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GRANDS TEXTES (45) : Le départ, par Honoré de Balzac

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Le 16 août 1830, Balzac est à Cherbourg pour apercevoir et saluer le Roi, Charles X, qui quitte la France, pour toujours. Un peu plus d'un an après, il écrit un très court texte, Le départ, dans lequel il définit son royalisme.

Dans un autre de ses textes peu connus, paru dans les Contes bruns, il écrit : "Le plus beau pouvoir connu… Tout arbitraire et tout justice; le vrai roi !…"

 

Sa doctrine est loin d’être celle des grands théoriciens traditionalistes de l’époque comme Maistre, Bonald, Ballanche ou le premier Lamennais; loin aussi de ce que sera le royalisme que Maurras voudra logiquement démontrer, prouver...

Balzac n’invoque pas comme les premiers les justifications morales, juridiques ou métaphysiques du principe de légitimité; ni, comme le second, le fameux "la raison le veut".

Il met en quelque sorte tout cela au second plan, puisqu’il va jusqu’à identifier légitimisme et absolutisme. Mais, bien sûr, au sens vrai de ce mot, que reprend François Bluche dans son magistral Louis XIV, et qui forme d'ailleurs notre 36ème Grand Texte : 

La "Monarchie absolue", c'est la monarchie parfaite, par François Bluche

Le "système" de Balzac, son royalisme, la Royauté qu'il défend et le Roi qu'il respecte, c'est un système de défense de la société. 1830 rappelait brutalement 1789, et, qui sait, pouvait rapidement se transformer en 1793...

Le Départ

 

Voyer-vous ce bâtiment de guerre près de la jetée ?… Le ciel est bleu ; la mer est brillante ; les rivages bordés de granit, les fortifications de granit, les forts de granit et le port de Cherbourg se découpent vivement dans la lumière.

Y a-t-il quelques signes de désolation autour de vous ?… Non. Eh bien, la plus antique des monarchies va passer. Allons nous mêler à la foule qui se presse sur le port, et voyons ce terrible convoi.

Voilà le roi !…

 

 

Ce fut une sourde clameur irrésistible, échappée à toutes les lèvres, au moment où parut Charles X. – Ils ne savaient pas si bien dire !… C’est, en effet, le dernier roi de France ; après lui, peut-être y aura-t-il un roi des Français ; celui-ci est le roi de Dieu, le roi légitime, le roi comme doit être un roi, propriétaire de son trône, comme vous êtes propriétaire de votre fortune, car il y a, entre ce roi et votre fortune, d’invisibles rapports, une liaison intime dont vous vous apercevrez un jour.

En ce moment, ce vieillard à cheveux blancs, enveloppé dans son idée, victime de son idée, et dont ni vous ni moi ne pouvons dire s’il fut imprudent ou sage, mais que tout le monde juge dans le feu du présent, sans se mettre à dix pas dans la froideur de l’avenir ; ce vieillard vous semble pauvre : hélas ! il emporte avec lui la fortune de la France ; et, pour ce pas fatal, fait du rivage au vaisseau, vous payerez plus de larmes et d’argent, vous verrez plus de désolation qu’il n’y a eu de prospérités, de rires et d’or, depuis le commencement de son règne. – Voyez-vous ce banquier, vingt fois millionnaire, qui s’apprête à faire un roi par commission, qui portera son roi en compte, qui fera la facture d’un couronnement économique, qui écrira : Tant pour avoir jeté une révolution à Rambouillet, et qui, pour sainte ampoule, trempera son roi dans l’or ? Eh bien, ce banquier insolent qui frappe sur l’épaule du roi, qui lui dira : « Dînons ensemble, je vous ferai mon héritier ; » cet homme, le type des banquiers, jouira du spectacle de cent maisons de banque ruinées et tombées les unes sur les autres comme des cartes que renverse le souffle d’un enfant.

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Tenez, pendant que le roi part, cette diligence part aussi. Les routes sont sillonées de ses roues, elle ne roule qu’à prix d’or, il a fallu la paix et des millions pour l’établir… Dans quelques jours, le petit gouvernement pacifique de ces messagers n’existera plus… Le roi de France emporte le crédit, lui pauvre !… Mais que n’emporte-t-il pas !… Sur ce vaisseau l’accompagnent les arts en deuil.

