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Rechercher : Rémi Hugues. histoire & action française. Rétrospective : 2018 année Maurras

  • Cardinal Sarah : « Si les dirigeants de l’Occident se résignent à la tiédeur et oublient ses racines chrétiennes, ils le

     

    blue-wallpaper-continuing-background-wallpapers-bigest-images - Copie.jpgTout le monde n'a pas lu ou ne lira pas cet entretien donné par le cardinal Sarah à Atlantico, hier 8 avril. Pourtant, il doit être lu - raison pour laquelle nous avons décidé de le reprendre ici - tant les déclarations de ce haut prélat de l'Église catholique nous paraissent importantes pour la France et pour l'Occident. Tant ses analyses tranchent avec le discours le plus courant de l'Église d'aujourd'hui, hélas délétère, y compris celui du pape François. « Laissons François » répond le cardinal Sarah - et on le comprend ! - à une question de Jean-Sébastien Ferjou. À propos de ce dernier, disons qu'il nous paraît être l'un des journalistes les plus brillants de sa génération et l'un des débatteurs les plus lucides des plateaux de télévision. Ici, avec le cardinal Sarah, il se trouve à une autre altitude.  lafautearousseau

    GRAND ENTRETIEN - A l'occasion de la parution de l'ouvrage « Le soir approche et déjà le jour baisse »  publié aux éditions Fayard, le cardinal Robert Sarah se livre à Atlantico. Première partie d'un entretien en deux volets.

    2ff6842cf58019c057615601d7ce8403.jpgJean-Sébastien Ferjou : Eminence, vous parlez de la crise de l'Eglise, vous en analysez les différents symptômes, puis vous parlez de la crise de l'Occident. Vous utilisez deux images, celle de l'homme riche qui suit Jésus jusqu'au moment où Jésus lui demande de renoncer à sa fortune, ce que cet homme refuse parce qu'il a trop de biens. Et une autre : « Le monde moderne a renié Dieu car il ne voulait pas voir son image reflétée dans les yeux de Jésus. Mais s'il refuse de se laisser regarder, il finira comme Jésus dans le désespoir. Tel est le signe de la crise contemporaine de la foi » . L'Occident n'a plus voulu de ces renoncements au confort matériel ou moral et n’a plus accepté de se laisser regarder dans cette posture. Diriez-vous que l'Eglise est en crise parce qu'elle est trop occidentale ? Ou que l’occident est en crise car le christianisme l’est aussi ?

    Cardinal Robert Sarah : Je peux me tromper, mais moi je ne distingue pas l'Occident de l'Eglise. L'Occident est chrétien, a été façonné par le christianisme. Sa culture, son art, sa vision de l'homme sont chrétiens. La crise de l'Eglise est en même temps la crise de l'Occident. La crise de l'Occident est en même temps celle de l'Eglise. Nous ne pouvons pas logiquement séparer les deux. Pour moi, comme Africain, l'Occident a été créé par le christianisme, même si on refuse les racines chrétiennes de l'Occident aujourd'hui. Mais on ne peut pas nier cette culture, ce que vous êtes. Votre art, votre musique, tout est chrétien. Les deux s'influencent. L'Occident n'est pas quelque chose en l'air.

    Beaucoup de prêtres ne sont plus occidentaux aujourd'hui…

    Bien sûr. Mais l'Occident c'est le christianisme, qu'il soit protestant ou catholique. La culture, l'art, la pensée sont chrétiens. Les deux crises sont contemporaines et corrélées. Car l'Eglise, c'est vous, les prêtres comme les laïcs.

    6a00d83451619c69e201b8d2350b06970c.jpgIl y a aussi de nombreux croyants chinois, sud-américains ou africains…

    Oui, mais si nous sommes chrétiens ailleurs dans le monde qu’en Europe, c'est parce que l'Occident nous a apporté le christianisme. La mission de l'Occident n'est pas pour moi le fruit du hasard. Dieu l'a voulue ainsi. C'est vous qui avez envoyé des missionnaires partout. On ne peut donc pas vous séparer de l'Eglise. La crise de l'Occident est donc contemporaine de la crise de l'Eglise. C'est parce que l'Eglise s'est affaissée que l'Occident s'est affaissé. Et réciproquement. Qui témoigne de l'Evangile dans la politique ? Ce n'est pas le prêtre mais les laïcs. Qui témoigne de l'Evangile dans l'économie ? Ce n'est pas le prêtre mais aussi les laïcs.

    Justement, trouvez-vous que les catholiques français - peut-être par une mauvaise compréhension de la laïcité - ont renoncé à la part de témoignage dont ils devraient être porteurs en masquant leur identité catholique pour ne pas heurter les autres ?

    La laïcité à la française est une parfaite contradiction : vous êtes essentiellement façonnés par l'Eglise. Vous ne pouvez pas dire je suis laïc dans la société et je suis chrétien à l'Eglise, c'est ridicule. Un homme ne peut pas être divisé : il est Un à tout point de vue, en toutes circonstances. Un Français à l'Eglise est aussi un Français en politique. C'est une incohérence que d’imaginer l’inverse. La foi est une réalité intime mais elle doit aussi être vécue en famille et dans la société au sens large.

    Pensez-vous que les évêques français se sont trop retirés du débat public ?

    Ils n'ont pas à participer à la politique en tant que telle. Mais ils doivent défendre les valeurs chrétiennes, les valeurs de la vie, les valeurs de la morale, c'est leur devoir. Ils doivent défendre ce que Dieu leur dit de défendre.  Ils doivent dire ce que Dieu demande de nous. Tout ce qui est dans les commandements – tu ne tueras pas, tu ne voleras pas, tu ne commettras pas d'adultère – ils doivent le répéter aux gens. Ils doivent dire que le mariage est un mariage entre un homme et une femme. Ils doivent dire qu'il ne doit pas y avoir de divorce car personne ne peut se marier pour casser sa famille. Ceci est valable pour les chrétiens mais aussi pour toute la société.

    Vous évoquiez ce qu'on appelle en France le « Mariage pour tous »  ou les problématiques de filiation qui en découlent - PMA, GPA. L'Eglise s’est-elle montrée suffisamment aimante envers les personnes différentes ? L'Eglise n'a-t-elle pas aussi sa part de responsabilité dans la montée des revendications sociétales faute d’avoir su écouter et accueillir des chrétiens ou des non-chrétiens aux trajectoires de vie moins évidentes ? Sans céder sur ses enseignements bien sûr mais en ne se montrant pas excluante.

    Je pense qu'il faut faire une distinction entre l’Eglise et ceux qui l’incarnent. Moi je peux être un mauvais prêtre. Mais regardez qui m'a donné mon sacerdoce : c'est Jésus. Lui demande la même chose à tous de la même manière. Même s'il y a une défaillance au niveau des prêtres ou des évêques, le message de fond, lui, ne change pas. Et c'est ce que je dis aux gens : si moi je suis défaillant, portez votre regard sur le Christ.

    Mais sur le Mariage pour tous, je demeure persuadé qu’il était essentiel pour l’Eglise de défendre l’ordre naturel des choses. Car c’est celui voulu par Dieu.

    Vous expliquez que les Occidentaux opposent leur liberté à cet ordre naturel dont vous venez de parler, qu'ils font entrer la liberté en concurrence avec la loi naturelle, ce qui est finalement ne pas comprendre la nature réelle de la liberté…

    On a perdu le sens de la liberté. La liberté, ce n'est pas suivre ses tendances, ses instincts sans recul. La liberté, c'est chercher la vérité, c'est chercher le bien-être, pas seulement personnel mais de tous. La liberté ne revient pas à casser celle de l'autre. Au contraire, ma liberté me contraint à nouer des relations dans lesquelles je respecte l'autre. Quand vous conduisez dans la rue, votre liberté est freinée par le feu rouge. Si vous continuer à aller tout droit, vous écrasez des gens. Aucune liberté n'est totale. Toute liberté est freinée. Et de ce point de vue, la loi naturelle n’est pas une entrave : c’est la grammaire de notre nature.

    L'œcuménisme, le dialogue interreligieux sont des valeurs très occidentales. Vous dites qu'on les a beaucoup transformées en irénisme, en une sorte de niaiserie. Avez-vous été frappé par la déclaration du pape François qui a lancé un appel avec le roi du Maroc à la liberté de culte à Jérusalem, en oubliant peut-être de préciser qu'il faudrait aussi que la liberté de culte soit respectée dans les pays arabes – particulièrement dans le Golfe ? Le pape accepte que les chrétiens ne fassent pas de prosélytisme pour donner des gages de sa volonté pacifique mais ne réclame pas la pareille aux musulmans avec lesquels il s’entretient.

    27854821810_040f50fdd8_o.jpgLaissons de côté François. L'œcuménisme, qu'est-ce que c'est ? Le Christ a voulu que nous soyons un. Cela ne signifie pas que pour dialoguer avec mon vis-à-vis, je dois renoncer à ce que je suis. La liberté, ce n'est pas cacher ma foi catholique, mes doctrines à moi, celles que j'ai reçues depuis mon baptême, tout ça pour m'accorder avec des anglicans, des protestants. Ce n'est pas ça. L’œcuménisme, c'est de réfléchir ensemble à la question : qu'est-ce que Dieu demande à nous autres croyants ?

    Le dialogue interreligieux est autre chose, il signifie de trouver des terrains d'entente pour ne pas se disputer, pour que chacun respecte la foi de l'autre. Mais si je crois que ma foi est meilleure, pourquoi ne pas la proposer à celui qui a une autre foi que moi ? Je ne lui impose rien, je lui expose juste ce que me dit ma foi, qui est Jésus pour moi. Mais si je cache mon identité et ma foi, ce n'est plus un dialogue et on se trompe alors l'un l'autre.

    Vous dites d'ailleurs qu'il faut proposer aux migrants notre foi chrétienne, pas l'imposer, la charité doit être gratuite, mais qu'il faut proposer notre identité…

    Si je reçois quelqu'un, je lui donne le meilleur de moi-même, ce que j'ai de plus beau. Or, si je donne aux migrants uniquement un toit, du travail, des médicaments… et que je lui cache ce qui fait vraiment un homme, son ouverture au transcendant, je le prive. Pourquoi ne pas proposer au migrant ma foi chrétienne ? Je ne lui impose absolument pas, je lui dis seulement : c'est une très bonne possibilité pour ton salut.

    Au-delà de ce que nous proposons aux migrants, je suis troublé par ce renoncement de l’Occident à sa propre identité. Non seulement, nous ne savons plus expliquer aux autres qui nous sommes mais nous ne le savons souvent plus nous-mêmes.

    Je crois que l'Occident pourra disparaitre s'il oublie ses racines chrétiennes. Les barbares sont déjà là, en son sein. Et ils lui imposeront leur culture, ils lui imposeront leur religion, leur vision de l'homme, leur vision morale si l’Occident n’a plus qu’un ventre mou et fuyant à leur opposer.

    Est-ce qu'une telle mort de l'Occident signifierait une mort de l'Eglise ?

    Cette mort de l'Occident pourrait entrainer la mort de l'humanité. L'Occident a eu la révélation divine par les apôtres, Pierre, Paul. Ils ont changé l'humanité et l'homme. Ici à Rome, dans l’Antiquité, les gens s'entretuaient et envoyaient des hommes se faire dévorer par les lions. Il n'y avait aucun sens de l'homme. L'Eglise a inculqué ce sens de l'homme aux Romains. Et l'Occident a changé. Il y avait l'esclavage. Beaucoup d'hommes religieux ont dit : ce n'est pas juste et l’Occident a été le premier dans le monde à y renoncer. Si l'Occident disparaissait parce que disparaissent ses racines, le monde changerait terriblement.

    Vous écrivez que le Seigneur est sans miséricorde envers les tièdes, vous revenez plusieurs fois sur cette idée et on sent que c'est quelque chose qui vous est cher. Vous citez d’ailleurs Charles Péguy : « Il y a quelque chose de pire que d'avoir une mauvaise pensée, c'est d'avoir une pensée toute faite. Il y a quelque chose de pire que d'avoir une âme perverse, c'est d'avoir une âme habituée » . Pensez-vous que ceux qui se définissent comme progressistes, comme défenseurs de la démocratie et du Bien, que ce soit Emmanuel Macron en France ou ceux qui s'opposent aux populistes en Italie - sont dans une pensée courageuse ou dans une forme de pensée tiède, de pensée habituée ?

    Je crois que si ceux qui dirigent l'Occident, ceux qui veulent le conduire, le font sans –voire contre - le christianisme alors ils deviennent tièdes et conduisent l'Occident à sa perte. Sans cette radicalité évangélique qui change le cœur de l'homme et donc la politique, l'économie, l'anthropologie, ils œuvrent à sa disparition même si ça n’est pas leur intention.

    Regardez aujourd'hui ce qui se passe : il y avait six entités fondatrices à la création de l'Union européenne. Dans ces six, il y en a au moins cinq où les dirigeants ne savent pas ce qu'est une famille ou ce qu'est un enfant. Avant le gouvernement actuel en Italie, l'ancien Président du Conseil Paolo Gentiloni n'avait pas d'enfant. Macron, Merkel, n'ont pas d'enfants. Theresa May n'a pas d'enfants. Au Luxembourg, le premier ministre partage sa vie avec un homme. Quelles que soient leurs intentions, ces gens-là mènent l'Occident vers l’abîme. Ils ne savent pas ce qu'est une vie humaine, un enfant qu'on chérit parce qu'il est la vie.

    Ils pourraient vous répondre que les hommes d'Eglise non plus n'ont pas de famille…

    Ce n'est pas la même chose. Nous sommes sans famille parce que c'est un choix religieux. Eux sont mariés, en couple. Il ne faut pas mélanger les choses. J'ai fait un choix afin d'imiter quelqu'un qui m'a appelé et qui n'a pas fondé de famille. Mais Jésus me donne en retour le centuple : tous les hommes sont mes parents, mes frères, mes sœurs. En renonçant à une épouse, le prêtre reçoit le centuple.

    Entre les convictions modérées, tièdes pour reprendre votre expression, d'Emmanuel Macron ou des opposants au gouvernement actuel en Italie, et des personnalités pas du tout tièdes comme Matteo Salvini, Donald Trump ou Viktor Orban qui parfois assument une identité chrétienne, voire catholique, même si le pape avait considéré que Donald Trump n'était pas chrétien, qu'est-ce que vous préférez ?

    Dans la révélation, Dieu déteste les tièdes. Dans le chapitre 3 de l'Apocalypse, il dit : puisque tu n'es ni chaud ni froid, je te vomis. Dieu déteste la tiédeur.

    L’Occident, c’est le christianisme mais c’est aussi la science, la technologie, la Silicon Valley et ses recherches sur le transhumanisme ou l’immortalité.

  • GRANDS TEXTES (31) : Du sacré, par Vladimir Volkoff

    Vladimir Volkoff mène ici une méditation sur le sacré, qui l'emmène de l'Egypte ancienne - "elle qui nous a tant appris dans les domaines de l'esprit", et qui a créé "l'archétype de la trinité royale, Osiris, Isis et Horus" - jusqu'à Thomas Mann et Dostoïevsky, en passant par saint Paul.

    Et qui le conduit à observer la royauté sous l'angle triple de La Royauté de médiation, puis de La royauté d'exorcisme , enfin de La royauté d'eucharistie. 

    Son postulat de base est simple : la royauté, si elle renonce au sacré, se renie elle-même. 

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     "C'est l'Egypte - elle qui nous a tant appris dans les domaines de l'esprit - qui a crée l'archétype de la trinité royale, dont le mystère fondamental est celui-ci : Osiris, déjà mort, féconde sa soeur-femme Isis et engendre son héritier Horus, montrant par là que le roi, en tant que roi, ne peut pas mourir..."

    Osiris, Isis et Horus, la grande Ennéade d'Heliopolis, Musée du Louvre.

    D'autres régimes que la Royauté ont essayé de réussir dans le sacré. L'exaltation de la patrie adorée comme une idole, d'un individu jouant les hommes providentiels, ou d'une idée représentée par un parti lui-même figuré par un homme, a fait quelques emprunts aux techniques hiératiques. On pourrait citer comme exemple l'admiration des reliques de Lénine, les auto-da-fé de Nuremberg ou cette inquiétante institution du Panthéon français, par laquelle plusieurs grands hommes de la République ont été transformés, à titre posthume, en squatters involontaires de l'église Sainte-Geneviève.

    Tout cela reste épisodique. La royauté, si elle renonce au sacré, se renie elle-même.

    Cela est évident pour la française, avec son roi thaumaturge touchant les écrouelles, le sacre de Reims appliqué au moyen d'une ampoule apportée par la colombe du Saint-Esprit dans son bec, et, débordant le christianisme, le culte solaire organisé autour de Louis XIV à Versailles. 

     

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    Clovis guérit les écrouelles. Enluminure, Paris. XVème siècle

     

           

    C'est aussi clair dans d'autres pays. Le roi d'Angleterre également touchait les écrouelles. Le basileus de Byzance portait officiellement les titres de "roi de lumière égal aux apôtres" et d' "incarnation du Logos", il goûtait le vin nouveau avec Dionysos et le bénissait avec le Christ, ses familiers étaient des eunuques sous prétexte que les eunuques ressemblent aux anges, et il devait veiller "à ce que l'ordre et le rythme que le Démiurge a introduit dans l'univers gouvernent également la vie des humains".

    Les rois de Rome consultaient les nymphes dans les bois sacrés, les rois de la Grèce et ceux de Troie se confondaient avec leurs demi-dieux, l'on sait à quel point la magie et la royauté s'entremêlent en Afrique. Quant aux empereurs, les romains accédaient à l'apothéose, et il a fallu deux explosions atomiques pour que le souverain du Japon abdiquât non la couronne mais la divinité.

    Dans l'ancienne Egypte, dieux et rois appartenaient à la même famille. C'est l'Egypte - elle qui nous a tant appris dans les domaines de l'esprit - qui a crée l'archétype de la trinité royale, dont le mystère fondamental est celui-ci : Osiris, déjà mort, féconde sa soeur-femme Isis et engendre son héritier Horus, montrant par là que le roi, en tant que roi, ne peut pas mourir.

    L'astronomie égyptienne transporta ce symbole dans le ciel, où il lui servit à prédire la crue vivifiante du Nil. Cette crue correspondait au lever héliaque de l'étoile Sirius, la plus brillante de toutes, qui appartient à la constellation Canis Major. Or, par l'effet de sa conjonction avec le soleil, cette étoile n'était plus visible pendant soixante-dix jours avant sa réapparition. On voit poindre déjà le thème "mort et résurrection".

    Pour prévoir la date du retour de Sirius - donc de la crue - il aurait, semble-t-il, suffi de savoir compter jusqu'à soixante-dix. Cependant, pour une raison qui nous échappe, c'est avec vingt-et-un jours d'avance seulement que les prêtres égyptiens prédisaient la crue. En même temps, ils indiquaient à quel endroit précis du ciel Sirius réapparaîtrait. On pense maintenant qu'ils procédaient par triangulation, en se basant sur le lever héliaque de deux étoiles appartenant à la constellation d'Orion, Rigel et Betelgeuse, qui précédaient Sirius dans le ciel. A partir de leur position, celle du sommet du triangle, Sirius, pouvait être déterminée.

    Jusque là, rien de bien ésotérique. Mais il faut savoir qu'Orion était assimilé au roi Osiris, Canis Major à Isis sa reine, et Sirius, qui est alpha de Canis Major, à Horus, dont le père annonçait-déclenchait l'avènement. Dans les textes des pyramides, on trouve un passage adressé à Osiris, que l'on peut paraphraser comme ceci :

            Ta soeur Isis vient à toi d'amour rayonnante;

            tu la places sur ta pointe, qui répand ta semence en elle.

            c'est Horus qui jaillit de toi, lui qui est en Isis.

    Ainsi les astres mimaient dans le ciel l'engendrement royal qui répandait la vie sur la terre. On entrevoit l'aspect cosmique de la royauté. 

