoire. C’est un commun dénominateur entre l’aile religieuse et sioniste de la famille, qui se délite peu à peu, et l’autre aile, celle qui domine en participant de la subversion communiste. L’intériorité juive s’estompe, le ʽʽprogressismeʼʼ prend le dessus et les mots français servent de truchement à cette conversion. Que deviendront-ils plus tard, Tony et Benny, les deux jeunes garçons de la tribu ? En pareils lieux et à pareille heure, le choix est restreint. Commerçants ? Comme papa ? Jamais ! Rabbins ? Leur mère fut sioniste de cœur pendant les années trente, mais la pente n’est plus celle-là. Les figures fortes, l’oncle, le frère aîné, l’emportent. Tony et Benny ne seront ni commerçants ni rabbins. Ils seront révolutionnaires. »[10] Conséquence de l’opération franco-britannique de Suez, la famille Lévy quitte l’Egypte en mars 1957. D’abord pour Bruxelles, où Benny impressionne ses professeurs. En 1965, il est accepté à Normale Supʼ : « Sʼil pénètre en ces augustes lieux, ce n’est certes pas pour des raisons universitaires. Il est là parce que là se joue son rapport à la France. Et il est là non pour se couler dans le moule de l’élite française, mais pour le muer en bastion révolutionnaire. » [11] 

    Alain Geismar 

    Alain Geismar, qui est « un petit Juif né en 1939 »[12] et qui étudie à lʼÉcole des Mines de Nancy, « passe le plus clair de son temps au local parisien des Étudiants socialistes unifiés, dont il est un des chefs sous la houlette de Jean Poperen […]. En quatrième, il était dans la même classe qu’André Sénik, aujourd’hui son concurrent de l’UEC. Le jour de la mort de Staline, Sénik l’orthodoxe arborait une boutonnière et un brassard noirs. ʽʽEncore un cochon de moins !ʼʼ, lui a aimablement décoché Geismar. Sénik a répondu avec ses poings. »[13] 

    Daniel Cohn-Bendit 

    Le plus connu des soixante-huitards, Daniel Cohn-Bendit, étudiant à Nanterre où il est « le leader de la petite bande qui récuse les leaders »[14], est « un juif allemand né en France – complexe histoire qui produit un fils d’émigrés pas vraiment juifs et assez juifs pour mériter l’étoile jaune sous Vichy. Les parents Cohn-Bendit sont agnostiques, la mère parle un peu le yiddish, le père, pas du tout. À Berlin, où réside la famille, ce dernier exerce la profession d’avocat et défend les communistes et socialistes emprisonnés. Quand Hitler prend le pouvoir, les Cohn-Bendit s’exilent en France. Pendant la guerre, ils participent à la Résistance. Daniel naît à Montauban en 1945. Il ne reçoit aucune éducation religieuse, n’est pas circoncis. […] En 1951, son père regagne l’Allemagne pour y reprendre son métier d’origine. La mère reste en France avec Daniel et son frère aîné, Gaby. […] Son père meurt en 1959, sa mère en 1963. Bac en poche, il revient en France et s’inscrit à la faculté de Nanterre »[15] où il se revendique membre d’un groupuscule libertaire, Noir et Rouge, et s’inspire des réflexions de lʼInternationale situationniste de Guy Debord, qui a été fondée en 1957, mouvement politico-artistique à l’on doit la maxime « L’humanité ne sera vraiment heureuse que le jour où le dernier bureaucrate aura été pendu avec les tripes du dernier capitaliste. » (Dossier à suivre)  

    [1]  Ibid., p. 144.

    [2]  Ibid., p. 145.

    [3]  Le nom de la branche jeunesse du PCF avant qu’elle soit rebaptisée MJCF.

    [4]  Ibid., p. 133.

    [5]  Ibid., p. 134.

    [6]  Ibid., p. 294.

    [7]  Ibid., p. 230.

    [8]  Ibid., p. 265.

    [9]  Ibid., p. 272.

    [10]  Ibid., p. 272-3.

    [11]  Ibid., p. 279.

    [12]  Jean Birnbaum, Les Maoccidents. Un néoconservatisme à la française, Paris, Stock, 2009, p. 62.

    [13]  Hervé Hamon, Patrick Rotman, op. cit., p. 76-77.

    [14]  Ibid., p. 392.

    [15]  Ibid., p. 392-393.  

     

    Retrouvez les articles de cette série en cliquant sur le lien suivant ... 

    Dossier spécial Mai 68

  • L'aventure France en feuilleton : Aujourd'hui (159), Le martyre de la cathédrale de Reims...

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    Illustration : emplacement des cinq batteries allemandes bombardant la cathédrale : Forts de Brimont et de Fresnes, villages de Vitry-lès-Reims et de Berru, Fort de la Pompelle...

     

    18 septembre 1914, "...vers huit heures quinze..." : début du martyre de la cathédrale de Reims.

    1. De Jacques Bainville, Journal (Inédit, 1914, page 94) :


    "...En s'acharnant contre la cathédrale de Reims, les Allemands savent bien ce qu'ils font. Nul peuple n'a plus qu'eux l'esprit historique et le sens de la symbolique historique. Détruire la cathédrale où étaient sacrés les rois de France, c'est une manifestation de même nature que la proclamation de l'Empire allemand dans le palais de Louis XIV à Versailles..."

    2. D'Anatole France (La Guerre Sociale, 22 septembre 1914) :


    "Les barbares ont incendié, en invoquant le dieu des chrétiens, un des plus magnifiques monuments de la chrétienté. Ils se sont ainsi couverts d’une infamie immortelle, et le nom allemand est devenu exécrable à tout l’univers pensant. Qui donc, sous le ciel, peut douter maintenant qu’ils sont les barbares et que nous combattons pour l’humanité ?..."

     

    3. De la revue "L'Illustration", numéro 3.734, 26 septembre 1914 : Bombardement de la Cathédrale de Reims, par E. Ashmead Bartlett - Récit d'un Témoin : Un des Plus Grands Crimes de l'Histoire

    Un journaliste anglais bien connu, M. E. Ashmead Bartlett, correspondant de guerre du Daily Telegraph, et trois de ses confrères américains, Richard Harding Davis, écrivain réputé, le capitaine Granville Fortescue, ancien officier de l'armée des Etats-Unis, et M. W. Gerald Dare Morgan, - ont assisté au bombardement de la cathédrale de Reims par l'artillerie allemande et à l'incendie suivi de destruction partielle qui en a été la conséquence.

    Ils ont rapporté à L'Illustration une série de photographies prises à la première heure, quand les vénérables pierres gothiques étaient encore chaudes, et M. E. Ashmead Bartlett, qui fut déjà plusieurs fois pour nous un précieux collaborateur, a résumé ici, pour nos lecteurs, son témoignage et ses impressions :

    Voici huit jours, Notre-Dame de Reims était l'une des plus fameuses et des plus belles cathédrales du monde. Avec ses innombrables sculptures, dont l'abondance n'étouffait pas, cependant, la grandeur des lignes architecturales, la façade occidentale était une merveille unique, et l'on pouvait en dire autant des sculptures qui ornaient les parois intérieures de cette même façade. Les vitraux si admirés des touristes, et principalement ceux de la grande rose de l'Ouest, entre les deux tours, où souriait, au milieu d'une cour d'anges, de rois et de patriarches, la Vierge, patronne de la basilique, comptaient parmi les plus anciens dans les églises de France.
    En ce moment, il ne demeure de cette merveille que le gros œuvre de pierre, les murailles audacieuses et la voûte qui abrite l'église. De l'admirable fouillis de statues qui animaient l'extérieur de la tour du Nord-Ouest, subsistent seulement des tronçons, des fragments; et si quelques-unes des sculptures ont échappé à la destruction, elles ont été à ce point endommagées par l'incendie qu'elles ne sont plus réparables.

    Parmi celles qui ornaient la tour du Sud-Ouest, on en distingue beaucoup qui sont sorties presque indemnes du désastre; mais d'autres se sont écroulées ou sont gravement endommagées. Quant aux belles images qui encadraient les portes, à l'intérieur de la basilique, il n'en reste qu'un amas de pierres calcinées.


    Dans le chœur, les stalles et autres boiseries, y compris la chaire du cardinal, ont été consumées. Sur les bas-côtés, les vitraux des fenêtres supérieures et inférieures ont été presque complètement ravagés; les verrières de ces chefs-d'œuvre, dont plusieurs dataient du treizième siècle, gisent sur le sol à l'état de menus fragments. Tout en respectant son cadre de pierre, la chaleur de l'incendie a endommagé sérieusement la célèbre rosace. Les toits de pierre des bas-côtés sont entièrement détruits. Enfin, des contreforts ont beaucoup souffert. L'un d'eux, sur le côté Nord-Est, a été brisé net par un obus.


    Telle est, exposée en ses grandes lignes, l'œuvre de destruction accomplie par l'armée d'un empereur qui aimait à s'intituler l'apôtre de la civilisation, et qui n'ouvrait jamais la bouche sans traiter l'Etre suprême comme son associé. La destruction de Reims occupera certainement une place des plus honorables dans l'histoire des grands crimes.

