UA-147560259-1

Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

Un point de vue de sociologue sur le motu proprio du pape François, par Michel Michel.

Voi­ci une ana­lyse ori­gi­nale à pro­pos du nou­veau motu pro­prio du pape Fran­çois. Michel Michel est un acteur bien connu de la réflexion poli­tique à l’Action Fran­çaise, mais comme beau­coup de nos intel­lec­tuels il inter­roge aus­si depuis long­temps la ques­tion reli­gieuse et nous sommes heu­reux de lui don­ner la parole sur un sujet qui pour­rait avoir des inci­dences déter­mi­nantes sur la civi­li­sa­tion occi­den­tale. (NDLR)

6.jpgLe motu pro­prio du Pape Fran­çois Tra­di­tio­nis cus­to­dis a jeté le trouble dans ce qu’il reste de la Chré­tien­té. Les théo­lo­giens ont fait de longues ana­lyses sur le sujet ; c’est en socio­logue des repré­sen­ta­tions que je vou­drais consa­crer les quelques pages suivantes.

POUR RELATIVISER LA QUERELLE DES RITES

Il me semble que le Motu Pro­prio du Pape Fran­çois s’inscrit dans la pas­sion homo­gé­néi­sante qui est une des com­po­santes du ratio­na­lisme et fina­le­ment a don­né le jaco­bi­nisme.
L’unité n’est pas l’uniformité ; au contraire, la volon­té d’uniformiser se déve­loppe quand la cénes­thé­sie sociale (le sen­ti­ment de ne for­mer qu’un seul corps) est mena­cée.
Le capo­ra­lisme clé­ri­cal de Fran­çois est aux anti­podes de la concep­tion de l’Eglise par saint Paul comme un corps com­po­sé d’organes divers et com­plé­men­taires.
(Je sou­hai­te­rais que Eric Zem­mour, qui a par­tiel­le­ment com­pris la logique maur­ras­sienne, mais qui garde encore les réflexes jaco­bins de la bande à Pas­qua, sai­sisse que le recours à la dic­ta­ture cen­tra­li­sa­trice n’est pas un signe de bonne san­té. La chi­rur­gie est par­fois néces­saire, qui n’est jus­ti­fiée que si elle est indis­pen­sable).
La réa­li­té sociale est diver­si­fiante, comme dans la vie dans la nature, les cultures eth­niques, pro­vin­ciales, fami­liales qui se mul­ti­plient au grand déses­poir des bureau­crates de France comme du Vatican.

La sage stra­té­gie, me semble-t-il, serait de mettre l’accent sur la mul­ti­tude des rites plu­tôt que de vou­loir en impo­ser un seul (à la grande crainte des catho­liques orien­taux). En effet dès que le dilemme se réduit à deux élé­ments, inévi­ta­ble­ment l’esprit humain va en faire la com­pa­rai­son (l’ancien et le nou­veau, de droite ou de gauche, jeune ou vieux, le meilleur et le moins bon). Les Eglises d’Orient nous montrent que dans la mul­ti­pli­ci­té des formes la tolé­rance est pos­sible (pas tou­jours hélas).

La réa­li­té de la diver­si­té des rites est don­née dans le tableau suivant :

RITES DE L’EGLISE CATHOLIQUE

Rite orien­tal  (Églises catho­liques orientales)

Rite alexan­drin
Rite copte
Église catho­lique copte
Rite guèze
Église catho­lique éthio­pienne,  Église catho­lique éry­thréenne
Rite armé­nien
Église catho­lique armé­nienne
Rite chal­déen
Église catho­lique chal­déenne
Rite syriaque orien­tal
Église catho­lique syro-mala­bare
Rite antio­chien
Rite maro­nite
Église maro­nite
Rite syriaque occi­den­tal
Église catho­lique syriaque · Église catho­lique syro-malan­kare
Rite byzan­tin
mel­kite · ukrai­nienne · rou­maine · ruthène · slo­vaque · hon­groise · bul­gare · croate · macé­do­nienne · croate · russe · bié­lo­russe · alba­naise · ita­lo-alba­naise · hel­lène · ser­bo-mon­té­né­grine · tchèque · géorgienne