     

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    Saül luttant contre les philistins (peinture contemporaine)

    '...l'Eternel lui-même dit à Samuel : "Donne-leur un roi". Ce sera Saül. Samuel répand de l'huile sur sa tête : "Par cette onction, le Seigneur te sacre chef d'Israël".... 

     

           

    Une des traditions royales les plus nourrissantes est la juive, de laquelle la nôtre est inséparable. Vers l'an mil avant Jésus-Christ, les Juifs réclament un roi à leur vieux juge Samuel, parce qu'ils veulent être "comme les autres peuples". Samuel les met en garde : ils seront exploités par le maître qu'ils se donneront. Les Juifs insistent et l'Eternel lui-même dit à Samuel : "Donne-leur un roi". Ce sera Saül. Samuel répand de l'huile sur sa tête : "Par cette onction, le Seigneur te sacre chef d'Israël". Le roi apparaît dès lors comme un vassal de Dieu, qui "change sa nature profonde", si bien que "l'esprit divin s'empare de lui".

    Plus tard, Saül démérite par désobéissance : en effet, il n'a pas massacré tout le bétail des Amalécites, comme l'Eternel le lui avait commandé, et il a même fait grâce à leur roi Agag. Samuel le condamne et "se retourne pour s'en aller, mais Saül saisit le pan de son manteau qui s'arrache. - C'est ainsi, s'écrie Samuel, qu'aujourd'hui le Seigneur t'arrache la royauté d'Israël pour la donner à meilleur que toi."

    Après avoir égorgé Agag comme il convenait, Samuel ira, sur l'ordre exprès du Seigneur, "donner l'onction" à David, "un beau garçon roux aux yeux clairs". Alors l'esprit de l'Eternel, qui, s'est retiré de Saül, "s'empare du jeune homme et reste sur lui". L'onction n'est donc pas un geste symbolique : elle a pour but de conférer véritablement une puissance spirituelle.

    Les démêlés de Saül et David durent longtemps. Saül cherche la mort de David, mais David, chaque fois qu'il en a l'occasion, épargne Saül : "Que Dieu me préserve de porter al main sur mon maître, celui qu'il a choisi et consacré par l'onction." Au lieu de tuer son ennemi, il lui coupe un pan de son manteau et "revient près de ses hommes, le coeur battant d'avoir touché ne fût-ce qu'au manteau du roi".

    Il s'en fallait de vingt-huit générations selon saint Matthieu et de quarante-deux selon saint Luc (biologiquement plus vraisemblable) pour qu'apparût un jeune prince appauvri de la maison de David nommé Jésus. Il n'est pas à la mode, je le sais bien, de rappeler la qualité princière de Jésus, mais il n'y a pas de raison d'avoir plus d'égards pour ceux qu'elle dérange que pour ceux qui n'aiment pas à s'entendre rappeler qu'il était juif.

    Bien. Responsables devant Dieu ou eux-mêmes plus ou moins assimilés à des dieux, les rois semblent avoir de tout temps entretenu avec la divinité des relations ambigües mais persistantes.

    Pourquoi ?

    Sur quoi se fonde cette relation qui unit si constamment le royal et le sacré ?

     

    La Royauté de médiation

     

    Le roi est le médiateur par excellence. Horizontalement : entre les corps constitués, les groupes d'intérêt, les fonctions, les factions, les individus eux-mêmes. Verticalement : entre cette divinité à laquelle toutes les royautés se rattachent et les hommes en tant que sujets. Le roi est à Dieu ce que les sujets sont au roi : tous les peuples ont saisi cette structure, de manière plus ou moins consciente. 

    Le roi est médiateur par essence. S'il cesse d'être médiateur, il cesse d'être roi pour devenir chef de bande. Le chef d'une bande qui se trouve être au pouvoir.

    La royauté est un système à deux pôles, mais le roi n'est pas l'un d'eux. A la différence des autres régimes où ce sont le peuple et l'Etat qui se font face, dans la royauté les deux pôles sont l'homme et Dieu, auquel le roi sert, pour reprendre la terminologie de Simone Weil, de moyenne proportionnelle - pour ce qui regarde la vie politique s'entend.

    Etant médiateur dans la pratique, le roi bénéficie du respect religieux qui s'attache à la médiation, non seulement dans le christianisme qui s'y fonde tout entier, mais aussi dans le sentiment des peuples en général. L'hôte, le juge, le messager, le tiers qui propose ses services pour régler une dispute, tous participent de la sainteté de ce qui assure équilibre ou liaison.

    Les cultes solaires illustrent un aspect de ce rôle, parce que le soleil, centre du monde, est équidistant de tous les points de sa circonférence. Ainsi le roi est - ou doit être - équidistant de tous ses sujets pour répandre sa justice sur eux. "Le soleil, dit l'évangéliste, se lève sur les méchants comme sur les bons" : c'est que son service est royal.

    Le roi médiateur est aussi le lieu géométrique de l'harmonie des contraires sur quoi se fonde en partie la pensée gnostique.

    Servant de clef de voûte - l'on conçoit que cette pierre sans laquelle l'édifice s'écroulerait apparaisse comme sacrée - il est maintenu en place par des demi-arcs opposés dont la poussée s'équilibre.

    Je ne l'entends pas seulement au sens politique, encore que le roi soit le seul qui puisse réunir les forces contraires de la droite et de la gauche pour en former une résultante. Mais le sacré est ailleurs.

     

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     "...Tel Janus, le roi a deux visages, car il scrute à la fois les frontières et le coeur du pays. Il est successeur et précurseur, tourné en même temps vers l'avenir et vers le passé..." 

     

           

    Tel Janus, le roi a deux visages, car il scrute à la fois les frontières et le coeur du pays. Il est successeur et précurseur, tourné en même temps vers l'avenir et vers le passé. Il est le père et l'époux de la nation, de même que Dieu, pour les chrétiens, est le père de l'humanité et l'époux de l'Église. Il vise le bien, mais utilise le mal, faisant travailler les anges et les démons sur le même chantier. Il est hermaphrodite, car il contient à la fois le principe mâle de la création et le principe féminin de la continuité.

     

    La royauté d'exorcisme 

     

    Thomas Mann prétend que le mariage chrétien est la plus belle farce que l'Église ait jouée au diable.

    En effet, ces forces primitives d'Éros qui bouillonnent en nous visent la dispersion plutôt que le rassemblement et nous conduisent si facilement aux désordres quand ce n'est pas aux crimes, comment les mettre hors d'état de nuire ? Mieux, comment le scandaliser pour les rendre utiles ? Comment non seulement limiter les dégâts mais enrichir les greniers célestes de ce qui était voué à la pourriture ?

    La solution, c'est l'exorcisme, un exorcisme allant jusqu'au sacrement. Le procédé avait fait ses preuves dans le cas des sources sacrées, jadis vouées aux nymphes, et que l'Église récupérait en les consacrant à quelque saint qui bénéficiait ainsi d'une vénération déjà acquise. Éros le déchaîné allait servir de support à la société par le truchement de la famille chrétienne.

    Qu'un homme et qu'une femme s'unissent indissolublement avec l'intention de procréer et la bénédiction d'une Église qui damne Eros dans tous les autres cas, et voilà - du moins pendant quelques temps et dans quelque mesure - les moeurs assainies, la communauté stabilisée, la démographie en progrès, et même une forme de bonheur favorisée, sinon assurée à tous les coups.

    Mais Éros n'est pas le seul primitif, le seul bouillonnant. L'écorce terrestre, si séduisante par ses paysages et ses marines, enserre un noyau incandescent qu'elle maintient avec peine en place, et dont les éruptions sont des cataclysmes. Telle apparaît la violence individuelle que fait le plus fort au plus faible et à quoi - on ne renonce pas à une bonne recette - l'Église a tenté d'appliquer le sacrement de la chevalerie. Telle apparaît aussi la brutalité du plus fort de tous : l'Etat.

    Car il est vrai que la puissance de l'Etat sur l'individu peut être une chose atroce, et elle ne commence ni au goulag ni à la Bastille, mais au premier guichet de poste derrière lequel peut siéger un minus imbu d'une supériorité qui n'appartient qu'au guichet. Cette violence-ci, que limitent ou compensent des procédés dits démocratiques, tels l'habeas corpus - l'Église a essayé de la prendre à bras-le-corps pour la sanctifier à défaut de la guérir.

    Comment la sellera-t-on, la Grande Bête, comment lui mettra-t-on un mors dans la bouche, comment réduira-t

  • 22 pays africains importent leur monnaie d'Angleterre et d'Allemagne, par Ilyes Zouari*.

    Plu­sieurs décen­nies après leur indé­pen­dance, la Gui­née, l’É­thio­pie, le Rwan­da et 14 autres pays afri­cains conti­nuent à faire impri­mer leurs billets de banque au Royaume-Uni, tan­dis que d’autres ont recours à l’Al­le­magne. Tou­te­fois, les popu­la­tions de ces pays ignorent dans leur immense majo­ri­té le fait que leur mon­naie soit fabri­quée à l’é­tran­ger, contrai­re­ment à celles des pays de la zone CFA, bien mieux infor­mées en la matière.

    5.jpg17 pays afri­cains importent leur mon­naie du Royaume-Uni

    Selon les don­nées dis­po­nibles, compte tenu d’un cer­tain manque de com­mu­ni­ca­tion dans ce domaine, aus­si bien de la part des États que des fabri­cants, 17 pays afri­cains sont réper­to­riés comme fai­sant impri­mer leurs billets de banque au Royaume-Uni, et plus pré­ci­sé­ment en Angle­terre. Par ordre alpha­bé­tique, il s’a­git des pays sui­vants : l’An­go­la, le Bots­wa­na, le Cap-Vert, l’É­thio­pie, la Gam­bie, la Gui­née, le Leso­tho, la Libye, le Mala­wi, Mau­rice, le Mozam­bique, l’Ou­gan­da, le Rwan­da, Sao Tomé-et-Prin­cipe, les Sey­chelles, la Sier­ra Leone et la Tan­za­nie (qui fait éga­le­ment impri­mer ses billets dans deux autres pays).

    Ces pays ont tous pour point com­mun d’im­por­ter leur mon­naie de la socié­té bri­tan­nique De La Rue, qui fabrique éga­le­ment la majeure par­tie de celle du Royaume-Uni et qui est un des lea­ders mon­diaux en la matière. Ils se répar­tissent prin­ci­pa­le­ment entre anciennes colo­nies bri­tan­niques et por­tu­gaises, aux­quelles s’a­joutent la Gui­née, le Rwan­da, l’É­thio­pie et la Libye (qui fait éga­le­ment appel à la Rus­sie). Pour ce qui est du pro­ces­sus de pro­duc­tion, il est à noter la récente ouver­ture d’un site à Nai­ro­bi, en 2019, dans le cadre d’une joint-ven­ture avec le gou­ver­ne­ment kenyan en vue d’as­su­rer une par­tie de la fabri­ca­tion des devises.

    Par ailleurs, il convient de citer le cas par­ti­cu­lier du Soma­li­land, ter­ri­toire cou­vrant le nord-ouest de la Soma­lie et ayant pro­cla­mé son indé­pen­dance. Bien que non recon­nu par la qua­si-tota­li­té de la com­mu­nau­té inter­na­tio­nale, celui-ci a néan­moins créé sa propre mon­naie pour se démar­quer de la Soma­lie, et la fait fabri­quer par le Royaume-Uni, qui admi­nis­trait autre­fois le ter­ri­toire (contrai­re­ment au reste de la Soma­lie, qui était une colo­nie italienne).

    Le recours à une enti­té exté­rieure peut sur­prendre pour une par­tie de ces pays, comme l’É­thio­pie et la Tan­za­nie, qui dis­posent d’une impor­tante popu­la­tion, ou encore la Gui­née et le Rwan­da, compte tenu de cer­tains dis­cours poli­tiques. Mais le cas le plus sur­pre­nant est peut-être celui de la Libye, au regard de ses très impor­tantes capa­ci­tés finan­cières, lar­ge­ment supé­rieures à celles des quelques pays afri­cains fabri­quant eux-mêmes leur mon­naie natio­nale, comme le Maroc, l’A­frique du Sud et la Répu­blique démo­cra­tique du Congo (la Libye étant un grand pro­duc­teur de pétrole, dont elle pos­sède les plus impor­tantes réserves du conti­nent). En fait, cela semble démon­trer une nou­velle fois le manque de sin­cé­ri­té de l’an­cien régime de Kadha­fi lorsque ce der­nier se pré­sen­tait comme le cham­pion du pan­afri­ca­nisme et de l’in­dé­pen­dance des peuples afri­cains. Une pos­ture qui s’ins­cri­vait donc plu­tôt dans le cadre d’une stra­té­gie de com­mu­ni­ca­tion orga­ni­sée par le régime, qui n’a­vait pas véri­ta­ble­ment essayé de déve­lop­per le pays et d’en assu­rer la sou­ve­rai­ne­té (les hydro­car­bures repré­sen­tant autour de 95 % des expor­ta­tions), et qui avait même sou­vent semé le trouble en Afrique (ten­ta­tive d’in­va­sion du Tchad, de désta­bi­li­sa­tion de la Tuni­sie…). Et ce, pro­ba­ble­ment afin de s’as­su­rer la sym­pa­thie et le sou­tien des opi­nions publiques afri­caines, en vue d’ob­te­nir la levée des sanc­tions inter­na­tio­nales et de garan­tir la pour­suite d’un règne sans par­tage qui durait depuis déjà 41 ans au moment du sou­lè­ve­ment du peuple libyen, et fai­sant de Kadha­fi le diri­geant à la plus grande lon­gé­vi­té de l’A­frique post-colo­niale. Une stra­té­gie de com­mu­ni­ca­tion qui conti­nue encore aujourd’­hui à avoir une cer­taine efficacité…

    Au moins six pays afri­cains importent leur mon­naie d’Allemagne

    En plus des pays pré­cé­dem­ment cités, cinq autres sont réper­to­riés comme fai­sant impri­mer leurs billets de banque en Alle­magne, aux­quels s’a­joute la Tan­za­nie qui a éga­le­ment recours au Royaume-Uni (ain­si qu’aux États-Unis). Ces six pays fai­sant donc appel à l’Al­le­magne sont les sui­vants : l’É­ry­thrée, la Mau­ri­ta­nie, le Sou­dan du Sud, l’Es­wa­ti­ni, la Tan­za­nie et la Zam­bie. Cette der­nière fait aus­si impri­mer une par­tie de sa mon­naie en France.

    Cepen­dant, les don­nées très par­tielles trans­mises par le fabri­cant alle­mand de billets de banque Giesecke+Devrient (G+D), qui n’in­dique pas dans le détail les banques cen­trales clientes à tra­vers le monde (et à quoi s’a­joute l’o­pa­ci­té entre­te­nue par de nom­breux États eux-mêmes), laissent pen­ser que d’autres pays afri­cains font éga­le­ment appel, au moins ponc­tuel­le­ment, à l’Al­le­magne pour la fabri­ca­tion de leur mon­naie natio­nale (comme peut-être l’É­thio­pie, qui avait dans le pas­sé média­ti­sé la signa­ture d’un contrat, en 2008).

    43 pays afri­cains importent leur mon­naie de l’étranger

    En tenant compte des devises fabri­quées dans des pays autres que le Royaume-Uni et l’Al­le­magne, et en dehors des cas par­ti­cu­liers de la Soma­lie et du Zim­babwe, en faillite et sans véri­table mon­naie, ce sont donc 43 pays afri­cains au total qui ont recours à un pays étran­ger, soit 21 pays de plus que ceux pré­cé­dem­ment cités. Selon les infor­ma­tions dis­po­nibles, 20 de ces autres pays font appel à la France (qui imprime éga­le­ment une par­tie de la mon­naie de la Zam­bie, déjà men­tion­née), tan­dis qu’un d’entre eux à recours aux États-Unis, en l’oc­cur­rence le Libe­ria, qui avait été créé à par­tir de 1821 par l’Ame­ri­can Colo­ni­za­tion Socie­ty (et qui s’a­joute – au moins – à la Tan­za­nie, dont ils fabriquent par­tiel­le­ment la monnaie).

    Ain­si, et selon les don­nées dis­po­nibles, la France imprime la mon­naie de 21 pays afri­cains au total, à savoir celle de 16 de ses anciennes colo­nies (12 pays de la zone CFA, les Comores, Mada­gas­car, Dji­bou­ti et la Tuni­sie), aux­quelles s’a­joutent la Gui­née-Bis­sau et la Gui­née équa­to­riale (membres de la zone CFA, et res­pec­ti­ve­ment ancienne colo­nie por­tu­gaise et espa­gnole), le Burun­di (ancienne colo­nie belge), et enfin la Nami­bie et la Zam­bie, deux anciennes colo­nies bri­tan­niques. Le pro­ces­sus de fabri­ca­tion est assu­ré par la Banque de France pour 17 de ces pays, tan­dis que quatre autres ont recours à l’en­tre­prise pri­vée Ober­thur Fidu­ciaire, un des trois lea­ders mon­diaux de la fabri­ca­tion des billets de banque, avec le bri­tan­nique De La Rue et l’Al­le­mand Gie­secke & Devrient. Mais là encore, le nombre réel de pays fai­sant appel, au moins ponc­tuel­le­ment, aux ser­vices de cette entre­prise fran­çaise est pro­ba­ble­ment plus élevé.

    Neuf pays afri­cains fabriquent eux-mêmes leur mon­naie nationale

    En dehors de ces 43 pays exter­na­li­sant la fabri­ca­tion de leur mon­naie natio­nale auprès d’une enti­té étran­gère, neuf pays afri­cains assument donc eux-mêmes ce pro­ces­sus, à savoir le Maroc, l’Al­gé­rie, l’É­gypte, le Sou­dan, le Gha­na, le Nige­ria, la Répu­blique démo­cra­tique du Congo (RDC), le Kenya et l’A­frique du Sud. Tou­te­fois, et sans que cela n’ait de lien avec le carac­tère local de la fabri­ca­tion de la mon­naie, il convient de rap­pe­ler, pour contrer une cer­taine pro­pa­gande, que cinq de ces neufs pays souffrent d’une forte dol­la­ri­sa­tion de leur éco­no­mie (le Sou­dan, le Gha­na, le Nige­ria, la RDC et le Kenya), c’est-à-dire d’une impor­tante uti­li­sa­tion du dol­lar dans les tran­sac­tions éco­no­miques internes, par refus de la mon­naie locale, consi­dé­rée comme ris­quée. Le cas du Nige­ria illustre bien la prin­ci­pale rai­son de cette situa­tion, avec une mon­naie ayant per­du près de 60 % de sa valeur par rap­port au dol­lar depuis 2014, et plus de 99 % de sa valeur depuis sa créa­tion en 1973 (lorsque la livre ster­ling valait 2 nai­ras, contre 527 au 1er avril 2021).

    Cepen­dant, l’exis­tence d’un cer­tain nombre de pays afri­cains fabri­quant eux-mêmes leur mon­naie natio­nale, et mal­gré les graves dif­fi­cul­tés finan­cières ren­con­trées par cer­tains d’entre eux (comme le Sou­dan, dont la Livre vient d’être déva­luée de 85 %, en février der­nier, et qui est désor­mais un des cinq pays les plus pauvres d’A­frique et le pays le plus endet­té du conti­nent), prouve bien que d’autres pays pour­raient éga­le­ment assu­mer cette tâche. Et ceci est encore plus vrai pour ceux ayant l’a­van­tage de faire par­tie d’un ensemble régio­nal dis­po­sant d’une mon­naie unique et d’une popu­la­tion suf­fi­sam­ment impor­tante, à savoir les pays appar­te­nant à l’UE­MOA et à la CEMAC, les deux ensembles les plus inté­grés, et de loin, du conti­nent (et qui démontrent, au pas­sage, que le pan­afri­ca­nisme est avant tout une réa­li­té francophone).

