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  • Taguieff – L’illusion perdurante de la discrimination positive.

    Par Pierre-André Taguieff*, de l'Observatoire du Décolonialisme**

    Pour le spécialiste de l’antiracisme, les dispositifs de discrimination positive ont encouragé une dynamique multiculturelle dans la société.

    Fin janvier 2021, un certain Mehdi Thomas Allal a publié dans Marianne un article se voulant audacieux, intitulé « Pour réduire les inégalités, osons la discrimination positive ».

    La trajectoire professionnelle de ce militant de gauche, qui se présente comme un spécialiste des « politiques de lutte contre les discriminations », est emblématique : maître de conférences à Sciences Po Paris, où il enseigne depuis 2005 sa spécialité, coanimateur du pôle anti-discriminatoire de la fondation Terra Nova depuis juin 2009, conseiller pédagogique à la « diversité » auprès du directeur de l'ENA (2011), chef de cabinet de l'adjointe au maire de Paris en charge de l'égalité femmes-hommes (2012-2014), membre du club socialiste La Gauche forte (créé en janvier 2013) et responsable du pôle « Vivre ensemble » du think tank Le Jour d'après (créé en septembre 2016). J'espère qu'il me pardonnera de le traiter comme un individu représentatif, en tant qu'intellectuel de gauche ayant fait de son engagement antiraciste en faveur des politiques « diversitaires » et anti-discriminatoires une spécialité professionnelle.

    Dans son article, Mehdi Thomas Allal récite avec conviction la prière néo-antiraciste standard, fondée sur l'éloge de la « diversité », terme désignant désormais le Bien en soi qu'il faut cependant toujours « améliorer », et de la discrimination positive, baguette magique censée rendre possible le « vivre ensemble ». Son postulat, emprunté au discours antiraciste construit par les généticiens des populations depuis les années 1960 (différence ou diversité = richesse ), est le suivant : « Les différentes identités qui composent notre pays ont toujours constitué une source de richesse. » Nous sommes dans l'élément de la pensée-slogan diversitaire. Il s'ensuit que la nation française ne se définit pas comme une communauté de citoyens, mais comme un ensemble d'identités communautaires qui doivent trouver la meilleure manière de coexister, c'est-à-dire de construire le « vivre ensemble ». C'est là le modèle d'une société multiculturelle ou plus exactement multicommunautariste, s'inscrivant dans l'imaginaire utopiste du post-national.

    Critique de la race

    La thèse principale de cet expert autoproclamé s'énonce comme suit : « Les sciences sociales nous enseignent que cette diversité est un atout et constituerait même un gage de performance. » Ce serait donc là le plus précieux enseignement transdisciplinaire des sciences sociales, de toutes les sciences sociales, nous assure le diplômé de Sciences Po. À le suivre, l'action politique doit traduire les leçons théoriques provenant des lumières de la science, dont il se fait le porte-parole. La redéfinition conceptuelle de la « race » que propose ce penseur omniscient s'inspire du discours décolonial et de la « théorie critique de la race » : « Plutôt que d'effacer le terme de “race” de la Constitution, mieux vaut en faire un outil de différenciation positif, à la fois pour la société et les individus qui la composent. » Il s'agit donc de faire de la « race », cette nouvelle clé de l'analyse sociologique, de la critique sociale et de l'action politique, « un authentique instrument de réussite sociale ».

    Échecs

    L'outil juridico-politique préconisé est la discrimination positive, « en tant que moyen de promotion sociale et parcours d'insertion ». Alors que le phénomène est bien documenté, les échecs répétés et les nombreux effets pervers des politiques de discrimination positive dans le monde depuis les années 1960 ne sont pas pris en considération par l'activiste du « vivre ensemble ». Dans la France de 2021, l'affirmative action est présentée comme le remède miracle pour lutter contre les inégalités et/ou les discriminations. Naïveté, ignorance ou mauvaise foi ? Par charité, je n'évoquerai que furtivement une quatrième hypothèse : ses propos illustrent une forme particulière de sottise, disons une sottise idéologisée, au service d'une cause. Mais d'une cause si politiquement correcte qu'elle ne peut qu'ouvrir des portes. Une cause socialement avantageuse.

     

    C’est ainsi, au nom de la compassion « progressiste » et de la sainte « diversité », qu’on démolit la méritocratie républicaine et qu’on s’assure que le niveau baisse, ouvrant la voie aux imposteurs décolonialistes et pseudo-antiracistes

     

    C'est la sottise pour ainsi dire fonctionnelle qu'on rencontre dans tous les milieux militants, voués à réciter leurs bréviaires respectifs en donnant dans le psittacisme. Ce professionnel du « vivre-ensemblisme » est cependant entré à Sciences Po avant la mise en œuvre des mesures feutrées de discrimination positive prises en 2001 à l'initiative de Richard Descoings, dit « Richie », incarnation d'Homo festivus et artisan de l'américanisation dévastatrice de Sciences Po entre 1996 et 2002, symbolisée notamment par la suppression démagogique de l'épreuve de culture générale pour ne pas avantager les candidats favorisés socialement et ne pas désavantager ceux qui sont issus de « minorités ».

    Diversité

    Aujourd'hui, l'héritage de Richard Descoings est toujours vivant, comme en témoigne la décision, annoncée le 25 juin 2020 par la direction de Sciences Po, de supprimer les épreuves écrites au concours d'entrée dans l'établissement, pour aller plus loin dans l'ouverture à la « diversité sociale ». On sait que la fameuse dissertation d'histoire était jugée discriminatoire depuis longtemps par les candidats malheureux. D'une façon plus générale, les épreuves écrites seraient un « frein à la diversité ». L'idéal poursuivi est donc un concours non discriminatoire, chimère s'il en est. En attendant que l'utopie se réalise, les épreuves se réduisent à l'examen d'un dossier et à un entretien. L'argument d'autorité avancé est parfaitement dans la ligne : aucune grande université anglo-saxonne n'organiserait d'examens écrits à l'entrée. Comment ne pas suivre l'exemple anglo-saxon ?

    C'est ainsi, au nom de la compassion « progressiste » et de la sainte « diversité », qu'on démolit la méritocratie républicaine et qu'on s'assure que le niveau baisse, ouvrant la voie aux imposteurs décolonialistes et pseudo-antiracistes qui s'installent depuis le milieu des années 2000 dans le champ universitaire français, sous les applaudissements des belles âmes engagées de l'Union européenne et en particulier du Conseil européen de la recherche, ralliées au multiculturalisme et idolâtrant les « minorités » supposées stigmatisées, opprimées et discriminées.

    Charlatanisme

    Ce que la juriste Anne-Marie Le Pourhiet appelle le « charlatanisme rémunéré » a de l'avenir. La rhétorique décoloniale et néo-antiraciste charrie des énoncés tels que « les sciences sociales enseignent que… », qu'on peut considérer comme des indices de la banalisation d'un nouveau scientisme, propre aux « sciences molles » politisées. Cette rhétorique figée se caractérise par une alliance entre la naïveté, le dogmatisme et l'esprit de sérieux dans un discours prétendant relever de la science. Disons les choses simplement, au risque de scandaliser ou de décevoir les experts sûrs de leur savoir : les sciences sociales telles qu'elles se font, et ce, jusqu'à nouvel ordre, enseignent tout et son contraire, de telle sorte que leurs résultats sont tous contestables et discutables. Chaque école, incarnée par un maître et son cercle de disciples, a sa méthodologie, sa batterie conceptuelle, son corps d'hypothèses, ses résultats provisoires. Dans le meilleur des cas, les représentants de ces diverses écoles acceptent de s'engager dans des controverses savantes et arrivent parfois à se mettre d'accord sur les raisons de leurs désaccords. Mais ils ne sauraient parvenir à un consensus portant sur les résultats de leurs travaux respectifs. Seuls les dogmatiques et les sectaires prétendent parler au nom des « sciences sociales » en général et osent présenter leurs convictions idéologiques comme les résultats de « la recherche en sciences sociales ».

    Naguère, le marxisme ou plus précisément le matérialisme historique, fondé sur la critique « scientifique » du capitalisme, était célébré comme « la science de l'histoire ». Aujourd'hui, le décolonialisme, fondé sur la critique du racisme et plus précisément du « racisme systémique », est pris pour une approche scientifique des sociétés contemporaines. Après les illusions militantes de la « sociologie critique », qui prétendait débusquer « scientifiquement » toutes les formes de « domination », surgissent les hallucinations pseudoscientifiques de la « théorie critique de la race » et du décolonialisme, qui incitent à des chasses aux sorcières contre d'imaginaires « racistes » et banalisent les pratiques de délation et de censure mises en œuvre par les adeptes néogauchistes de la « cancel culture ». L'histoire des fausses sciences alimentées par le ressentiment, l'esprit du soupçon et le goût de la dénonciation est loin d'être terminée. Surtout si ces fausses sciences assurent à ceux qui s'en réclament une confortable bonne conscience, un accès facile à des postes universitaires et la possibilité d'obtenir des financements pour de fumeux projets de recherche.

     

    *Pierre-André Taguieff est philosophe, politiste et historien des idées, directeur de recherche au CNRS. Dernier ouvrage paru : L'Imposture décoloniale. Science imaginaire et pseudo-antiracisme (Éditions de l'Observatoire).

     

    **Cet article est issu des travaux de l'Observatoire du décolonialisme et des idéologies identitaires, un collectif d'universitaires qui se sont donné pour mission d'analyser les thèses dites « décoloniales » et intersectionnelles. Ces discours, qui s'ancrent dans des courants militants, favorisent les lectures essentialisantes et racialistes des rapports sociaux. Ces idéologies pénètrent peu à peu le monde universitaire, entravant divers travaux et controverses académiques​. Le Point entend libérer et partager cette parole ici avec ses lecteurs​.

  • Le noyau dur du Pays légal, par Philippe Germain.

    Après avoir dési­gné le Pays légal comme l’ennemi prio­ri­taire, l’Action fran­çaise l’a concep­tua­li­sé comme le défen­seur du Sys­tème poli­tique, puisque étant son prin­ci­pal pro­fi­teur. Elle a aus­si mar­qué sa dif­fé­rence démo­phile par rap­port aux dési­gna­tions (Caste, Éta­blis­se­ment, Oli­gar­chie…) uti­li­sées par les démo­lâtres popu­listes. Voi­là qui est bel et bon, mais insuffisant.

    philippe germain.jpgC’est pour­quoi, afin d’éviter la pos­ture cri­tique « hors sol », si répan­due, les maur­ras­siens appro­fon­dissent la com­po­si­tion de l’ennemi prio­ri­taire. Ils répondent à la ques­tion : Qui sont-ils « ceux » qui par la mai­trise poli­tique de l’appareil d’État répu­bli­cain, exercent une domi­na­tion socié­tale et sociale sans sou­ci du bien com­mun ?  Cela impose :

    • de trai­ter, ce que  l’historien Fran­çois Furet  nomme la « ques­tion des ori­gines ». Celle-ci, dit-il, hante notre his­toire natio­nale depuis 1789. L’histoire comme labo­ra­toire y aide.
    • d’éviter « l’idée de com­plot », notion cen­trale et poly­morphe dans l’idéologie révo­lu­tion­naire, pré­cise encore Furet. Pas plus aujourd’hui de com­plot bour­geois ou mon­dia­liste, que de com­plot « aris­to­cra­tique » en 1789.

    La ques­tion des ori­gines donc. Obser­vant dans l’histoire mon­diale, les répé­ti­tions d’une même cau­sa­li­té, le maur­ras­sisme dégage une loi de phy­sique sociale sur le déve­lop­pe­ment d’oligarchies : Toute révo­lu­tion pro­duit une « nou­velle classe » sou­dée à la longue par l’intérêt. En France c’est Bona­parte, qui pour sau­ver la Révo­lu­tion de 1789, sou­da des gens de tous les milieux, par l’enrichissement résul­tant de la confis­ca­tion du pou­voir poli­tique. Cette classe diri­geante devint héré­di­taire. Ces « dynas­ties répu­bli­caines » du pays légal, gou­vernent et exploitent la France depuis le Direc­toire. Explication…

    Cette nou­velle classe, avide de faire « une for­tune immense », avoue­ra Tal­ley­rand, fut consti­tuée de prêtres jureurs à la consti­tu­tion civile, de membres de la vieille noblesse, de jaco­bins, de mar­gou­lins enri­chis par l’achat des biens natio­naux, de com­mer­çants gras­se­ment rétri­bués par les four­ni­tures aux Armées.

    Pour ces habiles en finance, Bona­parte créa  la Banque de France, avec son pri­vi­lège exclu­sif d’émission des billets. Elle est là l’origine des dis­crètes « 200 familles » (Edouard Dala­dier – 1934), cette « élite finan­cière » dont la famille Gis­card fut emblé­ma­tique. Cer­tains des­cen­dants figurent par­mi les sou­tiens de Macron.

    Cette élite finan­cière est une plou­to­cra­tie, c’est-à-dire le gou­ver­ne­ment des plus riches. Elle n’a rien à voir avec le capi­ta­lisme indus­triel car elle ne prend aucun risque. Elle se contente de pro­fi­ter des oppor­tu­ni­tés offertes par l’état ; par exemple la construc­tion des che­mins de fer au début de la IIIème répu­blique, les contrats de guerre en 1914 – 1918, la déco­lo­ni­sa­tion indo­chi­noise et afri­caine, les natio­na­li­sa­tions  gaul­lo-com­mu­nistes de 1944 – 1948, celles socia­listes de 1982 mais aus­si les pri­va­ti­sa­tions gaul­listes de 1983 et 1993 et main­te­nant les « coups » phar­ma­ceu­tiques de la crise sani­taire. Gains faciles et sans risques ! C’est une plou­to­cra­tie dis­si­mu­lée afin de mieux pro­té­ger ses inté­rêts maté­riels, au détri­ment de l’intérêt éco­no­mique général.

    Pour pros­pé­rer au maxi­mum grâce à l’État, cette nou­velle classe le pré­fère faible, donc basé sur le Sys­tème repré­sen­ta­tif, dans lequel les citoyens élisent des dépu­tés en leur aban­don­nant le soin de déci­der de la loi à leur place. C’est pour­quoi l’élite finan­cière sou­tien une seconde élite, elle aus­si  crée par Bona­parte. Cette der­nière sert de paravent pour dis­si­mu­ler la plou­to­cra­tie, reti­ré de l’avant-scène poli­tique mais gou­ver­nant par influence et per­sonnes interposées.

    Là encore se pose la ques­tion des ori­gines, sinon depuis 1789, au moins depuis le Direc­toire du Consul Bona­parte. Par la trans­for­ma­tion de la maçon­ne­rie en ins­ti­tu­tion qua­si offi­cielle et ins­tru­ment d’influence majeur du pou­voir, Bona­parte ajou­ta au noyau finan­cier du pays légal, une seconde élite. Il pla­ça les maçons aux prin­ci­pales fonc­tions de l’État, les fai­sant ducs ou princes, les dotant de séna­to­re­ries d’un bon rap­port, leur per­met­tant par une guerre épui­sant la nation, de réa­li­ser des malversations.

    Ain­si fut assu­ré le vivier d’une élite « poli­tique », carac­té­ri­sée par une très forte sta­bi­li­té du per­son­nel par­le­men­taire, séna­to­rial et ministériel.

    Cette oli­gar­chie est le gou­ver­ne­ment de tous par quelques-uns, exer­cé sans trans­pa­rence dans la forme répu­bli­caine. C’est un Gou­ver­ne­ment de clans, un des­po­tisme de cote­ries repo­sant sur trente ou qua­rante mile affi­liés, tous cupides, intri­gants et para­sites. Par la maî­trise du pou­voir légis­la­tif, l’é­lite poli­tique peut, et ne s’en prive pas, faire des lois lui per­met­tant de gou­ver­ner en per­ma­nence. L’al­ter­nance élec­tive entre un per­son­nel de centre droit et un per­son­nel de centre gauche garan­tit à l’élite finan­cière, une poli­tique allant tou­jours dans le sens de ses seuls inté­rêts, lui  per­met­tant de pros­pé­rer au détri­ment de la nation par l’exploitation éco­no­mique de l’État. Macron appelle « l’ancien monde » cette élite politique.

    L’actuel pôle idéo­lo­gique des « valeurs répu­bli­caines » émane de cette élite poli­tique dont le laï­cisme athée a vain­cu la pro­tes­ta­tion socié­tale des catho­liques de La Manif Pour Tous mais s’avère impuis­sante face à l’Islamisation.

    En revanche, contrai­re­ment aux appa­rences, la péren­ni­té de cette élite poli­tique n’est pas acquise et ses mises en cause ont son­né le glas de la IIIème répu­blique (1940-maré­chal Pétain) et de la IVème (1958-géné­ral De Gaulle). Les deux élites, consti­tuant le noyau dur du pays légal, furent sérieu­se­ment secouées par la chute de la IIIème répu­blique. C’est pour­quoi après 1945, elles fédé­rèrent deux nou­velles élites, leur per­met­tant à la fois de conso­li­der leur capa­ci­té de domi­na­tion et de résoudre leur pro­blème de renou­vel­le­ment propre à toute élite. Nous ver­rons pro­chai­ne­ment les­quelles ain­si que leur rôle déter­mi­nant sur l’Islamisation.

    Ger­main Phi­lippe ( à suivre)

    Pour lire les pré­cé­dentes rubriques de la série «  L’Islam menace prin­ci­pale », cli­quer sur les liens.

    1. France,  mai­son de la guerre
    2. Mai­son de la trêve et ter­ri­toires per­dus de la République
    3. Impact sur la France de la révo­lu­tion isla­miste de 1979
    4. Les beurs et la kalachnikov
    5. Le plan d’islamisation cultu­relle de la France
    6. Islam radi­cal et bar­ba­rie terroriste
    7. Pas d’amalgame mais complémentarité
    8. Pôle idéo­lo­gique islamiste
    9. Pôle idéo­lo­gique des valeurs républicaines
    10. Face au dji­had cultu­rel : poli­tique d’abord !
    11. Prince chré­tien et immi­gra­tion islamisation
    12. Le Prince et la France chrétienne
    13. Le Prince chré­tien et la laïcité
    14. balayons le défai­tisme républicain
    15. Balayons le défai­tisme démocrate.
    16. Refe­ren­dum sur l’immigration
    17. Moi, j’ai dit pays légal ?

    Source : https://www.actionfrancaise.net/

  • Syrie : « Pour peser, la France doit s'affranchir de l'alliance atlantique »

     

    par Mezri Haddad
     
    Alors que la Maison-Blanche a engagé contre la Syrie et les Russes une rhétorique particulièrement belliqueuse, Mezri Haddad implore la France de résister à la tentation de rentrer dans une guerre dont les enjeux ne semblent profiter qu'aux États-Unis. Cet article [Figarovox, 12.04] est écrit avec une certaine passion, dont on voit bien les raisons, à proportion des enjeux - en dernier ressort, la guerre ou la paix - pour le monde arabe comme pour la France et l'Europe. Sur l'essentiel, Mezri Haddad se livre ici à de justes analyses. Signalons de nouveau que Mezri Haddad n'est pas un inconnu des royalistes français que lui aussi connaît bien. Nous nous rappelons avoir organisé il y a quelques années, à Marseille, entre Mezri Haddad et Jacques Trémolet de Villers, un dîner-débat sur la montée de l'islamisme en France et ailleurs, qui fut d'un grand intérêt. Nous n'avons jamais négligé ces échanges, ces relations, ces débatset nous les poursuivons ici, dans ces colonnes...  Lafautearousseau.
     
     

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    « La première victime de la guerre, c'est la vérité », disait Kipling. Si toutes les guerres sont par définition même sales et destructrices, celle qui a été livrée à la Syrie, et que certains veulent relancer et porter à son paroxysme aujourd'hui, est particulièrement nauséabonde, injuste et absurde.

    Elle restera dans les annales des grands conflits mondiaux, avec néanmoins ce constat hallucinant : si la dernière guerre mondiale a opposé les démocraties aux totalitarismes, les valeurs humanistes à l'abjection nazie, celle dont on parle aujourd'hui a réuni dans une même coalition la barbarie et la civilisation, le monde dit libre aux forces les plus obscurantistes, l'atlantisme à l'islamisme, pour abattre le « régime de Bachar », comme ils disent. 