Rite latin (Église catho­lique latine)

Rite romain
Messe de Vati­can II (forme ordi­naire)
Messe tri­den­tine (forme extra­or­di­naire)
Variantes du rite romain
Rite zaï­rois · Rite béné­dic­tin · Usage angli­can
Autres rites latins
Rite moza­rabe · Rite ambro­sien · Rite de Bra­ga · Rite domi­ni­cain · Rite car­tu­sien · Rite cis­ter­cien
Rites litur­giques his­to­riques
Rite gal­li­can · Rite cel­tique · Rite lyon­nais · Rite pré­mon­tré · Rite de Sarum · Rite carmélite

Tou­cher à la litur­gie exige beau­coup de pré­cau­tions sous peine de man­quer gra­ve­ment à la Cha­ri­té. La men­ta­li­té nomi­na­liste nous fait croire que les formes du culte sont « neutres » et peuvent aisé­ment être sub­sti­tuées l’une à l’autre. L’arbitraire de l’autorité peut-il s’exercer sans déli­ca­tesse ?  Chan­ger de litur­gie est aus­si trau­ma­ti­sant que de décré­ter (comme Atatürk et au fond tous les révo­lu­tion­naires) le chan­ge­ment d’une langue, celle de la parole comme celle des mœurs.

Le rite, c’est le Bien Com­mun à toute l’Eglise, on ne change pas comme ça de façon capo­ra­liste. Le fait de dépo­ser le saint Sacre­ment dans le bas-côté de la Nef a pro­vo­qué la déso­rien­ta­tion des fidèles qui ne savent plus de quel côté s’agenouiller et du coup, ils ne s’agenouillent plus (d’autant plus qu’on a reti­ré les age­nouilloirs). On prie aus­si avec son corps remar­quait Pas­cal. Des géné­ra­tions de pay­sans spé­cu­laient sur le temps à venir avec les « Saints de glace », les saints Mamet, Pan­crace et Ser­vais ; les intel­lec­tuels du Vati­can les ont mis à la trappe, contri­buant à la déchris­tia­ni­sa­tion de la société.

On sait com­bien de schismes ont été sus­ci­tés par les réformes litur­giques comme celle de Pierre le Grand dans l’orthodoxie russe.

Le Pape est au ser­vice de l’Eglise corps mys­tique du Christ comme l’Etat est au ser­vice du corps social. Comme les lois ne sont pas faite pour « construire » la socié­té civile telle quelle devrait être pour l’idéologue, la litur­gie n’est pas faite d’abord pour chan­ger auto­ri­tai­re­ment la men­ta­li­té des fidèles, mais pour offrir un culte à Dieu. La litur­gie est « signi­fiante » et non « instrumentale ».

Il faut donc dans ce domaine être très prudent.

On aurait pu dans quelques ban­lieues déshé­ri­tées expé­ri­men­ter de « nou­velles messes » pour s’adapter à l’indigence cultu­relle des popu­la­tions les plus frustes ; après tout on a bien fait des tra­duc­tions de la Bible en fran­çais basique, tra­duc­tions si plates… Peut-être dans cette mul­ti­pli­ci­té d’expériences dont la plu­part n’auraient été que tran­si­toires (les messes pour les enfants ne peuvent durer quand l’enfant gran­dit ; c’est mépri­ser les gens de pen­ser qu’ils ne sont pas capables d’intelligence). On aurait pro­ba­ble­ment sus­ci­té un grand nombre d’échecs mais peut-être quelques réussites.

