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Rechercher : qu'est-ce que le Système

  • Dans notre Éphéméride de ce jour : Qui a ”préparé” la Révolution ? La secte des Encyclopédistes. Qui l'a ”lancée”, avant

    1793 : Les Montagnards, ou radicaux, de la Convention décrètent la mise hors la loi des Girondins

     

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    Arrestation des Girondins...

     

    Il est passionnant, parce que très instructif, de suivre l'histoire des Girondins, tout au long de la Révolution, jusqu'à leur chute finale devant les enragés. Les Girondins symbolisent parfaitement, en effet, les apprentis sorciers de tous les pays et de toutes les époques qui, une fois qu'ils ont lancé des forces qu'ils ne peuvent plus maîtriser, se retrouvent impitoyablement broyés par l'infernale logique mécanique du mouvement qu'ils ont eux-mêmes follement déclenché....

    Mais qui étaient les Girondins ? Quelle fut leur pensée, et quelle fut leur action ?...

    Ils s'imaginèrent qu'ils pourraient faire et contrôler, non pas "la" Révolution mais "une" révolution; ils sapèrent méthodiquement la vieille monarchie, pensant y substituer un régime nouveau dont ils prendraient la tête. Les montagnards restèrent dans l'ombre et les laissèrent faire, jusqu'au moment où, les Girondins ayant suffisamment avancé le travail, et lancé un mouvement irrésistible qu'ils ne contrôlaient plus et qui les débordait partout, les tenants de la vraie Révolution n'eurent plus qu'à éliminer les modérés qui avaient si bien travaillé... pour eux !

    Comme tous les Kerenski de la terre, toujours et partout...

    Une fois de plus, on aura avec Jacques Bainville l'explication lumineuse des choses, malgré leur complexité apparente - et réelle... - grâce au fil conducteur qu'il sait constamment maintenir évident au lecteur: "Pour se guider à travers ces événements confus, il faut s'en tenir à quelques idées simples et claires." Et d'abord cette règle :

    "Tout le monde sait que, jusqu'au 9 thermidor, les révolutionnaires les plus modérés, puis les moins violents furent éliminés par les plus violents. Le mécanisme de ces éliminations successives fut toujours le même. Il servit contre les Constitutionnels, contre les Girondins, contre Danton. Le système consistait à dominer la Commune de Paris, à s'en emparer, à tenir les parties turbulentes de la capitale dans une exaltation continuelle par l'action de la presse et des clubs et en jouant de sentiments puissants comme la peur de la trahison et la peur de la famine, par laquelle une grande ville s'émeut toujours, puis à intimider par l'insurrection des assemblées remplies d'hommes hésitants et faibles."

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    Voici un court extrait seulement (il faudrait, évidemment, tout lire...) du chapitre XVI, La Révolution, de L'Histoire de France de Jacques Bainville :

     

    "Dans la nouvelle Assemblée, composée surtout de médiocres, les hommes les plus brillants, groupés autour de quelques députés du département de la Gironde dont le nom resta à leur groupe, étaient républicains sans l'avouer encore. Parce qu'ils étaient éloquents, ils avaient une haute idée de leurs talents politiques. Ils croyaient le moment venu pour leur aristocratie bourgeoise de gouverner la France; l'obstacle, c'était la Constitution monarchique de 1791 dans laquelle les Feuillants pensaient bien s'être installés. La Gironde était l'équipe des remplaçants. Les Constitutionnels se figuraient qu'ayant détruit l'ancien régime avec l'aide des Jacobins, la Révolution était fixée. Les Girondins s'imaginèrent qu'ils pourraient recommencer à leur profit la même opération avec le même concours. Et pour abolir ce qu'il restait de la royauté, pour en "rompre le charme séculaire", selon le mot de Jean Jaurès, ils n'hésitèrent pas à mettre le feu à l'Europe... C'est à quoi la Gironde, sans s'apercevoir qu'elle travaillait pour les Jacobins et qu'elle conspirait sa propre perte, parvint avec une insidieuse habileté...

    Lorsqu'ils comprirent leur erreur, pour les Girondins, il était déjà trop tard : les vrais révolutionnaires tirèrent les marrons du feu, en envoyant au passage à la Guillotine ces Girondins inconscients qui leur avaient si bien ouvert la voie...

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    Jacques Brissot de Warville

    Dans notre Album Maîtres et témoins (II) : Jacques Bainville., lire la note "Brissot la guerre".

     

    On lira donc avec profit l'ensemble du chapitre XVI de L'Histoire de France de Bainville, "la" Bible de toute personne qui veut comprendre l'histoire, mais on pourra, en attendant s'y préparer grâce à l'excellent résumé que propose Michel Mourre, à l'article Girondins de son incontournable Dictionnaire Encyclopédique d'Histoire :    

     

    • GIRONDINS. Groupe politique qui, pendant la Révolution française, joua un rôle important à la Législative et à la Convention. On les nommait ainsi parce que plusieurs de leurs chefs étaient des députés de la Gironde, mais on leur donnait aussi les noms de Brissotins, Buzotains et Rolandais en les rattachant à Brissot, Buzot, Roland. Outre ces trois personnages, les membres les plus influents du groupe étaient Vergniaud, Isnard, Guadet, Gensonné et le savant Condorcet. Avocats et journalistes pour la plupart, les Girondins appartenaient socialement à la bourgeoisie aisée, aux milieux d'affaires, aux banquiers, aux armateurs des grands ports. Ils représentaient la classe qui avait profité le plus de 1789, qui par conséquent était décidée à empêcher tout retour à l'Ancien Régime, mais aussi toute évolution vers une démocratie sociale. Ils se méfiaient des penchants insurrectionnels du peuple parisien.

    À l'époque de la Législative (1791/92), les Girondins se retrouvaient avec Robespierre au Club des Jacobins, mais Brissot et Robespierre devinrent rapidement rivaux. Les orateurs de la Gironde, jeunes, ambitieux, enivrés de leur propre éloquence, se firent d'abord les champions d'une politique révolutionnaire et belliqueuse. Contre Robespierre, qui mesurait le péril d'une invasion ou d'un césarisme militaire, les Girondins voulurent éperdument la guerre afin de séparer Louis XVI des monarchies européennes et des émigrés, et de le compromettre avec la Révolution. En octobre/novembre 1791, ce furent eux qui imposèrent des mesures rigoureuses contre les émigrés et les prêtres réfractaires. Brissot et Vergniaud se dépensèrent à la tribune de la Législative pour réclamer "la croisade de la liberté universelle". Ainsi les Girondins faisaient, sans s'en rendre compte, le jeu des contre-révolutionnaires car, d'une guerre désastreuse pour la révolution, le roi pouvait espérer le rétablissement de l'autorité royale. Le 15 mars 1792, Louis XVI forma un ministère girondin avec Roland à l'Intérieur et Dumouriez aux Affaires étrangères; la belle, enthousiaste et ambitieuse Mme Roland (ci dessous) fut l'égérie de ce ministère qui, le 20 avril 1792, plongea la France dans une guerre qui devait s'achever, vingt-trois ans plus tard, à Waterloo.

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    La belle "Madame Roland"...
     

    Compromis aux yeux de l'opinion publique par les premiers revers des armées françaises, les Girondins s'efforcèrent de détourner la colère populaire contre le roi. Louis XVI ayant refusé deux décrets révolutionnaires et ayant renvoyé les ministres girondins (13 juin), la Gironde organisa contre lui la journée du 20 juin 1792; celle-ci fut un échec, mais déclencha des forces qui, échappèrent bientôt au contrôle des Girondins. L'élan patriotique contre l'étranger donnait une impulsion nouvelle vers l'extérieur. La journée du 10 Août puis les massacres de Septembre firent comprendre aux Girondins les dangers de la dictature populaire parisienne. Dès lors, ils s'appuyèrent de plus en plus sur la province, sur les administrations locales, ce qui permit aux Montagnards de les accuser de "fédéralisme". Dès le 17 septembre 1792, Vergniaud dénonça dans un discours la tyrannie de la Commune parisienne.

    À la Convention, les Girondins, qui comptaient environ 160 députés, constituèrent la droite de l'Assemblée. Ils commencèrent à quitter le club des Jacobins. Défenseurs de la bourgeoisie aisée et de la liberté économique, ils étaient opposés aux montagnards par des haines bientôt inexpiables. Dès les premières séances de la Convention, ils lancèrent de violentes attaques contre Marat. Le procès de Louis XVI (décembre 1792/janvier 1793) acheva de séparer la Gironde de la révolution : les Girondins tentèrent de sauver le roi en demandant l'appel au peuple, qui fut refusé. Ils s'élevèrent ensuite contre l'institution du Tribunal révolutionnaire, mais la défaite de Neerwinden (18 mars 1793) et la défection de Dumouriez, qui avait été l'un des leurs, les compromirent définitivement.

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    Marat 

               

    La lutte ultime entre la Gironde et la Montagne se déroula pendant les mois d'avril/mai 1793. La Gironde fit décréter par la Convention l'arrestation de Marat (ci dessus, 13 avril), mais celui-ci fut absous par le Tribunal révolutionnaire et ramené triomphalement à la Convention (24 avril). La Gironde tenta alors une dernière manoeuvre en faisant nommer, le 18 mai, la commission des Douze, chargée de veiller à la sûreté de l'Assemblée et d'enquêter sur les exactions de la Commune parisienne. Cette commission fit arrêter Hébert. Mais les Montagnards avaient l'appui de trente-six des quarante-huit sections de Paris. Après une première journée d'émeutes, le 31 mai, la Convention se vit, le 2 juin, cernée par 80.000 insurgés, et, sur les injonctions d'Hanriot, nouveau chef de la garde nationale, la majorité terrifiée vota l'arrestation de trente et un Girondins.

    Plusieurs d'entre eux réussirent à s'échapper et à gagner la province, où ils organisèrent des insurrections fédéralistes. Roland, Pétion, Buzot, Clavière furent acculés au suicide. Brisson, Vergniaud, Gensonné et des dizaines de leurs camarades furent exécutés à Paris le 31 octobre 1793. Huit jours plus tard, Mme Roland périt à son tour sur l'échafaud. Quelques Girondins comme Louvet de Couvray, Isnard,  Lanjuinais, revinrent à la Convention après Thermidor.

     

     Jean-Marie Roland, qui avait réussi à s'enfuir à Rouen, se suicida de désespoir, le 8 novembre, en apprenant la mort de sa femme, dont il était fou amoureux : sur la mort de Manon Roland, dite "madame Roland", voir l'Éphéméride du 8 novembre...

    Eh, oui, il faut le savoir : la Révolution mange toujours les révolutionnaires...

     

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  • Éphéméride du 2 juin

    Lyon, aujourd'hui : vue sur Fourvière depuis les quais de Saône, pendant la Fête des Lumières

     

     

    177 : Martyre de Pothin, Blandine et des autres martyrs de Lyon 

     

    En cette année 177, on est à l'apogée de l'Empire Romain : c'est l'époque heureuse des Antonins, et l'Empereur est Marc-Aurèle.

    L'un des empereurs de cette lignée fut Antonin le Pieux, originaire de Nîmes (voir l'Éphéméride du 10 juillet), sous le règne duquel - fait rarissime - aucune guerre ne fut menée dans tout l'Empire, qui put alors jouir d'une paix et d'une prospérité sans précédent, d'où l'expression - qui a traversé les siècles - de Pax romana.

    Lyon - la Lugdunum celtique... - est déjà une ville importante : c'est là qu'est construit le plus important amphithéâtre de toute la Gaule, dit l'Amphithéâtre des trois Gaules. Tous les ans, au début du mois d'août, des délégations y viennent de la Gaule entière pour la grande fête de l'Empire romain.

    Cette année-là, le supplice d'un certain nombre de chrétiens fait partie du spectacle.

    Une Lettre des Églises de Lyon et de Vienne aux Églises d’ASIE et de PHRYGIE (à lire sur le lien ci-dessous, paragraphe III)) écrite une soixantaine d'années plus tôt, sous l'empereur Trajan, permet de comprendre comment et pourquoi des chrétiens mouraient, martyrs, à Lyon et ailleurs. 

    2 juin,girondins,montagnards,enragés,robespierre,révolution,convention,louis xvi,waterloo,marat,le bernin,danton 

    Les restes de l'amphithéâtre des Trois Gaules, aujourd'hui
     
    Pothin, premier évêque de Lyon et des Gaules, eut pour successeur Irénée : l'un et l'autre étaient des disciples de Polycarpe, lui-même membre du groupe de Saint Jean l'Évangéliste; avec Pothin et Polycarpe, ce sont donc directement les membres de la toute première Église qui enracinent la nouvelle religion dans ce qui deviendra..."la France", donnant ainsi une partie de son sens à l'expression "les racines chrétiennes de la France" (voir l'Éphéméride du 28 juin
     
     
     
     

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    1665 : Le Bernin arrive à Paris

     

    2 juin,girondins,montagnards,enragés,robespierre,révolution,convention,louis xvi,waterloo,marat,le bernin,dantonL’un des plus grands artistes de son temps, Gian Lorenzo Bernini, dit le Bernin (autoportrait ci contre) , vient en France à la demande de Louis XIV pour achever le Palais du Louvre. Très bien reçu par le roi lui-même, à Saint-Germain-en-Laye, deux jours à peine après son arrivée, le Bernin verra cependant son projet finalement refusé, et Perrault lui être préféré (voir l'Éphéméride du 11 octobre).

    Le roi lui commandera à la place un buste de sa personne, qui nécessitera un travail de deux mois. Pour ce faire, le Bernin - que le roi tenait en grande estime - fut autorisé à assister a plusieurs audiences et conseils, et se permit même de recoiffer le roi, ou de lui demander de rester debout...

    Il faudra environ treize poses du roi pour venir à bout du buste. Le Bernin fit installer son atelier au Palais royal où le roi se rendait lui-même pour les poses, jusqu'au 5 octobre, jour où le buste fut officiellement remis au souverain : l'oeuvre lui plut énormément, ce qui, dit-on, émut beaucoup l'artiste, déjà âgé à l'époque (il avait 67 ans)...

    Le Bernin aura une autre occasion de travailler pour le roi de France, pour une statue équestre, mais, cette fois, les choses ne se passeront pas aussi bien, et le roi refusera la statue (voir l'Éphéméride du 14 novembre).

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    Louis XIV a vingt-sept ans : l'artiste a cherché à "transmettre la sensation de toute-puissance et de majesté qui émanait de la personne du roi"...

     

     

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    1793 : Les Montagnards, ou radicaux, de la Convention décrètent la mise hors la loi des Girondins

     

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    Arrestation des Girondins...

     

    Il est passionnant, parce que très instructif, de suivre l'histoire des Girondins, tout au long de la Révolution, jusqu'à leur chute finale devant les enragés. Les Girondins symbolisent parfaitement, en effet, les apprentis sorciers de tous les pays et de toutes les époques qui, une fois qu'ils ont lancé des forces qu'ils ne peuvent plus maîtriser, se retrouvent impitoyablement broyés par l'infernale logique mécanique du mouvement qu'ils ont eux-mêmes follement déclenché....

    Mais qui étaient les Girondins ? Quelle fut leur pensée, et quelle fut leur action ?...

    Ils s'imaginèrent qu'ils pourraient faire et contrôler, non pas "la" Révolution mais "une" révolution; ils sapèrent méthodiquement la vieille monarchie, pensant y substituer un régime nouveau dont ils prendraient la tête. Les montagnards restèrent dans l'ombre et les laissèrent faire, jusqu'au moment où, les Girondins ayant suffisamment avancé le travail, et lancé un mouvement irrésistible qu'ils ne contrôlaient plus et qui les débordait partout, les tenants de la vraie Révolution n'eurent plus qu'à éliminer les modérés qui avaient si bien travaillé... pour eux !

    Comme tous les Kerenski de la terre, toujours et partout...

    Une fois de plus, on aura avec Jacques Bainville l'explication lumineuse des choses, malgré leur complexité apparente - et réelle... - grâce au fil conducteur qu'il sait constamment maintenir évident au lecteur: "Pour se guider à travers ces événements confus, il faut s'en tenir à quelques idées simples et claires." Et d'abord cette règle :

    "Tout le monde sait que, jusqu'au 9 thermidor, les révolutionnaires les plus modérés, puis les moins violents furent éliminés par les plus violents. Le mécanisme de ces éliminations successives fut toujours le même. Il servit contre les Constitutionnels, contre les Girondins, contre Danton. Le système consistait à dominer la Commune de Paris, à s'en emparer, à tenir les parties turbulentes de la capitale dans une exaltation continuelle par l'action de la presse et des clubs et en jouant de sentiments puissants comme la peur de la trahison et la peur de la famine, par laquelle une grande ville s'émeut toujours, puis à intimider par l'insurrection des assemblées remplies d'hommes hésitants et faibles."

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    Voici un court extrait seulement (il faudrait, évidemment, tout lire...) du chapitre XVI, La Révolution, de L'Histoire de France de Jacques Bainville :

     

    "Dans la nouvelle Assemblée, composée surtout de médiocres, les hommes les plus brillants, groupés autour de quelques députés du département de la Gironde dont le nom resta à leur groupe, étaient républicains sans l'avouer encore. Parce qu'ils étaient éloquents, ils avaient une haute idée de leurs talents politiques. Ils croyaient le moment venu pour leur aristocratie bourgeoise de gouverner la France; l'obstacle, c'était la Constitution monarchique de 1791 dans laquelle les Feuillants pensaient bien s'être installés. La Gironde était l'équipe des remplaçants. Les Constitutionnels se figuraient qu'ayant détruit l'ancien régime avec l'aide des Jacobins, la Révolution était fixée. Les Girondins s'imaginèrent qu'ils pourraient recommencer à leur profit la même opération avec le même concours. Et pour abolir ce qu'il restait de la royauté, pour en "rompre le charme séculaire", selon le mot de Jean Jaurès, ils n'hésitèrent pas à mettre le feu à l'Europe... C'est à quoi la Gironde, sans s'apercevoir qu'elle travaillait pour les Jacobins et qu'elle conspirait sa propre perte, parvint avec une insidieuse habileté...

    Lorsqu'ils comprirent leur erreur, pour les Girondins, il était déjà trop tard : les vrais révolutionnaires tirèrent les marrons du feu, en envoyant au passage à la Guillotine ces Girondins inconscients qui leur avaient si bien ouvert la voie...

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    Jacques Brissot de Warville

    Dans notre Album Maîtres et témoins (II) : Jacques Bainville., lire la note "Brissot la guerre".

     

    On lira donc avec profit l'ensemble du chapitre XVI de L'Histoire de France de Bainville, "la" Bible de toute personne qui veut comprendre l'histoire, mais on pourra, en attendant s'y préparer grâce à l'excellent résumé que propose Michel Mourre, à l'article Girondins de son incontournable Dictionnaire Encyclopédique d'Histoire :    

     

    • GIRONDINS. Groupe politique qui, pendant la Révolution française, joua un rôle important à la Législative et à la Convention. On les nommait ainsi parce que plusieurs de leurs chefs étaient des députés de la Gironde, mais on leur donnait aussi les noms de Brissotins, Buzotains et Rolandais en les rattachant à Brissot, Buzot, Roland. Outre ces trois personnages, les membres les plus influents du groupe étaient Vergniaud, Isnard, Guadet, Gensonné et le savant Condorcet. Avocats et journalistes pour la plupart, les Girondins appartenaient socialement à la bourgeoisie aisée, aux milieux d'affaires, aux banquiers, aux armateurs des grands ports. Ils représentaient la classe qui avait profité le plus de 1789, qui par conséquent était décidée à empêcher tout retour à l'Ancien Régime, mais aussi toute évolution vers une démocratie sociale. Ils se méfiaient des penchants insurrectionnels du peuple parisien.

    À l'époque de la Législative (1791/92), les Girondins se retrouvaient avec Robespierre au Club des Jacobins, mais Brissot et Robespierre devinrent rapidement rivaux. Les orateurs de la Gironde, jeunes, ambitieux, enivrés de leur propre éloquence, se firent d'abord les champions d'une politique révolutionnaire et belliqueuse. Contre Robespierre, qui mesurait le péril d'une invasion ou d'un césarisme militaire, les Girondins voulurent éperdument la guerre afin de séparer Louis XVI des monarchies européennes et des émigrés, et de le compromettre avec la Révolution. En octobre/novembre 1791, ce furent eux qui imposèrent des mesures rigoureuses contre les émigrés et les prêtres réfractaires. Brissot et Vergniaud se dépensèrent à la tribune de la Législative pour réclamer "la croisade de la liberté universelle". Ainsi les Girondins faisaient, sans s'en rendre compte, le jeu des contre-révolutionnaires car, d'une guerre désastreuse pour la révolution, le roi pouvait espérer le rétablissement de l'autorité royale. Le 15 mars 1792, Louis XVI forma un ministère girondin avec Roland à l'Intérieur et Dumouriez aux Affaires étrangères; la belle, enthousiaste et ambitieuse Mme Roland (ci dessous) fut l'égérie de ce ministère qui, le 20 avril 1792, plongea la France dans une guerre qui devait s'achever, vingt-trois ans plus tard, à Waterloo.

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    La belle "Madame Roland"...
     

    Compromis aux yeux de l'opinion publique par les premiers revers des armées françaises, les Girondins s'efforcèrent de détourner la colère populaire contre le roi. Louis XVI ayant refusé deux décrets révolutionnaires et ayant renvoyé les ministres girondins (13 juin), la Gironde organisa contre lui la journée du 20 juin 1792; celle-ci fut un échec, mais déclencha des forces qui, échappèrent bientôt au contrôle des Girondins. L'élan patriotique contre l'étranger donnait une impulsion nouvelle vers l'extérieur. La journée du 10 Août puis les massacres de Septembre firent comprendre aux Girondins les dangers de la dictature populaire parisienne. Dès lors, ils s'appuyèrent de plus en plus sur la province, sur les administrations locales, ce qui permit aux Montagnards de les accuser de "fédéralisme". Dès le 17 septembre 1792, Vergniaud dénonça dans un discours la tyrannie de la Commune parisienne.

    À la Convention, les Girondins, qui comptaient environ 160 députés, constituèrent la droite de l'Assemblée. Ils commencèrent à quitter le club des Jacobins. Défenseurs de la bourgeoisie aisée et de la liberté économique, ils étaient opposés aux montagnards par des haines bientôt inexpiables. Dès les premières séances de la Convention, ils lancèrent de violentes attaques contre Marat. Le procès de Louis XVI (décembre 1792/janvier 1793) acheva de séparer la Gironde de la révolution : les Girondins tentèrent de sauver le roi en demandant l'appel au peuple, qui fut refusé. Ils s'élevèrent ensuite contre l'institution du Tribunal révolutionnaire, mais la défaite de Neerwinden (18 mars 1793) et la défection de Dumouriez, qui avait été l'un des leurs, les compromirent définitivement.

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    Marat 

               

    La lutte ultime entre la Gironde et la Montagne se déroula pendant les mois d'avril/mai 1793. La Gironde fit décréter par la Convention l'arrestation de Marat (ci dessus, 13 avril), mais celui-ci fut absous par le Tribunal révolutionnaire et ramené triomphalement à la Convention (24 avril). La Gironde tenta alors une dernière manoeuvre en faisant nommer, le 18 mai, la commission des Douze, chargée de veiller à la sûreté de l'Assemblée et d'enquêter sur les exactions de la Commune parisienne. Cette commission fit arrêter Hébert. Mais les Montagnards avaient l'appui de trente-six des quarante-huit sections de Paris. Après une première journée d'émeutes, le 31 mai, la Convention se vit, le 2 juin, cernée par 80.000 insurgés, et, sur les injonctions d'Hanriot, nouveau chef de la garde nationale, la majorité terrifiée vota l'arrestation de trente et un Girondins.

    Plusieu

  • Dans le monde et dans notre Pays légal en folie : revue de presse et d'actualité de lafautearousseau...

     

    Sans trop chercher à faire bien, faisons mieux : faisons court...

    La semble-victoire du Pays légal, qui a réussi à étouffer une fois de plus l'indéniable réveil et sursaut populaire et patriotique, n'est qu'une victoire négative; c'est-à-dire qu'en fait elle pose et ouvre plus de problèmes que ce qu'elle croit en résoudre, dans l'immédiateté la plus immédiate.

    Vent de panique après les Européennes, et peur du siècle après le premier tour des Législatives : les Patriotes avaient de réelles chances d'accéder au pouvoir !

    C'était assez pour que ce qu'il reste de "la droite la plus à gauche du monde" appelle à voter communiste à Nice (Estrosi) ! Pour que ce qu'il reste de la "macronie" (?) appelle à voter pour Louis Boyard en région parisienne ! Pour que le soi-disant front popu se ridiculise en faisant voter Borne (la reine, l'impératrice, la papesse du "49.3" dans le Calvados) ! Bref, pour que le front républicain se reformât...

    Et donc, une fois de plus, une fois encore, cela a marché. Et "ils" ont cru avoir gagné. Sans toutefois empêcher l'inexorable marée montante du sursaut national (143 sièges).

    Mais : et maintenant ? Qui va faire quoi, et avec qui ?

    "Je leur ai balancé ma grenade dégoupillée dans les jambes. Maintenant on va voir comment ils s’en sortent" a dit Macron, après la dissolution.

    Une fois de plus, il n'a rien compris aux enjeux : ce n'est pas des partis et des privilégiés qu'il s'agit, et dont il faut se préoccuper, mais de la France.

    Et, avec cette Assemblée totalement ingouvernable, c'est la France qui entre dans une zone de turbulences, ou - plutôt- qui s'y enfonce encore un peu plus...