    Dans l'euphorie d'un « printemps arabe » qui était dès ses premiers balbutiements en Tunisie un hiver islamo-atlantiste, tout a été implacablement déployé pour déstabiliser un pays qui n‘était sans doute pas un modèle de démocratie, mais qui connaissait depuis juillet 2000 de profondes et graduelles réformes politiques, sociales et économiques, louables et intrinsèquement libérales, de l'aveu même de Nicolas Sarkozy, qui avait invité à l'époque (2008) le jeune Président syrien au défilé du 14 juillet.

    Tout a été déployé, y compris cette arme de guerre redoutable et particulièrement détestable, la désinformation, avec son cortège de mensonges éhontés, de manipulations des masses, de subversions des mots. Dans cette diabolisation systématique de l'ennemi et victimisation de l'ami, l'État syrien est ainsi devenu le « régime de Bachar », l'armée arabe syrienne régulière est devenue « milice d'Assad », les terroristes sont devenus les « rebelles » ou l'« armée syrienne libre », Bachar Al-Assad s'est transformé en « tyran sanguinaire qui massacre son peuple », et les hordes islamo-fascistes, d'Al-Qaïda jusqu'à Daech, se sont métamorphosées en « combattants de la liberté » voire même en « défenseurs des droits de l'homme »…

    Rien ne pouvait justifier un tel aveuglement. Ni l'idéal démocratique auquel aspire effectivement le peuple syrien. Ni la question des droits de l'homme que le monde libre a certainement le devoir moral de défendre partout où ses droits sont malmenés. Ni le contrat à durée indéterminée entre l'émirat du Qatar et la République sarkozienne ! Ni même les prétendues attaques chimiques syriennes, qui étaient à la diplomatie française et à ses relais médiatiques ce que les armes de destruction massive furent à la propagande anglo-américaine, lors de la croisade messianiste contre l'Irak dont on connaît la tragédie et le chaos depuis. Dans ses mémoires, l'honnête homme Colin Powell, avoue regretter jusqu'à la fin de sa vie son discours devant le Conseil de sécurité des Nations Unies. Un autre discours, devant la même instance onusienne, restera, lui, dans l'Histoire : celui de la France égale à elle-même et fidèle à ses valeurs universelles, magistralement lu par Dominique de Villepin. Son successeur à la tête de la diplomatie française, qui se félicitait du « bon boulot » que le front Al-Nosra faisait en Syrie, ne peut pas en dire autant.

    Faute d'une vision stratégique et géopolitique à la hauteur des enjeux cruciaux qui se dessinaient et d'une accélération de l'Histoire qui déroutait, la France sarko-hollandienne a eu une politique autiste, aveugle et inaudible qui ridiculisait le pays de De Gaulle auprès des instances onusiennes et même aux yeux de la puissance américaine qu'elle entendait servir avec encore plus de servitude que la couronne britannique ; une politique qui positionnait la France en ennemi formel d'une amie potentielle - la Russie -, en l'extirpant d'un Moyen-Orient où sa voix portait et son rôle pesait…jadis et naguère. Plus troublant encore, cette politique qui ne manquait pas de machiavélisme suscitait des doutes quant à la volonté réelle du gouvernement français de mener une guerre globale et sans pitié contre l'islamo-terrorisme, qu'il se fasse appeler Daech, Al-Qaïda ou Al-Nosra, rebaptisé pour la circonstance Fatah Al-Sham. À l'inverse de l'ancien chef de la diplomatie française pour lequel « Bachar el-Assad ne mérite pas d'être sur terre » et « Al Nosra fait du bon boulot », Vladimir Poutine a eu le mérite de la cohérence et de la constance : « on ira les buter jusque dans les chiottes », promettait-il en septembre 1999, lorsqu'il n'était encore que le premier ministre de Boris Eltsine. En France, les fichés S sont présupposés innocents jusqu'à leur passage à l'acte !

    Le jusqu'au-boutisme droit-de-l'hommiste, l'humanisme à géométrie variable, l'homélie de l'islamisme « modéré », le manichéisme simpliste qui réduit un conflit géostratégique majeur à un affrontement entre le bien (Al-Qaïda et ses métastases) et le mal (le régime de Bachar al-Assad et ses alliés) ne peuvent plus dissimuler l'alliance objective entre le monde dit libre et les hordes barbares de l'obscurantisme islamiste. Contrairement à la propagande politique, la tragédie qui se joue en Syrie n'oppose pas un « animal qui massacre son peuple » -comme vient de le tweeter le très diplomate Trump - à des gladiateurs de la liberté qui n'aspirent qu'à la démocratie, mais un État légal et même légitime, à des hordes sauvages et fanatisées, galvanisées par ceux-là mêmes qui avaient ordonné les plus ignobles actions terroristes dans les capitales européennes. Cette tragédie se joue entre un État reconnu par les Nations Unies, qui entend reconquérir jusqu'à la dernière parcelle de son territoire tombé sous le joug totalitaire et théocratique des « islamistes modérés », et des djihadistes sans scrupule qui se servaient des civils d'Alep, de Ghouta et aujourd'hui de Douma comme de boucliers humains. Pas plus qu'à Al-Ghouta hier, quel intérêt pour le « régime de Bachar » de bombarder aux armes chimiques une ville, Douma en l'occurrence, quasiment libérée des mains criminelles des islamo-fascistes ? Les crimes de guerre imputés à Bachar dans cette ville raisonnent comme le requiem bushéen « Saddam possède des armes de destruction massive » et comme son futur refrain sarkozien, « éviter un bain de sang à Benghazi » !

    Comme l'URSS pourtant stalinienne de 1945, la Russie est aujourd'hui du bon côté de l'Histoire. N'en déplaise aux petits stratèges londoniens de l'affaire Skripal et autres russophobes primaires figés dans les eaux glaciales de la guerre froide, Vladimir Poutine a fait les bons choix stratégiques et géopolitiques. Plus insupportable encore pour les avocassiers de la civilisation et les zélotes des droits de l'homme…islamiste, il a été le seul défenseur des valeurs occidentales…en Syrie.

    De cette guerre lâche de l'islamo-atlantisme contre la Syrie, la Russie est sortie victorieuse. Même si l'État et le peuple syriens souffriront encore du terrorisme résiduel, comme beaucoup d'autres pays, y compris la France, le pays de Bachar a gagné cette guerre non conventionnelle et par terroristes et mercenaires interposés qu'on lui a livrée huit années durant.

    Dans un communiqué officiel de la Maison blanche, c'est-à-dire un tweet matinal, le président américain a menacé la Russie de ses missiles « beaux, nouveaux et intelligents », et d'ajouter dans un second « communiqué » que « notre relation avec la Russie est pire aujourd'hui qu'elle ne l'a jamais été, y compris pendant la Guerre froide ». Pour une fois, Donald Trump a parfaitement raison : la situation actuelle est plus grave que la crise des missiles de Cuba en 1962. Et elle l'est d'autant plus que c'est précisément lui qui gouverne aujourd'hui les USA et non un Kennedy, qui a su trouver à l'époque un modus vivendi avec Khrouchtchev, évitant ainsi pour les deux pays et pour l'humanité le pire.

    Plutôt que de céder à l'hybris washingtonien, de s'aligner aveuglément sur l'hyperpuissance américaine, comme la qualifiait Hubert Védrine, de guerroyer avec un Donald Trump imprévisible, volatile et inconscient du chaos qu'il peut provoquer dans la poudrière moyen-orientale, voire d'un conflit mondial, la France doit au contraire répondre à sa vocation de puissance souveraine et modératrice. L'occasion se présente au pays de Macron de reconquérir sa position dans cette partie du monde, de s'affranchir d'une alliance atlantique aux ennemis anachroniques et à la doctrine désuète, de retrouver sa singularité gaullienne. L'avenir de la France au Proche-Orient et dans le monde en général peut se redéployer cette fois-ci avec un sens aigu du pragmatisme, du réalisme et des intérêts mutuels bien compris. Il ne s'agit donc ni d'idéalisme, ni de fraternité, ni d'éthique, ni d'humanisme, ni même de « politique arabe de la France ». Il s'agit essentiellement de realpolitik et d'intérêts réciproques euro-arabes d'une part et euro-russes d'autre part: primo le combat commun contre le terrorisme islamiste qui a saigné la Syrie pour ensuite, tel un boomerang, meurtrir la France ; secundo la relance de l'Europe voulue par les Européens sans la feuille de route américaine et avec un bon voisinage du puissant russe ; tertio la reconstruction d'un pays dévasté, non point par huit années de « guerre civile », mais par une guerre lâche et sans nom, livrée par des mercenaires recrutés des quatre coins du monde, ceux-là mêmes qui se sont retournés contre leurs alliés objectifs et conjoncturels, notamment à Londres, à Barcelone, à Paris, à Nice et récemment dans l'Aude.

    Avec la nouvelle géopolitique qui se trame au Proche-Orient et les périls terroristes qui menacent la région et l'ensemble du monde, la nouvelle élite dirigeante française a forcément un rôle à jouer. Parce que ses liens avec la Syrie sont historiques autant que ses relations avec la Russie, la France doit pouvoir encore jouer ce rôle conforme à ses valeurs universelles et compatibles avec ses intérêts nationaux. Et si, à l'instar de Theresa May, qui a besoin de la fuite Skripal pour colmater la brèche du Brexit, et de Donald Trump, qui a toutes ses raisons de provoquer un conflit mondial pour se débarrasser de la vodka russe qui empoisonne sa présidence - la supposée ingérence de Moscou dans les élections américaines -, Emmanuel Macron n'a nul besoin d'impliquer la France dans un conflit qui n'est pas le sien et dont on ne conjecture pas encore les effets planétaires.   

    Ancien ambassadeur de la Tunisie auprès de l'Unesco, Mezri Haddad est philosophe et président du Centre international de géopolitique et de prospective analytique (Cigpa). Il est l'auteur d'essais sur la réforme de l'islam..
     
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  • La Fabrique du crétin, clap de fin, par Jean-Paul Brighelli.

    Image d'illustration Unsplash

    Jean-Paul Brighelli partage avec nous l'introduction de son prochain livre

    Chers lecteurs, je profite de ces vacances pour écrire mon dernier livre sur l’état de l’Ecole, à paraître en janvier prochain. L’idée m’est venue de vous en soumettre les chapitres essentiels, afin de tenir compte de vos critiques et de vos suggestions. Aujourd’hui, l’introduction. Bonne lecture et n’hésitez pas à commenter, même avec férocité, cette analyse dernière, après 45 années passées dans un système éducatif désormais exsangue.

    4.jpgDepuis la sortie de la Fabrique du crétin, en 2005, j’ai participé à maints débats où revenait sans cesse la même question : « Pourquoi l’Éducation nationale a-t-elle autorisé les dérives successives qui ont amené à la présente apocalypse scolaire ? » Ce livre tente de répondre de façon cohérente à cette question.

    Frappés par un titre qui claquait fort, les lecteurs ont souvent oublié le sous-titre de l’essai : «  La mort programmée de l’Ecole ». Peut-être parce que le crime était si grand que l’on n’a pas voulu en étudier froidement les tenants et aboutissants, ni se demander à qui ou à quoi il profitait. Chacun a des enfants, des petits-enfants, dont il constate, année après année, le très faible niveau de connaissances. Chacun a entendu ces mêmes enfants répondre, à la question « Qu’as-tu appris en classe aujourd’hui ? », un « Rien » pas même étonné. Comme si aller à l’école était désormais une obligation déconnectée de toute obligation de résultats. Une nécessité formelle, imposée par la loi, mais vidée de toute substance.

    Question subsidiaire, souvent posée elle aussi : « À quel moment l’Ecole a-t-elle commencé à dysfonctionner ? » Les lecteurs ont une mémoire longue, qui leur permet de comparer l’enseignement qu’ils ont reçu, il y a parfois soixante ans, et celui que reçoivent aujourd’hui leurs gamins. Ils ont entendu les pédagogues proclamer doctement que « les situations ne sont pas comparables », et que « l’enseignement de masse actuel ne peut fonctionner selon les méthodes élitistes d’autrefois ». Oui — mais autrefois, les élèves quittant le CP savaient lire, écrire, et maîtrisaient les quatre opérations de base, alors que la division s’apprend aujourd’hui, avec une méthode complexe et aberrante, en CM1-CM2. Et qu’elle est rarement maîtrisée à l’entrée en Sixième. Pas plus d’ailleurs que la lecture et l’écriture.

    Disons tout de suite que l’on a voulu ce désastre, et qu’on l’a justifié a priori et a posteriori avec les meilleures intentions du monde. Non, l’Ecole de la République n’a pas du tout dysfonctionné : elle accomplit aujourd’hui de façon routinière ce pour quoi on l’a programmée dans les années 1960-1970.

    Parce que ce n’est pas la Gauche, chargée de tous les péchés pédagogiques, et qui les a assumés dès qu’elle a été au pouvoir, qui a voulu à l’origine cette Ecole déficiente. C’est la Droite, avec la bénédiction des autorités européennes.

    Pas n’importe quelle Droite. Disons la Droite giscardienne, qui s’est trouvée aux manettes, pour ce qui est de l’Ecole, dès les années 1960.

    De Gaulle ne s’intéressait guère à l’Éducation. Pour lui, ce qui se passait en classe était probablement dans le droit fil de ce qu’il avait connu enfant sur les bancs de l’École — privée ou publique. De la rigueur, de l’ambition, et une tolérance nulle aux écarts de conduite et d’apprentissage. On sait que la Troisième République s’était inspirée, pour définir son projet éducatif, de l’école mise en place en Prusse par Bismarck. C’est cette école, analysait Ferdinand Buisson, vrai maître d’œuvre des réformes de Jules Ferry, qui avait gagné la guerre de 1870. L’École française devait donc se métamorphoser, si elle voulait gagner la prochaine guerre — et elle l’a fait. La victoire de 14-18, avec ses souffrances inimaginables, la résistance des soldats, et leur abnégation, leur consentement au sacrifice, est sortie tout entière de l’École de Jules Ferry.

    Ce qui amène à penser que nos présents renoncements, la dégringolade à laquelle nous assistons stupéfaits, cette décivilisation où notre vieux monde passe peu à peu la main aux barbares, sortent eux aussi de l’École telle qu’elle s’est transformée depuis soixante ans. Et que la guerre de civilisations dans laquelle nous sommes aujourd’hui englués est d’ores et déjà perdue.

    Parce que le mal vient de loin. Nous avons pris l’habitude, modifiés en profondeur par les chaînes d’information en continue et le tac au tac de l’actualité et des réseaux sociaux, à ne plus penser en perspective, mais dans l’instant. Le renoncement à toute perspective chronologique, en Histoire, avait des motivations profondes — des motivations de marché. On attend de nous un réflexe de consommation immédiat qui défie toute analyse. Les jolies couleurs du produit fini (« la réussite de tous », clament les fossoyeurs de l’École) nous empêchent de voir qu’à l’intérieur de l’emballage, il n’y a rien.
    Et même moins que rien. Ce que l’on apprend à l’école, désormais, c’est l’extrême relativité de toute opinion et de tout savoir. « C’est votre avis, ce n’est pas le mien », clament des enfants qui ne savent orthographier correctement ni « c’est », ni « avis ». L’autorité du maître a été dissoute dans le chœur des opinions divergentes, l’atmosphère de débat perpétuel instaurée par des lois intelligemment perverses, et des réseaux sociaux où tout individu pourvu d’un clavier se pense tout-puissant.

    On ne m’entendra peut-être pas, mais je le dis d’emblée : l’École ne dysfonctionne pas. Au contraire. Elle fait ce pour quoi on l’a programmée : créer un vaste melting-pot, un bouillon d’inculture, où les élèves n’acquerront que de très faibles notions, peu sûres, entachées d’approximations, d’erreurs et d’a priori idéologiques. Une matrice dont tout l’effort vise à produire des consommateurs et des travailleurs instables, peu formés, et dotés d’un instinct critique d’huître, mais susceptibles d’accepter n’importe quelle tâche pourvu qu’elle leur permette de regarder la télévision le soir.

    L’« ubérisation » d’aujourd’hui a commencé dans les cervelles enfantines dès les années 1960. Elle s’est affermie après 1968, certes, mais faire porter aux événements de mai la responsabilité du délitement ultérieur est un prétexte commode pour ne pas scruter les vrais responsabilités.

    Le choc épistémologique final est intervenu en 1976, quand le duo Giscard / Haby (son ministre de l’Éducation) a décidé, de manière si rapprochée que les deux événements, concomitants, étaient forcément coordonnés, de deux mesures dont les effets combinés ont produit l’actuel désastre. À ceci près que pour ses concepteurs, ce n’est pas du tout un désastre, mais une brillante réussite.

    Ces deux mesures sont le collège unique (loi Haby du 11 juillet 1975) et le regroupement familial (29 avril 1976). Ce décret signé par Jacques Chirac, suspendu un temps par Raymond Barre (en novembre 1977) et finalement avalisé par le Conseil d’Etat le 8 décembre 1978, est la cause première des mutations imposées à l’École quelques mois auparavant. Il était bien sûr dans les tiroirs du gouvernement lorsque la loi Haby est votée. La combinaison de ces deux événements majeurs de notre Histoire récente a produit, par effet de ricochet, les effets secondaires dont le cumul est l’actuel désastre éducatif — ou, si l’on regarde le résultat sous le point de vue de ceux qui l’ont initié, sa totale réussite.

    Ce livre retrace les étapes du processus de déstructuration de l’Ecole, pierre de touche de notre présente débâcle. Nos présents renoncements, notre laïcité à géométrie variable, l’Histoire réécrite, la tolérance à l’intolérance religieuse, notre faiblesse face aux revendications de toutes origines, mais principalement religieuses, tout est relié à cette programmation initiale : on a voulu démanteler l’École, parce qu’elle était l’Ancien Monde, et que la modernité (un mot brandi comme une référence par les politiciens et les pédagogues, alors qu’il est synonyme de catastrophe) ne voulait surtout pas de citoyens pensants, informés, critiques et cultivés. Ce que nous appelons culture désormais est une macédoine d’idées toutes faites, de poncifs écœurants, d’affirmations hautaines et péremptoires, et de distance critique nulle. Notre obéissance actuelle à des diktats hygiénistes d’une rationalité suspecte, notre soumission à des décisions qui, si elles avaient été prises par d’autres, auraient mis des millions de personnes dans la rue, sortent de l’école de conformisme qu’est devenue le système éducatif français.

    Il faut comprendre quelle chaîne de décisions, chacune se greffant sur la précédente et l’amplifiant, a créé cette spirale descendante qui a entraîné l’Ecole dans les abysses. Une décision en soi n’est rien — on peut la révoquer à tut moment. Mais une série de décisions, dont chacune amplifie la précédente, crée un système dont il est bientôt impossible de se déprendre.

    C’est cet enchaînement fatal que j’entends ici décrire. Les décadences ne viennent pas par hasard.

    Quant à la perspective de se secouer de cette suie idéologique, elle s’éloigne chaque jour. Tout le malheur de Cassandre, on le sait, est qu’elle dit la vérité, mais que personne ne la croit. Ainsi meurent les civilisations — celle de Troie comme la nôtre.

     

    Normalien et agrégé de lettres, Jean-Paul Brighelli a parcouru l'essentiel du paysage éducatif français, du collège à l'université. Il anime le blog "Bonnet d'âne" hébergé par Causeur.
     
  • 17 octobre 1961 : un « massacre » imaginaire, par Bernard Lugan.

    Le 17 octobre prochain, comme chaque année, les autorités françaises, les islamo-gauchistes et le « Système » algérien vont commémorer un massacre qui n’a pas eu lieu…

    Sur ce blog, ayant périodiquement à la même date déconstruit l’histoire officielle de ce prétendu « massacre », je me contenterai de renvoyer au chapitre IX intitulé « 17 octobre 1961, un massacre imaginaire » de mon livre « Algérie l’Histoire à l’endroit » en ajoutant ici quelques éléments essentiels à la compréhension du montage culpabilisateur qui nous est imposé :

    bernard lugan.jpg1) La guerre d'indépendance algérienne se déroula également en métropole. Pour la période du 1er janvier 1956 au 23 janvier 1962, 10 223 attentats y furent ainsi commis par le FLN. Pour le seul département de la Seine, entre le 1er janvier 1956 et le 31 décembre 1962, 1433 Algériens opposés au FLN furent tués et 1726 autres blessés. Au total, de janvier 1955 au 1er juillet 1962, en Métropole, le FLN assassina 6000 Algériens et en blessa 9000 autres.