On a vou­lu au contraire tout chan­ger en une seule fois, trau­ma­ti­sant ce qu’il res­tait de Chré­tien­té. Il fal­lait mettre à mort l’ancien rite de la messe sous peine de voir se consti­tuer deux Eglises comme dans l’anglicanisme où la « Haute Eglise » (ou « Eglise catho­lique d’Angleterre ») n’a plus grand-chose à voir avec le culte de la « Basse Eglise » où les formes sont emprun­tées aux pro­tes­tan­tismes. C’est inévi­table, la diver­si­té des cultes sus­cite des men­ta­li­tés dif­fé­rentes (et vice versa).

Or le « coup d’Etat », je veux dire l’opération auto­ri­taire, hié­rar­chique et clé­ri­cale, un demi-siècle après, a échoué.

D’une part parce que l’ancien rite s’est main­te­nu et mal­gré la sourde per­sé­cu­tion de la hié­rar­chie clé­ri­cale, il s’est fort bien main­te­nu (20 % des voca­tions, pro­viennent des dif­fé­rentes com­mu­nau­tés « tradis »).

D’autre part parce que la plus grande par­tie des fidèles (envi­ron 9 sur 10) ont comme on dit « voté avec leurs pieds », c’est-à-dire qu’ils ne se sont pas ral­liés aux rites que leur pro­po­saient les paroisses. Déser­tant les églises, mal ins­truits de la doc­trine par une caté­chèses indi­gente ils ne trans­mettent plus la Foi si bien que leurs petits enfants ne sont même plus baptisés.

Certes, il reste encore un petit trou­peau com­po­sé de per­sonnes qui par­viennent à trou­ver la messe à tra­vers cette nou­velle messe ; ou de per­sonnes qui n’ont pas trou­vé étant don­né la fai­blesse (et la dis­tance) de « l’offre » des cultes tra­dis et cha­ris­ma­tiques d’autres formes pour célé­brer. Dans la plu­part des dio­cèses, c’est la limi­ta­tion arti­fi­cielle des paroisses « tra­dis » qui empêchent les 17 % de fidèles qui le sou­haitent de fré­quen­ter les lieux de culte où est pra­ti­quée la messe « extraordinaire ».

Enfin il reste sur­tout dans la vieille géné­ra­tion des gens qui ont cru à la « nou­velle pen­te­côte » qui devait suc­cé­der au Concile Vati­can II. Mal­gré les dés­illu­sions, cer­tains ont le plus grand mal à se déju­ger, et par­fois héroï­que­ment, c’est sou­vent eux qui font vivre les struc­tures de ce qu’il reste aux paroisses.

Le grand Pape Benoit XVI a vou­lu, en affir­mant qu’il n’y a qu’un seul rite sous la forme ordi­naire ou extra­or­di­naire, réta­blir la paix litur­gique. Le Pape Fran­çois cet ancien péro­niste auto­ri­taire (dit-on) casse l’œuvre de son pré­dé­ces­seur encore vivant. Com­ment l’Eglise pour­rait-elle pré­tendre à l’œcuménisme ou au dia­logue des reli­gions si elle ne tolère même pas les moda­li­tés d’une messe qui a tra­ver­sé une grande par­tie de son histoire ?

UNE « NOUVELLE » MESSE ?

Com­ment ai-je res­sen­ti la sub­sti­tu­tion du nou­vel Ordo Mis­sae de Paul VI à la messe de Pie V ?  Tout d’a­bord je veux affir­mer que tout peut être sacra­li­sé et que le pro­fane n’est qu’un point de vue illu­soire sur les choses qui sont réel­le­ment sacrées. D’ailleurs le mot même de pro­fane relève du voca­bu­laire sacré, puisque pro­fa­num veut dire « devant le temple ».

