Retour sur la peine de mort, par Par Michel Yves Michel (sociologue).
55 % des Français sont partisans de la peine de mort ; ça vous donnerait presque l’envie de devenir démocrate… L’opinion publique quand elle est pour l’avortement des bébés devient « volonté générale » ; mais elle est populisme négligeable quand elle penche pour l’élimination de Marc Dutroux. Or le populisme est méprisable quand il ne coïncide pas avec « l’opinion autoproclamée éclairée » exprimée par les médias.
Le Pape François a décidé de retirer du catéchisme de l’Eglise catholique la possibilité d’appliquer la peine de mort.
Cela ressemble un peu à un ralliement à l’esprit du temps où la mort est devenue “la nouvelle pornographie” selon le mot de l’historien Philippe Ariès. On sait bien que cela existe mais on (se) le cache.
On cache la mort aux enfants qui n’ont plus guère l’occasion de voir un cadavre, on ne se met plus “en deuil”, on conseille à ses amis touchés par la mort d’un proche de se distraire pour “penser à autre chose”.
L’usage de la crémation se répand, ce qui, si j’ose dire, signifie : faire disparaître le cadavre insignifiant…
Une association crématiste (si, il y a des militants pour ça !) s’était inventé comme slogan : ”c’est quand même mieux de laisser la terre aux vivants”, sans s’apercevoir que la terre est faite de déchets organiques, de morts qui font vivre les vivants…
Jadis, il existait des “confréries de la bonne mort” où les participants devaient se préparer à l’épreuve ; aujourd’hui on conseillera à celui qui se préoccupera de ce destin, d’aller voir un psychiatre.
Même dans les cérémonies religieuses on tend à parler du défunt de son vivant, mais on prie de moins en moins pour son salut post-mortem…
C’est dans ce contexte du tabou de la mort qu’il faut replacer le thème de l’interdit de la peine de mort.
Pourquoi relancer le débat sur la peine de mort, apparemment usé dont on ne pourra débusquer l’enjeu qu’en déplaçant la question : pourquoi la peine de mort, aujourd’hui si largement réprouvée par les beaux esprits, a‑t-elle été la norme quasi unanimement acceptée dans toutes les sociétés autres que la nôtre et reste plebiscitée par l’opinion ? Au point que les archéologues reconnaissent qu’il y a des humains dès lors qu’il y a des rites funéraires.
J’en rechercherai la réponse dans une intuition de Baudelaire qui, au siècle dernier, s’interrogea aussi sur le déplacement culturel qui rendait déjà incompréhensible la peine capitale : « La peine de mort est le résultat d’une idée mystique, totalement incomprise aujourd’hui. La peine de mort n’a pas pour but de sauver la société, matériellement du moins. Elle a pour but de sauver (spirituellement) la société et le coupable… Bien que le sacrifice soit parfait, il faut qu’il y ait assentiment et joie de la part de la victime. Donner du chloroforme à un condamné à mort serait une impiété, car ce serait lui enlever la conscience de sa grandeur comme victime et lui supprimer les chances de gagner le paradis ». (“Mon cœur mis à nu”).
Goût du paradoxe ? Cruauté d’un disciple de Joseph de Maistre ?
Suspendons pourtant les réactions de notre sensibilité « moderne » pour remarquer que l’histoire a laissé la trace d’un certain nombre d’exécutions exemplaires où le coupable était par son sacrifice réconcilié avec sa communauté, avec ses dieux, et avec lui-même, réintégré dans sa dignité.
Pensons à l’étonnant procès de Gilles de Rais où « Barbe-Bleue » est pardonné et embrassé par les parents des enfants qu’il avait torturés. Pensons à la Ballade des pendus de François Villon.
Est-il insignifiant qu’un supplicié de droit commun — le” bon” larron — soit le premier homme à qui la porte du salut ait été ouverte. Ouverte par le supplice- même du Christ ?
Au moment où l’anthropologie contemporaine redécouvre l’importance des « sacrifices » (cf. Georges Bataille et René Girard : « La violence et le sacré »), pouvons-nous encore nous défendre de ces conceptions — si étranges pour nous — en les qualifiant de mentalité archaïque ou barbare ?
Au contraire, la désuétude de la peine de mort où tendent nos sociétés industrielles prométhéennes n’est-elle pas l’un des symptômes de la désacralisation qui nous atteint ?
Dans les sociétés traditionnelles, la peine de mort témoignait de ce qui dépasse la vie elle- même, de ce qui dans “l’homme passe l’homme” (Pascal).
Non que la vie n’y soit pas une valeur, mais une valeur parmi d’autres, dans une hiérarchie de valeurs qui constituait d’ailleurs la vie comme valeur.
Sommes-nous encore capables de comprendre ce drame trop exotique, le “hara-kiri” de Mishima Yukio, en 1970, au Grand Etat-Major de Tokyo ? Non ! Comme l’avait compris Nietzsche, les valeurs (« ce qui vaut la peine de » c’est-à-dire du sacrifice) sont des dieux. Et la « mort de Dieu » inaugure le nihilisme que les sociologues, dans leur jargon, appellent anomie.
