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  • Etre (ou ne pas être) républicain : Frédéric Rouvillois jette un pavé dans la mare de nos consensus mous

    Tout le monde se revendique républicain, alors qu’en réalité personne ne le serait vraiment
     
     
    Après avoir donné un important entretien au Figaro [voir notre publication du lundi 28 octobre : « Le mot ‘République' est à la fois vide et sacré »] Frédéric Rouvillois rouvre le débat sur la République sur le site Atlantico. Et il répond à quelques unes des objections qu'Eric Zemmour lui a opposées dans le même Figaro. Ainsi, le débat sur la République, sur ses valeurs, sur la pertinence de la forme républicaine de l'Etat, sur la dialectique république ou monarchie, se prolonge et s'approfondit ... A vrai dire, cette sorte de contestation de la République, semble être devenue latente, voire banale, dans le débat politique français. Est-ce une tendance lourde ? Sans doute. Lafautearousseau 
     
    Depuis les débats qui ont suivi les attentats de Charlie Hebdo, la surutilisation des termes "républicains" et "République" semble avoir désactivé leurs contenus. Mais leur définition n'a-t-elle jamais été fixe depuis la révolution française ?

    Des républicains antimondialistes aux républicains européistes, des républicains souverainistes aux républicains libéraux, du FN au Front de Gauche, de Hollande à Sarkozy, tout le monde se revendique républicain, alors qu’en réalité personne ne le serait vraiment. La République a beau se retrouver sur toutes les langues des politiques et sous toutes les plumes, la belle est portée disparue. La litanie des "valeurs républicaines", religieusement psalmodiée, à chaque sermon politique depuis les attentats du 11 janvier, sonnerait complètement creux.

    Tel est le pavé que Frédéric Rouvillois jette dans la mare du consensus mou en démontrant, dans son nouvel essai, "Etre (ou ne pas être) républicain", qu’il est impossible de déterminer ce qu’est la République, et que par conséquent celle-ci serait indéfinissable et insaisissable. 

    Le parti pris est audacieux, le constat déconcerte, l’analyse déroute et la conclusion met mal à l’aise. Sous le poids d’une argumentation historique bien étayée, Frédéric Rouvillois s’amuse à faire vaciller cette République que l’on croyait indéboulonnable, bien installée sur son sacro-saint triptyque Liberté-égalité-fraternité, auquel s’est ajoutée l’incontournable laïcité et fait voler en éclat nos préjugés de citoyens engagés.

    frederic-rouvillois.jpgIsabelle Marchandier : Dans sa chronique du Figaro de la semaine dernière, Éric Zemmour vous accuse de vouloir "déconstruire une République qui n'existe plus" et ce faisant de "mettre une claque à votre grand-mère"…Que lui répondez-vous ?

    Frédéric Rouvillois : J'ai infiniment d'estime pour Éric Zemmour et pour les combats qu’il mène tambour battant, à la hussarde, ou plutôt, à la façon des soldats de l'an II, qui sont à la base de sa mythologie personnelle. Mais là je crois qu'il se trompe de cible. Le propos de mon petit essai n'est pas de déconstruire une République qui n'existe plus, mais de constater que "La République", en tant qu'essence, n'a jamais existé. Il y a eu, à toutes les époques, des Républiques aux innombrables visages, parfois démocratiques ou despotiques voire totalitaires, parfois libérales ou nationales, parfois universalistes ou particularistes. C'est pourquoi, dire de quelqu'un qu’il est républicains, ou qu’il ne l’est pas, n'a pas beaucoup de sens, comme le disait déjà Proudhon au XIXe siècle. Ce que je dénonce ici, ce n'est donc pas la République, d’hier ou d’aujourd’hui, c'est plutôt l'usage de ce mot, "républicain", et l'effet de sidération, d'hypnose, et d'occultation qui en résulte. Il suffit de prononcer ce mot sacré ou bien l'une de ses déclinaisons - comme les fameuses "valeurs républicaines" - pour que chacun se taise et s'incline. 

    Qu'à certaines époques, des Républiques aient effectivement défendu la nation et la souveraineté, comme le rappelle Éric Zemmour, ne fait aucun doute. Mais là où il y a abus, à mon sens, c’est de considérer ces thèmes, nation, souveraineté, etc, comme intrinsèquement liés à la République, ou à ce que Zemmour appelle les "anciens principes de la république", bref, à une République authentique, véritable, que l'on pourrait donc légitimement opposer, comme il le fait, à une République factice, contrefaite, usurpatrice, celle qui brûle tout ce que l'autre a adoré, et qui adore tout ce qu'elle a brûlé. Pour reprendre encore les termes d'Éric Zemmour, "les prétendus républicains d'aujourd'hui" ne sont, au fond, pas moins républicains que "les farouches républicains" d'hier, même si les uns bradent la nation que les autres ont voulu défendre jusqu'à la mort, la leur, et celle des autres. Simplement, ces derniers étaient des républicains patriotes, alors que les autres, convaincus que la patrie est désormais désuète et dépassée, ne le sont pas.

    Éric Zemmour reproche, à juste titre, aux républicains d’aujourd’hui de dire "la République pour ne pas dire la France (…) pour déraciner à nation et son peuple". Mais les républicains d'hier en furent-ils vraiment innocents lorsqu'ils proclamaient que la France commençait avec eux, et qu’ils s'acharnaient à éradiquer minutieusement la mémoire, et donc les racines de l'ancienne France, au nom d'un progrès nécessaire et d'une raison universelle ?

    Pour contrer la montée de la radicalisation islamiste et la désaffiliation nationale, en appeler à une République forte qui réaffirme l’autorité de ses principes ne servirait donc à rien ?

    Le suffrage universel, l’école, l’universalisme ou la laïcité, aucun de ces critères que l’on a l’habitude de citer pour définir la République ne sont spécifiquement républicains puisqu’ils existent dans des systèmes qui ne sont pas des Républiques tout en étant absents de nombreuses Républiques, passées ou présentes. Derrière le mot République, derrière cette unanimité de façade, il y a en fait un profond désaccord sur la chose. Si on prend l’exemple de ce que j’appelle "la légende républicaine", forgée sous la III République, on est frappé de voir comment cet ensemble d’idées et de thématiques s’avèrent incompatibles avec la réalité du fonctionnement de la Ve République. La primauté du parlement, l’absence d’incarnation du pouvoir, le principe de représentation sont à l’opposé de la démocratie directe et du référendum. Pour la gauche socialiste et radicale, la République gaullienne n’est pas une véritable République alors qu’a contrario pour le conservateur de droite gaulliste, la Vème République est un très bon système qui est parfaitement républicain. Le même mot sert à désigner des réalités antagonistes. La République de Vincent Auriol n’est pas celle du Général. Bref, la République des uns est donc l’anti-République des autres.

    Dans ces conditions, à quelle République faut-il en appeler ? Et à quels principes ? Si l’on ne sait même pas ce dont on parle, peut-on espérer contrer un mouvement qui menace jusqu’à l’existence même de notre civilisation ?

    Pourtant l’école républicaine a été clairement définie par l’école du mérite… Les intellectuels qui fustigent la réforme actuelle du collège, la suppression de l’épreuve d’histoire au concours de l’ENA ou encore l’idéologie pédagogiste qui prône l’autonomie du savoir au détriment de l’apprentissage, parleraient-ils dans le vide ?

    L’école dite républicaine, celle de la III république à laquelle font allusion Alain Finkielkraut, Marcel Gauchet et d’autres, correspond trait pour trait à l’école qui est organisée à la même époque dans l’empire Allemand, qu’il n’est pas d’usage, à ma connaissance, de qualifier de républicaine. Ce que nos thuriféraires de l’apprentissage des fondamentaux appellent "l’école de la République", c’est une école mise en place en France à un certain moment, notamment par une certaine République et qui existe aujourd’hui dans des régimes qui ne sont pas forcément républicains. Récompenser les bons élèves, établir une sélection à l’entrée du lycée, n’a rien de spécifiquement républicain. Même si Jules Ferry a fait oublier Guizot, voire Charlemagne, la méritocratie n’est absolument pas l’attribut de la République. La promotion sociale existait sous la monarchie Française comme elle existe aujourd’hui sous la monarchie marocaine.

    Au fond, "L’école de la République", n’est qu’un grand mot employé pour mettre en valeur un discours, par ailleurs parfaitement légitime, mais qui n’a pas besoin de ce supposé supplément d’âme pour être compris par les Français.

    S’il y a une telle discordance entre la République en tant que représentation et la République en tant que réalité historique, est-ce à dire que le républicanisme est une idéologie ?

    Il y a un côté idolâtrie dans ce mot républicain qui est utilisé comme un grigri que l’on agite dans l’espoir d’exorciser nos peurs et nos angoisses et de faire disparaitre l’ensemble de nos maux : la crise du vivre-ensemble, la dépolitisation, la montée des extrémismes, etc, etc…Mais ce mot sert surtout à ne pas se poser certaines questions. Il suffit de prononcer le mot "républicain" pour que la messe soit dite. Son évocation induit une sorte de génuflexion mentale qui conduit au mutisme et à la censure du débat. 

    C’est un peu comme dans la Rome antique où lorsque l’empereur paraît, tout le monde se tait et se prosterne. Par ailleurs, si ce mot exorcise, il diabolise aussi en agissant comme un instrument pour exclure les concurrents menaçants, les ennemis politiques - comme le FN aujourd’hui ou les communistes avant-hier. Or, accuser le FN de ne pas être un parti républicain est un non-sens. Le FN peut se dire républicain au même titre que les autres partis. Ni moins, ni plus.

    Pourtant ce n’est pas parce que la république n’est pas, qu’elle n’existe pas ! La manifestation après les attentats contre Charlie Hebdo n’a-t-elle pas été une démonstration de ce que peut-être une République effective? Les 4 millions de gens réunis place de la République n’ont-il pas rendu vivant ce slogan "liberté-égalité-fraternité" pourtant si abstrait ?

    Même si cette marche a eu une signification importante, il faut rappeler que ce n’était qu’une infime minorité qui était présente dans la rue. Mais surtout, que cette marche "républicaine" du 11 janvier 2015 n’était pas en soi plus républicaine que la marche organisée à Madrid en mars 2004, au lendemain des attentats, n’était monarchiste ! Dans ces deux cas, ces marches contre le terrorisme n’étaient pas liées à la nature d’un régime politique mais à la volonté populaire de manifester une solidarité, une union, une appartenance. C’est plutôt vers l’adjectif "nationale" qu’il aurait fallu se tourner. Pendant la première Guerre Mondiale, lorsque tous les partis ont appelé à lutter ensemble contre l’ennemi, c’est l’union sacrée qui fut évoquée. Si, en janvier 2015, on avait osé parlé "d’union sacrée" ou "d’union nationale", on aurait sans doute été plus juste et plus fort que cette invocation à répétition du mot "républicain" qui ne signifie plus grand-chose et qui n’émeut plus grand monde.

    L’usage abusif et débridé du mot républicain serait donc révélateur d’une sorte de masochisme national qui empêcherait de prononcer le mot français, trop connoté… 

    Le mot "républicain" évite de dire France, Nation, élite, sélection, exigence, et même démocratie… C’est une sorte de vocabulaire de substitution qui permet de tout laisser entendre sans rien dire de précis. Il faudrait renoncer à avoir recours à ce mot fourre-tout pour pouvoir enfin désigner précisément les réalités et se poser les bonnes questions, à commencer par celle de la communauté, de l’appartenance à une même nation. Or, les gesticulations autour du mot républicain et de ses substantifs qu’on lui accole conduisent à éliminer cette question. Ce mot, "républicain",  joue désormais le rôle d’un rideau occultant qui conduit à faire l’impasse sur les vraies questions. Au nom de la République, on refuse de s’interroger sérieusement et posément sur l’identité nationale. La République se substitue à la question de l’identité, en rendant cette question absurde et presque obscène. A lui seul, le mot neutralise le débat, le rend sans objet. Pour un républicain, l’identité de la France, c’est la République, comme si la France n’existait que depuis 1792 et que tout ce qui n’était pas républicain, n’était pas français. Remplacer le mot "identité française" par le mot "républicain" permet d’occulter tout un pan de notre histoire, d’éliminer une grande partie de notre tradition, d’évacuer la problématique du Christianisme, et au fond de reconstruire à moindre frais un être politique qui ne s’appellerait France que par hasard.

    Vous faites confronter la République à sa réalité historique mais jamais vous ne la mettez à l’épreuve des problèmes actuels posés par le multiculturalisme et l’intégration des nouvelles générations issues de l’immigration, est-ce à dire que la République, de par sa nature floue et contradictoire et par son universalisme abstrait, est incapable d’y répondre ?

    Avant d’intégrer, il faut pouvoir incarner. On ne se rallie pas à une abstraction pure, sauf dans les livres de Kant ! Dans la réalité, il faut quelque chose de tangible, de visible, de connaissable et de reconnaissable. Même les religions se sont incarnées par un être divin vers lequel les yeux pouvaient se tourner et les cœurs s’ouvrir. Au mieux, la République est incarnée par Marianne. Sa création est d’ailleurs intéressante puisqu’elle montre bien que même les républicains n’ont pas pu se satisfaire d’une abstraction pure. Après avoir utilisé d’autres types de symboles, ils vont créer cette Marianne à l’iconographie changeante, cette déesse sans visage. Mais, je me répÃ

  • POUR UNE REFLEXION DE FOND SUR LE ”MARIAGE POUR TOUS” (8) - LE POINT DE VUE DE BERTRAND VERGELY*

    photo-B_-Vergely-610x225.jpgNous mettons en ligne, aujourd'hui, une réflexion de Bertrand Vergely*, philosophe et théologien

    D'autres contributions suivront et constitueront notre dossier, désormais à la disposition de tous : "POUR UNE REFLEXION DE FOND SUR LE "MARIAGE POUR TOUS" **. 

    La question du mariage gay appelle dix remarques.