    Le pouvoir est à nous !", clame Mélenchon, sorte de ré-incarnation du Robespierre de la Terreur, jouant - comme l'explique Jacques Bainville - sur l'agitation et l'excitation permanente pour motiver et tenir ses troupes. Mais, pourquoi le pouvoir reviendrait-il à une coalition de quatre partis qui n'atteignent même pas les 200 sièges à l'Assemblé ? Ce qui ferait une moyenne de 50 élus par partis, si le Parti communiste n'était devenu "résiduel", avec sa malheureuse toute petite dizaine de députés ?

    La vérité est que, à moins d'invraisemblables tours de passe-passe et autres fourre-tout hétéroclites non moins invraisemblables - mais qui se briseront/se briseraient au premier écueil -  il ne sera pas possible de constituer une coalition, par exemple pour voter le budget à l'automne (et, l'automne, c'est demain !)...

    Voilà où nous en sommes, après cette victoire négative des malfaisants, qui ne résout aucun problème (à part celui de leur confort personnel à eux, les privilégiés du Système) mais qui, au contraire, en ouvre davantage, et de plus graves...

    En attendant, laissons la marée monter et continuons, inlassablement, à ne pas perdre de vue le Nord que nous a fixé Léon Daudet : mener à temps et à contre-temps

    "une action réellement d'opposition, c'est-à-dire prônant ouvertement la subversion du Régime !"

    NFP : 7 millions de voix, 180 sièges. RN : 10 millions de voix, 143 sièges.

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    "Le" lot de consolation...

    Dans la 13ème circonscription des Bouches-du-Rhône, le candidat du Rassemblement national est élu avec 52,87 % des voix (taux de participation du 2nd tour : 65,33 %).

    • Emmanuel Fouquart (RN) : 52,87 % 

    • Pierre Dharréville (député sortant - Nouveau Front populaire, PCF) : 47,13 %

    Le conseiller municipal de Martigues s'impose dans toutes les villes de la circonscription, sauf à Port-de-Bouc (la 13ème circonscription est composée de Martigues, Fos-sur-Mer, Port-de-Bouc, Saint-Mitre-les-Remparts, Port-Saint-Louis-du-Rhône et d'une partie de la ville d'Istres).

    Les résultats commune par commune :

    • Martigues : Emmanuel Fouquart (50,48 %), Pierre Dharréville (49,52 %). 65,79 % de participation.

    • Istres : Emmanuel Fouquart (54,20 %), Pierre Dharréville (45,80 %). 65,28 % de participation.

    • Port-de-Bouc : Emmanuel Fouquart (45 %), Pierre Dharréville (55 %). 61,46 % de participation.

    • Fos-sur-Mer : Emmanuel Fouquart (62,78 %), Pierre Dharréville (37,22 %). 62,38 % de participation.

    • Saint-Mitre-les-Remparts : Emmanuel Fouquart (60,61 %), Pierre Dharréville (39,39 %). 69,72 % de participation.

    • Port-Saint-Louis-du-Rhône : Emmanuel Fouquart (50,72 %), Pierre Dharréville (49,28 %). 66,96 % de participation.

    Dimanche dernier, Emmanuel Fouquart (RN) était arrivé en tête avec 47,53% des suffrages exprimés, suivi par Pierre Dharréville (36,02%), candidat du Nouveau front populaire.

    Emmanuel Fouquart (RN) est élu député.

    Emmanuel Fouquart (RN) est élu député : bravo à lui !
    lafautearousseau - qui souhaitait très fortement son élection - s'en réjouit, et ne manquera pas de prendre contact avec lui et ses équipes pour lui expliquer notre point de vue sur "l'affaire de la Bastide du Chemin de Paradis". Et - s'il le souhaite - pour se mettre à sa disposition, non pas pour lui faire visiter la dite Bastide - puisque cette bourrique d'équipe municipale interdit tout accès au lieu - mais au moins, depuis la rue, lui en expliquer tout l'intérêt et la beauté...
    Sa victoire partout dans la circonscription (sauf à Port de Bouc) est, en outre, prometteuse pour les prochaines municipales de 2026 : Martigues libérée ? Enfin libérée ? On y croit ! On fera tout ce qu'on peut "pour" !...

     

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    1. Gabrielle Cluzel démolit MBappé, donneur de consignes de vote politiques et pote de Thuram le cracheur...

    "Mbappé il utilise ses pieds pour jouer c'est raisonnable, mais quand il utilise ses pieds pour raisonner, c'est plus problématique..."

    (extrait vidéo 0'39)

    https://x.com/Europe1/status/1809234062189469893

    Comme dirait Molière, "Ah ! Qu'en termes galants ces choses-là sont dites"

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    Merci et bravo pour le "ces gens-là" : quel mépris !

    Retour à l'envoyeur !!!!!

     

    2. De Philippe de Villiers :

    "Le Français déclassé voit l'usine qui se démonte, la mosquée qui s'installe et le porte-monnaie qui se vide. En 40 ans, l’Etat a perdu le sens du régalien, de l’autorité et de l’ordre. La société a perdu ses voisinages. La Nation a perdu le fil de la continuité historique. Voilà la situation..." 

    • extrait vidéo (4'07) :

    https://x.com/PhdeVilliers/status/1809313478810972634

    • L'émission complète (45'49)

     

    3. Régis Le Sommier a bien répondu à Daniel Schneidermann, qui a fait cette déclaration stupide :

    "Le groupe Bolloré est officiellement un danger pour la démocratie, qu'il faut empêcher de nuire dès lundi. Ça pourrait être la mesure fondatrice d'un gouvernement de front républicain."
     
    La réponse de Le Sommier :

    "Rappelons à @d_schneidermann que 34% des électeurs ont voté pour le RN au premier tour dimanche dernier. Que d’autres qui l’ont pas voté dans ce sens regardent aussi @cnews. Le “danger pour la démocratie” ce sont les Torquemada de l’audiovisuel dans votre genre qui parlent d’interdire des médias au pays de la liberté d’expression…"

     
     
     

    4. Dans La Tribune, citée par OpexNews : cette France qui innove sans cesse... La société toulousaine @Donecle propose une solution innovante d'automatisation de l'inspection des avions grâce à des drones. Ces drones, équipés de caméras et d'algorithmes de traitement d'images, permettent de détecter et classer les défauts sur le fuselage des avions en moins de deux heures, générant ainsi des économies significatives. Donecle propose des contrats de location pour ses drones et a déjà attiré de nombreux clients prestigieux, notamment #Dassault, Air France et United Airlines. L'entreprise investit (2M€) dans de nouveaux locaux à Toulouse pour augmenter sa capacité de production (fabrication d’un à dix drones par mois) et prévoit d'ouvrir une filiale aux États-Unis pour se rapprocher de Boeing et du marché militaire américain.

    https://toulouse.latribune.fr/entreprises/business/2024-07-04/aeronautique-donecle-industrialise-a-toulouse-ses-drones-pour-l-inspection-des-avions-1001454.html

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    5. Les Frères musulmans ? Attention, danger grave et imminent !... De  Florence Bergeaud-Blackler, chez Mathieu Bock-Côté :

    "Les frères musulmans ne sont pas une branche théologique de l'islam, mais une organisation à l'action planifiée et bien réèlle, dont l'objectif est très concret : l'avènement d'une société islamique mondiale, une théocratie, à savoir le califat..." 

    (extrait vidéo 1'30)

    https://x.com/IslamismeFrance/status/1809829700102930552

    Les Arabes ne font plus confiance aux Frères Musulmans - קונטרס

    Au passage, rien compris au mot "martyre" : le martyr est celui qui accepte de donner sa vie pour sa Foi; les terroristes assassins musulmans prennent la vie des autres croyant, par là, faire quelque chose de bien : ils sont fous, c'est tout, mais sûrement pas martyrs; simplement assassins et terroristes... 

     

    6. Fascisme et nazisme viennent de la gauche : un article intéressant d'Atlanitico... Fascisme et nazisme, ces idéologies dites d’extrême-droite alors qu’elles sont nées de l’extrême-gauche révolutionnaire

    https://atlantico.fr/article/decryptage/fascisme-et-nazisme-ces-ideologies-dites-d-extreme-droite-alors-qu-elles-sont-nees-de-l-extreme-gauche-revolutionnaire-histoire-seconde-guerre-mondiale-allemagne-italie-hitler-staline-mussolini-ideologie-conflit-xxe-siecle-yves-roucaute

    On   se demande juste ce que Franco fait "là", mais, bon...

     

    7. Merci à Christophe Dickès de nous l'avoir signalé, sur "X" :

    "Dans l'Ain, ce monastère a joué un rôle majeur pendant la Seconde Guerre mondiale, et plusieurs moines, dont le père Bernard, l’ont payé de leur vie. Un sacrifice reconnu par une décoration rarissime : la Légion d’honneur à titre collectif."

    https://www.lavie.fr//idees/histoire/notre-dame-des-dombes-une-abbaye-dans-la-resistance-95232.php

     

     

    À DEMAIN !

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  • Éphéméride du 11 juillet

    1791 : Voltaire entre au Panthéon

     

     

     

    911 : Traité de Saint Clair sur Epte  

     

    Il scelle l'entente entre Charles III et Rollon (date imprécise, on donne aussi le 20 juillet).

    Charles sut ainsi mettre un terme aux dévastations des Vikings venus du nord (les north men, d'où dérive normands) en les implantant dans ce qui allait devenir la Normandie: tout le pays de Caux fut donné en fief héréditaire à Rollon, qui devait, en échange, se convertir au catholicisme (ce qu'il fit, en prenant comme nom de baptême Robert) et reconnaître la suzeraineté de Charles, dont il épousa la fille.

    Il devait en outre, et surtout, protéger le royaume contre toute nouvelle invasion des Vikings. D'ennemis, impossibles à réduire, les futurs normands devenaient donc, ainsi, des alliés précieux, se chargeant eux-mêmes de défendre le royaume. 

     

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    Écu de Saint Clair sur Epte, sur lequel sont posées les armes de Normandie et celles de l'Île de France.
    Elles sont séparées au milieu du blason par un symbole représentant la rivière Epte
     
     

    De Jacques Bainville, Histoire de France, chapitre V, Pendant 340 ans, l'honorable maison capétienne règne de père en fils :

    "...Nous n'avons pas encore parlé, pour la clarté du récit, de ce qui était arrivé en 911, au temps des grandes calamités, dans la région neustrienne la plus exposée aux invasions par mer. Incapable de résister aux Normands, l'empereur carolingien avait cédé à leur chef Rollon la province qui est devenue la Normandie. Et l'on vit encore le miracle qui s'est répété tant de fois dans cette période de notre histoire : le conquérant fut assimilé par sa conquête.

    En peu de temps, les nouveaux ducs de Normandie et leurs compagnons cessèrent d'être des pirates. Ils se firent chrétiens, prirent femme dans le pays, en parlèrent la langue, et, comme ils avaient l'habitude de l'autorité et de la discipline, gouvernèrent fort bien; le nouveau duché devint vigoureux et prospère. Les Normands ajoutèrent un élément nouveau, un principe actif, à notre caractère national. Toujours enclins aux aventures lointaines, ils s'en allèrent fonder un royaume dans l'Italie méridionale et en Sicile, portant au loin le nom français.

    Mais, tout près d'eux, une autre conquête s'offrait aux Normands, celle de l'Angleterre, où déjà leur influence avait pénétré. Une seule bataille, celle d'Hastings, livra l'île à Guillaume le Conquérant en 1066. L'Angleterre, qui jusqu'alors ne comptait pas, qui était un pauvre pays encore primitif, peu peuplé, entre dans l'histoire et va singulièrement compliquer la nôtre. Allemagne, Angleterre : entre ces deux forces, il faudra nous défendre, trouver notre indépendance et notre équilibre. C'est encore la loi de notre vie nationale.

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    On pense que le roi de France ne vit pas sans inquiétude le duc de Normandie grandir de cette manière formidable, et, devenu roi en Angleterre, avoir un pied à Londres et l'autre à Rouen. L'Angleterre a d'abord été comme une colonie de la France. C'étaient notre langue, nos mœurs que Guillaume avait portées dans l'île, avec ses barons, ses soldats et les aventuriers qui, de toutes nos provinces, avaient répondu à son appel.

    Pourtant un danger nouveau commençait avec cette conquête. Les Capétiens n'auraient un peu de tranquillité que le jour où ils auraient repris la Normandie. En attendant, ils profitaient de la moindre occasion pour intervenir dans les querelles des Normands et pour susciter à leur duc autant de difficultés qu'ils pouvaient..."  

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    1302 : Bataille de Courtrai, dite des Éperons d'or

     

    Du même Jacques Bainville, et du même chapitre V :

    "...Mais la Flandre était désormais le principal souci de Philippe le Bel. Conduit à la conquérir par le développement de la guerre avec les Anglais, il se heurtait à la résistance des Flamands. Ce peuple de tisserands battit à Courtrai la chevalerie française : ce fut la "journée des éperons" (1302). Il fallut organiser une véritable expédition pour venir à bout de la révolte. De ce côté, l'expansion de la France rencontrait des limites. Alors que presque partout les nouvelles provinces s'étaient données joyeusement, une nation se manifestait en Flandre : un jour ce sera la nation belge. Philippe, toujours judicieux, le comprit. Il se contenta de confirmer sa suzeraineté sur le pays flamand et de garder en gage les parties les plus proches de la France, Lille et Douai, plus accessibles à l'influence française : nul ne serait Français par force..."

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    1791 : Voltaire entre au Panthéon
     
     
    Il est mort treize ans auparavant, le 30 mai 1778. Pas plus que Rousseau, ni que la plupart des Encyclopédistes et philosophes auto-proclamés, il n'aura vu la chute de cet ancien monde et de cette ancienne société qu'il aura - comme eux - contribué à mettre à bas.
     
    Et, probablement, sans savoir à quoi ils travaillaient, de fait.
     
    Il disparaît aux débuts du règne de Louis XVI, en un moment où, comme l'écrit Chateaubriand dans ses Mémoires d'Outre-tombe (Première partie, Livre IV) : "...le trône, si près de sa chute, semblait n’avoir jamais été plus solide..."
     
    Sur son tombeau se lit l'épitaphe suivant :
     
    "Il combattit les athées et les fanatiques. Il inspira la tolérance, il réclama les droits de l'homme contre la servitude de la féodalité. Poète, historien, philosophe, il agrandit l'esprit humain, et lui apprit à être libre."
     

    On aurait pu tout autant mettre ces citations de lui :

    1. Sur les Juifs : 

    "C'est à regret que je parle des Juifs : cette nation est, à bien des égards, la plus détestable qui ait jamais souillé la terre". (Article "Tolérance" du Dictionnaire philosophique. Il appelle ailleurs les juifs "...ces ennemis du genre humain...", un "peuple barbare, superstitieux, ignorant, absurde", et un "peuple ignorant et barbare, qui joint depuis longtemps la plus sordide avarice à la plus détestable superstition et à la plus invincible haine pour tous les peuples qui les tolèrent et qui les enrichissent..."

    2. Sur les "nègres" (sic) :

    "Nous n'achetons des esclaves domestiques que chez les nègres. On nous reproche ce commerce. Un peuple qui trafique de ses enfants est encore plus condamnable que l'acheteur. Ce négoce démontre notre supériorité. Celui qui se donne un maître était né pour en avoir". (Essai sur les moeurs et l'esprit des nations, 1756)...

    ..."Leurs yeux ronds, leur nez épaté, leurs lèvres toujours grosses, leurs oreilles différemment figurées, la laine de leur tête, la mesure même de leur intelligence, mettent entre eux et les autres espèces d'hommes des différences prodigieuses. Et ce qui démontre qu'ils ne doivent point cette différence à leur climat, c'est que des Nègres et des Négresses transportés dans les pays les plus froids y produisent toujours des animaux de leur espèce..." (idem).

    ..."Il n'est permis qu'à un aveugle de douter que les blancs, les nègres, les albinos, les Hottentots, les Lapons, les Chinois, les Amériques ne soient des races entièrement différentes..." (idem)

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    Voltaire, le raciste joyeux, l'antisémite furieux, repose, tranquillement honoré, au Panthéon. Non loin de Lazare Carnot, organisateur du Génocide vendéen, le premier des Temps modernes...

    Maurras, lui, est ostracisé, entre autres, pour son "antisémitisme".

    Ainsi fonctionne un Pays légal pas plus troublé que cela par ses "contradictions internes" ! 

    Sur ce que le Système a "fait" du Panthéon, voir, dans notre album Maîtres et témoins (III) : Léon Daudet la photo "Le Panthéon".

     
     
     
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    1791 : Profession de foi royaliste de Choderlos de Laclos...
     

     

    "Je veux une monarchie pour maintenir l'égalité entre les différents départements, pour que la souveraineté nationale ne se divise pas en souveraineté partielle, pour que le plus bel empire d'Europe ne consomme pas ses ressources et n’épuise pas ses forces dans des discussions intéressées, nées de prétentions mesquines et locales; je veux aussi, et principalement une monarchie, pour que le département de Paris ne devienne pas, à l'égard des 82 autres départements ce qu'était l'ancienne Rome à l'égard de l'empire romain… Je voudrais encore une monarchie pour maintenir l'égalité entre les personnes, je voudrais une monarchie pour me garantir contre les grands citoyens ; je la voudrais pour n'avoir pas à me décider un jour, et très prochainement peut-être, entre César et Pompée; je la voudrais pour qu'il y ait quelque chose au-dessus des grandes fortunes, quelque chose au-dessus des grands talents, quelque chose même au-dessus des grands services rendus, enfin quelque chose encore au-dessus de la réunion de tous ces avantages, et ce quelque chose je veux que ce soit une institution constitutionnelle, une véritable magistrature, l’ouvrage de la loi créé et circonscrit par elle et non le produit ou de vertus dangereuses ou de crimes heureux, et non l'effet de l'enthousiasme ou de la crainte… Je ne veux pas d'une monarchie sans monarque, ni d'une régence sans régent, je veux la monarchie héréditaire…"

    Et il poursuit :

    "Je veux une monarchie pour éviter l'oligarchie que je prouverais, au besoin, être le plus détestable des gouvernements; par conséquent, je ne veux pas d’une monarchie sans monarque et je rejette cette idée, prétendue ingénieuse, dont l'unique et perfide mérite est de déguiser, sous une dénomination populaire, la tyrannique oligarchie ; et ce que je dis de la monarchie sans monarque, je l'étends à la régence sans régent, au conseil de sanctions, etc... Dans l'impossibilité de prévoir jusqu'où pourrait aller l'ambition si elle se trouvait soutenue de la faveur populaire, je demande qu'avant tout on établisse une digue que nul effort ne puisse rompre. La nature a permis les tempêtes, mais elle a marqué le rivage, et les flots impétueux viennent s’y briser sans pouvoir le franchir. Je demande que la constitution marque aussi le rivage aux vagues ambitieuses qu’élèvent les orages politiques. Je veux donc une monarchie; je la veux héréditaire; je la veux garantie par l'inviolabilité absolue; car je veux qu'aucune circonstance, aucune supposition, ne puisse faire concevoir à un citoyen la possibilité d'usurper la royauté."

    (Choderlos de Laclos, Journal des Amis de la Constitution, organe officiel des Jacobins, 12 juillet 1791, n° 33.) 

     

    De Patrick Barrau (Historien d

  • La Libye du Boulevard Saint Germain : Une guerre civile ? (II/III), par Champsaur.

    La genèse de la révolte. 

    Tout débuta avec le soulèvement de la Cyrénaïque, la ville de Benghazi en particulier. Tripoli était confronté à une insurrection endémique dans cette région frontalière de l’Égypte, qui s’est exacerbée depuis 1990 environ pour donner une date.

    Défections avec armes et bagages étaient fréquentes dans les casernes de l’est du pays. Mal inspiré, Kadhafi libera 110 islamistes en Févier 2011, qui rejoignirent immédiatement Benghazi et sa région. Dans la continuité des évènements de Tunisie, la ville s’enflamma. Émeutes violemment réprimées par les forces armées de Kadhafi, elles dégénérèrent en véritable insurrection. Le soulèvement de Benghazi aboutit à faire passer la plus grande ville de l'est du pays dans le camp de la rébellion.

    Le 24 février 2011, les principaux leaders de l'opposition, d'anciens officiers militaires, des chefs tribaux, des universitaires et des hommes d'affaires se réunirent à El Beïda; pour constituer trois jours plus tard un Conseil national de transition (CNT) sous la présidence de Moustafa Abdel Jalil, ancien ministre de la justice de la Jamahiriya, islamiste dans l’âme, grand défenseur de la charia (nom à retenir pour la suite immédiate ....).

    Le 23 mars, le Conseil établit un Comité exécutif, présidé par Mahmoud Jibril, pour faire office de gouvernement de transition. Le CNT annonça l'évolution de la Libye vers la démocratie et le multipartisme (interdit de rire). 

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    Dans le même temps se met en place en France la diplomatie du boulevard Saint Germain qui aboutira à la résolution 1973 du Conseil de Sécurité de l’ONU du 17 mars 2011. Les acrobaties pour parvenir au vote sont bien décrites dans ce papier du NouvelObs : http://globe.blogs.nouvelobs.com/archive/2011/03/23/libye-histoire-secrete-de-la-resolution-1973.html

    N’importe quel Ministre des Affaires Étrangères aurait démissionné avec fracas. Pas monsieur Juppé. Intégralité de la résolution http://www.un.org/News/fr-press/docs/2011/CS10200.doc.htm

    Et ce qui était protection de populations, s’est vite transformé en renversement du régime, sans considération pour les vives critiques des Russes et des Chinois s’estimant floués. Au fil des mois, alors que la guerre civile faisait rage dans le pays, le CNT fit l'objet d'une reconnaissance internationale accrue, en réalité une mascarade téléguidée par la bannière étoilée. La formation de nouveaux partis politiques fut annoncée à partir de l'été 2011, comme le Parti de la nouvelle Libye ou le Mouvement socialiste libyen Abdessalam Jalloud, ancien numéro deux de Kadhafi, annonça pour sa part la création d'un «Parti de la Justice et de la liberté de la patrie ». Mais la suite connut quelques ratés.

    Monsieur Bernard Henri Lévy ramena dans ses valises Moustafa Abdel Jalil (ci-dessus cité) tel Churchill ramenant De Gaulle en Juin 1940 (comparaison à peine à la hauteur de notre philosophe), pour lui ouvrir les portes de l’Élysée. Étiqueté les jours de vertige, « le père la victoire », pas de limite à l’hyberbole même du plus haut ridicule. Mais l’intéressé ne répondit pas aux espoirs de notre diplomate amateur ! Accusé par la justice militaire (ou ce qui en tient lieu), le 11 décembre 2012 (un an plus tard !), d'abus de pouvoir et d'atteinte à l'unité nationale, dans le cadre de l'assassinat du chef d'état-major des rebelles, Abdelfattah Younès, en juillet 2011, Abdel Jalil jugea plus prudent de mettre quelque distance entre sa personne et les fous furieux qu’il avait participé à mettre en place.

    Lire : Jeune Afrique du 12 Décembre 2012: Libye : Abdeljalil, l'ex-chef du CNT, inculpé dans l'affaire de l'assassinat du général Younès | Jeuneafrique.com - le premier site d'information et d'actualité sur l'Afrique

    Et (9 janvier 2013) : http://www.tunisie-secret.com/Mustapha-Abdeljalil-s-est-refugie-en-Tunisie-a-ses-risques-et-perils-_a264.html

    Extrait :

    « … Premier à avoir trahi la Libye, Mustapha Abdeljalil (ci-dessous, ndlr), ancien président du Conseil National de Transition (CNT), s’est rendu la semaine dernière en Tunisie où il espère s’installer définitivement, se sentant menacé dans son pays. Il a pu quitter la Libye alors qu’il était frappé d’une mesure d’interdiction de voyager … 

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    Selon l’AFP, sur la base d’une source du tribunal militaire libyen qui a requit l’anonymat, Mustapha Abdeljelil est arrivé à Tunis à l’invitation de Moncef Marzouki. Ce n’est pas tout à fait exact puisque, selon nos informations, c’est à l’aéroport de Tripoli et devant la police, que Mustapha Abdeljalil a évoqué une invitation officielle du président provisoire tunisien, ce que la présidence tunisienne a confirmé à la police des frontières libyennes. Abdeljalil a persuadé Marzouki qu’il voulait s’enquérir de l’état de santé de sa fille qui serait hospitalisée dans une clinique en Turquie, que par conséquent, il ne fait que transiter par Tunis avant de se rendre à Ankara. …
    C’est donc de façon illégale que l’ancien chef des sicaires libyens a pu quitter Tripoli pour Tunis. La raison du départ précipité d’Abdeljalil Mustapha est la crainte de se faire liquider physiquement comme beaucoup d’autres … « 
    La conclusion de cette équipée otanienne est connue avec l’assassinat de Kadhafi, meurtre avec préméditation comme le définit le code pénal. Ce fut monsieur Juppé, notre ministre des Affaires étrangères, répétant inlassablement dans les media (sitôt obtenue la 1973) « Kadhafi doit quitter le pouvoir », ce fut François Heisbourg, chef de file des néocons américains en France déclarant sur un plateau de télévision «j’espère que Kadhafi sera tombé dans l’escalier avant le ramadan … » (il commençait le 1er Août , en 2011). Et à défaut de le faire glisser dans l’escalier, un bombardement d’une de ses résidences à Tripoli tua le plus jeune de ses fils et trois de ses petits enfants (1er Mai 2011). Morale de l’OTAN. C’est la nouvelle géopolitique de la France.

     

    Ce que savait la France.