     

    2) Face à ces actes de terrorisme visant à prendre le contrôle de la population algérienne vivant en France, le 5 octobre 1961, un couvre-feu fut imposé à cette dernière afin de gêner les communications des réseaux du FLN et l’acheminement des armes vers les dépôts clandestins.

     

    3) En réaction, le 17 octobre 1961, le FLN décida de manifester afin de montrer sa force, et pour tenter d’achever sa prise de contrôle des Algériens vivant en métropole.

     

    4) Assaillis de toutes parts, les 1658 hommes des forces de l’ordre rassemblés en urgence, et non les 7000 comme cela est trop souvent écrit, sont, sous la plume de militants auto-baptisés « historiens », accusés d’avoir massacré des centaines de manifestants, d’en avoir jeté des dizaines à la Seine et d’en avoir blessé 2300.

     

    Or, cette version des évènements du 17 octobre 1961 à Paris relève de la légende et de la propagande. Tout repose en effet sur des chiffres inventés ou manipulés à l’époque par le FLN algérien et par ses alliés communistes. Jouant sur les dates, additionnant les morts antérieurs et postérieurs au 17 octobre, pour eux, tout Nord-Africain mort de mort violente durant le mois d’octobre 1961, est une victime de la « répression policière »… Même les morts par accident de la circulation comme nous le verrons plus loin !!!

     

    Cette manipulation fut réduite à néant en 1998, quand le Premier ministre de l’époque, le socialiste Lionel Jospin, constitua une commission d’enquête. Présidée par le conseiller d’Etat Dieudonné Mandelkern, elle fut chargée de faire la lumière sur ce qui s’était réellement passé le 17 octobre 1961 à Paris. Fondé sur l’ouverture d’archives jusque-là fermées, le rapport remis par cette commission fit litière de la légende du prétendu « massacre » du 17 octobre 1961[1].

     

    Le paragraphe 2.3.5 du Rapport intitulé Les victimes des manifestations est particulièrement éloquent car il parle de sept morts, tout en précisant qu’il n’y eut qu’un mort dans le périmètre de la manifestation, les six autres victimes n’ayant aucun lien avec cet évènement, ou ayant perdu la vie postérieurement à la dite manifestation dans des circonstances parfaitement détaillées dans le rapport.

     

    Quel est donc l’état des connaissances aujourd’hui ?

     

    - Le 17 octobre 1961 à Paris, il n’y eut qu’une seule victime dans le périmètre de la manifestation… et ce ne fut pas un Algérien, mais un Français nommé Guy Chevallier, tué vers 21h devant le cinéma REX, crâne fracassé. Par qui ? L’enquête semble attribuer cette mort à des coups de crosse de mousqueton.

     

    - Le 17 octobre 1961, alors que se déroulait dans Paris un soi-disant « massacre » faisant des dizaines, voire des centaines de morts algériens, ni les hôpitaux parisiens, ni l’Institut Médico-Légal (la Morgue), n’enregistrèrent l’entrée de corps de « NA » (Nord-Africain dans la terminologie de l’époque). Ce qui ne veut naturellement pas dire qu’il n’y eut pas de blessés, mais mon analyse ne porte que sur les morts.

     

    - A Puteaux, donc loin du périmètre de la manifestation, deux morts furent néanmoins relevés, or ils étaient étrangers à la manifestation. L’un d’entre eux deux, Abdelkader Déroues avait été tué par balle, quand le second, Lamara Achenoune, avait quant à lui été achevé par balle après avoir été étranglé.

     

    - Le 18 octobre, à 04 heures du matin, le bilan qui parvint à Maurice Legay le directeur général de la police parisienne était donc de 3 morts, pour rappel, Guy Chevallier, Abdelkader Déroues et Lamara Achenoune. Nous sommes donc loin des dizaines ou des centaines de morts et de « noyés » auxquels la bien-pensance française rend annuellement hommage !!!

     

    Conclusion : le seul mort algérien de la manifestation est donc un Français métropolitain…

     

    Certes, postulent les accusateurs de la France, mais les cadavres des Algériens « massacrés » par la police furent reçus à l’IML, l’Institut Médico-Légal de Paris (la Morgue), les jours suivants.

     

    Cette affirmation est également fausse. En effet, l’Annexe III du « Rapport Mandelkern » donne un décompte détaillé des 41 cadavres de Nord-Africains entrés à l’IML de Paris du 19 octobre au 4 novembre. Pour mémoire, le 17 octobre il n’y eut aucune entrée, et 2 le 18 octobre.

    Sur ce nombre de 41 morts, 25, soit 13 corps identifiés et 12 corps non identifiés sont mentionnés sous la rubrique « Dossiers pour lesquels les informations disponibles sur la date de la mort ou ses circonstances ne permettent pas d’exclure tout rapport avec les manifestations des 17-20 octobre ». Ceci fait que les 16 autres morts n’ont rien à voir avec la manifestation du 17 octobre.

     

    En ce qui concerne les 25 morts restants, notons immédiatement que le sous-titre de l’Annexe III est singulier car la manifestation dont il est question eut lieu le 17 octobre et non les 19 et 20 octobre. De plus, ce titre est trompeur car il laisse sous-entendre que ces 25 décès auraient donc pu être causés par la police française, chiffre d’ailleurs régulièrement et péremptoirement transformé en morts avérés par certains auteurs ou journalistes. Or :

     

    1) Si ces derniers avaient pris la peine de lire le document en question dans son originalité et son intégralité, et non à travers ses recensions, ils auraient vu qu’en face de chaque corps est porté un numéro de dossier de la police judiciaire suivi de la précision suivante : « Indications relevées dans le dossier d’enquête de la police judiciaire ».

     

    2) Or, grâce à ces « Indications relevées dans le dossier d’enquête de la police judiciaire », il apparait clairement que 17 de ces 25 défunts ont été tués par le FLN, la strangulation-égorgement, l’emploi d’armes blanches etc., n’étant pas d’usage dans la police française… D’autant plus que parmi ces 17 morts, quatre furent assassinés le 19 octobre, soit deux jours après le 17 octobre, à savoir un commerçant qui avait refusé de suivre la grève du 19 octobre décrétée par le FLN et deux autres ligotés et noyés par ce même FLN…

     

    3) Cela interroge donc sur le placement de ces morts dans la rubrique « Dossiers pour lesquels les informations disponibles sur la date de la mort ou ses circonstances ne permettent pas d’exclure tout rapport avec les manifestations des 17-20 octobre ».

     

    Voyons le détail de cette liste : 

     

    Corps Identifiés :

     

    - 6 furent tués par le FLN (strangulation, arme blanche, arme à feu)

    - 2 décès sur la voie publique (troubles mentaux et alcoolisme)

    - 1 décès par crise cardiaque le 21 octobre

    - 1 décès par accident de la circulation

    - 1 mort à l’hôpital Boucicaut des blessures reçues le 17 octobre.

    - 2 morts dont les causes ne sont pas élucidées.

     

    Corps non identifiés

     

    - 7 tués par le FLN (1 arme blanche, 2 noyades, 1 noyade nu, 2 armes à feu, 1 strangulation)

    - 1 mort de blessures à la tête. Blessures reçues le 17 octobre ? Nous l’ignorons.

    - 1 mort des suites de blessures reçues Place Saint-Michel

    - 3 morts dont les causes ne sont pas élucidées.

     

    Conclusion, sur 25 morts « pour lesquels les informations disponibles sur la date de la mort ou ses circonstances ne permettent pas d’exclure tout rapport avec les manifestations des 17-20 octobre », la Morgue n’en a reçu que deux décédés très probablement des suites de blessures reçues le 17 octobre. Une interrogation demeure pour l’un d’entre eux, mais sans aucune certitude.

    Soit 2 ou 3 morts des suites de leurs blessures, aucun n’ayant perdu la vie durant la manifestation[2] laquelle n’a donc comme il a été dit plus haut, connu qu’un seul mort, le Français Guy Chevallier.

     

    Nous voilà donc très loin des 50, 100, 200 ou même 300 morts « victimes de la répression » avancés par certains, et pour lesquels François Hollande a reconnu la responsabilité de la France !!!

     

    Mais, plus encore :

     

    1) Le « Graphique des entrées de corps « N.A » (Nord-africains) par jour. Octobre 1961 », nous apprend que du 1er au 30 octobre 1961, 90 cadavres de « NA », furent reçus à l’Institut Médico-Légal. Or, selon les enquêtes judiciaires, chaque décès étant suivi d’une enquête, la plupart de ces morts étaient des musulmans pro-Français assassinés par le FLN !!!

     

    2) Pour toute l’année 1961, 308 cadavres de « N.A » entrèrent à l’IML, dont plusieurs dizaines de noyés. Or, toujours après enquête, il fut établi que la quasi-totalité de ces morts étaient des victimes du FLN (Harkis, partisans de la France, individus ayant refusé d’acquitter « l’impôt de guerre », membres du MNA etc.). Or, une des méthodes d’assassinat du FLN était l’étranglement ou l’égorgement suivi de la noyade…

     

    Pour les historiens de métier, les prétendus « massacres » du 17 octobre 1961 constituent donc un exemple extrême de manipulation de l’histoire.

    Quand la liberté de penser sera rétablie dans cette Corée du Nord mentale qu’est devenue la pauvre université française, ils feront l’objet de thèses car ils seront alors étudiés comme un cas d’école de fabrication d’un mythe. Comme Katyn, comme les « charniers » de Timosoara en Roumanie, comme les « couveuses » au Koweit ou encore comme les « armes de destruction massive » en Irak.

     

    Mais, dans l’immédiat, sourds, aveugles ou simples agents d’influence, les butors continueront à ânonner la légende culpabilisatrice du « 17 octobre 1961 ». D’autant plus que, dans l’actuel contexte de tension franco-algérienne, Alger va faire donner ses affidés qui seront complaisamment relayés par ses habituels supplétifs de presse. 

     

  • Société • « Conspirationnisme » macronien

    Par Luc Compain

    Si LREM dénonce le conspirationnisme de ses adversaires, ses chefs aiment jouer avec l’idée du double complot intérieur et extérieur. Conspirationnistes eux-mêmes, les peu vraisemblables puissances de l’ombre qu’ils évoquent sont en fait autant de prudentes explications préventives de leurs échecs. 

    show.png« 40% des Gilets jaunes sont très complotistes », s’inquiète Le Point, qui veut nous convaincre que les Français adhèrent massivement aux théories du complot, « ce conspirationnisme étant nettement plus fort [chez les opposants au Président] que dans le reste de la population ». Ce chiffre « alarmant », « glaçant », relayé par toute la presse, est tiré d’un sondage Ifop pour la Fondation Jean Jaurès et Conspiracy Watch qui ne doit pas être pris au sérieux¹ : entre autres défauts, ce sondage ne se préoccupe pas de toutes les théories du complot existantes² mais uniquement de celles qui sont a priori populaires – et donc plus susceptibles de toucher un public moins élevé socialement, et de définir le profil type du complotiste comme « un jeune pauvre peu diplômé » d’extrême-droite ou d’extrême-gauche qui s’informe sur les réseaux sociaux.

    Pour autant, il existe un conspirationnisme chic, politiquement admis et socialement recommandé, qui sévit jusqu’au sommet même de l’État. Cela peut paraître surprenant, dans la mesure où les « théories du complot » sont généralement construites en opposition aux « thèses officielles » – et qui pourrait être davantage officiel que le président de la République ? Ensuite parce que selon une répartition des tâches bien établie le conspirationnisme est le privilège des « gens qui sont faibles, ou fragiles, ou en colère », selon la formule d’Emmanuel Macron, les élites étant par définition responsables, rationnelles et raisonnables, en bref dépositaires d’une pensée complexe. Le conspirationnisme est supposé chose trop vile pour les contaminer. Leur anti-complotisme plaiderait d’ailleurs en leur faveur, bien que l’on s’aperçoive qu’il est avant tout utilisé comme un moyen pour disqualifier un adversaire ou une opinion concurrente.

    Cependant, dès que l’on a à l’esprit que le conspirationnisme est moins une idée ou un thème qu’une manière de déchiffrer le monde, on s’ouvre à la possibilité que les élites puissent partager la mentalité conspirationniste, en lui donnant une coloration particulière. En effet, le conspirationnisme met en scène un groupe agissant dans l’ombre en vue de réaliser un projet de domination. Le conspirationniste a la conviction que la marche du monde est contrôlable et que tous les événements fâcheux, sans lien apparent, ont une cause unique cachée, se rapportent à un projet maléfique et s’expliquent par lui. Un bouc émissaire incarne ce mal et est désigné responsable des événements négatifs.

    Le complot russe

    Russia-Today-Tele-Poutine-sous-haute-surveillance.jpgAvant même l’élection présidentielle, le candidat Macron et son équipe de campagne avaient désigné leur bouc émissaire. Le 14 février 2017, Richard Ferrand, alors secrétaire général d’En Marche !, publiait dans Le Monde une tribune intitulée « Ne laissons pas la Russie déstabiliser la présidentielle en France ! » En cause, les cyberattaques contre son mouvement en provenance… d’Ukraine – « comme par hasard cela vient des frontières russes » : outre qu’une pareille déclaration revient à juger la Russie responsable des agissements ayant lieu dans les quatorze pays qui lui sont voisins, on soulignera le faussement ironique « comme par hasard » qui traduit la connaissance du complot -, les déclarations de Julian Assange à propos d’informations qu’il disposerait sur Macron et, enfin, la « volonté d’influencer l’élection » prêtée à Russia Today et à Sputnik, c’est-à-dire leur refus de participer au concert de louanges médiatique.

    L’affaire Benalla est une nouvelle occasion pour la Macronie d’agiter le spectre de l’influence russe. L’écho considérable que le scandale rencontre sur Twitter (4,5 millions de tweets en français postés par plus de 270 000 utilisateurs différents) laisse apparaître que 1 % des comptes a publié 47 % du contenu. Qu’une ONG belge, DisinfoLab, émette l’hypothèse de comptes pro-Mélenchon, pro-RN ou russophiles (et non russes, ce qui sous-entend que partager des articles de RT ou de Sputnik revient à travailler pour la Russie), il n’en fallait pas davantage pour que la majorité se mette à dénoncer une manipulation russe. Que DisinfoLab ait finalement conclu à l’absence de preuve d’une tentative d’ingérence organisée, que l’influence des robots ait été infinitésimale ou que des spécialistes en communication politique en ligne aient estimé qu’il n’y avait pas lieu d’y voir la main des Russes, aura en revanche laissé indifférents les macronistes.

    3113bc8_13178-1rvuta3.aaci5asjor.pngLorsqu’en décembre 2018 le JDD demande : « La Russie est-elle derrière de faux comptes qui attisent la contestation sur les réseaux sociaux ? », il ne fait que mettre un point d’interrogation là où Macron n’a aucune incertitude : « Dans l’affaire Benalla comme [dans celle des] Gilets jaunes, la fachosphère, la gauchosphère, la russosphère représentent 90 % des mouvements sur Internet », ce qui prouve que « ce mouvement est fabriqué par des groupes qui manipulent » (Le Point, 1/02/2019). Les Gilets jaunes sont « conseillés » par l’étranger, ça saute aux yeux : « Regardez, à partir de décembre, les mouvements sur Internet, ce n’est plus BFM qui est en tête, c’est Russia Today ».

    Le complot russe comme clef d’explication universelle des difficultés rencontrées par Macron peut prêter à sourire. Télérama ne s’en prive pas : à propos d’un échange âpre entre Macron et les élus d’outre-Mer portant sur un insecticide, dans le cadre du grand débat national, l’hebdomadaire ironise sur « cette histoire de chlordécone, […] complot de la russosphère antillaise pour déstabiliser notre Président ». Il faut toutefois noter que cette obsession d’une influence russe maléfique connaît une bienheureuse exception : alors que, selon Médiapart, Alexandre Benalla a été, depuis l’Élysée, l’architecte de contrats avec deux oligarques russes, dont Iskander Makhmudov, réputé proche de Poutine et soupçonné de liens mafieux, l’ouverture par le parquet national financier d’une enquête pour corruption n’a pas eu l’heur de déclencher une réaction de Jupiter et de sa galaxie, sinon celle, railleuse, de Christophe Castaner, évoquant une « affaire de cornecul ».

    La prolifération des complots

    images.jpgPour nos élites, il n’existe pas seulement des complots de l’étranger, il y a aussi des complots intérieurs, bien que la frontière qui les sépare soit purement formelle. Depuis peu, les Russes doivent partager le rôle de bouc émissaire avec les fameux extrêmes qui se rejoignent. Macron a ainsi estimé que Christophe Dettinger « a été briefé par un avocat d’extrême-gauche. Ça se voit ! Le type, il n’a pas les mots d’un Gitan. Il n’a pas les mots d’un boxeur gitan ». Plus encore, l’extrême-droite est désignée coupable d’un commun accord entre les responsables de LREM et ceux de la gauche institutionnelle, ce qu’illustre parfaitement le communiqué de la CGT s’inquiétant des « ressorts obscurs d’une colère » pour laquelle l’extrême-droite serait à la manœuvre. Quoi qu’il en soit, les extrêmes ont partie liée avec des « puissances étrangères », notamment les responsables italiens, selon Marlène Schiappa qui prétend, au micro de France Inter (9/01/2019), qu’ils ont peut-être « financé les casseurs ». Sur quels éléments s’appuie-t-elle ? Nous ne le saurons pas. Et l’Italie de rejoindre l’axe du Mal.

    La présidence, en déficit de confiance, a également trouvé un bouc émissaire idéal à la crise des Gilets jaunes en dénonçant l’omnipotence de la technocratie (Le Figaro, 14/01/2019) : tout est de la faute de « Bercy », mystérieux Léviathan qui empêche les Français de connaître le bonheur. Les conseillers de l’Élysée ont ainsi mis en cause « l’inspecteur des finances sortant de l’ENA qui décide de tout, alors qu’il n’a jamais mis un pied sur le terrain », symbole d’« une fonction publique toute-puissante ». Il serait vain de croire que les complots ne visent que la France. Macron en est conscient et, à la dénonciation du complot étranger, il substitue le temps d’un instant celle du complot à l’étranger, affirmant que le référendum britannique sur la sortie de l’Union européenne avait été « manipulé » et qu’on avait « menti aux gens » (Le Parisien, 15/01/2019). L’accusation est grave. On ne saura malheureusement pas qui elle visait ni sur quoi elle se fondait, les « Décodeurs » du Monde ayant oublié d’enquêter.

    Finalement, ce conspirationnisme élitaire peut être l’expression d’un machiavélisme, la Macronie surfant sur l’idée que les Français seraient complotistes pour rappeler à l’ordre les journalistes : « Ce mouvement [les Gilets jaunes] est fabriqué par des groupes qui manipulent, et deux jours après, ça devient un sujet dans la presse quotidienne nationale et dans les hebdos ». Pour parer à ces manipulations, les médias doivent « hiérarchiser ce qui, dans l’info, est accessoire et ce qui est important ». À charge pour Benjamin Griveaux de le déterminer. La manipulation n’est d’ailleurs pas à sens unique puisque, le 8 février, le porte-parole du gouvernement a accusé les médias d’alimenter les croyances complotistes dans l’opinion, au sujet de l’affaire Benalla et de la question de l’indépendance de la justice.

    1156973.jpgLa dénonciation d’un complot fictif est aussi la réaction des vaincus de l’histoire. L’insatisfaction éprouvée à l’égard de l’évolution du monde – en l’occurrence, l’opposition croissante des peuples au mondialisme – est un carburant du conspirationnisme. Les éventuelles défaillances de la société ou les échecs répétés des politiques gouvernementales ne peuvent en être la cause, seule une influence maligne peut l’expliquer. À cet égard, l’histoire de la taxe carbone est exemplaire : deux mois après son abrogation par le Premier ministre et alors même qu’elle est à l’origine de la mobilisation des Gilets jaunes à laquelle il n’a toujours pas été mis un terme, le ministre François de Rugy et les secrétaires d’État Brune Poirson et Emmanuelle Wargon militent ouvertement pour son retour (Le Figaro, 12/02/2019). C’est une mesure excellente, et si elle a suscité des oppositions, qui ont été « entendues », c’est par manque de « pédagogie », dont ont profité des manipulateurs. En effet, il est impensable que les Français s’opposent à la taxe carbone, imaginée par ceux-qui-savent. Outre qu’elle permet de ne pas avoir à réévaluer ses présupposés en prenant en compte le réel, l’explication conspirationniste offre l’avantage de donner du sens à l’événement, et donc de consoler, de justifier sa position malheureuse de victime subissant les événements, ne parvenant pas à faire preuve d’initiative – il n’est plus question de maître des horloges –, incapable d’être force de transformation. En somme, le conspirationnisme macronien serait un symptôme d’impuissance politique, aveu élégamment maquillé.   