    Expli­ca­tion : Dans le cadre d’un article publié en décembre 2020 (https://www.bbc.com/afrique/region-55413027), la BBC don­nait la parole à Kemi Seba qui affir­mait qu’il n’é­tait pas nor­mal que les pays de la zone CFA conti­nuent à faire fabri­quer leur mon­naie sur le ter­ri­toire même de leur ancienne puis­sance colo­niale. Si ce point de vue est res­pec­table, il est tou­te­fois regret­table que la BBC n’ait fait nulle men­tion, ni en direct lors de l’in­ter­view ni dans le texte de l’ar­ticle, du fait que le Royaume-Uni pro­duit lui aus­si la mon­naie de nom­breux pays africains.

    Autre élé­ment regret­table : dans ce même article, un invi­té séné­ga­lais affirme (entre autres choses inexactes) que son pays, qui serait mal géré à cause du franc CFA, est le deuxième pays le plus endet­té de la Cedeao, après le Cap-Vert. Or, non seule­ment la véri­té est dif­fé­rente, mais en plus, il faut savoir que le Séné­gal ne fait même pas par­tie depuis long­temps des quatre pays les plus endet­tés de la Cedeao… et qu’il n’y a même désor­mais aucun pays fran­co­phone par­mi les cinq pays les plus endet­tés de cet ensemble (don­nées semes­trielles du FMI sur la dette publique).

    Il est ain­si déplo­rable de consta­ter que la BBC, qui se veut une des réfé­rences mon­diales en matière d’in­for­ma­tion, se mette elle aus­si à dif­fu­ser pério­di­que­ment des infor­ma­tions erro­nées ou incom­plètes. En cette période post-Brexit, mar­quée par un inté­rêt accru du Royaume-Uni pour l’A­frique, espé­rons que la BBC ne suive pas les traces des médias finan­cés par la Tur­quie, qui excellent en la matière… 

    *Pré­sident du CERMF (Centre d’é­tude et de réflexion sur le Monde francophone)

    ww.cermf.org

    info@cermf.org

    Source : https://www.actionfrancaise.net/

  • Retour sur la peine de mort, par Par Michel Yves Michel (socio­logue).

    55 % des Fran­çais sont par­ti­sans de la peine de mort ; ça vous don­ne­rait presque l’envie de deve­nir démo­crate… L’opinion publique quand elle est pour l’avortement des bébés devient « volon­té géné­rale » ; mais elle est popu­lisme négli­geable quand elle penche pour l’élimination de Marc Dutroux. Or le popu­lisme est mépri­sable quand il ne coïn­cide pas avec « l’opinion auto­pro­cla­mée éclai­rée » expri­mée par les médias.

    Le Pape Fran­çois a déci­dé de reti­rer du caté­chisme de l’Eglise catho­lique la pos­si­bi­li­té d’appliquer la peine de mort.

    Cela res­semble un peu à un ral­lie­ment à l’esprit du temps où la mort est deve­nue “la nou­velle por­no­gra­phie” selon le mot de l’historien Phi­lippe Ariès. On sait bien que cela existe mais on (se) le cache.

    On cache la mort aux enfants qui n’ont plus guère l’occasion de voir un cadavre, on ne se met plus “en deuil”, on conseille à ses amis tou­chés par la mort d’un proche de se dis­traire pour “pen­ser à autre chose”.

    L’usage de la cré­ma­tion se répand, ce qui, si j’ose dire, signi­fie : faire dis­pa­raître le cadavre insi­gni­fiant…

    Une asso­cia­tion cré­ma­tiste (si, il y a des mili­tants pour ça !) s’était inven­té comme slo­gan : ”c’est quand même mieux de lais­ser la terre aux vivants”,  sans s’apercevoir que la terre est faite de déchets orga­niques, de morts qui font vivre les vivants…

    Jadis, il exis­tait des “confré­ries de la bonne mort” où les par­ti­ci­pants devaient se pré­pa­rer à l’épreuve ; aujourd’hui on conseille­ra à celui qui se pré­oc­cu­pe­ra de ce des­tin, d’aller voir un psy­chiatre.

    Même dans les céré­mo­nies reli­gieuses on tend à par­ler du défunt de son vivant, mais on prie de moins en moins pour son salut post-mor­tem…

    C’est dans ce contexte du tabou de la mort qu’il faut repla­cer le thème de l’interdit de la peine de mort.

    Pour­quoi relan­cer le débat sur la peine de mort, appa­rem­ment usé dont on ne pour­ra débus­quer l’en­jeu qu’en dépla­çant la ques­tion : pour­quoi la peine de mort,  aujourd’hui si lar­ge­ment réprou­vée par les beaux esprits, a‑t-elle été la norme qua­si una­ni­me­ment accep­tée dans toutes les socié­tés autres que la nôtre et reste ple­bis­ci­tée par l’opinion  ? Au point que les archéo­logues recon­naissent qu’il y a des humains dès lors qu’il y a des rites funé­raires.

    J’en recher­che­rai la réponse dans une intui­tion de Bau­de­laire qui, au siècle der­nier, s’in­ter­ro­gea aus­si sur le dépla­ce­ment cultu­rel qui ren­dait déjà incom­pré­hen­sible la peine capi­tale : « La peine de mort est le résul­tat d’une idée mys­tique, tota­le­ment incom­prise aujourd’­hui. La peine de mort n’a pas pour but de sau­ver la socié­té, maté­riel­le­ment du moins. Elle a pour but de sau­ver (spi­ri­tuel­le­ment) la socié­té et le cou­pable… Bien que le sacri­fice soit par­fait, il faut qu’il y ait assen­ti­ment et joie de la part de la vic­time. Don­ner du chlo­ro­forme à un condam­né à mort serait une impié­té, car ce serait lui enle­ver la conscience de sa gran­deur comme vic­time et lui sup­pri­mer les chances de gagner le para­dis ». (“Mon cœur mis à nu”).

    Goût du para­doxe ? Cruau­té d’un dis­ciple de Joseph de Maistre ?

    Sus­pen­dons pour­tant les réac­tions de notre sen­si­bi­li­té « moderne » pour remar­quer que l’histoire a lais­sé la trace d’un cer­tain nombre d’exé­cu­tions exem­plaires où le cou­pable était par son sacri­fice récon­ci­lié avec sa com­mu­nau­té, avec ses dieux, et avec lui-même, réin­té­gré dans sa digni­té.

    Pen­sons à l’étonnant pro­cès de Gilles de Rais où « Barbe-Bleue » est par­don­né et embras­sé par les parents des enfants qu’il avait tor­tu­rés. Pen­sons à la Bal­lade des pen­dus de Fran­çois Vil­lon. 

    Est-il insi­gni­fiant qu’un sup­pli­cié de droit com­mun — le” bon” lar­ron — soit le pre­mier homme à qui la porte du salut ait été ouverte. Ouverte par le sup­plice- même du Christ ?

    Au moment où l’an­thro­po­lo­gie contem­po­raine redé­couvre l’im­por­tance des « sacri­fices » (cf. Georges Bataille et René Girard : « La vio­lence et le sacré »), pou­vons-nous encore nous défendre de ces concep­tions — si étranges pour nous — en les qua­li­fiant de men­ta­li­té archaïque ou bar­bare ?

    Au contraire, la désué­tude de la peine de mort où tendent nos socié­tés indus­trielles pro­mé­théennes n’est-elle pas l’un des symp­tômes de la désa­cra­li­sa­tion qui nous atteint ?

    Dans les socié­tés tra­di­tion­nelles, la peine de mort témoi­gnait de ce qui dépasse la vie elle- même, de ce qui dans “l’homme passe l’homme” (Pas­cal).

    Non que la vie n’y soit pas une valeur, mais une valeur par­mi d’autres, dans une hié­rar­chie de valeurs qui consti­tuait d’ailleurs la vie comme valeur.

    Sommes-nous encore capables de com­prendre ce drame trop exo­tique, le “hara-kiri” de Mishi­ma Yukio, en 1970, au Grand Etat-Major de Tokyo ? Non ! Comme l’a­vait com­pris Nietzsche, les valeurs (« ce qui vaut la peine de » c’est-à-dire du sacri­fice) sont des dieux. Et la « mort de Dieu » inau­gure le nihi­lisme que les socio­logues, dans leur jar­gon, appellent ano­mie.

    Îl est donc nor­mal que, dans ce monde où l’homme ne recon­naît pas ce qui le dépasse, tous ceux dont les exi­gences intel­lec­tuelles ou morales vont au-delà de la réac­tion ins­tinc­tive un peu obtuse, soient oppo­sés au réta­blis­se­ment de la peine de mort.

    Condam­ner… « au nom de » quoi ? De quoi le sup­plice serait-il « signe » ? Quelle absur­di­té qu’un « sacri­fice » qui n’est plus un « faire sacré ». (Dans les der­niers temps de son appli­ca­tion en France, la guillo­tine avait ces­sé d’être un spec­tacle public).

    Pour ma part, je suis for­cé de recon­naître que dans ce contexte — la peine de mort est injus­ti­fiable, car insi­gni­fiante.

    Faut-il pour autant s’en réjouir ?

    Consi­dé­rons d’a­bord que notre époque, si sen­sible aux souf­frances des bébés phoques, est aus­si celle des grands mas­sacres orga­ni­sés, celui des avor­te­ments de masse, des écha­fauds de 1793 aux gou­lags et aux camps de concen­tra­tion. Car dans les socié­tés domi­nées par les grandes idéo­lo­gies modernes où s’est inves­tie l’ir­ré­duc­tible aspi­ra­tion de l’homme à l’ab­so­lu, les « croyants » n’ont point de scru­pule à sacri­fier aux idoles. “Mon corps est à moi”, Pro­grès, sens de l’Histoire, libé­ra­tion de l’homme, race ou classe, « les dieux ont (tou­jours) soif »… 

    Mais, affir­me­ra-t-on, nos socié­tés de tolé­rance dans leur insi­gni­fiante per­mis­si­vi­té, ne nous per­mettent-elles pas d’é­chap­per à ces tota­li­ta­rismes ?

    Ce serait trop vite se ras­su­rer.

    En effet, dans les socié­tés « libé­rales », au pou­voir d’une jus­tice ter­rible qui, jadis, tran­chait et retran­chait dans une mise en scène dra­ma­tique où se jouaient le corps, la res­pon­sa­bi­li­té et le salut, suc­cède une admi­nis­tra­tion judi­ciaire fonc­tion­nelle rat­tra­pant, sans pas­sion, les bavures qui auront pu échap­per aux ser­vices des édu­ca­teurs, psy­chiatres, ani­ma­teurs, per­ma­nents ou experts en mani­pu­la­tion des orga­ni­sa­tions qui nous prennent en charge de la nais­sance à la mort (cf. Michel Fou­cault : “Sur­veiller et punir”).

    Ce n’est pas seule­ment la peine de mort que nous abo­lis­sons, mais toute peine dans la mesure où elle implique la res­pon­sa­bi­li­té per­son­nelle d’un cou­pable. « Huma­nistes », gau­chistes ou tech­no­crates : tous les dis­cours ne peuvent qu’af­fir­mer l’ir­res­pon­sa­bi­li­té du jus­ti­ciable qui ne se retrouve devant un tri­bu­nal que par une erreur de ges­tion des orga­ni­sa­tions sociales ou de l’E­tat-pro­vi­dence : il ne s’a­git pas de condam­ner, mais de “réédu­quer”.

    Le cri­mi­nel n’est plus res­pon­sable parce que plus per­sonne n’est res­pon­sable. (Et les pri­sons débordent ; déja ou bien­tôt rem­pla­cées par des éta­blis­se­ments psy­chia­triques …)

    Le tota­li­ta­risme, c’est aus­si quand la vie et la mort sont deve­nues des mar­chan­dises à gérer tran­quille­ment, « fonc­tion­nel­le­ment », sans drame et sans chocs pour nos sen­si­bi­li­tés douillettes (avor­te­ment-par­don IVG, eutha­na­sie, banques d’or­ganes, GPA, etc).

    Aus­si cette désué­tude de la peine de mort est-elle pro­ba­ble­ment moins l’ef­fet d’une « huma­ni­sa­tion » que l’in­dice de l’in­si­gni­fiance de la mort (cf. le Tabou de la mort mis en évi­dence dans notre socié­té par Phi­lippe Ariès) et la « déva­lo­ri­sa­tion » de la vie.

    On ne retire plus guère la vie parce que la vie ne vaut plus guère.

    Le tabou de la peine de mort témoigne d’un déni ; le refus de recon­naître que chaque indi­vi­du est iné­luc­ta­ble­ment condam­né à la peine de mort.

    Cette peine de mort est une de peines liées au péché ori­gi­nel, avec le tra­vail (“à la sueur de ton front”) et la souf­france (“tu accou­che­ra dans la dou­leur”). Il serait sans doute temps de com­prendre que la peine est éga­le­ment le remède (cf. la reva­lo­ri­sa­tion du tra­vail par les béné­dic­tins : ora et labo­ra).

    Source : https://www.actionfrancaise.net/

  • L’Arménie, un pays chrétien et martyr, par Antoine de Lacoste

    Arménie: situation générale

    En 314, sous l’influence de Saint Grégoire l’Illuminateur, le roi Tiridate se convertit au christianisme en même temps que son épouse et toute sa cour. L’ensemble de son armée et de ses sujets suivirent son exemple et tous se firent baptiser. L’Arménie devint officiellement le premier royaume chrétien au monde.

    L’Edit de Milan datant de 313, l’Arménie, au fond, accompagnait le mouvement général du passage du paganisme au christianisme, ce qui aurait pu lui valoir une histoire chrétienne heureuse à l’ombre de son puissant voisin byzantin. C’était compter sans la présence du grand empire perse, appelé alors Empire sassanide. Soucieux de ne pas entrer en guerre contre une telle puissance, et au fond ravi d’annexer un nouveau territoire, Byzance accepta de partager la malheureuse Arménie : aux Perses les deux tiers du pays, à l’est, et à Byzance le dernier tiers à l’ouest. On l’appela le partage de 387. Il faudra attendre 1920 pour que l’Arménie retrouve une brève indépendance.

    antoine de lacoste.jpgDes siècles d’épreuves et de malheurs allaient s’abattre sur le pays, mais il ne renierait jamais sa foi chrétienne.

    Un épisode historique typique atteste de cet enracinement chrétien dans l’âme arménienne. Après le partage de 387, les souverains sassanides s’étaient mis en tête de convertir l’Arménie au Zoroastrisme, religion païenne symbolisée par les autels du feu. Le clergé zoroastre s’installaprogressivement dans le pays et chassa les prêtres des églises. Sous la pression populaire, les princes arméniens se révoltèrent mais furent écrasés à la bataille d’Avaraïr en 451. Déterminé, le peuple se lança dans une guérilla qui finit par décourager le tyran sassanide. L’Arménie était toujours occupée mais pouvait rester chrétienne grâce à l’opiniâtreté des fidèles.

    LA RUPTURE DE CHALCEDOINE

    Les multiples controverses et hérésies qui affectèrent les premiers siècles de l’Eglise entraînèrent la rupture entre l’Arménie et Byzance.

    En 431, le Concile d’Ephèse avait condamné le nestorianisme qui niait partiellement la nature divine du Christ. Vingt ans plus tard, au Concile de Chalcédoine, c’est l’hérésie monophysite qui fut condamnée pour avoir nié la nature humaine du Christ.

    L’Eglise arménienne n’accepta pas la nouvelle rédaction de Chalcédoine sur les deux natures du Christ. A sa décharge, il semble bien qu’un problème de traduction ait joué un rôle et entretenu une confusion entre les mots nature et personne qui n’avaient pas tout à fait le même sens en Grec et en Arménien. De plus, certains historiens affirment que des Nestoriens envoyés en Arménie jouèrent un rôle de désinformateurs sur les véritables intentions du Concile de Chalcédoine. Quoi qu’il en soit, l’Eglise arménienne déclara s’en tenir à la rédaction d’Ephèse proclamant « l’unique nature du Verbe incarné. »

    Byzance (Constantinople) essaya de faire rentrer l’Eglise arménienne dans le rang, en vain. En 506, le chef de l’Eglise arménienne se proclama « catholicos », c’est-à-dire chef d’une église nationale indépendante. On l’appelle l’Eglise apostolique arménienne C’est cette église qui perdure toujours en Arménie, rassemblant 90% des fidèles. Les 10% restant se partagent entre catholiques romains et protestants.

    La rupture était consommée. Elle n’empêcha toutefois pas l’Arménie d’envoyer des milliers de soldats combattre les Sassanides aux côtés de l’Empereur byzantin Héraclius. Ce dernier était parti envahir le pays sassanide afin de récupérer la relique de la Vraie Croix volée à Jérusalem en 614 par les armées païennes. La bataille de Ninive en 627vit la victoire des armées chrétiennes et le retour triomphal de la Vraie Croix à Jérusalem.

    Cette alliance eut d’heureuses répercussions et un accord fut signé entre l’Eglise byzantine et l’Eglise arménienne, semblant mettre un terme au schisme.

    Mais l’arrivée des Arabes musulmans et leur victoire contre les Byzantins à Yarmouk en 636 allait tout bouleverser.

    L’ARRIVEE DE L’ISLAM

    Dans un premier temps, les conquérants musulmans traitèrent convenablement les Arméniens. Ils n’étaient pas si nombreux et ne voulaient pas rajouter le front du Caucase à leurs autres objectifs : l’Empire byzantin, l’Empire sassanide et l’Afrique du Nord.

    Le VIIe siècle vit alors un développement architectural et religieux de grande ampleur dans toute l’Arménie. Ce sera « L’Age d’or » avec de nombreusesconstructions d’églises superbes. Beaucoup sont encore debout et leur visite constitue un enchantement.

    Cependant, comme toujours, la paix de l’islam n’était que ruse et au VIIIe siècleune poigne de fer enserra l’Arménie.

    Cela commença avec le massacre de la cavalerie des princes, brûlés vifs dans une église, sous prétexte d’une rencontre avec l’émir du Nakitchévan. Révoltes et répressions se succédèrent et les Arabes allaient habilement jouer des divisions entre les grandes familles arméniennes.

    Mais l’Empire byzantin s’était repris après ses défaites initiales et reconquitdes territoires à l’est. Les Arabes étaient affaiblis et l’Arménie en profita pour établir deux royaumes : le premier au nord, issu de la famille Bagratouni, qui se donna Ani comme capitale, « la ville aux mille et une églises ». Le second au sud, avec la famille Arstrouni qui installa sa capitale sur le lac de Van. Ani et le lac de Van sont aujourd’hui situés à l’est de la Turquie et non plus en Arménie.

    Ceci se passait au IXe siècle et l’Arménie disposait alors d’une indépendance de fait qui s’accompagna d’un grand renouveau monastique.

    L’empire byzantin, revigoré par l’affaiblissement du califat arabe,reprit malheureusement  son expansion vers l’est au détriment des Arméniens. C’est alors qu’ils furent battus à Mantzikert en 1071 par de nouveaux venus : les Seldjoukides. Ces turcomans, venus des steppes d’Asie centrale, allaient progressivement conquérir tout l’empire byzantin. Une branche familiale, les Otmans, fonderait ensuite l’Empire ottoman.

    L’AVENTURE DU ROYAUME DE CILICIE

    La Cilicie, région située au sud de la Turquie actuelle face à Chypre, fut colonisée par les Arméniens dès le Xe siècle. Ils agissaient pour le compte des Byzantins et avaient conquis ces terres au détriment des Arabes, en pleine déroute.

    Après la défaite de Mantzikert, de nombreux Arméniens s’y installèrent pour fuir les Seldjoukides. Ils passèrent des alliances avec les croisés et la Cilicie, devenant la plaque tournante du commerce chrétien de l’est de la Méditerranée, connut une grande période de prospérité.

    Les villes de Tarse (celle dont Saint Paul est originaire) et d’Adana rayonnaient et les différents rois de Cilicie étaient reconnus par Rome et le Saint-Empire. L’activité religieuse fut également remarquable avec de nombreuses traductions de pères grecs mais aussi latins, ce qui était nouveau. L’art de l’enluminure atteignit son apogée.

    Cependant l’arrivée des hordes de Gengis Khan au XIIIe siècle puis celle des mameluks égyptiens eurent raison du petit royaume chrétien. Le dernier roi de Cilicie, Léon VI de Lusignan fut fait prisonnier en 1375. Racheté, il finit ses jours à la Cour de France, à Paris.