    Les connaissances de la France sont anciennes et précises, sur les trois régions Fezzan, Cyrénaïque et Tripolitaine. Depuis la création du pays en 1952, et même longtemps avant. Un vieux « colo », le général de Corps d’Armées Jean Salvan, grièvement blessé au Liban, a écrit deux pages lumineuses en Juillet 2011 » … les anciens du Tchad ont suivi avec curiosité et inquiétude notre engagement militaire en Libye : ils se souviennent de la Senoussia, cette secte musulmane farouchement anti-occidentale, créée en 1842. La Senoussia dirigeait la Cyrénaïque et elle fut notre principal adversaire lorsque nos coloniaux abordèrent la partie saharienne du Tchad. Ce ne fut qu’après les défaites de la Senoussia à Bir Ali en 1901 et Aïn Galaka en 1912, que nous pûmes enlever Faya-Largeau et le nord du Tchad. La Senoussia fournit à la Libye son premier roi, Idriss 1°, en 1945, lors de l’indépendance.

    Un siècle plus tard, nous voir voler au secours des descendants de ceux qui furent nos plus farouches adversaires, partisans d’un Islam fanatique, laisse perplexe… Ont-ils vraiment changé ? … »

    Le poids du système tribal local, rend illusoire toute approche centralisée du pouvoir dans une société ultra fragmentée. Malgré l’imprécision des chiffres on estime à 60 les principales tribus et à 750 celles de moindre importance. Mais surtout ces 60 communautés principales regroupent environ trois millions et demi de personnes, à mettre en regard des six millions  d’habitants. Et une dizaine disposent de réseaux vers d’autres pays de la région, Algérie, Egypte, Tunisie, Tchad, Niger, Mali.

    Nous ne sacrifierons pas à la mode d’affubler Muammar Kadhafi de différentes appellations peu amènes. La France fut la première à s’opposer à lui après le coup d’État de 1969 aidé par Nasser (et qui avait été pressenti et anticipé par les Services de Renseignement), dans sa responsabilité de protéger le Tchad. Et elle est la dernière à laquelle on peut faire des leçons sur le comportement de ce bédouin fantasque. La littérature spécialisée dévoile plusieurs opérations secrètes envisagées pour l’éliminer physiquement dès les années 1970 (comme la fin des mémoires de VGE, qui cite une opération classifiée en cours, qu’il confia à Mitterrand lors de l’entretien confidentiel de la passation de pouvoir). Et à chaque occasion, à la veille de passer à l’action Washington opposa un feu rouge, estimant que la disparition envisagée n’était jamais dans ses intérêts. Puis à partir des années 2000, la Libye et son chef passèrent ouvertement du statut de paria à celui de partenaire. Pris à nouveau en considération par la diplomatie internationale, la Libye créa en 2000 l’Union Africaine (déclaration de Syrte en Décembre 1999 et réunion de Durban en 2002). Une sorte de pivot entre l’Afrique et le monde arabe. En Octobre 2004 après renoncement aux armes de destruction massives, et signature du protocole additionnel du Traité de Non Prolifération Nucléaire. Démarches de pur formalisme car les infrastructures industrielles ne permettaient certainement pas d’élaborer de tels projets. Autre chose aurait pu être d’apporter les financements … Successivement l’UE leva l’embargo sur les livraisons d’armes, les USA reprirent les activités commerciales (dont évidemment le pétrole, sur quinze permis d’exploration accordés par les Libyens, onze allèrent aux USA !), candidature acceptée à l’OMC, levées des restrictions de circulation des diplomates, Kadhafi reçu en chef d’État à Bruxelles le 27 Avril 2004. Au moins ces années Chirac s’organisaient autour d’une certaine cohérence, ce qui ne fut plus le cas par la suite.

    Qu’ont vu, ceux d’entre nous qui allaient travailler en Libye dans ces années 2000 ? Un pays où l’islam n’imprégnait pas la société, où les femmes étaient habillées à l’occidental (signe qui en dit très long), où elles tenaient des postes de responsabilités tant en technique qu’en négociations commerciales, où la bande côtière arable était remarquablement cultivée (impressionnant vu d’hélicoptère), où le centre de Tripoli était animé tard dans la nuit avec les grands magasins ouverts, en bref une économie en plein décollage. Il y avait d’ailleurs tout à portée de main pour qu’il en soit ainsi. Réserves prouvées de pétrole 9ème rang mondial (chiffres publics de la CIA), 22ème rang pour le gaz, revenus destinés à 6 millions d’habitants. Kadhafi avait organisé un régime de redistribution généralisée, les libyens ne s’en cachaient pas et en étaient très fiers. Un PIB de 14.000 $ / an / h (50 ème rang sur 200 pays environ), un Indice de Développement Humain (ONU, espérance de vie, éducation, niveau de vie) élevé 56ème sur 200 pays. Et la Libye donnait du travail sur son territoire à environ deux millions d’Africains qui renvoyaient leurs salaires chez eux.

    Devant un tel bilan nous avons été nombreux à être outrés par les caricatures assénées par les media, en premier lieu gouvernementaux des bobos parisiens, téléguidés par le cabinet du quai d’Orsay, alors que la réalité de ce pays était parfaitement connue.

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    Les années Sarkozy sont encore aujourd’hui très difficiles à décoder voire incompréhensibles. Tout le monde avait saisi que les gesticulations autour des infirmières bulgares, relevaient du coup de menton et d’une manière peu coûteuse d’occuper l’estrade. Mais la visite à Paris, du 10 – 15 décembre 2007 s’inscrivait dans l’évolution de Tripoli. Elle n’a choqué que les esprits moisis de quelques moralistes professionnels, des Bayrou, des BHL, ou les opposants à Sarkozy par principe. Et montrait surtout leur complète ignorance de la situation à défaut d’être d’authentiques parangons de vertu. Que le bédouin ait voulu planter sa tente était plutôt dans un ton traditionnel, souhaitant peut être, imiter Ibn Seoud devant Roosevelt sur le pont arrière du Quincy …

    Nulle doute qu’une déception se fit jour quand Tripoli refusa d’entrer dans le projet d’Union pour la Méditerranée (au fait, où en sommes nous ?), qui devait être une clé de voute de la diplomatie sarkozienne.

    Mais cela n’explique pas que trois ans plus tard notre chef de l’État décidait de s’en prendre ainsi à un gouvernement qui ne menaçait en rien les intérêts français. En déclarant une guerre qui montrait à l’évidence que la légende du «printemps arabe» (volatilisée deux ans plus tard) avait supplanté toute analyse stratégique, faisant fi de notre Histoire, de nos connaissances centenaires de ces régions, nourris d’irremplaçables archives, tant chez les diplomates que chez les militaires, ou les financiers. Le total a donné l’impression sur l’instant d’une décision prise à l’aveuglette, ou ce qui est tout aussi grave, pour obéir à un donneur d’ordre extérieur (on voit bien lequel …).

    http://www.lexpress.fr/actualite/politique/la-photo-kadhafi-sarkozy-introuvable-sur-le-site-de-l-elysee_964940.html

    Reconnaissons objectivement que le résultat de notre action fut, de façon irrationnelle, d’ouvrir les pistes à des islamistes là où Kadhafi leur avait barré le chemin depuis au moins deux décennies. Les Américains se sortent très bien de ce genre de contradictions, la France y perd sa crédibilité, et contrairement aux apparences, son âme. (à suivre...)

  • A propos d'un éventuel Service Civique : 1/2 : le ”contre”....

              On nous demande ce que nous pensons du Service Civique, si nous sommes "pour", ou "contre", et pour quelles raisons. Allons-y....

              La vérité est que nous y sommes franchement opposés, surtout lorsqu'on se rappelle dans quelles circonstances historiques la conscription s'est généralisée en France. Et pourtant, on pourrait être plutôt favorable à une certaine forme de Service civique si....

              Tout cela peut paraître surprenant, et un peu obscur, formulé ainsi : tâchons donc, pour ne pas faire trop long, de répondre en quatre temps, quatre réflexions....

                I : En effet, nous sommes totalement opposés à un retour du Service Militaire, fût-il déguisé, ce que ne manquerait pas d'être ce Service Civique dont plusieurs ténors politiques, à droite comme à gauche, vantent les mérites.

                Il faut être sérieux: on se couvrirait de ridicule en re-créant, le Service Militaire, finalement appelé Service National, qui se maintenait tant bien que mal -plus mal que bien, d'ailleurs, on va le voir... -  lorsque Jacques Chirac a décidé sa suppression. Ce serait une démarche erratique, absurde et inefficace. Ne dit-on pas : ordre puis contre ordre égale désordre....

                 N'oublions pas, en premier lieu, que ce Service était devenu notoirement injuste, et qu'environ un bon tiers des jeunes y échappaient, ce qui ne manquait pas de créer de nombreuses tensions, aussi regrettables que malsaines...

                 Il était de plus extrêmement coûteux, si l'on ramenait le faible service réel qu'il rendait, à sa lourdeur et à sa pesanteur, pas toujours justifiées (et c'est un euphémisme !...): en cas de vraie crise, on sait bien qu'il n'était, de fait, qu'une illusion. L'armée ainsi constituée était, de fait, une "armée" de papier et sur le papier et, soyons réalistes, en cas de vraie guerre c'est vers de vraies troupes aguerries qu'il aurait fallu se tourner (telles que la Légion, par exemple....).

                 Enfin, tel qu'il était pratiqué, ce Service National se révélait démoralisateur et nocif pour l'esprit public, dans la mesure où il nourrissait et entretenait un anti militarisme de mauvais aloi : la Nation doit être défendue, et il n'est pas sain que son Armée soit objet permanent de critiques et de suspicions, contraires à l'unité nationale nécessaire face au danger éventuel...

                Voilà, rapidement listées, les principales raisons pour lesquelles nous sommes hostiles à la réapparition du Service Militaire obligatoire, même si on le rebaptise Service Civique.....                    

                II : Mais, surtout, il n'est pas inutile, à ce stade initial de notre réflexion, de faire un petit rappel historique - on va voir que c'est même absolument indispensable - afin de bien comprendre d'où vient, dans notre société, l'importance du fait militaire tel qu'on l'a connu jusqu'à tout récemment. Et de rappeler les origines idéologiques de la conscription.

                La "levée en masse de 300.000 hommes" fut une invention de la Révolution et de la République naissante, le système utilisé sous les Rois étant fort différent, donc non comparable : les Rois de France - on ne craignait pas "l'étranger", "l'autre" sous la Royauté... - faisaient massivement appel aux étrangers pour l'armée et, par exemple, en 1672, l'armée de Louis XIV comptait 45.000 fantassins étrangers pour 80.000 français; et la moitié de la cavalerie était également étrangère...; les "français" étant pour la plupart des isolés, recrutés par racolage.

               C'est avec la Révolution que tout change : à partir de la levée en masse, on s'engage dans une logique qui amènera peu à peu à ce que l'on fasse appel de plus en plus appel aux citoyens français, par la conscription, qui aura forcément tendance à se généraliser, et à se traduire finalement par... le Service militaire obligatoire.

               Autre point qui mérite d'être noté : le faible coût humain des guerres de l'Ancien Régime, comparé aux effroyables hécatombes dont l'Europe est redevable à cette Révolution qui, en décrétant justement cette folle levée en masse dont nous venons de parler, a, en quelque sorte, contraint tous les autres peuples du continent à en faire autant. Là où s'opposaient des troupes en nombre limitées, "avant", ce seront, à partir et à cause de la Révolution, des masses gigantesques qui vont saigner à blanc tout le continent.

                Ces effroyables boucheries, qui devaient culminer dans l'horreur indicible de 14-18, devaient casser net la vitalité démographique de la France, qui était, avant la Révolution, la Chine de l'Europe. 800.000 morts pour la Révolution, 1.500.000 dûs aux guerres napoléoniennes, encore 1.500.000 en 14/18, 600.000 en 39/45, auxquels il faut rajouter les peut-être 500.000 habitants perdus en 1814 et 1815 : près de cinq millions d'habitants perdus en 150 ans ! Quelle démographie pourrait résister à cela ?.....

                Écoutons un historien sérieux et honnête, Michel Mourre :

                "...Les guerres de Louis XIV seront en effet avant tout des guerres de siège, partant, limitées et relativement peu meurtrières...."

               Ce caractère d'économie des vies humaines, si étranger aux guerres populaires inaugurées par la Révolution Française, a été bien souligné par un autre observateur, le général de Gaulle dans La France et son Armée:

              "Le but assigné par la politique, la nature des moyens commandent la stratégie. Pour celle de l'Ancien Régime, il ne s'agit point de choc gigantesque, de destruction de l'ennemi, d'invasion à grande envergure, de résistance nationale désespérée. L'effort guerrier consiste à enlever ou à défendre les places qui maîtrisent une province, à écarter aux moindres frais l'armée de campagne de l'adversaire, à pénétrer sur son territoire dans la mesure nécessaire pour l'amener à composition, à empêcher les coalisés de se joindre, à conduire des renforts à un allié, à faire pression sur un neutre, à ravager un État malveillant."

               Cette prudence permit à Louis XIV et à Louis XV d'agrandir la France du Roussillon, de l'Artois, de la Flandre, de l'Alsace, de la Franche-Comté, de la Lorraine, de la Corse, tout en évitant les grandes invasions du territoire national, lesquelles, après la chute de la monarchie, se succéderont en 1792, 1814, 1815, 1870, 1914, 1940."....  

                C'est donc la période révolutionnaire, et ses prolongements, qui - en ouvrant la boite de Pandore - ont joué aux apprentis sorciers; et ont liberé des forces, et des logiques, terrifiantes, qu'elles ont été, évidemment, bien incapables de maîtriser ensuite; et qui ont donc, de cette façon, amené à une massification, sur une grand échelle, des effectifs militaires. Pour le plus grand mal de la France, de toute l'Europe et, disons-le, de la Civilisation. Camus n'exprimait-il pas son écoeurement et sa révulsion devant la monstruosité des hécatombes guerrières des deux?....   

                Maintenant que ces temps de folie semblent derrière nous, et que l'on est revenu à une armée de métier, il conviendrait cependant de ne pas oublier tout ceci. Si l'on assiste à la fin d'un cycle, à l'extinction de cette logique suicidaire et destructrice, inaugurée par la Révolution, et qui a conduit à l'augmentation terrifiante du nombre de personnes engagées dans les guerres, qui s'en plaindrait ? Et qui la regretterait, souhaitant poursuivre - ad vitam eternam ?... - dans la même direction ?...     

               III : Revenons-en, maintenant, à ces hommes politiques et personnalités diverses qui découvrent les vertus du Service Militaire maintenant qu'il n'existe plus.

               Les uns pensent sottement, que l'Armée pourrait - mais, est-ce son rôle ? et en a-t-elle, vraiment, la possibilité ? ... - apporter à des enfants non éduqués ou mal eduqués l'éducation qui leur fait défaut et les valeurs qui leur manquent ! Ils s'imaginent que l'Armée pourrait redresser ce qui pousse tordu depuis l'enfance !....

                Les autres oublient que quand le Service militaire existait le flot de critiques ne cessait de s'étendre, d'enfler et de se durcir. Ils se prévalent, disent-ils, de certains sondages qui montreraient qu'une majorité de français serait favorable au rétablissement du service militaire ou à l'instauration d'un service civil. Si cela était vrai, si effectivement une majorité de sondés disait cela, encore faudrait-il s'assurer qu'il s'agit exclusivement de gens concernés par ce rétablissement de la conscription.

              En effet, si l'on pose la question à des gens d'âge mûr, cela n'a aucun sens. On le sait bien, l'âge embellit tout, même ce qui à l'époque n'était pas forcément vécu comme authentiquement gratifiant; et si des personnes de 50 ans ou plus regrettent leur jeunesse et leurs "années de régiment", c'est leur affaire. De toutes façons, elles ne sont plus concernées et ne repartiront plus au dit régiment, pour ce "bon vieux temps" dont il y a du reste fort à parier, dans la plupart des cas, qu'il est bien meilleur dans leur souvenir, qui embellit tout, que lorsqu'elles le tiraient pour de bon... 

              Non, il ne faut poser la question qu'à des jeunes directement concernés, c'est à dire qui partiraient pour un an, ou plus; des jeunes entre 18 et 22/23 ans et qui accepteraient - ou à qui l'on imposerait - cette coupure d'un an, ou plus, dans leurs études, leur formation, leurs projets. Et là, il y a fort à parier que les résultats du sondage réserveraient de grandes surprises, et ne seraient certainement pas ce qu'on a claironné ici ou là; il y a fort à parier que les mêmes reproches que l'on faisait naguère réapparaîtraient aussitôt, et presque dans les mêmes termes, peut-être même plus virulents encore, maintenant que l'on a goûté au monde sans conscription....         

             IV : Maintenant que ces différentes observations, réticences et critiques ont été formulées, on peut dire pourquoi il est possible d'être plutôt favorables à un certain Service Civique, pour peu qu'il repose exclusivement sur la liberté de chacun, qu'il ne soit en rien imposé, qu'il naisse du désir véritable, authentique et non contraint de servir son pays pendant une année, ou un peu plus.

             Les besoins ne manquent pas, soit dans ce que l'on appelait hier la coopération, soit dans le militaire proprement dit. Chacun y trouverait son compte, et il serait beau et utile - ce n'est pas forcément toujours contradictoire... - de concilier dévouement, efficacité et intérêts réciproques bien compris.

             L'armée, par exemple, trouverait très probablement chaque année des milliers de jeunes - garçons ou filles - qui se mettraient gratuitement à sa disposition, comme c'était le cas auparavant, avec le service militaire soi-disant obligatoire....

             Et ceci lui permettrait de surmonter en grande partie, voire totalement, les problèmes de recrutement qu'elle rencontre: car, ne nous leurrons pas, aucune solution n'étant jamais satisfaisante à 100%, l'armée professionnalisée d'aujourd'hui peine un peu, parfois, à couvrir l'ensemble de ses besoins. Du moins, à les couvrir correctement, avec du personnel vraiment qualifié et valable...

             On pourrait, par diverses mesures techniques, rendre très attractif ce temps de Service pour les jeunes, dans ce qui serait une sorte de donnant-donnant intelligent, mais surtout gagnant-gagnant. D'abord, bien sûr, et comme cela se faisait avant, comptabiliser ce temps de Service dans la vie active (et pourquoi pas avec un petit bonus ? par exemple, selon le temps effectué...?). Ensuite, et comme cela se faisait aussi auparavant - mais on pourrait le systématiser - assurer des formations diverses : permis de conduire (de tous types : poids-lourd, transport en commun...); formation sérieuse et poussée à l'Informatique, ainsi qu'une formation et des diplômes (reconnus dans le civil) dans tout ce qui touche le Sport et l'encadrement des groupes (jeunes ou moins jeunes); enfin, l'Armée proposant une très large gamme de métiers, une ou des approches pratiques de ces métiers, sanctionnée par un diplôme, fournirait au jeune un début d'expérience professionnelle, appréciable sur un CV...

              On le voit, un séjour à l'Armée, très utile pour la Défense, pourrait se révéler aussi très attractif pour un jeune, sous réserve et à la condition expresse qu'il ne soit pas forcé, et repose sur le volontariat....

  • Les puissances émergentes, l'Europe, la France : entre idées reçues et réalités, par GILLES VARANGE

            Avons-nous été assez attentifs aux analyses géo-politiques de Gilles Varange ? En tous cas, les articles qu'il donne à Politique magazine et à La Nouvelle revue universelle sont dans la manière d'un Jacques Bainville, ou, pour ce qui est d'aujourd'hui, dans la manière de Marie-France Garaud ou d'Hubert Védrine. C'est-à-dire que sa réflexion se fonde sur les réalités, que vient éclairer, de surcroît, l'expérience de l'Histoire. Cette méthodologie donne moins de chances de se tromper que lorsqu'on ne se nourrit que d'idéologie ou que l'on ne respire que l'air du temps et ses conformismes.

            De Gilles Varange, nous trouvons utile de mettre en ligne, aujourd'hui, une remarquable réflexion, qu'il a publiée dans un numéro récent de La Nouvelle revue universelle, sur ce que sont vraiment ce que l'on nomme couramment les pays émergents et, corrélativement, bien sûr, notre rapport à ces différents pays. Le sujet est d'actualité, mais, surtout, il est d'importance, car il concerne, directement, l'avenir de la France et de l'Europe.       

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    Quatre de ces puissances ont fondé le B.R.I.C, acronyme désignant  : le Brésil, l'Inde, la Chine et la Russie..... (devenu par la suite BRICS, avec l'Afrique du Sud)

             Les puissances dites « émergentes » sont à la mode. On ne parle que d'elles. Dans les colloques internationaux aussi bien que dans les dîners en ville, qui veut briller ne saurait faire autrement que de vanter leur ascension — forcément irrésistible — avant de terminer par une complainte obligatoire sur le déclin programmé de nos pauvres nations occidentales. La plupart du temps, aucun de ces éloquents bavards ne songe à honorer son auditoire d'une définition précise du sujet évoqué, ce qui serait pourtant fort utile. Car, à quoi reconnaît-on une puissance émergente ? À son poids démographique ? À sa capacité d'influence politique ou culturelle ? À sa force militaire ? Aux progrès de son économie et de son commerce ? À moins que ce ne soit à l'addition réussie de l'ensemble de ces critères ? Si l'on se rallie à cette dernière hypothèse, une certaine hiérarchie s'impose alors en fonction du critère retenu, car il y a forcément des puissances plus émergentes que d'autres dans chacun des domaines considérés. La Russie, par exemple, héritière du passé soviétique, dispose d'une force militaire, nucléaire, stratégique, avec laquelle, pour l'instant, aucune des autres puissances « émergentes » ne peut rivaliser. Mais il en va tout autrement en matière de développement économique. Certes la Russie bénéficie de richesses naturelles prodigieuses que la politique de Vladimir Poutine a permis de remettre entre les mains de l'État. Mais les structures administratives et économiques du pays demeurent archaïques et le système entier apparaît miné par une corruption endémique qui est, en grande partie, elle aussi, un héritage de l'ancienne nomenklatura soviétique.

            Dans ce domaine de l'économie et du commerce, c'est la Chine que n'importe quel observateur impartial hissera sans hésitation sur le pavois. Et si l'on parle maintenant de la matière grise, des potentialités intellectuelles, du nombre et de la compétence des futures élites techniques et scientifiques, c'est l'Inde qui sera désignée le plus souvent comme porte-drapeau. Sans modestie excessive, les Indiens se voient d'ailleurs comme la vraie superpuissance mondiale de la fin du XXIème siècle. Quant à la quatrième de ces puissances dites émergentes, le Brésil, on le range d'autant plus volontiers dans cette catégorie que les experts nous annonçaient son ascension depuis des décennies, sans que leurs prédictions se réalisent jamais. « Le Brésil, grande puissance d'avenir et qui le restera », proclamait déjà de Gaulle, avec un humour dont on ne sait s'il était volontaire ou non — lors d'une visite à Brasilia, il y a près d'un demi-siècle. Mais si le Brésil possède effectivement l'étendue, les richesses naturelles, la population suffisante pour prendre rang parmi les puissances émergentes, il lui manque la force militaire. En ce domaine, avec un budget squelettique par rapport à son poids économique, le Brésil reste un lilliputien. 

    « ÉMERGENTES » OU RENAISSANTES ? 

            Il est pourtant le seul auquel pourrait s'appliquer vraiment la notion de puissance émergente. Car, pour les trois autres nations qui constituent avec lui le fameux BRIC (Brésil-Russie-Inde-Chine) dans le jargon des diplomates et des fonctionnaires internationaux, il serait plus avisé de les qualifier de puissances « renaissantes ». Voilà qui éviterait de sombrer dans une dangereuse confusion intellectuelle. Prenons, à nouveau, l'exemple de la Russie : dans le cadre de l'Union Soviétique, elle était l'une des deux superpuissance mondiales il y a vingt ans à peine. Après une brève éclipse, il n'est pas étonnant qu'elle revienne sur le devant de la scène, en renouant avec les lignes constantes de sa politique internationale. C'est qu'à l'inverse de la France dont la politique étrangère connut une rupture violente après 1789, rupture dont elle n'a pas fini de payer le prix, l'Union Soviétique, elle, n'a cessé de poursuivre avec opiniâtreté la diplomatie traditionnelle de la Russie tsariste : contrôle de l'Ukraine, de la Biélorussie et des pays baltes, progression vers l'Orient avec la prise en main de la Mongolie extérieure et des îles Kouriles arrachées au japon en 1945, politique d'expansion vers les mers chaudes avec l'invasion de l'Afghanistan en 1979. Après l'effondrement gorbatchévien et la période d'anarchie eltsinienne, il n'est guère douteux que le hommes du Kremlin soient animés la volonté de recoudre ce qui peut l'être, puis de repartir un jour de l'avant.

            Tournons-nous à présent vers la Chine. En dépit de son volontaire isolement, elle était l'une des grandes puissances mondiales il y a moins de deux siècles. Au moment de la Révolution française, elle concentrait encore sur son territoire la moitié de la richesse mondiale. Elle était considérée à nouveau comme une puissance majeure dès le début des années cinquante du siècle dernier. Il faut rappeler que le généralissime Jiang Jieshi (Tchang Kaï-Chek) figurait parmi les « Grands » aux côtés de Churchill, de Roosevelt et de Staline en novembre 1943 à Téhéran, quand cet honneur avait été refusé à de Gaulle. Et dès 1973, alors que la Révolution culturelle n'était pas encore terminée, le succès phénoménal du livre d'Alain Peyrefitte, Quand la Chine s'éveillera, montrait que tout le monde en était déjà conscient : seules, les excentricités du maoïsme empêchaient la Chine de décoller. Autant dire que la Chine n'a rien d'une puissance « émergente ». Elle est une puissance majeure depuis deux millénaires au moins. La leçon vaut pour l'Inde, même s'il est vrai que l'éphémère domination britannique a modifié considérablement sa physionomie Au nord, les États majoritairement musulmans ont fait sécession pour former le Pakistan, le « Pays des purs », tandis que le reste du sous-continent a retrouvé pleinement sa vocation hindouiste, laquelle n'avait été préservée sous la dynastie moghole que dans les royaumes du sud, royaume de Vrijryanagar, royaume de Golconde et empire marhate sur la côte ouest. Là encore, l'Inde avait retrouvé un statut de grande puissance dès la conférence de Bandoung en 1954. 