Cela dit, dans la mesure où nous vivons dans un état de conscience déchu, nous avons besoin de média­tions. Puisque nous ne vivons pas la tota­li­té de notre exis­tence avec une pleine conscience de la réa­li­té sacrée, nous avons besoin de mettre à part cer­tains espaces, (« déchausse-toi car ceci est une terre sacrée »), cer­tains temps, (le dimanche, les fêtes, le Carême), cer­taines per­sonnes (« consa­crées »), pour qu’à par­tir des liens qu’elle tisse avec ces par­celles sacra­li­sées, notre vie bana­li­sée puisse retrou­ver un sens.

Aus­si n’est-ce pas sans rai­son que dans la plu­part des socié­tés, la langue sacrée ne coïn­cide pas avec le lan­gage ordi­naire. L’a­ra­méen du temps du Christ n’é­tait pas l’hé­breu de la Bible, les Russes célèbrent la litur­gie en vieux sla­von, et le sans­crit des grands textes hin­dous n’est cer­tai­ne­ment pas la langue ver­na­cu­laire. Le latin, ancienne langue véhi­cu­laire était deve­nue la langue litur­gique, qua­si-sacrée (la « révé­la­tion » de INRI « Jésus de Naza­reth Roi des Juifs » n’a­vait-elle pas été ins­crite en latin en même temps qu’en Grec et en Hébreu sur l’ins­crip­tion que Pilate avait fait appo­ser sur la Croix ?) Est-ce pour cela, parce que les mots latins expri­maient dans nos consciences un autre niveau de réa­li­té, qu’on a cher­ché à les sup­pri­mer de la liturgie ?

Pour­tant rien n’est plus insup­por­table dans les dis­cus­sions concer­nant les rites de la messe que cet oubli de l’es­sen­tiel. Jean Ous­set disait : « Est-ce que le Christ vient à la consé­cra­tion ? Si c’est le cas, pour­quoi ne vien­drais-je pas ? » Je sup­pose que la crèche où Jésus est né devait sen­tir le purin…

La messe n’est pas d’abord, une péda­go­gie pour la « conscien­ti­sa­tion » des fidèles.

Qu’est-ce qui est néces­saire à la messe ?

• Que soit res­pec­té un mini­mum de formes rituelles afin que le sacre­ment trans­mis par les pou­voirs don­nés aux apôtres soit effec­tué et actua­lise pour nous le seul sacri­fice du cal­vaire, sans bri­co­lage litur­gique qui rende l’ac­tion douteuse.

Sous cet angle-là, il n’est pas dou­teux que la nou­velle messe – celle qui a été amen­dée par l’intervention pro­vi­den­tielle des car­di­naux Siri et Otta­via­ni –, au moins quand on en res­pecte les formes, soit la messe.

• Acces­soi­re­ment, il faut sou­hai­ter que le rite soit « priant » ; et là, les cri­tères sont bien relatifs.

Pour en reve­nir à la messe de Paul VI, ce qui me paraît scan­da­leux, ce n’est pas la créa­tion d’un nou­veau rite. Les mots « créa­tion » et « nou­veau » sont mal adap­tés, parce qu’au fond, il n’y a qu’une seule messe, celle que le Christ a vécu : l’incarnation, la Cène, la Pas­sion, la Croix et la Résurrection.

Mais puisque nous sommes sou­mis à une chute cyclique de la conscience, peut-être était-il néces­saire « d’adapter » aux condi­tions actuelles la célé­bra­tion du sacre­ment de l’Eucharistie. Cela aurait été accep­table que dans quelques ban­lieues déshé­ri­tées où une majo­ri­té de pra­ti­quants aurait affir­mé avoir le plus grand mal à conser­ver l’in­tel­li­gence du rite, on « expé­ri­mente » une nou­velle litur­gie. Ce qui est scan­da­leux, c’est la façon auto­ri­taire dont l’ap­pa­reil ecclé­sias­tique a rem­pla­cé l’an­cienne litur­gie, comme si c’é­tait son bien propre, et non le bien com­mun de tous, auquel on pou­vait légi­ti­me­ment être attaché.