     I) Il importe d’abord de distinguer la question de l’homosexualité de celle du mariage gay. L’homosexualité appartient à la sphère privée et renvoie à une histoire singulière. C’est ainsi, il y a des personnes dans la société dont la manière d’aimer consiste à aimer une personne du même sexe. Pourquoi en est-il ainsi ? Nous n’en savons rien et nous ne le saurons sans doute jamais, tant il y a de raisons possibles à cela. Toujours est-il qu’il s’agit là d’une réalité que la société se doit de respecter en offrant aux couples homosexuels une protection de leur vie privée au même titre que celle dont peut jouir chaque citoyen. 

    II) Le mariage gay relève en revanche d’une question qui regarde tout le monde, celui-ci étant appelé à bouleverser de manière irréversible la norme en vigueur en établissant une nouvelle norme en matière de famille, de filiation et de transmission, s’il vient à être adopté. 

    III) À l’origine, le mariage est une donnée naturelle. C’est ainsi, pour faire naître la vie un homme et une femme s’unissent et procréent un enfant. En établissant le mariage comme institution, la société a donné un cadre juridique à cette donnée naturelle afin de la protéger. 

    IV) Il s’avère qu’aujourd’hui le mariage, la filiation et la transmission ont changé de sens. La procréation n’est plus l’unique sens du mariage, le mariage-sentiment ayant tendance à l’emporter sur le mariage-procréation. De même, l’enfant n’a plus pour unique sens d’être le fruit de l’union d’un couple, le désir d’enfant introduisant des demandes d’enfants de la part de personnes seules ou des demandes d’adoption ou de procréation assistée de la part de couples stériles. 

    V) La question qui se pose dès lors et qui concerne tous les couples, qu’ils soient hétérosexuels ou homosexuels, est celle de savoir si le sentiment doit devenir l’unique sens du mariage et si le désir d’enfant d’où qu’il vienne doit devenir la raison d’être de ce dernier. Elle est également le fait de savoir si ce qui se fait doit devenir la norme de ce qui est.

    Si tel est le cas, il faut savoir que rien ne va pouvoir s’opposer formellement à ce qu’on lève désormais l’interdit de l’inceste au nom du droit de s’aimer pour tous. Le sentiment en dehors de toute donnée naturelle devenant la norme, au nom de l’amour un père pourra réclamer d’épouser sa fille voire son fils, une mère son fils voire sa fille, une soeur son frère ou sa soeur, un frère sa soeur ou son frère.

    Si tel est le cas, tout étant noyé dans l’amour érigé en droit au-dessus de toute réalité, plus personne ne sachant qui est qui, il y aura fatalement une crise d’identité et avec elle un problème psychique majeur. Les tendances psychotiques générées par l’individualisme hédoniste pour qui le réel n’existe pas et ne doit pas exister vont se renforcer.

    Un père étant aussi un amant et une mère une amante, il va devenir impossible de parler de père et de mère et donc de savoir qui a autorité pour élever des enfants. En ce sens, la famille va littéralement exploser.

    Enfin, l’interdit de l’inceste étant levé, c’est le sens même du devenir de l’être humain qui va être atteint, le sens de cet interdit étant de rappeler aux êtres humains qu’ils sont faits pour devenir, en épousant, non seulement un autre hors de sa famille mais aussi de son sexe et non pour demeurer dans la même famille et le même sexe.

    En ce sens, le législateur qui va devoir se prononcer sur le mariage homosexuel a de lourdes responsabilités. S’il décide de faire du mariage une affaire de droit et de sentiment en dehors de toute donnée naturelle, il introduira dans la cité la ruine possible de l’identité psychique, de la famille ainsi que du devenir symbolique de l’être humain. 

    VI) Au-delà de cette question qui concerne tout le monde, les hétérosexuels comme les homosexuels, la question du mariage gay pose un certain nombre de questions qu’il importe d’examiner avec attention, la principale d’entre elle étant celle du même. Au nom de l’égalité et du refus d’établir des discriminations, est-il possible d’établir une équivalence entre tous les couples ?

    Trois éléments s’y opposent : 

    VII) En premier lieu, pour une simple question de réalité et de donnée objective, on ne peut pas mettre sur le même plan hétérosexualité et homosexualité, un homme et une femme n’étant pas la même chose que deux hommes et deux femmes. Les couples hétérosexuels ne sont pas des couples homosexuels ni les couples homosexuels des couples hétérosexuels. Établir une équivalence entre les deux revient à nier la réalité en opérant une grave confusion entre genre et pratique.

    Avant d’être une pratique, l’hétérosexualité est un genre et pas une pratique, alors que l’homosexualité est une pratique et non un genre. La preuve : pour être homosexuel, il faut d’abord être homme ou femme. Si demain, au nom de l’égalité, tout est mis sur le même plan, la pratique particulière dictant ses lois au genre, un processus dangereux va s’engager à savoir celui de la disparition à plus ou moins long terme de la différence sexuée. On va alors assister à un effet dictatorial. Pour que les homosexuels puissent exercer leur droit à l’égalité, l’humanité va être interdite de faire une différence entre homme et femme, voir dans l’hétérosexualité un fondement et non une pratique étant considéré comme une pratique discriminatoire. Une nouvelle humanité va voir alors le jour. Nous vivions jusqu’à présent dans un monde marqué par la différence. Nous allons connaître un monde nouveau fondé sur l’indifférenciation. Quand on sait que la différence est le propre du vivant et l’indifférencié le propre de la mort, un principe de mort va désormais servir de principe pour guider l’humanité. 

    VIII) La difficulté soulevée par l’équivalence décrétée entre tous les couples se retrouve au niveau des enfants. Comme il semble qu’on l’ait oublié, il importe de rappeler qu’un couple homosexuel ne peut pas avoir d’enfants. On peut le déplorer, mais c’est ainsi, deux hommes et deux femmes ne peuvent pas procréer. Ceci veut dire que, pour qu’il y ait procréation l’homme a besoin de la femme et la femme de l’homme.

    Les homosexuels réclament de pouvoir avoir un enfant. Ils se fondent pour cela sur le droit qui est accordé aux couples hétérosexuels d’adopter ou de procéder à une procréation médicalement assistée. Ils oublient ou font semblant d’oublier que ce n’est pas le droit qui les empêche d’avoir un enfant mais la Nature.

    Certes, un couple hétérosexuel peut adopter ou passer par la procréation assistée afin d’avoir un enfant. Il importe de souligner toutefois qu’un enfant adopté par un couple hétérosexuel n’a pas et n’aura jamais le même sens qu’un enfant adopté par un couple homosexuel. Lorsqu’un couple hétérosexuel adopte un enfant, il le fait pour pallier un problème de stérilité. Lorsqu’un couple homosexuel veut adopter un enfant, il le fait pour contourner une impossibilité. Le registre symbolique n’est pas le même, vouloir contourner une impossibilité à l’aide d’une loi nous situant dans le domaine de la fiction prométhéenne et non plus dans celui de la réalité humaine.

    Jusqu’à présent, la rationalité de la société repose sur la notion de limite et avec elle sur l’idée que tout n’est pas possible. Tout ne se décrète pas. Tout ne se fabrique pas. Limite positive autant que protectrice, l’idée que tout ne se décrète pas nous préservant de la dictature du Droit et l’idée que tout ne se fabrique pas nous préservant de la dictature de la Science. Avec le mariage gay et l’ouverture à la possibilité pour couples gays de recourir à l’adoption ainsi qu’à la procréation médicalement assistée, il va en être autrement. L’idée que rien n’est impossible va voir le jour en enterrant la notion de limite. Voyant le jour, plus rien ne va nous protéger de la dictature du Droit et de l’idée que tout peut se décréter. Plus rien ne va nous protéger de la dictature de la Science et de l’idée que tout peut se fabriquer. On obéissait la Nature qui, comme le dit Montaigne, est « un doux guide ». Nous allons désormais obéir à la Science et au Droit. La Nature évitait que l’Homme n’obéisse à l’Homme. Désormais, l’Homme va obéir à l’Homme sans que l’Homme n’obéisse à quoi que ce soit. Dostoïevski au 19e siècle comme Léo Strauss au 20e siècle voyaient dans le « Tout est possible » l’essence du nihilisme. Ils redoutaient comme Nietzsche que celui-ci n’envahisse l’Europe en ne se faisant aucune illusion cependant à ce sujet. Avec le mariage gay, l’adoption et la procréation assistée pour couples gays, le « Tout est possible » va devenir une réalité et, avec lui, le nihilisme sous la forme du triomphe sans partage de la Science, du Droit et de l’Homme. 

    IX) Dans le même ordre d’idées, il importe de distinguer un enfant que l’on fait d’un enfant que l’on fait faire. Quand un couple fait un enfant, l’enfant est une personne. Le fait de faire un enfant se passant entre des personnes qui s’aiment et pour qui l’enfant n’est pas une marchandise ni l’objet d’un trafic. Quand on fait faire un enfant par un tiers, l’enfant n’est plus une personne, mais un objet voire une marchandise dans un trafic. Témoin le fait de louer le ventre d’une mère porteuse ou les services d’un géniteur.

    Lionel Jospin faisait remarquer qu’il n’y a pas un droit à l’enfant, mais un droit de l’enfant. Si le mariage gay avec procréation assistée est adopté, le droit de l’enfant va être sacrifié au profit du droit à l’enfant. Sous prétexte de donner un droit à l’enfant aux homosexuels, l’enfant considéré comme objet n’aura plus droit symboliquement au statut de personne. Alors que le monde des droits de l’homme s’efforce de lutter contre la réification de ce dernier, au nom du droit à l’enfant, on va réifier ce dernier.

    Il va y avoir en outre des questions pratiques à gérer. D’abord le coût. Pour qu’un couple d’hommes puisse avoir un enfant, il va falloir louer le ventre d’une mère porteuse. Ce qui n’est pas donné, le prix moyen se situant entre 80.000 et 100.000 euros. Comme les couples gays vont réclamer que la facture soit réglée par la Sécurité Sociale au nom du droit à l’enfant pour tous et de l’égalité, comment celle-ci va-t-elle faire pour faire face à cet afflux de dépenses au moment où son déficit se creuse ? Qui va payer et comment ?

    Par ailleurs, l’État prenant en charge les mères porteuses, il va falloir aller chercher celles-ci ou bien créer un service spécial. L’État se refuse à devenir un État proxénète en autorisant et en organisant le trafic du sexe de la femme. Pour que la procréation médicalement assistée puisse exister, il va falloir qu’il devienne quelque peu trafiquant et qu’il organise le trafic des ventres. Ce qui ne va pas être une mince affaire. Quand un couple ne sera pas content du bébé d’une mère porteuse et qu’il décidera de le rendre, que va-t-on faire ? Obliger le couple à garder l’enfant ? En faire un orphelin ? Payer la mère porteuse pour qu’elle le garde ? Et qui payera le psychiatre qui devra soigner l’enfant ainsi ballotté et quelque peu perturbé ? 

    X) Ce problème rencontré dans le fait de faire faire un enfant va se retrouver avec celui de l’éduquer. Une chose est d’avoir un père et une mère, une autre d’avoir deux pères et deux mères.

    Obliger un enfant à naître et à grandir dans un couple homosexuel va se confondre avec le fait d’interdire à un enfant de savoir ce qu’est le fait d’avoir un père et une mère. A-t-on le droit d’enlever ce droit à un enfant ? Si tel est le cas, cela voudra dire que pour que les homosexuels aient droit à l’égalité les enfants des couples homosexuels seront condamnés à ne pas être des enfants comme les autres.

    Certes, les orphelins n’ont pas leur père ou leur mère. Mais, il s’agit là d’un accident et non d’une décision. Avec le droit pour couples gays d’avoir un enfant, les orphelins ne seront pas le produit d’un accident de la vie mais d’une institutionnalisation délibérée. Ils seront obligés par la société de n’avoir soit pas de père, soit pas de mère.

    À cette situation qui ne manquera pas de produire à un moment ou à un autre des mouvements de révolte s’adjoindra une autre difficulté. L’enfant de couples gays n’aura pas droit à une origine réelle, mais à une origine absente. À la case père ou mère il y aura un blanc. Ce qui n’est pas simple à porter. Qu’on le veuille ou non, l’enfant ne pourra pas ne pas se sentir coupable, la propension naturelle des enfants étant de se culpabiliser quand l’équilibre familial n’est plus respecté. 

    En conclusion, les partisans du mariage gay, de l’adoption et de la procréation médicalement assistée pour couples gays rêvent quand ils voient dans ce projet un progrès démocratique sans précédent. Ils croient que tout va bien se passer. Cela ne va pas bien se passer. Cela ne peut pas bien se passer pour la bonne raison que tout a un prix.

    Ne croyons pas que l’on va remettre la différence sexuée en voyant en elle une pratique parmi d’autres sans que cela ait des conséquences. N’imaginons pas que des enfants fabriqués, à qui l’on aura volé leur origine, seront sans réactions. Ne pensons pas que la disparition des notions de père et de mère au profit de termes comme parent I ou parent II permettront l’existence d’une humanité plus équilibrée et mieux dans sa peau.

    On prétend résoudre des problèmes par ce projet de loi. On ne va pas en résoudre. On va en créer. Le 20e siècle a connu la tragédie du totalitarisme et notamment du projet insensé de créer un homme nouveau à travers une race ou une classe. Ne cédons pas à la tentation de fabriquer un homme nouveau grâce à la Science et au Droit. Tout ne se décrète pas. Tout ne s’invente pas.

    Il existe des données naturelles de la famille. N’y touchons pas. Ne jouons pas avec le feu. Ne jouons pas à être des apprentis sorciers. Le Tao voit dans la complémentarité entre le féminin et le masculin une loi d’équilibre dynamique fondamentale de l’univers. Ne touchons pas à cette loi d’équilibre.

    Nous avons tous des amis homosexuels que nous respectons, que nous estimons et que nous aimons. Qu’ils soient d’une profonde moralité, nous n’en doutons pas. Qu’ils soient capables d’élever un enfant, nous n’en doutons pas non plus. Qu’un enfant puisse être plus heureux dans un couple homosexuel que dans certains couples hétérosexuels, nous n’en doutons pas une fois encore. Que cela soit une raison pour légaliser le mariage gay et permettre l’adoption ou la procréation médicalement assistée pour couples gays, c’est là une erreur.