    LA REVANCHE DE L'HISTOIRE 

            La Russie, la Chine, l'Inde : plutôt que de s'émerveiller sur leur « émergence » fictive, il serait plus simple de relever que ces grandes puissances politiques et militaires qui avaient déjà pour elles la superficie, le nombre, les ressources naturelles et une force militaire respectable en plus d'une longue histoire, sont en train de retrouver un poids économique significatif. C'est seulement en ce domaine qu'elles peuvent être qualifiées d'émergentes. Mais le plus important n'est sûrement pas là.

            L'événement d'une portée immense pour l'avenir tient au fait que ces grandes puissances ont commencé à renouer, à mesure qu'elles acquéraient un poids économique enviable, avec leurs plus anciennes traditions historiques, culturelles et religieuses. Et c'est précisément la réappropriation de leur culture traditionnelle qui donne à chacun de ces peuples l'élan et la force nécessaires pour se projeter résolument en avant. Après soixante-dix années de glaciation marxiste, la Russie se redécouvre orthodoxe. Elle honore la mémoire de ses tsars et vénère le dernier d'entre eux comme un martyr. Après un demi-siècle de révolutionnarisme maoïste, la Chine se veut à nouveau confucéenne et partiellement bouddhiste. Elle a réhabilité ses anciennes dynasties, y compris la dynastie mandchoue. Elle se plaît à célébrer la figure du premier unificateur de l'Empire du Milieu, le génial et implacable Qin Shihuangdi. Quant à l'Inde, depuis l'indépendance et la partition de 1947, et plus encore depuis une quinzaine d'années, elle n'a cessé de renouer de plus en plus activement avec ses racines hindouistes. Si l'on ajoute à ce tableau le Brésil catholique, voilà tout un univers fort éloigné de notre laïcité étriquée et militante.

            Une remarque encore : alors que des bataillons d'experts œuvrent à affoler les opinions occidentales sur le thème obsédant d'une prétendue poussée irrésistible de l'islam, pas une seule des puissances dites « émergentes » n'est musulmane. Le Pakistan, la seule puissance, islamique qui aurait pu prétendre jouer un rôle mondial, est désormais plongé, du fait même de l'influence de ses milieux fondamentalistes, dans un chaos qui paraît irréversible et menace jusqu'à son unité. Quant à la Turquie de l'AKP, malgré des progrès économiques incontestables, son PIB ne la place même pas au niveau des Pays-Bas.

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    Les présidents brésilien Luiz Inácio Lula da Silva, russe Dmitri Medvedev, chinois Hu Jintao et le premier ministre indien Manmohan Singh à Iekaterinburg le 16 juin 2009 lors du premier sommet du B.R.I.C

     

    DES CHIFFRES ÉCLAIRANTS 

            De manière générale, si les succès de ces puissances émergente sont indéniables, ils méritent néanmoins d'être fortement relativisés et remis en perspective. Les chiffres ci-dessous, tirés des dernière statistiques disponibles du FMI, celles de 2010, sont fort éclairants :

     PIB en milliards de dollars

    USA

    14 624

    Chine

       5745

    Japon

       5390

    Allemagne

       3305

    France

       2582

    Royaume-Uni

       2258

    Italie

       2036

    Brésil

       2023

    Canada

       1563

    Russie

       1476

    Inde

      1430

    Espagne

       1374

    Australie

       1219

    Mexique

       1004

    Corée du Sud

        986

    Pays-Bas

        770

    Turquie

        729

    Indonésie

        695

    Suisse

        522

    Belgique

        461

    Taiwan

        424

     


     

    Autres : * Afrique du Sud : 354 - * Iran : 337 - * Singapour : 217 - * Nigéria : 206 - * Algérie : 158 - * Syrie : 55 - Luxembourg : 52 - * Tunisie : 43 - * Pays africains : entre 1 et 5 milliards de dollars chacun. 

    UNE RÉSISTIBLE ASCENSION 

            On retiendra que les 15 pays les plus riches sur les 27 de l'Union européenne pèsent ensemble plus que les États-Unis et 40% de plus que la Chine et le Japon réunis. Un simple regard sur les statistiques du FMI permet aussi de constater que l'Allemagne et la France possèdent à elles deux un PIB quasiment équivalent à celui de la Chine et très supérieur à celui du Japon. Plus remarquable encore : malgré la masse énorme de ses 1 300 millions d'habitants et son ascension vertigineuse des vingt dernières années, l'Empire du Milieu ne représente que les 4/5e des PIB conjugués des trois grands pays latins0 de l'Europe : la France, l'Italie et l'Espagne. Et les PIB additionnés de la France et de l'Italie suffisent pour faire jeu égal avec ceux de l'Inde, du Brésil et de la Russie rassemblés, c'est-à-dire trois des quatre puissances « émergentes » appelées, selon les analystes, à bouleverser l'ordre du monde. Sur le plan économique, il faudra assurément encore du temps et bien des efforts avant que les grenouilles émergentes atteignent la taille du bœuf européen. Voilà qui contribue à remettre les choses en place. Et à nous rappeler que le déclin impressionnant de l'économie française (passée de 6% des exportations mondiales à 3,9% en dix ans) n'a pas pour cause unique — ni même pour cause principale — la montée de ces fameuses puissances émergentes. Les raisons de notre déclin économique et commercial sont à rechercher bien plus près de chez nous. À cet égard, commençons par une question : de quel pays la France est-elle le premier client mondial, le client qui absorbe une part considérable des productions de ce pays et lui apporte depuis une décennie l'assurance d'us balance commerciale formidablement excédentaire ? S'agirait-il de la Chine ? Des États-Unis ? Du Japon ou de quelque autre puissance lointaine et exotique ? Pas du tout. C'est avec l'Allemagne, notre voisine et notre principale partenaire européenne que nous enregistrons, année après année, des déficits de plus en plus dramatiques. Il est entré en France, en 2010, pour 79 milliards d'euros de produits allemands quand nos exportations outre-Rhin n'atteignaient pas 57 milliards. Soit, en douze petits mois, un trou de plus de 22 milliards à notre désavantage. Remarquons encore que les autres principaux pays exportateurs en France sont également européens : la Belgique (avec 41 milliards !) l'Italie (39,2 milliards) l'Espagne (31, 6 milliards). Contrairement à une idée reçue, c'est en effet le commerce avec nos proches voisins qui est la source principale de notre gigantesque déficit commercial. Seules 14% de nos importations proviennent d'Asie quand 60% nous arrivent des pays de l'Europe des 27. Retenons l'extraordinaire disproportion entre ces deux chiffres, alors qu'une propagande insistante s'obstine à nous présenter l'Union européenne comme un bouclier face à la menace commerciale extérieure.

            La Chine ne vient modestement qu'en cinquième position. Cc qui n'empêche pas notre déficit avec Pékin de se révéler, lui aussi. abyssal : 31 milliards d'importations pour 9 milliards seulement d'exportations françaises en Chine, l'équivalent de ce que nous vendons à l'Autriche. Soit un déficit annuel de notre balance commerciale de 22 milliards avec Pékin. Par une troublante symétrie, notre déficit avec la Chine s'avère être exactement le même que notre déficit avec l'Allemagne. La France se trouve ainsi écrasée deux fois : écrasée par le proche et écrasée par le lointain. Or, si les exportations entrent pour 40% dans le PIB allemand, elles ne représent

  • Sur les ”Printemps arabes”... Un article de Mezri Haddad

            Lors du Colloque sur l'Europe, organisé par Jean-François Mattéi, le samedi 11 juin dernier, à La Baume, près d'Aix-en-Provence, nous avions pu, au moment de la pause, discuter avec les intervenants, et notamment avec Mezri Haddad : il nous a surtout entretenu de ce GMO (Grand Moyen-Orient), qu'il voit poindre, du Maroc à la Turquie, sous l'égide des États-Unis; avant de nous confier, en aparté, que les trois quarts des attaques sur Internet portées contre lui proviennent - après investigations... - de... la banlieue parisienne ! Et non pas de Tunis même, ou, au moins, de Tunisie.

            Aujourd'hui Mezri Haddad - avec qui nous sommes en contact depuis plusieurs années - nous fait l'amitié de nous signaler son dernier article, tratitant des "printemps arabes" (!) dans Le Quotidien d'Oran, et intitulé Printemps arabe ou hiver islamiste ?

              Sur le lien suivant, qui donne les 32 pages du journal, l'article de Mezri Haddad -spirituellement illustré... - est en page 13; et il est à lire !.....

            mon_article_quotidien_d'Oran.pdf  

    tunisie,mezri haddad,printemps arabes

          Mezri Haddad, observateur lucide des réalités concrètes.....

            Pour une meilleure lecture, nous publions, ici, cet article in extenso. Il est, naturellement, rédigé d'un point de vue arabe et, plus spécialement, tunisien. Ceci n'empêche que nombre de ses analyses rejoignent les nôtres.

            A vous la Charia, à nous le pétrole. Chacun sa religion ! C’est ainsi que l’on peut résumer la surprenante alliance stratégique entre certaines capitales occidentales et les mouvements islamistes que le «printemps arabe» a remis au-devant de la scène et qui seront vraisemblablement les principaux bénéficiaires de ce vent de liberté, alors qu’ils n’en sont point à l’origine. Il s’agit là d’un changement géopolitique majeur dont on n’a pas fini de mesurer toutes les conséquences aussi bien dans les pays arabo-musulmans que sur le monde occidental.

            Si l’apothéose de l’intégrisme est de plus en plus probable en Libye, car on sait comment tournent les révolutions qui commencent par Allah Akbar, l’hypothèse d’une déferlante islamiste en Tunisie et en Egypte est occultée par les observateurs et analystes français, comme pour conjurer un sort auquel on refuse de croire, ou au contraire, on fait semblant de ne pas y croire alors qu’on le souhaite ardemment. On a pu écrire que dans ce «printemps arabe», les islamistes n’ont joué pratiquement aucun rôle, ce qui serait d’un bon présage pour l’avenir. Cela est plus ou moins vrai dans le cas tunisien et égyptien, mais totalement faux pour la Libye et pour la Syrie, si ce régime tombe comme le souhaitent certains supporters de l’olympique d’Israël. En Tunisie et en Egypte, c’est la combinaison du cyber-activisme et d’une certaine réactivité militaire, qui a précipité l’écroulement rapide de ces deux dictatures qu’on disait inébranlables. En Libye, il s’agit plutôt d’un soulèvement armé des anciens mercenaires de Ben Laden, financés par le Qatar et militairement soutenus par les forces de l’OTAN. D’intervention «humanitaire » qui n’avait pour mission onusienne que de protéger les civils contre une armée libyenne effectivement sanguinaire, le processus s’est transformé en expédition coloniale. Ainsi, les forces spéciales françaises et britanniques qui combattent encore aujourd’hui contre les talibans en Afghanistan, ont mené la guerre aux côtés de leurs «frères» talibans au Maghreb, sous le commandement philosophique du nouveau Lawrence de Libye, Bernard-Henri Lévy !

            Malgré ce philo-islamisme occidental, ce cynisme inouï qui n’a d’égale que l’idéalisme apparent, je persiste à croire que les jeunes tunisiens et égyptiens n’ont pas fait la révolution, pour se contenter d’une «démocratie islamique». Cette nouvelle posture occidentale relève du pragmatisme politique et du mercantilisme économique. Je dirai même qu’elle exprime intrinsèquement une ignorance totale de l’islam et un mépris profond des musulmans.

            En tout cas, elle reste substantialiste, culturaliste et essentialiste. Les stéréotypes qui sont à la base de l’islamophobie sont souvent les mêmes que ceux qui sont au fondement du philo-islamisme. Si, comme certains le prétendent, l’humanité est une et indivisible, si la Civilisation est le brassage de toutes les cultures, si l’humanisme et le respect des droits de l’homme sont universels, alors il n’y a pas un type de démocratie qui serait valable pour le monde occidental et un autre qui serait adaptable au monde arabo-musulman, au nom d’une présupposée spécificité religieuse ou culturelle. A moins de considérer, à l’instar de Bernard Lewis et d’Huntington, qu’il n’y a pas une seule Civilisation mais plusieurs, et qu’en raison même de leurs diversités et de leurs inégalités ontologique et axiologique, elles seront tôt ou tard amenées à s’affronter. Au nom de la sacro-sainte démocratie et d’une présupposée spécificité culturelle, si les musulmans sont majoritairement pour l’islamisme au pouvoir, il faut les laisser faire, à condition de les contenir dans leurs limites géographiques. Tel doit être le raisonnement du faucon aux ailes de colombes, Barak-Hussein Obama et de l’hirondelle du «printemps arabe» Hillary Clinton.

            Telle était aussi la logique de son prédécesseur à la Maison Blanche, celui qui a commis des crimes contre l’humanité en Irak. En d’autres termes, sortir du choc des civilisations, non point par un processus inclusif des civilisations, avec pour idéal et paradigme une Civilisation humaniste et universelle dans laquelle se reconnaîtraient tous les peuples de la terre, ni d’ailleurs par un processus exclusif, mais par une espèce de démarcation positive.

            Eux c’est eux et nous c’est nous. Ou, comme l’écrivait déjà Kipling, «L’Orient c’est l’Orient et l’Occident c’est l’Occident, jamais ils ne se rencontreront».

            L’alternative dictature ou islamisme, que les gouvernants arabes ont longtemps utilisé pour justifier leurs régimes despotiques, a été aussi l’argument fort de leurs protecteurs occidentaux. Il ne faut pas que par culpabilité ou opportunisme, cet argument dualiste et manichéen profite désormais aux islamistes «modérés». Lors de son voyage à Tunis, le 28 avril 2008, Nicolas Sarkozy a déclaré : «Qui peut croire que si demain, après-demain, un régime du type taliban s’installait dans un de vos pays au nord de l’Afrique, l’Europe et la France pourraient considérer qu’elles sont en sécurité ?». Si la France se met sous la protection wahhabite du Qatar, elle ne pourra rien craindre du régime taliban qui va naître en Libye et à l’émergence duquel elle aura activement contribué.

           La France aura encore moins à craindre de l’islamisme à l’AKP qui va probablement triompher le 23 octobre prochain en Tunisie. Je pense en effet qu’Ennahda sera le premier parti du pays, mais qu’elle aura l’intelligence de gouverner d’abord avec une coalition vaguement nationale et ornementale. Ennahda aura le choix entre tous les partis progressistes ou de gauche qui ont établi avec elle une alliance tactique ou stratégique depuis la fin des années 1990. Dans cet éventail assez large, Ennahda aura l’embarras du choix pour sélectionner un président de la République qui jouera exactement le même rôle que Bani Sadr à l’aube de la république islamique d’Iran. Les islamistes tunisiens ne couperont donc pas la main aux voleurs, ils ne reviendront pas sur le Code du statut personnel bourguibien qui accorde aux femmes des droits comme nulle part ailleurs dans le monde arabe, ils ne fermeront pas les hôtels mais ils feront appel au tourisme islamique, ils ne reviendront pas sur les orientations libérales de l’économie tunisienne mais ils accentueront au contraire les pratiques de l’économie de marché selon l’orthodoxie américaine, ils ne forceront pas les femmes à porter le voile, mais c’est la pression sociale qui les y contraindra, ils n’aboliront pas le système de l’éducation nationale modernisé par Mohamed Charfi, mais ils réformeront les manuels scolaires dans le sens contraire, ils ne changeront pas radicalement les lois civiles et pénales mais ils travailleront à leurs progressive « chariatisation »… Dans tous les domaines de la vie politique, économique, sociale et culturelle, ils procéderont par petites touches, de façon graduelle, par islamisme «modéré», selon la bonne recette de Recep Tayyip Erdogan, la nouvelle figure paradigmatique du panislamisme pragmatique, baptisé par des prêtres américains dans une mosquée turque ! Tous d’ailleurs (Tunisie, Egypte, Libye), parlent d’appliquer un islamisme «modéré» à l’image de l’AKP, ce qui procure à la Turquie un rôle néo-impérial, comme jadis et naguère le califat ottoman ! Mais cet islamisme «light» ne risque pas de voir le jour en Tunisie ou en Egypte, encore moins en Libye, pour des raisons historiques, psychologiques et sociologiques élémentaires. Pour la simple raison aussi que l’AKP n’a pas choisi d’être ce qu’il est ! Il y a été contraint et forcé : par une République résolument laïque et par une armée qui veille à l’héritage d’Ataturk. De plus, l’AKP s’est adapté à une tradition démocratique qui existait déjà en Turquie, ce qui n’est pas le cas de la Tunisie ou de l’Egypte. Les ambitions hégémoniques de l’AKP sont par ailleurs constamment battues en brèche par le puissant CHP, le Parti républicain du peuple que Mustapha Kemal a fondé en 1923. Le parti fondé par Bourguiba en 1934, et qui aurait pu jouer, face à Ennahda, le même rôle du CHP face à l’AKP, a été tout simplement décapité. Idem pour le parti national démocratique en Egypte.

            Ennahda pourrait gagner, parce que les Tunisiens sont psychologiquement et culturellement prédisposés à accueillir les islamistes comme des sauveurs providentiels, envoyés par Dieu pour restaurer l’islam et sauver de la damnation l’âme tunisienne. Sous Bourguiba et sous Ben Ali, nous étions un peuple impie et blasphématoire. Avec Ennahda, nous allons revenir aux «véritables» valeurs de l’islam. Nous quitterons ainsi la Jahiliyya et tournerons définitivement la page du pouvoir des «apostats» qui offense l’islam depuis 1956. En somme, depuis l’indépendance, sans même nous en apercevoir, nous étions des païens. Ni le régime de Bourguiba, ni encore moins celui de Ben Ali n’a préparé la société tunisienne à la dure et périlleuse «épreuve» de la démocratie, qui ne peut intervenir qu’après le long apprentissage de la sécularisation que je ne confonds pas avec la laïcité française. Au contraire, tous les deux, chacun à sa façon, ont cherché à exploiter le sentiment religieux à des fins politiques, faute de légitimité démocratique. Ce n’est donc pas le temps plus ou moins long que les Tunisiens vont mettre avant d’instaurer leur Etat démocratique et moderne qui est inquiétant, mais le temps très rapide que les forces de régression ont mis pour emporter déjà quelques victoires symboliques et pour persuader les Tunisiens que l’islamisme est l’avenir. Non, et malgré l’unanimisme ambiant, je persiste à croire que l’islamisme n’est pas notre avenir, mais juste un présent qui refuse de devenir un passé.

            Je crains fort que bientôt, la brume hivernale vienne couvrir le «printemps arabe». Derrière cette épiphanie démocratique, se profile en effet une boulimie néo-colonialiste. Une coalition est en formation pour anéantir la Syrie, dernier bastion de la résistance arabe, et isoler par la même occasion l’Iran, une puissance régionale devenue incontournable. En suscitant la discorde artificielle entre sunnisme et chiisme, et en jouant sur la rivalité ancestrale entre la dynastie Safavide et l’empire ottoman, c’est sous le leadership turc que l’on espère placer les régimes islamistes qui vont sortir des urnes ; surtout pas sous le leadership iranien, rebelle aux oukases de l’Occident. Un plan de partition de la Libye est déjà à l’étude dans certaines capitales occidentales, au cas où ! Ce pays voisin qui regorge de richesses énergétiques et hydrauliques subira le même sort que l’Irak, qui a été disloqué en trois Etats selon les exigences d’Israël. A l’instar du Soudan, tous les pays arabes qui ont une grande superficie seront d’ailleurs à moyen et long terme menacés de partition sur des bases fallacieuses (confessionnelles ou ethniques) et des objectifs économiques réels (pétrole, gaz, eau). C’est en cela que l’Algérie,dont l’attitude face au conflit libyen honore les enfants d’Abdelkader, restera dans le collimateur des bédouins du Qatar et de leurs maîtres israélo-américains. Et dans ce combat de la «démocratie» contre la «dictature», Bernard-Henri Lévy sera encore plus motivé que dans sa Croisade contre la Libye. Ne témoigne t-il pas depuis des années son attachement affectif, plus exactement affecté, pour l’Algérie algérienne ?

            Il ne suffit pas aux Américains d’appuyer sur un bouton ou d’activer leurs troupes sur Internet et Facebook, pour provoquer une «révolution 2.0». Celle-ci a malheureusement des causes réelles et endogènes : dictature, corruption, chômage… En Tunisie et en Egypte, il y a avait une situation pré-insurrectionnelle que les gouvernants ne voulaient pas voir. C’est de ce mécontentement social que les stratèges américains ont profité pour renouveler les classes dirigeantes et pervertir ainsi l’aspiration des populations à la démocratie et à un partage équitable des fruits de la croissance. Et par-delà ce renouvellement des élites gouvernantes, bien évidemment le projet de Grand Moyen-Orient (GMO) cher aux néoconservateurs, repris, revu et corrigé par «l’ami» des musulmans, Barak-Hussein Obama. Pour éviter le pire, les pays qui restent dans le collimateur franco-américain doivent pouvoir relever le défi : anticiper par des réformes démocratiques, économiques et sociales urgentes et profondes. Le contraire de la révolution, ce n’est pas la réaction ou le conservatisme, mais le réformisme. Quoique prétendent certains analystes occidentaux, qui flattent la jeunesse arabe d’avoir réalisé la plus «belle révolution du monde», les révolutions n’affectent que les régimes politiquement sous-développés. *

    *   Philosophe et ancien ambassadeur de la Tunisie à l’UNESCO.

    *   Dernier essai à paraître (septembre 2011), La face cachée de la révolution tunisienne. Islamisme et Occodent : une alliance à haut risque.

  • Trois textes de Maurras sur l'Enseignement: II et III, Aux origines du long déclin des humanités classiques...

               En 1902, une réforme des programmes du secondaire, comme il y en a tant eu depuis, s’opère au détriment des humanités classiques et plus particulièrement du latin.

               Quelques années plus tard, l’animateur de la revue Les Marges lance un cri d’alarme : quand on s’attaque au latin, c’est le français lui-même qui souffre. Et en 1910 il crée une Ligue des amis du latin et lance une campagne de pétitions. Son public est fait de conservateurs, de l’espèce des conservateurs bien sages, ceux qui acceptent de signer pour défendre la culture et le patrimoine, ou plutôt leur idée de la culture et du patrimoine, mais qui ne veulent à aucun prix s’engager plus loin, ni surtout, horreur suprême, donner un tour politique à leur action.

                Situation récurrente, qui ressemble tant à ce que nous pouvons observer aujourd’hui !       

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               Dans un article de L’Action française du 11 mai 1911, Maurras répond à Eugène Montfort, le fondateur des Marges qui fut aussi celui de la NRF, avant de s’en faire promptement éjecter par André Gide : non, lui explique-t-il en substance, l’abaissement du latin et des humanités classiques n’est pas une bévue d’un pouvoir plein de bonne volonté auquel il suffirait d’ouvrir les yeux pour lui faire comprendre combien le savoir encyclopédique est utile à la société. C’est au contraire une politique cohérente, voulue et déterminée par les principes mêmes du parti républicain. Et Maurras décrit par le menu ce que sera, quarante ans plus tard, le plan Langevin-Wallon et le collège unique.

     

                De vives réactions de conservateurs surpris par cette attaque parviennent alors au journal. Eugène Monfort avait-il pensé que l’Action française allait soutenir son initiative ? Il persiste et signe : oui, nous sommes profondément démocrates ! Et partisans du latin en même temps. Nous n’y voyons aucune contradiction.

                Du latin pour le peuple, en quelque sorte ? Maurras alors enfonce le clou, et dans un second article paru le surlendemain 13 mai 1911, il s’attache à montrer à ces « démocrates latinistes » leur triste rôle d’idiots utiles, fossoyeurs malgré eux de ce qu’ils pensent défendre, attachés qu’ils sont à stigmatiser les effets tout en nourrissant les causes.

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                Juste deux grains de sel, avant de lire les deux articles...
               
                I : Profitons de l'occasion pour signaler -aujourd'hui, en 2010, le combat continue !...-  l'Association le latin dans les littératures européennes, ALLE, créée à l'initiative de professeurs de lettres des classes préparatoires littéraires des lycées Henri IV et Louis le grand, toutes disciplines confondues. Son secrétaire, Hubert Aupetit est titulaire d'une double agrégation, mathématiques et lettres. L'ALLE a reçu le soutien d'un grand nombre de figures éminentes. Voir la liste sur son site www.sitealle.com qui propose aussi 13 conférences-textes.
     
                Défendre la latinité, c'est aussi défendre le français, dont le latin est la langue ancienne, pour toujours : le temps n'éloigne pas une langue de son origine... Un latin qui , comme le rappelle aussi George Steiner, a joué et continue de jouer un si grand rôle, ''au carrefour des études comparées en Europe''. Sans oublier, évidemment, le grec....

     

                Signalons également que Jacqueline de Romilly parraine le festival latin-grec avec des académiciens scientifiques tels François Gros, Stanislas Dehaene, Jean-Claude Peker, Roger Balian, Jean Weissenbach et d'autres… Tous insistent pour dire combien l'apprentissage des langues anciennes contribuent à la formation d'un esprit scientifique......

