Voici une analyse originale à propos du nouveau motu proprio du pape François. Michel Michel est un acteur bien connu de la réflexion politique à l’Action Française, mais comme beaucoup de nos intellectuels il interroge aussi depuis longtemps la question religieuse et nous sommes heureux de lui donner la parole sur un sujet qui pourrait avoir des incidences déterminantes sur la civilisation occidentale. (NDLR)
Le motu proprio du Pape François Traditionis custodis a jeté le trouble dans ce qu’il reste de la Chrétienté. Les théologiens ont fait de longues analyses sur le sujet ; c’est en sociologue des représentations que je voudrais consacrer les quelques pages suivantes.
POUR RELATIVISER LA QUERELLE DES RITES
Il me semble que le Motu Proprio du Pape François s’inscrit dans la passion homogénéisante qui est une des composantes du rationalisme et finalement a donné le jacobinisme.
L’unité n’est pas l’uniformité ; au contraire, la volonté d’uniformiser se développe quand la cénesthésie sociale (le sentiment de ne former qu’un seul corps) est menacée.
Le caporalisme clérical de François est aux antipodes de la conception de l’Eglise par saint Paul comme un corps composé d’organes divers et complémentaires.
(Je souhaiterais que Eric Zemmour, qui a partiellement compris la logique maurrassienne, mais qui garde encore les réflexes jacobins de la bande à Pasqua, saisisse que le recours à la dictature centralisatrice n’est pas un signe de bonne santé. La chirurgie est parfois nécessaire, qui n’est justifiée que si elle est indispensable).
La réalité sociale est diversifiante, comme dans la vie dans la nature, les cultures ethniques, provinciales, familiales qui se multiplient au grand désespoir des bureaucrates de France comme du Vatican.
La sage stratégie, me semble-t-il, serait de mettre l’accent sur la multitude des rites plutôt que de vouloir en imposer un seul (à la grande crainte des catholiques orientaux). En effet dès que le dilemme se réduit à deux éléments, inévitablement l’esprit humain va en faire la comparaison (l’ancien et le nouveau, de droite ou de gauche, jeune ou vieux, le meilleur et le moins bon). Les Eglises d’Orient nous montrent que dans la multiplicité des formes la tolérance est possible (pas toujours hélas).
La réalité de la diversité des rites est donnée dans le tableau suivant :
RITES DE L’EGLISE CATHOLIQUE
Rite oriental (Églises catholiques orientales)
Rite alexandrin
Rite copte
Église catholique copte
Rite guèze
Église catholique éthiopienne, Église catholique érythréenne
Rite arménien
Église catholique arménienne
Rite chaldéen
Église catholique chaldéenne
Rite syriaque oriental
Église catholique syro-malabare
Rite antiochien
Rite maronite
Église maronite
Rite syriaque occidental
Église catholique syriaque · Église catholique syro-malankare
Rite byzantin
melkite · ukrainienne · roumaine · ruthène · slovaque · hongroise · bulgare · croate · macédonienne · croate · russe · biélorusse · albanaise · italo-albanaise · hellène · serbo-monténégrine · tchèque · géorgienne
Rite latin (Église catholique latine)
Rite romain
Messe de Vatican II (forme ordinaire)
Messe tridentine (forme extraordinaire)
Variantes du rite romain
Rite zaïrois · Rite bénédictin · Usage anglican
Autres rites latins
Rite mozarabe · Rite ambrosien · Rite de Braga · Rite dominicain · Rite cartusien · Rite cistercien
Rites liturgiques historiques
Rite gallican · Rite celtique · Rite lyonnais · Rite prémontré · Rite de Sarum · Rite carmélite
Toucher à la liturgie exige beaucoup de précautions sous peine de manquer gravement à la Charité. La mentalité nominaliste nous fait croire que les formes du culte sont « neutres » et peuvent aisément être substituées l’une à l’autre. L’arbitraire de l’autorité peut-il s’exercer sans délicatesse ? Changer de liturgie est aussi traumatisant que de décréter (comme Atatürk et au fond tous les révolutionnaires) le changement d’une langue, celle de la parole comme celle des mœurs.
Le rite, c’est le Bien Commun à toute l’Eglise, on ne change pas comme ça de façon caporaliste. Le fait de déposer le saint Sacrement dans le bas-côté de la Nef a provoqué la désorientation des fidèles qui ne savent plus de quel côté s’agenouiller et du coup, ils ne s’agenouillent plus (d’autant plus qu’on a retiré les agenouilloirs). On prie aussi avec son corps remarquait Pascal. Des générations de paysans spéculaient sur le temps à venir avec les « Saints de glace », les saints Mamet, Pancrace et Servais ; les intellectuels du Vatican les ont mis à la trappe, contribuant à la déchristianisation de la société.
On sait combien de schismes ont été suscités par les réformes liturgiques comme celle de Pierre le Grand dans l’orthodoxie russe.
Le Pape est au service de l’Eglise corps mystique du Christ comme l’Etat est au service du corps social. Comme les lois ne sont pas faite pour « construire » la société civile telle quelle devrait être pour l’idéologue, la liturgie n’est pas faite d’abord pour changer autoritairement la mentalité des fidèles, mais pour offrir un culte à Dieu. La liturgie est « signifiante » et non « instrumentale ».
Il faut donc dans ce domaine être très prudent.
On aurait pu dans quelques banlieues déshéritées expérimenter de « nouvelles messes » pour s’adapter à l’indigence culturelle des populations les plus frustes ; après tout on a bien fait des traductions de la Bible en français basique, traductions si plates… Peut-être dans cette multiplicité d’expériences dont la plupart n’auraient été que transitoires (les messes pour les enfants ne peuvent durer quand l’enfant grandit ; c’est mépriser les gens de penser qu’ils ne sont pas capables d’intelligence). On aurait probablement suscité un grand nombre d’échecs mais peut-être quelques réussites.