    1. Nous renvoyons à la critique d’Olivier Berruyer, « Analyse du Sondage “Êtes-vous un con ?” de Conspiracy Watch », publiée sur le blog Les Crises.
    2. Il est question de Big Pharma, de l’implication américaine dans les attentats du 11 septembre 2001 ou du complot sioniste mondial, et non de Trump comme agent russe, de l’équipement télécoms Huawei comme espion chinois ou de l’obsolescence programmée.
    Luc Compain
    pour Politique magazine
  • L’Action Francaise est-elle encore utile ? Interview de Francis Venciton, par Marie Liesse Chevalier.

    Francis Venciton est le secrétaire général adjoint de l’Action française (AF) . A 29 ans , ce philosophe et journaliste aide à la vie du mouvement royaliste en soutenant les sections locales  et en organisant le camp d’été qui a lieu à Roanne du 22 au 29 août.  Il est militant depuis 6 ans . 

    3.jpgL’EL : Qu’est ce que l’Action française et pourquoi t’es tu engagé dans ce mouvement précisément ? 

    L’Action Française est le plus vieux courant royaliste, mais c’est aussi une école de formation et un laboratoire des idées maurrassiennes . Trois grandes figures de pensée guident cette école : Maurras , Bainville et Daudet . Ils sont surnommés la trinité d’AF.  Cependant, le royalisme d’Af, quelquefois qualifié de néo-royalisme, s’appuie sur une conception spécifique de la monarchie qui doit répondre au quadrilatère maurrassien.

     

    Quatre principes nous tiennent à cœur pour définir la monarchie que nous souhaitons: l’hérédité, la tradition , la décentralisation et l’antiparlementarisme .

     

    L’hérédité car elle permet d’éviter les guerres en permettant une continuité du pouvoir politique et donc une certaine stabilité. La tradition répond à ce même enjeux à condition de bien comprendre que toute tradition est critique. Un roi traditionnel est un roi qui s’appuie sur ce qu’il sait fonctionner, il est expérimentateur et non pas un roi incapable de changer la moindre chose. La décentralisation et l’antiparlementarisme correspondent à la remise en place de l’ordre politique, car nous désirons que les gens se sentent concernés et soient écoutés sur des sujets politiques légitimes. C’est d’ailleurs l’un des reproches que nous faisons à la république qui , sous couvert d’égalité , appelle le peuple à voter aux élections mais ne va pas leur demander leur avis pour construire un rond-point inutile qui va coûter 1 million d’euros aux contribuables locaux. C’est d’ailleurs une vraie question que d’essayer de comprendre l’obsession des élus français pour la construction des ronds-points ? Est-ce par habitude de nous faire tourner en rond ou une prescience géniale des Gilets Jaunes ? Allez savoir…  

    Quant à mon engagement au sein de l’AF ,ça a commencé un peu par hasard. J’ai commencé en politique en étant  élu au conseil étudiant de la vie universitaire (CEVU) à Paris IV Sorbonne au sein du syndicat étudiant AGEPS qui était pudiquement de centre gauche… J’étais déjà royaliste avec, à l’époque, une certaine fougue anarchiste qui pourrait paraître coupable à certains Un de mes amis a été nommé chef de section à l’AF et m’a invité à venir découvrir l’Af que je ne connaissais que dans les livres. Une fois arrivé au mythique 10 Rue Croix des Petits Champs (NDLR : l’adresse du siège d’Af), il m’a immédiatement nommé son adjoint. J’étais surpris mais la camaraderie avant  tout, ! Six ans après , j’avoue que je ne regrette toujours pas !  

     

    L’EL : La camaraderie semble donc être également un principe moteur de votre mouvement. L’Action française n’est-elle pas en simplement un regroupement de jeunes en quête de mythe et de camaraderie ? 

    L’Action Française compte 3000 adhérents avec une majorité de jeunes certes, mais avec une part substantielle d’anciens et de grands anciens. Je ne suis plus moi-même vraiment un jeune.  Il y a une grande diversité dans chacun de ces profils , contrairement aux idées reçues. L’image que l’on se fait de l’Action française, soit un catholique nostalgique embourgeoisé cherchant un frisson militant, n’apparaît que dans des tribunes écrites par un chouineur qui prend Internet bien trop au sérieux. 

    Cependant, il est vrai que pour beaucoup de militants, le passage à l’AF constitue quelques années de jeunesse. Mais elles ne sont pas à négliger, car elles permettent tout de même d’acquérir une solide structure intellectuelle .

    En fait à l’Af , le principe c’est un peu celui du Mcdo “ Venez comme vous êtes » . Je préfère que nous soyons ouverts à tous et donc que nous essayions de faire grandir chaque jeune, quel que soit son passé et son histoire que de sélectionner drastiquement des profils précis pour intégrer notre mouvement. Nous défendons le pays réel, pas une coterie de privilégiés qui se donnent des claques sur l’épaule en buvant des bières. Nous acceptons les français dans leurs diversités. Ma plus grande fierté c’est quand je vois des types  un peu paumés qui arrivent en sapin de Noël avec des rangers et un bombers et qui , grâce à notre formation, sortent de la marginalité, développent des compétences et lisent des livres.

     

    “La jeunesse actuelle est désespérée nous dit-on dans les médias, et alors ? Je pense que leur proposer un idéal ne peut que les aider, même si l’idéal d’un roi semble un peu lointain .”

     

    L’important c’est que nous fassions du bien aux gens, que nous servions le bien commun (qui est d’ailleurs le nom du magazine d’AF).C’est un objectif qui peut paraître modeste pour une structure politique : nous ne promettons pas la fin du mâle blanc hétéro cisgenre ou la fin du mal, mais le bien commun est au cœur de notre action. Si nous ne servons pas les français, autant disparaître.

    Plus encore, l’intérêt de l’AF aujourd’hui c’est de perpétuer les idées royalistes en France , de proposer une solide école de formation ( même Médiapart le reconnaît !) et de mener des actions concrètes pour attirer l’attention du peuple Français sur certaines questions précises. La manière dont quelques chefs d’entreprises ont vendu Latécoère est un scandale et l’Action française a été en première ligne pour dénoncer cette honte.

     

    L’EL: Vous dites que l’idéal d’un roi semble lointain . Le retour du roi , vous y croyez?

    En URSS , le Parti Communiste était persuadé que ce régime durerait au moins un siècle . Il est tombé en 2 ans . La Chute des régimes est très rapide et l’histoire l’a prouvé de nombreuses fois, y compris lors de la Révolution française . Il n’est pas impossible que cela arrive de nouveau. L’histoire n’est pas un processus figé.

    Comment ? Où ? Quand ? On ne sait pas . Mais gardons à l’esprit que ce n’est pas inimaginable . 

     

    “Une étude récente prouve que 1⁄3 des Français sont favorables au retour d’un roi .” 

     

    Quant à savoir qui pourrait incarner ce roi , on fait une distinction entre un devoir de fidélité et notre envie personnelle . 

    Ce qui nous intéresse c’est le principe et la personne .“ Le Premier à Reims” dit un adage militant !  Tant que le projet du prétendant sert le Bien commun et donc l’intérêt du peuple , nous soutenons la personne . Le plus important c’est la réforme des institutions , même pas le retour du roi en soi Mettre un roi pour ne rien changer n’est pas une stratégie viable et ne répond pas à notre objectif de servir le bien commun. N’oublions pas que l’Action française est un mouvement Républicain à la base ! 

     

    L’EL: Justement , pouvez-vous expliquer brièvement les origines de l’Action française ? 

    En gros , tout part de la Ligue de la Patrie française qui a un succès immense et des membres prestigieux, sauf qu’ils sont incapables de proposer des mesures de réformes concrètes et se contentent de rassembler les avis mécontents . L’Action française se crée en réaction à cet échec pour proposer une amélioration des réformes en vue du bien commun . Parmi les premiers rédacteurs se trouve Maurras qui est le seul royaliste . Il va convaincre les autres que pour être des nationalistes cohérents, il se doivent d’être royalistes . Nait ainsi ce qu’on appelle le “ nationalisme intégral”. Ce dernier terme est d’ailleurs à comprendre dans le sens de complet. Si on a résolu de défendre le cercle de la nation comme le cercle politique le plus important,  . Il est synonyme d’amour et de défense de la nation en tant qu’entité politique et non pas d’un désir de guerre à tout crin contre tout le monde . 

    Nous avons choisi le terme de nation et non de terre des pères . Nous sommes attachés à la terre de nos ancêtres et désireux de perpétuer son héritage mais ne sommes pas fermés à ceux que de nouvelles personnes y soient accueillies si tant est qu’elles désirent servir le bien commun . 

     

    L’EL: Vous évoquez souvent cette notion du bien commun ; pouvez-vous nous la définir ?

    Le bien Commun est synonyme d’intérêt national .C’est le développement d’un engagement au service de la France . Par exemple , l’AF a fait partie de l’union sacrée sur le principe de  “la France d’abord ». Ramener le roi sur le trône c’est l’objectif ultime. Mais pour ce faire , nous ne sommes pas prêts à tous les sacrifices , c’est pourquoi on appelle nos militants à voter pour participer à la vie du pays et donc au bien commun . La défense de la monarchie n’est pas une excuse pour se désencombrer de l’engagement politique dans ce qu’il a de plus noble (et donc qui ne se limite pas aux élections).

     

    L’EL: Quel est le rapport de votre mouvement avec la religion catholique ? 

    Le royalisme en tant que tel n’est pas forcément catholique, prenons l’exemple du Laos ou du Maroc. Cependant la France à une tradition catholique indéniable , en témoignent les nombreuses églises et les noms des rues . Le roi doit donc avoir le respect de la religion catholique , ce qui est un gage de stabilité et de tradition . Qu’il soit catholique et plus encore bon catholique, c’est même mieux encore. Mais on ne doit pas oublier que beaucoup de rois ont été excommuniés et que l’Église a parfois eu des prêtres qui outrepassaient leur fonction. Nous ne voulons pas que les curés fassent de la politique . Le royalisme d’AF n’a pas pour but de remettre le catholicisme au centre de la société : que nos évêques s’en chargent, nous nous occuperons du reste. 

    Plus fondamentalement, nous avons des militants catholiques , musulmans, juifs, voire zoroastriens … Cela ne pose pas de problème. Nous sommes un mouvement aconfessionnel.

     

    L’EL: Pour conclure , quels sont vos modèles , personnellement ? 

    Tout d’abord, je citerai Jehanne d’Arc en tant que modèle et mystère. Pourquoi Dieu a-t-il envoyé une Sainte pour sauver la France ?  Voilà qui dépasse l’entendement. Plus encore, quand on lit Jehanne, l’on s’aperçoit rapidement qu’elle est le feu et la jeunesse. Elle pique et frappe.  

    Ensuite,  Rodolphe Crevelle, fondateur de l’anarcho-royalisme en France , pour son militantisme durable et ses qualités propres . J’ai accompagné cet homme qui est devenu pour moi un mentor

     Enfin je dirai Babar en tant que modèle d’un souverain modéré au service du bien commun qui assume un nationalisme de paix. Babar, sous des airs enfantins, c’est une vraie philosophie politique. 

    Source : https://letudiantlibre.fr/

  • El-Azhar, Vatican de l’islam ?, par Annie Laurent

    Annie_Laurent.jpgLe 4 février 2019, le pape François et le grand imam Ahmed El-Tayeb, recteur de la Mosquée-Université d’El-Azhar, située au Caire, se sont retrouvés à Abou Dhabi, capitale des Émirats Arabes Unis, pour signer ensemble un document à portée universelle intitulé La fraternité humaine pour la paix mondiale et la coexistence commune. Cet événement a pu donner l’impression d’une équivalence entre le Vatican et El-Azhar comme autorités suprêmes respectives du catholicisme et de l’islam sunnite.

    Or, tel n’est pas le cas. Cela résulte de différences sur des aspects fondamentaux : origine des deux institutions, primauté dans l’autorité pour l’interprétation des textes sacrés, l’enseignement et le gouvernement des fidèles.

    Mais, avant d’examiner la fonction exacte d’El-Azhar, il a semblé utile à Annie Laurent de présenter dans cette Petite Feuille Verte (n° 79) la manière dont l’islam – présenté ici dans sa vision sunnite - conçoit la légitimité d’une autorité religieuse. La PFV suivante traitera de son rôle dans l’islam contemporain.

    El-Azhar, Vatican de l’islam ?

    Une tendance fréquente en Europe consiste à appliquer à l’islam les principes qui régissent le christianisme. Cela se vérifie non seulement pour la doctrine mais aussi pour l’organisation de la religion. Le regard porté sur l’Université-Mosquée d’El-Azhar, située au Caire, en est une illustration particulièrement éloquente. Cette institution n’est-elle pas perçue par bien des Européens, chrétiens ou pas, comme l’équivalent du Vatican ?

    Il convient donc de clarifier ce qui apparaît comme une réelle confusion. Pour bien situer la question, nous commençons par une vue d’ensemble concernant la manière dont l’islam définit l’autorité magistérielle. Nous nous limitons ici à la version sunnite, en raison de sa primauté numérique au sein de l’Oumma (la communauté mondiale des musulmans), car c’est d’elle que relève El-Azhar. Le statut de cette dernière et son rôle dans le monde musulman d’aujourd’hui feront l’objet de la prochaine PFV.

     

    LE CALIFE, LIEUTENANT D’ALLAH ?

    L’histoire officielle de l’islam retient l’institution du califat comme organe chargé de gouverner l’Oumma. Toutefois, selon la tradition, de son vivant Mahomet n’a désigné aucun successeur et n’a créé aucune institution destinée à assurer la pérennité de sa mission, à veiller à l’élaboration du dogme de l’islam et à la fidélité aux enseignements du Coran. Ce dernier, bien qu’étant considéré comme émanant directement d’Allah, ne donne aucune indication à ce sujet, même si tout musulman est appelé à être khalifât Allah (« lieutenant de Dieu »).

    Allah a promis à ceux d’entre vous qui croient et qui accomplissent des œuvres bonnes d’en faire ses lieutenants sur la terre, comme il le fit pour ceux qui vécurent avant eux. Il leur a promis aussi d’établir fermement leur religion qu’il lui a plu de leur donner et de changer, ensuite, leur inquiétude en sécurité (24, 55).

    L’expérience califale

    Ce sont les quatre premiers successeurs de Mahomet, choisis parmi ses parents et/ou compagnons (Abou Bakr, Omar, Othman et Ali), qui, de 632 à 661, auraient posé à Médine les fondements d’un pouvoir politico-religieux appelé califat, raison pour laquelle ils furent par la suite appelés les « califes bien guidés » (ou « dirigés »).

    Ce fut une période troublée, ponctuée de trahisons et de violences, épisodes dont la réalité est assumée par la tradition islamique sous l’appellation « Grande Discorde » (Fitna el-Kubra) et sur lesquels l’universitaire tunisienne Hela Ouardi apporte des éléments historiques nouveaux et aggravants. Cf. Les derniers jours de Muhammad ; Les Califes maudits, t. 1 et 2 (Albin Michel, 2016 et 2019).

    Historiquement, on ne peut en fait pas vraiment parler de califat avant 685, date de l’avènement d’Abd el-Malik, issu du clan omeyyade. Il est le premier dont on ait la preuve réelle qu’il a porté le titre de calife d’Allah, comme en témoignent ses monnaies.

    Drachme frappée par Abd el-Malik vers 694-95 ; il figure, la main sur l’épée, avec la mention en arabe khalifat allah (calife de Dieu) et amir el-muminin (commandeur des croyants)

    Les divisions et rivalités n’ont jamais cessé au cours de l’histoire. « La plus grande source de discorde au sein de l’Oumma est le califat. Jamais principe religieux n’a fait couler autant de sang en islam », remarquait au Xème siècle à Bagdad le juriste Abou el-Hassan el-Achari. Le politologue Nabil Mouline, chercheur au CNRS, a choisi cette citation pour introduire son livre Le Califat, histoire politique de l’islam (Flammarion, 2016), dans lequel il retrace ces péripéties qui ont engendré l’éclatement de l’Oumma en confessions antagonistes, le sunnisme et le(s) chiisme(s), auxquelles s’ajoutent les dissidences surgies au sein de ce dernier (kharijisme, alaouitisme, druzisme).

    Suite à la période initiale, au fil des siècles, le siège califal a été occupé par des dynasties de diverses obédiences, le plus souvent sunnites (Omeyyade à Damas, Abbasside à Bagdad). A partir de 945, une dynastie chiite, les Fatimides, a dominé le califat au Caire jusqu’en 1055. Celui-ci est revenu au sunnisme avec la victoire de Saladin (1171), puis celle des Mamelouks égyptiens (1261). Il y eut parfois des titulaires concurrents (Bagdad, Cordoue, Le Caire). Enfin, les Turcs ottomans, après avoir conquis l’Égypte (1517), installèrent le califat à Istamboul où il restera jusqu’en 1924, date de son abolition par Atatürk, fondateur de la république turque. Plusieurs souverains (El-Hussein ibn Ali, émir de La Mecque, et Fouad 1er, roi d’Égypte) ont alors essayé de s’emparer de l’institution califale pour leur propre compte, mais sans succès. Cf. la frise chronologique ci-dessous.

    Malgré ces échecs, une grande partie des musulmans sunnites se sentent comme orphelins du califat. Parmi eux, les islamistes actuels portent sur lui un regard idéalisé, voire mythifié dans sa supposée perfection originelle. Cela explique le succès de l’éphémère pseudo-califat établi en Irak et en Syrie en 2014 sous le nom d’Etat islamique (Daech) jusqu’à sa chute en 2019.

    « Restaurer le califat bien dirigé demeure un rêve qui taraude les esprits de nombreux intellectuels et militants jusqu’à nos jours. La plupart des écrits religieux et littéraires – et maintenant les séries, les émissions, les documentaires et les films – continuent à affirmer que le califat bien dirigé est le meilleur des régimes bien qu’il n’ait jamais existé en réalité » (Mouline, op. cit., p. 145).

     

    Mission et attributions du calife

    Le calife est « le représentant et le délégué d’Allah » ; il est aussi le « commandeur des croyants », titre que le roi du Maroc, qui revendique son appartenance à la lignée généalogique de Mahomet, a emprunté au deuxième calife, Omar ibn el-Khattâb, et qu’il porte encore.

    La tradition affirme que pour diriger les affaires temporelles et spirituelles des « croyants » le calife reçoit l’inspiration divine et un pouvoir surnaturel qui font de lui « un être exceptionnel, quasiment infaillible ». « Son statut est donc sacré, son pouvoir est absolu et sa puissance est universelle » (Mouline, op. cit., p. 61).

    Il résulte de recherches récentes que le calife Abd el-Malik (685-705), évoqué ci-dessus, fut le premier à prendre le titre de khalîfat Allah (« lieutenant de Dieu »). C’est lui qui canonisa le Coran et imposa le mot « islam » (soumission à Allah), peu usité jusque-là, ainsi que la langue arabe, consacrant alors la religion préfigurée par Mahomet « comme la religion définitive qui efface et accomplit le judaïsme et le christianisme – autrement dit qui les rend caducs, aussi bien sur le plan de la foi que sur le plan de la loi » (Guillaume Dye, « Questions autour de sa canonisation », Le Coran des historiens, Cerf, 2019, t. 1, p. 904).