    Une chose est une loi, une autre est un cas particulier. On ne fait pas une loi avec des cas particuliers, mais à partir d’une règle tenant compte de tout ce qu’il y a derrière. S’agissant du mariage gay avec adoption et procréation médicalement assistée, il y a derrière une telle règle trop de choses dangereuses et graves pour que celle-ci puisse devenir une loi a

  • Reçu d'Annie Laurent : Islam et Blasphème (dans ”La petite feuille verte”)...

     Le sujet déborde les limites des pays musulmans et influenceurs, les communautés islamiques installées en Occident.

    Compte tenu de cette importance, il a été divisé en deux parties. Vous trouverez la première dans la Petite Feuille Verte n ° 68 (texte complet ci-après), la suite sera traitée dans la prochaine, qui portera le n ° 69...

     

    ISLAM ET BLASPHÈME

    Plusieurs affaires récentes défrayant la chronique ont mis en évidence l’importance que l’on accorde au blasphème dans le monde musulman.

    L’une d’elles a particulièrement retenu l’attention car elle s’est déroulée en France en janvier 2020.

    Les propos tenus par une adolescente prénommée Mila, qui avait crûment exprimé son aversion pour l’islam, lui ont valu de nombreuses menaces de mort, menaces que le délégué général du Conseil Français du Culte musulman (CFCM), Abdallah Zekri, a semblé approuver. « Cette fille sait très bien ce qu’elle fait. Qui sème le vent récolte la tempête » (Le Figaro, 30 janvier 2020).

    Ce responsable se situe donc du côté des musulmans pour lesquels le blasphème est passible des plus graves sanctions, tandis que d’autres appellent à la tolérance dans ce domaine.

    Annie_Laurent.jpgLE BLASPHÈME DANS LES TEXTES

    Le Coran évoque le thème du blasphème sans le nommer.

    • « Oui, Dieu maudit en ce monde et dans l’autre ceux qui offensent Allah et son Prophète. Il leur prépare un châtiment ignominieux. Ceux qui offensent injustement les croyants et les croyantes se chargent d’une infamie et d’un péché notoire » (33, 57).

    Le Coran évoque le thème du blasphème sans le nommer.

    • « Oui, Dieu maudit en ce monde et dans l’autre ceux qui offensent Allah et son Prophète. Il leur prépare un châtiment ignominieux. Ceux qui offensent injustement les croyants et les croyantes se chargent d’une infamie et d’un péché notoire » (33, 57).

    Allah n’édicte donc aucune sanction dans l’ordre temporel. Cependant, le droit islamique pallie ce silence, comme l’a montré Mustapha Baig, maître de conférences en études islamiques à l’Université d’Exeter (Royaume-Uni), dans une conférence donnée à Aix-en-Provence le 3 juillet 2013. « La loi islamique, au cours de son histoire, a prescrit des punitions pour l’insulte envers la religion ».

    L’auteur considère que ce principe repose sur le mot arabe tajdif, qui signifie blasphème et que l’on trouve dans le Hadîth (tradition mahométane), « pour signifier le déni ou le refus de reconnaître, le fait d’être ingrat en général ou vis-à-vis des bontés et des bénédictions de Dieu ». Baig précise que « le Prophète Mahomet dit, selon une tradition, que le tadjif est le pire des péchés ».

    Les juristes ont tiré de cette tradition une diversité de conséquences. Ainsi, pour l’école hanéfite, la plus importante des quatre écoles juridiques de l’Islam, « le blasphème équivaut à l’apostasie » car « un musulman qui insulte Dieu ou son Prophète devient un non-musulman et l’apostasie peut être punie de mort ». D’autres écoles distinguent cependant entre apostasie et blasphème (M. Baig, op. cit.).

     

    MAHOMET L’INTOUCHABLE

                Le plus souvent, l’accusation de blasphème concerne Mahomet, personnage sacré par excellence. Le Coran rapporte les moqueries qu’il subissait de la part de ses compatriotes de La Mecque, tandis qu’ils refusaient de croire à sa mission prophétique, et le soutien qu’il recevait alors d’Allah.

    • « Ils disent : “Pourquoi ne nous apporte-t-il pas un miracle de son Seigneur ?” La preuve de ce que contiennent les Ecritures anciennes ne leur est-elle pas venue ? » (20, 133).
    • « Ne leur suffit-il pas que Nous ayons fait descendre sur toi le Livre et qu’il leur soit récité ? Il y a certes là une miséricorde et un rappel pour les gens qui croient » (29, 51).
    • « Dis-leur : “Je ne prétends pas disposer des trésors d’Allah ni connaître les Mystères, je ne vous dis pas que je suis un ange. Je ne fais que suivre ce qui m’a été révélé” » (6, 50).
    • « Dis : “Je ne suis pas un novateur parmi les messagers d’Allah et je ne sais pas ce que l’on fera de moi et de vous. Je ne fais que suivre ce qui m’a été révélé et ne suis qu’un clair avertisseur” » (46, 9).
    • « Votre compagnon n’est pas égaré ; il n’est pas dans l’erreur ; il ne parle pas sous l’empire de la passion » (53, 1).
    • « S’ils te traitent d’imposteur, réponds-leur : ”A moi mes actes, à vous les vôtres. Vous n’êtes pas responsables de ce que je fais ni moi de ce que vous faites » (10, 41)
    • Mahomet « est le Messager d’Allah et le Sceau des prophètes » (33, 40).
    • « Celui qui te hait restera sans postérité » (108, 3).

    Cf. aussi : 10, 20 ; 29, 52 ; 17, 59 ; 25, 7-9 ; 11, 12.

                Mahomet lui-même ne pouvait supporter les satires et les invectives qui lui étaient adressées. Il n’a pas hésité à faire assassiner pour ce motif plusieurs personnalités de son entourage, entre autres la poétesse Asma bint Marwan, et le vieillard centenaire Abou Afak (Cf. Maxime Rodinson, Mahomet, Seuil, 1961, p. 188-189).

    C’est pour protéger la sacralité de Mahomet, auquel Allah donne la qualité de « beau modèle » (Coran 33, 21), qu’il est interdit de le représenter sous la forme de dessins classiques, a fortiori sous la forme de caricatures. Selon le Cheikh Mohammed Nokkari, juriste sunnite libanais, « la jurisprudence a interdit de dessiner le portrait du prophète Mahomet, pour différentes raisons : d’abord, on ne connaît pas à quoi il ressemble ; ensuite, les dessins en général ne sont pas tolérés dans l’islam » (L’Orient-Le-Jour, 2 février 2015).

    Pour Nokkari, la raison d’être de l’interdiction des représentations repose principalement sur « la crainte de l’idolâtrie, une coutume combattue assidûment par l’islam, notamment au cours des premiers siècles ». Le chiisme autorise cette pratique, « mais dans des scènes correctes » (Ibid.).

     

    LES VERSETS SATANIQUES

                Le 14 février 1989, la question du blasphème contre Mahomet a pris une nouvelle dimension lorsque l’ayatollah Khomeyni, Guide de la révolution iranienne, publia une fatoua (décret religieux) de condamnation à mort contre Salman Rushdie, romancier britannique d’origine indienne, auteur des Versets sataniques, considéré comme blasphématoire. Tout musulman était appelé à exécuter cette sentence, moyennant récompense. Cette fatoua fut soutenue dans le monde entier par des manifestations violentes et meurtrières. En 2005, le successeur de Khomeyni, Ali Khamenei, confirma cette décision. Plusieurs fois augmentée, la récompense a été fixée à 3, 9 millions de dollars en 2016.

    Le titre du livre se réfère à la sourate 53 du Coran (versets 19 à 23). Ce passage relate l’attitude de Mahomet qui, à La Mecque, aurait cédé aux sollicitations de Satan l’enjoignant de se prosterner devant trois déesses païennes (El-Lat, El-Uzza et Manât) pour obtenir leur intercession. Par cette concession au dogme de l’unicité divine, Mahomet aurait espéré attirer les polythéistes à l’islam. La fin du verset 23 corrige l’erreur relative à ces divinités : « Allah ne leur a accordé aucun pouvoir ». Mais les premiers versets ont été maintenus dans le Coran. Sur ce sujet, cf. Olivier Hanne, Mahomet, Ed. Belin, 2013, p. 104-107).

                Cela a suscité ce commentaire d’Ibn Warraq, ancien musulman : « Cet épisode a toujours embarrassé les musulmans qui ont la plus grande peine à croire que le Prophète ait pu faire une telle concession à l’idolâtrie. Il est cependant impossible de l’ignorer si on accepte l’authenticité des documents musulmans […]. Même si Satan lui avait réellement mis ces mots à la bouche, quelle foi pourrions-nous avoir en un homme qui peut être aussi facilement corrompu par l’esprit du mal ? Pourquoi Dieu le laissa-t-il faire ? Comment pouvons-nous être sûrs que d’autres passages ne sont pas inspirés par le diable ? » (Pourquoi je ne suis pas musulman, L’Age d’Homme, 1999, p. 137).

     

    LES NON-MUSULMANS AU REGARD DE LA LOI

    Les non-musulmans peuvent-ils être accusés de blasphème lorsqu’ils réfutent l’islam ? « Etant donné que le blasphémateur est exclu de l’appartenance à l’Islam en raison de son acte blasphématoire, un non-musulman ne peut pas recevoir la même sanction : puisqu’il est déjà en dehors de l’Islam, sa faute ne change pas son statut de croyant en non-croyant. Les juristes affirment qu’un blasphème commis par un non-musulman ne violera pas son statut de personne protégée », c’est-à-dire de dhimmi (M. Baig, op. cit. ; cf. la dhimmitude applicable aux juifs et aux chrétiens ; sur ce sujet, cf. A. Laurent, L’islam, Artège, p. 92-96).

    Certaines écoles juridiques ont cependant des positions diverses. « S’il s’agit d’un dhimmi, les hanéfites se montrent plutôt indulgents, malékites et chaféites réclamant des châtiments sévères, les hanbalites la mort » (Slimane Zeghidour, Le voile et la bannière, Hachette, 1990, p. 117).

    En certains pays, les lois anti-blasphème s’appliquent donc à des non-musulmans.

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    Au Pakistan

    En 1986, cet Etat, signataire de la Déclaration universelle des Droits de l’homme de 1948, a adopté une loi pénalisant le blasphème. « Quiconque aura, par ses paroles ou ses écrits, ou par des représentations ou par toute imputation ou allusion directement ou indirectement profané le nom du Saint Prophète (Que la paix soit sur lui) sera puni de mort ou d’une peine de réclusion à perpétuité assortie d’une amende » (art. 295 C du Code pénal).

    Le cas d’Asia Bibi, chrétienne pakistanaise, condamnée à mort sur ce motif en 2010, illustre cette pratique. Son tort n’était même pas d’avoir insulté Mahomet mais d’avoir bu la même eau que ses compagnes de travail musulmanes alors que, dans ce pays, les chrétiens sont considérés comme impurs. Asia Bibi a finalement été acquittée par la Cour suprême en 2019 mais elle a dû s’exiler au Canada avec sa famille. En l’occurrence, la loi anti-blasphème a été utilisée dans le cadre d’un règlement de comptes privés (cf. Enfin libre !, avec Anne-Isabelle Tollet, Ed. du Rocher, 2020).

    D’autres chrétiens pakistanais ont été victimes de cette loi, en particulier le ministre des Minorités religieuses, Shahbaz Bhatti, assassiné en 2011 pour avoir demandé son abrogation.

     

    En Egypte

    L’écrivain égyptien Alaa El-Aswany regrette que les lois anti-blasphème ne protègent pas ses compatriotes non musulmans.

    « En Egypte, l’accusation qui porte le nom de “mépris manifesté à l’égard des religions” ne s’applique qu’à ceux qui s’en prennent à l’islam. Ceux qui s’attaquent aux croyances des coptes, des chiites ou des bahaïs peuvent être bien tranquilles. Ils n’ont absolument pas à craindre d’être poursuivis par la justice. Il y a quelque temps, un jeune copte égyptien, Albert Saber, a mis sur sa page Facebook le film offensant le Prophète. Ses voisins se sont alors rassemblés pour attaquer sa maison et pour l’agresser. Lorsque la mère du citoyen Albert Saber a appelé la police à son secours, celle-ci, au lieu de le protéger, l’a arrêté sous l’inculpation de mépris affiché à l’égard des religions […]. Des millions d’Egyptiens ont vu ce film et l’ont mis sur leur page personnelle et aucun d’entre eux n’a été arrêté. C’est même le cheikh Khaled Abdallah qui, le premier, l’a diffusé sur sa chaîne de télévision, que reçoivent des millions de téléspectateurs. Mais Albert était copte et il était donc permis de le punir d’une façon exemplaire pour la raison la plus futile » (Extrémisme religieux et dictature, Actes Sud, 2011, p. 167-168).

    Le même auteur relate ensuite le geste de l’Eglise copte qui a condamné publiquement ce film, sans pour autant calmer la violence des extrémistes. « Un cheikh dont le nom est Abou Islam a brûlé un évangile et l’a déchiré en public devant les caméras, puis il a déclaré que la prochaine fois il urinerait dessus. Avons-nous le droit après cela d’exiger le respect de ce qui nous est sacré, si nous ne faisons pas la même chose avec les croyances religieuses des autres ? » (Ibid., p. 168).

     

    POUR CONCLURE

                Depuis le milieu du XXème siècle, la criminalisation du blasphème connaît un important regain dans l’ensemble du monde musulman, démontre le site Slate (30 mai 2017), citant un rapport de 2014 du Pew Research Center, selon lequel environ 30 des 50 pays qui punissent actuellement le blasphème sont à majorité musulmane.