Cet auto­ri­ta­risme était d’au­tant plus insup­por­table que la plu­part des pro­mo­teurs des nou­veaux rites mani­fes­taient une évi­dente volon­té de désa­cra­li­sa­tion, qui ren­for­çait jus­qu’à la cari­ca­ture la plus odieuse le carac­tère évi­dem­ment « hori­zon­ta­liste » de la messe de Paul VI. La litur­gie tra­di­tion­nelle était pola­ri­sée sur l’ex­pres­sion de la rela­tion à la trans­cen­dance du Père ; comme le mani­fes­tait la posi­tion média­trice du prêtre face à l’au­tel, la stricte césure entre le chœur et la nef, ou, dans les églises d’O­rient, l’u­sage de l’i­co­no­stase. La litur­gie nou­velle vou­lut se cen­trer sur le peuple de Dieu, théo­ri­que­ment plus ou moins ani­mé par la Pré­sence imma­nente de l’Es­prit : on célé­bra la messe face au peuple, qui devait ne rien perdre des paroles du prêtre qui, bien plus qu’au­pa­ra­vant, s’a­dres­sait à lui plu­tôt qu’à Dieu.

Cette litur­gie trop axée sur la sti­mu­la­tion de la conscience des fidèles pou­vait lais­ser entendre que l’es­sen­tiel n’é­tait plus dans l’u­nion du ciel et de la terre opé­rée par le Sacri­fice du Christ, mais dans la « prise de conscience » des fidèles dont le rite n’é­tait que l’instrument.

Ah ! ces « prières uni­ver­selles » dans les­quelles la finale hypo­crite des phrases (« prions le Sei­gneur ») n’est évi­dem­ment qu’un pré­texte pour pour­suivre sur un mode répé­ti­tif l’ef­fort de conscien­ti­sa­tion entre­pris lors du ser­mon. Encore, jadis, lorsque dans les roga­tions on priait pour les mois­sons, cha­cun savait que la pluie ne dépen­dait pas de sa propre action, tan­dis que lorsque j’en­tends qu’on me demande de prier pour la paix, j’ai tou­jours le soup­çon que ce n’est pas de la Pro­vi­dence que l’on attend un chan­ge­ment, mais de la modi­fi­ca­tion de ma conscience, comme dans les camps de réédu­ca­tion du Vietminh.

On pou­vait au moins espé­rer que toute cette pola­ri­sa­tion sur le peuple de Dieu redon­ne­rait au moins une cer­taine vie aux com­mu­nau­tés parois­siales dans un contexte d’in­di­vi­dua­lisme for­ce­né. Là, c’est l’é­chec com­plet, d’ailleurs, com­ment pour­rait-on éveiller la conscience de la com­mu­nau­té, alors qu’on s’est éver­tué à com­battre l’hé­ri­tage com­mun de la chré­tien­té et des mani­fes­ta­tions de la pié­té popu­laire ? Il faut au contraire obser­ver la lutte sourde qui dans les années 70 oppo­sait si sou­vent le cler­gé à ce qui peut demeu­rer de véri­tables com­mu­nau­tés de chré­tien­té (péni­tents du midi, cha­ri­tons nor­mands, asso­cia­tions fami­liales catho­liques, ado­ra­teurs du Saint-Sacre­ment, pra­tique en groupe du cha­pe­let, etc.).

Aus­si les appels à la com­mu­nau­té du peuple de Dieu – sauf peut-être chez les cha­ris­ma­tiques – appa­raissent-ils mal­heu­reu­se­ment comme pure­ment incan­ta­toires, comme les per­pé­tuels appels à « la mise en route » d’une grande par­tie des can­tiques qui res­semble aux « marches » des hal­le­bar­diers d’opérette.