    Après lui, malgré le pouvoir exorbitant revendiqué par les « lieutenants d’Allah », ses successeurs califes eurent très tôt à affronter la concurrence des oulémas, montre le jésuite Henri Lammens, historien et islamologue. Ces savants en sciences religieuses, « héritiers des prophètes » auxquels revient, selon un hadîth (propos attribué à Mahomet), « la mission de nouer et de dénouer », ont, dès les premiers siècles, servi de guides aux califes (L’Islam, croyances et institutions, Dar el-Machreq, Beyrouth, 1943, p. 125). Puis, ils les ont dépossédés de leurs prérogatives doctrinales et même de leurs titres religieux, remettant définitivement en cause les prétentions théocratiques du califat. A partir du Xème siècle, les califes « ne peuvent plus intervenir directement dans le processus de définition du dogme et de la Loi ». Il ne leur reste que la gestion des affaires temporelles (cf. Mouline, op. cit., p. 102-106).

     

    L’ISLAM SANS MAGISTÈRE AUTHENTIQUE

    Pour l’interprétation des textes sacrés, notamment ceux qui concernent le droit religieux, l’islam dispose du consensus (ijmâ) en vertu d’un propos (hadîth) attribué à Mahomet selon lequel « ma communauté ne s’accordera jamais dans l’erreur » (cité par Lammens, op. cit., p. 124). L’Oumma serait donc infaillible.

     

    Un consensus impossible

    Mais ce principe se heurte à plusieurs obstacles, explique Henri Lammens. D’abord, « quels en seraient les témoins, les interprètes qualifiés ? L’absence d’une hiérarchie dûment autorisée, placée au-dessus de toute contestation, n’a jamais permis de s’entendre pleinement sur cette matière » (op. cit., p. 125).

    Ensuite, il s’agit d’un « phénomène spontané », « une manifestation de ce qu’on peut appeler l’instinct religieux du peuple croyant ». Lammens conteste l’idée selon laquelle « cette souplesse pouvait être utilisée pour adapter la charia aux besoins modernes » et qu’un consensus antérieur pourrait être modifié par un autre, comme le pensent des modernistes musulmans. L’accord doctrinal n’établit rien. On ne peut que constater son existence. Il regarde en arrière et non en avant, non pas l’avenir mais le passéQuand il arrive aux docteurs de l’invoquer, c’est uniquement pour justifier et légitimer des innovations qui se sont imposées, pour les rattacher laborieusement à la “Sunna (Tradition) des pieux ancêtres”, c’est-à-dire à une législation considérée comme immuable et non pour contester la perpétuité de la TraditionIl semble donc téméraire de vouloir envisager l’ijmâ comme un instrument éventuel de réformes à introduire dans la charia, en vue de l’adapter aux besoins du jour » (ibid., p. 128-129).

    L’échec de la raison

    Il y eut en outre la parenthèse du moutazilisme (de motazil, qui s’isole), ce courant de pensée apparu à Bagdad au IXème siècle, qui prônait le libre-arbitre et le recours à la raison dans le rapport au Coran. D’abord reconnu officiellement par le calife Abdallah el-Mamoun (813-833), il fut déclaré hors-la-loi par l’un de ses successeurs, Ala Ilah el-Moutawakkil (847-861), initiative qui préluda à la fermeture de la porte de l’ijtihâd (effort d’interprétation) décidée par le calife Bi Ilah el-Qadir (992-1031). Sur ce sujet, cf. A. Laurent, l’Islam pour tous ceux qui veulent en parler (Artège, 2017, p. 24-25).

    « Il semble que le point doctrinal qui a attiré le plus le souverain vers ce courant soit l’affirmation que le Coran est une création de Dieu. Cela veut dire de manière schématique que ce texte reflète un moment historique bien déterminé. Par conséquent, il ne peut répondre aux besoins des croyants dans des réalités spatio-temporelles différentes. Le calife, en tant que guide inspiré qui pratique l’ijtihâd, peut jouer le rôle d’intermédiaire entre l’homme et Dieu » (N. Mouline, op. cit., p. 102).

    Le dogme du Coran incréé a mis fin à cette ouverture. « Depuis lors, savants et fidèles sont tous réduits au taqlîd, la soumission aveugle et sans restriction aux décisions d’une des quatre écoles orthodoxes », remarque Lammens (op. cit., p. 129).

  • Éphéméride du 29 septembre

    29 septembre,françois premier,chambord,leonard de vinci,salamandre,renaissance,charles quintIl y a treize jours, dans l’année, pendant lesquels il ne s’est pas passé grand-choseou bien pour lesquels les rares évènements de ces journées ont été traités à une autre occasion (et plusieurs fois pour certains), à d'autres dates, sous une autre "entrée".

    Nous en profiterons donc, dans notre évocation politico/historico/culturelle de notre Histoire, de nos Racines, pour donner un tour plus civilisationnel  à notre balade dans le temps; et nous évoquerons, ces jours-là, des faits plus généraux, qui ne se sont pas produits sur un seul jour (comme une naissance ou une bataille) mais qui recouvrent une période plus longue.

    Ces jours creux seront donc prétexte à autant d'évocations :  

     1. Essai de bilan des Capétiens, par Michel Mourre (2 février)

     2. Splendeur et décadence : Les diamants de la Couronne... Ou : comment la Troisième République naissante, par haine du passé national, juste après avoir fait démolir les Tuileries (1883) dispersa les Joyaux de la Couronne (1887), amputant ainsi volontairement la France de deux pans majeurs de son Histoire (12 février)

     3. Les deux hauts lieux indissociables de la Monarchie française : la cathédrale Notre-Dame de Reims, cathédrale du Sacre, et la Basilique de Saint-Denis, nécropole royale. I : La cathédrale de Reims et la cérémonie du sacre du roi de France (15 février)

     4. Les deux hauts lieux indissociables de la Monarchie française : la cathédrale Notre-Dame de Reims, cathédrale du Sacre, et la Basilique de Saint-Denis, nécropole royale. II : La basilique de Saint-Denis, nécropole royale (19 février)

     5. Quand Le Nôtre envoyait à la France et au monde le message grandiose du Jardin à la Française (13 mars)

     6. Quand Massalia, la plus ancienne ville de France, rayonnait sur toute la Gaule et, préparant la voie à Rome, inventait avec les Celtes, les bases de ce qui deviendrait, un jour, la France (11 avril)

     7. Quand Louis XIV a fait de Versailles un triple poème : humaniste, politique et chrétien (28 avril)

     8. Les Chambiges, père et fils (Martin et Pierre), constructeurs de cathédrales, élèvent à Beauvais (cathédrale Saint-Pierre) le choeur ogival le plus haut du monde : 46 mètres 77 ! (4 mai)

     9. Quand la cathédrale Saint-Pierre de Beauvais a reçu, au XIIIème siècle, son extraordinaire vitrail du Miracle de Théophile (28 mai)

     10.  Quand Chenonceau, le Château des Dames, à reçu la visite de Louis XIV, âgé de douze ans, le 14 Juillet 1650 (26 juillet)

     11. Le Mont Saint Michel (11 août)

     12. Quand François premier a lancé le chantier de Chambord (29 septembre)

     13. Quand Léonard de Vinci s'est installé au Clos Lucé (27 octobre) 

     

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    Aujourd'hui : Quand François Premier a lancé le chantier de Chambord 

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    Septembre 1519 :
    François Premier ordonne la construction du Château de Chambord.
     Le roi donne commission à François de Pontbriand, son chambellan, d' "ordonner toutes les dépenses qu'il y aurait à faire pour la construction du château..."
     
     
     
     
    I : Le Château 
     
     
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    "Allons chez moi !..." aimait à répéter le Roi, qui fut, pour Monique Chastenet, "l'un des plus enragés bâtisseurs de toute l'histoire de France."

    Auteur d'un remarquable Chambord (Éditions du Patrimoine) Monique Chastenet pense, d'ailleurs qu "il est probable que, parmi les nombreux projets qui nourrirent la réflexion du Roi, ceux de Vinci eurent une importance primordiale".... mais que le Roi, "passionné d'architecture... maniait lui même le crayon, et son bon plaisir, sans cesse changeant avait force de loi. Plus que tout autre, François Premier est l'auteur de Chambord...".

    Édifié au milieu de nulle part, dans un style qui marie influences les plus diverses et harmonie, Chambord semble un mirage. "On se croirait dans les royaumes de Bagdad ou de Cachemire", écrit Alfred de Vigny, que ce rêve de pierres et de tourelles captivait. Tout en exaltation et démesure, cette demeure qu'imagina un François Premier entouré des plus grands génies de la Renaissance, n'a cessé de fasciner. On a souvent dit, à juste titre, que dans le domaine du grandiose Chambord annonçait déjà, et préfigurait, le Versailles du Roi Soleil.

    Pierre de Bourdeille, seigneur de Brantôme, devant ce château encore imparfait et inachevé évoquait déjà le "ravissement de l'esprit". Car Chambord n'est pas un château de plus. C'est un manifeste royal autant qu'une vision du monde.

    En un mot : un chef-d'oeuvre...

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    ...dans le domaine du grandiose Chambord annonce déjà, et préfigure, le Versailles du Roi Soleil...

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    Les principaux maîtres maçons engagés pour la réalisation de cette demeure furent Jacques Sourdeau, un des bâtisseurs de Blois, et Pierre Trinqueau. Plus de 1.800 ouvriers y ont été employés. Le château sera terminé par Charles IX et Henri III. 

    Merveille de la Renaissance, le château de Chambord compte 440 pièces, 365 cheminées, 14 escaliers principaux, dont le célèbre escalier à double révolution surmonté de la grande lanterne, et 70 secondaires. L'ensemble mesure 156 mètres sur 120 mètres.

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    François Premier y recevra son grand adversaire de toujours, Charles Quint, le 18 décembre 1539. Émerveillé, celui-ci aura ce mot célèbre :

    "Chambord est un abrégé de ce que peut effectuer l'industrie humaine".

    Louis XIV y assistera à la Première du Bourgeois Gentilhomme, de Molière (musique de Lully) en octobre 1670. 

    Le château appartiendra ensuite au Maréchal de Saxe (à qui Louis XV l'offrit, comme récompense pour la victoire de Fontenoy) puis sera offert par souscription nationale au duc de Bordeaux, petit-fils de Charles X et dernier représentant de la branche aînée des Bourbons (qui deviendra du coup le Comte de Chambord).

    L'UNESCO l'a classé en 1981 au Patrimoine mondial de l'humanité.

     

              http://www.chambord.org/Chambord-fr-idm-80-n-Au_chateau.html

     

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     C'est le 30 mai 1952 qu'eut lieu, à Chambord, le premier spectacle Son et Lumière de France... Vincent Auriol, président de la République, viendra y assister, le 5 juillet suivant.

    Cinq ans plus tard, en 1957, on associera, au château du Lude, des personnages en superposition au spectacle Son et lumière proprement dit. 

     

     

     

    II : Le Parc 

     

    Autre merveille du lieu, autre facette du songe du Roi François, et inséparable de lui : le Parc !

    Le Parc de Chambord couvre 5.440 hectares (le plus grand domaine forestier clos d'Europe !...). Il est ceinturé d'un mur de 32 Km (le plus long mur de France !...), qui clôture quelques 5.440 hectares de superficie (c’est-à-dire la superficie de la ville de Paris intra-muros) et qui est ouvert par 6 portes (il y en avait trois à l'origine)...

     

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    Commencé en 1542 - sous le règne de François 1er - par François de Pontbriand (voir l'Éphéméride du 11 septembre), le mur fut terminé en 1645 : des factures de 1556 attestent qu’Henri II, le fils de François premier, donna l’ordre aux riverains de continuer les travaux en son absence. Ce mur de 2,50 m de hauteur moyenne repose sur des fondations de 70 cm de profondeur. Il est constitué de petites pierres sèches de calcaire de Beauce.

    Dès 1542, François 1er créa des capitaineries royales chargées d’assurer "très estroittement la garde et conservaction des boys et buissons, bestes rousses et noires d’icellui parc, pour nostre plaisir et passe temps ou faict de la chasse".

     

    http://www.chambord.org/wp-content/uploads/2013/04/dossierenseignantchambord.pdf

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    Classé réserve nationale de chasse en 1947, le domaine est peuplé de nombreux représentants de la faune de Sologne. Le cerf, figure emblématique de la réserve, est présent en grand nombre (environ 700 adultes). L'installation de miradors permet au public  l'observation de cette faune :

    http://www.chambord.org/decouvrir-chambord/le-milieu-naturel/

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    III : En 2015, 500 ans après son introduction par François premier, le cépage royal "Romorantin" revient à Chambord...
     
     
    "Nous recréons la vigne de François 1er et nous élaborerons le vin de Chambord"

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    Le cépage Romorantin, le plus vieux cépage au monde ? 
     

    Le cépage Romorantin, François 1er l’avait fait planter à partir de ceps bourguignons. Le directeur du Domaine de Chambord (en 2015, Jean d’Haussonville), a décidé de replanter ce cépage à l’intérieur du domaine - sur 8 hectares, autour de la ferme de l’Ormetrou, proche du mur d’enceinte, et sur le haut d’un versant - et de vendre dès 2019 un prestigieux vin blanc “Château de Chambord“...

    Ce retour est bien la sauvegarde d’un patrimoine historique, la sauvegarde du cépage Romorantin, unique survivant de vignes authentiques non greffées, et qui n’est pas un cépage ordinaire puisque, pour une raison qui échappe aux spécialistes, il a traversé les siècles sans être tué par le redoutable Phylloxéra qui décima les vignes françaises en 1870.

    Cépage de vin blanc, le Romorantin est toujours présent en Sologne où il est le cépage unique de l’appellation Cour-Cherverny, mais les vignes que replante le domaine de Chambord sont des vignes historiques retrouvées dans une parcelle bicentenaire d’un viticulteur de Soings-en-Sologne, Henry Marionnet (ci dessous), qui explique :

    "Ces vignes ont été plantées il y a 200 ans, à partir des sarments prélevés sur une des vignes plantées à la demande de François 1er; en quelques sortes, ces vignes sont les petites filles de celles de François 1er. Elles ont dans leurs gènes cette faculté de résister au Phylloxera, maladie de la vigne qui sévit toujours. Ce sont ces vignes qui produisent sur mon domaine de la Charmoise notre cuvée Provignage, sans ajout de soufre, le même vin que François 1e

  • Les hérésies chrétiennes dans le Coran (2/3) – l’arianisme, par Annie Laurent

    Annie_Laurent.jpgVoici le deuxième des trois volets qu'Annie Laurent consacre à ce sujet.

    Le premier est paru ici-même, le mardi 31 janvier dernier, et vous y avez accès en cliquant sur le lien suivant :

    Les hérésies chrétiennes dans le Coran (1/3), par Annie Laurent

    Rendez-vous bientôt pour la conclusion de cette brillante étude...

    François Davin, Blogmestre

     
    Nous avons vu précédemment (cf. PFV n° 95) que l’islam – ou plutôt le « proto-islam » – est apparu comme l’un des premiers millénarismes de l’Histoire. Il s’agissait d’un mouvement (ou ensemble de mouvements) apocalyptique ancré initialement dans le substrat juif et chrétien de l’Orient du VIIème siècle, tout particulièrement fondé dans l’espérance de l’établissement d’un règne politique de Dieu sur terre par la venue physique et l’action guerrière de son Messie chargé d’éradiquer le mal. Le rôle ainsi prêté au Messie (Jésus, ou ceux qui ont prétendu l’être à sa place) diffère complètement de la vision d’un Jésus sauveur, prônant le dépassement du mal par la charité et le pardon, que la foi chrétienne avait enseignée durant des siècles.

    On a certes pu voir dans l’histoire des chrétiens passer directement du Jésus de la foi des Apôtres aux espérances millénaristes – ce fut le cas, par exemple, du mouvement anabaptiste dans l’Allemagne du XVIème siècle. Il a dû en être également ainsi au VIIème siècle. Mais on peut aussi considérer que le pullulement des doctrines chrétiennes hétérodoxes au Proche-Orient a pu préparer le chemin, en prêchant des visions déformées du Jésus des Évangiles – le Sauveur – au profit de « pseudo-Jésus » n’étant plus sauveurs par eux-mêmes, au profit de systèmes proposant une autre forme de salut. C’est particulièrement le cas de l’arianisme, objet de la présente Petite Feuille Verte.

    La condamnation d’Arius au Concile de Nicée de 325 – enluminure tirée du Ménologe de Basile II (Xe s., Bibliothèque Apostolique Vaticane, folio 108)

    L’ARIANISME

    Le nom de cette hérésie, apparue au IVème siècle, se rattache à son auteur, Arius (256-336). Né en Cyrénaïque, ce dernier fut ordonné prêtre à Alexandrie. À partir de 315, il répandit une théorie hétérodoxe auprès de ses paroissiens, auxquels il enseignait que Dieu, unique et inengendré, ne pouvait communiquer sa substance, y compris au Verbe [Jésus], celui-ci étant créé par sa volonté. Il contestait ainsi publiquement l’enseignement de son évêque, saint Alexandre (296-326), primat d’Égypte et de Libye, pour qui, selon les Écritures, « le Fils a le même rang que le Père et qu’il a la même essence que le Dieu qui l’a engendré ». Alexandre prêchait donc sur l’unité essentielle dans la Trinité.

    En 318, Alexandre réunit un concile diocésain ; celui-ci excommunia Arius et le déposa. Cette décision, transmise au pape saint Sylvestre qui l’approuva, n’emporta cependant pas l’adhésion de tout le clergé alexandrin. Dans la lettre synodale qu’Alexandre adressa alors à tous les évêques de la catholicité, il écrivit ceci : « Dans notre diocèse, voilà que des hommes iniques et hostiles au Christ ont maintenant surgi, qui enseignent une apostasie telle qu’on pourrait à bon droit la présumer et l’appeler un signe précurseur de l’Antéchrist » (P. Ephrem Boularand, L’hérésie d’Arius et la “foi” de Nicée, Letouzey & Ané, 1972, t. 1, p. 30).

    Le Père Boularand résume sobrement cette doctrine : « Arius a éliminé de Dieu le mystère de sa vie intime. Dès lors, pouvait-il croire que le même Dieu unique fût Père et Fils et Saint-Esprit ? ». Il en expose ensuite les « assertions majeures » : le Fils n’est pas éternel ; il a été créé du néant par Dieu et cela volontairement ; il n’est pas Dieu véritable, égal et consubstantiel au Père ; il est imparfait et changeant ; le Saint-Esprit n’est pas Dieu (ibid., p. 71 à 81).

    L’islamologue belge Alfred Havenith la présente ainsi : « Arius enseignait que Dieu, unique et inengendré, ne pouvait communiquer sa substance. Tout, en dehors du Dieu unique, est créé par sa volonté. Le Verbe donc, a aussi été créé, mais avant le monde et avant le temps. Pourtant, dit Arius, “il fut un temps où le Verbe n’existait pas”. Jésus donc est une créature intermédiaire entre Dieu et les hommes. Sa filiation ne peut être qu’adoptive. Il est inférieur à Dieu bien que la plus parfaite des créatures » (Les Arabes chrétiens nomades au temps de Mohammed, Centre d’histoire des religions, Louvain-la-Neuve, 1988, p. 50). Arius confondait donc « engendré » et « créé », faisant de Jésus cet « intermédiaire ».

    Le Coran reflète cette idée en présentant Jésus d’une part comme une créature comparable aux autres êtres humains.

    Oui, il en est de Jésus comme d’Adam auprès de Dieu : Dieu l’a créé de terre, puis il lui a dit : “Sois”, et il est. (3,59).
    Dis : “Lui, Dieu est Un ! Dieu ! L’impénétrable ! Il n’engendre pas ; il n’est pas engendré ; nul n’est égal à lui !” (112,3).

    Et le Coran présente d’autre part Jésus comme doté par Dieu de pouvoirs divins exceptionnels :

    Et Nous [Dieu] avons donné des versets [ou des "preuves évidentes"] à Jésus fils de Marie, et Nous l’avons renforcé du Saint-Esprit (2,87 ; cf. aussi 2,253).
    Pour vous, je [Jésus] forme de la glaise comme la figure d’un oiseau, puis je souffle dedans : et, par la permission de Dieu, cela devient un oiseau. Et je guéris l’aveugle-né et le lépreux, et je ressuscite les morts, par la permission de Dieu (3,49).
    Il [Jésus] n’était qu’un Serviteur que Nous [Dieu] avions comblé de bienfaits (43,59).