    LES TURCS SEULS MAITRES A BORD

    Les Ottomans chasseront progressivement les autres forces musulmanes et, au XVIIe siècle, seront seuls aux commandes.

    L’Arménie était devenue une petite province du nord-est de la Turquie et subit les exactions de son maître. De très nombreux jeunes étaient enlevés pour en faire des janissaires et l’émigrationfrappa durement le pays. Les Arméniens s’en allèrent vers l’Europe, la Thrace ou l’ouest de l’Asie Mineure.

    C’est donc à l’extérieur que les Arméniens brillèrent. Leurs grands talents commerciaux firent merveille et de très nombreux navires battant pavillon à l’Agneau pascal parcouraient la Méditerranée allant même jusque dans l’océan Indien.

    Le XVIIIe siècle vit une intéressante tentative de ramener l’église apostolique arménienne dans le giron de Rome. De nombreux jeunes arméniens vinrent étudier à Paris dans une école créée pour eux par Colbert. Un prêtre arménien, revenu au catholicisme, fonda le monastère San Lazzaro au large de Venise où vit toujours une communauté de moines arméniens catholiques.

    Petit à petit, subissant un affaissement progressif, l’Empire ottoman desserra l’étau autour des Arméniens. Une élite urbaine se forma et à partir de 1856les chrétiens bénéficièrent des mêmes droits que les autres habitants de l’Empire, au bord de l’effondrement.

    Ce fut le moment choisi par la Russie pour reprendre sa marche vers Le Caucase, freinée par sa défaite lors de la guerre de Crimée qui avait vu la victoire de l’alliance contre-nature anglo-franco-turque.En 1877, les troupes du Tsar occupèrent (libérèrent en réalité) l’ensemble de l’Arménie, y compris sa partie occidentale. Tous les espoirs étaient alors permis pour l’indépendance d’une grande Arménie sous la protection de la Russie.

    Mais les Britanniques, soucieux de contrer la Russie par tous les moyens, passèrent un accord secret avec la Turquie pour, en échange de la cession de Chypre, empêcher la mainmise russe sur l’ensemble du territoire arménien. Ils parvinrent à provoquer la tenue du Congrès de Berlin en 1878 où, malgré les supplications des Arméniens, décision fut prise de confier à l’Empire ottoman la partie occidentale de l’Arménie d’où les troupes russes se retirèrent. Elles restèrent seulement dans la partie orientale, qui correspond aux frontières de l’Arménie actuelle. L’acceptation russe à ce plan reste un mystère.

    LE GENOCIDE DE 1915

    Les réformes prévues dans la partie occidentale ne seront jamais appliquées : les pièces du drame sont en place. Alors que les Arméniens s’organisaient pour créer des partis politiques, les premiers massacres se produisirent. Entre 1894 et 1896, 300 000 Arméniens furentexterminés par les Ottomans. En 1908 le mouvement des Jeunes-Turcs prit le pouvoir. Leur programme islamo-nationaliste prévoyait clairement la destruction du peuple arménien, censé empêcher le renouveau de la nation turque.

    Le déclenchement de la Première guerre mondiale sera l’occasion d’organiser le génocide arménien. Après les arrestations massives de prêtres, de notables et d’intellectuels qui furent systématiquement exécutés, la grande déportation fut organisée secrètement dans tout le pays ottoman. Les malheureux furent envoyés vers le désert syrien, près de Deir es-Zor. Mais la plupart moururent en route d’épuisement ou assassinés par les gendarmes ou les Kurdes, serviteurs zélés du génocide.

    Ce génocide, que la Turquie refuse toujours de reconnaître, fit environ 1 500 000 morts. Plusieurs centaines de milliers d’Arméniens réussirent à fuir vers l’est, à destination du Liban ou de Damas. A Constantinople, il y eut également de nombreux survivants car la ville était trop exposée aux regards occidentaux pour que les Turcs y fussent libres de perpétrer leurs crimes.

    Les cas de résistance furent rares car les malheureux ignoraient le sort qui les attendait. Il y en eu tout de même mais un seul fut couronné de succès, celui du Musa Dagh. On peut lire à ce sujet le beau roman de Franz Werfel, Les Quarante jours du Musa Dagh.

    La guerre de 14-18 avait vu la victoires des Russes sur les Turcs, mais la révolution bolchévique changea tout et les troupes russes se retirèrent pour participer à la guerre civile qui commençait.

    La Turquie en profita et lança une vaste offensive contre ce qui restait de l’Arménie. Les troupes turques arrivèrent près d’Erevan mais furent finalement repoussés par des Arméniens héroïques et inférieurs en nombre. Du 21 au 25 mai 1918 plusieurs victoires furent remportées et les Turcs reconnurent l’indépendance de l’Arménie.

    LA PERIODE SOVIETIQUE

    Cette indépendance ne dura guère : les Soviétiques et la nouvelle Turquie de Mustapha Kémal se mirent d’accord sur le tracé des frontières et l’Arménie intégra l’URSS naissante en 1922 à l’instar de ses voisins caucasiens, la Géorgie et l’Azerbaïdjan.

    De nombreux Arméniens adhérèrent avec enthousiasme aux idéaux marxistes. Dans ce pays si chrétien, cela reste une énigme mais il faut bien reconnaître ce fait. D’ailleurs, une partie non négligeable de la diaspora arménienne en France fut membre du parti communiste. Toutefois la majorité resta chrétienne et soutint courageusement l’église dans sa lutte contre les persécutions de Staline.

    Symbole de cette lutte qui ne cessa jamais, le catholicos fut assassiné par la Tchéka en 1938. La seconde guerre mondiale contraignit Staline à suspendre ces persécutions et de nombreux arméniens moururent sous les coups de l’armée allemande : entre 150 000 et 200 000.

    L’après-guerre sera moins douloureux et si la république soviétique d’Arménie subit la poigne de fer commune à toute l’URSS, aucune grande vague de persécutions ne se produisit.

    Cette période fut le théâtre d’une avancée culturelle importante pour l’Arménie avec la construction du Maténadaran à Erevan. Plus de 15 000 manuscrits anciens rédigés en arménien y sont conservés : c’est toute la mémoire chrétienne qui est exposée, assurant la transmission de l’histoire antique puis paléochrétienne dont les orignaux grecs ont disparu dans les destructions successives de la bibliothèque d’Alexandrie.

    1991 INDEPENDANCE ET GUERRE

    A la suite immédiate de la chute de l’Union soviétique, l’Arménie proclama son indépendance le 21 septembre 1991. Peu de temps auparavant, en 1988, le Haut-Karabagh avait réclamé son rattachement à l’Arménie. Cette province est une enclave chrétienne située en Azerbaïdjan. Staline avait décidé qu’il en serait ainsi, contre toute logique culturelle, ethnique et religieuse. Logiquement, les chrétiens du Haut-Karabagh proclamèrent également leur indépendance en septembre 1991.

    L’Azerbaïdjan envoya aussitôt des troupes dans l’enclave et la guerre éclata entre ces deux voisins qui ont si peu en commun. Ce conflit, qui fera 30 000 morts, tourna à l’avantage de l’Arménie laquelle conquit les territoires azéris menant au Haut-Karabagh. Des mouvements de population se produisirent alors : des milliers d’Arméniens quittèrent l’Azerbaïdjan où ils n’étaient plus en sécurité tandis que les Azéris furent chassés des territoires situés entre l’Arménie et le Haut-Karabagh.

    LA GUERRE PERDUE CONTRE L’AZERBAÏDJAN

    Mais chacun savait que l’affaire n’en resterait pas là. L’Azerbaïdjan a patiemment

  • Lu sur la page facebook de Gérard Leclerc : l'article de Boutang sur Matzneff...

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    Le texte que vous allez lire est libre d'accès, à condition d'en citer la source, ce qui est tout à fait normal; il est disponible sur le site Archives Royalistes de la NAR :

    http://www.archivesroyalistes.org/LES-NOUVEAUX-STALINIENS?fbclid=IwAR1OeNR4OF7wgdNHGH0Z7CMOjkvJm8PdcmMdX6_xHVFloIl9otkwhA3hRvM

    Ce texte de mon ami et maître Pierre Boutang du 27 décembre 1979 est paru dans le bimensuel "Royaliste". Il n'a pas pris une ride et se trouve en pleine actualité, alors que Gabriel Matzneff est l'objet d'un procès public qui a lieu avec bien du retard. Pierre Boutang est d'une fermeté, voire d'une dureté absolues à l'égard du pécheur Matzneff, alors même qu'il ne veut pas l'exclure de son amitié. J'adresse ce témoignage à tous ceux et à toutes celles qui ignorent que l'on pouvait avoir la plus grande lucidité à l'égard d'un écrivain, avec l'espoir que sa foi orthodoxe lui permettrait de sortir de son enfer. Le défi est strictement le même aujourd'hui. Plutôt que de participer à un lynchage, il vaudrait mieux pour les croyants prier pour Gabriel Matzneff et pour tous ceux et celles qui ont été victimes de ce qu'il a appelé lui même sa folie.
    G. L.

    Matzneff vu par Boutang

    Pierre Boutang a lu le journal de Gabriel Matzneff «Vénus et Junon». A cette occasion il a écrit cet article décisif sur l’œuvre et la personne de l'auteur d' «Isaïe réjouis toi». Avec amitié pour un écrivain qu'il connaît depuis si longtemps, mais aussi avec la gravité qui convient à ceux qui croient au Christ. Enfin, quelqu'un qui tient à Matzneff le langage que celui-ci sans doute attendait secrètement.

     

    Le jeu de la critique a cessé de m'intéresser; je ne m'y reprends que si un livre me provoque comme celui-ci; pour commencer il faut que l'écriture me retienne et enchante; je m'arrêterais si son propos ne me collait continûment à l'esprit et à la peau. Au seuil d'une de ces exceptions j'énonce donc ma règle : un livre ne m'occupe, et je n'en juge, qu'en ce qu'il rapproche ou éloigne - se rapproche ou s'éloigne du Christ : il y a assez de curés pour s'occuper des autres.

    Or, malgré les apparences, le journal de Matzneff ne révèle, que trois personnages : le Christ, lui-même, et pourquoi dire le troisième ? Il connaît sa présence, mieux qu'aucun autre. Les blasphèmes et les trous de lumière déchirent chaque page. Combat avec l'ange ? Mais Jacob est tout avec Dieu, qui marque sa hanche, et cela une nuit; ce Gabriel esquive chaque fois le combat uni-que; il repart d'un pas singulière-ment assuré, assuré dans la décision intime, même au soir de la mort de Pierre Struve qui ravage l'enfant qu'il est, même à la dernière ligne du 30 décembre 1969 qui se clôt illusoirement sur le mot d'épouse. Mais l'illusion en-core est incertaine. Quel journal des années quatre-vingt pour éclairer et trancher ? Il a cherché le mariage, et il l'a trouvé. Ses deux prédécesseurs dans cette recherche sont Kierkegaard et Kafka qui y ont désiré passionnément l'universel, et la pacification éthique. La différence n'est pas seulement dans leur apparent échec, et son succès provisoire que la déchirante aventure déjà contée en IsaFe réjouis toi annule ou limite. Plutôt que, en un sens, sa tragédie du mariage soit d'emblée une tragédie judéo-chrétienne; alors que Régine fait bar-rage au Christ pour l'auteur de la répétition, et que les tentatives matrimoniales de Kafka sont des évasions ou esquisses de suicide, Tatiana, la maîtresse et fiancée est à l'origine, et ne cesse d'être mal-gré tout, signe de salut, non de contradiction. Sans doute l'orthodoxie lui proposa-t-elle le dilemme du monacat et du mariage; le premier n'est jamais envisagé, sur ces cinq ans, autrement qu'à la limite, guère plus que le suicide. Malgré bien des ressemblances avec Stavroguine, la femme et cette femme, (en dehors du liber-libertinage) n'est pas là pour contempler avec lui l'énorme araignée. En dehors de ce que nous pourrons apprendre d'elle, comment négliger cette note de juin 1968 : «Tatiana. Seul mon goût nihiliste de l'échec, de la mise à mort, m'empêche d'admettre qu'elle est ma rencontre, ma petite compagne, mon salut» ? Et si je n'ai pas oublié les derniers mots d'Isaïe réjouis-toi, prononcés de profundis, quand l'union avec elle aura été canoniquement dissoute : «ma fiancée, mon épouse, mon amour». Le titre de ce journal est ironiquement issu du «Discours» de Bossuet : «du côté de l'Asie c'était Vénus, c'est à dire les plaisirs, les folles amours et la mollesse; du côté de la Grèce était Junon, c'est à dire la gravité avec l'amour con-jugal. » Mais les Grecs et Bossuet n'étaient pas si fols que de croire que la seule Junon pût contrepeser Vénus. Gabriel Matzneff a dû tricher un peu, pour la symétrie, mais aussi pour rendre celle-ci fa-tale, car Bossuet écrivait au chapître cinq de la révolution des Empires : «du côté de la Grèce était Junon, c'est à dire la gravité avec l'amour conjugal, Mercure avec l'éloquence, Jupiter et la sagesse politique» Combien peu elle était seule, cette Junon, qui dans les cinq années de ce journal, n'est que le désir du mariage, et chez un jeune homme où le contredisent la peur d'agir, de prendre des décisions (p. 88), l'amour d'être aimé des gens, sans les aimer (p. 189), la nature pyrrhonienne (p. 202), sans doute affectée ou jouée, mais le propre du pyrrhonisme pratique est d'annuler la différence entre le joué et le vécu. Junon était donc battue d'avance, au moins pour tout le temps où demeurait le signe du désir d'être converti, quand la metanoïa n'est pas effectivement là; comme fut voué à l'échec le désir de Kafka de rallier l'universel et la simple nature par le mariage, à défaut de la conviction intime repoussée par son angoisse.
    La relation à Dieu et au Christ dans ce livre qui eût peut-être été pour moi, à l'âge de l'adolescence, une fameuse gorgée de poison alors que les petites musiques de ténèbre, avec Barrés ou Gide, l'ont laissée froide… Je ne jugerai pas, ayant «ruminé» comme Matzneff dit qu'il faut qu'on le lise. Il n'est même pas impossible que ces mouvements désordonnés d'approche et d'éloignement, cette voie torve, nullement innocente, soient salubres à quelques esprits. Ecoutons : «Selon toute vraisemblance. Dieu n'est pas. Mais ai-je raison d'introduire la vraisemblance dans un tel débat. » Surviennent Aramis et la duchesse de Chevreuse, puis la bouche de Corinne, «ses seins et son ventre enfantins»; mais la question réelle, plus sérieuse que le vraisemblable et Corinne à la fois : «précisément cela qui dans le christianisme me captive. La liberté de dire oui à Dieu, et celle de lui dire non. » (p. 115).
    Le «démon singulier» fuit avant de reconnaître que cette liberté n'a de sens que si Dieu est là. qu'elle n'est pas subsumée par une liberté abstraite qui serait présente dans le oui et le non. Bref, comme le montre Saint Bernard, que c'est la grâce qui sauve, et ce qui est sauvé le libre arbitre, cette liberté unique qui reste à Adam aux portes du Paradis. Une fois ce tour joué (pas par Matzneff, en lui) toute chute est permise, jusqu'au calembour théo-logique, proche du blasphème : «Et puis, je crois en Dieu, je ne crois pas en Dieu, quelle outre-cuidance ! L'important n'est pas que moi, fourmi, je croie ou ne croie pas en Dieu, mais que Dieu, s'il existe, croie en moi)) (p. 27) Ainsi le regard de Stravoguine ren-verse-il l'évidence, mais dans le cas de notre héros, c'est «un regard d'enfant», comme lui "disent les filles. A quoi il répond : «mais moi, je sais ce que cache ce regard. Les yeux c'est important. C'est traître aussi.» Le sait-il réelle-ment ? Lui qui a pris à son compte, ou au compte du protagoniste d'Isaïe, le mot de Dostoievski sur la préférence ultime du Christ, si le Christ s'opposait à «la vérité», il laisse son démon singulier le préférer de manière horrible, intenable : «Et le Christ, dans tout cela ? Pauvre Christ je lui en fais voir des vertes et des pas mûres. Pourtant il demeure avec moi, par delà le bien et le mal». Non.

    Non, ce ne sont pas «des vertes et des pas mûres». Ce n'est rien en un sens, et il le sait : «Cette chasse perpétuelle, cette inlassable consommation de chair fraîche, c'est le paradis, mais un paradis infernal.» Cette chair, enfantine et vénale, n'est pas toujours si fraîche. « L'enfer des bambini» comme dit, autrement, une épigramme de Machiavel. Bonne occasion pour des sots de faire de Matzneff et Gide, et Lapassade, etc, des espèces Mais justement il y a autre chose. Et d'abord l'Evangile, qui a tout changé. Que la «pédophilie» dont Matzneff croit épouvanter une société comme si elle était capable de réagir, soit homo ou hétérosexuelle, cela m'est bien égal. Ce qui m'importe c'est qu'elle a affaire à des enfants, aux mikroï, aux parvuli (Math.18.6.) et que la condamnation par le Christ est la plus brutale et terrible des Evangiles : la meule au cou, et il eût mieux valu ne pas naître. Je n'y puis rien, c'est ainsi. Ceux qui ne l'acceptent pas ne sont pas de la religion à laquelle j'essaie d'appartenir. J'ai trop d'amitié profonde, et souvent douloureuse pour Matzneff, que d'offusquer cette vérité. Il ne va pas me répondre qu'il s'agit de chair vendue, comme dans le Maghreb. Ni que Dostoievsky ... Car enfin si Dostoievsky a commis le crime de Stavroguine (et c'est douteux sauf aux yeux du malveillant Katkof) du moins n'oubliait-il pas la malédiction du Christ dans Mathieu, du moins en aurait-il souffert comme d'un crime.
    «Celui qui scandalise un de ces petits». Le scandale est inévitable mais la nécessité ne change rien : la liberté démoniaque est celle qui scandalise, et il ne s'agit pas de l'ordinaire morale, de la commune hypocrisie. Trop facile de prendre «scandale» au sens tout émoussé. Je ne sais pas ce que disait l'araméen; je sais ce qui vise le grec de Matthieu, et Matzneff se sert du Chantreine comme moi : skandalê, c'est le trébuchet d'un piège où est placé l'appât. Scandaliser, c'est piéger, inciter à la chute, au péché. Scandaliser l'enfant, l'exposer au piège, ce n'est pas le sodomiser, le traiter comme un jouet propre ou malpropre, c'est lui donner l'occasion qui veut dire chute. Une chute, ces gamins vicieux ? Pire encore, si elle attend votre trébuchet. Je n'ai pas de chance, parfois sur l'essentiel, avec mes amis, élèves ou disciples : ce que prononce un de mes élèves naguère les plus aimés, un René Schérer, sur l'enfance, me fait horreur sans retour. Schérer pourtant, sans doute par pudeur, n'avoue aucune alternance chrétienne. Matzneff avoue, fanfaron de crime, et le fanfaron empêcherait de prendre le crime au sérieux : «Je lis Bossuet, l'admirable sermon sur l'impénitence finale, et, dans le même temps, je prépare mon prochain départ au Maroc, me délectant des péchés que j'y commettrai.» Je vois bien ces délices des inclinations naissantes, du futur prochain. Je vois aussi comme on peut dire qu'il n'y a pas, ontologiquement, de «grandes personnes». Mais l'enfance existe, sacrée, mortelle à ce qui la souille. Un Bernanos le sait, et même Valéry Larbaud. Il y a tant d'angles où Bernanos devait et pouvait aimer «Vénus et Junon» malgré le toc païen. Il n'eût pas cédé, selon Matthieu, sur cette «pédophilie du diable».