    Pour Slate, l’influence de l’Arabie-Séoudite, avec son idéologie officielle, le wahabisme, se répand bien au-delà de l’espace proche-oriental (Afrique, Asie centrale et du Sud-Est, Indonésie). Selon Kamran Bokhari, analyste au sein de la fondation Geopolitical Futures, « le wahabisme est, dans les faits, organisé autour de l’idée de blasphème. De ce qu’est le vrai islam – et de ce qui ne l’est pas. A leurs yeux [des Séoudiens], les musulmans qui ne partagent pas leur vision stricte de l’islam blasphèment d’une manière ou d’une autre ».

    Mustafa Akyol, intellectuel turc, membre du Freedom Project au Wellesley College, et cité dans cette étude, estime que la fixation sur le blasphème est le symptôme d’un malaise plus général. « Je pense que les musulmans du monde moderne se sentent menacés, ce qui les rend à la fois agressifs et autoritaires. Par ailleurs, la liberté d’expression est généralement perçue comme un élément culturel imposé ».

    La prochaine Petite Feuille Verte (n° 69) présentera les tentatives d’institutions islamiques visant à imposer son application en Occident.

                                                               Annie Laurent

  • Sur le blog de Michel Onfray : Berezina, Macron au pied du mur.

    PHASE 1

    Il ne fallait pas être grand clerc pour comprendre que, la Chine ne passant pas pour très économe de la vie de ses citoyens, le confinement de l'une de ses villes de plusieurs millions d'habitants par les autorités communistes témoignait de facto en faveur de la gravité de cette crise du coronavirus. Je l'ai pour ma part fait savoir sur un plateau de télévision fin janvier. Ce pays, dont il est dit qu'il prélève dans les prisons les condamnés à mort qu'il exécute afin de vendre leurs organes frais au marché noir des transplantations partout sur la planète, n'est pas connu pour son humanisme, son humanité et son souci des hommes concrets. C'est le moins qu'on puisse dire... En prenant ces mesures, il disait à qui réfléchissait un peu qu'il y avait péril en sa demeure, donc en la nôtre. Qui l'a vu? Qui l'a dit? Qui a compris cette leçon? La plupart ont vu et dit ce que les agents de l'État profond disaient qu'il fallait voir et dire.

    Mais, comme pour illustrer la vérité de la sentence qui dit que le sage montre la lune et que l'imbécile regarde le doigt, il y eut quantité de prétendus sachants pour gloser sur le doigt et oublier la lune: c'était une gripette, elle ferait moins de morts qu'une vraie grippe, la véritable épidémie, c'était la peur des gens -et les intellectuels et les journalistes du régime libéral en profitaient pour rejouer la scie musicale du peuple débile et de la sagacité des élites...

    Pendant que la populace achetait des tonnes de papier toilette, ce qui permettait d'avouer qu'elle avait, disons-le comme ça, le trouillomètre à zéro, les comités de scientifiques invisibles chuchotaient à l'oreille du président ce qu’il convenait de faire entre gestion de l'image présentielle et santé publique, proximité des élections municipales et mesures d'hygiène nationale, situation dans les sondages et décisions prophylaxiques. Un mélange de Sibeth Ndiaye et de docteur Knock fabriquait alors la potion infligée par clystère médiatique au bon peuple de France. Nul besoin de préciser qu'il s'agissait d'une soupe faite avec une poudre de perlimpinpin aussi efficace qu'un médicament commandé sur internet... en Chine!

    Quel était cette position magique? Une grande admonestation libérale, un genre de leçon de chose prétendument antifasciste. Il s'agissait de montrer aux abrutis de souverainistes la grandeur de l'idéologie maastrichienne: plus de frontières, libre circulation des hommes, donc des virus! Les chinois étaient contaminés mais ils n'étaient pas contaminants: nous étions immunisés par la beauté du vaccin de Maastricht! Pendant qu'ils fermaient leurs frontières, nous ouvrions les nôtres plus grand encore -si tant est que cela puisse être encore possible... Nous nous offrions au virus.

    Voilà pourquoi, sur ordre du chef de l'État, le gouvernement français s'est empressé d'aller chercher sur place les expatriés français qui travaillaient en Chine. On n'est jamais mieux servi que par soi-même: si l'on devait se trouver contaminés, qu'au moins ce soit en allant nous-mêmes chercher le virus sur place et le ramener en France. Mais pas n'importe où en France, non, pas à Paris, bien sûr, ni au Touquet, mais en province qui est, en régime jacobin, une poubelle ou un dépotoir dont on se souvient toujours dans ces cas-là. Une première livraison s'est faite dans le dos du maire d'une commune du sud de la France, une seconde en Normandie où nous avons l'habitude des débarquements.

    La mode à l'époque, nous étions dans le premier acte de cette histoire, consistait à rechercher le client zéro: celui qu'il aurait fallu confiner chez lui pour que rien n'ait lieu, un genre de bouc émissaire à traire. C'était chercher la première goutte du raz-de-marée avec le projet de l'enfermer dans une bouteille afin que la catastrophe n'ait pas lieu.

    Il fut dit que, peut-être, ce numéro zéro serait à chercher sur la base militaire d'où étaient partis les soldats français missionnés pour aller taquiner le virus chinois sur place avant de rentrer chez eux. Que croyez-vous qu'il advint à ces militaires ayant été au contact de gens immédiatement mis en quarantaine après leur retour de l'empire du Milieu? Ils ont été renvoyés chez eux en permission... Pas question de les mettre en quarantaine! Quelle sotte idée c'eut été! Qu'on aille donc pas chercher aujourd’hui le client zéro car il se pourrait bien qu'on puisse obtenir des informations qui nous permettraient demander des comptes au ministre de la défense et au chef des armées auquel il a obéi.

    PHASE 2

    L'acte deux a été guignolesque: le tsunami arrivait et on lui avait creusé des voies d'accès sous forme de canaux à gros débits, et ce avec l'aide du génie militaire français. S'y est ajouté le génie du chef de l'État. Le grand homme qui se prenait pour de Gaulle et Gide en même temps, mais aussi pour Stendhal (on est beylien ou on ne l'est pas) nous a délivré la parole jupitérienne: il fallait se laver les mains, éviter la bise et éternuer dans son coude -j'imaginais qu'anatomiquement il était plus juste d'envoyer ses postillons dans le pli de son coude car je me suis luxé l'épaule en essayent d'éternuer "dans" mon coude... Du savon, du gel et un coude: nous étions prêts, comme en 40, le virus n'avait qu'à bien se tenir.

    Il a continué à progresser bien sûr. Et le pouvoir a fait semblant d'estimer que le plus urgent était toujours de savoir qui avait postillonné le premier. Il n'y avait pas de foyers d'infection mais des clusters, ce qui changeait tout. Il s'agissait en effet de ne pas donner raison aux benêts qui estiment, comme moi, qu'un peuple n'est pas une somme d'individus séparés, comme les monades de Leibniz, ce qui est l'idéologie libérale, mais une entité qui est elle-même une totalité. Aller chercher le virus en Chine c'était une fois encore estimer que la minorité (d'expatriés) pouvait imposer sa loi à la majorité (du peuple français). Que périsse le peuple français, mais les maastrichtiens n'allaient tout de même pas donner tort à leur idéologie alors que le réel invalidait déjà leurs thèses dans les grandes largeurs!

    L'élément de langage maastrichtien fut: le virus ignore les frontières -comme Macron et les siens qui les ignorent tout autant... La plume du chef de l'État lui a même fourbi la formule adéquate: "Le virus n'a pas de passeport"- on dirait un titre de San-Antonio.

    Tous les pays qui, comme Taïwan ou Israël (dont on n'a pas parlé, un pays qui, lui, a le sens de son peuple), ont décidé la fermeture des frontières, sont passés pour des populistes, des souverainistes, des illibéraux, des passéistes qui n'avaient rien compris à la grandeur nihiliste du progressisme.

    Or, ces faux progressistes vrais nihilistes n'aspirent qu'à une seule chose: le gouvernement planétaire d'un État universel où les techniciens (les fameux scientifiques, comme il y en aurait au GIEC ou dans ce comité invisible qui conseille (!) Macron)) gouverneraient le capital en faisant l'économie des peuples.

    Le coronavirus leur donne une autre leçon politique: la suppression des frontières c'est la possibilité pour tout ce qui menace contamination de se répandre à la vitesse de la lumière... Le virus n'ignore pas les frontières, mais les frontières savent et peuvent le contenir.

    PHASE 3

    La preuve, le troisième acte décidé par... Emmanuel Macron lui-même. Dans un premier temps, le Président tire une salve pendant un long monologue d'une demi-heure: fermeture des crèches, des écoles, des collèges, des lycées, des universités, réduction des contacts avec autrui, en priorité les personnes âgées. Et puis, bien sûr, le coude et le savon, le gel et la bise, des armes de destruction massive.

    Or, qu'est-ce que ce confinement sinon l'invitation à fabriquer autant de frontières qu’il y aura de Français? La frontière nationale n'est pas bonne, mais la frontière qui sépare de son prochain est présentée comme la solution, la seule solution nous dit-on. Le virus qui ignore les frontières se trouve donc tout de même contenu par les frontières pourvu qu'elles soient érigées par chacun contre son prochain pensé comme un contaminateur potentiel. Ce qui marcherait pour les monades ne marcherait donc pas pour les États! Étrange paralogisme ...

    Il faut donc radicalement éviter les contacts et les brassages, il faut donc remettre ses voyages et ses déplacements, il faut donc rester le plus possible chez soi, mais mais mais: le premier tour des élections municipales n'est pas reporté! Comprenne qui pourra! On dit que Gérard Larcher, président du Sénat, se serait opposé au report des élections: mais qui est ce monsieur auquel le président de la République mange dans la main? Quel est son pouvoir? Des dizaines de millions d'électeurs sont donc invités à se ruer en direction de lieux confinés, les bureaux de vote, dans lesquels, tout le monde en conviendra, on évite les contacts et les brassages et on montre qu'on doit préférer rester chez soi pour éviter les promiscuités.

    Le lendemain, quelques heures après la prise de parole présidentielle, le Premier ministre est envoyé au front pour enfoncer le clystère plus profond: fermeture des cafés, des restaurants, des boîtes de nuit, des musées, des bibliothèques, de tous les lieux publics, etc. Mais, toujours: maintien du premier tour des élections municipales. On se lavera les mains avant et après, on respectera une distance d'un mètre avec son voisin, puis on mettra son bulletin dans l'urne. Il faudra bien empoigner le rideau à pleine main pour l'écarter afin d'entrer dans l'isoloir, mais aucun risque - le savon veille... Magique!

    Que s'est-il passé le lendemain du jour de la décision de ce presque couvre-feu? il faisait beau, dans les rues de Paris, des gens ont fait leur footing, d'autres se sont un peu dévêtus pour prendre le soleil près du canal Saint-Martin, certains faisaient du vélo ou du roller, de la trottinette aussi. Ils transgressaient la loi? Et alors. Pas un seul policier n'a verbalisé qui que ce soit. Tout le monde se moque de l'État qui n'a plus d'autorité et plus aucun moyen de faire respecter l'ordre républicain! La peur du gendarme est une vieille lune qui a rejoint celle des dragons et du diable! De la même manière qu'une jeune fille porte un voile musulman en présence de Macron, ce qui est formellement interdit par la loi, et que rien ne se passe, le mépris affiché des décisions du chef de l'État témoignent de la déliquescence dans lequel se trouve le pays et dans quel mépris est tenue la parole de cet homme.

    Les libéraux et leurs cervelles soixante-huitardes voulaient des monades et des consommateurs en lieu et place de citoyens et de républicains? ils les ont... Ils souhaitaient jouir sans entraves? ils jouissent sans entraves... Ils affirmaient qu'il était interdit d'interdire? ils se croient résistants en se faisant la bise... Ils croient toujours que CRS=SS? Ils n'auront pas même vu la queue d'un policier municipal à vélo ou en mobylette, sinon en roller, pour leur rappeler que Jupiter dans son Olympe a décidé qu'il fallait éternuer dans son coude.

    Olympien comme le comédien d'un club de théâtre dans un lycée, Emmanuel Macron a dit: "Ce que révèle d’ores et déjà cette pandémie, c’est que la santé gratuite, sans condition de revenus, de parcours ou de profession, notre État-providence, ne sont pas des coûts ou des charges, mais des biens précieux, des atouts indispensables quand le destin frappe." Et puis ceci: "Ce que révèle cette pandémie, c’est qu’il est des biens et des services qui doivent être placés en dehors des lois du marché." Quel talent! Quel menteur! Quel bouffon! Mais quel mauvais comédien...

    Cet homme qui a mis sa courte vie au service du Veau d'Or fait semblant aujourd’hui de découvrir que piétiner l'intérêt général, conchier le bien public, compisser la santé dans les hôpitaux quand elle était pilotée par les comptables, ce n'étaient peut-être pas exactement les bons choix! Qui croira cet hypocrite dont toute la politique depuis qu'il est au pouvoir consiste à détruire le système de santé (et de retraite) français? C’est la quintessence du projet politique libéral mené sans discontinuer par les présidents de la V° république depuis la mort du général de Gaulle.

    Quiconque écoute les personnels de santé depuis des mois (ils sont en grève depuis un an...) sait qu'en temps normal, avec cette politique libérale, ils sont débordés et impuissants tant l'hôpital public est malade sinon mourant. Qui pourra croire que la France est en état de recevoir un afflux massif de malades du coronavirus alors que la congestion était déjà là avant l'épidémie ?

    Ce qui est dit par quelques spécialistes de la santé c'est, je vais l'exprimer de façon brutale, que lors du pic à venir, phase 4, nommons-là comme ça, il faudra, faute de places pour tous, trier les arrivants et laisser les vieux à leur sort, donc à la mort... Voilà où mène le libéralisme initié par Pompidou & Giscard, augmenté par Mitterrand en 1983, accéléré par le traité de Maastricht en 1992 et tous ceux qui, droite et gauche confondue, communient dans cette idéologie, puis par Macron qui, depuis son accession à l’Élysée, a voulu activer ce mouvement à marche forcée.