Sont-ce les trônes au rabais, les rois à bon marché, qui pourront semer l’or pour faire éclore des chefs-d’œuvre ? – Sont-ce cinq cents bourgeois assis sur des banquettes, et qui pensent à planter des peupliers ; sont-ce des pharmaciens occupés à réaliser la civilisation des castors ; sont-ce des philanthropes enchantés de faire manger aux autres des soupes économiques ; sont-ce des marchands d’orviétan politique et des jurés priseurs de budget, qui décréteront l’argent nécessaire aux galeries, aux musées, aux essais longtemps infructueux, aux lentes conquêtes de la pensée ou aux subites illuminations du génie ! Il y aura cependant un art dans lequel se feront de grands progrès, l’art du suicide. Il sera prouvé qu’un homme, auquel il était impossible de lever le bras au-dessus de sa tête, a pu se pendre lui-même les pieds à terre ; seulement, il sera regrettable que la Faculté n’ait pas consacré la thèse inverse, à savoir qu’il est impossible de se pendre en l’air… Hélas ! ce loyal vieillard, il emporte ma tranquillité, ma douce liberté. La patrie, représentée par des voleurs ou des transfuges, par des régicides ou des niais, se métamorphosera en un billet de garde ; et, si je vais me promener, mon billet de garde me suivra ; si je vais dans mon pays natal, trois épiciers de mon quartier me prouveront que je devais être au corps de garde, et, tribunal improvisé, me condamneront à la prison dans la plus libre des patries. La liberté dans les lois, c’est la tyrannie dans les mœurs, comme le despotisme dans les lois garantit la liberté des mœurs… Voilà le paradoxe que le départ du roi légitime rendra vérité. Quand ce vieillard et cet enfant auront mis le pied sur ce vaisseau, le peuple sera souverain, – le peuple qui ne sait pas lire ; vingt millions d’êtres à qui la royauté divine donnait du pain, demain n’en auront plus, et alors, ils traduiront leur souveraineté par un terrible mot : « Plus d’impôts ! et de l’or !… » Tous ces pâtres voudront garder leurs moutons à cheval. La souveraineté du peuple sera traduite par la classe intermédiaire, encore plus fatalement ; Elle dira : « Plus de supériorité sociale ! plus de nobles ! plus de privilèges !… »

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Et aussitôt, plus de luxe, plus de gloire, plus de travaux !… D’un mot, ils démoliront des monuments, sans pouvoir prononcer la royale parole qui les construit. Ce combat de la médiocrité contre la richesse, de la pauvreté contre la médiocrité, n‘aura pour chefs que des gens médiocres, et l’inhabilité débordera de haut en bas sur ce pays, si riche en ce moment ; et il nous faudra payer cher l’éducation de nos nouveaux souverains, de nos nouveaux législateurs ; car ils essayeront de tout, excepté de la force ; aussi pendant quelques mois, ces mères qui ont amené sur leurs bras des enfants pour être témoins de la chute d’un enfant, et savoir comment on porte le malheur à cet âge ; toutes ces mères trembleront de revoir la Convention ; le jour où, la pairie héréditaire renversée, il n’y aura plus qu’un seul pouvoir armé, celui de la représentation nationale, il n’y aura qu’une seule chose dont on ne doutera pas : la misère !

Tout cela sera le prix du passage de cette famille sur ce vaisseau. Trois fois tombée, la branche aînée aura trois fois ruiné la France. Qui a tort ? La France ou les Bourbons ? Je ne sais ; mais, quand ils revinrent, ils apportèrent les olives de la paix, la prospérité de la paix, et sauvèrent la France, la France déjà partagée. Ils payèrent les dettes de l’exil, ils payèrent les dettes de l’Empire et de la République. Ils versèrent si peu de sang, qu’aujourd’hui, ces tyrans pacifiques s’en vont sans avoir été défendus, parce que leurs amis ne les savaient pas attaqués. Dans quelques mois, vous saurez que, même en méprisant les rois, nous devons mourir sur le seuil de leurs palais, en les protégeant, parce qu’un roi, c’est nous-mêmes ; un roi, c’est la patrie incarnée ; un roi héréditaire est le sceau de la propriété, le contrat vivant qui lie entre eux tous ceux qui possèdent contre ceux qui ne possèdent pas. Un roi est la clef de voûte sociale ; un roi, vraiment roi, est la force, le principe, la pensée de l’Etat, et les rois sont des conditions essentielles à la vie de cette vieille Europe, qui ne peut maintenir sa suprématie sur le monde que par le luxe, les arts et la pensée. Tout cela ne vit, ne naît et ne prospère que sous un immense pouvoir.