On a voulu au contraire tout changer en une seule fois, traumatisant ce qu’il restait de Chrétienté. Il fallait mettre à mort l’ancien rite de la messe sous peine de voir se constituer deux Eglises comme dans l’anglicanisme où la « Haute Eglise » (ou « Eglise catholique d’Angleterre ») n’a plus grand-chose à voir avec le culte de la « Basse Eglise » où les formes sont empruntées aux protestantismes. C’est inévitable, la diversité des cultes suscite des mentalités différentes (et vice versa).
Or le « coup d’Etat », je veux dire l’opération autoritaire, hiérarchique et cléricale, un demi-siècle après, a échoué.
D’une part parce que l’ancien rite s’est maintenu et malgré la sourde persécution de la hiérarchie cléricale, il s’est fort bien maintenu (20 % des vocations, proviennent des différentes communautés « tradis »).
D’autre part parce que la plus grande partie des fidèles (environ 9 sur 10) ont comme on dit « voté avec leurs pieds », c’est-à-dire qu’ils ne se sont pas ralliés aux rites que leur proposaient les paroisses. Désertant les églises, mal instruits de la doctrine par une catéchèses indigente ils ne transmettent plus la Foi si bien que leurs petits enfants ne sont même plus baptisés.
Certes, il reste encore un petit troupeau composé de personnes qui parviennent à trouver la messe à travers cette nouvelle messe ; ou de personnes qui n’ont pas trouvé étant donné la faiblesse (et la distance) de « l’offre » des cultes tradis et charismatiques d’autres formes pour célébrer. Dans la plupart des diocèses, c’est la limitation artificielle des paroisses « tradis » qui empêchent les 17 % de fidèles qui le souhaitent de fréquenter les lieux de culte où est pratiquée la messe « extraordinaire ».
Enfin il reste surtout dans la vieille génération des gens qui ont cru à la « nouvelle pentecôte » qui devait succéder au Concile Vatican II. Malgré les désillusions, certains ont le plus grand mal à se déjuger, et parfois héroïquement, c’est souvent eux qui font vivre les structures de ce qu’il reste aux paroisses.
Le grand Pape Benoit XVI a voulu, en affirmant qu’il n’y a qu’un seul rite sous la forme ordinaire ou extraordinaire, rétablir la paix liturgique. Le Pape François cet ancien péroniste autoritaire (dit-on) casse l’œuvre de son prédécesseur encore vivant. Comment l’Eglise pourrait-elle prétendre à l’œcuménisme ou au dialogue des religions si elle ne tolère même pas les modalités d’une messe qui a traversé une grande partie de son histoire ?
UNE « NOUVELLE » MESSE ?
Comment ai-je ressenti la substitution du nouvel Ordo Missae de Paul VI à la messe de Pie V ? Tout d’abord je veux affirmer que tout peut être sacralisé et que le profane n’est qu’un point de vue illusoire sur les choses qui sont réellement sacrées. D’ailleurs le mot même de profane relève du vocabulaire sacré, puisque profanum veut dire « devant le temple ».
Cela dit, dans la mesure où nous vivons dans un état de conscience déchu, nous avons besoin de médiations. Puisque nous ne vivons pas la totalité de notre existence avec une pleine conscience de la réalité sacrée, nous avons besoin de mettre à part certains espaces, (« déchausse-toi car ceci est une terre sacrée »), certains temps, (le dimanche, les fêtes, le Carême), certaines personnes (« consacrées »), pour qu’à partir des liens qu’elle tisse avec ces parcelles sacralisées, notre vie banalisée puisse retrouver un sens.
Aussi n’est-ce pas sans raison que dans la plupart des sociétés, la langue sacrée ne coïncide pas avec le langage ordinaire. L’araméen du temps du Christ n’était pas l’hébreu de la Bible, les Russes célèbrent la liturgie en vieux slavon, et le sanscrit des grands textes hindous n’est certainement pas la langue vernaculaire. Le latin, ancienne langue véhiculaire était devenue la langue liturgique, quasi-sacrée (la « révélation » de INRI « Jésus de Nazareth Roi des Juifs » n’avait-elle pas été inscrite en latin en même temps qu’en Grec et en Hébreu sur l’inscription que Pilate avait fait apposer sur la Croix ?) Est-ce pour cela, parce que les mots latins exprimaient dans nos consciences un autre niveau de réalité, qu’on a cherché à les supprimer de la liturgie ?
Pourtant rien n’est plus insupportable dans les discussions concernant les rites de la messe que cet oubli de l’essentiel. Jean Ousset disait : « Est-ce que le Christ vient à la consécration ? Si c’est le cas, pourquoi ne viendrais-je pas ? » Je suppose que la crèche où Jésus est né devait sentir le purin…
La messe n’est pas d’abord, une pédagogie pour la « conscientisation » des fidèles.
Qu’est-ce qui est nécessaire à la messe ?
• Que soit respecté un minimum de formes rituelles afin que le sacrement transmis par les pouvoirs donnés aux apôtres soit effectué et actualise pour nous le seul sacrifice du calvaire, sans bricolage liturgique qui rende l’action douteuse.
Sous cet angle-là, il n’est pas douteux que la nouvelle messe – celle qui a été amendée par l’intervention providentielle des cardinaux Siri et Ottaviani –, au moins quand on en respecte les formes, soit la messe.
• Accessoirement, il faut souhaiter que le rite soit « priant » ; et là, les critères sont bien relatifs.
Pour en revenir à la messe de Paul VI, ce qui me paraît scandaleux, ce n’est pas la création d’un nouveau rite. Les mots « création »