    Je m'irrite; j'ai tort. Il n'y a qu'amitié souffrante dans mon propos. Mais l'ai conduit du moins jusqu'à la dernière page de ce journal, où Matzneff n'a pas dit du tout son dernier mot. « La mort de Pierre Struve est-ce une visite de Dieu ou un croche pied du diable ?» Le diable a eu la jambe plus alerte, dans les 238 pages précédentes. Et l'aveu surgit, disant un vrai, médisant un faux, comme toujours, à propos du noir et du blanc d'une quelconque photographie : «lui en soutane noire sur fonds sombre, moi vêtu de clair sur fonds blanc, mais la vraie clarté est dans son regard attentif et doux, dans son geste de toucher sa croix pectorale de sa main gauche, et la noirceur est dans mon âme souillée et dans mon corps de boue.» Prenons garde : celui qui avoue, aux naïfs qui le trouvent transparent, rétorque : «Je suis l'opacité même». Oui, il est quelque opacité. Quelque donc «sauvable», à sauver; sa liberté est objet de la grâce. Je prête l'oreille, à travers ces dix dernières années, qui ont dû déjà retourner et saccager cette âme si noble et vile, (si sensible et humaine, simplement), aux mots qui terminent ce journal indissolublement abominable et beau : «Que meure le vieux bouc !» (Il a trente ans). «Je suis au delà de l'angoisse (...) Le danger m'amuse (...) j'ai une foi absolue en mon amour pour Tatiana. Ensemble nous vaincrons la mort (...) Je porte en moi ta présence, ton âme orgueilleuse et fragile» Mais j'ai confondu : «l'âme orgueilleuse et fragile», c'est de Tatiana parlant de lui. Est-ce que cela change quelque chose à la douce pitié de Dieu ?

    Pierre Boutang

  • Immigration : les mêmes causes produisent les mêmes effets, par David L'Épée.

    « La lecture du journal est la prière du matin de l’homme moderne » disait Hegel. Notre collaborateur David L’Épée, médiavore boulimique, priant peu mais lisant beaucoup et archivant tout ce qui lui tombe sous les yeux, effeuille pour nous la presse de ces dernières semaines.

    Parmi les actualités qui auront marqué cet été 2021, on se souviendra de l’affaire Mila, à la fois si emblématique et si banale d’une France où certaines communautés, loin de s’assimiler à la population qui les ont accueillies, réclament d’elle qu’elle s’assimile à leurs mœurs et à leur vision du monde.

    3.jpgAlors que les féministes et la gauche en général se sont fait très discrets pour ne pas risquer de « stigmatiser » l’islam, les rares femmes engagées à avoir pris sans ambiguïté la défense de Mila se sont avérées être elles-mêmes issues de la communauté musulmane. C’est en connaissance de cause, bien placées pour savoir quels risques pouvaient encourir les femmes en cas de « grand remplacement », qu’elles ont pris la parole.

     

    Interviewée dans Le Figaro du 3 juin, Zineb El Rhazoui prend sans ambages la défense de la jeune fille : « Mila est libre d’être vulgaire, mais ses détracteurs, eux, prétendent que leur vulgarité est au service du sacré, et c’est cela qui est absurde. » Elle pointe le silence de ceux (et surtout de celles) qui se sont pourtant fait les chantres de la défense des femmes et des minorités sexuelles. « Les associations soi-disant féministes qui font du féminisme sélectif sous prétexte d’antiracisme finissent par accepter un féminisme au rabais pour les femmes musulmanes ou victimes du patriarcat islamique, elles tombent donc exactement dans la définition du racisme. Quant aux associations qui prétendent lutter contre l’homophobie sans jamais mentionner que l’homosexualité est condamnée dans l’ensemble des pays où l’islam fait la loi – souvent de la peine de mort – elles font elles-mêmes la démonstration de leur imposture. » On relira avec profit le très stimulant essai de Denis Bachelot, L’Islam, le sexe et nous (Buchet Chastel, 2009), qui avait anticipé il y a déjà plus de dix ans la multiplication de ces dérives consécutives à l’immigration.

     

    Dans L’Express du 10 juin, Abnousse Shalmani s’adresse directement à l’adolescente harcelée et retirée de son école suite au déluge de menaces de mort : « Mila, le temps des rendez-vous amoureux, ce temps volé aux devoirs, à la famille, pour retrouver l’être aimé au bout de la rue, t’a été pris par des gamins qui se sont dressés en juges-la-morale, qui préfèrent des barbus qui aiment la mort à des femmes qui célèbrent la vie, des gosses qui n’en sont déjà plus, qui se limitent, se cloisonnent, s’enferment. Ils ne veulent pas apprendre, ils veulent s’imposer ; ils ne veulent pas entendre, ils veulent gueuler plus fort. Ils refusent la joie, ils préfèrent la peur ; ils pensent être justes, ils sont manipulés. Regretteront-ils les baisers sans lendemain, les mains qui se cherchent dans le noir, l’affirmation beuglante de convictions rances qui ne durent que le temps d’un battement de cils ? Regretteront-ils, plus tard, quand il n’y aura plus de légèreté, quand il sera temps de gagner sa vie, regretteront-ils ta saine vulgarité, ton aplomb, ta franchise, tes dessins, ton humour et tes cheveux roses ? Regretteront-ils d’avoir piétiné une jeune fille en fleur avec une fierté qui fait froid dans le dos ? Toi, tu préfères les frissons du printemps, parce qu’on n’est pas sérieux quand on a 17 ans et qu’on a des tilleuls verts sur la promenade. Rimbaud t’aurait tressé un poème sur mesure pour ne jamais oublier qu’il existe une adolescente qui ne craint ni les barbus, ni les corbeaux, ni la lourdeur. » Difficile, en lisant cette belle envolée, de ne pas penser à ces visuels qui circulent beaucoup sur internet ces dernières semaines et qui nous montrent l’Afghanistan avant et après la prise de pouvoir des talibans…

     

    Et pourtant, il y a tout à craindre que les flux migratoires entrainés par l’actuelle crise afghane aboutissent en France à des effets aussi tragiques que ceux des vagues précédentes, et ce dans le même climat de déni entretenu par les médias et les autorités. D’où ce coup de gueule bien senti de Gérard Biard dans le Charlie Hebdo du 1er septembre : « Il ne fait aucun doute que tous ces théoriciens du talibanisme inclusif, qui vont à coup sûr proliférer dans les semaines et les mois qui viennent, savent reconnaître un fasciste quand ils en croisent un. Nombre d’entre eux se classent à gauche, ils sont même imbattables à ce petit jeu. Pas de danger qu’ils ratent un Bolsonaro ni un Viktor Orban. Mais curieusement, il suffit que ledit fasciste porte une barbe et brandisse un Coran pour que leur détecteur de fachos soit pris en défaut. Il ne faut pas confondre le fascisme à poil ras, intolérable, et le fascisme à poil long, sympa. » C’est, soit dit en passant, ce sur quoi nous alertons depuis des années…

     

    C’est aussi ce que dénonce Nicolas Lévine sur notre site le 17 août : « Sur BFM et CNews, la question n’était pas : “Comment les empêcher d’arriver ?” mais “Combien faut-il en prendre ?” Voilà, tout le monde est bien d’accord, il est acquis que nous devons, au nom du droit des petites filles à aller à l’école, accueillir beaucoup d’Afghans. Il est vrai que, pour ces commentateurs, les Français ne sont pas plus légitimes en France que n’importe qui d’autre. » Et d’anticiper les événements sinistres qui, hélas, vont nécessairement se multiplier consécutivement à ce nouvel « enrichissement culturel » : « Préparez-vous aux violons, ça va propagander sévère. Libé va nous dégoter la seule rockeuse afghane transgenre et tatouée ! Et quand dans trois mois des “réfugiés afghans” se feront sauter dans un musée, et quand dans six mois des “réfugiés afghans” violeront une adolescente dans le RER, et quand dans dix mois un “réfugié afghan” égorgera des passants dans les rues de Verdun, faudra surtout pas venir nous parler de causalité, hein. Car les civilisations, les cultures, les peuples, ça n’existe pas. » Ce qui est le plus révoltant dans toutes ces affaires, c’est peut-être justement ça, leur prévisibilité, l’évidence des liens de causalité que pourtant les autorités et les médias s’obstinent à nier. Lévine force à peine le trait car la réalité, déjà, rattrape ses prévisions : le 25 août, sur BFM TV, l’inénarrable Sandrine Rousseau déclarait sans honte : « S’il y a des Afghans potentiellement terroristes, il vaut mieux les avoir en France pour les surveiller. » Voyons les choses du bon côté : la candidate EELV n’a même pas besoin d’adversaires pour enterrer sa candidature à la présidentielle, elle s’inhume toute seule à grandes pelletées – bon débarras !

     

    Mais revenons à Mila. Au moment du procès de quelques-uns de ceux qui l’avaient menacée en ligne, même Médiapart, pourtant toujours prompt à toutes les complaisances « islamo-gauchistes » et pas vraiment connu pour son attachement à la laïcité, est un peu gêné aux entournures. Dans son édition du 24 juin, on peut lire ceci : « Parce qu’on leur a appris à respecter la religion des autres, les prévenus n’ont vu dans ces images fleuries que des insultes aux croyants. » Il serait peut-être temps, comme le disait il y a déjà pas mal d’années le regretté Pierre Gripari, de reconnaître un devoir, sinon un droit, au blasphème… L’article donne ensuite la parole à l’avocat de Mila : « On n’a fait qu’entendre des excuses piteuses. Le mal de cette génération, c’est de se croire offensé professionnel. » Et ça, reconnaissons-le, c’est un problème de société qui dépasse de loin la question de l’islam et qui, sous nos latitudes, prend sa source bien ailleurs qu’à la Mecque…

     

    Que faire contre ces « offensés offenseurs », ces internautes immatures se sentant moralement légitimés à harceler ceux qui les contredisent sous prétexte de victimisation inversée ? S’il y a peut-être de bonnes pistes, il y en a aussi de très mauvaises, à commencer par celle de la censure et d’un contrôle accru sur tout ce qui s’écrit en ligne. C’est là une spécialité de nos autorités : lorsqu’elles se trouvent confrontées à un problème dont elles sont elles-mêmes la cause indirecte (ici l’irresponsabilité migratoire, les concessions coupables faites au communautarisme, un certain laxisme politique), elles sont prêtes à trouver n’importe quel bouc émissaire pour éviter de se remettre en question ou de dévier de leur ligne. Et la plupart du temps, le bouc émissaire idéal, c’est la liberté d’expression. C’est ce que craint Yascha Mounk qui, dans L’Express du 17 juin, écrit qu’« il existe un réel danger que les mesures prises pour “sauvegarder la démocratie” face aux réseaux sociaux n’exacerbent les dommages qu’elle subit ». Malheureusement c’est précisément dans ce sens-là que semble vouloir appuyer la doxa pour corseter la toile : « La plupart des universitaires et des journalistes, écrit-il, s’accordent désormais à dire qu’Internet et les réseaux sociaux incitent à la haine, donnent du pouvoir aux extrémistes et mettent en danger la démocratie. Et nombreux sont ceux affirmant maintenant que la seule façon de sauver cette dernière est d’interdire la désinformation et de limiter la liberté d’expression. »

     

    C’est justement ce sophisme que dénonce Jacob Maxime dans un article paru le 7 juillet sur le site de Polémia : « Parler des réseaux sociaux, qui ont été les vecteurs de ces menaces de mort, c’est l’occasion pour le système de demander leur contrôle. Le débat porte sur le fait de savoir comment modérer (comprenez : censurer) les réseaux sociaux. Nous pourrions résumer la pensée médiatique par : s’il y a du harcèlement sur Internet, coupons Internet. » Depuis la dérive autoritaire prise par ce gouvernement, tout est toujours prétexte à renforcer la surveillance de ce qui se dit et s’écrit, la crise sanitaire n’en étant qu’un énième exemple. « En 2016, poursuit l’article, le camion qui, sur la promenade des Anglais, a causé la mort de 86 personnes, lors d’une attaque musulmane, n’était qu’un moyen. Le problème ne venait pas du camion, comme le problème ne vient pas des réseaux sociaux pour Mila. Affaire Mila, terrorisme, délinquance, insécurité, baisse du niveau scolaire… La cause majeure de tout ceci tient en un mot : immigration. Si la presse du système n’ose pas l’écrire, c’est à nous, acteurs des médias alternatifs, de le faire. » C’est justement ce que nous nous efforçons de faire, chez Éléments, depuis de nombreuses années.

     

    C’est la même indignation qui anime Mathieu Bock-Côté lorsqu’il écrit, dans Le Figaro du 30 juillet : « Comment comprendre un régime qui annonce vouloir lutter contre les comportements machistes et les discours haineux en se montrant toujours plus répressif contre ces derniers, mais qui, au nom de la diversité, célèbre dans le rap et plus largement la culture des banlieues une agressivité telle qu’elle n’est pas sans évoquer un désir d’appropriation des femmes à la manière d’un geste de domination et d’un exercice archaïque de la souveraineté en pays conquis ? Comment comprendre un État se voulant hostile au racisme, mais peinant à reconnaître le racisme antiblanc ? » A ce jeu-là, ce sont toujours les indigènes (les vrais, pas ceux qui se parent indument de cette étiquette) qui sortent perdants. « Les populations occidentales, explique-t-il, sont ainsi progressivement amenées à consentir à leur exil intérieur, dans un monde où elles ne seront plus que tolérées, comme si elles n’étaient désormais que le bois mort de l’humanité. » Il poursuit sa réflexion le 7 août dans les colonnes du même quotidien : « Il y a quelque chose d’étonnant à ce que la question de l’immigration massive et de ses effets ne soit pas celle qui structure l’ensemble de la vie politique, tant elle bouleverse des domaines de la vie collective en apparence aussi contrastés que la sécurité ou l’éducation. » Et de se poser cette question angoissante : « Y aura-t-il encore demain un peuple français ou sera-t-il seulement occupé désormais à négocier les termes de sa minorisation ? »

     

    Les pays européens sont-ils donc condamnés à céder sous la submersion migratoire et à accepter de voir leurs conditions de vie devenir toujours plus précaires et toujours plus insécures sous l’effet d’un « vivre-ensemble » qui, on l’a suffisamment éprouvé, ne fonctionne pas ? Non, ce n’est pas une fatalité. Même au sein de l’Union européenne, où il est devenu très difficile de résister aux diktats de Bruxelles en matière de libre circulation, certains pays – et pas forcément ceux auxquels on s’attendait – commencent à se relever, sous la pression de leurs opinions publiques, et voient émerger de nouvelles forces politiques quand ce ne sont pas les anciennes qui, sentant le vent tourner, rectifient le tir et adoptent un discours plus responsable sur l’immigration. Un des exemples les plus encourageants est peut-être celui du Parti social-démocrate danois, auquel Le Monde Magazine du 26 juin consacre un article très intéressant. Il vaut la peine d’en citer ici quelques passages car on peut y voir le symptôme d’un changement qui pourrait s’affirmer sur le plus long terme et se produire également sous nos latitudes. La journaliste, qui s’est rendue sur place, est allée à la rencontre de plusieurs cadres du parti, notamment un certain Paw Østergaard Jensen, peintre en bâtiment et président du comité des affaires sociales de la mairie de la ville d’Albertslund. Fidèle aux combats de la gauche ouvrière, il parle « de la concurrence sur le marché du travail, des entreprises qui en profitent pour presser les salaires et accélérer les cadences » et explique qu’« il faut arrêter d’accueillir des réfugiés et des immigrés et intégrer les gens qui sont déjà là ». Même discours chez Henrik Sass Larsen, président du groupe social-démocrate au Parlement, qui considère que « si la gauche européenne va mal, c’est parce qu’elle a trop longtemps été tétani

  • Comment le Pentagone a consciemment financé les Taliban via ses contractants, par Maxime Chaix.

    Alors que la Russie est accusée d’avoir payé les Taliban pour tuer des soldats américains, nous allons vous rappeler un fait méconnu : des contractants du Pentagone ont massivement payé ces mêmes Taliban pour qu’ils épargnent les lignes de ravitaillement de l’armée américaine en Afghanistan.

    En exclusivité pour nos abonnés, nous avons traduit une importante enquête sur ce sujet, qui n’avait pas été reprise dans les médias francophones lorsqu’elle fut publiée en 2009. L’on y apprend dans le détail comment le Pentagone a financé à contrecoeur ses ennemis taliban via ses sous-traitants, n’ayant pas d’autre choix pour ravitailler ses troupes et poursuivre cette interminable guerre d’Afghanistan.

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    « Comment les États-Unis financent les Taliban »

     

    Texte original par Aram Roston (The Nation, 11 novembre 2009)

     

    Traduction exclusive par Maxime Chaix

     

    Le 29 octobre 2001, alors que le régime des Taliban était attaqué en Afghanistan, leur ambassadeur à Islamabad donna une conférence de presse chaotique devant plusieurs dizaines de journalistes assis dans l’herbe. À la droite du diplomate taliban se tenait son interprète, Ahmad Rateb Popal, un homme à la présence imposante. À l’instar de l’ambassadeur, Popal portait un turban noir et une énorme barbe touffue. Il avait une tache noire sur l’orbite de l’œil droit, un bras gauche prothétique et une main droite déformée, à la suite de blessures causées par des explosifs lors d’une vieille opération contre l’URSS à Kaboul.

     

    Mais Popal était plus qu’un ancien moudjahidine. En 1988, un an avant que les Soviétiques ne fuient l’Afghanistan, il fut accusé aux États-Unis d’avoir planifié l’importation de plus d’un kilo d’héroïne. Son dossier judiciaire montre qu’il a été libéré de prison en 1997.

     

    Sautons alors en 2009 : l’Afghanistan est désormais dirigé par le cousin de Popal, le Président Hamid Karzaï. Popal a coupé et taillé son énorme barbe. Il est devenu un homme d’affaires extrêmement riche avec son frère Rashid. En 1996, dans une affaire distincte, ce dernier avait plaidé coupable d’avoir trafiqué de l’héroïne à Brooklyn. Les frères Popal contrôlent désormais l’immense Watan Group en Afghanistan, un consortium engagé dans les télécommunications, la logistique et, surtout, la sécurité. Watan Risk Management, la branche de mercenariat des Popal, est l’une des quelques dizaines d’entreprises de sécurité privée en Afghanistan. Clé de l’effort de guerre, l’une des firmes du Watan Group est chargée de protéger les convois de camions afghans qui voyagent de Kaboul vers Kandahar, et qui transportent le ravitaillement des forces américaines.

     

    Bienvenue dans le grand bazar des contrats militaires en Afghanistan. Il s’agit d’un véritable carnaval de personnages improbables et de relations louches. Ces derniers incluent des ex-responsables de la CIA et d’anciens officiers de l’armée américaines, qui se joignent aux ex-Taliban et moudjahidines afin de collecter des fonds du gouvernement américain au nom de l’effort de guerre.

     

    Dans ce carnaval grotesque, les sous-traitants de l’armée des États-Unis sont obligés de payer des insurgés présumés afin de protéger les voies d’approvisionnement américaines. Dans le cadre de l’opération de logistique militaire en Afghanistan, il est donc accepté que le gouvernement américain finance les mêmes forces que ses troupes combattent. Cette ironie est mortelle, car ces fonds représentent une énorme source de financement pour les Taliban. « Il s’agit d’une grande partie de leurs revenus », comme nous l’a déclaré l’un des plus hauts responsables de la sécurité du gouvernement afghan. En fait, les hauts gradés américains à Kaboul estiment qu’au moins 10% des contrats logistiques du Pentagone – soit des centaines de millions de dollars –, sont des paiements aux insurgés.

     

    Comprendre comment nous en sommes arrivés là nécessite de démêler deux fils. Le premier est l’ensemble de tractations entre initiés qui détermine les gagnants et les perdants dans les affaires afghanes. Le second est un mécanisme troublant, à travers lequel la « sécurité privée » garantit le fait que les convois de ravitaillement américain parcourant ces anciennes routes commerciales ne soient pas pris en embuscade par les insurgés.

     

    Le meilleur moyen de dérouler le premier fil est de nous intéresser à la NCL Holdings. Il s’agit d’une petite firme qui a noué avec les États-Unis un contrat de logistique militaire de plusieurs centaines de millions de dollars. À l’instar de la Watan Risk des Popals, la NCL est une société de sécurité agréée en Afghanistan.