    Une question se pose à l'esprit : comment s'est accompli ce forfait et comment ses auteurs chercheront-ils à le justifier ? Je commencerai par résumer la genèse même de l'acte.
    Le 4 septembre, les Allemands pénétraient dans Reims après un premier bombardement qui avait détruit de nombreuses maisons et tué soixante habitants. Cet acte de rigueur provenait d'un malentendu : deux parlementaires allemands, chargés de négocier la reddition de la ville, n'étaient pas revenus en temps voulu. Toutefois, la cathédrale avait été épargnée.
    Le 12 septembre, durant la nuit, les troupes françaises reprirent possession de la ville. Le lendemain, elles installèrent un projecteur sur la basilique, mais l'enlevèrent presque aussitôt, après que les deux états-majors eurent convenu qu'elle ne servirait d'aucune façon aux opérations militaires. Le 37, les batteries allemandes placées près de Nogent-l'Abbesse commencèrent à bombarder Reims, et, les obus tombant dans les quartiers voisins de la cathédrale, on se prit à penser que leurs pointeurs l'avaient prise pour cible. De nombreux habitants furent tués; cependant, l'édifice ne fut que légèrement endommagé. Pour en assurer la protection, on transporta à l'intérieur 63 blessés allemands, qui furent installés sur des couches de paille dans la nef; des drapeaux de la Croix-Rouge furent arborés sur chaque tour. En outre, ces dispositions furent portées à la connaissance du commandant ennemi.
    Néanmoins, le bombardement recommença le 18, vers 8 h. 15. Cette fois, la cathédrale fut atteinte par d'énormes obus de 220, qui endommagèrent gravement les sculptures extérieures et les fenêtres inférieures du transept principal. Les verrières, datant des treizième et quatorzième siècles, volèrent en éclats. Un obus brisa une gargouille dont les débris, pénétrant par une fenêtre, tuèrent un gendarme français, en blessèrent un autre, et achevèrent deux des prisonniers blessés.
    Quand je pénétrai, l'après-midi de ce même jour, dans la cathédrale, la tristesse et la désolation de la scène m'impressionnèrent. En travers du portail gisait un vieux mendiant qui, depuis bien des années, implorait à cette même place la charité des fidèles; comme indifférent à l'effroyable drame qui se déroulait autour de lui, il était demeuré là, à demi enseveli sous les éclats de pierre et de verre, mais attendant toujours l'aumône. Le sol était couvert de débris informes; sur un tas de gravats, brillait un lustre dont la chaîne avait été coupée par un éclat d'obus. Vers le fond, les blessés allemands se blottissaient derrière les énormes piliers pour échapper à la pluie de projectiles. Une flaque de sang précisait l'endroit où le pauvre gendarme avait trouvé la mort, et, tout près, deux cadavres d'Allemands étaient étendus sur la paille. Chaque fois qu'un obus éclatait dehors, les prisonniers frissonnaient de peur, sous la pluie de débris qui tombaient du toit ou des fenêtres.
    Cette journée de vendredi s'était terminée sur un furieux combat d'artillerie. Mais, le lendemain, il parut que les Allemands étaient soudain en proie à une de ces fièvres de vandalisme qui avaient transformé Louvain en un monceau de décombres. Durant toute la matinée, leur tir s'acharna sur la cathédrale. Ce fut alors que souffrit principalement le côté Sud, près duquel sont situés le palais de l'archevêque et la fameuse salle du Tau, où avait lieu, lors du sacre des rois de France, le festin royal. Ces édifices furent complètement détruits. Plusieurs obus atteignirent la cathédrale; s'ils n'entamèrent pas les murailles, ils en détachèrent d'énormes fragments de maçonnerie. Un projectile s'abattit sur l'encoignure Nord-Est, brisant un contrefort et incendiant les poutres du toit. On peut s'étonner que ce monstrueux obus n'ait pas détruit l'édifice de fond en comble. La raison en est qu'il avait été tiré à une distance de 11 kilomètres et sous un grand angle; la force de pénétration des projectiles ainsi lancés était très réduite au moment où ils atteignaient leur but; ils arrivaient là morts, pour ainsi dire, dangereux seulement par leur explosion.
    Pendant ce bombardement, les blessés allemands étaient devenus fous de peur. Les plus valides se traînaient sur les marches des escaliers pour se réfugier dans les tours.
    Nous abordons maintenant la grande tragédie, celle dont les résultats allaient être irrémédiables. Depuis mai 1913, la tour du Nord-Ouest était en réparation, et des échafaudages l'escaladaient presque jusqu'à son sommet. Vers 4 heures, samedi soir, ces charpentes prirent feu. D'après M. l'abbé Chinot, qui se trouvait alors dans l'intérieur avec l'archevêque, le cardinal Luçon, qui, de retour du Conclave, avait regagné Reims sitôt qu'il l'avait pu, un obus serait tombé en plein sur le haut de l'échafaudage. L'incendie qui éclata instantanément aurait pu être éteint; malheureusement, le poste de pompiers le plus proche avait été détruit par un obus. Les flammes se répandirent dans le fouillis de poutres avec une rapidité incroyable; en quelques minutes, elles l'enveloppèrent d'une nappe de feu et gagnèrent les fermes de chêne des toits, qui s'enflammèrent comme des allumettes. La scène présenta un aspect d'une horreur sublime.
    A l'intérieur, le spectacle était peut-être encore plus impressionnant. Affolés, les Allemands cherchaient une issue; mais le plomb fondu qui tombait de la toiture avait incendié la paille. L'archevêque et l'abbé Chinot montrèrent le chemin aux plus valides et entraînèrent les autres vers la porte du Nord. Là, s'était rassemblée une foule qu'exaspérait l'œuvre de destruction, et les deux ecclésiastiques eurent fort à faire pour sauver la vie des prisonniers. La plupart purent être transportés dans une imprimerie voisine; mais d'autres, qui tentaient de se réfugier dans le palais de l'archevêque, furent surpris par les flammes, quelques-uns même furent assaillis par la foule indignée. On estima le nombre de ceux qui périrent à une douzaine, y compris un officier. Les autres durent leur salut au noble dévouement du cardinal et de l'abbé Chinot.
    C'est en compagnie de ce courageux prêtre que, dimanche après-midi, je pus examiner les ruines et constater l'immensité du désastre. En maints endroits, la pierre est à ce point calcinée qu'on peut, sans effort, en détacher de gros fragments. Dans la tour du Nord, une batterie de grandes cloches a complètement fondu, tandis qu'une batterie supérieure est restée intacte.
    La structure de la cathédrale n'a pas trop souffert, et je ne crois pas qu'il y ait à redouter la chute de la voûte de pierre. Certes, ce n'est pas la faute du kaiser si les murailles ne se sont pas écroulées; nous n'en rendrons grâce qu'à la distance qui séparait ses canons de cette merveille historique. Un fait certain, c'est que l'aire de destruction dans la cité rémoise s'étend autour de la cathédrale dans un rayon de 500 mètres au Nord-Est et au Sud-Ouest, et un rayon à peine moindre à l'Est et à l'Ouest. Il apparaît évident que tous les obus tombés dans cet espace étaient tirés sur la cathédrale, la seule cible que pouvaient distinguer nettement les artilleurs allemands.
    Les Vandales modernes ne peuvent apporter à leur acte ni justification ni excuse. Regrettons que l'arsenal des lois humaines n'ait pas prévu un châtiment proportionné à un tel crime. A peine pouvons-nous souhaiter que le Gilded Hun, le « Hun doré », comme nous disons en Angleterre, sente un jour s'éveiller ses remords, sous l'exécration du monde civilisé.

    E. Ashmead Bartlett

     

    Pour retrouver l'intégralité du feuilleton, cliquez sur le lien suivant : L'aventure France racontée par les Cartes...

     

    lafautearousseau

  • Éphéméride du 9 novembre

    La Salle des Rubens, au Louvre

     

     

    1600 : Marie de Médicis arrive en France 

     

    La nouvelle reine de France, seconde épouse de Henri IV - après la répudiation de la reine Margot, qui ne lui avait pas donné d'enfants (voir l'Éphéméride du 24 octobre)... - débarque à Marseille, venant de Florence, via Libourne.

    La riche et plantureuse Florentine, âgée de bientôt vingt-sept ans, arrive à Marseille sur une galère de soixante-dix pieds de long, couverte "au-dedans comme au-dehors" de nacres, de dorures et de pierreries... et escortée des quelque dix-sept autres galères du grand-duc de Toscane.

    Ci dessous, son arrivée à Marseille, par Rubens. 

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    À l'avant-plan, en plus des tritons et de Neptune, le peintre a représenté des Néréides, c'est-à-dire des nymphes marines.
    Dans une parfaite fusion entre l'histoire-réalité et l'allégorie-symbole, la reine débarquant d'une superbe galère aux armes des Médicis (très ornée et richement sculptée) est accueillie par la France en robe fleurdelisée et par la ville de Marseille, tandis que la Renommée porte la nouvelle au roi, façon de souligner l'enchaînement narratif inhérent à cette suite picturale.

    Avec une suite de deux mille chevaux elle entrera à Aix le 17 novembre suivant, en Avignon le 20, et sera à Lyon le 3 décembre.

    Le mariage devait y être célébré le 17, mais le roi Henri, impatient, se présentera dès le 9 décembre au soir à son épouse, "venu à cheval sans avoir averti personne", avec l'espoir, "n'ayant pas de lit pour la nuit, qu'elle voudrait bien lui offrir la moitié du sien".   

    Ainsi fut fait puisque, selon l'Estoile, Marie ne se trouvait évidemment là que "pour complaire et obéir  aux volontés de Sa Majesté, comme sa très humble servante...".

    En 1622, la reine Marie de Médicis commande à Rubens une suite de vingt-quatre tableaux pour décorer la galerie occidentale du premier étage de son Palais du Luxembourg à Paris (actuel Sénat).

    Cette série se trouve aujourd'hui dans une salle spéciale du Musée du Louvre, la Galerie Médicis  :

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     https://www.ac-paris.fr/serail/jcms/s2_410664/rubens-et-la-galerie-medicis-au-musee-du-louvre


         
     

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    1844 : Mort de Marie Harel

     

    9 novembre,marie de medicis,henri iv,marseille,rubens,de gaulle,colombey,notre-dame de paris,apollinaire,pere la chaiseC'est à Marie Harel, née Fontaine le 28 avril 1761, près de Vimoutiers, en Normandie que l'on doit l'invention du camembert.

    En réalité, il se fabriquait, depuis la fin du XVIIème siècle un fromage renommé dans le pays de Camembert : Thomas Corneille signale dans son Dictionnaire géographique publié en 1708 : "Vimonstiers : ... on y tient tous les lundis un gros marché où l'on apporte les excellents fromages de Livarot et de Camembert".

    Mais, là où l'affaire se corse, si l'on peut dire, c'est que Marie Harel aurait bénéficié des conseils d'un prêtre réfractaire, l'abbé Charles-Jean Bonvoust, caché vers 1796/1797 au manoir de Beaumoncel, où elle travaillait.

    Doit-on en déduire que... les royalistes sont à l'origine du camembert ? Et que, pour une fois, il ne faudrait pas parler de victime collatérale de la Révolution mais de conséquence heureuse (elles sont si rares !...) ?

    Quoi qu'il en soit, la proximité de Marie Harel et des gens de la ferme où elle travaillait avec les contre-révolutionnaires est un fait historique, et cela mérite bien d'être rappelé à chaque fois que l'on évoque ce monument de la gastronomie française.

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    1918 : Mort de Guillaume Apollinaire

     

    Ci dessous, sa tombe au Père Lachaise :

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    Engagé volontaire, le poète Guillaume Apollinaire se bat dans l'artillerie, puis comme sous-lieutenant au 96ème régiment d'infanterie. Alors qu'il vient d'avoir notification de sa naturalisation, il prend position le 14 mars au Bois des Buttes, à l'extrémité est du plateau de Craonne, au pied du Chemin des Dames. Il y est blessé, le 17, à quatre heures de l'après-midi, d'un éclat d'obus à la tempe droite.
     
    Dans son carnet il écrit :
     
    "Je lisais à découvert au centre de ma section, je lisais Le Mercure de France. À quatre heures un 150 éclate à 20 mètres, un éclat perce le casque et troue le crâne... On m'endort pour fouiller, l'éclat a enfoncé la boîte crânienne. et y est resté, on l'y laisse..."
     
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     Casque d'Apollinaire et, à gauche, un poème écrit de sa main
     
     
     
     
     

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    1970 : Mort de Charles de Gaulle

     

    Le Général s'éteint à Colombey-les-Deux-Églises, un an et demi après sa démission. Selon ses vœux, son enterrement se fait dans l'intimité, seuls les habitants du village et ses compagnons de l'Ordre de la Libération étant invités à la messe. Toutefois, la cérémonie officielle à Notre Dame de Paris rassemblera plus de 80 présidents et Chefs d'État.

    Ci dessous, l'arrivée à Notre-Dame pour le Magnificat (26 août 1944) :

     

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    "À mesure que l'âge m'envahit, la nature me devient plus proche. Chaque année, en quatre saisons qui sont autant de leçons, sa sagesse vient me consoler. Elle chante, au printemps : "Quoi qu'il ait pu, jadis, arriver, je suis au commencement ! Tout est clair, malgré les giboulées; jeune, y compris les arbres rabougris; beau, même ces champs caillouteux. L'amour fait monter en moi des sèves et des certitudes si radieuses et si puissantes qu'elles ne finiront jamais !"

    Elle proclame, en été : "Quelle gloire est ma fécondité ! À grand effort, sort de moi tout ce qui nourrit les êtres. Chaque vie dépend de ma chaleur. Ces grains, ces fruits, ces troupeaux, qu'inonde à présent le soleil, ils sont une réussite que rien ne saurait détruire. Désormais, l'avenir m'appartient !"