     

                II : En lisant les lignes qui vont suivre, comment ne pas penser -le texte impose le rapprochement d'une façon lancinante...- à Alain Finkielkraut: par exemple, à son Défaite de la pensée, et aussi à ses réflexions récurrentes sur nous mêmes, aujourd'hui, qui sommes la première société dont les élites sont sans culture ?.....

     

                Pour ne pas céder à la tentation du découragement, qui pourrait saisir parfois, vue l'étendue du désatre aujourd'hui, cent ans après l'écriture de ces deux textes, nous avons résolu, comme vous allez le voir, de les illustrer sur le ton léger et amusé (on dirait décalé, dans le jargon, et en tout cas, au second degré...)

     

     

     

    La querelle des Humanités

    I

                Monsieur Eugène Montfort, directeur des Marges, ne se console pas de l'accueil que lui a fait M. le ministre de l'Instruction publique. Il apportait au Grand Maître de l'Université une pétition revêtue de nombreuses signatures de gens intéressés et de gens compétents en vue d'obtenir la révision des absurdes programmes de l'enseignement secondaire. Ces programmes de 1902, ayant tué l'étude du latin, n'ont pas amélioré celle du français, au contraire. Or, non seulement M. Steeg n'a pu cacher qu'il était hostile à la révision de ce précieux programme, mais il s'est montré tout à fait ignorant du péril que couraient l'esprit français et la langue française. De quoi M. Montfort s'étonne. Il aurait pu s'expliquer cette indifférence par les origines prussiennes de M. Steeg et par cette sensibilité protestante que les monuments de l'intelligence et de l'art français ne mettent jamais bien à l'aise.

                M. le ministre Steeg, qui peut être animé d'un vif sentiment d'amitié pour la France, imagine et aime la France autre qu'elle n'est et surtout qu'elle n'a été. Il est pour « la France idéale », celle qui n'est pas ou n'est pas encore et qui probablement ne sera jamais, faute de pouvoir exister. Si mes explications lui semblent ténébreuses, M. Eugène Montfort pourra les mieux comprendre en effectuant autour du protestantisme français un voyage de circumnavigation dans le goût de son intéressant périple méditerranéen : En flânant de Messine à Cadix. Je l'engage à flâner de Calvin à Monod ; il verra clair dans ce qui tient lieu de pensée aux Steeg, aux Buisson et aux Seignobos, il ne pourra plus être surpris de la folle ignorance ni de la méconnaissance haineuse que l'on témoigne à toutes les choses françaises dans les huguenotières de la rue de Grenelle et lieux circonvoisins.

                La réponse du ministre portait sur un deuxième point et là, M. Eugène Montfort a éprouvé une telle stupeur qu'il a ressenti le besoin d'ouvrir une enquête nouvelle sur les paroles du ministre, M. Steeg s'étant déclaré convaincu « qu'un mouvement comme celui qui se produit aujourd'hui pour reformer l'enseignement devait nécessairement avoir des raisons politiques ». J'imagine que tant d'horreur de la politique chez ce ministre en fonction, ce politicien de carrière, a dû estomaquer le directeur des Marges. Il aurait pu être tenté de répondre : — Politicien ? pas tant que vous ! Soit spontanément, soit par réflexion, il a adopté une position moins révolutionnaire. Il s'est contenté d'envoyer une circulaire nouvelle. Les écrivains et les artistes signataires de la première pétition ont reçu d'Eugène Montfort une demande ainsi conçue : « Ne jugez-vous pas qu'on puisse, sans arrière-pensée politique, désirer que soit rétabli l'enseignement du latin ? Le but n'est-il pas idéal et supérieur à toute politique ?  »

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                Question sage, trop sage. Et par trop de sagesse Eugène Montfort a péché. Il a laissé le sombre fanatique prendre barre sur lui, avoir raison sur lui. Car la question ainsi rédigée ne signifie plus grand'chose. D'abord, comme le lui dit fort bien Marcel Boulenger, « le but que vous poursuivez est idéal et supérieur à la politique, oui. Mais c'est comme si l'on disait que la victoire est supérieure au canon. Rien ne compte, rien n'arrive que par la politique ». Cela, c'est la politique-moyen. Mais il y a la politique-objet, la politique-idée. Elle est présente, elle est vivante dans les profondeurs de la question du latin. Il se peut qu'on veuille rétablir cet enseignement sans arrière-pensée politique, mais on peut nourrir cette volonté innocente sur l'excitation d'autres volontés qui ne le seraient pas : volontés politiques cachées, dissimulées, embusquées. Il se peut même, à la rigueur, que nulle volonté politique ne soit mêlée à nul degré, aux campagnes pour le latin ; en sera-t-il moins vrai que le retour intensif à cet enseignement puisse avoir des répercussions politiques, et, dès lors, la préoccupation du ministre ne devient-elle pas aussi naturelle que raisonnable et sensée ? Après tout, cet homme a le devoir de faire attention. Où vous ne voyez que la renaissance de Virgile et de Cicéron, il a raison d'examiner si l'on ne cache pas un portrait de Philippe VIII. Vous savez trop de latin, Montfort, pour ignorer la vieille formule qui s'impose au consul Steeg : « Que la République ne reçoive point de dommage ! »

                — Un dommage à la République ? À la Chose publique ! Mais n'y a-t-il mille avantages à ce que les esprits soient plus développés, mieux trempés et plus exercés ? les âmes mieux polies ? les caractères éprouvés sur les beaux modèles antiques ? N'est-il pas d'intérêt public que la langue commune soit mieux parlée ? Les bienfaits du latin sont faits pour rejaillir de degrés en degrés sur toute la nation…

                — N'en doutez pas ! Seulement vous parlez un sale langage, un langage de ci-devant. Des degrés ! Une hiérarchie, par Steeg ! Et le mot de nation n'est guère plus catholique. Petit malheureux, votre intérêt national est une chose et l'intérêt républicain, ou plutôt l'intérêt démocratique, en est une autre qui ne coïncide pas du tout avec la première et qui est même tout opposée.

                Pourquoi ? C'est ce qu'un sage correspondant de M. Eugène Montfort, Paul Acker , aurait dit parfaitement bien si, au lieu de parler de nos gouvernants, il avait parlé de notre gouvernement. « Leur démocratie », écrit-il (nous dirions : la démocratie) « ne souffre pas d'élite, elle ne souffre même pas une culture élevée, elle arrête tout par le bas. » Mais c'est qu'elle « doit  » l'arrêter ! Son dieu ou son démon, son principe le « veut » !

                Je prie le lecteur, je prie Montfort de considérer ce principe en lui-même et non dans les têtes diverses qui se flattent de le contenir ou que l'on félicite de l'avoir reflété. Je suis démocrate et je suis partisan du latin, propos à demi honorable pour celui qui le tient, ne prouve rien en faveur du latin devant la Démocratie ; ou cela prouve seulement qu'il y a dans les bons esprits des contradictions bienheureuses. Ils n'en vaudraient d'ailleurs que mieux s'ils ne se contredisaient de la sorte. Ajouter que Maximilien Robespierre ou l'abbé Sieyès, ou le comte de Mirabeau, ou Jean-Jacques Rousseau, furent copieusement abreuvés des sources grecques et romaines, cela fait-il que leur principe ne tende à dessécher les sources mêmes où ils avaient bu ? Je ne suis pas chargé de rendre ces gens-là conséquents. Mais j'ai l'office de montrer à quoi conduit directement, et par sa force intime, le principe qu'ils ont posé, prêché, vulgarisé.

                On se demande seulement comment il peut être nécessaire de le montrer, car cela est trop clair. Il est trop clair que M. Steeg a raison. L'enseignement secondaire fondé sur le latin et le grec, en raison de la culture générale qu'il détermine, est un principe de différenciation sociale. Il superpose aux différences qui naissent de l'inégalité des familles et de l'inégalité des biens une troisième inégalité, plus strictement personnelle que les deux autres, mais très sensiblement distincte du mérite personnel. Cette éducation d'un certain genre élève, ennoblit l'homme même et lui ajoute quelque chose qu'il ne peut se donner tout seul, qu'il tient de la société, que la société ne peut donner à tous et dont personne ne veut faire bon marché. De la meilleure foi du monde, le démocrate peut mépriser la fortune et faire fi de la naissance, mais il ne peut traiter de la même manière un certain dressage attentif, long, patient, méthodique de la sensibilité et de la raison, du goût et de l'intelligence. Cela suppose du loisir et des traditions, un capital, si modeste soit-il, et une famille ou, ce qui serait encore pire, l'Église ! Nulle supériorité n'est plus insultante pour le moraliste insurgé, car elle est morale et cependant liée à des causes d'ordre matériel et d'ordre charnel.

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                La monarchie et l'Église catholique discernaient parfaitement qu'il y avait là, néanmoins, un germe d'injustice et d'appauvrissement social. Car enfin pourquoi les fils des riches et des patriciens auraient-ils ce monopole de la culture ? Et pourquoi des aptitudes naturelles puissantes ne recevraient-elles pas l'éducation qui leur convient ? On répondait à ces deux questions en rendant l'enseignement secondaire extrêmement accessible à toutes les bonnes volontés. Les classes des Jésuites, par exemple, étaient ouvertes à tout venant, dans la nuit de l'ancien régime ; les bourses étaient innombrables, et les établissements où l'on pouvait apprendre beaucoup de latin et un peu de bon grec étaient extrêmement répandus. On en trouvait au fond des campagnes les plus lointaines, sans parler du curé que l'on trouvait partout. Bref, la carrière restait ouverte, les facilités d'accès permettaient aux talents d'atteindre à leur rang intellectuel et moral, en bénéficiant de mainte fondation due précisément à la fortune et à la naissance, l'or et le sang ayant la charge de rétablir l'équilibre autour d'eux, et, pour ainsi dire, contre eux. C'était leur service public.

                Et le service apportait donc un correctif utile, un tempérament nécessaire. Mais je vous prie, à quel principe ? À celui de l'inégalité. Le principe de l'égalité démocratique n'était pas satisfait et ne demandait pas à l'être, car il n'était pas posé.

                Mais un jour il le fut et la situation changea complètement. Elle changea d'abord dans la tête des politiques. Ces messieurs, ou pour parler avec justesse, ces citoyens virent très grand. Ils projetèrent de détruire les différences de classe, non en détruisant le latin, le signe des supériorités, mais en l'étendant à tout le monde. Beau plan qui finit par recevoir le nom d'instruction intégrale. Il ne fallut pas de longs jours pour sentir que, tel quel, on ne le réaliserait pas. Ce n'était pas possible, parce que ce n'était pas possible. Tout manquait, notamment le loisir et le capital. Dix ou quinze ans d'études désintéressées supposent l'indépendance matérielle. Elle n'existe pas pour quarante millions d'êtres, qu'on les nomme des citoyens ou des sujets. On renonça alors au système primitif, mais on entreprit d'en réaliser le simulacre dégradé. Au lieu d'appeler l'universalité du peuple à recevoir une éducation générale qui comprît nécessairement le latin, on prit le parti d'éliminer le latin de l'éducation générale. Oui, l'éducation sera la même pour tous ; il n'y aura d'inégalité que par rapport au passé, dont les témoins, en grande majorité, ne protesteront pas, puisqu'ils seront morts. L'homme sera moins élevé et moins instruit, mais il n'y aura plus des secondaires et des primaires, des latinistes et des « épiciers ». Tous seront épiciers, et tant pis si plus tard l'épicerie elle-même y perd quelque chose !

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                Des moralistes vertueux s'en indignent. Ils déclament contre cette égalité par en bas. Ont-ils le moyen de l'établir par en haut ? Non, n'est-ce pas. Alors, qu'ils se taisent. Ou, s'ils veulent élever une voix raisonnable, qu'ils s'attaquent au principe démocratique. C'est lui dont la logique exige la disparition des différences sociales, qu'elles soient de classe, de région ou de métier. Pas de démocratie sans égalité, pas d'égalité sans niveau. L'égalité de citoyens souverains comporte un type aussi uniforme que possible. Un hom

  • Chateaubriand contre Villepin (3/3, extrait : texte intégral de la seule première partie)

         De Buonaparte et des Bourbons.

         François-René de Chateaubriand.

         1 : De Buonaparte.

    30 mars 1814.

    Non, je ne croirai jamais que j'écris sur le tombeau de la France, je ne puis me persuader qu'après le jour de la vengeance nous ne touchions pas au jour de la miséricorde. L'antique patrimoine des rois très chrétiens ne peut être divisé : il ne périra point, ce royaume que Rome expirante enfanta au milieu de ses ruines, comme un dernier essai de sa grandeur. Ce ne sont point les hommes seuls qui ont conduit les événements dont nous sommes les témoins, la main de la Providence est visible dans tout ceci : Dieu lui-même marche à découvert à la tête des armées et s'assied au conseil des rois. Comment sans l'intervention divine expliquer et l'élévation prodigieuse et la chute, plus prodigieuse encore, de celui qui naguère foulait le monde à ses pieds ? Il n'y a pas quinze mois qu'il était à Moscou, et les Russes sont à Paris ; tout tremblait sous ses lois, depuis les colonnes d'Hercule jusqu'au Caucase ; et il est fugitif, errant, sans asile ; sa puissance s'est débordée comme le flux de la mer, et s'est retirée comme le reflux. Comment expliquer les fautes de cet insensé ? Nous ne parlons pas encore de ses crimes. Une révolution, préparée par la corruption des mœurs et par les égarements de l'esprit, éclate parmi nous. Au nom des lois on renverse la religion et la morale ; on renonce à l'expérience et aux coutumes de nos pères ; on brise les tombeaux des aïeux, base sacrée de tout gouvernement durable, pour fonder sur une raison incertaine une société sans passé et sans avenir. Errant dans nos propres folies, ayant perdu toute idée claire du juste et de l'injuste, du bien et du mal, nous parcourûmes les diverses formes des constitutions républicaines. Nous appelâmes la populace à délibérer au milieu des rues de Paris sur les grands objets que le peuple romain venait discuter au Forum après avoir déposé ses armes et s'être baigné dans les flots du Tibre. Alors sortirent de leurs repaires tous ces rois demi-nus, salis et abrutis par l'indigence, enlaidis et mutilés par leurs travaux, n'ayant pour toute vertu que l'insolence de la misère et l'orgueil des haillons. La patrie, tombée en de pareilles mains, fut bientôt couverte de plaies. Que nous resta-t-il de nos fureurs et de nos chimères ? Des crimes et des chaînes ! Mais du moins le but que l'on semblait se proposer alors était noble. La liberté ne doit point être accusée des forfaits que l'on commit sous son nom ; la vraie philosophie n'est point la mère des doctrines empoisonnées que répandent les faux sages. Eclairés par l'expérience, nous sentîmes enfin que le gouvernement monarchique était le seul qui pût convenir à notre patrie. Il eut été naturel de rappeler nos princes légitimes ; mais nous crûmes nos fautes trop grandes pour être pardonnées. Nous ne songeâmes pas que le cœur d'un fils de saint Louis est un trésor inépuisable de miséricorde. Les uns craignaient pour leur vie, les autres pour leurs richesses. Surtout, il en coûtait trop à l'orgueil humain d'avouer qu'il s'était trompé. Quoi ! tant de massacres, de bouleversements, de malheurs, pour revenir au point d'où l'on était parti ! Les passions encore émues, les prétentions de toutes les espèces, ne pouvaient renoncer à cette égalité chimérique, cause principale de nos maux. De grandes raisons nous poussaient ; de petites raisons nous retinrent : la félicité publique fut sacrifiée à l'intérêt personnel, et la justice à la vanité. Il fallut donc songer à établir un chef suprême qui fût l'enfant de la révolution, un chef en qui la loi, corrompue dans sa source, protégeât la corruption et fît alliance avec elle. Des magistrats, intègres, fermes et courageux, des capitaines renommés par leur probité autant que pour leurs talents, s'étaient formés au milieu de nos discordes ; mais on ne leur offrit point un pouvoir que leurs principes leur auraient défendu d'accepter. On désespéra de trouver parmi les Français un front qui osât porter la couronne de Louis XVI. Un étranger se présenta : il fut choisi. Buonaparte n'annonça pas ouvertement ses projets ; son caractère ne se développa que par degrés. Sous le titre modeste de consul, il accoutuma d'abord les esprits indépendants à ne pas s'effrayer du pouvoir qu'ils avaient donné. Il se concilia les vrais Français, en se proclamant le restaurateur de l'ordre, des lois et de la religion. Les plus sages y furent pris, les plus clairvoyants trompés. Les républicains regardaient Buonaparte comme leur ouvrage et comme le chef populaire d'un Etat libre. Les royalistes croyaient qu'il jouait le rôle de Monk, et s'empressaient de le servir. Tout le monde espérait en lui. Des victoires éclatantes, dues à la bravoure des Français, l'environnèrent de gloire. Alors il s'enivra de ses succès, et son penchant au mal commença à se déclarer. L'avenir doutera si cet homme a été plus coupable par le mal qu'il a fait que par le bien qu'il eût pu faire et qu'il n'a pas fait. Jamais usurpateur n'eut un rôle plus facile et plus brillant à remplir. Avec un peu de modération, il pouvait établir lui et sa race sur le premier trône de l'univers. Personne ne lui disputait ce trône : les générations nées depuis la révolution ne connaissaient point nos anciens maîtres, et n'avaient vu que des troubles et des malheurs. La France et l'Europe étaient lassées ; on ne soupirait qu'après le repos ; on l'eût acheté à tout prix. Mais Dieu ne voulut pas qu'un si dangereux exemple fût donné au monde, qu'un aventurier pût troubler l'ordre des successions royales, se faire l'héritier des héros, et profiter dans un seul jour de la dépouille du génie, de la gloire et du temps. Au défaut des droits de la naissance, un usurpateur ne peut légitimer ses prétentions au trône que par des vertus : dans ce cas, Buonaparte n'avait rien pour lui, hors des talents militaires, égalés, sinon même surpassés par ceux de plusieurs de nos généraux. Pour le perdre, il a suffi à la Providence de l'abandonner et de le livrer à sa propre folie. Un roi de France disait que " si la bonne foi était bannie du milieu des hommes, elle devrait se retrouver dans le cœur des rois " cette qualité d'une âme royale manqua surtout à Buonaparte. Les premières victimes connues de la perfidie du tyran furent deux chefs des royalistes de la Normandie MM. de Frotté et le baron de Commarque eurent la noble imprudence de se rendre à une conférence où on les attira sur la foi d'une promesse ; ils furent arrêtés et fusillés. Peu de temps après, Toussaint-Louverture fut enlevé par trahison en Amérique, et probablement étranglé dans le château où on l'enferma en Europe. Bientôt un meurtre plus fameux consterna le monde civilisé. On crut voir renaître ces temps de barbarie du moyen âge, ces scènes que l'on ne trouve plus que dans les romans, ces catastrophes que les guerres de l'Italie et la politique de Machiavel avaient rendues familières au delà des Alpes. L'étranger, qui n'était point encore roi, voulut avoir le corps sanglant d'un Français pour marchepied du trône de France. Et quel Français, grand Dieu ! Tout fut violé pour commettre ce crime : droit des gens, justice, religion, humanité. Le duc d'Enghien est arrêté en pleine paix sur un sol étranger. Lorsqu'il avait quitté la France, il était trop jeune pour la bien connaître : c'est du fond d'une chaise de poste, entre deux gendarmes, qu'il voit comme pour la première fois, la terre de sa patrie et qu'il traverse pour mourir les champs illustrés par ses aïeux. Il arrive au milieu de la nuit au donjon de Vincennes. A la lueur des flambeaux, sous les voûtes d'une prison, le petit-fils du grand Condé est déclaré coupable d'avoir comparu sur des champs de bataille : convaincu de ce crime héréditaire, il est aussitôt condamné. En vain il demande à parler à Buonaparte (ô simplicité aussi touchante qu'héroïque !), le brave jeune homme était un des plus grands admirateurs de son meurtrier : il ne pouvait croire qu'un capitaine voulut assassiner un soldat. Encore tout exténué de faim et de fatigue, on le fait descendre dans les ravins du château ; il y trouve une fosse nouvellement creusée. On le dépouille de son habit ; on lui attache sur la poitrine une lanterne pour l'apercevoir dans les ténèbres, et pour mieux diriger la balle au cœur. Il demande un confesseur ; il prie ses bourreaux de transmettre les dernières marques de son souvenir à ses amis : on l'insulte par des paroles grossières. On commande le feu ; le duc d'Enghien tombe : sans témoins, sans consolation, au milieu de sa patrie, à quelques lieues de Chantilly, à quelques pas de ces vieux arbres sous lesquels le saint roi Louis rendait la justice à ses sujets, dans la prison où M. le prince fut renfermé, le jeune, le beau, le brave, le dernier rejeton du vainqueur de Rocroy, meurt comme serait mort le grand Condé, et comme ne mourra pas son assassin. Son corps est enterré furtivement, et Bossuet ne renaîtra point pour parler sur ses cendres. Il ne reste à celui qui s'est abaissé au-dessous de l'espèce humaine par un crime qu'à affecter de se placer au-dessus de l'humanité par ses desseins, qu'à donner pour prétexte à un forfait des raisons inaccessibles au vulgaire, qu'à faire passer un abîme d'iniquités pour la profondeur du génie. Buonaparte eut recours à cette misérable assurance qui ne trompe personne, et qui ne vaut pas un simple repentir : ne pouvant cacher son crime, il le publia. Quand on entendit crier dans Paris l'arrêt de mort, il y eut un mouvement d'horreur que personne ne dissimula. On se demanda de quel droit un étranger venait de verser le plus beau comme le plus pur sang de la France. Croyait-il pouvoir remplacer par sa famille la famille qu'il venait d'éteindre ? Les militaires surtout frémirent : ce nom de Condé leur semblait appartenir en propre et représenter pour eux l'honneur de l'armée française. Nos grenadiers avaient plusieurs fois rencontré les trois générations de héros dans la mêlée, le prince de Condé, le duc de Bourbon et le duc d'Enghien ; ils avaient même blessé le duc de Bourbon, mais l'épée d'un Français ne pouvait épuiser ce noble sang : il n'appartenait qu'à un étranger d'en tarir la source. Chaque nation a ses vices. Ceux des Français ne sont pas la trahison, la noirceur et l'ingratitude. Le meurtre du duc d'Enghien, la torture et l'assassinat de Pichegru, la guerre d'Espagne et la captivité du pape, décèlent dans Buonaparte une nature étrangère à la France. Malgré le poids des chaînes dont nous étions accablés, sensibles aux malheurs autant qu'à la gloire, nous avons pleuré le duc d'Enghien, Pichegru, Georges et Moreau ; nous avons admiré Saragosse et environné d'hommages un pontife chargé de fers. Celui qui priva de ses Etats le prêtre vénérable dont la main l'avait marqué du sceau des rois, celui qui à Fontainebleau osa, dit-on, frapper le souverain pontife, traîner par ses cheveux blancs le père des fidèles, celui-là crut peut-être remporter une nouvelle victoire : il ne savait pas qu'il restait à l'héritier de Jésus-Christ ce sceptre de roseau et cette couronne d'épines qui triomphent tôt ou tard de la puissance du méchant. Le temps viendra, je l'espère, où les Français libres déclareront par un acte solennel qu'ils n'ont point pris de part à ces crimes de la tyrannie ; que le meurtre du duc d'Enghien, la captivité du pape et la guerre d'Espagne, sont des actes impies, sacrilèges, odieux, anti-français surtout, et dont la honte ne doit retomber que sur la tête de l'étranger. Buonaparte profita de l'épouvante que l'assassinat de Vincennes jeta parmi nous pour franchir le dernier pas et s'asseoir sur le trône. Alors commencèrent les grandes saturnales de la royauté : les crimes, l'oppression, l'esclavage marchèrent d'un pas égal avec la folie. Toute liberté expire, tout sentiment honorable, toute pensée généreuse, deviennent des conspirations contre l'Etat. Si on parle de vertu, on est suspect ; louer une belle action, c'est une injure faite au prince. Les mots changent d'acception : un peuple qui combat pour ses souverains légitimes est un peuple rebelle ; un traître est un sujet fidèle ; la France entière devient l'empire du mensonge : journaux, pamphlets, discours, prose et vers, tout déguise la vérité. S'il a fait de la pluie, on assure qu'il a fait du soleil ; si le tyran s'est promené au milieu du peuple muet, il s'est avancé, dit-on, au milieu des acclamations de la foule. Le but unique, c'est le prince : la morale consiste à se dévouer à ses caprices, le devoir à le louer. Il faut surtout se récrier d'admiration lorsqu'il a fait une faute ou commis un crime. Les gens de lettres sont forcés par des menaces à célébrer le despote. Ils composaient, ils capitulaient sur le degré de la louange : heureux quand, au prix de quelques lieux communs sur la gloire des armes, ils avaient acheté le droit de pousser quelques soupirs, de dénoncer quelques crimes, de rappeler quelques vérités proscrites ! Aucun livre ne pouvait paraître sans être marqué de l'éloge de Buonaparte, comme du timbre de l'esclavage ; dans les nouvelles éditions des anciens auteurs, la censure faisait retrancher tous les passages contre les conquérants, la servitude et la tyrannie, comme le Directoire avait eu dessein de faire corriger dans les mêmes auteurs tout ce qui parlait de la monarchie et des rois. Les almanachs étaient examinés avec soin ; et la conscription forma un article de foi dans le catéchisme. Dans les arts, même servitude : Buonaparte empoisonne les pestiférés de Jaffa ; on fait un tableau qui le représente touchant, par excès de courage et d'humanité, ces mêmes pestiférés. Ce n'était pas ainsi que saint Louis guérissait les malades qu'une confiance touchante et religieuse présentait à ses mains royales. Au reste, ne parlez point d'opinion publique : la maxime est que le souverain doit en disposer chaque matin. Il y avait à la police perfectionnée par Buonaparte un comité chargé de donner la direction aux esprits, et à la tête de ce comité un directeur de l'opinion publique. L'imposture et le silence étaient les deux grands moyens employés pour tenir le peuple dans l'erreur. Si vos enfants meurent sur le champ de bataille, croyez-vous qu'on fasse assez de cas de vous pour vous dire ce qu'ils sont devenus ? On vous taira les événements les plus importants à la patrie, à l'Europe, au monde entier. Les ennemis sont à Meaux : vous ne l'apprenez que par la fuite des gens de la campagne ; on vous enveloppe de ténèbres ; on se joue de vos inquiétudes ; on rit de vos douleurs ; on méprise ce que vous pouvez sentir et penser. Vous voulez élever la voix, un espion vous dénonce, un gendarme vous arrête, une commission militaire vous juge : on vous casse la tête, et on vous oublie. Ce n'était pas tout d'enchaîner les pères, il fallait encore disposer des enfants. On a vu des mères accourir des extrémités de l'empire et venir réclamer, en fondant en larmes, les fils que le gouvernement leur avait enlevés. Ces enfants étaient placés dans des écoles où, rassemblés au son du tambour, ils devenaient irréligieux, débauchés, contempteurs des vertus domestiques. Si de sages et dignes maîtres osaient rappeler la vieille expérience et les leçons de la morale, ils étaient aussitôt dénoncés comme des traîtres, des fanatiques, des ennemis de la philosophie et du progrès des lumières. L'autorité paternelle, respectée par les plus affreux tyrans de l'antiquité, était traitée par Buonaparte d'abus et de préjugés. Il voulait faire de nos fils des espèces de mamelouks sans Dieu, sans famille et sans patrie. Il semble que cet ennemi de tout s'attachât à détruire la France par ses fondements. Il a plus corrompu les hommes, plus fait de mal au genre humain dans le court espace de dix années, que tous les tyrans de Rome ensemble, depuis Néron jusqu'au dernier persécuteur des chrétiens. Les principes qui servaient de base à son administration passaient de son gouvernement dans les différentes classes de la société ; car un gouvernement pervers introduit le vice chez les peuples, comme un gouvernement sage fait fructifier la vertu. L'irréligion, le goût des jouissances et des dépenses au-dessus de la fortune, le mépris des liens moraux, l'esprit d'aventure, de violence et de domination, descendaient du trône dans les familles. Encore quelque temps d'un pareil règne, et la France n'eût plus été qu'une caverne de brigands. Les crimes de notre révolution républicaine étaient l'ouvrage des passions, qui laissent toujours des ressources : il y avait désordre et non pas destruction dans la société. La morale était blessée, mais elle n'était pas anéantie. La conscience avait ses remords ; une indifférence destructive ne confondait point l'innocent et le coupable : aussi les malheurs de ce temps auraient pu être promptement réparés. Mais comment guérir la plaie faite par un gouvernement qui posait en principe le despotisme ; qui, ne parlant que de morale et de religion, détruisait sans cesse la morale et la religion par ses institutions et ses mépris ; qui ne cherchait point à fonder l'ordre sur le devoir et sur la loi, mais sur la force et sur les espions de police ; qui prenait la stupeur de l'esclavage pour la paix d'une société bien organisée, fidèle aux coutumes de ses pères, et marchant en silence dans le sentier des antiques vertus ? Les révolutions les plus terribles sont préférables à un pareil état. Si les guerres civiles produisent les crimes publics, elles enfantent au moins les vertus privées, les talents et les grands hommes. C'est dans le despotisme que disparaissent les empires : en abusant de tous les moyens, en tuant les âmes encore plus que les corps, il amène tôt ou tard la dissolution et la conquête. Il n'y a point d'exemple d'une nation libre qui ait péri par une guerre entre les citoyens ; et toujours un Etat courbé sous ses propres orages s'est relevé plus florissant. On a vanté l'administration de Buonaparte : si l'administration consiste dans des chiffres ; si pour bien gouverner il suffit de savoir combien une province produit en blé, en vin, en huile, quel est le dernier écu qu'on peut lever, le dernier homme qu'on peut prendre, certes Buonaparte était un grand administrateur ; il est impossible de mieux organiser le mal, de mettre plus d'ordre dans le désordre. Mais si la meilleure administration est celle qui laisse un peuple en paix, qui nourrit en lui des sentiments de justice et de pitié, qui est avare du sang des hommes, qui respecte les droits des citoyens, les propriétés des familles, certes le gouvernement de Buonaparte était le pire des gouvernements. Et encore que de fautes et d'erreurs dans son propre système ! L'administration la plus dispendieuse engloutissait une partie des revenus de l'Etat. Des armées de douaniers et de receveurs dévoraient les impôts qu'ils étaient chargés de lever. Il n'y avait pas de si petit chef de bureau qui n'eût sous lui cinq ou six commis. Buonaparte semblait avoir déclaré la guerre au commerce. S'il naissait en France quelque branche d'industrie, il s'en emparait, et elle séchait entre ses mains. Les tabacs, les sels, les laines, les denrées coloniales, tout était pour lui l'objet d'un monopole ; il s'était fait l'unique marchand de son empire. Il avait, par des combinaisons absurdes, ou plutôt par une ignorance et un dégoût décidé de la marine, ach