Îl est donc normal que, dans ce monde où l’homme ne reconnaît pas ce qui le dépasse, tous ceux dont les exigences intellectuelles ou morales vont au-delà de la réaction instinctive un peu obtuse, soient opposés au rétablissement de la peine de mort.
Condamner… « au nom de » quoi ? De quoi le supplice serait-il « signe » ? Quelle absurdité qu’un « sacrifice » qui n’est plus un « faire sacré ». (Dans les derniers temps de son application en France, la guillotine avait cessé d’être un spectacle public).
Pour ma part, je suis forcé de reconnaître que dans ce contexte — la peine de mort est injustifiable, car insignifiante.
Faut-il pour autant s’en réjouir ?
Considérons d’abord que notre époque, si sensible aux souffrances des bébés phoques, est aussi celle des grands massacres organisés, celui des avortements de masse, des échafauds de 1793 aux goulags et aux camps de concentration. Car dans les sociétés dominées par les grandes idéologies modernes où s’est investie l’irréductible aspiration de l’homme à l’absolu, les « croyants » n’ont point de scrupule à sacrifier aux idoles. “Mon corps est à moi”, Progrès, sens de l’Histoire, libération de l’homme, race ou classe, « les dieux ont (toujours) soif »…
Mais, affirmera-t-on, nos sociétés de tolérance dans leur insignifiante permissivité, ne nous permettent-elles pas d’échapper à ces totalitarismes ?
Ce serait trop vite se rassurer.
En effet, dans les sociétés « libérales », au pouvoir d’une justice terrible qui, jadis, tranchait et retranchait dans une mise en scène dramatique où se jouaient le corps, la responsabilité et le salut, succède une administration judiciaire fonctionnelle rattrapant, sans passion, les bavures qui auront pu échapper aux services des éducateurs, psychiatres, animateurs, permanents ou experts en manipulation des organisations qui nous prennent en charge de la naissance à la mort (cf. Michel Foucault : “Surveiller et punir”).
Ce n’est pas seulement la peine de mort que nous abolissons, mais toute peine dans la mesure où elle implique la responsabilité personnelle d’un coupable. « Humanistes », gauchistes ou technocrates : tous les discours ne peuvent qu’affirmer l’irresponsabilité du justiciable qui ne se retrouve devant un tribunal que par une erreur de gestion des organisations sociales ou de l’Etat-providence : il ne s’agit pas de condamner, mais de “rééduquer”.
Le criminel n’est plus responsable parce que plus personne n’est responsable. (Et les prisons débordent ; déja ou bientôt remplacées par des établissements psychiatriques …)
Le totalitarisme, c’est aussi quand la vie et la mort sont devenues des marchandises à gérer tranquillement, « fonctionnellement », sans drame et sans chocs pour nos sensibilités douillettes (avortement-pardon IVG, euthanasie, banques d’organes, GPA, etc).
Aussi cette désuétude de la peine de mort est-elle probablement moins l’effet d’une « humanisation » que l’indice de l’insignifiance de la mort (cf. le Tabou de la mort mis en évidence dans notre société par Philippe Ariès) et la « dévalorisation » de la vie.
On ne retire plus guère la vie parce que la vie ne vaut plus guère.
Le tabou de la peine de mort témoigne d’un déni ; le refus de reconnaître que chaque individu est inéluctablement condamné à la peine de mort.
Cette peine de mort est une de peines liées au péché originel, avec le travail (“à la sueur de ton front”) et la souffrance (“tu accouchera dans la douleur”). Il serait sans doute temps de comprendre que la peine est également le remède (cf. la revalorisation du travail par les bénédictins : ora et labora).
Source : https://www.actionfrancaise.net/
Commentaires
Très intéressant article ; le cas du refus de l'application de la peine de mort est en effet à situer dans le contexte plus général de la non acceptation de la mort dans nos sociétés actuelles. D'autant que la croyance en l'au delà se perd ; en même temps , s'oublie que la vie se renouvelle ici-bas , par les naissances .
Un des éléments du refus de la peine capitale est aussi le manque de sérieux de la vie politique ( au sens classique) . La supériorité du bien commun sur le bien particulier fait qu'on y joue en effet sa vie . En principe l'acte criminel entraîne une véritable dette à l'égard de la victime mais aussi de la cité . Cela est très difficile , et même impossible à comprendre pour la mentalité individualiste .
La peine de mort était d'acception commune dans des sociétés transcendées. En plus de satisfaire la vengeance populaire et de faire un exemple, il ne s'agissait au fond que de hâter la présentation du condamné au tribunal du Ciel. D'où le verbe "dépêcher" que l'on retrouve dans les chroniques guerrières anciennes.
Dans nos sociétés cantonnées à la vie terrestre, la mort prématurée devient insupportable chez beaucoup (la moitié de nos concitoyens) sans parler de l'erreur judiciaire définitive sans appel ou cassation céleste.