    En automne, elle soupire : "Ma tâche est près de son terme. J'ai donné mes fleurs, mes moissons, mes fruits. Maintenant, je me recueille. Voyez comme je suis belle encore, dans ma robe de pourpre et d'or, sous la déchirante lumière. Hélas ! les vents et les frimas viendront bientôt m'arracher ma parure. Mais, un jour, sur mon corps dépouillé, refleurira ma jeunesse !"

    En hiver, elle gémit : "Me voici, stérile et glacée. Combien de plantes, de bêtes, d'oiseaux, que je fis naître et que j'aimais, meurent sur mon sein qui ne peut plus les nourrir ni les réchauffer ! Le destin est-il donc scellé ? Est-ce, pour toujours, la victoire de la mort ? Non ! Déjà, sous mon sol inerte, un sourd travail s'accomplit. Immobile au fond des ténèbres, je pressens le merveilleux retour de la lumière et de la vie."

    Vieille Terre, rongée par les âges, rabotée de pluies et de tempêtes, épuisée de végétation, mais prête, indéfiniment, à produire ce qu'il faut pour que se succèdent les vivants !

    Vieille France, accablée d'Histoire, meurtrie de guerres et de révolutions, allant et venant sans relâche de la grandeur au déclin, mais redressée, de siècle en siècle, par le génie du renouveau !

    Vieil homme, recru d'épreuves, détaché des entreprises, sentant venir le froid éternel, mais jamais las de guetter dans l'ombre la lueur de l'espérance !"  ( Conclusion des Mémoires de guerre, t. 3, p. 290. )

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    L'immense Croix de Lorraine de Colombey-les-deux Eglises
    Sur l'origine de cette Croix, voir notre Éphéméride du 5 janvier...

     

    Pour se faire une idée des rapports plus qu'amicaux entre de Gaulle, d'une part, et Maurras et L'Action française, d'autre part, consulter nos trois grandes "Une" qui y sont consacrées (première partie : jusqu'au 3 juin 1940) :

      • Grandes "Une" de L'Action française : de Gaulle, l'AF, Maurras (Première partie, 1/3)... 1934 : Présentation élogieuse du livre "Vers l'Armée de mÃ

  • Éphéméride du 18 novembre

    1927 : Création de la Coupe du monde de football

     

     

     

     

    1548 : Le Parlement de Paris interdit la représentation des Mystères 

         

    L'évènement aura une grande conséquence car, en disparaissant, ils vont tout simplement céder toute la place... au Théâtre !

    Les Mystères représentaient généralement la Passion du Christ, ou un épisode de l'Histoire Sainte, en se nourrissant également de légendes et d'histoires populaires. Ils étaient écrits pour plusieurs dizaines, voire plusieurs centaines de personnes qu'ils mettaient en scène.

    Le document le plus irréfutable sur les Mystères, c'est la fameuse peinture de Jean Fouquet (ci dessous), une miniature, reproduisant une représentation du "Mystère de Sainte-Apolline" (vers 1450) d'Andrien de la Vigne. La scène se passe, en 249, à Alexandrie où la Sainte fut brûlée vive après avoir été torturée. 

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    Un "procès-verbal" de l'époque, compte-rendu de l'auteur-metteur en scène De la Vigne, corrobore ce que montre l'oeuvre de Fouquet.
    On peut y lire :

    "MJ = le Meneur de Jeu (l'auteur, ndlr), le livre de conduite et la baguette à la main, dirige la séance, soufflant leur texte aux uns, faisant respecter la mise en scène aux autres... L'aire de jeu, le hourt est ici terre battue. Ligotée sur une planche, Sainte Apolline est torturée par quatre bourreaux : 2 lui serrent les chevilles, un autre lui tire les cheveux. Le bourreau B lui arrache les dents avec une longue pince. A gauche, le Fou F s'est déculotté, en signe de dérision. Au fond, les échafauds en demi-cercle. Au "Premier Etage" : des loges dont seulement deux sont des mansions : le Ciel, l'Enfer (dont la Gueule d'Enfer occupe le rez-de-chaussée). Les autres loges sont occupées par le public, sauf une contenant les musiciens. La loge L est un "estal" ou "lieu". Le personnage, ici désigné par R, est sans doute le Roi. Puisqu'il joue, son fauteuil, entouré de public, est vide..."

     

     

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    1659 : Première des "Précieuses Ridicules"

     

    La comédie est représentée sur la scène du Théâtre du Petit-Bourbon, à Paris.

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    1686 : Louis XIV subit avec succès une opération délicate...
     

    Depuis le 15 janvier de la même année, le roi souffrait - de plus en plus... - d'une affection tout à fait bénigne, au départ, et qui, si elle avait été traitée correctement dès le début, n'aurait eu aucune suite : s'étant assis, dans son carrosse, sur un coussin qu'un bout de plume avait transpercé, le roi fut piqué par ce morceau de plume. Personne ne s'en émut, parmi ses chirurgiens, et lui-même, sur le coup, n'y porta pas attention.

    La douleur persistante augmentant régulièrement, on vit bien le roi malade (certains le crurent même mourant à un moment) et l'on se résolut enfin à l'opérer : ce fut son chirurgien, Charles-François Félix de Tassy, qui fut chargé de l'opération, qui s'acheva finalement, malgré quelques petites complications, par un succès total :

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    Des prières furent évidemment dites dans tout le royaume, et les Dames de Saint- Cyr (création de Mme de Maintenon) décidèrent de composer un cantique pour célébrer la guérison du roi, une fois l'opération terminée.

    La supérieure, Mme de Brinon (nièce de Mme de Maintenon) écrivit alors les vers suivant, qu’elle demanda à Lully de mettre en musique :

     

    "Grand Dieu sauve le roi !
    Longs jours à notre roi !
    Vive le roi. A lui victoire,
    Bonheur et gloire !
    Qu’il ait un règne heureux
    Et l’appui des cieux !"

     

    Les Demoiselles de Saint Cyr prirent l’habitude de chanter ce petit cantique de circonstance chaque fois que le roi venait visiter leur école.
    En 1714, Haendel, de passage à Versailles, entendit ce cantique; il le trouva si beau qu’il en nota aussitôt les paroles et la musique, puis, de retour à Londres, il demanda à un homme d'Église, Carrey, de lui traduire le petit couplet de Mme de Brinon.

    Le prêtre composa alors le God save the King (le roi étant un homme, à l'époque : Georges 1er; lorsque "le roi" est... une reine, on change évidemment "king" par "queen")


    "God save our gracious King,
    God save the King!
    Send him victorious
    Happy and glorious
    Long to reign over us,
    God save the King !"

     

     

    18 novembre,moliere,les precieuses ridicules,ledoux,arc et senans,proustHaendel offrit  au roi, comme s'il s'agissait d'une œuvre venant de lui, le court cantique des Demoiselles de Saint -Cyr. Et George 1er déclara que, dorénavant, le God save the King serait exécuté lors des cérémonies officielles.

    À noter, toutefois, que cet air n'est pas, stricto sensu, l'hymne officiel anglais, puisqu'il n'y  a pas d'hymne officiel anglais (pas plus, par exemple, que de Carte d'identité) : le God save the King n'est que l'hymne personnel, pourrait-on dire, de la famille royale britannique, même si, de facto, il joue bien ce rôle d'hymne national...

    Les Anglais peuvent dire merci à Lully !...

     
     
     
     Et, pour en revenir à l'opération elle-même :
     
     
     
     
     

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    1750 : Naissance de Guillaume-Alexandre Tronson du Coudray
     
     
    Avocat brillant et réputé, il demanda, sans pouvoir l'obtenir, l'honneur de défendre Louis XVI. Mais il défendit avec vigueur la reine Marie-Antoinette et un grand nombre de victimes de la fureur révolutionnaire : son éloquence fut telle, lors du pseudo-procès de la Reine, qu'il fut arrêté en pleine séance, ainsi que l'autre défenseur de Marie-Antoinette, Chauveau-Lagarde...
     
    "Les .deux avocats ont plaidé avec autant de zèle que d'éloquence" : ce sont les termes même du Bulletin du tribunal révolutionnaire...
     
    Emprisonné sous la Terreur, libéré, il fut élu député au Conseil des Anciens en 1795, et en devint même secrétaire. Arrêté après le Coup d'État du 18 fructidor an V pour soupçon de sympathie royaliste, et pour s’être opposé au Directoire, il fut envoyé en Guyane - appelée la guillotine sèche - où il mourut après un an de déportation, à Sinnamary.
     

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    1793 : La Convention condamne un chien à mort...
     

    On savait qu'elle n'avait pas besoin de savants (voir Lavoisier...), ni de rhinocéros (voir l'hippopotame de Louis XV tué par un révolutionnaire dans la Ménagerie de Versailles); pas de pitié non plus pour les chiens, comme en témoigne le cas de celui d'un pauvre invalide, nommé Prix, qui vivait rue Saint Nicaise, à Paris...

    Prix fut accusé de "manœuvres contre-révolutionnaires" et condamné à mort le 17 novembre 1793 (28 brumaire an II), ce qui peut encore se comprendre. Mais ce pauvre invalide vivait avec un chien, qui fut accusé de partager les opinions "réactionnaires" de son maître, car il aboyait de façon hostile à l’approche des "habits bleus" des soldats de la République. Voyant son maître mal-traité, il ne faisait que remplir son rôle de protecteur, mais la Raison, en cette époque, menait souvent à... la déraison, et même la plus grande !

    Tant et si bien que le chien fut, lui aussi, condamné à mort !

    Un chien royaliste ? Une autre victime collatérale de la Révolution, en, tout cas, comme le pauvre hippopotame de Louis XV, de la Ménagerie de Versailles ...

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    Savant, hippopotame, chien... pendant la Terreur, rien ne leur échappait ! 

               

    Bainville disait que la seule chose qui rendait supportable le récit des faits révolutionnaire était qu'on pouvait dire à chaque gredin, "toi non plus, tu n'en as plus pour longtemps"...

    Lire les archives nationales qui conservent le dossier du Tribunal révolutionnaire traitant de cette affaire, permet aussi de passer un bon moment, en lisant le procès-verbal de "l'affaire" du chien de Prix : on connaît le proverbe qui dit Mieux vaut entendre cela que d'être sourd; on pourrait l'adapter, en la circonstance: mieux vaut lire "ça" que d'être aveugle !...

    À l'époque, c'était la Guillotine et la Terreur qui tuaient, pas le ridicule !...

    "Au nom de la Loi, Aujourd’hui vingt-huit brumaire, l’an deuxième de la République Française une et indivisible. En vertu d’un jugement rendu par le tribunal révolutionnaire établi par la loi du 4 mars, qui condamne le nommé Prix, dit Saint-Prix, portant peine de mort, également par ledit jugement que le chien dudit Saint-Prix serait assommé, que ledit tribunal ayant envoyé les ordres en conséquence au Comité de surveillance de la section des Tuileries. Ledit comité désirant mettre à exécution ledit ordre, et en vertu de l’arrêté dudit comité, nous nous sommes transportés, nous, Claude-Charles Georges, commissaire dudit comité, accompagné du citoyen Pierre-Louis Hosteaux, inspecteur de police, dans une maison appelée "Le combat du Taureau", tenue par la citoyenne Macquart, où étant nous avons trouvé la citoyenne Macquart, et après lui avoir exhibé l’ordre dont nous sommes porteurs, en l’invitant de nous représenter ledit chien mentionné ci-dessus, à quoi elle s’est soumise, nous avons de suite requis le citoyen Bonneau, sergent de la

  • Éphéméride du 13 février

    La célèbre salière de François 1er, oeuvre de Benvenuto Cellini

     

     

     

    1571 : Mort de Benvenuto Cellini 

     

    Natif de Florence, Cellini ne vécut que cinq années en France, de 1540 à 1545.