  • Grigny : l'état d'urgence

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          Pour celles et ceux qui penseraient -peut être....- que nous parlons trop souvent des problèmes d'insécurité; ou que nous exagérons quand nous critiquons la politique que mène la république, quand nous disons qu'elle conduit à la banalisation et à l'institutionnalisation de la violence et de la délinquance ordinaire (la pire, donc...).....

            Voici -sans autres commentaires- l'article publié dans Le Monde du vendredi 25 avril, sous le titre "Grigny: l'état d'urgence".....

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              Au fond du local des boulistes, béret sur la tête et langue bien pendue, un sexagénaire joue aux dominos avec un ami. A côté, sur une autre table, les copains retraités font une partie de rami. Dehors, au milieu des immeubles, c'est la pétanque de 16 heures au soleil. Ambiance formica, verre de thé et franche rigolade : "On n'est pas heureux, là ?" La petite troupe d'anciens acquiesce généreusement. Bienvenue dans le quartier de la Grande-Borne à Grigny (Essonne).

              Bienvenue ? En fin d'après-midi, au même endroit, où à quelques dizaines de mètres, selon les soirs, l'ambiance peut changer radicalement. Des adolescents ou de jeunes adultes enfilent des cagoules ou se dissimulent sous leurs capuches. Puis ils remplissent des chariots Leclerc avec des pierres ou des cocktails Molotov. Et se lancent à l'assaut des policiers en patrouille. Le ministère de l'intérieur parle de véritables "guets-apens". Convaincus qu'un jour il y aura un mort, les policiers de terrain évoquent, eux, des scènes de "guérilla urbaine".

              De la quiétude du terrain de pétanque à l'émeute et à l'ultraviolence. Des vieux immigrés, qui s'excuseraient presque d'être là, aux jeunes cagoulés clamant leur haine de l'Etat. Du jour à la nuit. Quantitativement, le noyau dur des émeutiers représente une cinquantaine d'"individus". A peine plus, si l'on ose dire, que le noyau dur des boulistes. Une goutte d'eau sur les 11 000 habitants du quartier, coincés entre l'autoroute A6, une route nationale et une zone industrielle. Mais un impact social énorme. L'image d'une ville tout entière, l'image d'une jeunesse enragée.

              Dans le palmarès informel des cités difficiles, la Grande-Borne est au sommet. "Certainement un des quartiers les plus durs d'Ile-de-France", note Michel Lernoux, procureur adjoint de la République à Evry. Toujours précurseur dans les violences urbaines, bien plus sensible, en réalité, que Clichy-sous-Bois (Hauts-de-Seine) ou Villiers-le-Bel (Val-d'Oise), les stars mondiales des french riots. Les premiers coups de feu contre les policiers pendant des émeutes ? A Grigny, lors des violences de l'automne 2005, puis à nouveau en mars 2008. La mode des incendies de bus ? Grande-Borne, octobre 2006. Les "caillassages" de pompiers ? Les mortiers improvisés avec des feux d'artifice ? Les attaques de particuliers sur la nationale ? Les incendies d'école ? De voitures ? La Grande-Borne, encore et toujours. Le quartier, dont une petite partie se trouve sur le territoire de Viry-Châtillon, était pourtant né d'une utopie. Celle de l'architecte Emile Aillaud de créer une cité-dortoir qui devienne une "cité des enfants". Des immeubles de deux ou trois étages, construits entre 1967 et 1971 pour faire face à la poussée démographique. Des ruelles piétonnières qui serpentent entre les bâtiments colorés. Des places où les anciens prennent le soleil l'après-midi et où les enfants peuvent jouer. Et, au milieu de ce triangle, un immense espace vert - pelouse, pâquerettes, arbres - qui donne un faux air de campus universitaire, en moins bien entretenu.

              Mais cette utopie s'est transformée en cauchemar sécuritaire. Les livreurs ne viennent pas - ou alors, avant 10 heures du matin, avant que les "racailles" qui se couchent tard ne commencent à se réveiller. Des médecins refusent les visites. Une partie des commerçants ont baissé le rideau, fatigués de subir des braquages. Des enseignants ont fait grève après plusieurs agressions. Les employeurs mettent de côté les CV où figure l'adresse de la cité. La police, elle, envoie régulièrement un hélicoptère survoler le quartier. Des patrouilles incessantes en journée. Des fouilles de véhicules, des contrôles d'identité innombrables. Des camionnettes de CRS qui tournent au ralenti le soir et qui donnent le sentiment de se trouver dans un territoire occupé.

              Quelques dizaines d'adolescents face à l'Etat. Une poignée de jeunes face à 11 000 habitants. Le rapport de forces semble déséquilibré. Et pourtant, ce sont les premiers qui tiennent le territoire, qui imposent leur loi. Les anciens comme les mères de famille peuvent certes circuler en toute tranquillité. Y compris la nuit. Mais à condition de ne pas regarder ce qu'ils ne doivent pas voir - ou du moins de faire comme s'ils n'avaient rien vu. Les boulistes peuvent bien jouer, rigoler, plaisanter, vivre leur vie - et ils ne s'en privent pas. Mais à condition de ne pas déranger, de ne pas se mêler des affaires des autres.

              "On est bien ici, mais faut se tenir à sa place", répète le président de l'association des boulistes retraités, dans le quartier depuis 1971. Il refuse que son nom soit publié. On le comprend : derrière le terrain de pétanque, sur les places bétonnées, c'est une autre partie qui se joue, partiellement invisible. Selon la police, la zone est une "plaque tournante" du trafic de stupéfiants, essentiellement du cannabis amené par l'autoroute A6. Un secret de polichinelle dans la cité. "Il y a des centaines de kilos qui transitent par cette place", glisse un commerçant.

              La Grande-Borne, c'est finalement l'histoire d'une prise de pouvoir par une poignée de jeunes. Lorsque commence une émeute, une bagarre, lorsque se déroulent des opérations liées aux trafics, les adultes poursuivent leur chemin, comme si de rien n'était. Agnès Daviau, 77 ans, dont trente-six passés à la Grande-Borne, n'a pas peur de vivre au milieu du quartier. La militante, bénévole dans une association de soutien scolaire, réfléchit. Aucune agression subie. Pas de menaces particulières. Mais une obligation de discrétion qu'elle a intégrée dans sa vie quotidienne. "Faut pas prendre la mouche, ici. Un jeune peut te bousculer parce qu'il a un truc dans les oreilles", raconte cette ancienne "travailleuse familiale". "Quand on leur parle, on met pas de violence dans nos réponses. Quand ils font du bruit à 23 heures, devant nos fenêtres, on est tolérants."

              Sylvie Alipio, 35 ans, six enfants, prend le café chez son amie, Orkia Benaïssa, 39 ans, trois enfants, au milieu de la Grande-Borne. Salon oriental, immense écran plat, appartement briqué. Elles racontent la convivialité et le plaisir d'habiter un "village" qui font oublier la difficulté à boucler les fins de mois avec un RMI. Mais Sylvie Alipio décrit aussi la loi implicite de la cité. Rester discret, laisser faire plutôt que de prendre le risque d'intervenir.

              "Quand on habite ici, il ne faut jamais montrer qu'on a peur. Il faut toujours faire comme si c'était normal. Il y a une arme ? C'est normal. Il y a une bagarre ? C'est normal. Il y a une émeute ? C'est normal." Avec quelques parents d'élèves, les deux mères de famille tentent de faire évoluer cette culture du silence. Courageusement, elles ont organisé une marche contre la violence à l'automne 2007. Mais la reconquête est difficile : "Au fond, les adultes ont peur des enfants. Même des gamins de 10 ans", se désole Sylvie Alipio.

              Le problème, c'est qu'à la Grande-Borne, la jeunesse déborde. Avant d'être la ville des émeutes, Grigny est la ville des poussettes. Près de 800 naissances par an, soit un millième du total des naissances en France pour une commune de 25 000 habitants. Le taux de natalité de la ville se situe exactement entre la moyenne française (13 naissances pour 1 000 habitants) et la moyenne du continent africain (38 pour 1 000). Des gamins partout, dans les crèches, les écoles, le collège, au bas des immeubles, dans les halls, sur les places, au gymnase, sur les stades : 28 % de la population ont moins de 14 ans, 23 % ont entre 15 et 29 ans. "On doit être la ville la plus jeune de France", relève Omar Dawson, 29 ans, titulaire d'un DESS en commerce international, créateur de sa PME dans l'audiovisuel.

              Grigny sert de porte d'entrée aux migrants qui arrivent en provenance d'Afrique noire, notamment. Des zones rurales à la banlieue parisienne, la secousse est rude. Oreillette Bluetooth qui clignote, pantalon et veste en jean, De-Charles Claude Aka, fils de diplomate ivoirien, a longtemps été éducateur spécialisé dans les rues de Grigny. Il s'occupe aujourd'hui d'une association qui propose des cours d'alphabétisation. De ce poste, il observe, au quotidien, le choc culturel pour les parents et les enfants. "Quand les familles arrivent ici, elles sont sur une conception traditionnelle de l'éducation : elles pensent que tout le monde va être responsable des enfants. Que les voisins, les tantes, les cousins vont surveiller les gamins."

              Au milieu de fratries importantes, notamment lorsqu'il s'agit de familles polygames, ces jeunes finissent par s'élever tout seuls ou entre eux. Dans la rue, pour certains. Dans son F5, au 2e étage, Orkia Benaïssa montre du doigt le bâtiment en face de chez elle. "Un soir, il faisait nuit, il y avait des petits de 8 ans qui jouaient sur le toit. Ils pouvaient tomber et se tuer. Les parents, ils sont où ?" Pas démissionnaires, mais dépassés par un mode de vie et des codes sociaux qu'ils ne maîtrisent pas. Dépassés par l'obligation d'assurer la survie immédiate. Déboussolés aussi par leurs enfants qui apprennent le français plus rapidement et qui obtiennent un statut d'adulte en rapportant un peu d'argent grâce au "business". Le résultat est désastreux : une large partie des jeunes quitte le système éducatif sans le moindre diplôme. Donc sans possibilité d'insertion durable.

              A la rupture culturelle s'ajoutent la précarité et la pauvreté. Le chômage est deux fois plus élevé à la Grande-Borne que sur le reste du territoire. Les revenus sont inférieurs de moitié à la moyenne nationale. Une situation connue : depuis trente ans, les pouvoirs publics n'ont jamais cessé d'envoyer dans le quartier les familles les plus en difficulté. "On ramène à la Grande-Borne tous ceux dont on veut pas ailleurs. Et on s'étonne que ça n'aille pas bien !", note le président des boulistes, nostalgique du temps où il y avait encore des "Français" - comprenez des "Blancs" - en nombre. L'Etat a beau avoir la volonté d'investir des centaines de millions d'euros pour la rénovation urbaine, c'est le sentiment d'abandon qui prévaut. "La Grande-Borne, c'est comme le triangle des Bermudes. On vous y met et c'est comme si vous y disparaissiez de la société", résume Omar Dawson.

              Des jeunes, des pauvres, des "sans-avenir". Un cocktail explosif. Avec un acteur qui fait l'unanimité contre lui et fédère les générations : la police. Les jeunes sont les seuls à jeter des pierres contre les forces de l'ordre mais la colère est beaucoup plus vaste. Plus inquiétante aussi. La perte de confiance est totale et générale. "Le manque de respect de la police, c'est pour les habitants le signe du manque de respect de la société tout entière", décrypte Hervé Seurat, l'écrivain public du quartier qui vivote en rendant service à des adultes perdus dans les démarches administratives.

              Vieux, jeunes, hommes, femmes, les habitants ont tous des anecdotes vécues personnellement. Le patron des boulistes, du haut de ses 67 ans : "Quand un policier vous arrête à Paris, il vous salue poliment. Ici, il demande de mettre les mains sur le toit de la voiture." Alain Huillé, 56 ans, le président de l'amicale des locataires, habitant de la Grande Borne depuis trente-deux ans : "L'autre jour, on va acheter une pizza. On passe devant des CRS qui nous contrôlent. On revient par l'autre côté et d'autres CRS nous contrôlent." Orkia Benaïssa : "Il y avait une altercation en bas de chez moi. J'ai dit au policier : "Vous n'y arriverez pas sans discuter." Ils m'ont répondu : "On n'est pas là pour se faire écouter." Comme je parlais avec les mains, un autre policier est arrivé et a pointé son flash-ball sur moi."

              Pour les travaux pratiques, il suffit de suivre une patrouille dans le quartier. Contrôle d'identité, tutoiement de rigueur et dialogue musclé avec deux jeunes sur un parking en milieu d'après-midi. Le policier approche son visage à une dizaine de centimètres de son interlocuteur du même âge : "Tu restes pas là, tu rentres chez toi, maintenant." Un abus d'autorité mais les deux jeunes sans uniforme plient bagage devant le jeune en uniforme. Ils connaissent la règle : un mot de trop, et c'est l'"outrage" avec condamnation quasi automatique. On connaît malheureusement la suite. Pour les plus solides ou les plus raisonnables, un sentiment d'injustice. Pour les plus fragiles ou les plus violents, la tentation des représailles une fois la nuit tombée : la rage au ventre, une capuche sur la tête, une pierre dans la main... Et Grigny explosera à nouveau.

  • Annie Laurent : « la conscience d’une identité européenne s’est largement forgée dans la confrontation avec l’islam »

     

    Annie Laurent nous a fait l'amitié de nous signaler l'important entretien qu'elle vient d'accorder au site ami Le Rouge et le Noir. Les lecteurs de Lafautearousseau en prendront connaissance avec grand intérêt. Eventuellement pour le commenter et en débattre.  LFAR 

    Titulaire d’un doctorat d’Etat en sciences politiques, Annie Laurent s’est spécialisée dans les domaines touchant aux questions politiques du Proche-Orient, à l’Islam, aux chrétiens d’Orient et aux relations interreligieuses. Auteur de plusieurs livres sur ces sujets, elle fut aussi nommée experte par le pape Benoît XVI au Synode spécial des Évêques pour le Moyen-Orient qui s’est tenu à Rome en octobre 2010.

    Elle a bien voulu accorder un entretien fleuve au Rouge & le Noir à l’occasion de la sortie de son dernier ouvrage, L’Islam - pour tous ceux qui veulent en parler (mais ne le connaissent pas encore) publié aux éditions Artège en avril 2017. 288 pages.

     

    1435703774.jpgR&N : Quelles sont les principales questions que soulève la présence de l’islam en Europe ?

    Annie Laurent : « Naguère, nous rencontrions des musulmans, aujourd’hui nous rencontrons l’islam ». Cette phrase prononcée par le cardinal Bernard Panafieu, archevêque émérite de Marseille, dans une conférence qu’il donnait il y a une quinzaine d’années, illustre bien le changement de perspective qui s’est opéré, dans notre pays. Après la Seconde Guerre mondiale, les premiers immigrés musulmans étaient pour l’essentiel des hommes qui venaient en célibataires pour des raisons économiques et aspiraient à rentrer dans leurs pays d’origine une fois qu’ils auraient les moyens de faire vivre leurs familles chez eux. Ils n’avaient donc aucune revendication d’ordre religieux ou communautaire. Tout a changé à partir des années 1970 au cours desquelles divers gouvernements ont opté pour le regroupement familial (en France, ce fut en 1974, sous la présidence de Valéry Giscard d’Estaing), puis pour des assouplissements en matière de nationalité (droit du sol plutôt que droit du sang) et, enfin, la possibilité accordée aux étrangers de fonder des associations de la loi 1901. Des évolutions de cette nature se sont produites dans la plupart des pays d’Europe, certains optant même officiellement pour le multiculturalisme, comme en Grande-Bretagne.

    Ainsi, peu à peu, le Vieux Continent a eu affaire à une immigration de peuplement, donc définitive. Les musulmans en Europe veulent vivre selon les principes de leur religion et de leur culture. Il faut savoir que l’islam porte un projet qui est aussi social et politique puisqu’il mêle le spirituel et le temporel. Et cette conception repose sur une volonté attribuée à Dieu, à travers le Coran, et sur l’exemplarité de Mahomet, qualifié de « beau modèle » dans ce même Coran (33, 21).

    Or, les fondements de la culture islamique sont étrangers à ceux de la culture européenne, qui repose essentiellement sur le christianisme. Par exemple, l’islam ignore le concept de « personne », qui est d’origine biblique et s’enracine dans la réalité du Dieu trinitaire. La Genèse enseigne en effet que “Dieu créa l’homme à Son image, à l’image de Dieu, Il le créa, Il les créa homme et femme” (Gen 1, 27). Ainsi comprise, la personne humaine est dotée d’une dignité inaliénable et inviolable. Or, le récit coranique de la création occulte cette merveilleuse réalité. Allah reste étranger à l’homme, Il ne partage rien avec lui. Le mot « personne » est d’ailleurs absent du vocabulaire arabe. C’est pourquoi les chrétiens arabisés du Proche-Orient ont conservé l’usage du mot « ouqnoum », qui signifie « personne » en araméen, la langue que parlait le Christ. Dans l’islam, l’individu trouve sa dignité en tant que « soumis » à Dieu et membre de l’Oumma, la communauté des musulmans, éléments qui le privent d’une vraie liberté, notamment dans le domaine de la conscience et de la raison.

    Il s’agit là d’une divergence fondamentale entre le christianisme et l’islam concernant la vision de l’homme et de sa vocation.

    En s’établissant en Europe, les musulmans auraient pu bénéficier de la conception chrétienne en matière d’anthropologie. Mais l’islam s’installe chez nous alors que nous avons perdu de vue les racines de cette vision sur l’homme et de tout ce qui constitue les fondements de notre civilisation, notamment la liberté, dévoyée en libéralisme absolu, et l’égalité, dévoyée en égalitarisme ; alors aussi que nous sommes pervertis par l’athéisme et le laïcisme. Ayant délaissé notre héritage chrétien, nous sommes incapables de transmettre aux musulmans ce que nous avons de meilleur. En outre, ces derniers rejettent notre culture actuelle, alors qu’il y a encore un siècle elle leur paraissait attrayante et digne d’imitation.

    Pour répondre plus précisément à votre question, l’islam en Europe heurte de plein fouet une société décadente qui, non seulement la rend incapable de relever le défi existentiel représenté par cette réalité nouvelle, mais la prépare à se soumettre à un système où Dieu et la loi divine ont la première place. Le problème est donc avant tout spirituel et culturel.

    Quel statut l’islam donne-t-il au texte du Coran ? Comment l’islam accepte-t-il (ou non) la critique littéraire et historique de son texte et de sa formation ?

    Selon une définition dogmatique fixée au IXe siècle, au temps du califat abbasside régnant à Bagdad, le Coran est un Livre « incréé ». Il a Dieu seul pour auteur. Il fait même partie de l’être divin puisque, dans sa forme matérielle, il est la copie conforme d’un original, la « Mère du Livre », conservé auprès d’Allah de toute éternité (Coran 13, 39), donc préexistant à l’histoire. Contrairement à la Bible, qui se présente comme un recueil d’œuvres écrites par des hommes sous la motion de l’Esprit Saint (doctrine de l’inspiration), la créature humaine n’a joué aucun rôle dans l’élaboration et la rédaction du Coran. Pour accréditer cette thèse, les musulmans ont toujours dit que Mahomet était illettré et ils l’ont présenté comme le transmetteur passif.

    A cause de son statut divin, le Coran est intouchable. Il ne peut être soumis à une exégèse faisant appel aux sciences humaines, selon les critères historico-critiques appliqués à la Bible dans l’Église catholique. Il n’est pas interdit de s’interroger sur « les circonstances historiques de la Révélation » ; cette science est reconnue par les écoles qui ne s’en tiennent pas à une lecture littéraliste, mais elle ne peut contredire le caractère éternel du Coran dont le contenu est anhistorique. De même, les savants musulmans admettent le rôle du troisième calife, Othman, dans la composition du Coran tel qu’il existe encore. Mais ils ne s’interrogent pas, par exemple, sur les raisons qui ont motivé l’ordonnancement du texte. Les sourates et les versets ne sont pas classés par ordre chronologique de leur « descente » (mot servant à qualifier la transmission du Coran à Mahomet par l’ange Gabriel) ni par ordre thématique. L’ordre retenu est la longueur décroissante des sourates, la première mise à part, qui est très brève. Si bien que la deuxième est la plus longue tandis que la dernière, la 114è, est la plus courte. S’il en fut ainsi c’est que Dieu l’a voulu. La critique littéraire est également impossible. Le Coran se présente comme ayant été dicté en langue arabe (41, 2-3 et 43, 3). Or, des recherches effectuées par des philologues, malheureusement non musulmans, montrent que ce texte contient des emprunts à d’autres langues sémitiques comme l’araméen et le syriaque.

