UA-147560259-1

Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

22 pays africains importent leur monnaie d'Angleterre et d'Allemagne, par Ilyes Zouari*.

Plu­sieurs décen­nies après leur indé­pen­dance, la Gui­née, l’É­thio­pie, le Rwan­da et 14 autres pays afri­cains conti­nuent à faire impri­mer leurs billets de banque au Royaume-Uni, tan­dis que d’autres ont recours à l’Al­le­magne. Tou­te­fois, les popu­la­tions de ces pays ignorent dans leur immense majo­ri­té le fait que leur mon­naie soit fabri­quée à l’é­tran­ger, contrai­re­ment à celles des pays de la zone CFA, bien mieux infor­mées en la matière.

5.jpg17 pays afri­cains importent leur mon­naie du Royaume-Uni

Selon les don­nées dis­po­nibles, compte tenu d’un cer­tain manque de com­mu­ni­ca­tion dans ce domaine, aus­si bien de la part des États que des fabri­cants, 17 pays afri­cains sont réper­to­riés comme fai­sant impri­mer leurs billets de banque au Royaume-Uni, et plus pré­ci­sé­ment en Angle­terre. Par ordre alpha­bé­tique, il s’a­git des pays sui­vants : l’An­go­la, le Bots­wa­na, le Cap-Vert, l’É­thio­pie, la Gam­bie, la Gui­née, le Leso­tho, la Libye, le Mala­wi, Mau­rice, le Mozam­bique, l’Ou­gan­da, le Rwan­da, Sao Tomé-et-Prin­cipe, les Sey­chelles, la Sier­ra Leone et la Tan­za­nie (qui fait éga­le­ment impri­mer ses billets dans deux autres pays).

Ces pays ont tous pour point com­mun d’im­por­ter leur mon­naie de la socié­té bri­tan­nique De La Rue, qui fabrique éga­le­ment la majeure par­tie de celle du Royaume-Uni et qui est un des lea­ders mon­diaux en la matière. Ils se répar­tissent prin­ci­pa­le­ment entre anciennes colo­nies bri­tan­niques et por­tu­gaises, aux­quelles s’a­joutent la Gui­née, le Rwan­da, l’É­thio­pie et la Libye (qui fait éga­le­ment appel à la Rus­sie). Pour ce qui est du pro­ces­sus de pro­duc­tion, il est à noter la récente ouver­ture d’un site à Nai­ro­bi, en 2019, dans le cadre d’une joint-ven­ture avec le gou­ver­ne­ment kenyan en vue d’as­su­rer une par­tie de la fabri­ca­tion des devises.

Par ailleurs, il convient de citer le cas par­ti­cu­lier du Soma­li­land, ter­ri­toire cou­vrant le nord-ouest de la Soma­lie et ayant pro­cla­mé son indé­pen­dance. Bien que non recon­nu par la qua­si-tota­li­té de la com­mu­nau­té inter­na­tio­nale, celui-ci a néan­moins créé sa propre mon­naie pour se démar­quer de la Soma­lie, et la fait fabri­quer par le Royaume-Uni, qui admi­nis­trait autre­fois le ter­ri­toire (contrai­re­ment au reste de la Soma­lie, qui était une colo­nie italienne).

Le recours à une enti­té exté­rieure peut sur­prendre pour une par­tie de ces pays, comme l’É­thio­pie et la Tan­za­nie, qui dis­posent d’une impor­tante popu­la­tion, ou encore la Gui­née et le Rwan­da, compte tenu de cer­tains dis­cours poli­tiques. Mais le cas le plus sur­pre­nant est peut-être celui de la Libye, au regard de ses très impor­tantes capa­ci­tés finan­cières, lar­ge­ment supé­rieures à celles des quelques pays afri­cains fabri­quant eux-mêmes leur mon­naie natio­nale, comme le Maroc, l’A­frique du Sud et la Répu­blique démo­cra­tique du Congo (la Libye étant un grand pro­duc­teur de pétrole, dont elle pos­sède les plus impor­tantes réserves du conti­nent). En fait, cela semble démon­trer une nou­velle fois le manque de sin­cé­ri­té de l’an­cien régime de Kadha­fi lorsque ce der­nier se pré­sen­tait comme le cham­pion du pan­afri­ca­nisme et de l’in­dé­pen­dance des peuples afri­cains. Une pos­ture qui s’ins­cri­vait donc plu­tôt dans le cadre d’une stra­té­gie de com­mu­ni­ca­tion orga­ni­sée par le régime, qui n’a­vait pas véri­ta­ble­ment essayé de déve­lop­per le pays et d’en assu­rer la sou­ve­rai­ne­té (les hydro­car­bures repré­sen­tant autour de 95 % des expor­ta­tions), et qui avait même sou­vent semé le trouble en Afrique (ten­ta­tive d’in­va­sion du Tchad, de désta­bi­li­sa­tion de la Tuni­sie…). Et ce, pro­ba­ble­ment afin de s’as­su­rer la sym­pa­thie et le sou­tien des opi­nions publiques afri­caines, en vue d’ob­te­nir la levée des sanc­tions inter­na­tio­nales et de garan­tir la pour­suite d’un règne sans par­tage qui durait depuis déjà 41 ans au moment du sou­lè­ve­ment du peuple libyen, et fai­sant de Kadha­fi le diri­geant à la plus grande lon­gé­vi­té de l’A­frique post-colo­niale. Une stra­té­gie de com­mu­ni­ca­tion qui conti­nue encore aujourd’­hui à avoir une cer­taine efficacité…