    Aux sources de l’hérésie

    Il importe d’avoir présent à l’esprit que, dans l’intelligence de la foi chrétienne, la révélation de la divinité de Jésus découle directement de ce qu’il est reconnu comme sauveur : il est la vie, en lui-même, par lui-même ; il donne cette vie, il « vivifie » (en araméen, ce sont les mots « vie » et « vivifier » qui sont employés pour signifier « salut » et « sauver »). Il délivre de l’emprise du mal, jusqu’à celle de la mort elle-même, par le don de cette vie nouvelle (d’où les notions de salut au sens de « secours », de délivrance de cette emprise, de rédemption). Ce que seul Dieu peut faire. D’où la conclusion des premiers chrétiens et de ceux qui font l’expérience de ce salut : Jésus est Dieu, la présence divine est en lui.

    De ce point de vue, fondamental, l’hérésie arienne revenait donc à refuser que Jésus soit sauveur par lui-même, en lui-même. Elle faisait de Jésus un simple homme que Dieu aurait élevé au-dessus des autres en lui confiant certains pouvoirs divins, l’établissant comme un intermédiaire. S’identifier alors à Jésus revenait ainsi à s’extraire de la condition humaine commune pour devenir soi-même un surhomme, à l’image, par exemple, de l’empereur romain (nous verrons ci-après que c’est d’ailleurs à une version « arianisée » de la foi chrétienne que s’est converti l’empereur Constantin 1er).

    Plus généralement, l’arianisme conduit ainsi très directement à la constitution de sociétés pyramidales, dont les chefs pourront revendiquer pour leur pouvoir une forme de divinité, ou à tout le moins de lien particulier avec la divinité. Ainsi, on comprend mieux pourquoi pendant deux siècles tout le monde s’en est pris à ces questions et pourquoi elles sont cruciales et non pas seulement académiques.

    Des influences diverses semblent avoir conduit Arius à nier l’incarnation de Dieu en Jésus-Christ. Pour saint Athanase, successeur d’Alexandre en 328 et auteur de deux Traités contre les Ariens, « la philosophie platonicienne, dont il [Arius] était nourri ne lui permettait pas de faire descendre Dieu à ce niveau d’infériorité, dans une humanité mesurable, muable et matérielle. Son intention était de sauvegarder la monarchie divine, c’est pourquoi, à ses yeux, le Père seul peut être Dieu de toute éternité » (coll. Sources chrétiennes, Cerf, 2019, t. 1, p. 31). Il en tire cette remarque : « Pour la première fois dans l’Église, la divinité du Christ, deuxième personne de la Trinité, est niée explicitement, et [l’empereur] Constantin voit entre Arius et Alexandre seulement “une querelle sur des points minimes et absolument sans importance” » (Traité contre les Ariensop. cit., t. 1, p. 33).

    Niant ainsi la nature salvifique, la divinité et l’éternité du Christ, l’arianisme ne lui reconnaissait donc qu’une filiation divine de type adoptif. On peut y voir un lien avec l’hérésie adoptianiste promue au IIème siècle par Théodote de Byzance. Attaché à un monothéisme radical, ce dernier prétendait que cette adoption résultait du baptême de Jésus dans le Jourdain par Jean-Baptiste. Cette doctrine fut condamnée lors d’un concile tenu à Antioche en 268.

    L’hérésie arienne prit ainsi la forme d’un monothéisme strict, autrement dit un Dieu de solitude, ce qui revenait à rejeter le mystère de la Trinité mais aussi celui de l’Incarnation. Or telle est la position du Coran.

    Ceux qui disent : “Dieu est, en vérité, le Messie, fils de Marie”, sont impies (5,17). 
    Louange à Dieu qui a fait descendre le Livre [le Coran] sur son serviteur [Mahomet] […] pour avertir ceux qui disent : “Dieu s’est donné un fils !” […]. Ils ne profèrent qu’un mensonge (18,4-5).
    Il ne convient pas que Dieu se donne un fils (19,35).
    Dieu ne s’est pas donné de fils ; il n’y a pas de divinité à côté de lui, sinon chaque divinité s’attribuerait ce qu’elle aurait créé (23,91). 
    Dis : “Je ne suis qu’un mortel semblable à vous. Il m’est seulement révélé que votre Dieu est un Dieu unique. Allez droit vers lui et demandez-lui pardon !” (41,6).
    Dis : “Si le Miséricordieux avait un fils, je serais le premier à l’adorer” (43,81).

    Tout cela a conduit l’historien britannique Hilaire Belloc à considérer l’arianisme comme une forme d’unitarisme, « doctrine selon laquelle Dieu serait un seul et même esprit ». En l’occurrence, concernant le Christ, il s’agit d’« une espèce d’unitarismeidentifiant en fin de compte sa personne à celle d’un prophète ; un prophète très certainement inspiré mais rien de plus ». Cet auteur souligne que « les unitariens reprochent aux catholiques de ne pas être strictement monothéistes, et ils les accusent donc d’idolâtrie » (Les grandes hérésies, Artège, 2022, p. 67).

    Selon Havenith, cette doctrine correspondrait plus précisément à l’hénothéisme (le fait d’associer un ou plusieurs autres dieux au Dieu créateur) et ne peut pas être confondue avec le polythéisme, propre au paganisme (op. cit., p. 21). De fait, il s’agit là de l’un des principaux griefs que le Coran adresse aux chrétiens qui sont accusés de professer une forme d’« associationnisme » (shirk en arabe).

    Dieu ne pardonne pas qu’il lui soit donné des associés, alors qu’il pardonne à qui il veut les péchés moins graves que celui-là. (4,48).
    Dieu interdit le Paradis à quiconque attribue des associés à Dieu. Sa demeure sera le Feu. Il n’existe pas de défenseurs pour les injustes. Oui, ceux qui disent : “Dieu est, en vérité, le troisième de trois” sont impies. Il n’y a de Dieu qu’un Dieu unique. S’ils ne renoncent pas à ce qu’ils disent, un terrible châtiment atteindra ceux d’entre eux qui sont incrédules. (5,72-73).  
    Nous jetterons l’épouvante dans les cœurs des incrédules parce qu’ils ont associé à Dieu ce à quoi nul pouvoir n’a été concédé. Leur demeure sera le Feu. Quel affreux séjour pour les impies ! (3,151). 

  • À la découverte du fonds lafautearousseau (10) : sur Taine...

    lafautearousseau, c'est plus de 28.000 Notes ou articles (et autant de "commentaires" !), 22 Albums, 48 Grands Textes, 33 PDF, 16 Pages, 366 Éphémérides...

    Il est naturel que nos nouveaux lecteurs, et même certains plus anciens, se perdent un peu dans cette masse de documents, comme dans une grande bibliothèque, et passent ainsi à côté de choses qui pourraient les intéresser...

    Aussi avons-nous résolu de "sortir", assez régulièrement, tel ou tel de ces documents, afin d'inciter chacun à se plonger, sans modération, dans ce riche Fonds, sans cesse augmenté depuis la création de lafautearousseau, le 28 février 2007...

     

    Aujourd'hui : sur Taine...

    (tiré de notre Éphéméride du 5 mars)

    (retrouvez l'ensemble de ces "incitations" dans notre Catégorie :

    Á la découverte du "Fonds lafautearousseau")

    1893 : Mort d'Hippoyte Taine

     

    Hippolyte_Taine_with_cat.jpghttp://www.academie-francaise.fr/les-immortels/hippolyte-taine

     

     

    Voici quelques extraits fort intéressants d'une sorte de présentation de Taine, écrite par Jean Bourdeau, dans Les maîtres de la pensée contemporaine : 

                
    "En 1819, ayant vingt et un ans, j’étais électeur et fort embarrassé." Ne sachant pour qui voter, Taine nous dit dans sa préface qu’il prit cette immense détour, qu’il a dû faire cet effort considérable de travailler vingt ans dans les archives et d’écrire dix volumes, pour apprendre ce dont le dernier des politiciens de village croit posséder la science infuse. Voter semble à nombre de gens la fonction la plus simple, et ils ne verraient là qu’un excès de scrupule : autant vaudrait dire que pour digérer il est indispensable de connaître l’anatomie et la physiologie de l’estomac. Mais combien dans cette ignorance suivent une mauvaise hygiène ! Nous savons quel est le régime qui nous agrée, mais non celui qui nous convient. Nous ne l’apprenons qu’à nos dépens. Et assez de fois, depuis un demi-siècle, le suffrage universel s’est pris et dépris, engoué et dégoûté des partis et des hommes : ses erreurs nous ont coûté cher.

    "La forme sociale et politique dans laquelle un peuple peut entrer et rester n’est pas livrée à son arbitraire, mais déterminée par son caractère et son passé... Dix millions d’ignorants ne font pas un savoir. Un peuple consulté peut, à la rigueur, dire la forme de gouvernement qui lui plaît, niais non celle dont il a besoin ; il ne le saura qu’à l’usage."

    C’est dans le goût des théories abstraites, dans notre rationalisme, dans notre absence de sens historique et de sens pratique, que Taine signale le vice radical de l’esprit français, qu’il a si merveilleusement analysé sous le nom d’esprit classique, esprit singulièrement dangereux, si on l’applique au gouvernement des sociétés, non plus aux idées, mais à la chair vivante. La Révolution a été avant tout une erreur de psychologie. Ses précurseurs et ses théoriciens considéraient l’homme naturel comme un être essentiellement raisonnable et bon, accidentellement dépravé par une organisation sociale défectueuse, qu’il suffirait de détruire de fond en comble pour ramener la paix idyllique de l’âge d’or. L’expérience a été faite, et à peine les chaînes de l’ordre légal tombaient-elles avec fracas, que l’homme bon et raisonnable nous est apparu sous les traits d’un sauvage hideux et féroce : "Tout est philanthropie dans les mots, tout est violence dans les actes et désordre dans les choses."

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     Rousseau : "L'homme est naturellement bon, et c'est la société qui le déprave..."
     
     
     

    On a reproché à Taine d’avoir représenté de préférence les émeutes et les jacqueries, dans toutes ces pages d’où s’élève comme une buée de sang, d'admirables eaux-fortes, que l’on parcourt avec le même frisson que Les Désastres de la guerre d’un Goya. Schérer, M. Challemel-Lacour, s’émerveillent de cette découverte, que la Révolution ne s’est pas faite à l’eau de rose. Du moins, comme on l’a dit, le résultat de cette érudition microscopique, qui met en lumière le rôle des petits dans la vie sociale, rôle aussi important que dans la nature, devrait être de préserver de la légende cette grande époque, de l’affranchir de la superstition et du fanatisme.

    Taine suit à travers la Révolution la marche éternellement monotone que la nature humaine imprime aux troubles civils. C’est un mécontentement populaire, exploité par des énergumènes, puis par des ambitieux qui, au nom des idées les plus généreuses, font la conquête du pouvoir et déplacent les abus à leur profit. Voilà l’histoire de la secte jacobine. "Le dogme qui proclame la souveraineté du peuple aboutit en fait à la dictature de quelques-uns." Les Jacobins deviennent, au nom de l’égalité, une nouvelle aristocratie. On en retrouve parmi les grands dignitaires de l’empire, d’autres fondent des dynasties républicaines.

    Des réformes étaient urgentes, on entreprenait de les accomplir, lorsque le soulèvement populaire est venu les entraver. Du bilan de la Révolution, il ressort que les gains n’ont pas compensé les pertes. Ceux-là même au profit desquels les Jacobins prétendaient tout bouleverser ont été les premiers à pâtir. Combien périrent sur les champs de bataille de l’Europe ! L’effort de Taine est d’ébranler ce préjugé infiniment redoutable, que le progrès politique et social n’a été réalisé dans le passé et ne pourra l’être dans l’avenir que par la violence.

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     "Le dogme qui proclame la souveraineté du peuple aboutit en fait à la dictature de quelques-uns." 

               

     

    L’histoire des Origines de la France contemporaine paraît écrite sous l’influence d’une philosophie purement pessimiste, et bien des pages justifieraient en apparence cette opinion. Taine a de la nature humaine, de ses folies et de ses dangers, de sa méchanceté surtout, une conception tragique ou sombre, qui dépasse parfois en force et en éloquence celle d’un Swift, et qui contraste étrangement avec la douce quiétude, l’ironie souriante qui éclaire l’œuvre de Renan. "Que l’homme est bon, Messieurs !"

    Taine est aux antipodes de l’optimisme humanitaire de Condorcet et de Rousseau. Vous admirez le silence, la paix de la nature : si vous aviez seulement la vue assez pénétrante, vous n’y verriez qu’un carnage et qu’un charnier ; si votre ouïe était assez fine, vous entendriez surgir un gémissement éternel, plus douloureux que celui qui monte de l’enfer de Dante : "La condition naturelle d’un homme, comme d’un animal, c’est d’être assommé ou de mourir de faim."

    L’homme par sa structure est une bête très voisine du singe, un carnassier. Il est mauvais, il est égoïste et à moitié fou. La santé de l’esprit, comme celle des organes, n’est qu’une réussite heureuse et un bel accident. Dans la conduite de l’homme et de l’humanité, l’influence de la raison est intime, sauf sur quelques froides et lucides intelligences. Au vice de l’intelligence se joint d’ordinaire le vice du cœur ; à l’imbécillité s’ajoute l’égoïsme : il n’y a peut-être pas un homme sur mille dont la conduite soit déterminée par des mobiles désintéressés. La brutalité, la férocité primitive, les instincts violents, destructeurs, persistent en lui, et il s’y ajoute, s’il est Français, "la gaieté, le rire, et le plus étrange besoin de gambader, de polissonner au milieu des dégâts qu’il fait".

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     Taine est aux antipodes de l’optimisme humanitaire de Condorcet et de Rousseau 
     

                

    Malgré ces citations, que nous pourrions multiplier, il n’est pourtant pas exact de dire que Taine soit un pessimiste. Pessimisme et déterminisme se concilient mal ; les choses sont ce qu’elles sont ; peu importe le blâme ou la louange que le spectateur, qui est aussi acteur et victime, leur attribue. Taine n’est pas seulement observateur de détail, il s’élève à des vues d’ensemble. Ce n’est pas assez d’une observation exacte, il faut encore une observation complète, et le spectacle du présent n’est pas vrai sans le souvenir du passé. Mesurez le point de départ et le chemin parcouru, songez que le gorille féroce et lubrique, dans la lente évolution des âges, s’est élevé à l’idée de pitié, de pureté, de justice, qu’il en a réalisé quelques parcelles, que son intelligence débile a fini par créer l’art et la science. Si le présent est encore plein de misères, l’homme d’autrefois en soutirait bien davantage. L’expérience agrandie a diminué la folie des imaginations, la fougue des passions et la brutalité des mœurs. Chaque siècle voit s’accroître la science et la puissance de l’homme, sa modération et sa sécurité.

    Mais ne nous laissons point bercer par les chimères, réduisons le progrès à sa mesure et à ses limites. Notre bien-être grandit notre sensibilité. Nous soutirons autant pour de moindres maux ; notre corps est mieux garanti, mais notre âme est plus malade... Une seule chose s’accroît, l’expérience, et avec elle la science, l’industrie, la puissance ; dans le reste on perd autant qu’on gagne, et nous devons nous y résigner... L’homme n’est point transformé, il n’est qu’adouci. Jamais la nature et la structure ne laissent effacer leur premier pli : l’homme est un carnassier; comme le chien et le renard il possède des canines, et il les a enfoncées dès l’origine dans la chair d’autrui. Le bienfait de la civilisation serait d’en faire un carnassier apprivoisé et domestiqué, de lui tenir soigneusement limés les dents et les ongles.

    De cette idée de l’homme découle logiquement la philosophie politique de Taine. Le pur pessimisme, à la façon de Hobbes, conclut à la nécessité du despotisme, le pur optimisme à la façon de Rousseau mène droit à l’anarchie. Taine éprouve une égale horreur pour la tyrannie et pour le désordre. Les hommes ont besoin d’être contenus ; c’est la fonction de l’État de les empêcher de se ruer les uns sur les autres, et c’est la seule. Qu’il soit bon gendarme et bon chien de garde, hors de là il est malfaisant. Que les hommes se groupent donc en dehors de lui selon leurs affinités naturelles, qu’ils se créent dans des associations de toute sorte, formées selon leur libre initiative, des tutelles volontaires, qu’ils choisissent des guides expérimentés, mus par le sentiment de leur responsabilité individuelle, mais que l’État, cet être si aisément corrompu et si corrupteur, ne se mêle ni de l’éducation ni de la religion, ni de l’industrie ni du commerce, ni de l’art ni de la science. Son incompétence générale fait son incompétence spéciale..."

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     C’est un mécontentement populaire, exploité par des énergumènes, puis par des ambitieux qui, au nom des idées les plus généreuses, font la conquête du pouvoir et déplacent les abus à leur profit. Voilà l’histoire de la secte jacobine.
     

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  • Éphéméride du 31 août

    1933 : Création d'Air France (ici, une des affiches AIR FRANCE réalisées par Georges Mathieu)

     

     

     

    1666 : Création de Lorient

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    De Michel Mourre (Dictionnaire encyclopédique d'Histoire) :

    "...Lorient commença à se développer au début du XVIIème siècle, après que Louis XIII eut fait bâtir un fort près du hameau de Blavet, qui fut alors rebaptisé Port-Louis. En 1666, le lieu fut concédé à la Compagnie des Indes orientales, dont le port prit le nom de l'Orient. Au XVIIIème siècle, il devint un des principaux centres du commerce extérieur français, mais la Guerre de Sept ans mit fin à cette prospérité et la Compagnie fut dissoute en 1770. L'État devint possesseur des installations portuaires, créa un arsenal à Lorient en 1782. Au XIXème siècle, Lorient devint une importante base navale et le chef-lieu d'une Préfecture maritime. De 1940 à 1944, les Allemands en firent une base de sous-marins et, malgré l'investissement des troupes de Larminat, ils conservèrent la place jusqu'à l'armistice du 8 mai 1945."

    C'est en juin 1666 que la Compagnie française des Indes orientales reçut, par une ordonnance de Louis XIV, des terres à Port-Louis, ainsi que de l'autre côté de la rade, au lieu-dit du Faouédic.

    Elle en fit l'acquisition formelle ce 31 août : l'histoire de Lorient commençait...

    Blason de Lorient

    Après délibération de la communauté de ville, les armoiries furent fixées par règlement de Louis Pierre d'Hozier, Juge général d'armes de France, le 20 mai 1744 :

    "Un écu de gueules à un vaisseau d'argent voguant sur une mer de sinople et un soleil d'or se levant derrière des montagnes d'argent, posées au flanc droit de l'écu et un franc-canton d'argent semé de mouchetures d'hermines de sable. L'écu ayant un chef d'azur semé de besants d'or et surmonté d'un triton au naturel, ayant le bas du corps en forme de poisson, tenant de la main droite une corne d'abondance, et de la gauche une coquille en forme de cornet, qu'il porte à sa bouche pour servir de trompe."

    Devise de Lorient : "Ab oriente refulget" : C'est de l'Orient qu'elle resplendit

    La Ville martyre de Lorient a reçu la Croix de Guerre avec Palme et la nomination au grade de Chevalier de la Légion d'Honneur

     

    Fière - à juste titre ! - de sa Celtitude, la Ville de Lorient organise chaque année, depuis 1971, le magnifique Festival interceltique de Lorient (en breton : Emvod ar Gelted en Oriant) :

    https://www.festival-interceltique.bzh/

    Festival interceltique de Lorient — Wikipédia

    Dès notre création (en février 2007) nous avons salué cet enthousiasmant et extraordinaire évènement :

    Tout ce qui est Racines est bon... : Le Festival interceltique de Lorient ( Août 2008)

     

    31 aout,expedition d'egypte,pyramides,bonaparte,air france,sncf,baudelaire,charles x,alsace,du sommerard

     

    1779 : Naissance d'Alexandre du Sommerard 

     

    Il est aux origines du M31 aout,expedition d'egypte,pyramides,bonaparte,air france,sncf,baudelaire,charles x,alsace,du sommerardusée de Cluny : Musée national du Moyen-Âge
     
    Puis du Musée d’Écouen : Musée national de la Renaissance           

    Grand royaliste, et grand amateur d’art, Alexandre du Sommerard, était consterné par l’entreprise de destruction systématique du Patrimoine national entrepris par la Révolution. On sait que, directement ou indirectement, la Révolution - puis l’Empire et la IIIème République naissante… - ont fait disparaître entre le quart et le tiers de notre Patrimoine artistique : "Les Vandales du Vème siècle n'ont jamais brisé tant de chefs-d'œuvre." disait-il, hélas à juste titre…

    Heureusement maître d'une fortune considérable, celui qui avait pris pour devise "more majorum" ("d’après la coutume des ancêtres") passa sa vie à rechercher et réunir les chefs-d'œuvre, et c'est pour installer sa précieuse collection, trop à l'étroit dans son hôtel de la rue de Ménars, qu'il loua pour sa vie l'Hôtel de Cluny.