    Voici une autre leçon donnée par cette crise, en dehors d'apprendre l'impéritie du chef de l'État: les caisses sont vides quand il s'agit d'augmenter le SMIC ou le salaire des plus modestes; elles le sont quand ces mêmes personnes doivent être soignées (on ne compte plus ceux qui ont renoncé à s'occuper de leurs dents, de leur ouïe, de leur vue à cause de leur pauvreté ; elles le sont quand il faut se soucier des paysans dont l'un d'entre eux se suicide chaque jour ; elles le sont quand il faut construire des écoles ou des universités, doter les hôpitaux de matériel performant, humaniser les prisons, recruter des fonctionnaires, financer la recherche scientifique dont nous aurions bien besoin aujourd’hui, laisser ouvertes des écoles de campagne, maintenir en vie les lignes de chemins de fer en dehors des grandes villes et des grands axes; elles le sont quand il faudrait se donner les moyens de récupérer la multitude de territoires perdus de la République), elles le sont si souvent quand il faudrait construire une République digne de ce nom.

    Mais il y a de l'argent pour faire face à cette crise économique qui s'annonce... Tous ces gens mis au chômage technique par cet état de siège seront payés -par les assurances chômage. C'est bien sûr très bien, mais il y avait donc de l'argent... Plus un café, plus un restaurant, plus un lycée, plus une école, plus un commerce, sauf liste donnée, plus un cinéma, plus une salle de spectacle ne sont ouverts, mais Macron nous assure que "l’État prendra en charge l’indemnisation des salariés contraints de rester chez eux". Mais alors, bonne nouvelle, l'État existe encore? Il peut fonctionner? Il sait faire autre chose que prélever les impôts et recouvrer les amendes? Il sait faire autre chose qu'envoyer sa police et son armée tabasser les gilets-jaunes? Il sait faire autre chose que de subventionner des médias publics pour diffuser massivement l'idéologie maastrichtienne? Il sait faire autre chose que de libérer les élus délinquants renvoyés chez eux? Vraiment?

    Ce virus fait donc dire des bêtises à Macron: on pourrait donc être solidaires et fraternels en France? On pourrait estimer que le consommateur hédoniste n'est pas l'horizon indépassable de notre modernité et qu'on peut aussi être un citoyen responsable? On pourrait trouver de l'argent public pour financer des solidarités nationales au-delà des habituels bénéficiaires? Il y a là matière à révolution: il est bien certain qu'Emmanuel Macron est le dernier homme pour la réaliser.

    Après le virus, il faudra y songer.

    En attendant, l'Allemagne ferme ses frontières avec trois pays, dont la France! Maastricht tousse, crache et menace l'embolie.

    Michel Onfray

  • Éphéméride du 7 décembre

    1676 : Dans "Le Journal des Sçavans", Römer publie ses calculs sur la vitesse de la lumière 

     

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    Un astronome Danois, appelé par un savant Italien qui dirigeait l'Observatoire de Paris : heureuse époque que celle de Colbert et Louis XIV, durant laquelle une monarchie éclairée subventionnait les savants et artistes de l'Europe entière...

    L'Europe, la vraie, la bonne, oui, bien sûr : mais, n'est-elle pas derrière nous ? En tout cas, les Rois de France y ont contribué... 

     

    Ole Christensen Roëmer (25 septembre 1644/19 septembre 1710) est un astronome danois, qui a travaillé à l'Observatoire de Paris dès 1671, appelé par Jean-Dominique Cassini (sur la "dynastie des Cassini", voir l'Éphéméride du 4 septembre).

    En 1676, travaillant sur les éclipses du satellite Io de Jupiter, il remarqua que ces événements se produisaient tantôt "à l'heure prévue", tantôt 10 minutes en avance et d'autres fois 10 minutes en retard. Il sut trouver l'explication de ce mystère, en considérant les positions respectives de la Terre et de Jupiter par rapport au Soleil. En septembre 1676, il annonça que l'éclipse d'Io prévue le 9 novembre se ferait avec 10 minutes de retard. Ce fut le cas, ce qui démontra la justesse de ses calculs ainsi que la qualité de ses travaux, et un compte-rendu fut publié dans Le journal des savants le 7 décembre suivant.

    Cela lui permit de calculer la vitesse de la lumière, arrivant au résultat de c = 212.000 km/s, au lieu de la valeur retenue actuellement de 299.792,458 km/s, soit une erreur (relativement faible) de 29 %.

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    De James Lequeux (in Encyclopedia universalis, extrait) :

    Invité en 1671 par Jean-Dominique Cassini à séjourner à l'Observatoire de Paris, l'astronome danois Ole Christensen Römer (1644-1710) y étudie notamment le mouvement des satellites galiléens de Jupiter, découverts en 1610 par Galilée. Il constate que les occultations de ces satellites par la planète sont en retard par rapport aux prédictions des éphémérides lorsque la Terre est loin de Jupiter, et qu'ils sont en avance lorsque la Terre en est plus proche. Il en déduit en septembre 1676 que c'est le temps que met la lumière à nous parvenir de Jupiter qui cause ce retard ou cette avance : la lumière n'a donc pas, comme on le pensait auparavant, une vitesse infinie. Römer estime à 11 minutes son temps de propagation depuis le Soleil (il est en fait de 8 minutes et 19 secondes) mais, comme la distance de la Terre au Soleil est alors très mal connue, il ne cherche pas à déterminer la vitesse de la lumière.

    Les premières mesures directes de cette vitesse sont dues à Hippolyte Fizeau et à Léon Foucault, au milieu du XIXème siècle. La vitesse de la lumière dans le vide sert aujourd'hui à définir le mètre : elle est très précisément égale à 299.792.458 mètres par seconde. 

     

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    1678 : Première représentation dessinée des Chutes du Niagara 

     

    hennepin niagara.jpg

     

    C'est Louis Hennepin, prêtre et missionnaire wallon (Récollet), qui en est l'auteur.

    Il sera également le premier à reconnaître le cours supérieur du Mississippi. Cet explorateur de l'Amérique du Nord est devenu français en 1659, quand Béthune, sa ville, a été prise par l'armée de Louis XIV.

    Sur ordre de Louis XIV, les Récollets ont envoyé quatre missionnaires en Nouvelle-France en mai 1675, dont Hennepin, accompagné de René Robert Cavelier de La Salle. En 1678, chargé par Louis XIV de coloniser de nouvelles terres, celui-ci reçoit le monopole du commerce des fourrures dans les régions à découvrir, et emmène Hennepin avec lui.

    L’expédition quitte Fort Frontenac le 18 septembre 1678. 21 jours plus tard, elle atteint les Chutes du Niagara, déjà visitées par Paul Ragueneau trente-cinq ans auparavant.         

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    "Grand et prodigieux Saut, dont la chute d'eau est tout-à-fait surprenante. Il n'a pas son pareil dans tout l'Univers... La chute de cet incomparable Saut est composée de deux grandes nappes d'eau, et de deux cascades avec une Isle au milieu. Les eaux, qui tombent de cette grande hauteur, écument et boüillonnent de la manière du monde la plus épouvantable. Elles font un bruit terrible, plus fort que le tonnerre. Quand le vent souffle au Sud, on entend cet effroyable mugissement à plus de quinze lieües..."

     

    http://www.ecoles.cfwb.be/marbaix/PDF/elocution%20sur%20les%20chutes%20niagara.pdf

     

    Il faut se souvenir qu'à un moment, un bon tiers de l'Amérique du Nord fut - même si elle l'était parfois de façon purement nominale - placée sous la juridiction du roi de France :
     
     
     
     

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     1815 : Ney fusillé

     

    7 décembre,mermoz,la croix du sud,sacha guitry,arletty,houphouët-boigny,tristan bernard,ferdinand de lesseps,gabriel marcelSurnommé "le Brave des braves", Ney fut, sans conteste, l'un des meilleurs soldats de son temps : il se distingua encore plus particulièrement lors de la désastreuse retraite de Russie, en sauvant ce qui pouvait l'être de l'armée, lors du passage de la Bérésina...

    "...Mais, depuis longtemps lassé de la guerre, il pressa Napoléon d'abdiquer et se rallia à Louis XVIII. Celui-ci l'accueillit chaleureusement, le nomma pair de France, et, au retour de l'île d'Elbe, en mars 1815, c'est à Ney qu'il confia le principal corps chargé d'arrêter l'ex-empereur. Ney jura de ramener Napoléon prisonnier "dans une cage de fer", mais il se laissa entraîner par le mouvement populaire, et, à Auxerre, le 18 mars, il tomba dans les bras de l'empereur..." (Michel Mourre).

    Toujours selon Michel Mourre, à Waterloo, "...il se montra imprudent... ne semblant plus chercher que la mort sur le champ de bataille. Après avoir eu cinq chevaux tués sous lui, il fut proscrit (24 juillet) et contraint de se cacher. Découvert près d'Aurillac, il fut traduit devant une cour martiale, qui refusa de le juger. Il comparut alors devant la Chambre des pairs qui le condamna à mort malgré les plaidoiries de ses défenseurs Berryer et Dupin (6 décembre), et il fut fusillé le lendemain, près de l'Observatoire..."

    Malgré sa bravoure, sa valeur et ses incontestables talents militaires - et, peut-être, même, à cause d'eux... - Ney est donc bien le principal responsable de ce coup d'État militaire que fut la folle équipée, insensée, des Cent jours. Jusqu'à sa rencontre avec lui, Napoléon n'était toujours qu'un évadé hors-la-loi, commandant à peine à quelques centaines de soldats perdus, nostalgiques d'une vaine gloire qui avait coûté si cher à la France, et ne représentant qu'une fraction ultra minoritaire de l'opinion, qui n'aspirait plus qu'à jouir des bienfaits de la paix retrouvée. Mais, à partir du moment où Ney, avec toute l'autorité et le prestige moral qu'il avait, se replaçait sous les ordres de Napoléon, au lieu de l'arrêter, il cautionnait, pire, il accomplissait ce coup d'État militaire.

    Alors que, au même moment, Chateaubriand présentait un plan réaliste et crédible de défense de Paris, pour fermer la capitale au revenant (voir l'Éphéméride du 17 mars), la trahison de Ney rendait plus que probable des affrontements fratricides entre Français, si le roi envoyait de nouveau des troupes pour arrêter Napoléon.

    Ne voulant pas ajouter des affrontements entre Français à la guerre étrangère, Louis XVIII, qui savait pertinemment, comme toute personne raisonnable, que l'entreprise insensée de Napoléon ne pouvait ni réussir ni, même, durer, préféra se retirer à Gand (voir l'Ephéméride du 30 mars) et laisser passer l'orage...

    Mais Ney, du coup, est ainsi devenu le soldat type dont parle Chateaubriand (voir l'Ephéméride du 15 juillet) :

    "...Mais les vrais coupables n'étaient-ils pas ceux qui favorisaient ses desseins ? Si, en 1815, au lieu de lui refaire des armées, après l'avoir délaissé une première fois pour le délaisser encore, ils lui avaient dit, lorsqu'il vint coucher aux Tuileries : "Votre génie vous a trompé; l'opinion n'est plus à vous; prenez pitié de la France. Retirez-vous après cette dernière visite à la terre; allez vivre dans la patrie de Washington. Qui sait si les Bourbons ne commettront point de fautes ? Qui sait si un jour la France ne tournera pas les yeux vers vous, lorsque, à l'école de la liberté, vous aurez appris le respect des lois ? Vous reviendrez alors, non en ravisseur qui fond sur sa proie, mais en grand pacificateur de son pays." Ils ne lui tinrent pas ce langage : ils se prêtèrent aux passions de leur chef revenu; ils contribuèrent à l'aveugler, sûrs qu'ils étaient de profiter de sa victoire ou de sa défaite. Le soldat seul mourut pour Napoléon avec une sincérité admirable; le reste ne fut qu'un troupeau paissant, s'engraissant à droite et à gauche...

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    Sarrelouis, ville natale du maréchal Ney, fondée par Louis XIV en 1681, s'appelle aujourd'hui Saarluis, et se trouve dans le land de Sarre, en Allemagne, tout comme Sarrebruck (Landau, ville française depuis 1681, se trouvant, elle, dans le land du Palatinat)...

    La folie des Cent Jours coûte cher à la France, et Ney en est l'un des "coupables" : si le premier Traité de Paris, en 1814, s'était contenté de la ramener à ses frontières d'avant la révolution, le second traité, en 1815, va l'amputer de territoires et de populations (environ 500.000 personnes...) :

    • Philippeville et Marienbourg (cédées toutes deux à Louis XIV en 1659) ainsi que Bouillon (la ville de Godefroy !...), actuellement en Belgique;

    • Versoix, sur la rive nord du Léman, et une partie du pays de Gex, français depuis Henri IV, aujourd'hui en Suisse ( les six communes de Versoix, Pregny-Chambésy, Collex-Bossy, Grand-Saconnex, Meyrin et Vernier, cédées à Genève );

    • sans compter les Jurassiens français, qui demandaient leur intégration à la France, les Cent Jours étant un excellent prétexte pour le leur refuser : pour les humilier davantage, on les intégra dans le canton germanophone de Berne...

    Et, en prime, une occupation de trois ans et une "amende" de 700 millions de francs !

     

    • De Jacques Bainville (Journal, Tome I (1901-1918), pages 106/107, note du 26 septembre 1912) :

    "Nous ne voyons plus les choses, nous ne jugeons plus notre histoire comme le faisaient nos ancêtres. Et en voici un bon exemple.