    Il faut espérer que des musulmans oseront un jour se lancer dans des recherches scientifiques sur tous les aspects relatifs aux origines du Coran et de leur religion. On observe cependant de nos jours une prise de conscience chez certains de leurs intellectuels du fait qu’il y a un mal interne à l’islam et que la crise actuelle, d’une gravité sans précédent, ne trouvera pas de solution tant qu’une autorité reconnue n’aura pas le courage de soutenir d’authentiques travaux scientifiques sur le Coran.

    « Ce n’est pas ça l’islam », entendons-nous régulièrement après un attentat islamique. Les mouvements djihadistes se situent-ils en marge de l’islam ?

    Il est de bon ton d’affirmer que l’islamisme, au sein duquel le djihadisme constitue la forme violente, est étranger à l’islam, qu’il en constitue une perversion ou un accident de l’histoire. Cela est faux. D’ailleurs, jusqu’au XXe siècle, en Occident, la religion des musulmans était appelée « islamisme ». Désormais, on veut distinguer l’islam compris comme religion de l’islamisme compris comme idéologie. Mais les deux dimensions sont étroitement mêlées.

    Le Coran comporte des dizaines de versets dans lesquels Allah demande aux musulmans de combattre, de tuer, d’humilier, etc. Je n’en citerai ici que deux : « Combattez : ceux qui ne croient pas en Dieu et au Jour dernier ; ceux qui ne déclarent pas illicite ce que Dieu et son Prophète ont déclaré illicite ; ceux qui, parmi les gens du Livre [juifs et chrétiens selon le Coran], ne pratiquent pas la vraie religion. Combattez-les jusqu’à ce qu’ils paient directement le tribut après s’être humiliés » (9, 29). Et celui-ci : « Que les incrédules n’espèrent pas l’emporter sur vous ! Ils sont incapables de vous affaiblir. Préparez, pour lutter contre eux, tout ce que vous trouverez de forces et de cavalerie, afin d’effrayer l’ennemi de Dieu et le vôtre » (8, 59-60).

    Les djihadistes se conforment donc à ce qu’ils croient être des ordres divins. Et ils anathématisent ceux qui, parmi leurs coreligionnaires, refusent de pratiquer la violence. Pour eux, ce sont de mauvais musulmans qui méritent donc également la mort.

    On ne doit certes pas enfermer tous les musulmans, pris indistinctement, dans un cadre idéologique légitimant la violence, mais prétendre que les djihadistes trahissent l’islam est une erreur. Le problème est qu’aucune autorité ne peut vraiment les condamner, sauf à considérer le Coran comme condamnable.

    Le concept de taqiya existe-t-il réellement dans l’islam ou est-ce une invention récente ?

    Précisons d’abord le sens de ce mot arabe : taqiya signifie « dissimulation ». Or, là aussi, contrairement à une idée reçue, il ne s’agit pas d’une perversion de l’islam. Certes, le Coran interdit formellement de renoncer à leur religion, sous peine de châtiments divins et de malédictions éternelles (cf. 2, 217 ; 3, 87 ; 4, 115 et 16, 106). Les musulmans ne peuvent donc en principe dissimuler leur identité et travestir leurs croyances. Cependant, le Coran évoque deux types de situations où il est possible, voire recommandé, de pratiquer la taqiya. D’une part, en cas de contrainte extérieure, le musulman peut renier Dieu extérieurement tout en conservant sa croyance dans le cœur (16, 106). D’autre part, en cas de rapports de forces défavorables, lorsque le fait de s’opposer aux infidèles présente du danger, il est possible de prendre ceux-ci pour alliés (3, 28-29) alors qu’en principe cela n’est pas autorisé (3, 118 ; 5, 51 ; 9, 23 ; 60, 13).

    On est loin ici de la doctrine chrétienne, pour laquelle aucun prétexte ne doit servir à dissimuler sa foi en Jésus-Christ ou son identité baptismale, ce qui peut évidemment conduire au martyre.

    Cela dit, historiquement, la taqiya a d’abord été pratiquée dans les communautés minoritaires ou dissidentes (chiites, druzes, alaouites, alévis). Mais aujourd’hui, elle est admise chez les sunnites, surtout lorsque ceux-ci sont en situation de minorités comme c’est le cas en Europe.

    Les catholiques sont invités à imiter le Christ et les saints. Quel modèle Mahomet est-il pour le musulman ? L’islam donne-t-il à ses fidèles d’autres exemples à suivre ?

    Pour les musulmans, Mahomet est le « sceau des prophètes ». « Pas de prophète après moi », aurait-il dit, selon la tradition islamique. Il est donc le plus grand, le préféré d’Allah qui lui a accordé une bénédiction spéciale, et son comportement est édifiant. Toute critique à son égard est dès lors considérée comme blasphématoire. On l’a vu avec les réactions violentes qui ont suivi les caricatures de Mahomet.

    Du fait de cette excellence, cela ordonne de lui obéir car cela revient à obéir à Dieu (3, 132 ; 4, 80). Tout ce que Mahomet a dit, a fait ou n’a pas fait, en telle ou telle circonstance est donc normatif, digne d’imitation. Les récits rapportant tous ses actes, ses recommandations et ses ordres ont été recueillis par des témoins, puis rassemblés dans des volumes qui constituent la Sunna, la tradition prophétique. Celle-ci a tellement d’importance qu’elle est la deuxième source du droit musulman. Elle complète ce qui manque au Coran dans l’ordre législatif. En Occident, on a trop tendance à minimiser l’importance de la Sunna. Ce qui me frappe, c’est que les musulmans savent que Mahomet a tué, a menti et a rusé, a pillé des caravanes, a spolié les juifs de Médine de leurs biens, a été polygame, autrement dit n’a pas eu une vie morale exemplaire. Mais ils ne s’interrogent pas sur son comportement et ne se lancent pas dans une comparaison avec celui de Jésus tel qu’il est rapporté dans les Évangile. Au contraire, le fait que Mahomet ait eu une vie comme celle de nombreux hommes sert l’apologétique islamique : elle permet de montrer que les musulmans ne considèrent pas Mahomet comme un dieu, sous-entendu comme le font les chrétiens avec Jésus.

    Pour l’islam, Jésus n’est qu’un prophète, chargé d’une double mission : apporter l’Évangile pour rectifier les erreurs que les juifs auraient introduites dans la Torah de Moïse, annoncer la venue de Mahomet comme « sceau des prophètes ». C’est en cela qu’il est digne de respect. Mais il n’est ni le Fils de Dieu, ni Rédempteur. Ignorant la réalité du péché originel, l’islam ne conçoit pas la nécessité d’un salut.

    Un personnage occupe une place privilégiée dans le Coran. Il s’agit de Marie, à laquelle la sourate 19, qui porte d’ailleurs son nom, consacre de beaux passages. Certes, son identité est floue car elle est présentée à la fois comme la mère de Jésus et comme la sœur de Moïse et d’Aaron, lesquels avaient bien une sœur portant le nom de Mariam. Mais des générations séparent les deux Marie. Selon le Coran, Marie est honorée pour avoir donné naissance au prophète Jésus, conçu miraculeusement. Sa virginité perpétuelle est également reconnue. Mais, après la naissance de son fils, elle disparaît, on ne parle plus d’elle. Cependant, elle est décrite comme une parfaite musulmane, soumise à Dieu. C’est en cela que les musulmans sont i

  • Chevènement - Sorel : mener un combat résolu pour continuer la France

     

    Par Alexandre Devecchio 

    C'est un entretien remarquablement intéressant que Malika Sorel et Jean-Pierre Chevènement ont donné au Figaro [16.12]. Pour le nouveau patron de la Fondation de l'islam de France, l'islam politique est d'abord le révélateur du malaise français. Pour l'ancienne ingénieur de l'École polytechnique d'Alger, il s'agit de la menace prioritaire à laquelle la République est confrontée. Chez l'un comme chez l'autre, il y a une authentique visée patriotique, un vrai souci politique, au sens de Boutang, de très justes analyses et sans-doute aussi quelques illusions. Chevènement est de nouveau engagé dans une action d'origine gouvernementale. Malika Sorel est libre de ses jugements. Nous ne commenterons pas davantage. Simplement, nous avons jugé utile de proposer aux lecteurs de Lafautearousseau, familiers des sujets traités, de lire cet entretien. Il émane en tout cas de deux personnalités évidemment patriotes.   LFAR

     

    LE FIGARO. - Jean-Pierre Chevènement, votre dernier livre s'intitule Un défi de civilisation. N'y a-t-il pas davantage lieu de croire à un choc des civilisations ?

    Jean-Pierre CHEVÈNEMENT. -L'idée d'un choc des civilisations a été développée par l'essayiste américain Samuel Huntington en 1994. Celui-ci ne souhaite nullement ce choc mais il en perçoit le risque dans l'univers de la globalisation marqué par l'effondrement des grandes idéologies. Sa définition des différents « blocs de civilisation » (occidental, orthodoxe, confucéen, etc.) est contestable. Même la « civilisation musulmane » est loin d'être homogène : il y a une mosaïque de l'islam traversée par plusieurs courants et différentes écoles. L'échec de la Nahda (la Réforme) n'est pas définitif. L'humanité reste composée de nations et la nation, à mes yeux, reste encore un concept plus opératoire que celui de « bloc de civilisation ».

    Cela dit, l'hypothèse de Huntington, qui apparaissait lointaine en 1994, s'est considérablement rapprochée depuis. L'idée de choc des civilisations a été portée aux États-Unis par les intellectuels néoconservateurs qui, dès la fin des années 1990, ont théorisé l'idée d'un « nouveau siècle américain » fondée sur l'exportation de la démocratie par la force des armes. Ce courant serait resté complètement marginal sans les attentats du 11 Septembre et la réponse totalement inappropriée qu'y a apportée George Bush Jr. Celui-ci a envahi l'Irak, a détruit son État et créé les conditions de l'émergence de Daech. De l'autre côté, le fondamentalisme religieux s'est affirmé. 1979 est l'année charnière. En Iran avec Khomeyni, en Arabie saoudite avec l'occupation des Lieux saints par des extrémistes wahhabites, et en Afghanistan avec l'invasion soviétique et l'organisation d'un premier djihad armant les moudjahidins afghans. De là naîtra après la guerre du Golfe la nébuleuse Al-Qaïda. De part et d'autre, des groupes très minoritaires, au départ, ont ainsi entraîné le Moyen-Orient dans un chaos sans fin. Pour moi, le défi de civilisation n'oppose pas le monde musulman et le monde occidental. Il interpelle et traverse aussi bien l'Occident que l'Orient. Il faut rappeler que les Irakiens, les Afghans ou les Algériens ont payé le plus lourd tribut au terrorisme djihadiste. Il faut offrir un horizon de progrès à des peuples qui ont perdu leurs repères, qui ont l'impression d'aller dans le mur. C'est vrai aussi du peuple français. Il faut ouvrir des voies de réussite et d'élévation économique, sociale, morale, spirituelle. Tel est le défi de notre époque.

    Malika SOREL. - Je partage l'idée que la guerre en Irak a été une faute historique. Cependant, ce conflit à l'intérieur du monde arabo-musulman, mais aussi entre le monde arabo-musulman et l'Europe du fait des flux migratoires, a des racines beaucoup plus lointaines. Les soubresauts avaient commencé bien avant. Ils sont cycliques et s'inscrivent dans le temps long. Dès les années 1920, les Frères musulmans sont revenus en force en Égypte en faisant appel à une dimension de l'inconscient collectif dans les sociétés arabo-musulmanes : l'aspiration au retour d'un grand califat qui est associé à la nostalgie d'une époque glorieuse. Il ne faut pas nier l'influence souterraine des islamistes. Influence qui a débouché notamment sur la guerre civile en Algérie dans les années 1990.

    L'idée de choc des civilisations et celle de défi de civilisation ne sont pas incompatibles. Dès 2003, Hubert Védrine lançait un appel : « Plutôt que de nous offusquer de cette théorie du choc des civilisations, trouvons les moyens d'en sortir. Il ajoutait, et ce sont ses mots, que « ce choc a commencé il y a longtemps, qu'il se poursuit sous nos yeux et qu'il peut s'aggraver. (…) Que les racines du choc Islam-Occident plongent profondément dans l’histoire ». D'où un certain nombre de recommandations qu'il formulait pour que l'on puisse en sortir. Le livre de Jean-Pierre Chevènement évoque un défi de civilisation et c'est vrai que nous nous retrouvons, par la faute de nos élites de commandement, confrontés à un défi majeur, celui de la continuité historique de la France et de son peuple. Les principes républicains, qui sont la synthèse des us, coutumes et traditions hérités de l'histoire politique et culturelle des Français, ont été pris comme variables d'ajustement. Chacun des principes qui composent la devise républicaine a été retourné contre la France elle-même.

    L'islam politique est-il la cause première de la décomposition française ou un symptôme parmi d'autres ?

    M.S.- De nombreux éléments ont favorisé cette décomposition française. C'est donc une erreur d'analyse, ou presque, que de tout mettre sur le dos de la globalisation qui a simplement joué le rôle d'accélérateur, vu que cette globalisation a abattu les frontières et érigé en dogme la libre circulation des biens, des flux financiers et des personnes. À présent que le résultat s'étale sous nos yeux, on comprend bien que cela a servi les intérêts des tenants d'un libéralisme devenu fou. Cette libre circulation a également servi les intérêts de tous ceux qui souhaitaient fondre les peuples européens afin qu'ils n'en forment plus qu'un, et que puisse enfin s'établir à sa tête un gouvernement unique. Les nations constituaient l'obstacle majeur à ce projet. C'est pourquoi elles ont été méthodiquement dessaisies de la plupart des leviers de leur souveraineté, comme le développe très bien Jean-Pierre Chevènement dans son ouvrage. L'immigration de cultures extra-européennes a constitué, malgré elle, un merveilleux outil aux mains des apprentis sorciers européens.

    J.-P. C. - La crise des élites françaises a ses racines lointaines dans la Première Guerre mondiale dont la France est sortie affaiblie par la mort d'un million cinq cent mille jeunes gens, avec trois millions d'invalides et de blessés, des centaines de milliers de veuves et d'orphelins. Dans un essai intitulé Mesure de la France paru en 1922, Drieu la Rochelle écrit : « Qu’elle est devenue petite ma patrie ! Elle croit avoir gagné la guerre, mais en réalité cette guerre n'est pas celle qui nous opposait aux Allemands dans les tranchés de L'Argonne, c'était d'abord la guerre pour l'hégémonie mondiale entre l'Empire britannique et le Second Reich allemand. ». Nos élites dans l'entre-deux-guerres ne voulaient plus de nouvelle guerre avec l'Allemagne. La droite et la gauche étaient également gangrenées par le pacifisme. La France a perdu confiance en elle-même. Là est l'origine du grand effondrement de 1940. Ainsi comme le décrit Marc Bloch, dans L'Étrange Défaite, nos généraux parlaient-ils déjà de capitulation quinze jours à peine après la percée de Sedan. Nous vivons aujourd'hui une réplique de cette étrange défaite. Les raisons de la crise de confiance de la France en elle-même sont à chercher beaucoup plus loin dans le passé que ne le fait Malika Sorel. Elles ne remontent pas qu'au regroupement familial dans les années 1970 coïncidant avec la montée du chômage. La France en 1974 ne se voit déjà plus que comme «1 % de la population mondiale ».

    Dans le débat qui oppose les tenants de l'intégration et ceux de l'assimilation, où vous situez-vous ?

    J.-P. C. - Le mot d'assimilation figure dans le Code civil. Je préfère cependant le mot d'intégration à la communauté nationale. Celle-ci suppose la maîtrise des codes sociaux qui permet l'exercice des libertés dans la République. Bien sûr, les étrangers qui acquièrent la nationalité française ont le droit de conserver leur quant-à-soi. Ils peuvent parler leur langue à la maison, bien que cela ne soit pas forcément souhaitable. J'entends encore Robert Badinter m'expliquer que son père interdisait le russe dans la famille parce que ce n'était pas la meilleure manière de s'intégrer à la France. La France a toujours accepté des apports extérieurs, mais à condition qu'ils préservent sa personnalité qui, elle, doit demeurer. Il y a incontestablement des formes de communautarisme agressives. La République ne peut pas accepter que des petites filles soient voilées à l'âge de 6 ou 7 ans. Nos élites ont négligé les conséquences qu'allait avoir un chômage de masse dans des quartiers où ont été concentrées des populations d'origine étrangère. La politique de rénovation urbaine telle qu'elle a été impulsée par Jean-Louis Borloo et Nicolas Sarkozy a certes modifié le visage de beaucoup de quartiers. Mais il ne suffit pas d'agir sur le béton. Il faut agir aussi sur ce qu'il y a dans les têtes. C'est la mission de l'École. La concentration des élèves dans certaines zones et le fait qu'ils ne maîtrisent pas le français dès les petites classes rendent très difficile leur progression ultérieure. Là sont les principales racines de l'échec scolaire, dès l'école primaire.

    M.S. - La politique de la ville a surtout consisté en un ravalement de façade. Or, le défi de l'intégration est d'ordre culturel et non économique. D'après les chiffres de l'Uclat, 67 % des jeunes candidats au djihad sont issus des classes moyennes, 17 % sont même issus de catégories socioprofessionnelles supérieures. Comment continuer à penser que c'est une question de moyens et qu'il faut donner davantage ! Ce discours est un piège pour les enfants de l'immigration. Il nourrit leur ressentiment contre la société d'accueil. La langue pratiquée au sein des familles a un rôle dans l'acceptation ou le refus d'intégration. Lorsque j'ai vécu mes dix premières années en France, j'ai vécu à l'heure française. Mes parents s'astreignaient à parler français, malgré leurs difficultés, y compris à la maison. J'ai appris que j'étais d'origine arabe lorsque je suis allée pour la première fois en Algérie. En France, mes parents m'ont laissée me nourrir au lait de la République. Ce n'est plus le cas aujourd'hui à cause de l'explosion des flux migratoires et de l'évolution vers le multiculturalisme ainsi que vers une forme d'indifférence et de relativisme. L'assimilation ne se décrète pas. Il faut respecter la décision des personnes et aussi en tenir compte. C'est d'ailleurs ce que le Code civil prévoit, puisque « nul ne peut être naturalisé s'il ne justifie de son assimilation à la communauté française ». C'est la condition pour pouvoir maintenir un corps politique. Sans cela, la nation est appelée à s'effondrer.

    Quelle est la ligne de crête pour éviter l'embrasement du pays ?

    J.-P. C. - Ce que nous avons devant nous est un combat résolu pour continuer la France. C'est difficile, mais j'ai des raisons de ne pas être trop pessimiste. Même après soixante-dix ans de paix, alors que le patriotisme semblait s'être effacé, il connaît aujourd'hui un regain manifeste. On sent que la société française tient à ses valeurs et à leur perpétuation. La France va au-devant de secousses depuis longtemps prévisibles, mais elle peut en tirer le meilleur et pas seulement le pire. Le civisme se manifestera à tous les niveaux, y compris et peut-être d'abord chez les Français de culture musulmane. Si nous prenons la population d'origine maghrébine, une moitié se trouve assez bien intégrée, l'autre très insuffisamment. Il faut bien sûr être vigilant, mais ne nourrissons pas un pessimisme systématique. Il y a sept cents djihadistes français en Syrie, et il est légitime de redouter leur retour. Mais il faut mettre en regard de ce chiffre les dix mille soldats de tradition musulmane qui servent aujourd'hui dans l'armée française. Partout je vois émerger chez nos concitoyens de tradition musulmane des élites républicaines. C'est cela qu'il faut encourager. Il y a quatre à cinq millions de musulmans en France, pour la plupart de nationalité française. Il faut en faire des citoyens ! Je crois à la puissance de la société d'accueil dès lors qu'elle s'aime assez pour devenir attractive pour les autres. Quels que soient les réticences et les rejets, elle finira par s'exercer. Pour cela, il faut revenir aux sources de la République. Malika Sorel, elle-même, apporte un vivant démenti aux prophètes d'un malheur inéluctable.

    M.S. - J'estime pour ma part que la situation est extrêmement grave et qu'on ne pourra pas s'en sortir en se contentant de dire que la majorité s'intègre, ni en s'en tenant à des considérations d'optimisme ou de pessimisme. Dès 1981, Georges Marchais souhaitait « stopper l'immigration officielle et clandestine ». Il faut à tout le moins considérablement réduire les entrées. C'est la première des mesures à adopter. De même, pour ne pas perdre définitivement la main sur la formation des futurs citoyens, il nous faut empêcher la libéralisation de nos écoles. Il nous faut aussi créer les conditions du renouvellement des élites, car notre système politique est bloqué et cela fait peser de lourdes menaces sur notre démocratie. Il est fondamental de supprimer la Commission européenne pour la remplacer par un gouvernement des chefs d'État et de gouvernement, car il nous faut, peu à peu, réactiver le principe de subsidiarité qui nous permettra de faire revenir en France des leviers de notre souveraineté perdue. Mais rien de tout cela ne sera possible si nous ne trouvons pas le moyen d'imposer que soit respectée «la libre communication des pensées et des opinions » qui est « un des droits les plus précieux de l’homme », comme le stipule la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen. C'est un enjeu décisif, car c'est lui qui permettra enfin aux Français de ne plus avoir peur d'exprimer ce qu'ils sont. 

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    Alexandre Devecchio

  • Passionnant entretien de Péroncel-Hugoz dans le mensuel islamo-gauchiste marocain Din wa Dunia (Religion & Monde)

     

    « L'Etat est par définition un monstre froid, seule peut l'humaniser une famille royale digne. »

    JEAN-PIERRE PÉRONCEL-HUGOZ Journaliste, écrivain et essayiste de renom, membre de la Société des rédacteurs du journal Le Monde et ancien correspondant du célèbre quotidien français en Egypte, en Algérie et au Liban, Jean-Pierre Péroncel-Hugoz, 77 ans, partage aujourd'hui sa vie entre la France et le Maroc. Ce grand connaisseur du monde arabo-musulman et du Maroc est l'auteur de nombreux essais sur les pays du Sud et a édité quelques 70 ouvrages d'auteurs tiers autour notamment de l'histoire de France et des anciennes colonies européennes. Rencontre avec une encyclopédie vivante.

    PROPOS RECUEILLIS PAR JAOUAD MDIDECHDÎN WA DUNIA N°21-22 • AOÛT-SEPTEMBRE 2017

    Untitled_Page_2 - Copie.jpgDepuis Le Radeau de Mahomet, paru en 1983, et jusqu'à présent, dans vos écrits, on ressent une certaine peur de l'Islam, comme d'ailleurs chez d'autres intellectuels occidentaux. Cette religion est-elle si dangereuse que cela ?

    D'abord, permettez-moi de préciser qu'à mon sens, l'Islam n'est pas seulement une religion mais aussi une idéologie, un droit, une vision du monde, une façon de vivre, en somme un tout difficile à scinder. Par ailleurs si, depuis un quart de siècle, la grande majorité des attentats meurtriers commis à travers la planète étaient le fait, par exemple, de bouddhistes ou d'esquimaux, même si tous les membres de ces catégories n'étaient pas des terroristes, les gens auraient tous plus ou moins peur des Esquimaux ou des Bouddhistes... La peur est une réaction spontanée qui ne se commande pas. On peut seulement la nier et c'est ce que font bon nombre d'élites occidentales au nom du « pas d'Islamalgame ! », mais la méfiance demeure au fond d'eux-mêmes contre l'ensemble de l'Oumma. Certains Européens, qui n'osent parler que de « terrorisme », sans le définir, doivent avoir honte de leur pusillanimité quand ils entendent l'écrivain algérien Boualem Sansal fulminer contre les « djihadistes » ou le roi du Maroc, dans son discours du 20 août 2016, dénier la qualité même de musulmans aux auteurs de crimes anti-chrétiens, en France ou ailleurs.

    En dehors des tueries, une autre raison nourrit de longue date craintes et doutes à l'égard de l'Islam : c'est le sort discriminatoire que celui-ci réserve en général aux non-mahométans, même reconnus comme « Gens du Livre », à l'instar des chrétiens d'Orient. Pour les chrétiens du Maroc, cette dhimmitude, car c'est de ce statut inférieur qu'il s'agit, n'existe pas dans la mesure où ces chrétiens ne sont pas autochtones, ont le statut d'étrangers et seraient sans doute défendus, si besoin était, par leurs pays d'origine. Néanmoins, tout chrétien, croyant ou pas, qui veut, en terre islamique, Maroc inclus, épouser une musulmane, est obligé de se convertir d'abord à l'Islam ! Imaginez qu'une telle contrainte existe dans un Etat chrétien, et aussitôt on défilerait un peu partout contre cet Etat qu'on accuserait d'être « anti-musulman ».

    Pourtant vous travaillez au Maroc. L'Islam marocain vous fait-il moins peur ?