     

    Ce qui fait la notoriété de la NCL Holdings dans les milieux des contractants à Kaboul, c’est l’identité de son principal directeur, Hamed Wardak. Il s’agit du jeune fils américain de [celui qui était alors] ministre de la Défense de l’Afghanistan, le général Abdul Rahim Wardak. Ce dernier fut d’ailleurs l’un des chefs des moudjahidines combattant les Soviétiques [dans les années 1980]. Hamed Wardak s’est immergé dans les affaires et la politique. Il a grandi et a été scolarisé aux États-Unis, où il fut major de promotion de l’Université de Georgetown en 1997. Il a obtenu une bourse Rhodes et a effectué un stage au sein du groupe de réflexion néoconservateur de l’American Enterprise Institute (AEI). Ce stage jouera un rôle clé dans sa vie. En effet, c’est à l’AEI qu’il noua des alliances avec des personnalités majeures des cercles américains de la politique étrangère conservatrice, comme feu l’ambassadrice Jeane Kirkpatrick.

     

    Début 2007, aux États-Unis, Wardak lança la société NCL, bien que cette firme avait probablement déjà opéré en Afghanistan. Il était logique de s’installer à Washington, en raison de ses relations dans la capitale. Parmi elles, nous pouvons citer Milton Bearden, qui est un ancien officier bien connu de la CIA. Bearden est une voix importante sur les questions afghanes ; en octobre [2009], il témoigna devant la Commission sénatoriale des affaires étrangères, où son président – le Sénateur John Kerry –, le présenta comme « un ex-officier traitant légendaire de la CIA et un penseur et auteur lucide ». Toutes les sociétés militaires privées n’ont pas un conseiller aussi influent que lui.

     

    Mais l’accord le plus important obtenu par la NCL fut le Host Nation Trucking [, qui est un ensemble de contrats de sous-traitance routière avec le Pentagone]. Plus tôt cette année, et malgré son inexpérience dans le transport routier, la NCL fut nommée parmi les six sociétés qui allaient gérer la majeure partie du ravitaillement américain en Afghanistan, fournissant du matériel au réseau de bases et d’avant-postes disséminés à travers le pays.

     

    Au début, ce contrat était important mais pas gargantuesque. Or, la donne a soudainement changé, comme un immense jardin qui fleurit. Au cours de l’été [2009], l’armée américaine annonçait une prochaine augmentation de troupes [, le « surge »], ainsi qu’une nouvelle doctrine baptisée « L’argent en tant que système d’arme ». Dès lors, le Pentagone étendit ce contrat de 600% pour la NCL et les cinq autres sociétés. Cet accord mettait en garde ses sous-traitants contre les conséquences désastreuses d’une absence d’augmentation de ces dépenses : « Nos militaires n’obtiendront pas la nourriture, l’eau, l’équipement et les munitions dont ils ont besoin ». Chacun des six contrats de transport routier militaire atteignit les 360 millions de dollars, soit un total de près de 2,2 milliards de dollars. Pour vous donner un ordre de grandeur, cet incroyable effort pour embaucher des chauffeurs afghans et acquérir les camions nécessaires sur une période de deux ans représentait 10% du PIB local. C’est comme si la NCL, qui était dirigée par le fils bien connecté du ministre de la Défense, avait trouvé de l’or pur.

     

    En effet, ce contrat permettait de poursuivre les efforts militaires américains en Afghanistan. « Nous fournissons tout ce dont l’armée a besoin pour survivre ici », m’a expliqué le chef américain d’une entreprise de transport routier. « Nous leur apportons leur papier hygiénique, leur eau, leur carburant, leurs armes, leurs véhicules. » L’épicentre de ce dispositif est la base aérienne de Bagram. Située à seulement une heure au nord de Kaboul, c’est de là que pratiquement tout est transporté par camion jusqu’aux confins de ce que l’armée appelle « la zone de combat », soit l’ensemble du pays. Garés près du point de contrôle d’entrée n°3, les camions s’alignent, changent de vitesse et soulèvent des nuages ​​de poussière alors qu’ils se préparent pour leurs différentes missions à travers le pays.

     

    Le véritable secret du transport routier en Afghanistan est d’assurer la sécurité sur les routes périlleuses, contrôlées par les chefs de guerre, les milices tribales, les insurgés et les commandants taliban. Le chef d’entreprise américain à qui j’ai parlé me déclara sans ambages : « L’armée des État-Unis paie essentiellement les Taliban pour ne pas avoir à leur tirer dessus. C’est de l’argent du Département de la Défense. » Manifestement, tout le monde s’accorde sur cette question.

     

    Mike Hanna est le chef de projet d’une entreprise de transport routier appelée Afghan American Army Services. Cette firme, qui opère toujours en Afghanistan, assurait ces missions pour les États-Unis depuis des années, mais elle a perdu le Host Nation Trucking que la NCL a remporté. Hanna nous expliqua les réalités sécuritaires locales avec clarté : « Pour déplacer vos camions, vous payez des gens dans différentes zones – certains étant des chefs de guerre, d’autres étant des politiciens au sein des forces de police. »

     

    Il ajouta que les prix varient en fonction de l’itinéraire : « En clair, on nous extorque. Là où vous ne payez pas, vous allez être attaqué. Nous avons juste nos gars de terrain qui vont là-bas, et ils rémunèrent qui ils ont besoin de payer. » Selon lui, les frais d’extorsion peuvent être élevés ou non. « Déplacer dix camions, c’est probablement 800 dollars par véhicule pour traverser une zone. Cela dépend du nombre de camions et de ce que vous transportez. Si vous avez des camions de carburant, ils vont vous facturer plus cher. Si vous avez des camions de marchandises, ils ne vous factureront pas autant. Si vous transportez des véhicules MRAP ou des Humvees, ils vous demanderont plus d’argent. » Hanna souligne que c’est juste un mal nécessaire : « Si vous me dites de ne pas payer ces insurgés dans telle ou telle zone, les chances que mes camions soient attaqués augmentent de façon exponentielle. »

     

    En Irak, l’industrie de la sécurité privée a été dominée par des entreprises américaines et mondiales comme Blackwater, opérant de facto comme des extensions du gouvernement des États-Unis. En Afghanistan, sachant qu’il y a beaucoup d’acteurs locaux, le milieu des contractants de Kaboul est nettement plus concurrentiel : « Chaque chef de guerre possède sa société de sécurité », m’a expliqué un dirigeant du secteur.

     

    En théorie, les sociétés de sécurité privée à Kaboul sont fortement réglementées, bien que la réalité soit différente. Trente-neuf sociétés ont obtenu des licences jusqu’en septembre [2009], date à laquelle ce nombre fut réduit à une dizaine. De nombreuses firmes agréées ont des liens avec la politique locale : tout comme la NCL appartient au fils du ministre de la Défense et la Watan Risk Management est dirigée par les cousins ​​d’Hamid Karzaï, l’Asia Security Group est contrôlé par Hashmat Karzaï, un autre parent du Président. Cette société a monopolisé une rue entière dans le quartier de Sherpur, où les prix sont élevés. Une autre entreprise de sécurité est contrôlée par le fils du président du Parlement, selon plusieurs sources. Et ainsi de suite. 

     

    De la même manière, l’industrie locale du transport routier, qui est la clé des opérations logistiques, est souvent liée à des personnalités importantes et à des chefs tribaux. L’Afghan International Trucking (AIT), qui est un transporteur majeur en Afghanistan, a versé 20 000 dollars mensuels en pots-de-vin à un responsable des appels d’offre du Pentagone, d’après son accord de plaidoyer devant un tribunal américain en août [2009]. L’AIT est une entreprise très bien connectée : elle est dirigée par le jeune neveu du général Baba Jan, l’ancien commandant de l’Alliance du Nord désormais chef de la police de Kaboul. Dans une interview, Baba Jan, un leader jovial et charismatique, a insisté sur le fait qu’il n’avait rien à voir avec l’entreprise de son neveu.

     

    Mais le cœur du problème est que les insurgés sont payés pour qu’ils n’attaquent pas les convois routiers. En effet, il existe peu d’autres moyens d’acheminer des marchandises vers les avant-postes de combat et les bases avancées où les soldats en ont besoin. Par définition, de nombreux avant-postes sont situés en terrain hostile, dans le Sud de l’Afghanistan. Les entreprises de sécurité ne protègent pas vraiment les convois de matériels militaires américains dans ce pays, tout simplement car elles ne le peuvent pas ; elles ont besoin de la coopération des Taliban.

     

    L’un des gros problèmes pour les firmes qui expédient ces ravitaillements américains à travers le pays est qu’il leur est interdit de s’équiper avec une arme plus lourde qu’un fusil d’assaut. Cela les rend inefficaces pour lutter contre les attaques des Taliban contre les convois. « Ils tirent sur les chauffeurs à 900 mètres avec des PKM », m’a expliqué un dirigeant d’une entreprise de transport routier basé à Kaboul. « Ils utilisent des [lance-grenades] RPG qui peuvent détruire un véhicule blindé. Les sociétés de sécurité sont donc pieds et points liés. À cause des règlementations, elles ne peuvent transporter que des AK-47, et c’est tout simplement ridicule. Je peux porter un AK – mais c’est juste pour me tirer dessus si je dois le faire ! »

     

    Ces règles existent pour une bonne raison, soit pour se prémunir contre les dommages collatéraux dévastateurs causés par les forces de sécurité privée. Pourtant, comme le souligne Hanna, qui dirige l’Afghan American Army S

  • 8 juin 1795 : Un petit enfant martyrisé cesse enfin de souffrir. Ou : les Rois Martyrs...

                8 juin 1795 : Isolé, en proie aux terreurs nocturnes sans que jamais personne ne vienne répondre à ses détresses, rongé par la maladie dûe à ses conditions inhumaines de détention, le martyr d'un enfant de dix ans cesse enfin. La mort libère le petit Louis-Charles, duc de Normandie, devenu Louis XVII -et deuxième roi martyr- à la mort de son père, Louis XVI, premier roi martyr....

               "L'enfant emmuré tel un cadavre au sépulcre, tenu dans un total isolement affectif et social, rongé par la vermine, ses articulations déformées et semées de tumeurs, passa seul sa dernière nuit en ce monde, sans avoir jamais cessé de croire que sa mère était encore présente à l'étage au-dessus de lui."... (Edmonde Charles-Roux, de l'Académie Goncourt).

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               Portrait de Louis XVII, par Greuze, premiers mois de 1795 (peinture à l'huile, 466 mm x 368).

               Le portrait où l'enflure du visage, le teint blafard, l'attitude affaissée, trahissent un état de maladie avancée, date, selon toute vraisemblance, de 1795. Il ne peut avoir été exécuté que d'après une impression directe.

               Greuze essaie une dernière fois d'idéaliser cette loque humaine que Laurent -le nouveau gardien, créole, que lui a affecté la Convention- a décrassée et revêtue de linge blanc. Mais il devra le peindre enflé, jaune, dos courbé, poitrine rentrée, yeux injectés de sang, assis semble-t-il sur son lit, avec une chemise et des bretelles, manquant de force pour se lever. Comme on n'a jamais retrouvé le profil tracé par Belanger le 31 mai 1795, le portrait de Greuze, où l'on sent une impression directe, est le dernier portrait certain de Louis XVII.

                Le portrait où l'enflure du visage, le teint blafard, l'attitude affaissée, trahissent un état de maladie avancée, date, selon toute vraisemblance, de 1795. Il ne peut avoir été exécuté que d'après une impression directe.

               Greuze essaie une dernière fois d'idéaliser cette loque humaine que Laurent -le nouveau gardien, créole, que lui a affecté la Convention- a décrassée et revêtue de linge blanc. Mais il devra le peindre enflé, jaune, dos courbé, poitrine rentrée, yeux injectés de sang, assis semble-t-il sur son lit, avec une chemise et des bretelles, manquant de force pour se lever. Comme on n'a jamais retrouvé le profil tracé par Belanger le 31 mai 1795, le portrait de Greuze, où l'on sent une impression directe, est le dernier portrait certain de Louis XVII.

              Chateaubriand écrit à propos de Louis XVI, dans ses "Mémoires d'Outre-Tombe": "Le respect que doivent inspirer la vertu et le malheur du Roi saint et martyr rend tout jugement humain presque sacrilège." (Pléiade, tome 1, page 174).

              Comme souvent chez Chateaubriand, la phrase est heureuse. Ne conviendrait-il pas, cependant, de compléter cette formule, "le Roi martyr", et pour la rendre plus juste encore, de l'employer au pluriel: "les Rois martyrs" ?

              En effet, dans sa fureur haineuse, la révolution a bien assassiné "le" Roi en assassinant Louis XVI, et cela suffisait d'après elle, puisque, pour les révolutionnaires, avec et après cet acte, "le charme séculaire de la monarchie"(dixit Jaurès) était rompu.

              Mais ce point de vue, c'est celui des révolutionnaires, et quelqu'odieux qu'ait été cet acte, le Roi ne meurt pas ("Le Roi est mort, Vive le Roi !); à l'instant même où les roulements de tambour de Santerre annoncent le forfait, la Reine qui les entend, prisonnière au Temple, s'agenouille devant son fils, le petit Dauphin; car à cette seconde même, ce petit garçon de huit ans, Louis-Charles duc de Normandie, cesse d'être le petit Dauphin: il est devenu Louis XVII, Roi de France, roi de fait et de plein droit.

              Ce n'est que pour les révolutionnaires qu'il n'y a plus de Roi en France. Pour le Droit et pour la continuité historique, pour la France éternelle, la Royauté continue, même sans gouvernement ni puissance; même sous les traits d'un Roi-enfant né pour souffrir, et lui aussi martyrisé (il  mourut deux ans et quatre mois après son avènement, ce funeste 21 janvier 1793, la légitimité passant alors tout naturellement à son oncle, Louis XVIII). 

             Donc, même si la révolution a prétendu tuer "le" Roi, dans sa folie criminelle (qui a instauré l'ère des effroyables totalitarismes modernes) il y a bien eu deux Rois Martyrs, Louis XVI et son fils Louis XVII. Sans oublier, dans cette trilogie de souffrances et d'inhumanité, la Reine Marie-Antoinette. C'est bien une Famille qui a été volontairement, délibérément, lucidement, massacrée.

             Il ne s'agit plus de pardonner aux bourreaux parce qu'ils ne savaient pas ce qu'ils faisaient, mais bien au contraire parce qu'ils savaient ce qu'ils faisaient .....

             Il s'agit donc de pouvoir enfin regarder ce passé en face, afin de pouvoir le surmonter et le "dépasser". Mais on ne peut "dépasser" qu'une faute reconnue et assumée comme telle, clairement nommée, datée, identifiée. Les russes l'ont fait avec leur famille impériale, qu'ils ont canonisée; ils ont ainsi "tourné la page" de 1917, apaisé et "purifié" leur passé. Or leur révolution vient de la nôtre, qui est la matrice de leur totalitarisme marxiste-léniniste (comme elle est, en Allemagne, la matrice du totalitarisme nazi, tous deux fils jumeaux de la Terreur et de l'idéologie révolutionnaire de la Convention). 

              Ce qu'ont fait les russes là-bas il faut le faire  ici: comme semblait déjà le suggérer Chateaubriand ("le Roi saint et martyr") : il faudra bien, un jour, canoniser la famille royale, Louis XVI, Marie Antoinette et Louis XVII ("les" rois martyrs et non "le" roi martyr). Et ce, non par nostalgie ou folklore, encore moins par esprit de vengeance, mais comme un acte fort et plein de sens. Afin de renouer -comme l'on fait les russes- les fils rompus de notre histoire; afin de "recoudre" après qu'on ait "taillé" (pour reprendre la formule de Catherine de Médicis); afin de pouvoir tourner cette page ouverte en 1793, et qui ne pourra l'être que lorsque les faits qui ont été perpétrés seront reconnus comme tels. Car tant qu'il n'y a pas pleine conscience et plein rejet d'une faute, il ne peut y avoir de nouveau départ, sur des bases assainies et apaisées.

              Il faut s'accommoder de la révolution-fait, mais se dépêtrer de la révolution-idée. Et le cycle ne sera achevé, la page tournée que lorsque les crimes et la barbarie de la révolution auront été reconnus et établis, donc dépassés, comme tels...

  • La ”polémique” à propos de L'Evasion de Varennes : Touchés ! Touchée ! Touché !...

                    Oui, touchés, les tenants du Système ! Touchée, l’idéologie totalitaire ! Et touché, le mythe fondateur !…..

                    Il n’y a qu’à lire leur(s) réaction(s), pour bien comprendre qu’en fait ils ont très bien compris, et qu’ils ont tout compris. Avec Louis XVI, l’évasion de Varennes -que vient de rediffuser France 5 (1)- avec la Vérité enfin dite, sans artifices, c’est leur Système, basé sur le mensonge, qui est touché au coeur. Et cela, ils ne peuvent le supporter. Et, de leur point de vue à eux, ils ont raison…..

                    Pour suivre la polémique, deux Blogs :

    http://clioweb.free.fr/debats/varennes.htm

    http://revolution-francaise.net/2009/01/11/295-lettre-ouverte-madame-inspecteurs-pedagogiques-regionaux-histoire-geographie-academie-paris

    et, regroupées en un seul PDF, les cinq notes que nous avons, pour l'instant, consacrées à ce sujet: L'évasion de Varennes.pdf

    LOUIS XVI.jpg

               Tout a commencé avec la lettre écrite par trois professeurs -rapidement signée par huit autres, avant qu'une petite centaine ne leur emboîtent le pas- qui protestent contre ceci: http://clioweb.free.fr/debats/1791evasion.pdf

               Lettre à laquelle -ambiance !...- les IPR ont répondu, entre autres : "...Faut-il à ce point rechercher des raisons d’exister, faut-il avoir tant de rancunes et des frustrations rentrées, faut-il avoir le goût des querelles rances pour susciter à partir de rien une agitation vide de sens ? Seul l’intérêt pour la falsification, la manipulation et l’intimidation semble constituer le moteur pathétique de votre lettre, diffusée à l’envi afin que son funeste objectif soit davantage assuré... ".

               La thèse des révisionnistes-négationnistes est archi-connue mais, remarquons-le, la nouveauté est que, maintenant, ils sont sur la défensive, et obligés de monter au créneau pour colmater les brèches de leur Bastille du mensonge: la Terreur était obligatoire et nécessaire, la jeune Révolution étant attaquée de l'extérieur et de l'intérieur, nous disent-ils. En somme, comme d'habitude chez les Révolutionnaires, c'est la faute des autres, jamais d'eux-mêmes ! Mais, s'il y a eu guerre et invasion du territoire national, qui a déclaré cette guerre stupide et funeste, sinon la Révolution ? Quel besoin y avait-il pour la France de déclarer la guerre à qui que ce soit ? Ce sont eux, les Révolutionnaires, et eux seuls, les responsables de la guerre qu'ils ont voulue, et de l'invasion qui s'en est suivie. Notons d'ailleurs, au passage, que Napoléon lui-même -pourtant héritier, continuateur et sabrede la révolution...- leur a donné tort, en épousant à son tour une "autrichienne" en 1810 (horresco referens...) !

                Pareil pour les Vendéens: il fallait les écraser, car leur soulèvement menaçait la jeune République. Mais s'ils se sont révoltés, c'est que la-dite République voulait leur imposer un viol des consciences. Il aurait été si simple de ne pas vouloir de guerre à l'Europe, et de ne pas vouloir imposer le Totalitarisme ! On n'avait ni invasion extérieure, ni soulèvement intérieur ! Mais, non, plutôt que de s'accuser eux-mêmes à travers leurs folies, les Révolutionnaires préfèrent accuser les autres, et voir dans les catastrophes qu'ils ont amenées, eux et eux seuls, la justification de la Terreur: chapeau !.....

                Mais, ces quelques propos étant dits, nous nous garderons bien de rentrer dans les détails, pour nous y noyer, ce que cherchent de toute évidence les signataires de cette sorte de pétition. Nous prendrons au contraire du recul. Pour constater que ce qui affole au sens propre du terme -ce qui les rend fous, et fous de tout: de rage et de peur- c'est tout simplement qu'on ose dire la Vérité. Qu'on ose parler des choses non comme ils disent -en mentant- qu'elles se seraient passées, mais comme elles se sont passées. Parce que, comme pour le Goulag stalinien, dès qu'on dit la Vérité, dès qu'on n'a pas peur, le Sytème s'effondre, lui qui ne tient que par le mensonge et la peur.....