    Il fait partie de cette cohorte d'artistes italiens que François premier, ébloui par toutes les beautés qu'il avait vues lors de ses expéditions en Italie, fit venir en France afin d'y donner une impulsion définitive non pas à "la Renaissance", mais à la Renaissance française : car, comme plus tard Lully ou Le Bernin - italiens eux aussi - tous ces artistes travaillèrent, avec les artistes locaux, non à la simple importation d'un art extérieur, mais à la création d'une façon française de vivre et penser la Renaissance : Léonard de Vinci, bien sûr, mais aussi Andrea del Sarto - ancêtre direct de Maxime Real del Sarte, fondateur des Camelots du Roi en 1908 - Le Boccador, Luca Penni, Rosso, Le Primatice...

    Si Léonard de Vinci et Le Boccador travaillèrent à Chambord (et Le Boccador à l'Hôtel de ville de Paris), Benvenuto Cellini, avec Luca Penni, Rosso et Le Primatice, fut essentiellement actif à Fontainebleau, à tel point qu'on a pu parler de l'Italie à Fontainebleau, ou de l'École de Fontainebleau...

    Tout à la fois dessinateur, orfèvre, fondeur, médailleur, sculpteur, Cellini appliqua les techniques et la précision de l'orfèvrerie à son travail de sculpteur. On aura dans les trois liens suivants un aperçu de son travail à Fontainebleau :  

    • http://www.louvre.fr/oeuvre-notices/la-nymphe-de-fontainebleau 

    • http://www.panoramadelart.com/galerie-francois-1er-chateau-de-fontainebleau 

    • http://expositions.bnf.fr/renais/arret/4/index2.htm 

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    La nymphe de Fontainebleau, au Musée du Louvre

    Pour en savoir un peu plus sur le travail des Italiens au Château de Fontainebleau, voir notre Éphéméride du 7 août :

    Louis VII pose la première pierre du château de Fontainebleau 

     

    Et pour en savoir un peu plus sur l'École de Fontainebleau :

    http://www.italieaparis.net/ecolefontainebleau.php 

     

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    1575 : Sacre d'Henri III

              

    Sous le titre Le dévouement de Henri III, Jacques Bainville lui consacre le quatrième des huit courts chapitres de son dernier livre - en réalité une plaquette - éditée juste après sa mort, et intitulée Les moments décisifs de l'Histoire de France.

    Du même Jacques Bainville ( Histoire de France, Chapite IX, Les guerres civiles et religieuses remettent la France au bord de la ruine ) :  

    "...Mais Charles IX, puis Henri III, ces derniers Valois décriés et injuriés plus que tous les autres souverains français, tiennent bon, à tous risques, sur le principe essentiel, le rocher de bronze de l'État : la monarchie héréditaire. C'est pour ce principe qu'Henri III, qui passe pour efféminé comme il passe pour avoir conseillé la Saint-Barthélemy, va lutter quinze ans. À la fin, il le paiera de sa vie...

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    ...La Ligue, qui eut à Paris son foyer le plus ardent, était une minorité, mais une minorité active et violente. La petite bourgeoisie, les boutiquiers irrités par la crise économique, en furent l'élément principal. Aussi n'est-on pas surpris de retrouver aux "journées" de la Ligue le caractère de toutes les révolutions parisiennes, celles du quatorzième siècle comme celles de la Fronde et de 1789...

    ...Le roi n'était plus le maître en France. La Ligue gouvernait à sa place, lui laissait à peine de quoi vivre dignement. Chassé de Paris, bafoué par les États généraux, il n'était pas plus en sûreté à Blois qu'au Louvre. On se battait jusque dans son antichambre. D'un moment à l'autre, le duc de Guise pouvait s'emparer de lui, le forcer à abdiquer, l'enfermer dans un cloître comme un obscur Mérovingien. Rien n'avait réussi à Henri III, ni l'habileté, ni les concessions, ni la tentative de coup de force dans sa capitale. Restait une suprême ressource : frapper à la tête, supprimer les Guise.

    Légalement ? Impossible d'y penser. Pour condamner les princes lorrains, le roi n'eût trouvé ni un Parlement ni un tribunal. Alors l'idée qui, à la Saint-Barthélemy, avait déjà été suggérée à Charles IX, s'imposa à l'esprit d'Henri III. Pour sauver la monarchie et l'État il n'y avait plus que l'assassinat politique. Henri III s'y résolut et Guise, averti, ne le crut même pas capable de cette audace, tant il se sentait puissant.

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    L'assassinat du Duc de Guise, dans le château de Blois...

     

    Son fameux : "Il n'oserait" était l'expression de son dédain, le mot d'un homme sûr de lui. Il logeait au château même, entouré de ses gens, et le roi était presque relégué dans "son vieux cabinet". Il fallut, pour ce drame, autant d'assurance chez Guise que d'audace chez Henri III qui ne pouvait compter que sur les quelques gentilshommes gascons qui tuèrent le duc à coups de poignard et d'épée au moment où il entrait dans la chambre du conseil (23 décembre 1588). Son frère le cardinal fut tué le lendemain, les autres membres de la famille de Lorraine et les principaux ligueurs arrêtés.

    Cet acte de violence n'eut pas le résultat que le roi espérait, car, s'il privait la Ligue de son chef, il ne la supprimait pas. Cependant c'était un acte sauveur et qui, par ses conséquences indirectes, allait porter remède à l'anarchie. Pour Henri III, tout accommodement était devenu impossible avec la Ligue qui réclamait son abdication, gouvernait Paris par le Conseil des Seize, créait pour la France le Conseil Général de l'Union, tandis que, pour sauver les apparences, un roi était ajouté à ce régime républicain et le nom de Charles X donné au cardinal de Bourbon. Ainsi la succession par ordre de primogéniture, loi fondamentale et tutélaire du royaume, était ébranlée, presque renversée. Dans ce désordre, dans cette révolution qui ruinait l'œuvre de plusieurs siècles, il n'y avait plus qu'un moyen de salut : c'était que le roi et son successeur légitime agissent de concert. Henri III et Henri de Bourbon (ci dessous) réconciliés le comprirent, sautèrent ce grand pas. Ils unirent leurs forces trois mois après le drame de Blois. L'assassinat du duc de Guise avait préparé la transmission régulière du pouvoir des Valois aux Bourbons. Il avait rendu possible le règne d'Henri IV. Cet inestimable service rendu à la France, désormais sauvée de l'anarchie et du démembrement, a été payé à Henri III par le régicide et par l'ingratitude des historiens qui n'ont retenu de lui que les injures des pamphlets catholiques et protestants.
     
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     Henri III de Navarre, lointain cousin d'Henri III de France, qui devait devenir Henri IV, le premier "roi de France et de Navarre", et asseoir la dynastie des Bourbons (voir l'Éphéméride du 7 février)...

             

    Grâce à l'armée que le Béarnais apportait à la cause royale, les troupes de la Ligue furent refoulées et les deux cousins, le roi de France et le roi de Navarre, mirent le siège devant Paris. Là régnaient une passion, une frénésie, une haine indescriptibles telles que les engendre seulement la guerre civile. Un moine fanatisé, Jacques Clément, muni d'une lettre fausse, se rendit au camp royal, à Saint-Cloud, et, introduit auprès du roi, le tua d'un coup de couteau. Les dernières paroles d'Henri III furent pour désigner Henri de Bourbon comme son héritier légitime et pour prédire sa conversion (1er août 1589).

    Henri III était mort pour une idée celle de l'État, de la monarchie, de l'unité nationale. Il n'était pas mort en vain. Par Henri IV, l'homme aux deux religions, la France allait retrouver la paix intérieure. Par ce prince politique, l'heure des "politiques", l'heure du tiers parti approchait." 

    Sur ce jour où les deux Henri III - Henri III de France et Henri III de Navarre - mirent le siège devant Paris, le roi étant mortellement frappé deux jours après, voir notre Éphéméride du 30 juillet

    Et, sur le curieux destin d'Henri III, le fils préféré de sa mère Catherine de Médicis, qui le fit élire roi de Pologne, avant que la mort de son frère ne l'amenât à quitter ce pays pour devenir roi en France, voir l'Éphéméride du 18 juillet...

     

     

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    1639 : Jean Casimir Vasa, futur roi de Pologne, est incarcéré par Richelieu dans la citadelle de Sisteron 

     

    Né à Cracovie, Jean Casimir Vasa, fils du roi de Pologne puis de Suède, se battit, avant d'être roi, aux côtés des Habsbourgs, durant la Guerre de Trente ans, contre la France de Louis XIII et de Richelieu. Il se rendait en Espagne pour prendre ses fonctions d'amiral lorsque les Français le firent prisonnier : il restera deux années dans la citadelle de Sisteron.

    13 fevrier,henri iii,bainville,valois,charles ix,saint barthelemy,ligue,fronde,paris,henri iv,bourbons,duc de berry,louis xviiiEnsuite, il fut élu roi de Pologne (ci contre, en tenue royale polonaise), mais, peu rancunier, il vint se retirer en France après son abdication en 1668, lassé par les guerres extérieures et les révoltes intérieures. Il avait épousé la veuve de son frère, Marie-Louise de Gonzague-Nevers, et exerça les fonctions d'abbé de Saint-Germain-des-Prés durant quatre années, depuis son abdication en 1668 jusqu'à sa mort, en 1672.

    Son corps fut transféré par la suite dans la crypte Vasa de la cathédrale du Wawel, à Cracovie, mais on peut toujours voir son cénotaphe dans l'abbatiale de Saint-Germain des-Prés, à Paris...

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    http://www.citadelledesisteron.fr/

    "C'est la plus puissante forteresse de mon royaume", disait Henri IV, s'exprimant déjà un peu comme le fera plus tard son petit-fils - Louis XIV - qui disait, lui, en contemplant le Théâtre romain d'Orange : "C'est la plus belle muraille de mon royaume" (voir l'Éphéméride du 27 mai)...

     

     

     

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    1787 : Mort de Charles Gravier, comte de Vergennes

     
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    "Sous son ministère, la France reprit, dans les pays étrangers, une considération politique d'autant plus solide, qu'elle était fondée sur les vertus et l'esprit de bienfaisance du comte de Vergennes. Son désir le plus vif et son zèle le plus ardent furent toujours de prévenir l'effusion du sang humain, et d'accommoder les différends qui auraient pu amener la guerre. C'est à ce pacificateur des nations que l'Europe dut la paix de Teschen, celle de 1783, et l'accommodement des disputes entre l'empereur et la Hollande." (Delandine, Dictionnaire historique, critique et bibliographique, t. 26, p 426)

    Il fut "le plus sage ministre que la France eût rencontré depuis longtemps, et le plus habile qui se trouvât aux affaires en Europe" (Albert Sorel). 

    Avec lui, Louis XVI perdait le seul grand  homme en place qui aurait pu le conseiller utilement, dans la tourmente qui allait survenir...