La litur­gie nou­velle vou­lut se cen­trer sur le peuple de Dieu, éven­tuel­le­ment ani­mée par la Pré­sence imma­nente de l’Es­prit : on célé­bra la messe face au peuple, l’au­tel (jadis tom­beau des mar­tyrs) réduit à une table au milieu des fidèles qui devaient ne rien perdre des paroles du prêtre et qui, bien plus qu’au­pa­ra­vant, s’a­dres­saient à lui plu­tôt qu’au Père. Cette litur­gie trop axée sur la sti­mu­la­tion de la conscience des fidèles pou­vait lais­ser entendre que l’es­sen­tiel n’é­tait plus dans l’u­nion du ciel et de la terre opé­rée par le Sacri­fice du Christ, mais dans la « prise de conscience » des fidèles dont le rite n’é­tait que l’instrument. 

Au-delà de ces tristes péri­pé­ties, il faut bien recon­naître que la crise de la litur­gie a révé­lé une fois de plus les deux grands tra­vers de l’É­glise latine : I’u­ni­for­misme et le cléricalisme.

L’u­ni­for­misme c’est ce goût pour l’u­ni­for­mi­té proche du jaco­bi­nisme. Catho­lique veut dire uni­ver­sel, mais cer­tai­ne­ment pas uni­forme. Déjà, l’É­glise post-tri­den­tine avait mani­fes­té cette pro­pen­sion « clas­sique » à confondre ordre et uni­for­mi­té ; encore que le rite de saint Pie V lais­sât sub­sis­ter quelques variantes à Milan, à Lyon ou dans quelques ordres reli­gieux. Pour la messe de Paul VI, tout avait été fait pour que l’an­cien rite sécu­laire soit pure­ment et sim­ple­ment sup­pri­mé. Les repré­sen­tants des rites orien­taux, mala­bars, mel­kites, syriaques et autres maro­nites feraient bien de se méfier de cet uni­for­misme romain…

Quant au thème de la res­pon­sa­bi­li­té don­née aux laïcs, il n’est que le faux nez du vieux clé­ri­ca­lisme. Lors de cette révo­lu­tion litur­gique, le cler­gé a super­be­ment igno­ré le sen­ti­ment des fidèles (mais pas des médias sup­po­sés reflé­ter l’opinion publique) alors même qu’il pré­ten­dait les trai­ter en « adultes et res­pon­sables ». II est évident que tous ces bou­le­ver­se­ments se sont pro­duits contre l’as­sen­ti­ment des fidèles.

Je me sou­viens de ce jésuite qui entre­pre­nait la réor­ga­ni­sa­tion des bancs en demi-cercle (selon les canons de la péda­go­gie soixante-hui­tarde) et la sup­pres­sion des age­nouilloirs. Je lui pro­po­sais de faire une étude sur les vœux des parois­siens. Il s’exclama alors : « vous êtes fou ! Si on les écou­tait, ils nous ren­ver­raient à la sacristie ».

En tant que socio­logue, j’ai eu quel­que­fois à mener des enquêtes sur les convic­tions et les pra­tiques reli­gieuses de mes contem­po­rains. Les non pra­ti­quants jus­ti­fiaient en géné­ral l’a­ban­don de la pra­tique avant les années 70 par la conduite scan­da­leuse d’un curé qui les avait cho­qués ; au-delà de cette période c’est le plus sou­vent la répu­gnance pour les nou­veaux rites qui est invo­quée. (Cf. la chan­son de Georges Bras­sens : « sans le latin la messe nous emmerde »). Aujourd’hui la non-pra­tique étant consen­suelle, il n’y a même plus besoin d’avoir à se justifier.

Ce clé­ri­ca­lisme auto­ri­taire, « jaco­bin », « hauss­man­nien » est d’au­tant plus irri­tant qu’il se révèle sur un arrière-fond nomi­na­liste, rédui­sant le sym­bo­lique au fonc­tion­nel. Dans la litur­gie qui devrait mani­fes­ter la per­ma­nence de l’ordre divin, c’est une impié­té et une cuis­tre­rie de faire comme si la volon­té arbi­traire de l’homme (en fait celle des bureau­cra­ties ecclé­sias­tiques) était souveraine.