Au moins six pays afri­cains importent leur mon­naie d’Allemagne

En plus des pays pré­cé­dem­ment cités, cinq autres sont réper­to­riés comme fai­sant impri­mer leurs billets de banque en Alle­magne, aux­quels s’a­joute la Tan­za­nie qui a éga­le­ment recours au Royaume-Uni (ain­si qu’aux États-Unis). Ces six pays fai­sant donc appel à l’Al­le­magne sont les sui­vants : l’É­ry­thrée, la Mau­ri­ta­nie, le Sou­dan du Sud, l’Es­wa­ti­ni, la Tan­za­nie et la Zam­bie. Cette der­nière fait aus­si impri­mer une par­tie de sa mon­naie en France.

Cepen­dant, les don­nées très par­tielles trans­mises par le fabri­cant alle­mand de billets de banque Giesecke+Devrient (G+D), qui n’in­dique pas dans le détail les banques cen­trales clientes à tra­vers le monde (et à quoi s’a­joute l’o­pa­ci­té entre­te­nue par de nom­breux États eux-mêmes), laissent pen­ser que d’autres pays afri­cains font éga­le­ment appel, au moins ponc­tuel­le­ment, à l’Al­le­magne pour la fabri­ca­tion de leur mon­naie natio­nale (comme peut-être l’É­thio­pie, qui avait dans le pas­sé média­ti­sé la signa­ture d’un contrat, en 2008).

43 pays afri­cains importent leur mon­naie de l’étranger

En tenant compte des devises fabri­quées dans des pays autres que le Royaume-Uni et l’Al­le­magne, et en dehors des cas par­ti­cu­liers de la Soma­lie et du Zim­babwe, en faillite et sans véri­table mon­naie, ce sont donc 43 pays afri­cains au total qui ont recours à un pays étran­ger, soit 21 pays de plus que ceux pré­cé­dem­ment cités. Selon les infor­ma­tions dis­po­nibles, 20 de ces autres pays font appel à la France (qui imprime éga­le­ment une par­tie de la mon­naie de la Zam­bie, déjà men­tion­née), tan­dis qu’un d’entre eux à recours aux États-Unis, en l’oc­cur­rence le Libe­ria, qui avait été créé à par­tir de 1821 par l’Ame­ri­can Colo­ni­za­tion Socie­ty (et qui s’a­joute – au moins – à la Tan­za­nie, dont ils fabriquent par­tiel­le­ment la monnaie).

Ain­si, et selon les don­nées dis­po­nibles, la France imprime la mon­naie de 21 pays afri­cains au total, à savoir celle de 16 de ses anciennes colo­nies (12 pays de la zone CFA, les Comores, Mada­gas­car, Dji­bou­ti et la Tuni­sie), aux­quelles s’a­joutent la Gui­née-Bis­sau et la Gui­née équa­to­riale (membres de la zone CFA, et res­pec­ti­ve­ment ancienne colo­nie por­tu­gaise et espa­gnole), le Burun­di (ancienne colo­nie belge), et enfin la Nami­bie et la Zam­bie, deux anciennes colo­nies bri­tan­niques. Le pro­ces­sus de fabri­ca­tion est assu­ré par la Banque de France pour 17 de ces pays, tan­dis que quatre autres ont recours à l’en­tre­prise pri­vée Ober­thur Fidu­ciaire, un des trois lea­ders mon­diaux de la fabri­ca­tion des billets de banque, avec le bri­tan­nique De La Rue et l’Al­le­mand Gie­secke & Devrient. Mais là encore, le nombre réel de pays fai­sant appel, au moins ponc­tuel­le­ment, aux ser­vices de cette entre­prise fran­çaise est pro­ba­ble­ment plus élevé.