     

     

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    1820 : Assassinat du duc de Berry

     

  • Dans notre Éphéméride de ce jour : ”Se canto”... Patrimoine, Racines, Traditions, Beauté...

    1331 : Naissance de Gaston Phoebus 

     

     

    30 avril,bayard,françois premier,pierre terrail,marignan,garigliano,invalides,musée de l'armée,etats unis,louisiane,napoléon,bonaparte,cameronePhoebus est le nom latin d'Apollon, dieu du soleil. Gaston de Foix et de Béarn - qui prit d'ailleurs le soleil comme emblème - reçut ce surnom flatteur dès sa naissance, en raison de sa grande beauté et de son éclatante chevelure blonde.

     

    Ce n'est pas pour ses qualités politiques qu'il restera dans l'Histoire, car son action fut plutôt erratique : d'abord ami et allié du roi de France Philippe VI, il se brouilla avec son successeur Jean II le Bon, se rapprochant des Anglais, au tout début de la Guerre de Cent ans, puis se réconcilia avec Charles V, et laissa même tous ses biens en héritage à Charles VI, juste avant de mourir.

     

    Ce sont plutôt ses qualités reconnues d'homme de goût, raffiné et grand amateur d'art qui font se souvenir de cet ami de Froissart, qui écrivit de lui : 

     "J'ai vu bien des chevaliers, des rois, des princes. Mais jamais je n'en vis qui fut de si magnifique stature et de si merveilleuse prestance. Son visage était très beau, coloré et rieur. Ses yeux étaient verts et amoureux. En toutes choses il était parfait. Il aimait ce qu'il devait aimer, haïssait ce qu'il devait haïr. Il était aimable et accessible à toutes gens et il leur parlait doucement et amoureusement. Mais dans son courroux nul n'avait pardon." 

    Gaston Phoebus avait pris pour devise Toca-i se gausas  (Touches-y si tu oses, qui est encore aujourd'hui la devise des villes de Foix et d'Orthez). Grand amateur de chasse, il écrivit le Livre de chasse, qui reste l'un un des meilleurs traités médiévaux sur le sujet, et curieusement écrit en français, alors que la langue maternelle de Gaston était le béarnais : même Buffon, dans sa célébrissime Histoire naturelle y puisera de nombreuses, et précieuses, informations !

    Il composa également un Livre des oraisons, recueil de prières rédigées également en français, mais aussi - poète, grand amateur de musique et compositeur d'œuvres musicales - un recueil de chansons, le chansonnier provençal dit de Saragosse, conservant 18 pièces écrites, elles, non pas en français mais en langue d'oc.

    Une tenace tradition orale - loin d'être absurde, ou impossible... - lui attribue la paternité du magnifique chant Se canto (ou Aquelas montanhas), qui est de nos jours encore comme une sorte d'air commun, de signal de ralliement dans la beauté, la musique et le chant de tous les peuples du Midi.

    Gaston Phoebus aurait composé cette sorte d'hymne, magnifique, en l'honneur de sa première épouse, Mirabel, assassinée alors qu'elle attendait leur premier enfant, par un envoyé de Charles le Mauvais; ou alors parce qu'elle l'aurait quitté, lassée de ses infidélités; ou encore, elle aurait été contrainte de se réfugier en Navarre, loin de lui, et de l'autre côté de ces montagnes, "que tan auto soun"...

    Il existe un grand nombre de "textes" de ce chant, chaque province ayant, en quelque sorte le sien. La plus ancienne version écrite connue date de 1349, et elle est en béarnais. Nous donnons ci-après la version provençale, selon la graphie mistralienne...

     

    Refrain

      Se canto, que cante !                      S'il chante, qu'il chante !

          Canto pas pèr iéu :                          Il ne chante pas pour moi :

    Canto pèr ma miò,                           Il chante pour ma mie,

    Qu'es au liuen de iéu.                      Qui est loin de moi !

    I

    Aquéli mountagno                           Ces montagnes

     Que tan auto soun                          Qui si hautes sont

           M'empachon de vèire                       M'empêchent de voir

                      Mis amour ount soun.                      Mes amours là où elles sont.

    II

                    Auto, bèn soun auto,                        Hautes, elles ont bien hautes,

             Mai s'abeissaran                               Mais elles s'abaisseront,

    E mis amoureto                                Et mes amourettes

       Vers iéu revendran.                          Vers moi reviendront.

     III

    Souto ma fenèstro                             Sous ma fenêtre

           I'a un auceloun :                               Il y a un petit oiseau :

           Touto la niue canto,                           Toute la nuit il chante,

        Canto sa cansoun                              Il chante sa chanson

    IV

         Avau dins la plano                              En-bas, dans la plaine

            I'a'n pibòu trauca,                             Il y a un peuplier troué :

    Lou couguiéu ié canto                         Le coucou y chante

    Quand ié vai nisa.                               Quand il y va nicher.

    V

            A la font de Nimes,                              A la fontaine de Nîmes

    I'a un amelié                                       Il y a un amandier

                  Que fai de flour blanco                       Qui fait des fleurs blanches

     Au mes de janvié.                                Au mois de janvier.

               VI

         S'aquéli flour blanco                            Si ces fleurs blanches

                  Eron d'ameloun                                   Etaient de petites amandes                                                                                              (encore vertes)

               Culiriéu d'amelo                                  Je cueillerais des amandes

    Pèr iéu e pèr vous.                            Pour moi et pour vous.

     

     

  • Éphéméride du 30 avril

    1524 : Mort de Pierre Terrail, seigneur de Bayard (Musée de l'armée des Invalides : Salle des Armures)

     

     

     

     

     

     

    1331 : Naissance de Gaston Phoebus 

     

     

    30 avril,bayard,françois premier,pierre terrail,marignan,garigliano,invalides,musée de l'armée,etats unis,louisiane,napoléon,bonaparte,cameronePhoebus est le nom latin d'Apollon, dieu du soleil. Gaston de Foix et de Béarn - qui prit d'ailleurs le soleil comme emblème - reçut ce surnom flatteur dès sa naissance, en raison de sa grande beauté et de son éclatante chevelure blonde.

     

    Ce n'est pas pour ses qualités politiques qu'il restera dans l'Histoire, car son action fut plutôt erratique : d'abord ami et allié du roi de France Philippe VI, il se brouilla avec son successeur Jean II le Bon, se rapprochant des Anglais, au tout début de la Guerre de Cent ans, puis se réconcilia avec Charles V, et laissa même tous ses biens en héritage à Charles VI, juste avant de mourir.

     

    Ce sont plutôt ses qualités reconnues d'homme de goût, raffiné et grand amateur d'art qui font se souvenir de cet ami de Froissart, qui écrivit de lui : 

     "J'ai vu bien des chevaliers, des rois, des princes. Mais jamais je n'en vis qui fut de si magnifique stature et de si merveilleuse prestance. Son visage était très beau, coloré et rieur. Ses yeux étaient verts et amoureux. En toutes choses il était parfait. Il aimait ce qu'il devait aimer, haïssait ce qu'il devait haïr. Il était aimable et accessible à toutes gens et il leur parlait doucement et amoureusement. Mais dans son courroux nul n'avait pardon." 

    Gaston Phoebus avait pris pour devise Toca-i se gausas  (Touches-y si tu oses, qui est encore aujourd'hui la devise des villes de Foix et d'Orthez). Grand amateur de chasse, il écrivit le Livre de chasse, qui reste l'un un des meilleurs traités médiévaux sur le sujet, et curieusement écrit en français, alors que la langue maternelle de Gaston était le béarnais : même Buffon, dans sa célébrissime Histoire naturelle y puisera de nombreuses, et précieuses, informations !

    Il composa également un Livre des oraisons, recueil de prières rédigées également en français, mais aussi - poète, grand amateur de musique et compositeur d'œuvres musicales - un recueil de chansons, le chansonnier provençal dit de Saragosse, conservant 18 pièces écrites, elles, non pas en français mais en langue d'oc.

    Une tenace tradition orale - loin d'être absurde, ou impossible... - lui attribue la paternité du magnifique chant Se canto (ou Aquelas montanhas), qui est de nos jours encore comme une sorte d'air commun, de signal de ralliement dans la beauté, la musique et le chant de tous les peuples du Midi.

    Gaston Phoebus aurait composé cette sorte d'hymne, magnifique, en l'honneur de sa première épouse, Mirabel, assassinée alors qu'elle attendait leur premier enfant, par un envoyé de Charles le Mauvais; ou alors parce qu'elle l'aurait quitté, lassée de ses infidélités; ou encore, elle aurait été contrainte de se réfugier en Navarre, loin de lui, et de l'autre côté de ces montagnes, "que tan auto soun"...

    Il existe un grand nombre de "textes" de ce chant, chaque province ayant, en quelque sorte le sien. La plus ancienne version écrite connue date de 1349, et elle est en béarnais. Nous donnons ci-après la version provençale, selon la graphie mistralienne...

     

    Refrain

      Se canto, que cante !                      S'il chante, qu'il chante !

          Canto pas pèr iéu :                          Il ne chante pas pour moi :

    Canto pèr ma miò,                           Il chante pour ma mie,

    Qu'es au liuen de iéu.                      Qui est loin de moi !

    I

    Aquéli mountagno                           Ces montagnes

     Que tan auto soun                          Qui si hautes sont

           M'empachon de vèire                       M'empêchent de voir

                      Mis amour ount soun.                      Mes amours là où elles sont.

    II

                    Auto, bèn soun auto,                        Hautes, elles ont bien hautes,

             Mai s'abeissaran                               Mais elles s'abaisseront,

    E mis amoureto                                Et mes amourettes

       Vers iéu revendran.                          Vers moi reviendront.

     III

    Souto ma fenèstro                             Sous ma fenêtre

           I'a un auceloun :                               Il y a un petit oiseau :

           Touto la niue canto,                           Toute la nuit il chante,

        Canto sa cansoun                              Il chante sa chanson

    IV

         Avau dins la plano                              En-bas, dans la plaine

            I'a'n pibòu trauca,                             Il y a un peuplier troué :

    Lou couguiéu ié canto                         Le coucou y chante

    Quand ié vai nisa.                               Quand il y va nicher.

    V

            A la font de Nimes,                              A la fontaine de Nîmes

    I'a un amelié                                       Il y a un amandier

                  Que fai de flour blanco                       Qui fait des fleurs blanches

     Au mes de janvié.                                Au mois de janvier.

               VI

         S'aquéli flour blanco                            Si ces fleurs blanches

                  Eron d'ameloun                                   Etaient de petites amandes                                                                                              (encore vertes)

               Culiriéu d'amelo                                  Je cueillerais des amandes

    Pèr iéu e pèr vous.                            Pour moi et pour vous.

     

     

     

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    1524 : Mort de Pierre Terrail, seigneur de Bayard 

     

    Celui que tout le monde connaît comme  "le chevalier sans peur et sans reproches"  était coutumier des actions héroïques : il défendit seul, en 1503, le pont du Garigliano contre 200 ennemis; en 1515, il contribua d'une manière décisive à la victoire de Marignan (voir l'Éphéméride du 13 septembre), et François Premier voulut être armé chevalier par lui, sur le champ de bataille.

    Témoignant d'un égal courage et d'un égal héroïsme dans la défaite comme dans la victoire, il fut mortellement blessé en couvrant la retraite de l'armée le 30 avril 1524, en traversant la Siesa, après la défaite de Romagnano : avant de mourir, le connétable de Bourbon - qui venait de trahir son roi et la France - vint le saluer, et le plaindre, s'attirant une réponse cinglante : voir notre Éphéméride du 18 juillet.