    À sa mort, l'hôtel et la collection, appartenant à sa veuve, furent achetés par l'État : Le 1er juillet 1843, la Chambre vota l’achat de l’hôtel et des collections, puis la création du "Musée des thermes et de l’hôtel de Cluny" fut sanctionnée par la loi du 24 juillet 1843.

    Son fils Edmond fut, jusqu’à sa mort, conservateur du Musée national de Cluny : lorsqu’il mourut, en 1885, la collection comprenait 10.351 objets.

    C’est, en partie, pour contenir des trésors venant de ce Musée que Malraux prit, en 1964, la décision – heureuse - d’affecter le château d’Écouen au Musée national de la Renaissance. 

     

    31 aout,expedition d'egypte,pyramides,bonaparte,air france,sncf,baudelaire,charles x,alsace,ameyL'Hôtel de Cluny, Musée national du Moyen-Âge 

     

     

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    1801 : Fin de l'Expédition d'Égypte

     

    Le général Menou, qui commande ce qui reste de l'expédition française d'Égypte, se rend aux Anglais du général Abbercromby. Bonaparte, lui, a abandonné son armée, comme Napoléon abandonnera la sienne lors de la désastreuse "affaire d'Espagne" puis lors de la désastreuse retraite de Russie...

    On estime que le tiers des 30.000 soldats engagés en Égypte trois ans plus tôt ont péri, dont la moitié de maladie et le reste dans les combats.

    Échec total du point de vue militaire et stratégique (la France voit sa marine détruite à Aboukir par Nelson, qui lui donnera le coup de grâce à Trafalgar, voir l'Éphéméride du 1er août...), l'expédition d'Egypte aura au moins permis une réelle avancée des connaissances scientifiques (Champollion découvrira bientôt le mystère des hiéroglyphes), et provoqué la naissance de l'égyptologie (voir l'Éphéméride du 19 juillet)...

    Dans ses Scènes et tableaux du Consulat et de l'Empire, Jean-Albert Sorel écrit de Napoléon et de son expédition (page 49) :

    "...Là, il avait gouverné, il avait créé, comme en Italie, en appliquant les mêmes méthode. "C'est lui, écrit M. Jacques Bainville, qui aura fondé l'Egypte moderne, en la délivrant d'abord de l'oppression des Mamelouks, un peu comme il avait délivré la Lombardie des Autrichiens, ensuite en lui donnant l'empreinte occidentale et française, telle que les Égyptiens étaient capables de la recevoir et dans une mesure si juste qu'elle a duré"..."

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    Bataille des Pyramides (voir l'Éphéméride du 21 juillet)
     
     
     
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    1823 : Prise du fort du Trocadéro, à Cadix
     
     
    C'est le triomphe final des "Cent mille fils de Saint Louis", expédition militaire française organisée par Chateaubriand, pour rétablir le roi d'Espagne, Ferdinand VII, dans ses pouvoirs...
     
    Position fortifiée défendant Cadix, la prise de ce fort par le duc d'Angoulême entraîna le reddition de la ville, où les libéraux et les anti-monarchistes s'étaient installés, et d'où ils régnaient en maîtres sur l'Espagne :
     
    "C'est pour commémorer ce fait d'armes que le nom de Trocadéro fut donné à une place de Paris et à un palais construit lors de l'Exposition universelle de 1878 (remplacé en 1937 par le Palais de Chaillot" (Michel Mourre).
     
     

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    Le Palais de Chaillot, vu depuis la Tour Eiffel...

    L'expédition française trouvait sa légitimité dans le Pacte de Famille, unissant toutes les familles régnantes issues de la dynastie des Bourbons : voir l'Éphéméride du 15 août...

    Pour ce qui est du Musée de l'Homme, installé dans le Palais dès le début, il fut profondément "repensé" - mais en mal... - et inauguré de nouveau en 2015 (voir l'Éphéméride du 15 octobre) :

     

     
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    1828 : Début du voyage de Charles X en Alsace
     
     
    Charles X quitte les Tuileries avec le Dauphin, à trois heures de l'après-midi. C'est le début d'un long voyage de vingt jours en Alsace, qui se révèlera vite triomphal....

    On aura deux très intéressantes relations du voyage avec les liens suivants :

    1. D'abord, une relation du voyage dans son ensemble, par P.J. Fargès-Méricourt :

    http://books.google.fr/books?id=9qQgDCECWrMC&printsec=frontcover&dq=VOYAGE+CHARLES+X+ALSACE&source=bl&ots=Zjn492vm-Z&sig=fnIZOGRyaQegt12zdowqvXQ1e9E&hl=fr&ei=_PsdTOWSKoi-4gbygfX2DQ&sa=X&oi=book_result&ct=result&resnum=2&ved=0CAwQ6AEwAQ#v=onepage&q&f=false

     

    2. Ensuite, une étude de l'entrée dans Mulhouse, par Marie-Claire Vitoux :

    http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/hes_0752-5702_1998_num_17_2_1986

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    La première étape du Roi en Alsace : la maison où il passa la nuit à Sélestat  
     

    À l'aller, le Roi fait étape à Meaux (le 31), Châlons (le 1er), Verdun (le 2) et Metz (les 3, 4 et 5 septembre). La première étape alsacienne commence le 6 septembre, avec l'arrivée à Saverne. Le 7, le Roi est à Strasbourg, où il reste les 8 et 9 septembre. Le 10, en passant par Sélestat, il fait étape à Colmar. Le 11, il est à Mulhouse. Le 12, il entame son voyage de retour par Lunéville, Nancy, Troyes et Provins. Il est de retour à Paris le 19 septembre.

    Fargès-Méricourt termine son excellente relation du voyage par les mots suivants :

    "Ainsi s'est terminé ce mémorable voyage du Roi dans ses provinces de l'Est. Pendant les vingt jours qu'il a duré, Sa Majesté à répandu l'allégresse et l'enthousiasme dans dix départements français."

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    ...et le détail de la plaque qui commémore l'évènement.

     

    Trois temps forts d'un voyage qui en compta tant.. :

    1. La députation de Sélestat, qui vint à Strasbourg demander au Roi de s'arrêter dans sa ville, comportait le sinistre baron Amey, l'un des pires bourreaux de la Vendée. En sa qualité de maire de la ville, il remit les clés de Séle

  • GRANDS TEXTES (22) : ”Oh Jehanne, sans sépulcre et sans portrait...” par André Malraux.

    Rouen, Fêtes Jeanne d'Arc

    Discours d'André Malraux
    31 mai 1964

    ( Pour écouter l'intégralité de l'enregistrement de Malraux :

     http://www.rouen-histoire.com/Malraux/index.htm ).

    MALRAUX ROUEN JEANNE D'ARC 1964.JPG

    Vous avez bien voulu, Monsieur le Maire, me demander d'assurer ce que le plus grand poète de cette ville, qui fut aussi l'un des plus grands poètes du monde, appelait un triste et fier honneur, celui de reprendre ce que j'ai dit, il y a quelques années, à Orléans, de Jeanne d'Arc victorieuse et de rendre hommage en ce lieu, illustre par le malheur, à Jeanne d'Arc vaincue, à la seule figure de notre histoire sur laquelle se soit faite l'unanimité du respect.

    La résurrection de sa légende est antérieure à celle de sa personne, mais, aventure unique ! la tardive découverte de sa personne n’affaiblit pas sa légende, elle lui donne son suprême éclat. Pour la France et pour le monde, la petite sœur de saint Georges devint Jeanne vivante par les textes du procès de condamnation et du procès de réhabilitation : par les réponses qu’elle fit ici, par le rougeoiement sanglant du bûcher.

    Nous savons aujourd’hui qu’à Chinon, à Orléans, à Reims, à la guerre et même ici, sauf peut-être pendant une seule et atroce journée, elle est une âme invulnérable. Ce qui vient d’abord de ce qu’elle ne se tient que pour la mandataire de ses voix :« Sans la grâce de Dieu je ne saurai que faire. » On connaît la sublime cantilène de ses témoignages de Rouen : « La première fois, j’eus grand-peur. La voix vint à midi ; c’était l’été, au fond du jardin de mon père… Après l’avoir entendue trois fois, je compris que c’était la voix d’un ange... Elle était belle, douce et humble ; et elle me racontait la grande pitié qui était au royaume de France… Je dis que j’étais une pauvre fille qui ne savait ni aller à cheval ni faire la guerre… Mais la voix disait : « Va, fille de Dieu… »

     

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    Vision de Jeanne, par E. Thirion

     

     

    Certes Jeanne est fémininement humaine. Elle n’en montre pas moins, quand il le faut, une incomparable autorité. Les capitaines sont exaspérés par cette « péronnelle qui veut leur enseigner la guerre ». (La guerre ? les batailles qu’ils perdaient, et qu’elle gagne...) Qu’ils l’aiment, qu’ils la haïssent, ils retrouvent dans son langage le « Dieu le veut » des Croisades. Cette fille de dix-sept ans, comment la comprendrions-nous si nous n’entendions pas, sous sa merveilleuse simplicité, l’accent incorruptible avec lequel les prophètes tendaient vers les rois d’Orient leurs mains menaçantes, et leurs mains consolantes vers la grande pitié du royaume d’Israël. 

    Avant le temps des combats, on lui demande « Si Dieu veut le départ des Anglais, qu’a-t-il besoin de vos soldats ? » _ Les gens de guerre combattront, et Dieu donnera la victoire. » Ni saint Bernard ni saint Louis n’eussent mieux répondu.

    Mais ils portaient en eux la chrétienté, non la France.

    Et à quelques pas d’ici, seule devant les deux questions meurtrières : « Jeanne êtes-vous en état de grâce ? » _Si je n’y suis, Dieu veuille m’y mettre ; si j’y suis, Dieu veuille m’y tenir ! » ; et surtout la réponse illustre : « Jeanne, lorsque saint Michel vous apparut, était-il nu ? » _Croyez-vous Dieu si pauvre, qu’il ne puisse vêtir ses anges ? »

    Lorsqu’on l’interroge sur sa soumission à l’Eglise militante, elle répond, troublée mais non hésitante : « Oui, mais Dieu premier servi !». Nulle phrase ne la peint davantage. En face du dauphin, des prélats ou des hommes d’armes, elle combat pour l’essentiel : depuis que le monde est monde, tel est le génie de l’action. Et sans doute lui doit-elle ses succès militaires. Dunois dit qu’elle disposait à merveille les troupes et surtout l’artillerie, ce qui semble surprenant. Mais les Anglais devaient moins leurs victoires à leur tactique qu’à l’absence de toute tactique française, à la seule comédie héritée de Crécy à laquelle Jeanne mit fin. Les batailles de ce temps étaient très lourdes pour les vaincus ; nous oublions trop que l’écrasement de l’armée anglaise à Patay fut de la même nature que celui de l’armée française à Azincourt. Et le témoignage du duc d’Alençon interdit que l’on retire à Jeanne d’Arc la victoire de Patay puisque, sans elle, l’armée française se fût divisée avant le combat, et puisqu’elle seule la rassembla...

     

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    C’était en 1429 -le 18 juin.

    Dans ce monde où Isabeau de Bavière avait signé à Troyes la mort de la France en notant seulement sur son journal l’achat d’une nouvelle volière, dans ce monde où le dauphin doutait d’être dauphin, la France d’être la France, l’armée d’être une armée, elle refit l’armée, le roi, la France.

    Il y avait plus rien : soudain il y eut l’espoir –et par elle, les premières victoires qui rétablirent l’armée.

    Puis -par elle contre presque tous les chefs militaires-, le sacre qui rétablit le roi. Parce que le sacre était pour elle la résurrection de la France, et qu’elle portait la France en elle de la même façon qu’elle portait sa foi.

     

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    Jeanne au Sacre de Charles VII, par Jean-Dominique Ingres.
    La grande idée de Jeanne, c'est le sacre de Reims:
    "Du point de vue le plus terrestre, du point de vue politique, ce qu'il y a d'incomparable chez Jeanne d'Arc, c'est la justesse du coup d'œil, le bon sens, la rectitude du jugement. Pour sauver la France créée par ses rois, confondue avec eux, il fallait relever la royauté. Pour relever la royauté, il fallait rendre confiance et prestige à l'héritier qui finissait par perdre espoir, et peut-être doutait de sa naissance même. C'est pourquoi la première rencontre de Jeanne et de Charles VII est si émouvante. Le geste de Jeanne, reconnaissant le dauphin qui la met à l'épreuve, et tombant à ses genoux, est décisif. Le principe sauveur, la monarchie, est désigné. À l'homme, au roi légitime, la confiance en lui-même est rendue..." (Jacques Bainville)

          

     

    Après le sacre, elle est écartée, et commande la série des vains combats qui la mèneraient à Compiègne pour rien, si ce n’était pour devenir la première martyre de la France.

     

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    La chevauchée héroïque

          

     

    Nous connaissons tous son supplice. Mais les mêmes textes qui peu à peu dégagent de la légende son image véritable, son rêve, ses pleurs, l’efficace et affectueuse autorité qu’elle partage avec les fondatrices d’ordres religieux, ces mêmes textes dégagent aussi, de son supplice, deux des moments les plus pathétiques de l’histoire universelle de la douleur.

     Le premier est la signature de l’acte d’abjuration -qui reste d’ailleurs mystérieux. La comparaison du court texte français avec le très long texte latin qu’on lui faisait signer proclamait l’imposture. Elle signe d’une sorte de rond, bien qu’elle ait appris à signer Jeanne. « Signez d’une croix ! » lui ordonne-t-on. Or, il avait naguère été convenu entre elle et les capitaines du Dauphin, que tous les textes de mensonge, tous les textes imposés, auxquels leurs destinataires ne devaient pas ajouter foi, seraient marqués d’une croix. Alors, devant cet ordre qui semblait dicté par Dieu pour sauver sa mémoire, elle traça la croix de jadis, en éclatant d’un rire insensé...

     

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    Jeanne conduite devant ses juges (Vigiles de Charles VII)

          

     

    Le second moment est sans doute celui de sa plus affreuse épreuve. Si, tout au long du procès, elle s’en remit à Dieu, elle semble avoir eu, à maintes reprises, la certitude qu’elle serait délivrée. Et peut-être, à la dernière minute, quand sonnaient des cloches comme celles qui sonnent maintenant, espéra-t-elle qu’elle le serait sur le bûcher. Car la victoire du feu pouvait être la preuve que ses voix l’avaient trompée. Elle attendait, un crucifix fait de deux bouts de bois par un soldat anglais posé sur sa poitrine, le crucifix de l’église voisine élevé en face de son visage au-dessus des premières fumées. (Car nul n’avait osé refuser la croix à cette hérétique et à cette relapse...) Et la première flamme vint, et avec elle le cri atroce qui allait faire écho, dans tous les peuples chrétiens, au cri de la Vierge lorsqu’elle vit monter la croix du Christ sur le ciel livide.

    Alors, depuis ce qui avait été la forêt de Brocéliande jusqu’au cimetière de Terre sainte, la vieille chevalerie morte se leva dans ses tombes. Dans le silence de la nuit funèbre, écartant les mains jointes de leurs gisants de pierre, les preux de la Table Ronde et les compagnons de Saint Louis, les premiers combattants tombés à la prise de Jérusalem et les derniers fidèles du petit roi lépreux, toute l’assemblée des rêves de la chrétienté regardait, de ses yeux d’ombre, monter les flammes qui allaient traverser les siècles, vers cette forme enfin immobile, qui devenait le corps brûlé de la chevalerie.

     

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    Jeanne au bûcher, enluminure du XVème

         

     

    Il était plus facile de la brûler que de l’arracher de l’âme de la France. Au temps où le roi l’abandonnait, les villes qu’elle avait délivrées faisaient des processions pour sa délivrance. Puis le royaume, peu à peu, se rétablit. Rouen fut enfin reprise. Et Charles VII, qui ne se souciait pas d’avoir été sacré grâce à une sorcière, ordonna le procès de réhabilitation.

    A Notre-Dame de Paris, la mère de Jeanne, petite forme de deuil terrifiée dans l’immense nef, vient présenter le rescrit par lequel le pape autorise la révision. Autour d’elle, ceux de Domrémy qui ont pu venir, et ceux de Vaucouleurs, de Chinon, d’Orléans, de Reims, de Compiègne… Tout le passé revient avec cette voix que le chroniqueur appelle une lugubre plainte : « Bien que ma fille n’ait pensé, ni ourdi, ni rien fait qui ne fût selon la foi, des gens qui lui voulaient du mal lui imputèrent mensongèrement nombre de crimes. Ils la condamnèrent iniquement et… » La voix désespérée se brise. Alors Paris qui ne se souvient plus d’avoir jamais été bourguignonne, Paris, redevenue soudain la ville de Saint Louis, pleure avec ceux de Domrémy et de Vaucouleurs, et le rappel du bûcher se perd dans l’immense rumeur de sanglots qui monte au-dessus de la pauvre forme noire.

     L’enquête commence.

     

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    Folio 98 du Procès de réhabilitation (déclaration de la mère de Jeanne)

         

     

    Oublions, ah, oublions ! le passage sinistre de ces juges comblés d’honneur, et qui ne se souviennent de rien. D’autres se souviennent. Long cortège, qui sort de la vieillesse comme on sort de la nuit. Un quart de siècle a passé. Les pages de Jeanne sont des hommes mûrs ; ses compagnons de guerre, son confesseur ont les cheveux blancs. Ici débute la mystérieuse justice que l’humanité porte au plus secret de son cœur.

    Cette fille, tous l’avaient connue, ou rencontrée, pendant un an. Et ils ont eux aussi oublié beaucoup de choses, mais non la trace qu’elle a laissée en eux. Le duc d’Alençon l’a vue une nuit s’habiller quand, avec beaucoup d’autres, ils couchaient sur la paille : elle était belle, dit-il, mais nul n’eût osé la désirer. Devant le scribe attentif et respectueux, le chef de guerre tristement vainqueur se souvient de cette minute, il y a vingt-sept ans, dans la lumière lunaire... Il se souvient aussi de la première blessure de Jeanne. Elle avait dit : « Demain mon sang coulera, au-dessus du sein. » Il revoit la flèche transperçant l’épaule, sortant du dos, Jeanne continuant le combat jusqu’au soir, emportant enfin la bastille des Tourelles. Revoit-il le sacre ? Avait-elle cru faire sacrer Saint Louis ? Hélas ! Mais, pour tous les témoins, elle est la patronne du temps où les hommes ont vécu selon leurs rêves et selon leur cœur, et depuis le duc jusqu’au confesseur et à l’écuyer, tous parlent d’elle comme les rois mages, rentrés dans leurs royaumes, avaient parlé d’une étoile disparu

  • GRANDS TEXTES (29) : Monarchie et Royauté, par Vladimir Volkoff

    Ce court texte, d'où ne sont absents ni l'esprit ni l'humour de Volkoff, constitue la Préface ou l'Introduction de son opuscule intitulé Du Roi, paru chez Julliard (collection L'Âge d'Homme) en 1987.

    Dans ce texte, Vladimir Volkoff fait la distinction entre monarchie et royauté. Il voit dans l'une un système de gouvernement, dans l'autre un phénomène historique fondé sur trois facteurs : le pouvoir monarchique, le corps du roi et l'onction sacrée.

    La royauté lui apparaît moins comme une institution politique que comme un humanisme, car elle reproduit non seulement les structures de la famille, mais celles de l'homme lui-même : notre cerveau à la tête de nos organes, c'est proprement "le roi dans ses conseils".

    En outre, la royauté est le seul régime bisexué : la reine n'est pas  que la femme du roi; elle a  sa fonction propre.