LA MESSE EN LATIN

Je sais bien que pour les vrais théo­lo­giens, la ten­sion entre les deux rites est sus­ci­tée par bien d’autres choses que la langue dont on fait usage. Cepen­dant la ques­tion doit être abor­dée car c’est par ce petit côté de la lor­gnette qu’elle est per­çue par la popu­la­tion qui ne parle pas de rite extra­or­di­naire et de rite ordi­naire, mais de « messe en latin » et de « messe en français ».

Au fond le prin­ci­pal, sou­vent le seul argu­ment des adver­saires de la « messe en latin » c’est que « les gens ne com­prennent pas »… C’est dire l’inconvénient de la « messe en fran­çais » : c’est que ça donne aux gens l’illusion qu’ils ont com­pris et qu’il n’y a plus rien à cher­cher. J’oserai faire une com­pa­rai­son : une femme qui se montre com­plé­te­ment dénu­dée a moins de séduc­tion qu’une femme qui se voile et se montre à la fois.

Le mys­tère divin dépasse notre capa­ci­té d’entendement, même de celui des plus sub­tils théologiens…Les lin­guistes savent que dans beau­coup de socié­tés il y a plu­sieurs langues. En famille on n’emploie pas la même langue quand on s’adresse aux petits, pour décla­rer son désir amou­reux, pour mar­quer son appar­te­nance à une pro­vince ou pour faire son tes­ta­ment. Les Indiens ont plu­sieurs langues autoch­tones : pour se com­prendre, ils uti­lisent l’Anglais ou la langue morte, le sans­krit pour le domaine sacré. Les musul­mans ont une langue sacrée, pour conver­tir, ils enseignent l’arabe « classique ».

Pour mar­quer le carac­tère sacré des rites, ceux-ci sont dits en langue ancienne : les Russes en vieux sla­von, à Rome, les chré­tiens conti­nuent à user des expres­sions grecques (Kyrie elei­son) et les Grecs les expres­sions des Hébreux (Allé­luia, Amen).

Au temps du Christ, on par­lait l’araméen, on com­mer­çait en grec et pour­tant on priait et on étu­diait la Bible en Hébreu ancien. C’est une mani­fes­ta­tion du hié­ra­tique qui est esthé­tique du sacré. Serait-ce jus­te­ment pour lut­ter contre le sacré et sacri­fier aux théo­lo­giens de la démy­thi­fi­ca­tion ou de la désa­cra­li­sa­tion que la langue « banale » aurait été adop­té dans le rite « ordi­naire » ?
Le latin est la langue de la Chré­tien­té occi­den­tale romaine. C’est la seule marque de l’unité de l’Europe où jusqu’aux XVIIIe siècle, intel­lec­tuels et savants écrivent leurs œuvres en latin. La Chré­tien­té est morte ? Pas sûr. Les Juifs sont par­ve­nus à faire d’une « langue morte » l’Hébreu ancien, une langue vivante.

En outre les tra­duc­tions sont tou­jours ban­cales. « tra­du­tore, tra­di­tore » dit le pro­verbe ita­lien. « De même nature » ne tra­duit pas cor­rec­te­ment « homoie­sus ». On garde la langue où les termes sont bien défi­nis, sinon la doc­trine se corrompt.

L’intérêt d’une langue ancienne, c’est que le sens n’est pas évolutif. 

Le temps lis­se­ra peut-être les ten­sions litur­giques ; j’attends Vati­can III.

Michel MICHEL sociologue

Source : https://www.actionfrancaise.net/

Commentaires

  • Parfait ....

    .... mais il faut transcrire "homoousion" (ὁμοούσιον)

Écrire un commentaire

NB : Les commentaires de ce blog sont modérés.

Optionnel