    Michel Mourre écrit de lui qu'il fut le  "modèle des vertus de courage, d'honneur militaire, de générosité à l'égard de l'ennemi vaincu." 

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    Armure de Bayard au Musée de l'Armée (Hôtel des Invalides) 

    www.histoiredumonde.net/article.php3?id_article=1764 

     

     

     

  • GRANDS TEXTES (45) : Le départ, par Honoré de Balzac

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    Le 16 août 1830, Balzac est à Cherbourg pour apercevoir et saluer le Roi, Charles X, qui quitte la France, pour toujours. Un peu plus d'un an après, il écrit un très court texte, Le départ, dans lequel il définit son royalisme.

    Dans un autre de ses textes peu connus, paru dans les Contes bruns, il écrit : "Le plus beau pouvoir connu… Tout arbitraire et tout justice; le vrai roi !…"

     

    Sa doctrine est loin d’être celle des grands théoriciens traditionalistes de l’époque comme Maistre, Bonald, Ballanche ou le premier Lamennais; loin aussi de ce que sera le royalisme que Maurras voudra logiquement démontrer, prouver...

    Balzac n’invoque pas comme les premiers les justifications morales, juridiques ou métaphysiques du principe de légitimité; ni, comme le second, le fameux "la raison le veut".

    Il met en quelque sorte tout cela au second plan, puisqu’il va jusqu’à identifier légitimisme et absolutisme. Mais, bien sûr, au sens vrai de ce mot, que reprend François Bluche dans son magistral Louis XIV, et qui forme d'ailleurs notre 36ème Grand Texte : 

    La "Monarchie absolue", c'est la monarchie parfaite, par François Bluche

    Le "système" de Balzac, son royalisme, la Royauté qu'il défend et le Roi qu'il respecte, c'est un système de défense de la société. 1830 rappelait brutalement 1789, et, qui sait, pouvait rapidement se transformer en 1793...

    Le Départ

     

    Voyer-vous ce bâtiment de guerre près de la jetée ?… Le ciel est bleu ; la mer est brillante ; les rivages bordés de granit, les fortifications de granit, les forts de granit et le port de Cherbourg se découpent vivement dans la lumière.

    Y a-t-il quelques signes de désolation autour de vous ?… Non. Eh bien, la plus antique des monarchies va passer. Allons nous mêler à la foule qui se presse sur le port, et voyons ce terrible convoi.

    Voilà le roi !…

     

     

    Ce fut une sourde clameur irrésistible, échappée à toutes les lèvres, au moment où parut Charles X. – Ils ne savaient pas si bien dire !… C’est, en effet, le dernier roi de France ; après lui, peut-être y aura-t-il un roi des Français ; celui-ci est le roi de Dieu, le roi légitime, le roi comme doit être un roi, propriétaire de son trône, comme vous êtes propriétaire de votre fortune, car il y a, entre ce roi et votre fortune, d’invisibles rapports, une liaison intime dont vous vous apercevrez un jour.

    En ce moment, ce vieillard à cheveux blancs, enveloppé dans son idée, victime de son idée, et dont ni vous ni moi ne pouvons dire s’il fut imprudent ou sage, mais que tout le monde juge dans le feu du présent, sans se mettre à dix pas dans la froideur de l’avenir ; ce vieillard vous semble pauvre : hélas ! il emporte avec lui la fortune de la France ; et, pour ce pas fatal, fait du rivage au vaisseau, vous payerez plus de larmes et d’argent, vous verrez plus de désolation qu’il n’y a eu de prospérités, de rires et d’or, depuis le commencement de son règne. – Voyez-vous ce banquier, vingt fois millionnaire, qui s’apprête à faire un roi par commission, qui portera son roi en compte, qui fera la facture d’un couronnement économique, qui écrira : Tant pour avoir jeté une révolution à Rambouillet, et qui, pour sainte ampoule, trempera son roi dans l’or ? Eh bien, ce banquier insolent qui frappe sur l’épaule du roi, qui lui dira : « Dînons ensemble, je vous ferai mon héritier ; » cet homme, le type des banquiers, jouira du spectacle de cent maisons de banque ruinées et tombées les unes sur les autres comme des cartes que renverse le souffle d’un enfant.

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    Tenez, pendant que le roi part, cette diligence part aussi. Les routes sont sillonées de ses roues, elle ne roule qu’à prix d’or, il a fallu la paix et des millions pour l’établir… Dans quelques jours, le petit gouvernement pacifique de ces messagers n’existera plus… Le roi de France emporte le crédit, lui pauvre !… Mais que n’emporte-t-il pas !… Sur ce vaisseau l’accompagnent les arts en deuil.

    Sont-ce les trônes au rabais, les rois à bon marché, qui pourront semer l’or pour faire éclore des chefs-d’œuvre ? – Sont-ce cinq cents bourgeois assis sur des banquettes, et qui pensent à planter des peupliers ; sont-ce des pharmaciens occupés à réaliser la civilisation des castors ; sont-ce des philanthropes enchantés de faire manger aux autres des soupes économiques ; sont-ce des marchands d’orviétan politique et des jurés priseurs de budget, qui décréteront l’argent nécessaire aux galeries, aux musées, aux essais longtemps infructueux, aux lentes conquêtes de la pensée ou aux subites illuminations du génie ! Il y aura cependant un art dans lequel se feront de grands progrès, l’art du suicide. Il sera prouvé qu’un homme, auquel il était impossible de lever le bras au-dessus de sa tête, a pu se pendre lui-même les pieds à terre ; seulement, il sera regrettable que la Faculté n’ait pas consacré la thèse inverse, à savoir qu’il est impossible de se pendre en l’air… Hélas ! ce loyal vieillard, il emporte ma tranquillité, ma douce liberté. La patrie, représentée par des voleurs ou des transfuges, par des régicides ou des niais, se métamorphosera en un billet de garde ; et, si je vais me promener, mon billet de garde me suivra ; si je vais dans mon pays natal, trois épiciers de mon quartier me prouveront que je devais être au corps de garde, et, tribunal improvisé, me condamneront à la prison dans la plus libre des patries. La liberté dans les lois, c’est la tyrannie dans les mœurs, comme le despotisme dans les lois garantit la liberté des mœurs… Voilà le paradoxe que le départ du roi légitime rendra vérité. Quand ce vieillard et cet enfant auront mis le pied sur ce vaisseau, le peuple sera souverain, – le peuple qui ne sait pas lire ; vingt millions d’êtres à qui la royauté divine donnait du pain, demain n’en auront plus, et alors, ils traduiront leur souveraineté par un terrible mot : « Plus d’impôts ! et de l’or !… » Tous ces pâtres voudront garder leurs moutons à cheval. La souveraineté du peuple sera traduite par la classe intermédiaire, encore plus fatalement ; Elle dira : « Plus de supériorité sociale ! plus de nobles ! plus de privilèges !… »

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    Et aussitôt, plus de luxe, plus de gloire, plus de travaux !… D’un mot, ils démoliront des monuments, sans pouvoir prononcer la royale parole qui les construit. Ce combat de la médiocrité contre la richesse, de la pauvreté contre la médiocrité, n‘aura pour chefs que des gens médiocres, et l’inhabilité débordera de haut en bas sur ce pays, si riche en ce moment ; et il nous faudra payer cher l’éducation de nos nouveaux souverains, de nos nouveaux législateurs ; car ils essayeront de tout, excepté de la force ; aussi pendant quelques mois, ces mères qui ont amené sur leurs bras des enfants pour être témoins de la chute d’un enfant, et savoir comment on porte le malheur à cet âge ; toutes ces mères trembleront de revoir la Convention ; le jour où, la pairie héréditaire renversée, il n’y aura plus qu’un seul pouvoir armé, celui de la représentation nationale, il n’y aura qu’une seule chose dont on ne doutera pas : la misère !

    Tout cela sera le prix du passage de cette famille sur ce vaisseau. Trois fois tombée, la branche aînée aura trois fois ruiné la France. Qui a tort ? La France ou les Bourbons ? Je ne sais ; mais, quand ils revinrent, ils apportèrent les olives de la paix, la prospérité de la paix, et sauvèrent la France, la France déjà partagée. Ils payèrent les dettes de l’exil, ils payèrent les dettes de l’Empire et de la République. Ils versèrent si peu de sang, qu’aujourd’hui, ces tyrans pacifiques s’en vont sans avoir été défendus, parce que leurs amis ne les savaient pas attaqués. Dans quelques mois, vous saurez que, même en méprisant les rois, nous devons mourir sur le seuil de leurs palais, en les protégeant, parce qu’un roi, c’est nous-mêmes ; un roi, c’est la patrie incarnée ; un roi héréditaire est le sceau de la propriété, le contrat vivant qui lie entre eux tous ceux qui possèdent contre ceux qui ne possèdent pas. Un roi est la clef de voûte sociale ; un roi, vraiment roi, est la force, le principe, la pensée de l’Etat, et les rois sont des conditions essentielles à la vie de cette vieille Europe, qui ne peut maintenir sa suprématie sur le monde que par le luxe, les arts et la pensée. Tout cela ne vit, ne naît et ne prospère que sous un immense pouvoir.

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    Un moment viendra que, secrètement ou publiquement, la moitié des Français regrettera le départ de ce vieillard, de cet enfant, et dira : « Si la révolution de 1830 était à faire, elle ne se ferait pas. » Le singulier arrêt porté par les héros des trois journées sera toute une histoire, brève comme un mot de Tacite, et cette phrase portera ses fruits ; car les restaurations ou les révolutions ne sont jamais que l’accomplissement des pensées secrètes d’un peuple, et l’explosion des intérêts, qui tous tendent au même niveau, la paix et la sécurité. Nous pouvons reprendre pour le compte de la France le mot prononcé pendant le convoi de Paul Ier, et ceux qui savent lire notre histoire depuis quarante ans n’hésiteront pas à le répéter :

    « Les gens qui mènent par les chemins le convoi de la monarchie légitime enterreront eux-mêmes l’adjudicataire au rabais de la couronne et du pouvoir. »

    Napoléon a péri comme ces pharaons de l’Ecriture, au milieu d’une mer de sang, de soldats, de chariots brisés, et dans le vaste linceul d’une plaine de fumée ; il a laissé la France plus petite que les Bourbons ne l’avaient faite ; ceux-ci sont tombés, ne versant guère que le sang des leurs, à peine tachés du sang de gens qui avaient les armes pour la défense d’un contrat, et qui, dans la victoire, l’ont méconnu.

    Eh bien, ces souveraine laissent la France agrandie et florissante. Les preneurs à bail, qui vont essayer d’entreprendre le bonheur des peuples, apprendront à leurs dépens la signification du mot catholicisme, si souvent jeté comme un reproche à ce vieillard que nous déportons ; et, si par hasard ils gouvernent une nation qui raisonne, je leur pardonnerai l’exil et la misère de ces princes. La Providence sera pour eux.

    Voyez ce fort, là-bas, il a porté le nom de l’homme qui monte sur le vaisseau : il a déjà été débaptisé, le drapeau tricolore remplace le drapeau blanc. Maintenant, si vous n’avez pas lu sans émotion dans Walter Scott les regrets de la vieille Mérillies chassée de son village, ne donnerez-vous pas une larme à celui qui a perdu la couronne de France, et qui, pour la troisième fois, part en exil, trahi par les siens ?