    Vue sous un autre angle, la royauté est un moyen de connaissance analogique : entre le macrocosme de l'univers et le microcosme de l'individu apparaît le médiocosme de la société traditionnelle dont le roi est sûrement la clef de voûte, mais peut-être aussi la clef tout court...

     

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    Sacre de Charles X

    Si toute Royauté est monarchie, l'inverse n'est pas vrai : désignée par l'Histoire, et distinguée par le Sacre, la Royauté française n'est en rien une quelconque monocratie...

    Il ne faut pas s'appauvrir en faisant de monarchie et royauté des synonymes.

    La monarchie est un système de gouvernement où un seul commande. Rien de plus.

    Elle présente des avantages et des inconvénients. Elle peut être héréditaire ou non, d'inspiration religieuse ou non. On l'attaque au nom de certains principes, on la défend au nom de certains choix. La monarchie est une idée politique comme une autre. La monarchie se discute.

    La royauté, qui ne sert qu'entre autres à gouverner les hommes, n'est en aucune sorte une idée, mais une réalité inséparable de ses coordonnées historiques et géographiques. Elle plaît ou elle déplaît. Elle ne se discute pas plus qu'une montagne ou un météore. Au mieux, elle se contemple. Ou, si on a le tempérament jugeur, elle se juge.

    La royauté est un ensemble organique d'institutions - dont l'une, la centrale, est monarchique -, de corps constitués, de traditions, de lois écrites et non écrites, et surtout de personnes humaines groupées dans un certain ordre.

    Il s'ensuit que la monarchie peut s'instaurer du jour au lendemain, par le moyen d'un référendum ou d'un coup d'état, tandis que la royauté suppose un mûrissement plutôt qu'une victoire, un consensus plutôt qu'un plébiscite. 

    Même en distinguant la monarchie de la dictature - qui peut être celle d'un parti et non pas d'un homme - on observe des monarques qui ne sont pas rois - mettons le Régent - et des rois qui ne sont pas monarques dans la mesure où ils ne commandent pas : mettons la reine Elisabeth II.

    La royauté peut avoir un dosage plus ou moins fort de monarchie : Louis XIV fut monarque plus que Saint Louis, mais il ne fut pas plus roi. 

    Il arrive que la monarchie tende vers l'absolu. La royauté est limitée par définition, parce qu'elle est un organisme vivant. La monarchie peut être constitutionnelle. La royauté est à elle-même sa propre constitution.

    Certains royalistes ne sont pas monarchistes : bien des belges et des anglais ne souhaitent pas que leurs prince, qu'ils révèrent,  accèdent à des responsabilités de gouvernement. Certains monarchistes ne sont pas royalistes : la Phalange en a produit, qui suivaient Franco partout, sauf dans sa piété royale. Certains monarchistes deviennent royalistes à leur corps défendant : il y en a à l'Action française. Certains monarchistes se font royalistes en se forçant : il y en eut dans l'entourage de Louis XVIII.

    Des questions incidentes se posent. Par exemple, que se passe-t-il  - à supposer qu'il se passe quelque chose - quand un monarque qui portait un autre titre choisit de devenir, expressément, roi, comme le sultan du Maroc, qui s'est fait malek ? Voulait-il monter en grade ? Paraître plus occidental, plus moderne ? Poursuivra-t-il une union plus intime avec son pays ? L'Histoire le dira un jour.

    Autre question : les empereurs sont-ils des monarques ou des rois ?  

     

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    Ci dessus, Charlemagne en Imperator (musée du Louvre) et, ci-dessous, les "trois modestes fleurs"

    Portant un globe, symbolisant la terre entière, et - à l'origine - une épée, aujourd'hui disparue, l' Empereur est ici représenté "à l'antique", tel un Empereur romain, conquérant universel.

    Alors que - comme le rappelle Michel Mourre - "les Capétiens se distinguèrent pour la plupart par un réalisme un peu étroit mais fécond. Alors que les Plantagenêts tentèrent de construire un État franco-anglais sans avoir sûrement établi leur autorité en Angleterre même; alors que les Hohenstauffen, aux prises avec une puissante féodalité allemande, dispensèrent le meilleur de leurs forces en Italie, les Capétiens, tels des paysans arrondissant peu à peu leur champ, se bornèrent volontairement à l'idée simple de faire la France, d'être maîtres chez eux, en se gardant de toute conquête excentrique, en participant même très peu aux Croisades..."   

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    "On a remarqué que la plupart des autres maisons royales ou impériales d'Europe avaient pour emblèmes des aigles, des lions, des léopards, toutes sortes d'animaux carnassiers. La maison de France avait choisi trois modestes fleurs..."  (Jacques Bainville, Histoire de France, chapitre V : Pendant 340 ans, l'honorable famille capétienne règne de père en fils)

     

     

            

    Il semble que le grand rêve impérial hérité des Romains par Charlemagne, Byzance, Barberousse, les Habsbourgs, la Moscovie, Pierre le Grand est d'une autre nature que la royauté. Tout empereur prétend au fond à l'empire du monde, et ce n'est que temporairement, en attendant de nouvelles conquêtes, qu'il accepte de limiter ses possessions à des territoires qui ont déjà quelquefois leur souverain local, considéré comme un vassal. C'est ce qu'annonce sans fausse modestie le globe crucifère que portent, haut dans leur main, les empereurs, mais non les rois.

    Dans cet ordre d'idées, le cas de Napoléon est caractéristique et presque caricatural. Puisqu'il ne peut y avoir qu'un seul empereur au monde, Napoléon tint à entrer dans le lit de l'Autriche, à détruire Moscou et à rabaisser Rome elle-même au niveau de royaume, tout cela contre ses véritables intérêts. Et combien révélateur l'incident du sacre ! Napoléon, qui posa la couronne sur sa propre tête, au lieu de l'accepter des mains du Pape qu'il avait pourtant convoqué, ne ressemblait guère au roi de France agenouillé sur les dalles de Reims devant l'archevêque mitré qui demeurait assis.

    Certains empereurs cependant se sont comportés en rois, dans la mesure où ils reconnaissaient que le pouvoir suprême leur venait d'un plus grand prince qu'eux et où ils se présentaient comme les pères de leurs sujets. Ce fut le cas en Autriche, ce le fut en Russie. Le Natiouchka Tsar et la Matiouchka Tsaritsa (notre père le tsar, notre mère la tsarine) étaient oints et couronnés selon des rites voisins des rites français, ils se considéraient responsables devant Dieu, le maintien de l'Eglise et l'administration de la justice constituaient leur premier devoirs.

    Pour ma part -réglons dès l'abord cette question d'intérêt médiocre - la famille où je suis né, mes sentiments et mes goûts ont eu sur moi des effets convergents. L'aspect chatoyant de la royauté m'a toujours charmé. Enfant, j'imaginais la république - la chose et le mot - en gris et noir, alors que les royaumes m'apparaissaient avec des couleurs brillantes; maintenant encore, le mot Royauté me semble coulé dans le vermeil. J'aime qu'il y ait des rois aux cartes et aux échecs et je m'ennuie aux dames, ce jeu tristement égalitaire où chaque pion rêve d'être un parvenu.

    Il y a plus. Bon ou mauvais, le roi est un artiste. Moi, plumitif, je rythme des phrases, j'équilibre des volumes, je commande tant bien que mal à des personnages de papier; le roi manoeuvre des armées et des flottes, bâtit des villes, réforme des institutions, modifie le destin de ses peuples : c'est un grand démiurge et j'en suis un petit, mais nous n'en sommes pas moins confrères. C'est pour cela sans doute que, comme le faisait remarquer José Maria de Heredia à Nicolas II,

                                           le poète seul peut tutoyer les rois.

    D'ailleurs j'aime trop la musique pour nier l'utilité du chef d'orchestre, j'aime trop le théâtre pour me passer de metteur en scène. Par là, je suis sans doute monarchiste. Cela dit, je vois bien qu'en deçà du chef d'orchestre il y a le compositeur et en deçà du metteur en scène le dramaturge. Par là, je dois être royaliste, et mon royalisme tempère mon monarchisme, car la royauté, moins présomptueuse que la monarchie, ne se conçoit que dans un ordre où elle ne tient pas le premier rang.

    Peu importe. Le flou du suffixe iste m'a toujours agacé (qu'y a-t-il de commun, je vous le demande, entre un bouddhiste et un véliplanchiste ?) et l'on se tromperait en cherchant dans les pages qui suivent l'exposé d'une doctrine. Ce n'est pas une défense de la monarchie que je propose : c'est une illustration de la royauté.

    Et la royauté m'apparaît - je ne sais pas si c'est à cause de mon côté scolastique ou de mon faible pour les poupées russes - comme un ensemble de trois pyramides triangulaires, la plus secrète s'emboîtant dans la moyenne et la moyenne dans la première.

     

     

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    Retrouvez l'intégralité des textes constituant cette collection dans notre Catégorie

    "GRANDS TEXTES"...

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  • Éphéméride du 27 Février

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    Capture d'écran, film "Jésus de Nazareth", de Franco Zefirelli

     

    36 : Date possible du départ de Judée de Ponce Pilate, qui doit aller se justifier devant l'Empereur Tibère...

     

    Ponce Pilate ne le sait pas encore, mais, arrivé à Rome en 37 - Tibère étant mort entre-temps - le nouvel empereur, Caligula, va le nommer en Gaule, à Vienne, où il mourra; et le même Caligula va également exiler en Gaule - à Saint Bertrand de Comminges -  le roi Hérode Antipas, qui y mourra également.

    Ainsi, deux des trois puissants qui ont eu à juger Jésus de Nazareth viendront-ils finir leurs jours dans ce pays qui n'est pas encore la France, mais qui va le devenir peu à peu...

    Seul le Grand prêtre Joseph Caïphe restera à Jérusalem, pour y mourir. Encore son sort se trouve-t-il - d'une certaine manière - associé à celui des deux autres puisqu'il fut, lui aussi, déchu de sa fonction par le même légat de Syrie, Vitellius - nommé par l'empereur Tibère - qui contraignit Ponce Pilate à aller rendre compte de sa gestion, très critiquée, devant l'empereur, à Rome.

    Petit retour en arrière...

    Ponce Pilate avait été nommé Préfet de Judée par Tibère. Qui nomma également, par la suite, Lucius Vitellius Légat de Syrie.

    Vitellius, mécontent de Pilate et de Caïphe - le Grand Prêtre - destitua le second et obligea le premier à aller se justifier devant l'empereur Tibère, à Rome.

    À la même époque, mais de sa propre initiative, l'ambitieux roi Hérode partit aussi pour Rome, afin de se concilier les bonnes grâces de l'empereur; mais, on l'a vu, mal lui en prit.

    Cet Hérode Antipas est le fils du roi Hérode le Grand, celui qui reçut les Mages, cherchant le roi des Juifs, dont ils avaient vu se lever l'étoile. Il leur demanda de venir le voir, une fois qu'il l'auraient trouvé, afin qu'il puisse, lui aussi, aller l'adorer, mais eux - disent les Évangiles - avertis en songe, rentrèrent dans leurs pays par un autre chemin. Furieux, Hérode fit périr tous les nouveaux-nés : ce fut le massacre des innocents...

    Son fils, Hérode Antipas, avait une personnalité et des moeurs assez troublantes : il fit décapiter Jean le Baptiste, afin de complaire à sa nièce et  épouse, Hérodiade - qu'il avait enlevée à son demi-frère... -  mais aussi et surtout à Salomé, la fille qu'Hérodiade avait eue avant de l'épouser, et dont il était secrètement amoureux.

    Puis c'est à lui que le Sanhédrin et Caïphe envoyèrent Jésus,  pour le juger (photo ci-dessus).  

    Mais comme le vrai pouvoir appartenait aux Romains, et que ni le Sanhédrin ni le roi fantoche Hérode n'avaient le pouvoir de condamner Jésus, Hérode l'envoya à Pilate...

    Les deux acteurs/témoins non-chrétiens de l'Affaire Jésus restèrent à peine deux ans en Gaule : arrivés en 37, ils disparurent tous deux dans le courant de l'année 39 :

    Ponce Pilate à Vienne, où il serait tombé d'une falaise ("aidé à tomber", il aurait plutôt été poussé, selon de tenaces traditions orales...) : le mont Pilat perpétuerait son souvenir;

    et Hérode Antipas à Saint-Bertrand de Comminges (appelée alors Lugdunum Convenarum). 

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    Dion Cassius, Eusèbe de Césarée et Flavius Josèphe (dans ses Antiquités judaïques et dans La Guerre des Juifs) sont les principales sources traitant de ces événements lointains; s'ils se contredisent parfois, ou émettent des affirmations confuses ou incomplètes, le recoupement de leurs affirmations permet cependant d'arriver à une certitude d'ensemble : ainsi, par exemple, Flavius Joseph indique d'abord (dans les Antiquités judaïques) qu'Hérode fut exilé "à Lugdunum", et donc certains pensèrent qu'il fut exilé avec - ou "à côté de" - Ponce Pilate, dans l'actuelle ville de Lyon; mais, ensuite, dans La guerre des Juifs, le même Flavius Josèphe affirme que c'est "en Hispanie" que fut exilé Hérode : les frontières étant moins précises à l'époque qu'aujourd'hui, il ne peut donc plus s'agir que de Lugdunum convenarum, devenue Saint-Bertrand de Comminges, tout à côté de l'Espagne actuelle, et non pas de la "grande" Lugdunum, la Lyon d'aujourd'hui...

    Ainsi donc, parmi les autres nations chrétiennes, c'est un sens particulier que prend, en Gaule - puis en France - l'expression "racines chrétiennes" : car, on vient de le voir, dès les débuts de la religion chrétienne, la Gaule fut associée, si l'on peut dire, et quelle qu'en soit la façon - en l'occurrence, paradoxale, pour employer un terme philosophique - à la nouvelle religion, qui n'allait pas tarder à devenir celle du peuple presque tout entier, par l'évangélisation : avec Saint Irénée, qui avait connu Polycarpe, disciple de Saint-Jean l'évangéliste (voir l'Éphéméride du 28 juin), ce sont des représentants des tous premiers disciples - et non plus seulement deux des trois acteurs/témoins des débuts du christianisme - qui arrivent en Gaule : saint Irénée, arrivé en 157, rejoint Pothin, à Lyon, dont il devint le deuxième évêque, puisqu'il succéda à Pothin, victime (avec Blandine et ses compagnons) de la grande persécution de Marc-Aurèle en 177. 

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    Le mont Pilat est situé dans le département de la Loire, au sud-est de Saint-Étienne et au sud-ouest de Vienne et Givors :  simple accident, suicide, ou bien "aidé à tomber", c'est de ce mont Pilat que Ponce Pilate - qui lui a donné son nom - aurait "chuté" en 39, cette même année qui vit disparaître également son comparse/complice dans "l'affaire Jésus" : le roi Hérode Antipas...

    27 fevrier,chartres,henri iv,reims,guyanehttp://www.interbible.org/interBible/decouverte/archeologie/2007/arc_070316.htm 

     

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    303 : Célébration de Sainte Honorine

     

    Martyrisée  au IVème siècle, durant la dernière persécution romaine, Honorine était originaire de la tribu gauloise des Calètes (Pays de Caux). Mise à mort à Lillebonne, son corps fut jeté dans la Seine toute proche, puis recueilli à Graville (actuel quartier du Havre) où elle fut enterrée.

    Elle serait restée fort peu connue du grand public - à l'exception des diocèses de Rouen et Bayeux - s'il n'y avait eu... les invasions Vikings, dans ce qui n'était pas encore la Normandie, et beaucoup plus loin encore : pour échapper aux envahisseurs, les habitants remontèrent le fleuve, dépassèrent Paris, et apportèrent le corps de "leur" sainte à Conflans, au confluent de la Seine et de l'Oise, qui devint ainsi Conflans-Saint-Honorine, et demeure aujourd'hui la capitale française de la batellerie...

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    Dans "la première ville de province à deux pas de Paris", les reliques de Sainte Honorine se trouvent dans l'église Saint Maclou... 

     http://www.conflans-sainte-honorine.fr/decouvrir-et-sortir/decouvrir-la-ville/histoire/

     

     

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    1594 : Henri de Navarre est sacré roi en la cathédrale de Chartres, et devient Henri IV

     

    Après l'assassinat d'Henri III, avec qui il assiégeait Paris (voir l'Éphéméride du 30 juillet), Henri III de Navarre est devenu roi légitime de France, sous le nom d'Henri IV, premier "roi de France et de Navarre"...

    Mais il lui est impossible d’organiser la cérémonie à Reims puisque la ville se trouve encore sous l’autorité des Guise, maîtres de Paris et chefs incontestés de la révolution catholique de la Ligue.

    Le roi, qui vient de se convertir, agit dans une logique politique : il espère ainsi mettre fin au pouvoir de la Ligue, qui ne pourra plus s’opposer à un roi devenu catholique.

    Dans cette optique, il recevra l’absolution du pape en 1595 (voir l'Éphéméride du 18 septembre).

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    De Jacques Bainville, Histoire de France, chapitre XI, Henri IV restaure la monarchie et relève l'État :   

    "...La ligue fut une révolution catholique mais une révolution. Et Michelet a écrit ce mot qui va loin : "La Ligue donne pour deux cents ans l'horreur de la République." Au siècle suivant, cette horreur sera renouvelée par la Fronde.

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    À la mort d'Henri III , la France, au fond d'elle-même, aspirait au retour de l'ordre. On se représente ce que trente ans de guerres civiles avaient déjà coûté. Quatre millions d'hommes peut-être. Et que de ruines ! "Pitié, confusion, misère partout", disait Henri IV. Le plus grand des maux, cause de tout, c'était encore l'anarchie. Qui gouvernerait ? La Ligue à Paris, et dans la plupart des grandes villes. Et l'esprit républicain des ligueurs ne le cédait guère à celui des protestants. Dans les provinces, des gouverneurs se taillaient des principautés. Le gouvernement légitime, régulier, n'était plus qu'un parti, celui des royalistes, et il s'en fallait de beaucoup qu'il fût le plus fort. Il avait pourtant l'avenir pour lui, comme le distingua tout de suite le Sénat de la République de Venise, qui fut la première puissance en Europe à reconnaître Henri IV.

    Sans l'affaire de la religion, Henri de Bourbon n'aurait pas eu de peine à reconquérir son royaume. Il dut à la fin se convaincre que, si la France désirait un roi, elle ne voulait qu'un roi catholique. Choisir l'heure de la conversion, c'était la difficulté. Henri IV eût préféré ne se convertir que vainqueur, librement. S'il avait abjuré dès le lendemain de la mort d'Henri III, comme on l'en pressait, tant de hâte eût été suspecte. Il n'eût pas été sûr de désarmer les ligueurs et de rallier tous les catholiques, tandis que les protestants, qui déjà n'avaient en lui qu'une confiance médiocre, l'eussent abandonné. Pour ne pas tout perdre, il devait courir sa chance, attendre d'être imposé par les événements.

    La joie de Paris à la nouvelle du crime de Saint-Cloud, l'exaltation du régicide par la Ligue, l'avertissaient assez que l'heure n'était pas venue. Dans sa déclaration du 4 août, il se contenta de jurer que la religion catholique serait respectée et que, dans les six mois, un concile déciderait de la conduite à tenir. Cette demi-mesure, peut-être la seule à prendre, ne contenta pas tous les royalistes dont certains refusèrent de le servir tandis qu'un grand tiers de l'armée protestante s'en alla, reniant ce parjure. Sans la noblesse, qui lui fut généralement fidèle et mérita bien de la France, il n'eût gardé que bien peu de monde autour de lui..."

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    Abjuration d'Henri IV
     
     

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    1984 : Le Belem classé Monument historique...
     
     
    Cet impressionnant navire sera observable des côtes du Golfe.
     

    https://www.fondationbelem.com/belem/histoire

    Entièrement restauré dans les années 1980, alors qu'il était dans un bien triste état, et près de sombrer dans l'oubli, voire la destruction, le Belem apporta la flamme olympique à Marseille, depuis la Grèce, à l'occasion des Jeux Olympiques de Paris, en 2024...

     
     
     
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    2007 : Création du Parc national de Guyane

     

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    3 janvier,sainte geneviève,paris,pantheon,attila,gaule,puvis de chavannes,huns,saint etienne du mont,larousse,joffreCette Éphéméride vous a plu ? En cliquant simplement sur le lien suivant, vous pourrez consulter, en permanence :

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