                 Et, ils le savent très bien, si on commence par dire la Vérité sur Varennes, on la dira aussi sur le génocide vendéen, sur le Totalitarisme et la Terreur etc...etc... Et comme "la Révolution est un bloc...", ce bloc se détricotera dès qu'une maille sautera. Voilà pourquoi, pour la première fois depuis bien longtemps sur la défensive, ils font tout ce qu'ils peuvent pour essayer d'empêcher que le mécanisme infernal -pour eux, infernal...- ne se mette en place....

                  Question: n'est-il pas déjà trop tard ?.....

    (1): Diffusé une première fois par France 2, le 24 février 2009, et re-diffusé par France 5 le 8 février 2010, le téléfilm est maintenant disponible en DVD. L'acheter pour le voir soi-même, et le faire voir au maximum de monde autour de soi, n'est-ce pas la meilleure façon de répondre aux sectaires et aux menteurs ?.....

    L'Evasion de Louis XVI disponible en DVD.....

    LOUIS XVI EVASION.jpg

                93 minutes, 19,99 euros : l'excellent téléfilm d'Arnaud Sélignac diffusé par France 2 sort aujourd'hui. Il est à mettre entre toutes les mains, et il convient de lui assurer la plus large diffusion possible. C'est la première fois qu'on parle honnêtement et positivement de Louis XVI, et sur une chaîne publique, s'il vous plaît !...

                Et, nous l'avons déjà dit, avec des travaux de ce genre il ne sera plus possible au mensonge officiel d'Etat de se maintenir, comme il le fait depuis si longtemps. Rien ne sera plus comme avant, il y aura un avant et un après le Sélignac, et pour la vérité officielle, qui n'est rien d'autre qu'un cynique travestissement et une grossière falsification de la vérité vraie, doublés d'un authentique révisionnisme et d'un non moins authentique négationnisme, c'est le commencement de la fin.....

                Poussons à la roue, pour qu'enfin l'édifice vermoulu, qui n'est plus qu'une coquille vide, s'effondre. Cet excellent téléfilm est l'un des moyens à notre disposition : profitons-en, et plus que très largement, en le diffusant au maximum !.....

     

          Le jour de sa diffusion, il avait réuni 2.691.000 téléspectateurs, soit 10,3% de parts de marché.

  • Quand le PS en général, et Moscovici en particulier, se moquent du monde.

    moscovici.jpg           On pourrait ajouter : et nous prennent pour des imbéciles.... 

               Comme Rocard, tout récemment, Moscovici voit du Vichy dans les propos du Président.

               Décidément, au PS on ne recule devant aucune éxagération lorsqu'il s'agit d'idéologie. Monsieur Moscovivi ferait mieux de s'excuser - puisque c'est la mode, et que c'est ce qu'ils demandent toujours, à gauche : la repentance... - d'avoir donné Vichy à la France.

                Car c'est bien la chambre du Front populaire, à une petite centaine d'exception près, qui a voté les pleins pouvoirs à Pétain, et c'est donc bien le Front Populaire - PS, PC et Radicaux - qui a créé Vichy....

                Est-ce pour faire oublier ce fâcheux souvenir qu'ils crient si fort, et à tout bout de champ ? Évidemment, oui.....

                Mais, bon... Revenons à notre point de départ...

                Mosco nous explique doctement qu'il a des parents étrangers (il cite une grand'mère roumaine) et même quatre ascendants étrangers. Mais c'est là, et en cela, qu'il nous prend pour des imbéciles. Et qu'il nourrit ainsi cet extrêmisme qu'il feint de dénoncer, alors que c'est, là aussi, une géniale création de Mitterrand....

                Il nous prend pour des imbéciles parce qu'il fait exprès de ne pas voir ce qui crève les yeux. A savoir que les migrations actuelles ne sont en rien comparables avec celles des siècles précédents.

                Les migrations de population (à quelques exceptions près, comme les Arméniens...) étaient - aux XIXème et XXème siècles - des migrations inter-européennes, et affectaient des populations avec qui, en gros, nous partagions un socle de valeurs fondamentales communes, tirées de l'ancestral héritage européen, commun à tous dans les grandes lignes.

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    Les immigrés d' "avant" (ici des polonaises en costume traditionnel)
    se sont intégrés, fondus, assimilés dans un ensemble France....

                 Mais aujourd'hui ? Et depuis 1975 ?  

                 La vague migratoire d'aujourd'hui diffère fondamentalement du passé par son ampleur inédite d'abord: peut-être 15 millions d'entrées en trente ans, jamais notre pays dans son histoire n'avait subi une telle pression, aussi soudaine qu'insensée, et très certainement porteuse de tensions (doux euphémisme) à très court terme.

                  Par ses origines ensuite, la grande masses des immigrés d'aujourd'hui provenant non plus d'Europe mais d'Afrique et d'Afrique du Nord (1);

                  Par son aspect idéologique, enfin, inédit lui aussi: le Système en place promeut ouvertement le métissage - qu'on pourrait qualifier de métissage idéologique...- chose là aussi totalement inconnue avant 1975.

                  Nous avons souvent cité -parce qu'elle nous semble profondément juste- cette réflexion de de Gaulle: 

                 "Il ne faut pas se payer de mots. C'est très bien qu'il y ait des français jaunes, des français noirs, des français bruns. Ils montrent que la France est ouverte à toutes les races et qu'elle a une vocation universelle. Mais à condition qu'ils restent une petite minorité. Sinon la France ne serait plus la France. Nous sommes avant tout un Peuple européen, de race blanche, de culture grecque et latine, et de religion chrétienne."

                  Jean-François Mattéi, dans son Regard vide, revient longuement sur la notion d'identité, et sur l'appropriation des apports extérieurs. Mais cette appropriation pourra-t-elle encore se faire si -comme c'est précisément le cas aujourd'hui- ces apports extérieurs, se font en très grand nombre sur un temps très court ? 

                   En français, on est l'hôte de son hôte, puisque le même mot désigne aussi bien celui qui reçoit et accueille chez lui, et celui qui est reçu. Mais l'hôte accueillant pourra-t-il accueillir une telle masse de personnes aux valeurs étrangères et à son pays, et à son Europe natale ? Et l'hôte accueilli pourra-t-il se fondre et d'intégrer, comme l'ont fait avant lui les polonais, les portugais, les italiens, les espagnols, s'il est par ses origines trop éloigné des valeurs du pays d'accueil ?

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    ... rien à voir avec la prétention de beaucoup, "aujourd'hui", qui viennent avec armes et bagages et prétendent transposer leur(s) façons de vivre dans le pays d'accueil. Il n'y a que les idéologues, qui ont des yeux pour voir mais qui ne veulent pas voir, pour refusent de faire la différence entre "avant" et "maintenant", pourtant évidente pour tout un chacun.....

     

                  On sait les problèmes qui se posent avec des personnes de religion différente, voire antagoniste (pour être clairs: les musulmans). Mais la religion n'est pas seule en jeu (2). Les problèmes ne se poseraient-ils pas, aussi, avec des gens non-religieux (ou a-religieux) mais avec des traditions très différentes des nôtres, voire incompatibles (polygamie, excision...) si d'aventure -comme le laissait entendre de Gaulle- ils cessaient d'être "une petite minorité" ?.

                  L'Europe, et la France, pourraient-elle maintenir et perpétuer leur(s) héritage(s) si, même en faisant abstraction de l'Islam, une part importante des populations devenaient de fait extérieures et étrangèresà ces sources dont parle de Gaulle: "...européenne, de race blanche, de culture grecque et latine, et de religion chrétienne..." ?

                  Même si elle est délicate à manipuler, la question mérite au moins d'être posée. Elle est légitime....

    (1) : avec une exception notable, celle d'une population asiatique, importante notamment à Paris...

    (2) : on sait d'ailleurs qu'il ne faut pas tomber dans le pessimisme total: un certain nombre d'immigrés d'Afrique sont chrétiens, et bon nombre de paroisses catholiques, y compris dans des zones sensibles, ont été redynamisées par cet apport immigré-chrétien...  Et, en touts cas, il ne faudrait pas s'imaginer que tous les immigrés sont musulmans....

  • Du bon sens un peu partout: une sociologue du CNRS parle de la burqa.

                Excellent article de Nathalie Heinich, sociologue au CNRS, dans Le Monde du 14 Août (1). Sous le titre La burqa, les sophistes et la loi, elle donne une belle leçon de bon sens et démonte calmement mais habilement, avec une force tranquille, les sophismes et les "étranges arguments" de certains.

                Elle se référe au Bien commun -expression que Boutang préférait à celle d'Intérêt général- et on repense, à la lecture de son texte, à cette idée d'un minimum de lois, pour un maximum de moeurs, qui caractérisait, selon Thibon, une société bien portante.

                Son texte est à lire, le voici.

    nathalie heinich.jpg         

    La burqa, les sophistes et la loi.

    Les lois existent déjà, appliquons-les !

    D'étranges arguments sont apparus ces derniers temps à propos du débat sur le port de la burqa. Le 1er août, dans Le Monde, un enseignant à l'EHESS, Farhad Khosrokhavar, critique son éventuelle interdiction au nom de l'idée qu'elle risquerait de radicaliser le fondamentalisme islamique, alors que la France devrait " favoriser un islam modéré ".

    Le 28 juillet, un anthropologue américain spécialiste de l'islam, John Bowen, s'inquiète, sur le site Nonfiction.fr, de ce qu'une telle interdiction, relevant d'un " ordre moral ", pourrait constituer " une atteinte à la vie privée des gens, à la liberté dans la sphère privée ". Et, la même semaine, l'annonce selon laquelle cette pratique ne concernerait que " 367 femmes ", selon une enquête de la police, amène certains à estimer que, pour si peu, une loi serait inutile, voire nuisible.

    Etranges arguments ! Devrait-on renoncer à légiférer contre le crime parce que celui-ci ne serait le fait que de quelques individus ? La loi n'est pas affaire de nombre, mais de principe. Le problème posé par la burqa relève-t-il de la vie privée ? Evidemment non, puisque ce qui est en question est précisément son port dans l'espace public : personne, que je sache, n'a jamais songé à l'interdire dans les domiciles !

    Le raisonnement de M. Bowen s'appuie sur une conception unilatéralement libérale de la citoyenneté, qui ne voit d'autre valeur à défendre que celle de la liberté individuelle, en vertu de laquelle tout un chacun devrait pouvoir faire tout ce qu'il veut, où il veut, comme il veut, à la seule condition qu'il soit bien mû par sa propre liberté, sans contrainte aucune. Ce faisant, il ignore qu'une autre réalité existe : celle qu'il nomme " ordre moral ", mais que d'autres ne craignent pas de nommer " intérêt général " ou " bien commun " - une valeur tout aussi fondamentale à leurs yeux que celle de la liberté des personnes.

    Quant à l'idée de M. Khosrokhavar selon laquelle il faudrait s'abstenir d'interdire la burqa en France, en s'appuyant sur le précédent du foulard, qui aurait " apporté de l'eau au moulin des groupes fondamentalistes ou sectaires ", elle propose rien de moins que de déléguer aux institutions de la République le soin de faire le ménage au sein de l'islam, entre modérés et intégristes. Mais est-ce bien le rôle de nos institutions que d'intervenir dans une affaire interne à une religion ?

    Fantômes sordides

    Et si les musulmans modérés estiment que le fondamentalisme prend trop de place, pourquoi n'appellent-ils pas leurs coreligionnaires au respect des institutions du pays où ils vivent, plutôt que de demander à ces institutions de se renier elles-mêmes ? Que ne font-ils pas entendre clairement leurs voix ? Que ne se dotent-ils pas de porte-parole courageux qui condamneraient avec fermeté les excès commis au nom de l'islam, en France ou ailleurs ? Que n'appellent-ils pas à manifester contre les crimes islamistes, lorsqu'ils ont lieu ?

    Au lieu de cela, ils recommandent aux institutions républicaines de faire comme eux : surtout, pas de vagues ! Circulez, il n'y a rien à voir ! Des cercueils ambulants, des insultes vivantes à l'humanité circulant dans les rues comme si de rien n'était - chut ! Ne dites rien, il y en a que ça pourrait énerver !

    Le seul point sur lequel on peut donner raison à ceux qui ne veulent pas d'une loi contre le port de la burqa, c'est qu'elle n'est pas juridiquement nécessaire : il suffirait de faire appliquer celles qui existent déjà. Car il y a des lois pour défendre la sécurité, exigeant que tout un chacun puisse être identifié : personne ne doit pouvoir se soustraire à un contrôle d'identité. Et il y a des lois pour défendre la dignité humaine (oui, cette notion qui concerne le bien commun, au risque parfois d'entraver la liberté individuelle) : une dignité que la burqa ôte aux femmes qui la portent, en les privant de cela même qui fait l'humanité de l'être humain - son visage.

    Nul besoin d'avoir lu Levinas pour le comprendre : il suffit d'avoir un jour croisé dans la rue ces fantômes sordides pour comprendre que ce qui leur est ainsi dénié - par d'autres ou par elles-mêmes, peu importe - c'est l'appartenance à l'humanité, qui permet à tout un chacun de rencontrer et de reconnaître son prochain ; et pour se sentir soi-même atteint, dans sa propre humanité, par ce spectacle dégradant.

    Et ne nous y trompons pas : contrairement à l'affaire du foulard, qui appelait à juste titre l'application de la loi sur la laïcité, il ne s'agit plus d'un problème religieux, comme on voudrait nous le faire croire : les musulmans sont les premiers à rappeler que la burqa ne relève en rien d'une injonction islamique. Il s'agit, plus fondamentalement, d'un problème de rapport à la loi : un problème de mise à l'épreuve de l'autorité, de jeu infantile avec les limites de la permissivité, de déni de l'existence de principes moraux supérieurs aux caprices de la volonté individuelle. Ce pourquoi ceux qui ont autorité en la matière doivent y réagir, en faisant simplement ce pour quoi ils ont été élus ou nommés : étendre le champ d'application de ces lois au port de la burqa - et les faire appliquer.

    Nathalie Heinich

    Sociologue au CNRS

    (1) : Nathalie Heinich est sociologue, directeur de recherche au CNRS. 

           Outre de nombreux articles dans des revues scientifiques ou culturelles, elle a publié des ouvrages portant sur le statut d'artiste et la notion d'auteur (entre autres La Gloire de Van Gogh. Essai d’anthropologie de l’admiration, Minuit, 1991 ; Du peintre à l’artiste. Artisans et académiciens à l’âge classique, Minuit, 1993 ; Être écrivain. Création et identité, La Découverte, 2000 ; L’Élite artiste. Excellence et singularité en régime démocratique, Gallimard, 2005) ; l'art contemporain (entre autres Le Triple jeu de l’art contemporain, Minuit, 1998) ; la question de l'identité (entre autres États de femme. L’identité féminine dans la fiction occidentale, Gallimard, 1996 ; L’Épreuve de la grandeur. Prix littéraires et reconnaissance, La Découverte, 1999) ; l'histoire de la sociologie (entre autres La Sociologie de Norbert Elias, La Découverte, coll. Repères, Ce que l'art fait à la sociologie, Minuit, 1998 ; La Sociologie de l'art, La Découverte, coll. Repères, 2001 ; La Sociologie à l’épreuve de l’art. Entretiens avec Julien Ténédos, Aux lieux d’être, 2006 [vol. 1], 2007 [vol. 2] ; Pourquoi Bourdieu, Paris, Gallimard, 2007).

  • Le regard vide, extrait n° 19.

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    Il faut être reconnaissants à Jean-François MATTEI, avons-nous dit, d’avoir écrit « Le regard vide - Essai sur l'épuisement de la culture européenne ». Et, en effet, il faut lire et relire ce livre, le méditer, en faire un objet de réflexion et de discussions entre nous. Il dit, un grand nombre de choses tout à fait essentielles sur la crise qui affecte notre civilisation – et, bien-sûr, pas seulement la France – dans ce qu’elle a de plus profond.  

     Ce livre nous paraît tout à fait essentiel, car il serait illusoire et vain de tenter une quelconque restauration du Politique, en France, si la Civilisation qui est la nôtre était condamnée à s’éteindre et si ce que Jean-François MATTEI a justement nommé la barbarie du monde moderne devait l’emporter pour longtemps.

     C’est pourquoi nous publierons, ici, régulièrement, à compter d’aujourd’hui, et pendant un certain temps, différents extraits significatifs de cet ouvrage, dont, on l’aura compris, fût-ce pour le discuter, nous recommandons vivement la lecture.

    -extrait n° 19 : pages 180/181/182/183/184.

                …..La démocratie est une statue de sable qui s’écoule au fil du temps avec pour seule vertu celle du sablier. On sait que les cellules d’un organisme savent reconnaître ce qui lui est propre et ce qui lui est étranger, sous la forme d’agents infectieux, grâce à leur propriété biologique de tolérance immunitaire ; cependant, dans certaines maladies, nos lymphocytes attaquent nos propres tissus et, ne reconnaissant plus ce qui appartient à l’organisme et ce qui ne lui appartient pas, produisent des anti-corps contre nous-mêmes. L’auto-immunité est ainsi la capacité destructrice d’un être vivant de supprimer ses défenses immunitaires, comme si elles étaient un facteur étranger, au point de se détruire du fait de cette altérité. Derrida nomme cette hantise de soi, qui consiste à s’affaiblir et à se suicider, « l’auto-infection de toute auto-affection » (1). La démocratie sera donc toujours différée dans un processus mortifère qui lui interdit d’accéder à une souveraineté propre. Elle restera condamnée, comme dans la peinture qu’en donnait Platon, à traîner dans les rues et à bousculer les passants, tout à son ivresse de saper les lois de la cité et à traiter également l’étranger et le citoyen, ou, mieux encore, à brutaliser le citoyen pour accueillir l’étranger. Rousseau avait déjà récusé sèchement cette bonne conscience cosmopolite : « Tel philosophe aime les Tartares pour être dispensé d’aimer ses voisins » (2). C’est là une conduite de mauvais citoyen, voire de « voyou », et Derrida n’hésite pas à s’en réclamer dans l’ouvrage qui porte ce titre : « Le demos n’est donc jamais loin quand on parle du voyou. Ni la démocratie très loin de la voyoucratie ». Voilà bien, avec la déconstruction reconnue du platonisme, la déconstruction revendiquée de la politique vouée à un suicide programmé dans le renoncement auto-immunitaire au propre de l’Europe.

                Les États européens ont mis en pratique ce choix mortel. Ils ont échoué à établir une unité politique qui ne se limiterait pas à un espace économique de libre-échange dont les principes culturels seraient exclus. En ce domaine, le projet de l’Europe est aussi vide, chez la plupart des gouvernants et chez beaucoup de créateurs, que le regard qu’une majorité d’Européens portent sur leur héritage commun. Il leur est effectivement devenu étranger. Le refus d’inscrire le patrimoine du christianisme dans le préambule de la Constitution européenne en témoigne au premier chef sous le prétexte que l’Europe ne serait pas  un « club chrétien ». L’absurdité de l’argument saute aux yeux. D’une part l’Union européenne, comme le note justement Pierre Manent, a bien été à l’origine un club, fondé en 1951 par des personnalités qui se réclamaient du christianisme, Robert Schumann en premier lieu, et qui ne réduisaient pas l’identité européenne à la seule Haute Autorité du Charbon. Et les pays fondateurs de l’Union se sont bien cooptés à la manière d’un club en demandant aux nouveaux arrivants de souscrire à leurs propres principes. D’autre part, le christianisme n’a jamais été un club dans la mesure où il s’est affirmé comme la religion universelle qui reçoit ses fidèles dans la communion. Dès lors, conclut Pierre Manent, quand on avance que l’Europe n’est pas un club chrétien, pour éviter de dire, contre l’évidence historique, qu’elle n’est pas chrétienne, « la seule chose qui empêche de dire que l’Europe n’est pas chrétienne, c’est qu’elle l’est en effet » (4). Il en va de même de l’héritage grec avec le rejet parallèle, dans le projet avorté de Constitution, de l’éloge de la démocratie athénienne par Périclès sous le prétexte que la Grèce avait été une nation esclavagiste. Tout concourt donc en politique et en économie à cet ébranlement de nos fondations culturelles. Que les  billets de banque européens, réduits au petit cap sémantique d’ « euro », ne présentent aucune œuvre d’art réelle de l’Europe, mais des portails, des fenêtres ou des ponts virtuels qui ne rappellent rien à personne, d’autant que les visages humains, ceux de Pascal, de Richelieu ou de Delacroix, mais aussi bien ceux de Léonard, de Keats ou de Wagner, ont été supprimés pour ne chagriner aucune nation, font chaque jour la preuve des ravages de l’auto-immunité décrite par Derrida.