    Lorsque le maréchal Ney comparut devant ses juges, son procès fut conduit de telle sorte que sa condamnation ne fut pas comprise. Ney avait cédé à un entraînement sentimental. Devant le chef avec lequel il avait connu tous les enthousiasmes de la guerre, il n'avait pu résister à un mouvement du coeur. Ney fut accusé d'avoir manqué à sa parole. C'était vrai, mais s'il n'y eût eu que cela, n'avait-il pas droit à des circonstances atténuantes ? Qui songea à dire alors que le trop bon coeur de Ney avait causé un désastre à la France ? Car enfin, la défection de Ney avait eu pour conséquence, avec Waterloo, des milliers de victimes, une seconde invasion, des conditions de paix plus dures qu'en 1814, la perte de Philippeville, de Marienbourg, de Sarrelouis, de Sarrebruck et de Landau. Nous estimons aujourd'hui que la crise d'attendrissement de Ney à Lons-le-Saunier nous a coûté un peu cher. Fit-on bien, fit-on mal de le fusiller ? Ce n'est pas la question. La question vraie, c'était celle des responsabilités du désastre, et il y en avait de lourdes qui remontaient, historiquement, jusqu'au maréchal.

    Pour Ney, comme pour Napoléon, nous aurons été longs avant de les juger d'un pareil point de vue : celui du bien et du mal que même le génie et le dévouement au génie ont faits à la France. Pas de discours, pas de statues sur la "morne plaine" ! Assez de lyrisme et de mélodrame ! Quand on prononce devant lui le nom de Waterloo, le Français de 1812 ne murmure pas "Rendez-vous de la fatalité". Il ne voit pas planer le destin. Il compte sur ses cinq doigts ce que nous y avons perdu : Philippeville, Marienbourg, Sarrelouis, Sarrebruck et Landau."

     

     

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    1882 : Naissance du Père Jacques Sevin

     

    Pour le jésuite André Manaranche, auteur de  Jacques Sevin, une identité, le père Sevin est comme l'autre père du scoutisme, et en tout cas le vÃ

  • Éphéméride du 29 février

    Le pavillon de la reine Jeanne, aux Baux de Provence, qui a servi de modèle au tombeau de Mistral à Maillane

     

     

     

    1904 : Frédéric Mistral reçoit son Prix Nobel de Littérature 

     

    mistral mireio.jpgLe premier prix Nobel avait été remis en 1901, et Mistral était alors en compétition avec Sully Prudhomme, qui lui fut finalement préféré (voir l'Éphéméride du 6 septembre).

    Le jury du Prix Nobel ne souhaitant pas distinguer deux fois de suite un même pays, Mistral ne fut pas retenu en 1902. En 1903, de nouveau candidat, Mistral arriva deuxième, et dut laisser la place à un auteur scandinave.

    Ce fut donc en 1904 que - Miréio étant enfin disponible en langue suédoise - Mistral reçut la distinction prestigieuse, qu'il partagea cependant avec le poète espagnol José Echegaray : de nombreuses coquilles dans le texte, des maladresses ou erreurs de traduction avaient joué contre lui...

    Les Nobel sont attribués en décembre (généralement vers le 10, voir notre Éphéméride du 1O Décembre), mais Mistral était trop fatigué pour faire le voyage de Stockholm (il devait mourir dix ans après, juste avant le début de la Grande Guerre...) : il reçut donc son prix en différé, en quelque sorte, le 29 février 1904...

    Frederic-Mistral.jpgÀ ce moment-là, il reste donc dix ans à vivre au poète provençal, qui a écrit la quasi totalité de son œuvre :

    Mirèio (Mireille), en 1851;

      Calendau (Calendal), en 1866;
     
      Lis Isclo d'Or (Les Îles d'Or), en 1875;
     
      Memòri e raconte (Mémoires et récits), en 1906; 
     
     Lou Tresor dòu Felibrige (Le Trésor du Félibrige), de 1878 à 1886. 
     
    Son dernier recueil, Lis Oulivado (Les Olivades, 1912) commence par ces vers :  
    "Lou tèms que se refrejo, e la mar que salivo / Tout me dis que l'ivèr es arriba per ièu / E que fau, lèu e lèu, acampa mis òulivo / E n'òufri l'òli vierge à l'autar dou bon Diéu."
     
    (Le temps qui fraichît et la mer qui gronde / Tout me dit que l'hiver est arrivé pour moi / Et qu'il faut, vite, vite, ramasser mes olives /Et en offrir l'huile vierge sur l'autel du Bon Dieu).  
     
    Mistral consacrera l'intégralité de son Prix à réaliser le projet qui lui tenait à coeur : agrandir et re-créer le Muséon Arlaten, l'un des tous premiers musées d'ethnographie créé en France... (achat du Palais Laval-Castellane, acquisition des collections...) 

    mistral museon arlaten.jpg

    Le Muséon arlaten, déjà créé en 1896 par Mistral, fut donc installé dans l’hôtel Laval-Castellane du XVème siècle; il présente costumes, mobilier, outils de travail, objets de culte... et illustre la vie des provençaux du XIXème siècle  
     

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    À partir d'aujourd'hui, nous allons évoquer Frédéric Mistral, à travers sa poésie, et nous déclinerons cette évocation en trois temps :

    • aujourd'hui, 29 février (réception du Prix Nobel de Littérature);

    • puis, le 25 mars, jour anniversaire de sa mort;

    • et, enfin, le 8 septembre, date anniversaire de sa naissance;

     

    mistral timbre.jpg

    Et nous évoquerons cette poésie au moyen de deux poèmes (ou extraits) à chaque fois, soit au total six textes majeurs, qui permettent de se faire une première idée du fond de ses inspirations :

    1. Aujourd'hui, 29 février, nous allons lire un poème que l'on qualifiera de chrétien, tant est forte et sous-jacente partout chez Mistral cette source d'inspiration : La coumunioun di sant (La communion des saints) de 1858. Puis l'enracinement dans l'Histoire provençale et dans cette Provence charnelle, à travers ses paysages et ses villes. L'amour profond pour sa terre transparaît évidemment lui aussi partout chez Mistral : "...Se quauque rèi, pèr escasènço..." (Si Clémence était reine..., Mireille, Chant II);

    2. Le 25 mars, nous lirons un extrait d'un poème de combat, pourrait-on dire : I troubaire catalan (Aux troubadours catalans, partie I) de 1861. Puis, un poème peut-être un peu plus politique : A la raço latino (Ôde à la race latine) de 1878.

    3. Enfin, le 8 septembre, nous lirons le Mistral virgilien et homérique, paysan au sens fort et grand du terme, de l'Invocation de Mirèio (Mireille). Et le Mistral épique et historique, avec l'Invocation de Calendau (Calendal).

     

     

    I : Un poème chrétien, La coumunioun di sant (La communion des saints)

     
    Ci dessous, le portail de la Cathédrale Saint Trophime d'Arles, puis deux vues du cimetière antique des Alyscamps (Elysii Campi, les Champs Élysées des Grecs et des Romains) : des tombeaux, et l'église Saint Honnorat...
     

    MISTRAL 3.JPG


     
    Davalavo, en beissant lis iue,                 Elle descendait, en baissant les yeux,
    Dis escalié de Sant-Trefume;                  L'escalier de Saint-Trophime.
    Ero a l'intrado de la niue,                       C'était à l'entrée de la nuit
    Di Vèspro amoussavon li lume.               On éteignait les cierges des Vêpres.
    Li Sant de pèiro dou pourtau,                 Les Saints de pierre du portail,
    Coume passavo, la signèron,                  Comme elle passait, la bénirent
    E de la glèiso a soun oustau                   Et de l'église à sa maison
    Emé lis iue l'acoumpagnèron.                 Avec les yeux l'accompagnèrent.
     
    Car èro bravo que-noun-sai,                   Car elle était sage, vraiment,
    E jouino e bello, se pou dire;                  Et jeune, et belle, on peut le dire;
    E dins la glèiso res bessai                       Et dans l'église nul peut-être
    L'avié visto parla, vo rire;                       Ne l'avait vu parler ou rire.    
    Mai quand l'ourgueno restountis,            Mais quand l'orgue retentissait,       
    E que li saume se cantavon,                   Pendant que l'on chantait les psaumes,
    Se cresiè d'èstre en paradis                    Elle croyait être en Paradis
    E que lis Ange la pourtavon !                  Et que les anges la portaient ! 
     
    Li Sant de pèiro, en la vesènt                 Les Saints de pierre, la voyant
    Sourti de-longo la darriero                     Sortir tous les jours la dernière
    Souto lou porge trelusènt                      Sous le porche resplendissant
    E se gaudi dins la carriero,                     Et s'acheminer dans la rue,
    Li sant de pèire amistadous                   Les Saints de pierre bienveillants
    Avien pres la chatouno en gràci;            Avaient pris en grâce la fillette;
    E quand, la niue, lou tèms es dous,        Et quand, la nuit, le temps est doux,
    Parlavon d'èlo dins l'espàci :                  Ils parlaient d 'elle dans l'espace :
     
    - La vourriéu vèire deveni,                     "Je voudrais la voir devenir
    Disié sant Jan, moungeto blanco,           - Disait Saint Jean- nonette blanche,
    Car lou mounde es achavani,                 Car le monde est orageux,
    E li couvènt soun de calanco.                 Et les couvents sont des asiles.
    - Sant Trefume diguè : - Segur !            - Saint Trophime dit : "Oui, sans doute !
    Mai n'ai besoun, iéu, dins moun tèmple, Mais j'en ai besoin, moi, dans mon temple,
    Car fau de lume dins l'escur,                  Car dans l'obscur il faut de la lumière,
    E dins lou mounde, fau d'eisèmple.        Et dans le monde il faut des exemples."
     

    MISTRAL ALYSCAMPS.JPG


    - Fraire, diguè sant Ounourat,                "Ô frères - dit Saint Honnorat -
    Aniue, se'n-cop la luno douno                Cette nuit, dès que luira la lune
    Subre li lono e dins li prat,                     Sur les lagunes et dans les prés,
    Descendren de nosti coulouno,               Nous descendrons de nos colonnes,
    Car es Toussant : en noste ounour          Car c'est la Toussaint: en notre honneur
    La santo taulo sara messo...                   La sainte table sera mise....
    A miejo-niue Noste Segnour                   A la mi-nuit Notre-Seigneur
    Is Aliscamp dira la messo.                      Aux Alyscamps dira la messe."
     
    - Se me cresès, diguè sant Lu,                "Si vous m'en croyez - dit Saint Luc -
    Iè menaren la vierginello;                       Nous y emmènerons la jeune vierge;
    Ié pourgiren un mantèu blu                     Nous lui donnerons un manteau bleu
    Em'uno raubo blanquinello.                     Avec une robe blanche."
    E coume an di, li quatre Sant                  Et cela dit, les quatre Saints
    Tau que l'aureto s'enanèron;                   Tels que la brise s'en allèrent;
    E de la chatouno, en passant,                  Et de la fillette en passant,
    Prenguèron l'amo e la menèron.              Ils prirent l'âme et l'emmenèrent.
     
    Mai l'endeman, de bon matin,                 Mais le lendemain, de bon matin,
    La bello fiho s'es levado...                       La belle fille s'est levée...
    E parlo en touti d'un festin                      Elle parle à tous d'un festin
  • Qui commande ?, par Hilaire de Crémiers

    (Voici l'analyse politique d'Hilaire de Crémiers, parue dans le n° 101 de Politique magazine, novembre 2011) 

     

    Au cours du dernier sommet européen à Bruxelles le 26 octobre dernier, l’Europe a cru se sauver elle-même. Telle est la version officielle. Pour les esprits réaliste, il ne s’agit que de palliatifs qui repoussent les échéances et c’est Allemagne qui a dicté sa volonté, même si Angela Merkel a paru céder sur certains points. 

    sarkozy-merkel.jpg

     Pas de sommet européen qui ne soit précédé de la rencontre préalable d'Angela Merkel et de Nicolas Sarkozy....

            L’accord de façade du sommet réuni à Bruxelles le 26 octobre dissimule mal un profond désaccord. Des décisions ont été prises par et pour la zone euro et constituent, à côté et même à l’encontre des traités existants, comme un nouveau contrat d’entente monétaire, bancaire et budgétaire ; cependant les partenaires de l’accord ont, en réalité, tous des visées différentes. Leurs intérêts immédiats sont divergents et ce sont leurs intérêts respectifs qu’ils poursuivent à travers la prétendue convention. Pourquoi se leurrer ? L’affectio societatis europeana en est irrémédiablement atteinte. Pour une raison simple et connue de tous : l’affaire européenne n’est aujourd’hui plus qu’une affaire d’argent et il n’est pas d’union qui résiste aux questions d’argent. C’est le diviseur par excellence.

            Comment ne pas voir l’impossible gageure, grosse de contradictions, que se sont fixée comme but les chefs d’État et de gouvernement ? L’avenir de l’euro, de la zone euro, de l’Union européenne elle- même, en est hypothéqué. Chacun considère selon ses vues ses propres dettes, les dettes des autres, leurs assises, leur traitement et donc le règlement de l’immense question qu’elles posent. Le tout étant toujours de payer aujourd’hui le moins possible, alors que les sommes deviennent, chaque jour qui passe, plus colossales. Aussi le seul point d’accord véritable n’est jamais que d’avoir encore et toujours recours à la dette : dans tous les cas de figure, elle fait office de solution ; seulement, il n’est personne qui la conçoit de la même façon. La seule ligne commune se réduit à une opération facilement qualifiable : la dette de demain garantira la dette d’aujourd’hui qui elle-même garantit celle d’hier qui garantissait celle d’avant-hier. Une partie au passage sera épongée ; suffisamment, croit-on, pour tenir encore un certain temps en attendant on ne sait quel retournement de situation. En argot commercial, cela s’appelle de la cavalerie. Les Grecs y excellent ; ils ne sont pas les seuls.

     

    Le fonds de stabilité multiplicateur de liquidités

            D’où les efforts prodigieux pour faire croire à la solidité de l’échafaudage qui n’a été bâti par des experts à la demande des politiques que pour soutenir la machinerie mirobolante où s’effectuera la merveilleuse transformation d’une dette supplémentaire – car comment appeler ça autrement , même s’il ne s’agit que de sommes cautionnées ? – en actifs stables et pérennes à effet de levier garanti. 1 donnera 4, voire plus, répète-t-on à l’envi. En centaines de milliards, peut-être bientôt en milliers de milliards, la multiplication fait beaucoup ! 