    Voilà quelque chose de plus horrible à contempler que le roi, car il y a de plus un enfant repoussé !

    Comprenez-vous maintenant tout ce qu’il y a de grand, de malheureux, de terrible, de grave, de poétique, de sublime, de désespérant, de sombre, de glorieux, de national, de généreux, de sinistre, de religieux, d’intéressant, de ruineux, dans le départ de ces royales personnes ?

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    Sommes-nous au-dessus de la montagne du Roule, pour ne pas voir plus loin que les gens attroupés sur les pavés du port !

    Ces rois ont fait des fautes, sans doute ; car ils sont maintenant en pleine mer, et n’ont plus de patrie que dans le ciel.

    – Maintenant, dis-je à l’ami qui m’avait accompagné, si vous me demandez raison de cette oraison funèbre prononcée à coup sûr, je répondrai que je ne pense pas d’aujourd’hui, avec Hobbes, Montesquieu, Mirabeau, Napoléon, Jean-Jacques Rousseau, Locke et Richelieu, que, si le bien des masses doit être la pensée intime de la politique, l’absolutisme ou la plus grande somme de pouvoir possible, de quelque nom qu’on l’appelle, est le meilleur moyen d’atteindre ce grand but de sociabilité. Là-bas, dis-je en montrant le vaisseau, est le droit et la logique, hors cet esquif sont les tempêtes.

    – Nous avons l’avenir, me répondit-il, et la France ! Adieu !

     

    Décembre 1831.

     

     

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    "GRANDS TEXTES"...

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  • GRANDS TEXTES (39) : Le mythe de la jeunesse, par Pierre Boutang (Revue universelle, février 1941)

    Pierre Boutang, jeune militant d'Action français aux environs de la guerre

     

    2504458051.5.jpgCe texte s'adresse à la jeunesse d'un pays défait, vaincu et occupé, la jeunesse française, de l'hiver 1941.

    Boutang en fait lui-même partie. Il a 24 ans et l'on admirera encore aujourd'hui la puissance de ses sentiments, la vigueur de sa pensée.

    Bornons-nous à résumer son exhortation : « Désormais, nous sommes une jeunesse qui veut se situer à l'origine ». 

    Laquelle ? La France millénaire.

    En un sens, nous voici dans une situation en partie comparable, victimes d'une autre forme d'invasion, d'une autre occupation.

    Nous aussi n'aurons de salut que si nous restons un peuple qui veut se situer à l'origine

    Lafautearousseau   

    IMG 2.jpg

    Le mythe de la jeunesse a fondu sur nous avec la défaite. Et nous voilà hésitants, ignorants, bégayant des cantiques à la déesse inconnue. Nous attendons, comme dans le terrible Champ de blé aux corbeaux de Van Gogh, que la moisson pourrisse au vol noir du désastre ou que quelque chose paraisse qui donne son sens au destin.

    Aurons-nous le courage de vouloir, aurons-nous la force de chanter ?

    On nous a assez dit que nous ignorions la force et la grandeur des mythes, et c'est vrai que nous n'avions pas conçu de mythe de nous-mêmes, que nous n'avions pas de mythe de la jeunesse.

    Ce n'est pas une raison pour emprunter aux autres leurs histoires, si belles et tentantes qu'elles nous apparaissent ; car il n'y a pas de jeunesse universelle, sinon par certains caractères négatifs et indéterminés. Et ce qui parfois fait de la jeunesse une jeunesse, ce qui vient donner forme à ses pures possibilités, c'est la réalité de la nation, le destin de la nation. La jeunesse d'un pays battu n'est pas la jeunesse d'un pays vainqueur. Nous allons peut-être, grâce à un véritable État français, grâce au Chef qui incarne cet État, devenir une Jeunesse. Mais que l'on respecte notre nature propre et la particularité de notre destin. Que l'on ne nous parle pas trop de joie. La joie est conscience d'une perfection atteinte, d'un devenir accompli. « Nous sommes une jeunesse au rire dur », écrivait Henri Lagrange en 1914. Si, en 1940, nous ne sommes plus une jeunesse au rire dur, c'est que nous n'avons plus envie de rire du tout ; c'est que l'inutile sacrifice de ceux qui eurent vingt ans en 1914 n'est pas précisément quelque chose qui puisse nous inspirer de la joie — peut-être seulement un peu de fierté sombre, car nous sommes, on ne peut nous empêcher de le savoir, les fils de ces vainqueurs inutiles et douloureux.

    Plus salubre, le mot d'Alain-Fournier : « Nous ne chercherons pas le bonheur, nous avons bien autre chose à faire. »

    saintlouis_reliquaire.jpgSi nous ne voulons pas de la joie, et justement par pitié et amour de la joie qui peut-être viendra, nous ne voulons pas non plus de la force, par amour et merci de la force qui ne nous manquera peut-être pas toujours. C'est une vertu que la force, une des plus hautes, ce n'est pas un fait, ce n'est pas non plus un programme. Celle que nous voyons surgir à nos moments d'espoir, lumineuse et sereine, nous ramène au passé, et c'est Saint Louis ou c'est Bayard.

    — Et quoi ! toujours le passé ?

    Mais c'est que nous n'avons pas un passé comme les autres, et nos vertus ne sont pas comme celles des autres, nos vertus longtemps oubliées, pourtant présentes. Et cela est vrai que « s'il n'y avait pas ces Français », et ces jeunes Français, il y a des choses que Dieu fait et que personne ne comprendrait.

    Nous vous en prions, professionnels, théoriciens et flatteurs de la jeunesse, qui avez déjà essayé votre éloquence aux temps honteux de la démocratie, ne nous définissez pas par cette force abstraite, cette force indéfinie et si douloureusement absente.

    Laissez-nous, désarmés, sans pouvoir autre que sur nous-mêmes, songer librement à une force bien précise et délimitée, à une loi de force inscrite au coeur du monde et de l'histoire : à la force française. L'adversaire ne nous demande pas d'oublier cela : il a bien autre chose à faire. Il ne nous demande pas de rêver une Internationale de la Jeunesse, lui dont la jeunesse n'est forte que par les déterminations qu'elle puise dans la nation. Que serait une  jeunesse qui crierait les mythes des autres, qui parlerait de force quand elle est encore faiblesse et division, qui se placerait au terme, supposerait la tâche terminée, quand elle a le devoir de se placer à l'origine ?

    Et voilà bien le point. Nous sommes une jeunesse qui veut se situer à l'origine. Non pas à l'origine de tout, mais à l'origine de la France. Il y avait, une fois, une jeunesse de la France, une jeune possibilité qui pouvait mourir ou passer à l'acte. Et il y avait une jeune monarchie qui donnait corps et force à ce possible.

    Et parce qu'il y avait la jeunesse de la France, et ce refus et profond de la mort : le roi de France ne meurt pas, ni le roi ni la France ne meurent, il y avait une jeunesse française, innocente et hardie - non pas un mythe de la jeunesse, non pas une jeunesse en général, mais justement une jeunesse française, une jeunesse de notre pays.

    Être jeune, cela signifiait croître sans se répéter, épuiser une noble durée, à la recherche d'un point de perfection, de ce qui ne saurait se perdre ni vieillir. Cette recherche, c'était la jeunesse au sens strict : l'âge de la jeunesse. Mais la jeunesse, en un sens plus haut, c'était l'objet de la recherche et son accomplissement. Cela n'avait pas d'âge, c'était la perfection atteinte et l'instant éternel de cette perfection. Et les jeunes hommes alors savaient bien que l'idéal et le modèle, ce n'est pas le jeune homme, mais l'homme, et peut-être le vieillard : le véritable homme, celui qui n'est pas un jeune homme « prolongé », ni un jeune homme qui a manqué son but. Car la jeunesse qui n'aspire pas à l'accomplissement, qui ne veut pas s'abolir dans les perfections entrevues, ce n'est plus une flèche qui vole, c'est une flèche qui rampe, et c'est une jeunesse de mort. Et cela aussi les jeunes gens le savent, puisque leur désir le plus authentique, c'est de devenir des hommes.

    La jeunesse a donc sans cesse un autre objet que soi, qui la tourmente et la fait mûrir. Elle se supporte mal, et elle ne se supporte pas du tout. Et c'en serait fini d'elle si elle se supportait ou même se tolérait, si elle se traitait comme une chose accomplie.

    Mais sa vertu est la patience, la patience de son développement, le ferme propos de ne pas brusquer ce mouvement vers la perfection.

    Il n'y a qu'un jeune qui se devance soi-même et échappe à la loi du mûrissement : c'est le héros. Il se devance jusque dans la mort, et fait mûrir lui-même, autre soleil, le fruit âpre de sa mort Encore ne se devance-t-il ainsi que par une plus secrète patience, une attente souvent longue où la perfection lui est apparue comme l'objet de son désir : il n'est de héros que par la tradition héroïque, et les premiers héros l'ignorèrent si peu qu'ils se conçurent des modèles et s'appelèrent demi-dieux.

    Et voici que tout est devenu à la fois dur et simple pour la jeunesse de France, puisqu'il y a un biais par où tout recommence, puisque l'unité s'est retrouvée et affirmée justement à cause de ce qui la menace, puisque nous sommes au matin de tout. La seule question pour notre jeunesse est d'être française, et d'être originellement française pour ainsi dire. Elle se comprendra soi-même si elle sait comprendre la jeunesse de la France. La France n'est-elle pas maintenant plus jeune et plus ancienne que toute l'Europe ?

    Nous sommes donc, dans une Europe tourmentée et motivante, cette même jeunesse de la France capétienne, attentive seulement à son unité naissante (mais pour nous elle est renaissante et c'est notre surplus), attentive à son idée et à son espérance, avec tout à faire devant, mais avec cette certitude que cela vaut la peine d'être fait, et que Dieu n'est pas contre. Attentive à soi seulement, et au pré carré, et c'est dans ce pré seul que nous voulons danser si un jour l'envie nous en vient, et tout le fracas de l'Europe qui se déchire ne troublera pas notre idée, car nous sommes patients, têtus et désarmés. Désarmés comme à l'origine, avec seulement cette infrangible unité et cet état naissant. Et les espérances de nos pères sont devenues nos souvenirs, et nos souvenirs deviennent notre espérance, et nous sommes là dans ce jardin, dans ce coin d'Europe, et nous sommes la plus jeune jeunesse d'Europe, parce que c'est nous qui avons les plus beaux souvenirs qui sont maintenant nos plus beaux désirs.

    2000px-Arthur_Rimbaud_signature.jpgNous approfondirons tout cela chaque jour. Tout ce que nous avons aimé avant la guerre, et ce qui charma notre enfance, nous le verrons dans la perspective de cette idée, de notre idée capétienne de la vie. Même Rimbaud (signature ci contre, ndlr) nous le regagnerons, nous le reprendrons aux surréalistes, et la merveilleuse fin de la Saison en Enfer prendra pour nous son vrai sens :

    « Point de cantiques : tenir le pas gagné. Dure nuit !
    « Le sang séché fume sur ma face et je n'ai rien derrière moi que cet horrible arbrisseau.
    « Le combat spirituel est aussi brutal que la bataille d'hommes...
    « Cependant c'est la veille. Recevons tous les influx de vigueur et de tendresse réelle.
    « Et, à l'aurore, armés d'une ardente patience, nous entrerons aux splendides villes. »

    Tel le voeu de cette jeunesse, la plus moderne parce que la plus ancienne, jeunesse d'une nation maintenant la plus semblable à son origine. Point de cantiques à la jeunesse ; pas d'émerveillement, qui serait un reproche — puisque ce qu'elle veut faire elle ne l'a pas encore fait. Seulement cette promesse, cette patience ardente, ce désir de perfection qu'une recherche commune détermine et dirige.