                Karel Kosic se demandait dans Un troisième Munich ? si, après l’effondrement du nazisme et la décomposition du communisme, l’Europe n’était pas menacée par un mal moins visible, mais sans doute plus insidieux. « Le mal de Munich », aux métastases aujourd’hui mondiales, n’est autre que l’affaiblissement de nos démocraties poussées jusqu’à l’extinction de ses propres ressources. Retrouvant le diagnostic implacable de Nietzsche un siècle plus tôt, Kosic fustigeait nos renoncements devant la montée du nihilisme qui est en même temps, selon la formule de Castoriadis, la montée de l’insignifiance. « C’est par rien que nous sommes menacés tous, l’Europe et nous-mêmes ! Ce « rien » représente la plus grave menace pour le siècle à venir » (6). En dépit de son athéisme, l’auteur marxiste exigeait la reconnaissance du patrimoine chrétien des cathédrales et de la musique sacrée, celle de l’héritage grec des temples et des statues, et celle de la tradition critique des Lumières avec Diderot ou Kant. Dans l’accroissement de l’accessoire au détriment de l’inessentiel, du passager au détriment de l’éternel, de l’évènement au détriment de l’histoire, Kosic voyait le signe de la décadence irrésistible de la culture européenne. Après avoir échappé aux totalitarismes, la démocratie pourrait-elle s’élever de son propre effort vers le sublime au lieu de se complaire dans le mauvais goût et dans ce qu’il appelait l’absence de style ? Alors que la culture européenne avait fait depuis l’origine le choix d’une forme architectonique qui ordonnait l’articulation historique des espaces de la création et des domaines de la pensée, « l’époque moderne reposera sur la négation de l’architectonique » ; la pratique généralisée de la déconstruction derridienne en est l’exemple le plus frappant. Le processus qui résulte de l’abandon accepté des formes culturelles de l’Europe, dans la forme de l’idéalité, devient alors un ravage généralisé au monde entier. « Cette dévastation débilitante sème le vide, un vide rampant qui envahit les hommes. L’âme humaine souffre d’un trop-plein de vide » (7). Nul ne s’étonnera alors de ce regard avide que l’Europe porte chaque jour sur le vide qui l’habite.

    (1)     : J. Derrida, Voyous, page 154.

    (2)     : J.J. Rousseau, Émile ou de l’éducation, livre I, page 249.

    (3)     : J. Derrida, Voyous, page 97.

    (4)     : P. Manent, La Raison des nations, pages 94/95.

    (5)     : Thucydide, La Guerre du Péloponnèse, II, 35-46, pages 810/818.

    (6)     : K. Kosic , « Un troisième Munich ? », La Crise des temps modernes, page 117, souligné par l’auteur.

    (7)     : K. Kosic , "Un troisième Munich ?" ? La Crise des temps modernes, page 114.

     

     

     

    Le regard vide - Essai sur l'épuisement de la culture européenne,de Jean-François Mattéi. Flammarion, 302 pages, 19 euros. 

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  • Migrants : ce que dit (vraiment) le Pape

       Photo: Sipa 

    Une analyse de Frédéric Rouvillois 

    Frédéric Rouvillois analyse ici - pour Causeur -  l'actuel problème des migrants du point de vue de la logique et de la spiritualité chrétiennes. Lesquelles n'ignorent ni la charité que l'on doit aux autres ni celle qu'on se doit à soi-même et à la communauté politique à laquelle on appartient. Cette analyse conduit à proposer en quelque sorte une ligne de crête, conciliant l'une et l'autre exigence, fussent-elles ou sembler être contradictoires. Les lignes de crête, on le sait, ne sont pas de celles que l'on tient le plus aisément. Peut-être même ne sont-elles compréhensibles et tenables que par quelques uns. Nous ne les critiquerons pas. Toutefois, comme nous limitons notre réflexion au domaine politique, nous ne manquerons pas de signaler que les gestes, paroles ou écrits de l'Eglise et du Pape dans l'interprétation qui en sera inévitablement donnée par notre Système politico-médiatique, constituent pour la France et l'Europe un risque supplémentaire considérable dont ces autorités pourraient sans-doute avoir un plus grand souci. Dont elles pourraient traiter avec davantage de prudence. D'un point de vue politique, notre position inchangée est qu'un accueil massif de migrants - s'ajoutant au très grand nombre de ceux que nous avons déjà reçus depuis des décennies - met à l'évidence en péril les sociétés européennes. Dont celle qui nous concerne le plus, la nôtre. Lafautearousseau    

     

    frederic-rouvillois.jpgLe Pape François qui, le 6 septembre 2015, du balcon de Saint-Pierre, demandait à chaque paroisse catholique d’accueillir une famille de réfugiés et suppliait l’Occident d’ouvrir ses portes à la masse des migrants, ne serait-il qu’un doux illuminé ? Un utopiste prêt à tout sacrifier, et notamment les frontières, les Etats et les peuples, au rêve d’une improbable fraternité universelle ? C’est évidemment ce que certains voudraient faire croire, soit pour le lui reprocher, soit pour l’en applaudir. Et c’est en effet ce que ses interventions, astucieusement sorties de leur contexte, semblent parfois laisser croire.

    Pourtant, si François peut être considéré comme révolutionnaire, il ne l’est pas plus que le christianisme lui-même, ni que la sainteté. Et pas plus que le christianisme, il n’entend répudier le « réalisme politique », dont il s’est même explicitement réclamé dans son encyclique Laudato si'*. Réalisme politique qui le conduit à des positions moins stéréotypées, moins simplistes et surtout moins émotionnelles que celles que l’on présente, la réalité ainsi prise en compte n’étant jamais toute d’une pièce, mais constituée d’éléments complexes.

    Et c’est justement ce que l’on constate à propos du problème des migrants, le Pape, et l’Église, s’efforçant de concilier deux impératifs apparemment incompatibles dans le creuset d’un même réalisme évangélique.

    Le première impératif, aime ton prochain comme toi-même, conduit à ouvrir les bras à l’autre. Et en l’occurrence, à refuser l’engrenage de la terreur qui conduit des millions de personnes, créatures de Dieu et faites à son image, à quitter leurs maisons et à demander l’hospitalité. Ceux-là, en tant que chrétien, je ne puis les laisser à la porte, sauf à ressembler au mauvais riche que son égoïsme condamne irrémédiablement au tourment éternel. À l’égard de mes frères souffrants, un devoir s’impose sans discussion, celui que le Pape rappelait à Rome le 6 septembre : « être le plus prochain des plus petits et des plus abandonnés ». Concrètement, ce précepte justifie une pratique de l’accueil qui ne distingue pas entre une migration politique et une migration économique – distinction  moralement contestable, celui qui s’enfuit avec sa famille pour ne pas mourir de faim n’ayant pas moins le droit d’être accueilli que celui qui émigre parce qu’il estime que sa liberté d’expression ou son droit de vote étaient violés dans son pays d’origine. En somme, l’opposition à  la « culture de mort » suggère une politique d’ouverture et de charité.

    Mais à ce premier impératif s’en ajoute un second, qui commande de s’aimer soi-même en tant que l’on est une créature de Dieu, et que l’on a par là-même des devoirs envers soi. Benoît XVI soulignait à ce propos que « l’homme aussi possède une nature qu’il doit respecter »**. Or sa nature est d’être un animal social, qui va constituer avec ses proches un groupe particulier, une société dotée de certaines caractéristiques dont procèdera sa propre identité.

    On ne saurait en effet confondre le Peuple de Dieu, composé de tous les hommes en tant qu’ils sont frères, puisqu’issus du même Père céleste, et les peuples humains, qui s’y découpent comme les pièces dans un puzzle, chacune d’entre elles étant dotée de sa propre forme, de sa couleur et de sa place. Tout homme, appartenant au Peuple de Dieu, appartient aussi, simultanément, à un peuple particulier, à une patrie où généralement il est né, à une culture qui l’a modelé, à une terre et à une histoire où il s’enracine.

    Cette réalité, les papes contemporains en ont souligné l’importance dans la construction de l’homme : sans elle, expliquent-ils, l’homme est déraciné, perdu, privé de ce qui le constitue, un être sans ombre et sans épaisseur, victime idéale des nouveaux marchands d’esclaves.

    Or, ce second impératif s’oppose, lui, à ce que les portes soient ouvertes de façon inconsidérée à des masses de plus en plus considérables. Si les identités sont indispensables, on ne peut en effet accepter un processus qui conduit de façon certaine des millions de personnes, séduites par le miroir aux alouettes du consumérisme, à rompre avec leurs racines, et des millions d’autres à subir ce qu’ils ressentent comme une invasion, une dilution de leur identité et une mise à mal de leur culture.

    Mais comment concilier ces deux impératifs ? Le christianisme distingue à cet égard quatre vertus cardinales, la prudence, la tempérance, le courage et la justice : toutes les quatre sont à l’œuvre pour résoudre cette difficulté.

    La justice, qui vise à donner à chacun le sien, pousse à aider ceux qui ont tout perdu et à leur rendre une dignité, celle qui leur appartient en tant que créatures de Dieu ; mais sans pour autant léser ceux qui, ici, souffrent également de la pauvreté sous toutes ses formes.

    La prudence consiste à peser le pour et le contre. Et à constater qu’il faut bien entendu recueillir, au moment présent, ceux qui se noient à quelques encablures des côtes européennes. Il faut les recueillir, tout en faisant comprendre aux autres, à tous les autres, qu’il s’agit d’un cas d’exception, d’un moment transitoire. Bref, qu’il n’y a pas de place ici pour les dizaines de millions qui, un jour peut-être, seraient tentés de venir s’installer en Europe. Pas de place, parce qu’un afflux excessif, à la libanaise, entraînerait à coup sûr un surcroît de misère et, à terme, de violence, voire de guerre civile, les envahis ne pouvant accepter indéfiniment l’injustice de leur propre situation. Même Saint Martin ne donna au pauvre que la moitié de son manteau. La prudence consiste donc, du côté des décideurs, à refermer progressivement mais fermement les frontières, tout en agissant dans les pays d’origine de telle sorte que le flux migratoire finisse par se tarir. Bref, à agir en véritables politiques, qui savent que leur rôle est de traiter les causes du mal, pas simplement ses symptômes les plus visibles.

    La tempérance, elle, consiste accepter de restreindre notre train de vie afin d’aider, là-bas, des populations si misérables que sans cette aide, elles seraient tentées de tout quitter pour venir chez nous. Elle enseigne qu’en perdant un peu en confort matériel, nous pouvons espérer sauver l’essentiel : notre identité spirituelle, et peut-être notre vie.

    Le courage, enfin, est ce qui peut nous conduire, d’une part à ne pas baisser les bras, et de l’autre à ne pas craindre d’intervenir – en prenant une part active à l’éradication des causes du problème. « L’espérance chrétienne est combative », déclarait encore le pape François le 6 septembre. Le christianisme n’est pas une religion de la passivité, et il y a des moments où, au nom de la justice et même de la prudence, le courage commande d’agir. Avant qu’il ne soit trop tard.

    Et les catholiques de France, dans tout ça ? Il leur revient, pour rester fidèles à ce réalisme évangélique, de tenir fermement les deux bouts de la corde sans sacrifier l’un à l’autre – le devoir d’amour d’un côté, qui leur commande d’ouvrir les bras et, de l’autre, le devoir de maintenir la cité conditionnant la réalisation de cet amour, qui les pousse à la vigilance. Ni oublier que tous deux constituent des formes complémentaires de la charité.   

    Frédéric Rouvillois

     

  • Un chef d’État, un vrai !

     

    par Hilaire de Crémiers

    C’est ce qu’attend la France. Pas un candidat qui réussit, mais un chef. Et qui sera en mesure de prendre toutes les décisions qui s‘imposent pour le salut de la France.

     

    2771589182.jpgSerait-il possible que la France ait un jour un chef de l’État ? D’une légitimité telle qu’elle soit incontestable ? Qu’il puisse être cette personne dont la constitution de la Ve République définit la fonction en son titre II, de l’article 5 à l’article 19 ? Mais voilà : son mode de désignation est aujourd’hui tel qu’il empêche l’exercice correct de cette magistrature parce qu’il porte atteinte à l’esprit même de l’institution.

    La France sans chef

    De l’effroyable chaos partisan que crée, maintenant de manière durable, l’élection présidentielle, avant, pendant et après, peut-il émerger une personnalité capable « d’assurer, par son arbitrage, le fonctionnement régulier des pouvoirs publics ainsi que la continuité de l’État », « d’être le garant de l’indépendance nationale, de l’intégrité du territoire, du respect des traités », « de nommer » souverainement « le Premier ministre », « de soumettre au référendum » un projet de loi, « de signer les ordonnances et les décrets » délibérés en Conseil des ministres, sans provoquer immédiatement l’effervescence des factions opposées ; et que dire s’il s’avisait de prendre des mesures extraordinaires qui seraient exigées par des circonstances exceptionnelles ?

    À trois mois de la prochaine élection présidentielle qui mettra fin au calamiteux quinquennat de François Hollande et qui est censée ouvrir une ère nouvelle, n’y a-t-il donc personne pour énoncer avec simplicité cette évidente contradiction qui est au coeur de notre système politique et qui en altère profondément le fonctionnement ? Chacun des candidats, actuels ou futurs – et ils sont déjà nombreux ! – est trop persuadé que son tour viendra une prochaine fois pour vouloir mettre en cause des procédés institutionnellement aussi nocifs.

    Et les partis qui vivent politiquement et financièrement de ce désordre permanent ne se risqueront pas à en interrompre le cours, la France dût-elle en périr. En France – et parce qu’elle est la France et que son histoire est une leçon en elle-même –, cette situation est plus grave qu’elle ne le serait en aucun autre pays civilisé. Cette chienlit perpétuelle lui est funeste. Pas un Français qui ait le cœur un peu haut placé, pour ne pas le ressentir !

    L’avilissement de la fonction

    Les primaires de la gauche comme celles de la droite ont illustré la vanité et la vacuité de la politique politicienne en France. Quel avilissement ! Ravaler la dignité du chef de l’État à cette comparution devant des jurys de journalistes ! Quel misérable spectacle que celui d’une nation réduite dans son expression à une salle de classe ! Des petits « profs » qui font les savants et qui harcèlent de questions péremptoires de minables élèves qui doivent répliquer à la moindre injonction. Mais la direction de la France ne relève pas d’un concours !

    D’où l’absurdité de tant de paroles et d’engagements : à droite, des palanquées de chiffres soupesées aux balances d’improbables budgets ; à gauche, des palanquées de promesses, de droits à « qui qu’en veut », selon la chanson, de faire naître des enfants ou de les tuer à volonté et gratuitement, de mourir, de jouir, de ne plus travailler, jusqu’au revenu universel financé sur le miracle de recettes introuvables.

    Voilà un futur chef de l’État qui doit dire ce qu’est l’école « républicaine », comment il faut y enseigner, à quel âge l’enfant doit être orienté, mais tout aussi bien comment l’hôpital devrait fonctionner, quel est le périmètre de la Sécurité sociale, ou encore combien de gendarmes, de policiers, de juges, de médecins il convient de déployer sur le territoire. Et chacun de rajouter des précisions, des projets dans son programme, sans jamais s’arrêter sur les vraies causes de tant de gabegies, de pagailles, d’incuries, de désorganisation généralisée.

    Où est le chef de l’État ?

    Qui aura le courage de dire : « Et la France ? » Le vrai chef de l’État s’occupe de la France et de la France seule, ce qui ne veut pas dire isolée. C’est sa mission essentielle. Il assure la politique générale du pays ; il lui donne sa place dans le monde ; il garantit l’ordre intérieur qui permet la prospérité et conforte les libertés réelles.

    Si le chef de l’État remplit bien sa fonction, les affaires de la France se porteront d’autant mieux ; tout le monde en tirera profit. Comment ces vérités élémentaires ne sont-elle jamais rappelées ?

    Le chef de l’État n’a pas à répondre à toutes les envies du moindre hurluberlu qui se prend pour un citoyen supérieur, aux réclamations des éternels agités, aux hurlements des groupuscules qui s’imaginent être la conscience avancée du monde et qui ne sont généralement que des instruments de puissances obscures et financièrement vicieuses.

    Et il n’est pas chargé de répartir les richesses, de juger des bons et des mauvais élèves, de promouvoir l’égalité partout, de changer les mœurs, d’endoctriner le peuple, d’accueillir l’étranger au mépris des intérêts les plus certains du Français, de légaliser à tour de bras les dispositifs qui aboutissent à la destruction des familles, des traditions, des patrimoines, des consciences, de la vie. L’État a usurpé toutes ces fonctions qui justifient le politicien dans ses prétentions ; il se comporte exactement comme une contre-Église, mais totalitaire, ce qu’il est devenu de fait et de droit et ce qui est voulu. Les dernières lois en sont l’illustration.

    Aucun homme politique n’est vraiment libre par rapport à cette sourde et continuelle pression qui est une oppression. Il ne peut pas parler de la France et à la France ; il est contraint à un langage convenu, ce qu’on appelle des éléments de langage. Pour plaire à qui ?

    C’est une fin de régime

    L’élu de la primaire de la gauche sera confronté, d’une part, à Jean-Luc Mélenchon et, d’autre part, à Emmanuel Macron. Il n’a évidemment aucune chance et il devra se désister, ce qui sera une fin ridicule. Cela a déjà été prévu dans ces colonnes. Aujourd’hui Macron rallie les suffrages ; il se montre plus candidat que tous les autres candidats. Est-ce la marque d’un futur chef de l’État ? Il dit tout et le contraire de tout, autrement dit rien. Ça plaît ! Sauf qu’il se croit et ce n’est jamais bon de trop se croire.

    Fillon, lui, sera attaqué de toutes parts – et ça ne fait que commencer ! – de l’extérieur et de l’intérieur de son parti et, à chaque fois qu’il cédera à quelque chantage, il fragilisera sa position. Il oscillera, au milieu de factions et d’ambitions qui se déchirent, entre la crainte d’être soupçonné de quelques velléités réactionnaires à cause de son électorat premier et la peur de perdre le soutien des puissants à qui il sera forcément redevable.

    Marine Le Pen joue sa partie. Elle a l’avantage d’une position patriotique nette qui plaira de plus en plus à des Français dépouillés de leur nationalité, de leur civilisation, de leur travail, de leur milieu de vie. Mais, à force de réduire son programme, sous l’influence de son entourage, à la seule économie dirigée et assistée, sans tenir compte des aspirations d’une France qui veut revivre spirituellement, elle risque de perdre son souffle dans une guerre impitoyable où, malgré toutes ses protestations, elle sera considérée comme l’Ennemi du genre humain.

    Le plus probable et même le certain, c’est que l’élu de la présidentielle – quel qu’il soit – se trouvera dans une situation de déliquescence politique telle que, même avec une majorité à la chambre, il sera bien en peine de gouverner malgré les rodomontades des campagnes électorales et qu’il suffira de quelques difficultés majeures, dès aujourd’hui prévisibles, sécuritaires, économiques, sociales et surtout financières pour que la question du pouvoir se repose dans toute son acuité.
    À quand la recherche d’une vraie légitimité ? 

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