            Klaus Regling, le directeur du FESF, sollicite déjà les Chinois de venir abonder, spontanément et sans-arrière pensée, avec la complicité du FMI, les sous-fonds du fonds qui lui-même abondera les caisses vides de l’Europe. Quel soulagement ! Il n’y aurait plus qu’à attendre ce bel argent frais qui inondera si généreusement nos pays assoiffés. Si les Chinois accourent, les Brésiliens suivront et tous les autres, Russes, Japonais…Oui, mais à quelles conditions ? A quel prix ? Il faudra en contre-partie se soumettre à leurs impératifs de développement, donc nous laisser envahir par leurs produits et leurs capitaux. C’est ce qui s’appelle être tenu.

            Quoi qu’il en soit, la zone euro, pense-t-on, aura, du coup, à sa disposition un fonds de stabilité financière à la puissance renforcée et sans doute sous peu décuplée. Les imaginations politiciennes, financières et journalistiques se complaisent dans cette assurance. Il est si facile de dire que la force de frappe financière européenne aura la capacité de repousser les assauts des forces hostiles de la spéculation. Mieux encore : les États étranglés par leur dette souveraine puiseront dans cette source intarissable les liquidités dont ils ont un urgent besoin. Quoi de mieux, en effet, que de transformer des dettes en monnaie et, pourquoi pas, jusqu’à due concurrence . Quantitative easing, disent nos amis américains. Ce sont procédés connus et vieilles habitudes que les Français seront heureux de retrouver ! Et, puisque les banques sont affectées par le poids des dettes souveraines, ce fonds pourra servir aussi pour les recapitaliser si elles n’y suffisent pas elles-mêmes, ce qui aidera à leur faire accepter les décotes desdites dettes souveraines que les politiques ont décidé en dépit de leur protestation : pour la Grèce, c’est fait à hauteur de 50 %... Ainsi les banques seront dans le coup : elles ingurgiteront plus de 100 milliards, ce qui permettra heureusement « aux privés », sur l’ordre des « publics », de participer eux aussi avec les contribuables – qui sont en fait les mêmes, « les cochons » de payants et de déposants – au sauvetage de la zone euro. Ô merveille de dévouement ! Et la BCE, déjà gorgée d’actifs pourris, pourrait ainsi reprendre son rôle souverain d’arbitrage et de contrôle, garantissant l’ensemble du système de toute la pureté de son immarcescible vocation ! Les Allemands y sont attachés.

            Que peut-il résulter de tant de combinaisons hasardeuses ? 

            L’empilement des structures cache la simple vérité de l’empilement des dettes et la complexité des systèmes mis en œuvre dissimule l’opposition évidente des points de vue sur la manière de traiter des engagements qui, s’ils ne sont pas virtuels, sortent du champ du réel.

            Les uns cherchent à faire supporter ou garantir ou monétiser ou mieux annuler en partie ou en totalité leurs dettes par les autres, autrement dit et en termes vulgaires c’est les refiler en s’en désengageant au risque de provoquer un effondrement général ou une inflation immaîtrisable ; les autres pensent à se préserver et à limiter leur implication en contraignant leurs partenaires à une rigueur jugée nécessaire dont les effets dépressifs se retourneront aussi et bientôt contre eux-mêmes. La vérité est que, malgré toutes les annonces euphorisantes, il n’y a plus de bonne solution ; il n’y a même plus de solution. La solution sera… ce qui arrivera ! Les choses iront leur train d’enfer sans qu’aucun « volontarisme » ne puisse enrayer, freiner, changer leur cours.

     

    La désunion de l’union

            Comme dans tous les mauvais accords, chacun commence à accuser l’autre et, le discours moral étant le plus naturel et le plus facile à l’homme, ces accusations réciproques sont déjà ponctuées d’une litanie expiatrice qui désigne l’autre à la vindicte publique : « c’est la faute à… ».

            On se persuade, en s’en félicitant, que la crise aura eu pour heureux résultat de faire progresser l’Europe, d’améliorer sa gouvernance, d’assurer une plus parfaite  intégration au motif qu’on a créé et qu’on va créer encore des structures supplémentaires, des organes de cohésion, de surveillance, de contrôle, d’unification avec des commissaires spécialisés, le tout assorti d’obligations nouvelles exigées par les Allemands et par Bruxelles. L’Europe fédérale serait le salut, parce que ces messieurs se sont rendu compte que l’union monétaire ne suffit pas.

            Qui ne voit que c’est le contraire qui se passe ? Dans l’atmosphère délétère où se débat l’Europe, c’est le « trompe qui peut », vieille règle des mariages de convention, qui va retrouver tous ses droits. Les politiques nationales dont l’Europe ne tenait aucun compte et qu’elle méprisait, s’imposeront comme des nécessités de salut avant que ne puisse apparaître l’ombre d’une politique fédérale. C’est déjà presque fait et cette résurgence ne laisse pas d’inquiéter. Tous les retournements sont possibles. Les peuples demandent à être protégés, rien ne sert d’agiter les spectres des jours anciens ni de dénoncer un « populisme » qualifié de stupide parce qu’il s’accroche à ses salaires, à ses usines, à ses village, à ses sous, à son pays. Il aurait peut-être mieux valu ne pas négliger ce qui fait la vie des gens. Les Grecs penseront d’abord aux Grecs, les Français aux Français, les Allemands aux Allemands qui ne joueront, quant à eux, le jeu de l’Europe que jusqu’au moment où ils se sentiront floués. Après tout, c’est normal.

     

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    Avant tout engagement, la chancelière allemande soumet aux représentants de la souveraineté allemande les plans européens...

     

     

    L’europe sous souveraineté allemande

            Le président français qui a bousculé au cours de ces trois dernières années les décisions de la chancelière allemande se voit forcé aujourd’hui de se plier à son tour aux impératifs germaniques. Libre à lui de présenter dans son discours aux Français ces impérieux rappels à l’ordre comme une pédagogie vers plus de réalisme et comme des perspectives lucides et rigoureuses vers des redressements possibles que seul son courage politique est capable d’assumer à l’encontre des folies, des rêves ou des lâchetés de tous les autres ! C’est assurément un bon argument de campagne électorale. Il n’empêche : les réunions qui se sont succédées au cours du mois d’octobre et qui précédèrent ce sommet du 21 octobre, se concentraient pour l’essentiel sur les ententes préalables entre Angela Merkel et Nicolas Sarkozy ; et il est dorénavant indubitable que c’est Angela Merkel qui fait savoir à Nicolas Sarkozy et à tous les autres que l’Allemagne dans cette crise terrible a la ferme volonté de reprendre la main. La zone euro, l’euro, et donc l’Union européenne, ne fonctionneront qu’autant que l’Allemagne y consentira. C’est dit et c’est clair ; et par deux fois, y compris le 21 octobre, elle a soumis au Bundestag les dispositions du nouveau plan de sauvetage européen puisqu’elle est responsable devant l’assemblée souveraine de l’Allemagne et que la Cour suprême de Karlsruhe n’a pas manqué de rappeler la règle irréfragable de la souveraineté allemande qui ne se partage pas. Ainsi l’Europe toute entière était suspendue au vote des députés allemands. Ce sera la règle pour l’avenir.

            Est-il possible de parler d’avancées européennes ? La rigueur va s’abattre sur la France : le gouvernement est obligé d’y aller de plus en plus vigoureusement, pour répondre à toutes les exigences. 

            Les prévisions du taux de croissance sont à la baisse. Tout l’univers français public et parapublic est criblé de dettes. Le chômage augmente, autant que les impôts et les taxes. L’Espagne et l’Italie sont menacées de perpétuelles dégradations : comment faire quand rien ne va plus ? Quant aux pays de l’union européenne qui ne font pas partie de la zone euro, comme l’Angleterre et la Pologne, ils ont fait savoir qu’ils ne comprenaient pas pourquoi tant de décisions qui les concernaient  également, étaient prises sans eux. Au point qu’une majorité d’Anglais souhaitent sortir de l’Union et que David Cameron voit une partie de ses députés se rebeller.

            Pareille ambiance est propice aux aigres propos. Ça ne manque pas. A ce jour, il n’est guère possible de dire ce qu’apportera de plus le sommet du G20 à Cannes, ces 3 et 4 novembre, dont Nicolas Sarkozy qui le préside, espérait faire un moment de clarification. Les discours ne suffisent plus. ■ 

  • Mini dossier sur la Crise (5/5): Le dérapage, par François Reloujac.

    Le dérapage

    Réunions sur réunions pour annoncer en début de semaine que tout est sauvé et pour s’apercevoir en fin de semaine que tout est perdu.

     

     

                Début mai 2010, les dirigeants politiques de l’Europe ont fait prendre à la crise un nouveau tournant. Et ce virage semble ne pas avoir été contrôlé. Réunis à Bruxelles pendant le week-end du 8 mai, ils ont décidé de frapper un grand coup. Puisque toutes leurs déclarations précédentes en faveur d’un soutien à la Grèce n’avaient convaincu personne, et surtout pas les spéculateurs internationaux, ils ont décidé de provoquer un électrochoc en adoptant un nouveau « plan » hors de proportion avec tout ce sur quoi on discutait antérieurement. On chipotait pour accorder une aide de 40 milliards d’euros à la Grèce, on va mettre en place un plan de plus de 750 milliards ! La première réaction des marchés financiers a été spectaculaire : en une journée, ils ont gagné au total près de 10 %. Il faut dire que le signal était fort : les États membres qui ont adopté l’euro ne le laisseront pas tomber ; et cela, quoiqu’il pût en coûter.

     

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                Quand on a affaire à une spéculation généralisée dont le principe de base s’apparente à celui d’un jeu de poker, une telle stratégie s’appelle montrer  son jeu à l’adversaire. Celui-ci connaît désormais les atouts dont on dispose et les annonces que l’on va faire. Les médias, qui se focalisent sur l’instant qui passe avec fugacité, ont salué l’euphorie boursière et la confiance retrouvée ! Mme Lagarde a eu beau dire que les marchés avaient sur-réagi, elle ne pouvait pas aller jusqu’à expliquer que le plan qu’elle venait de cautionner était dangereux. Les jours qui ont immédiatement suivis la présentation de ce nouveau plan ont été marqués par des mouvements boursiers très exagérés et par une chute rapide de l’euro sans pour autant que celui-ci ne retombe à sa parité de pouvoir d’achat avec le dollar. En fait, la confiance semble avoir fui pour longtemps. Cela est normal dans la mesure où « quand les déficits filent et que les caisses publiques se vident, les investisseurs sont inquiets. Quand les gouvernements décident des mesures d’austérité, les investisseurs craignent alors qu’il n’y ait plus de croissance » (1).

                Avec cette décision du 8 mai 2010, comme l’a reconnu Angela Merkel, on a juste « gagné un peu de temps ». Comment, dans un monde où les liquidités sont trop importantes – et nourrissent la spéculation – peut-on penser calmer le jeu de cette spéculation en injectant de nouvelles liquidités dans le système ? Si quelqu’un en doutait encore, il est absolument évident que les États européens, tout comme les États-Unis, font de la cavalerie (2). C’est-à-dire que, rapidement, il apparaîtra inéluctablement que ces 750 milliards seront devenus insuffisants. On sera obligé de recommencer… jusqu’à quand ?

     

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    "...il est absolument évident que les États européens, tout comme les États-Unis, font de la cavalerie..."

     

    Un mécanisme de cavalerie

     

                Au bout de quelques jours, les Européens se sont aperçu qu’ils n’avaient pas la même interprétation de l’accord auquel ils étaient parvenus. Les Français et leurs partenaires – sauf les Allemands – avaient compris que tous les Parlements devraient se prononcer en une seule fois sur le plan. Les Allemands ont expliqué à partir du 18 mai que, non seulement le Bundestag devrait se prononcer sur l’ensemble du plan, mais que, de plus, il se prononcerait chaque fois qu’un pays en difficulté demanderait la mise en œuvre dudit plan. Ce qui équivaut à s’arroger un droit de veto sur tous les déblocages. Il est vrai que la solidarité mise en œuvre par le plan pourrait coûter cher aux Européens, ou du moins à certains d’entre eux. Si, au moment de l’appel des fonds par le pays en difficulté, un de ceux qui doit intervenir ne peut le faire, la charge correspondante sera répercutée sur les autres. C’est pourquoi, selon le ministre allemand de l’économie, Wolfgang Schäuble, tout État qui demanderait la mise en jeu à son profit du plan de solidarité devrait automatiquement être privé du droit de vote au sein du Conseil européen. En dehors des questions politiques que ces disparités ne manquent pas de susciter, les difficultés ne pourront que croître rapidement, pour deux raisons.

                Ce mécanisme de cavalerie a été décidé et mis en place pour permettre aux États les plus endettés de se « refaire ». Exactement comme le joueur qui a déjà perdu toute sa fortune au jeu et qui emprunte à nouveau pour pouvoir continuer de jouer et essayer de parvenir enfin à récupérer une partie de ce qu’il a perdu. Pour aider le joueur en question dans cette quête, pour aider tout Etat endetté à se désendetter, les autres joueurs lui imposent de nouvelles règles : une cure d’austérité drastique. Il faut tailler immédiatement dans les déficits publics. Ces nouvelles règles sont extrêmement dangereuses. En effet, alors que les États n’arrivent déjà pas à rembourser ce qu’ils doivent, on leur impose un mécanisme qui va conduire les populations à travailler deux fois plus en étant payés deux fois moins. Le risque d’une dépression sans précédent est grand. Mais c’est à ce seul prix que les États endettés auront droit à la manne bruxelloise qui leur fera gagner un peu de temps. Et comme il n’y en aura pas pour tout le monde, seuls les premiers à entrer dans le jeu seront servis. C’est ce qu’a compris le Premier ministre espagnol qui, dès le 12 mai a annoncé une baisse de 10 % du salaire de tous les fonctionnaires ; imité, dès le lendemain par le Premier ministre portugais. Il est vrai que les utopistes de l’Europe pensent avoir la solution : si la dépression continue à enfler en Grèce, au Portugal, en Espagne, en Italie ou en France, les populations de ces pays pourront toujours aller travailler en Allemagne ! Va-t-on devoir rendre demain les délocalisations obligatoires ? Un seul marché du travail à l’échelon européen – à moins que ce ne soit à l’échelle mondiale – et suspension des allocations de chômage à toute personne qui aura refusé un emploi, fut-il situé aux antipodes dans un État où les couvertures sociales n’existent pas ! Mme Lagarde ne s’y est pas trompée quand, dans une interview accordée aux Échos, le 11 mai, elle a reconnu que ce plan de sauvetage européen contenait « plus qu’une once de fédéralisme puisque le fonds européen fera des émissions pour acheter des titres ou proposer des prêts ». La prétention de la Commission européenne de contrôler les projets de budget des États avant de les soumettre aux parlements nationaux va bien dans le sens de ce fédéralisme accru.