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Un moment viendra que, secrètement ou publiquement, la moitié des Français regrettera le départ de ce vieillard, de cet enfant, et dira : « Si la révolution de 1830 était à faire, elle ne se ferait pas. » Le singulier arrêt porté par les héros des trois journées sera toute une histoire, brève comme un mot de Tacite, et cette phrase portera ses fruits ; car les restaurations ou les révolutions ne sont jamais que l’accomplissement des pensées secrètes d’un peuple, et l’explosion des intérêts, qui tous tendent au même niveau, la paix et la sécurité. Nous pouvons reprendre pour le compte de la France le mot prononcé pendant le convoi de Paul Ier, et ceux qui savent lire notre histoire depuis quarante ans n’hésiteront pas à le répéter :

« Les gens qui mènent par les chemins le convoi de la monarchie légitime enterreront eux-mêmes l’adjudicataire au rabais de la couronne et du pouvoir. »

Napoléon a péri comme ces pharaons de l’Ecriture, au milieu d’une mer de sang, de soldats, de chariots brisés, et dans le vaste linceul d’une plaine de fumée ; il a laissé la France plus petite que les Bourbons ne l’avaient faite ; ceux-ci sont tombés, ne versant guère que le sang des leurs, à peine tachés du sang de gens qui avaient les armes pour la défense d’un contrat, et qui, dans la victoire, l’ont méconnu.

Eh bien, ces souveraine laissent la France agrandie et florissante. Les preneurs à bail, qui vont essayer d’entreprendre le bonheur des peuples, apprendront à leurs dépens la signification du mot catholicisme, si souvent jeté comme un reproche à ce vieillard que nous déportons ; et, si par hasard ils gouvernent une nation qui raisonne, je leur pardonnerai l’exil et la misère de ces princes. La Providence sera pour eux.

Voyez ce fort, là-bas, il a porté le nom de l’homme qui monte sur le vaisseau : il a déjà été débaptisé, le drapeau tricolore remplace le drapeau blanc. Maintenant, si vous n’avez pas lu sans émotion dans Walter Scott les regrets de la vieille Mérillies chassée de son village, ne donnerez-vous pas une larme à celui qui a perdu la couronne de France, et qui, pour la troisième fois, part en exil, trahi par les siens ?

Voilà quelque chose de plus horrible à contempler que le roi, car il y a de plus un enfant repoussé !

Comprenez-vous maintenant tout ce qu’il y a de grand, de malheureux, de terrible, de grave, de poétique, de sublime, de désespérant, de sombre, de glorieux, de national, de généreux, de sinistre, de religieux, d’intéressant, de ruineux, dans le départ de ces royales personnes ?

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Sommes-nous au-dessus de la montagne du Roule, pour ne pas voir plus loin que les gens attroupés sur les pavés du port !

Ces rois ont fait des fautes, sans doute ; car ils sont maintenant en pleine mer, et n’ont plus de patrie que dans le ciel.

– Maintenant, dis-je à l’ami qui m’avait accompagné, si vous me demandez raison de cette oraison funèbre prononcée à coup sûr, je répondrai que je ne pense pas d’aujourd’hui, avec Hobbes, Montesquieu, Mirabeau, Napoléon, Jean-Jacques Rousseau, Locke et Richelieu, que, si le bien des masses doit être la pensée intime de la politique, l’absolutisme ou la plus grande somme de pouvoir possible, de quelque nom qu’on l’appelle, est le meilleur moyen d’atteindre ce grand but de sociabilité. Là-bas, dis-je en montrant le vaisseau, est le droit et la logique, hors cet esquif sont les tempêtes.

– Nous avons l’avenir, me répondit-il, et la France ! Adieu !

 

Décembre 1831.

 

 

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