    En effet, je travaille au Maroc depuis plus de 10 ans, et auparavant j'y vins pour des dizaines de reportages sous le règne de Hassan II. Je me sens davantage en sécurité ici qu'en France, où la police est plus laxiste. Ce fut un peu la même situation dans d'autres nations mahométanes, comme l'Egypte, où j'ai longtemps travaillé pour Le Monde. L'art de vivre, l'hygiène de vie des Arabo-turco-persans me conviennent mieux que l'american way of life. Leur confiance en Dieu, leur optimisme foncier, leur patience dans l'adversité m'impressionnent ; étant en outre originaire d'un continent où règnent aujourd'hui l'incroyance et la confusion des genres, j'apprécie les sociétés où demeure en vigueur la loi naturelle, c'est-à-dire tout simplement que les hommes y sont des hommes et les femmes des femmes. Last but not least, les sociétés musulmanes, contrairement aux sociétés occidentales, continuent d'honorer les notions de décence et de pudeur — Lhya, hchouma, âoura —, valeurs auxquelles je reste attaché. Ce contexte m'a permis de vivre jusqu'ici en harmonie parmi des musulmans. Du moment qu'on admet l'existence d'Orientaux occidentalisés, il faut reconnaître qu'il y a également des Occidentaux orientalisés, qui ne sont pas toujours islamisés pour autant. Je peux très bien comprendre, cependant, que la jeune convertie russe, Isabelle Eberhardt (1)jadis, se soit bien sentie « dans l'ombre chaude de l'Islam » ...

    Cependant, il existe une haute civilisation musulmane, avec ses grands hommes. Et de tout temps, il y a eu du fondamentalisme, même au sein des deux autres religions monothéistes, non ?

    boumédienne-hassan ii.jpgMême mes pires détracteurs, je crois, reconnaissent que je n'ai cessé, tout au long de mes reportages et de mes livres, de décrire les réussites historiques des cultures islamiques, de l'Indus au Sénégal via le Nil ou la Moulouya, sans m'interdire pour autant de critiquer ce qui me paraissait devoir l'être car, selon le mot de Beaumarchais, « sans la liberté de blâmer, il n'est point d'éloge flatteur ». Hélas, cette civilisation musulmane a peu à peu décliné jusqu'à ne plus vivre que de ses souvenirs ; et si elle est en train de renaître à présent, je crains que ce ne soit sous une forme politico-religieuse radicale qui a déjà commis de nombreux dégâts...Quant aux autres « fondamentalismes », ils font bien pâle figure de nos jours, sauf peut-être, il est vrai, sous forme d'interventions militaires euro-américaines en pays d'Islam. Et c'est d'ailleurs pour cela que, tel le philosophe français indépendant Michel Onfray, j'ai toujours été hostile aux expéditions occidentales, notamment françaises, à l'étranger, sauf ponctuellement lorsqu'il s'agit uniquement de sauver nos ressortissants. La comparaison entre les attentats islamistes aveugles et nos bombardements anti-djihadistes qui tuent également des civils au Levant, en Libye ou en Afrique noire, n'est pas du tout infondée. Il faut laisser les Musulmans vider entre eux leurs querelles, tout en leur proposant évidemment nos bons offices diplomatiques.

    Estimez-vous qu'aucune cohabitation n'est possible entre Islam et laïcité française ? La démocratie en Europe est-elle si fragile ?

    Cette « cohabitation », d'ailleurs pas toujours harmonieuse, existe de facto et certains Etats européens ont fourni de grands efforts pour donner de la place aux musulmans venus s'installer chez eux. Deux des principales villes d'Europe, Londres et Rotterdam, ont des maires musulmans. En France, la liste est longue des musulmans occupant ou ayant occupé des positions de premier plan dans maints domaines : le benjamin du premier gouvernement de la présidence Macron est un jeune Marocain spécialiste du numérique ; l'acteur le plus populaire en France, et le mieux rémunéré, est aussi marocain. Le principal prix littéraire parisien est allé deux fois à des Marocains, etc. Quand on pense qu'en Egypte, le plus brillant diplomate du monde arabe au 20e  siècle, Boutros Boutros-Ghali, n'a jamais pu être ministre des Affaires étrangères à part entière, à cause de sa qualité de chrétien indigène ! Quant à la fameuse démocratie, dont Churchill disait qu'elle est « le pire des systèmes, à l'exception de tous les autres », je me demande si beaucoup de musulmans ont envie de la voir s'installer en Islam, du moins sous sa forme européenne actuelle. Car il faut avoir à l'esprit que la démocratie signifie la primauté des lois conçues par les hommes sur la loi divine, à laquelle l'immense majorité des croyants mahométans paraissent prioritairement attachés. Au Maroc par exemple, tout le monde sait que le peuple n'a aucune considération pour les politiciens et pour la plupart des partis politiques, et bien des Marocains ne craignent pas de dire qu'il vaudrait mieux augmenter les pouvoirs de Sa Majesté chérifienne plutôt que de les diminuer.

    Vous êtes un monarchiste invétéré : la royauté apporterait-elle, à votre avis, plus de sécurité, de liberté, de bonheur que la république ?

    Je suis royaliste comme on respire, à la fois de conviction, de tradition et de raison, mais je le suis pour .la France, comme le furent Lyautey ou De Gaulle. Car pour les autres nations cela n'est pas mon affaire, même si j'aime à voir fonctionner la monarchie exécutive marocaine de manière tellement plus efficace, plus moderne et en même temps plus authentique que la république algérienne voisine, où je fus correspondant du Monde sous la dictature militaire de Houari Boumédiène (2). L'Etat est, par définition, un « monstre froid ». Seule peut l'humaniser une famille royale, incarnant la pérennité nationale, et à condition, bien sûr, que cette famille soit digne. Sous le monarque marocain actuel, l'affection populaire qui s'élève vers lui semble parfois, du moins pour les observateurs occidentaux, franchir la limite du rationnel. Mohamed VI, en effet, malgré ses efforts et sa bonne volonté, n'a pas encore réussi à régler les deux principaux problèmes qui se posent au Maroc depuis des décennies : les karyane ou bidonvilles d'une part ; l'imbroglio saharien, d'autre part, dû surtout, il est vrai, à la jalousie de l'Algérie pour les progrès d'un Maroc pourtant moins riche qu'elle.

    Au sujet du match République-Royauté, feu l'opposant marxiste à Hassan II, Abraham Serfaty, répondait que « l'Histoire avait prouvé la supériorité des républiques ». Eh bien non justement, car, comme disait Lénine « les faits sont têtus », et le 20e siècle, sans remonter plus loin, a vu les plus grands crimes contre les peuples, être le fait, comme par hasard, de deux républiques, celle d'Hitler et celle de Staline...

    Existe-t-il, selon vous, un point faible pouvant expliquer, du moins en partie, les problématiques liées actuellement à l'Islam ?

    J'ai parfois l'impression que nombre de musulmans, adossés à leur certitude coranique d'être « la meilleure des communautés » et à leur dogme égocentrique selon lequel seuls les fidèles de Mahomet pourront entrer au Paradis, se trouvent ainsi dispensés d'être soumis à la critique ou à l'autocritique. En 1987, je rencontrai en France un opposant alors quasi inconnu au régime tunisien, le docteur Moncef Marzouki, qui me séduisit par l'audace critique d'un texte intitulé Arabes si vous parliez ... Je le publiai et ce fut un succès à Paris, Bruxelles ou Genève. Ce livre est une charge puissante et argumentée, par un Arabe contre les Arabes, trop enclins à trouver ailleurs que chez eux, par exemple chez les anciens colonisateurs européens, des responsables à leurs maux contemporains. En 2011, par un retournement politique inattendu, Si Moncef devint le chef de l'Etat tunisien. En accord avec lui, je décidai de republier sans y changer un mot Arabes si vous parliez..., à Casablanca cette fois-ci. Ce texte, qui repose sur l'idée que « l’autocritique est l'autre nom de la maturité », fut cette fois un échec éditorial, surtout en Tunisie... Disons quand même, à la décharge des musulmans, que les menaces des djihadistes contre ceux des « vrais croyants » qui seraient tentés par l'autocritique, peuvent expliquer les silences actuels de l'Oumm (3). En juin 1992, au Caire, Farag Foda, musulman modéré et éminent acteur de la société civile (4), osa réprouver publiquement les traitements discriminatoires dont sont traditionnellement victimes les Coptes, chrétiens autochtones. Très vite, Foda fut abattu devant son domicile par un commando djihadiste (5), après avoir été qualifié, rien que ça, d’ « ennemi de l'Islam », simplement pour avoir pointé une situation scandaleuse, mais que personne, parmi les musulmans de l'époque, n'avait jusqu'alors osé dénoncer en public.

    « Un seul juste dans le pèlerinage rachète tout le pèlerinage ! » Est-ce que ce hadith prêté jadis à Mahomet peut s'appliquer à Marzouki ou à Foda ? C'est à leurs coreligionnaires de répondre. Et d'agir. Sinon, les gens d'Al Qaïda, de Boko Haram et de Daech risquent de s'imposer un peu partout...  

     

    1. Ecrivaine suisse (de parents d'origine russe et devenue française par mariage avec Slimane Ehni) née en 1877 et installée en Algérie à partir de 1897, où elle vécut au milieu de la population musulmane. Ses récits de la société algérienne au temps de la colonisation française seront publiés après sa mort, survenue le 21 octobre 1904 durant la crue d'un oued à Aïn Sefra (nord-ouest de l'Algérie).

    2. Houari Boumédiène (1932-1978) : chef de l'État-major général de l'Armée de libération nationale de 1959 à 1962, puis ministre de la défense de Ben Bella, il devient président du Conseil de la Révolution (et chef de l'État) le 20 juin 1965 suite à un coup d'Etat, et président de la république algérienne du 10 décembre 1976 jusqu'à son décès le 27 décembre 1978. Aucune opposition politique n'était autorisée sous son règne, Boumédiène cumulait les fonctions de président, premier ministre, ministre de la Défense et président du FLN, alors parti unique.

    3. Oumma, du mot arabe « oum », mère, la communauté universelle des musulmans.

    4. Farag Foda (1946-1992) : professeur d'agronomie, il était également écrivain, journaliste et militait en faveur des droits humains et de la sécularisation de l'Egypte.

    5. L'assassinat, perpétré le 8 juin 1992, a été revendiqué par le groupe salafiste Gamaa al-Islamiya, en référence à la fatwa d'al-Azhar du 3 juin de la même année, accusant Farag Foda d'être un ennemi de l'islam. Huit des treize accusés sont acquittés et d'autres relâchés en 2012 sur ordre du président Mohamed Morsi.

  • Pierre-André Taguieff : « La France n'est pas en marche, elle se soumet à la marche du monde »

     

    Par Pierre-André Taguieff

    C'est un tableau d'une extrême lucidité et sans aucune complaisance pour notre système politico-intellectuel au grand complet, que brosse ici Pierre-André Taguieff [Figarovox, 12.05]. Une analyse qui intéresse les royalistes, partie prenante au débat d'idées et au souci politique. Et notamment les maurrassiens qui gardent à l'esprit les analyses et la visée éminemment stratégique de L'avenir de l'intelligence, publié par Maurras il y a plus d'un siècle [1905]. Un long article qui suscite la réflexion et le débat.  LFAR 

     

    On affirme hâtivement, depuis quelques années, que « la droite a gagné la bataille des idées », ce qui, bien entendu, satisfait ceux qui se disent de droite, même s'ils sont convaincus, n'étant pas des gramsciens orthodoxes, qu'il ne suffit pas de prendre le pouvoir culturel pour parvenir au pouvoir politique. Les résultats de la dernière élection présidentielle en témoignent avec éloquence. Mais le cliché circule aussi à gauche, du moins dans certains milieux de la gauche intellectuelle résiduelle qui ont professionnalisé l'observation des droites, dites extrêmes, réactionnaires ou conservatrices. Cette gauche intellectuelle et culturelle, habituée depuis l'ère mitterrandienne à fréquenter les lieux du pouvoir, s'est sentie menacée durant les pitoyables dernières années du hollandisme. Poursuivant sa lente et inexorable sortie de l'Histoire, cette gauche a été saisie par la conscience malheureuse. Elle s'est découverte sans doctrine ni chef. Elle qui se célébrait en tant que gardienne de l'intelligence et de la pensée critique, porte-parole des vertus morales et civiques, porteuse d'un avenir radieux, elle qui se glorifiait d'attirer tant de scientifiques, de philosophes, d'artistes et d'écrivains, a dû reconnaître qu'elle ne rayonnait plus.

    La grande inquiétude de la gauche intellectuelle

    Depuis quelques années, ne croyant plus en elle-même, la gauche voit son adversaire officiel en vainqueur du « combat culturel », ce qui signifie pour elle une descente aux enfers. Littéralement elle n'en revient pas, et craint pour sa survie. Au moins croit-elle avoir identifié la cause de son malheur. Le vieil antifascisme, qui fédérait les gauches, s'est ossifié, perdant toute efficacité symbolique, et l'antiracisme, qui jouait un rôle d'adjuvant ou de substitut, a éclaté en sectes idéologiques mutuellement hostiles. Pour ceux qui se veulent « de gauche », le « bon vieux temps » du confort intellectuel et moral n'est plus.

    Ralliée plus ou moins honteusement au libéralisme économique, la gauche de gouvernement, suivie par ses chantres médiatiquement visibles, a abandonné de fait aux nationalistes antimondialistes et aux multiples héritiers du communisme la critique du capitalisme, poursuivie sous d'autres drapeaux (lutte contre le « néolibéralisme », la « mondialisation sauvage », etc.). Avec sa substance, elle a perdu son identité. Cette gauche sans visage tente cependant de s'en donner un en se reconnaissant bruyamment dans celui du nouveau président de la République, incarnation affichée de la compétence économique et de l'« ouverture » au monde : Emmanuel Macron. Un visage sympathique de dynamique « réconciliateur » de bonne volonté, qui appelle comme tous ses prédécesseurs au « changement », au « rassemblement » et à la « modernisation ». Avec ce supplément d'horizon : l'annonce d'une marche triomphale vers le postnational, l'ultime utopie mobilisatrice des élites déterritorialisées. Mais ce dernier rejeton du progressisme, qui joue du « ni droite ni gauche » tout en se disant « et de droite et de gauche », pourrait bien n'être que l'image floue enveloppant et recouvrant la disparition en cours d'une gauche à la dérive.

    Macron ? Le pouvoir des jeunes, par les jeunes, pour les jeunes

    La diabolisation du nationalisme ne permet pas non plus de constituer un front idéologique dont la gauche politico-intellectuelle serait l'avant-garde : tout le monde, sauf l'extrême gauche marginale, s'affirme désormais « patriote » et attaché à la nation, ce qui revient à dire que le nationalisme, au moins à l'état dilué ou sous une forme euphémisée, est partagé par « la droite » et « la gauche », ainsi que par les partisans de la synthèse vague (« et droite et gauche »), nouvelle formule du centrisme et/ou de l'opportunisme promondialisation, repeint aux couleurs du jeunisme. On a en effet le sentiment que la démocratie, incarnée par « le plus jeune président » d'un pays européen, « optimiste » comme il convient à tout jeune de l'être, tend à se redéfinir en France comme « le pouvoir des jeunes, par les jeunes et pour les jeunes ». Et le surgissement de jeunes prédicateurs médiatiques au langage fleuri et vertueux, s'indignant à tout propos et le regard fixé sur l'avenir meilleur (une bonne Europe, une bonne mondialisation, une bonne immigration, etc.), semble confirmer l'hypothèse.

    L'anti-nationalisme diabolisant, rejeton de l'antifascisme et de l'antiracisme, a largement perdu en force de mobilisation. Si Marine Le Pen a pu faire peur, et être rejetée même par une partie de ceux qui la suivaient dans ses propositions programmatiques sur la restriction de l'immigration et la lutte contre l'islamisme, c'est avant tout en raison de son incompétence en matière économique, promesse de chaos - dont la sortie de l'euro reste le symbole -, et de ses positions démagogiques sur les questions régaliennes.

    Il reste à la gauche, dans toutes ses figures, de recycler pitoyablement, sans être crédible, les vieux slogans communistes centrés sur la dénonciation du « grand capital » ou de la « finance internationale », et de diaboliser le « néolibéralisme », au risque de rejoindre la nouvelle rhétorique du Front national. L'adhésion de la gauche dite « socialiste » aux principes de l'économie de marché lui interdit en principe de donner dans la démagogie néogauchiste. Mais sans la religion populaire de l'anticapitalisme, la gauche s'effacerait totalement du paysage. Elle est donc condamnée à s'accrocher à cette superstition, qui reste l'opium du « peuple de gauche ». La raison en est éclairée par cette analyse de Joseph de Maistre, défenseur avisé de la religion chrétienne, dans Les Soirées de Saint-Pétersbourg (1821) : « La superstition est le bastion avancé de la religion. On n'a pas le droit d'oser le raser. Sans lui, l'ennemi pourrait s'approcher trop près de la véritable fortification.» Le cœur de l'édifice, pour la gauche, n'est autre que son identité de gauche, condition de son existence. Sa survie tient au talent de ses démagogues attitrés, gardiens de ses masques.

    Le triomphe du manichéisme

    De son côté, l'extrême centre, disons l'axe libéral-social-opportuniste, tente de réinventer une « extrême droite », une « droite extrême » ou une « droite dure » incarnant ses cauchemars, en la dénonçant comme « populiste », terme attrape-tout qui fonctionne aujourd'hui, polémique oblige, comme synonyme de « fascisme ». D'où les récentes tentatives de refasciser le nouveau Front national, ce qui est la manière la plus paresseuse de le combattre. Heureusement pour ses ennemis, le parti néo-lepéniste s'est enchaîné à un programme qui l'entraîne vers le fond, largement emprunté, la crédibilité en moins, aux utopies anticapitalistes d'extrême gauche. La tendance, partagée par les naufragés « socialistes », est également à une extrémisation polémique de la droite libérale, à travers l'argument de la « casse sociale ». Le manichéisme le plus sommaire est de retour, sous diverses formes. Il structure notamment les visions du monde respectives des mouvements qui ont survécu à la déroute des deux grands partis de droite et de gauche : le Front national « mariniste » et En marche !, dont le point commun est de se définir par le « ni droite ni gauche ». À l'opposition lepéniste entre les « mondialistes » et les « patriotes » répond la vision manichéenne des macronistes, résumée par leur guide spirituel évoquant le 5 mai 2017 « cette polarité réelle entre un parti d'extrême droite, réactionnaire, nationaliste, anti-européen, antirépublicain, et un parti progressiste, patriote, pro-européen, qui réconcilie la gauche de gouvernement, une partie de la droite sociale, pro-européenne, une partie d'ailleurs du gaullisme, et le centre ». Rappel du principe qu'on ne peut réconcilier qu'en excluant ceux qu'on juge irréconciliables par nature, à jamais perdus pour l'union nationale promise. La nouvelle fête de la Fédération, en version communicationnelle, n'est pas pour tout le monde. Dans le camp du Bien, les rediabolisateurs à pas feutrés ou à front de taureau sont au travail, s'efforçant de mobiliser les indignations morales et de monopoliser la posture morale. Le propre du néo-antifascisme, c'est qu'il est un aliment de propagande susceptible d'être indéfiniment réchauffé pour accommoder les plats les plus divers.

    Cette gauche intellectuelle qui ne comprend pas l'indépendance

    La défaite intellectuelle de la gauche de gouvernement est un fait. La victoire déplorée de « la droite » un fantasme. Les idées ne la préoccupent guère. Elle les abandonne volontiers à ses adversaires ainsi qu'à quelques essayistes ou polémistes talentueux situés hors de ses murs. Il est abusif de présenter ces écrivains ou ces journalistes, pour les louanger ou les blâmer, comme des intellectuels organiques de la droite pour la seule raison qu'ils s'attaquent de préférence à la pensée-slogan dite de gauche. Ils poursuivent leurs chemins respectifs sans savoir où ces derniers les mèneront. Certains d'entre eux continuent bizarrement de se dire « de gauche », d'autres affirment leur hostilité envers le « progressisme » revendiqué par les gauches, quelques-uns s'avouent « conservateurs ». Rares sont ceux qui se reconnaissent dans un parti de droite. C'est pourquoi la défaite reconnue de la gauche n'est nullement le résultat d'une quelconque stratégie culturelle conduite par ses adversaires politiques désignés ou déclarés. Elle n'est que la conséquence d'un vaste processus de dissipation, de sclérose et de décomposition conflictuelle qui ne saurait être attribué à cet acteur étranger et inquiétant : « la droite ». Celle-ci, installée depuis longtemps dans l'opportunisme, le clientélisme et les combinaisons électorales, ne saurait être tenue pour responsable de sa victoire supposée dans les esprits.

    À l'instar de la gauche, la droite n'a rien d'un sujet pensant et agissant dans l'espace des débats et des controverses où il est question des choses sérieuses - science, philosophie, littérature et arts. Cet espace immatériel où s'est réfugiée la pensée n'a rien à voir avec les insignifiantes tables rondes où s'affrontent de pâles et fades créatures du monde médiatique, de frétillants conseillers en communication, des « experts » péremptoires (sondologues lénifiants ou démographes en folie), des courtisans métastables et des militants politiques à l'esprit rigide, baptisés « intellectuels », parlant le jargon de bois de leur parti, de leur mouvement ou de leur « assoss ». Ceux qui pensent sont désormais des non encartés, des esprits libres, sans appartenances partisanes, des engagés désengagés. Ils ne sont pas partie prenante du spectacle politique. Ils ont cessé d'adhérer. Une pensée militante est une piètre pensée.

    La surprise d'avoir désormais des contradicteurs

    Si l'on transforme la proposition en question, « La droite a-t-elle gagné la bataille des idées ? », il reste encore à préciser quelle est la droite susceptible d'être victorieuse dans cette bataille. Car il y a plusieurs droites, si du moins l'on peut s'entendre sur le sens à donner à cette catégorisation confuse, « la droite ». On ne sait pas de quoi l'on parle lorsqu'on fait simplement référence à « la droite »..

    Parle-t-on d'une droite libérale et réformiste, voire progressiste, d'une droite conservatrice, d'une droite nationaliste, d'une droite autoritaire, d'une droite traditionaliste ou réactionnaire ? Sans oublier la figure oxymorique qu'est la droite « ni droite ni gauche » : le néogaullisme. Supposons cependant qu'on ait réglé le problème de la catégorisation, ce qui est fort peu probable. On découvre alors le pot aux roses : il n'y a pas de batailles d'idées, à défaut de combattants, parce que les médias restent largement acquis à la gauche culturelle et intellectuelle, et sont enclins à inviter ou à privilégier les intervenants qui leur ressemblent. Précisons : à n'importe quelle gauche, « modérée » ou « extrême », à la gauche tamisée ou à la gauche frénétique. Les installés de gauche sont les dominants, qui se sentent néanmoins assiégés. Ce seul sentiment leur donne de l'énergie, celle de rester en place malgré tout et à tout prix. La relative macronisation des esprits leur permet de reprendre espoir.

    La puissance de séduction d'un acteur politique a notamment pour effet de paralyser la faculté de distinguer l'important du secondaire et l'essentiel de l'accidentel. On doit à la lucidité de l'écrivain algérien Boualem Sansal, par un article paru le 8 mai 2017 dans le New York Times, de nous avoir rappelé à la dure réalité au milieu des effusions lyriques, de l'indifférence cynique et des soupirs de soulagement : « La France ne se gouverne plus elle-même ; l'Europe a toujours son mot à dire. La mondialisation fait que la terre ne tourne plus que dans un sens (…). Voilà pourquoi il importait que soient débattus durant la campagne présidentielle tous ces thèmes mondialisés : l'islamisation, le terrorisme, le réchauffement climatique, la migration, l'affaiblissement des institutions multilatérales. Mais ceux-ci ont à peine été évoqués. Peut-être était-ce à cause d'un sentiment d'impuissance face à ces problèmes. Mais le fait de ne pouvoir rien y changer n'est pas une raison de ne pas y regarder.»

    En Marche vers le moralisme

    Face à ceux qu'elle perçoit ou désigne comme ses ennemis, la gauche aux idées mortes mais au pouvoir culturel inentamé recourt à deux stratégies. Si la stratégie du silence assassin ne fonctionne pas, elle s'engage dans une guerre verbale qui, menée à sens unique, consiste à lancer des rumeurs malveillantes, des campagnes de diffamation, des anathèmes, à procéder à des dénonciations publiques, à des excommunications visant « la droite » (« dure », « extrême », « éternelle », etc.) et ses représentants supposés. On s'indigne, on dénonce et on condamne sur la place publique. La mise à mort symbolique de François Fillon, dont le programme n'a jamais été discuté, en fournit un terrible exemple. Le moralisme triomphe, le discours édifiant s'étend et se banalise. Rien là qui ressemble, de près ou de loin, à une « bataille d'idées ». L'impératif du « faire barrage » relève d'une déontologie de douanier, et la métaphore de la « ligne jaune » (ou « rouge ») de la vision policière du monde.

    Une fois de plus, le terrorisme émotionnel s'exerce, et ses champs d'exercice sont multiples. La prestation ratée de Marine Le Pen, le 4 mai 2017, en a fourni une illustration plutôt grossière. En s'enfermant dans la langue de bois europhobe et antimondialiste de son parti tout en s'abandonnant à sa violence verbale, elle a été contre-productive, se désignant elle-même comme une démagogue d'extrême droite. Mais ce terrorisme peut aussi s'exercer d'une manière subtile, en se masquant derrière les appels à la « raison » et au « progrès ». Le contradicteur ne peut être qu'un ennemi, et l'ennemi ne peut qu'être l'incarnation de l'irrationnel, de l'archaïsme ou du passéisme, du mensonge, de la « postvérité ». Le propre des démagogues de gauche, c'est qu'ils dénoncent avec véhémence, sans vergogne, la démagogie du camp d'en face, quitte à l'inventer quand elle est inexistante. Le paradoxe est triste, hélas : la gauche a perdu la bataille des idées, mais la droite ne l'a pas gagnée. Les nationalistes identitaires et souverainistes non plus.

    Le 9 mai 2017, le site « Sauvons l'Europe  », affichant son « engagement pro-européen et