    Au bout, le meilleur nous sera donné si nous gardons en la mémoire ceux-là qui peuvent seuls ordonner et mesurer notre mouvement : nos saints, nos frères et nos morts.  

     

     

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    "GRANDS TEXTES"...

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  • GRANDS TEXTES (14) : Le regard vide, de Jean-François Mattéi (1/3).

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    Il faut être reconnaissants à Jean-François MATTEI d’avoir écrit "Le regard vide - Essai sur l'épuisement de la culture européenne". 

    Il y dit, un grand nombre de choses tout à fait essentielles sur la crise qui affecte notre civilisation – et, bien-sûr, pas seulement la France – dans ce qu’elle a de plus profond.  

    Ce livre nous paraît tout à fait essentiel, car il serait illusoire et vain de tenter une quelconque restauration du Politique, en France, si la Civilisation qui est la nôtre était condamnée à s’éteindre et si ce que Jean-François MATTEI a justement nommé la barbarie du monde moderne devait l’emporter pour longtemps.

     

    Le regard vide - Essai sur l'épuisement de la culture européenne, de Jean-François Mattéi. Flammarion, 302 pages, 19 euros.

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    Le regard indigné (pages 135/136/137/138).

     

     

    Depuis Pic de La Mirandole et son De Dignitate homini oratio de 1486, on s’accorde à dire que la découverte majeure de l’esprit européen est celle de la dignité de l’homme. Et bien que Kant ait refusé de fonder la loi morale sur «la constitution particulière de la nature humaine » (1), pour éviter de dériver le droit du fait ou l’éthique de l’anthropologie, ce qui interdirait de formuler une législation universelle, la conception courante qui s’est imposée prétend que la dignité de l’homme serait due au seul fait qu’il est humain.

    C’est ce qu’affirme la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948 dans son article premier : « Tous les êtres humains naissent libres et égaux en dignité et en droits. » Cet énoncé purement performatif, qui devrait avoir une valeur d’engagement pour ceux qui y souscrivent, ne justifie pourtant en rien le passage du fait – la naissance biologique - au droit – la dignité morale. La majorité des peuples et des cultures a d’ailleurs ignoré cette catégorie tardive de la dignité dans le domaine de leur conception de l’homme comme dans celui du traitement qui lui était imposé. A l’aube de la civilisation européenne, la Grèce n’avait retenu de la "dignité", hè axioma, que la considération due à des fonctions politiques  supérieures en raison des charges et des honneurs liées à leur juridiction. Il en allait de même des Romains qui n’évoquèrent jamais, dans la constitution de leur droit, la dignité de l’ensemble des êtres humains, réservant le terme de dignitas à l’importance d’une responsabilité élevée à laquelle le peuple accordait son estime.

    Il semble pourtant acquis que c’est la pensée européenne qui a introduit dans l’histoire l’idéal de dignité attaché à l’homme comme être raisonnable en le détachant des êtres de la nature. La question des origines et de la légitimité de la dignité ne s’en pose pas moins : devons-nous fonder le privilège de l’homme sur les animaux par la reconnaissance d’une dignité originelle qui serait une sorte d’axiome moral, ce qui est l’un des sens du mot axioma (« considération », « dignité », « axiome ») ? Ou bien devons-nous déduire ce caractère de la dignité d’une humanité première qui serait de son côté une sorte d’axiome anthropologique ?

    Je reviendrai plus longuement sur cette question de la dignité de l’âme dans le chapitre suivant. Pour l’instant, j’avancerai l’hypothèse que le concept de dignité, problématisé tardivement à la fin du XIVème siècle avant d’être approfondi par Kant trois siècles plus tard, n’a fait son apparition dans la pensée européenne, sous la forme du soin de l’âme et du souci de la cité, qu’à partir d’un sentiment naturel d’indignation devant les injustices des hommes.

     

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    D'où vient le concept de "dignité de l'homme", problématisé tardivement au XIVème siècle ? Il n'a fait "son apparition dans la pensée européenne... qu’à partir d’un sentiment naturel d’indignation devant les injustices des hommes... La condamnation de Socrate, l’homme le plus sage et le plus juste de son temps, suscita l’indignation de Platon au point de l’inciter à se tourner vers la philosophie"

    On le constate dans l’œuvre de Platon de façon exemplaire. La Lettre VII, adressée aux amis de Dion, le neveu de Denys, le tyran de Syracuse, révèle que la condamnation de Socrate, l’homme le plus sage et le plus juste de son temps, suscita l’indignation de Platon au point de l’inciter à se tourner vers la philosophie. Ce sentiment immédiat de révolte agit comme le révélateur de la véritable justice qui se voyait ainsi bafouée par un procès inique. Mais il présentait une caractéristique singulière qui le distinguait des autres affects, comme le montreront, pour la première fois à ma connaissance, Platon et Socrate lui-même, bien qu’ils soient différemment concernés par la mort du philosophe. L’affaire Socrate deviendra ainsi pour Platon ce que seront plus tard l’affaire Calas ou l’affaire du Chevalier de la Barre pour Voltaire. C’est ici la cigüe qui servira de critère pour séparer ce qui est susceptible d’indignation et ce qui ne l’est pas. A ce titre, la pensée européenne de la révolte trouve sa source, et sa légitimité, dans l’épisode de la mort de Socrate ou, de façon plus théorique, dans l’argumentation du Phédon. Dès lors, et pour compléter Camus en ce qui concerne la question de la culture européenne, sinon celle de la condition humaine en sa totalité, il n’y a qu’un seul problème philosophique vraiment sérieux : c’est la mort. « Juger que la vie vaut ou ne vaut pas la peine d’être vécue », et j’ajouterai à ces premières lignes du Mythe de Sisyphe cette précision : quand des hommes ont été blessés dans leur dignité, c’est là, en effet, répondre à la question fondamentale de la philosophie. Et cette philosophie du sens de l’existence, dans sa préoccupation politique et morale, constitue depuis la Grèce la détermination majeure de la sensibilité et de la raison européenne.

    Dans le Gorgias, Socrate enseigne au sophiste que si des criminels portent atteinte à la vie d’un homme, « c’est cela même qui est motif à s’indigner » pour les témoins (2). Et, de façon parallèle, dans la Lettre VII, Platon, regardant en spectateur les luttes fratricides des démocrates et des oligarques, les premiers ayant condamné Socrate à mort bien qu’il se soit désolidarisé des seconds, note que des troubles violents bouleversèrent Athènes à cette époque au point de révolter tous les honnêtes gens. Platon en tirera la conséquence que l’on sait et qui est au principe de la conception européenne de la politique, vouée à la critique radicale de l’état de choses présent et à la constitution espérée de la cité idéale.

    Il fera un éloge de la philosophie qui est le seul critère que le citoyen doit suivre pour « reconnaître ce qui est juste dans les affaires de la cité comme dans celles des particuliers » (3). Platon découvre en effet le double visage de la critique rationnelle dirigée contre la vie en communauté qui nous est imposée par des évènements douloureux. D’une part, la critique est une dénonciation universelle des injustices, qu’elles soient le fait des démocrates, qui n’avaient pas la faveur de Platon, ou des Trente Tyrans, auxquels Platon était lié par son oncle Critias.  Et cette dénonciation sera si décisive que toutes les cités existantes se verront récusées du fait de leur régime politique défectueux et de leur corruption incurable.

    Mais, d’autre part, la critique est une affirmation tout aussi universelle d’un idéal de justice auquel l’ensemble des cités, quel que soit le lieu et le temps, doivent se soumettre afin d’instaurer un ordre, que l’Europe comprendra parfois comme utopique, de sorte que les philosophes pourront devenir rois et les rois philosophes. Pour la première fois dans l’histoire humaine, la sagesse du savoir s’unirait enfin à la force du pouvoir. Aussi Platon rédigera-t-il les premiers textes de philosophie politique, avec La République, le Politique et Les Lois, pour tenter d’édifier sous une forme rationnelle une cité harmonieuse où les hommes vivraient en commun sous l’égide de la justice.

     

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    Marc-Aurèle (121 - 180, Empereur à partir de 161).
    Philosophe stoïcien, il incarna le rêve de Platon
    "d’un idéal de justice auquel l’ensemble des cités, quel que soit le lieu et le temps, doivent se soumettre afin d’instaurer un ordre, que l’Europe comprendra parfois comme utopique, de sorte que les philosophes pourront devenir rois et les rois philosophes."

     

     

    Cette approche théorique de la vie publique – qui devrait être partagé selon la leçon de l’adage pythagoricien : « Entre amis tout est commun »- instaure un regard doublement distancié à l’égard de la réalité de l’injustice comme à celui de l’idéalité de la justice. C’est Socrate, quelques minutes avant  sa mort, qui nous livre le premier regard. Il répond en effet aux plaintes de ses amis qui justifient leurs pleurs en disant que « c’est aux hommes sensés de s’indigner de mourir alors que les insensés s’en réjouissent » (4). Non, corrige Socrate ; l’homme sage, même s’il est injustement condamné par les lois de son pays, ne doit pas se livrer à la colère, mais accepter de mourir avec dignité : « Je vous quitte sans éprouver ni peine ni indignation » (5).

    Seuls les hommes qui se trouvent en position de spectateurs, à l’image des compagnons de Socrate dans sa prison, sont susceptibles de s’indigner d’une injustice dont ils sont les témoins, précisément parce que leur impuissance les tient à distance d’une mort qui ne les frappe pas personnellement. L’acteur du drame, en l’occurrence Socrate, ne peut pas s’indigner dans la mesure où il est la victime d’un déni de justice qui l’a condamné à mort. L’homme qui va mourir n’a ni le recul ni le temps pour juger la situation dans laquelle il se trouve, et il a autre chose à penser qu’à se révolter de son sort. Il lui suffit d’affronter directement la mort et, peut-être, à travers elle, d’espérer accéder à un monde plus juste pour lequel, précisément, il a donné sa vie.

    C’est reconnaître, sans doute pour la première fois dans la littérature mondiale, que le regard du spectateur, quand il est engagé dans le combat politique, ne réussit à prendre conscience du mal qu’à la condition de se tenir à distance de l’injustice. Socrate accepte librement la mort et ne s’indigne pas de son sort parce qu’il vit déjà dans la justice ; ses compagnons refusent cette mort et s’indignent d’un crime dont ils ne ressentent l’injustice que parce qu’ils en sont les témoins. Toute l’Europe aura désormais pour l’injustice les yeux du spectateur avant de prétendre aux gestes de l’acteur (6).

     

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    La mort de Socrate, par David.
    "Socrate accepte librement la mort et ne s’indigne pas de son sort parce qu’il vit déjà dans la justice..."
     
     
     

               

    (1)    : E. Kant, Fondements de la métaphysique des mœurs (1785), 2ème section, Paris, Delagrave, 1964, page 144. Souligné par Kant. 

    (2)     : Platon, Gorgias, 511 b

    (3)     : Platon, Lettre VII, 326 a.

    (4)     : Platon, Phédon, 62 e.

    (5)     : Platon, Phédon, 69 d.

    (6)    : Pour une analyse de ces questions, je renvoie à mon ouvrage, De l’indignation, Paris, La Table Ronde, 2005.

     

     

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