Neuf pays afri­cains fabriquent eux-mêmes leur mon­naie nationale

En dehors de ces 43 pays exter­na­li­sant la fabri­ca­tion de leur mon­naie natio­nale auprès d’une enti­té étran­gère, neuf pays afri­cains assument donc eux-mêmes ce pro­ces­sus, à savoir le Maroc, l’Al­gé­rie, l’É­gypte, le Sou­dan, le Gha­na, le Nige­ria, la Répu­blique démo­cra­tique du Congo (RDC), le Kenya et l’A­frique du Sud. Tou­te­fois, et sans que cela n’ait de lien avec le carac­tère local de la fabri­ca­tion de la mon­naie, il convient de rap­pe­ler, pour contrer une cer­taine pro­pa­gande, que cinq de ces neufs pays souffrent d’une forte dol­la­ri­sa­tion de leur éco­no­mie (le Sou­dan, le Gha­na, le Nige­ria, la RDC et le Kenya), c’est-à-dire d’une impor­tante uti­li­sa­tion du dol­lar dans les tran­sac­tions éco­no­miques internes, par refus de la mon­naie locale, consi­dé­rée comme ris­quée. Le cas du Nige­ria illustre bien la prin­ci­pale rai­son de cette situa­tion, avec une mon­naie ayant per­du près de 60 % de sa valeur par rap­port au dol­lar depuis 2014, et plus de 99 % de sa valeur depuis sa créa­tion en 1973 (lorsque la livre ster­ling valait 2 nai­ras, contre 527 au 1er avril 2021).

Cepen­dant, l’exis­tence d’un cer­tain nombre de pays afri­cains fabri­quant eux-mêmes leur mon­naie natio­nale, et mal­gré les graves dif­fi­cul­tés finan­cières ren­con­trées par cer­tains d’entre eux (comme le Sou­dan, dont la Livre vient d’être déva­luée de 85 %, en février der­nier, et qui est désor­mais un des cinq pays les plus pauvres d’A­frique et le pays le plus endet­té du conti­nent), prouve bien que d’autres pays pour­raient éga­le­ment assu­mer cette tâche. Et ceci est encore plus vrai pour ceux ayant l’a­van­tage de faire par­tie d’un ensemble régio­nal dis­po­sant d’une mon­naie unique et d’une popu­la­tion suf­fi­sam­ment impor­tante, à savoir les pays appar­te­nant à l’UE­MOA et à la CEMAC, les deux ensembles les plus inté­grés, et de loin, du conti­nent (et qui démontrent, au pas­sage, que le pan­afri­ca­nisme est avant tout une réa­li­té francophone).

Expli­ca­tion : Dans le cadre d’un article publié en décembre 2020 (https://www.bbc.com/afrique/region-55413027), la BBC don­nait la parole à Kemi Seba qui affir­mait qu’il n’é­tait pas nor­mal que les pays de la zone CFA conti­nuent à faire fabri­quer leur mon­naie sur le ter­ri­toire même de leur ancienne puis­sance colo­niale. Si ce point de vue est res­pec­table, il est tou­te­fois regret­table que la BBC n’ait fait nulle men­tion, ni en direct lors de l’in­ter­view ni dans le texte de l’ar­ticle, du fait que le Royaume-Uni pro­duit lui aus­si la mon­naie de nom­breux pays africains.

Autre élé­ment regret­table : dans ce même article, un invi­té séné­ga­lais affirme (entre autres choses inexactes) que son pays, qui serait mal géré à cause du franc CFA, est le deuxième pays le plus endet­té de la Cedeao, après le Cap-Vert. Or, non seule­ment la véri­té est dif­fé­rente, mais en plus, il faut savoir que le Séné­gal ne fait même pas par­tie depuis long­temps des quatre pays les plus endet­tés de la Cedeao… et qu’il n’y a même désor­mais aucun pays fran­co­phone par­mi les cinq pays les plus endet­tés de cet ensemble (don­nées semes­trielles du FMI sur la dette publique).

Il est ain­si déplo­rable de consta­ter que la BBC, qui se veut une des réfé­rences mon­diales en matière d’in­for­ma­tion, se mette elle aus­si à dif­fu­ser pério­di­que­ment des infor­ma­tions erro­nées ou incom­plètes. En cette période post-Brexit, mar­quée par un inté­rêt accru du Royaume-Uni pour l’A­frique, espé­rons que la BBC ne suive pas les traces des médias finan­cés par la Tur­quie, qui excellent en la matière… 

*Pré­sident du CERMF (Centre d’é­tude et de réflexion sur le Monde francophone)

ww.cermf.org

info@cermf.org

Source : https://www.actionfrancaise.net/

Écrire un commentaire

NB : Les commentaires de ce blog sont modérés.

Optionnel