     

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    Les deux Ministres des Finances, Christine Lagarde et Wolfgang Schäuble...

     

    Le cercle vicieux

     

                La deuxième raison qui va conduire à accroître les difficultés résulte de la question de savoir qui va prêter les sommes empruntées par l’Union européenne. Les États ? Ils n’ont pas d’argent. Ils devront eux-mêmes emprunter les sommes nécessaires. On va donc, faire appel aux banques pour souscrire… les obligeant à se refinancer elles-mêmes auprès de la Banque Centrale Européenne, dont le président va une nouvelle fois avaler son chapeau en inondant les marchés d’un argent quasi gratuit et en « achetant des dettes souveraines d’États toxiques » (3). Parallèlement, les banques risquent de commencer à se méfier les unes des autres, pour la même raison qu’elles ne se faisaient plus confiance au moment de la faillite de Lehman Brothers. En effet, elles vont mutuellement se soupçonner d’être plus exposées qu’elles ne le disent à une banqueroute de la Grèce, du Portugal, de l’Espagne, de l’Italie, de l’Irlande, du Royaume-Uni ou de la France. C’est pourquoi, afin que les banques puissent elles-mêmes prêter cet argent – qu’elles n’ont pas – elles vont devoir faire un effort pour expliquer aux agences de notation qu’elles sont solides. En particulier, conformément aux règles prudentielles internationales, elles vont devoir « mobiliser » des fonds propres, ce qui diminuera leur capacité à prêter aux entreprises pour investir et relancer l’économie. Il va donc y avoir un nouveau transfert des capacités de financement vers la seule charge de la dette financière antérieure. Comme les politiques ne pourront pas assister sans rien dire à cette désertion des banques, ils ne manqueront pas de ne pas remplir leur mission et décideront d’emprunter encore un peu plus pour réinjecter ces sommes empruntées aux banques dans le capital desdites banques pour leur permettre de prêter un peu plus aux autres agents économiques dans un processus de fuite en avant (faisant ainsi jouer un « effet de levier »). D’autant que, démagogie et keynésianisme obligent, on demandera aux banques de faire un effort tout particulier dans le crédit à la consommation, économiquement stérile.

     

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    Quel mécanisme ?

     

                Dès le 10 mai, l’éditorialiste du Monde expliquait pourquoi, selon lui, le plan ne pouvait qu’échouer. En focalisant son analyse sur le seul cas grec, mais son raisonnement peut être généralisé, il constatait que l’on ne pourrait jamais faire l’économie d’une « restructuration » de la dette, ce qui signifie que les prêteurs ne rentreront jamais intégralement dans leurs fonds. Peu importe le mécanisme que l’on mettra en place pour cela (l’inflation ? l’explosion de l’euro ? le changement de système monétaire international ?...), il arrive un moment où un retour à la santé ne peut pas se faire sans une opération chirurgicale. Après avoir constaté le coût proprement insupportable pour les populations de la purge qui leur est imposée, il concluait : « De plus, du fait que les créanciers sont aujourd’hui payés pour s’enfuir, qui les remplacera ? À coup sûr, ce plan échouera à réintégrer à des conditions gérables la Grèce sur le marché dans quelques années ». Si, les chefs d’État et de gouvernement ont donné leur accord à un tel plan c’est probablement qu’ils espèrent repousser la défaillance de la Grèce – et des autres États surendettés – jusqu’à une époque meilleure où le climat économique sera redevenu plus calme… À moins qu’ils n’aient voulu donner des gages au Président américain que la valeur de l’euro ne baissera pas au point de rendre impossible la réévaluation du yuan.

     

    1 Y.A. Noghès, La Tribune, 18 mai 2010.

    2 Faire de la cavalerie, c’est emprunter pour rembourser ou, comme le sapeur Camember, faire un trou pour en boucher un premier… sauf qu’il y a des « pertes en ligne » et que pour boucher le trou précédent  il faut faire un trou plus grand, et ainsi de suite.

    3 Cf. Isabelle Mouilleseaux, La Chronique Agora, 10 mai 2010.

     

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  • Que sont nos banlieues devenues ? Le cas des Beaudottes, à Sevran.....

              C'est -hélas, puisque l'actualité nous l'a en quelque sorte imposé...- le titre d'une des Catégories de ce blog: "Banlieues: des bombes à retardement...". Et nous avions déjà posé la question: "Que sont nos banlieues devenues ?....." à propos du Clos Saint Lazare, cité et zone de non-droit de la Seine Saint-Denis : c'était juste après la parution dans Le Figaro magazine du 16 juin 2007 d'un article mi ahurissant, mi terrifiant racontant l'éxécution en plein jour, et devant ses parents, d'un jeune trafiquant de la cité par d'autres jeunes trafiquants de la même cité (1) ...

              Voici aujourd'hui une autre illustration de ce même phénomène, avec l'article édifiant publié par Léna Mauger, dans Le Nouvel Observateur du jeudi 8 mai (n°2270). Il est inutile de redire ce que nous avons déjà dit mille fois (2), nous et aussi beaucoup d'autres, comme ici Le Nouvel Obs, pourtant peu suspect d'être à la pointe des critiques contre une certaine immigration, devenue une véritable bombe à retardement.....

             

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              Il est simplement heureux de voir qu'au moins il y a un peu partout de la lucidité, et une certaine prise de conscience d'un des problèmes majeurs qui se posent maintenant à la France, suite la folle politique initiée depuis 1975.....

    Les Beaudottes à Sevran
    Capitale du deal
    Fin avril, la police a ratissé la cité. Sans résultat... Voici pourquoi ce quartier de Seine-Saint-Denis s'est transformé en imprenable «supermarché» de la drogue

              Les habitants conseillent aux visiteurs de venir avant 9 heures du matin, parce que plus tard, «c'est risqué, ça deale trop». Mais aujourd'hui, les trafiquants sont sur le qui-vive aux aurores. Dans une tour blanche rénovée, à l'entrée de la cité, derrière le rond-point de l'avenue Dumont-d'Urville, un «cagoulé», un adolescent dont on ne voit que les yeux, accueille les journalistes à sa manière. Il me coince dans l'ascenseur, une chaîne d'antivol à la main. «Vous allez voir quelqu'un ? Vous cherchez quoi ? Vous êtes de la police ?»Les présentations sont faites, il descend. Au pied du bâtiment, d'autres cagoulés tiennent les murs, prêts à frapper pour protéger leur zone de trafic. Premier contact. Bienvenue aux Beaudottes. Située à vingt minutes de Paris et à dix minutes de Roissy en RER, à l'intersection des autoroutes A1, A3 et de plusieurs nationales, cette cité sensible de Sevran, petite ville de Seine-Saint-Denis, est une plaque tournante du trafic de drogue en Ile-de-France. Sur ce territoire où plus de 38% de la population a moins de 25 ans, une trentaine de délinquants dictent leur loi. Une poignée de trafiquants, contre 10 000 habitants. Des petits «parrains» contre de paisibles familles en HLM. Des jeunes, qu'aucun adulte, pas même une armada de CRS, ne semble capable d'ébranler. Dans une note, rédigée il y a quelques semaines, les Renseignements généraux parlent de «situation explosive». Les Beaudottes ou la cité interdite.

    Hiérarchie quasi mafieuse

              Mère célibataire, Sabrina (3) est revenue vivre il y a quelques mois dans la cité où elle a grandi. «Au début, les jeunes me posaient plein de questions, dit-elle. Mais comme je viens d'ici, ils m'ont vite acceptée.» Pourtant, dans son HLM, Sabrina n'invite ni famille ni amis. «Les trafiquants surveillent tout. Ils savent où je bosse, ils connaissent tout de ma vie. Ils sont super bien organisés, c'est flippant.» Au bas de l'échelle, il y a les «chouff», les guetteurs, âgés de 13-14 ans, et payés 50 euros par jour. Au-dessus, les cagoulés, les dealers, qui peuvent toucher quotidiennement jusqu'à 5 000 euros. Et, au milieu, ceux qui planquent la came et l'argent. Cette hiérarchie quasi mafieuse est la colonne vertébrale d'un trafic qui, selon des sources policières, rapporterait entre 50 000 et 100 000 euros. par mois. Chaque jour, près de 200 voitures : immatriculées dans toute l'Ile-de-France -; revendeurs du «93», mais aussi mères de famille, cadres en costard... s'arrêtent au coeur de la zone de trafic : le 6 allée La Pérouse, la «tour infernale» et la rue Francis-Garnier. Le noyau dur d'un business de «semi-gros». Une triangulaire stratégique, d'où les jeunes voient arriver les policiers et leur jettent des parpaings depuis les toits. C'est là qu'ils font leur deal au grand jour. Ils y vendent cannabis, cocaïne et héroïne, dans les couloirs, sous le nez des habitants. «Quand je passe, je dis à mes enfants de ne pas regarder, raconte Sabrina. Parfois on ne peut pas rentrer. Les cagoulés bloquent les portes avec des Caddie. On doit attendre dehors qu'ils finissent leurs affaires.» Aux Beaudottes, les ouvriers de maintenance viennent à 8 heures du matin, avec des chiens. Et les pompiers sortent escortés par des policiers...
    Dans cette cité gangrenée par le chômage (40% des jeunes sont touchés), les trafiquants sont les rois du pétrole, et se comportent comme tels. «Ils n'ont aucun respect pour rien, se plaint Paul, bagagiste à Roissy.
    Ils cassent tout, chient dans les ascenseurs, les couloirs sont pleins de préservatifs. (...) Seul, le jeune, il tremble. Mais à plusieurs, c'est une meute. S'ils savent que tu as parlé à un journaliste, ils peuvent te flinguer.»Le mois dernier, Paul s'est fait agresser à coups de matraque et de bombe lacrymo. Il n'a pas porté plainte par peur des représailles. Comme les autres habitants, il a accepté de me parler à deux conditions : qu'on se rencontre en dehors de la cité, «loin des yeux des voyous», et sous couvert d'anonymat.

    A 200 km/h vers l'Espagne

              Le quartier vit dans un état de psychose. Et pour faire régner la loi du silence, les trafiquants, quasiment tous enfants de la cité, issus de l'immigration maghrébine, donnent des coups de main à la population, portent les courses... «Mais quand ils te rendent un service, tu sais qu'un jour ils exigeront quelque chose en retour, explique Sabrina. On est pris en otage, on n'est pas libre.» «Tu es avec eux ou tu es mort», explicite un jeune garçon, qui a fait le chouff l'été dernier. «C'est eux les chefs, ils sont riches.» Pour gouverner, les dealers paient aussi des «nourrices» : des familles qui cachent la drogue et l'argent pour 1 500 euros par mois.
    Pourquoi la police n'arrête-t-elle pas ces trafiquants si bien localisés ? «Comment estil possible qu'on laisse une poignée de délinquants régner sur tout un quartier ?», résume
    Thérèse, une retraitée, aux Beaudottes depuis trente ans, qui n'ose plus sortir de chez elle. En réalité, quasiment toutes les polices coopèrent ici : la sécurité publique, la brigade anticriminalité et les CRS, qui font près de deux opérations «coup de poing» par semaine. Le nombre d'interventions a doublé entre 2006 et 2007, passant de 180 à 500. En parallèle, un groupe local de traitement de la délinquance antidrogue, associant mairie, partenaires sociaux, bailleurs, sous la direction du procureur de Bobigny, lutte contre le trafic. Sans compter les hélicoptères qui survolent le quartier la nuit, presque l'état d'exception... Et pourtant, la dernière grosse descente a encore fait un flop. Mercredi 23 avril, vers 20 heures, 350 policiers bouclent le quartier. L'objectif est d'investir huit halls identifiés comme points de vente réguliers et une douzaine d'appartements vides pouvant servir de planque. Butin de l'opération : quatre personnes en garde à vue, 800 grammes de cannabis, un 22 long rifle et un gilet pare-balles...
    Les Beaudottes, forteresse imprenable ? «Des enquêtes sont en cours, nous avons des informations précises sur les trafics», répond le parquet, qui souligne par ailleurs que les affaires de stupéfiants élucidées ont augmenté de 194% entre 2006 et 2007, et de 40% au premier semestre 2008. Il y a un an et demi, un réseau a même été démantelé. Mais dans ce secteur où la nature a horreur du vide et où la drogue fait vivre des familles entières, les trafiquants ont été remplacés en moins de 48 heures. Et la situation s'est détériorée. Depuis, les jeunes se disputent les marchés des autres quartiers de Sevran, Rougemont et Pont-Blanc-Monceleux. Dans la nuit du 9 au 10 février, Brahmin, 25 ans, a été tabassé à mort lors d'un règlement de comptes. «On est face à une nouvelle génération de trafiquants, explique Jérôme Pierrat, auteur de «la Mafia des cités» (4). Des mecs qui ne sont plus les petits dealers de fin de chaîne, mais des «go fast» qui font le circuit commercial eux-mêmes. Ils filent à 200 kilomètres/heure en Espagne ou aux Pays-Bas où ils bourrent leurs bagnoles de drogue. Du coup, on a une explosion des équipes.» Comment agir face à ces nouveaux «parrains» ? «Le problème, dit un policier haut placé, c'est qu'il faut dix fois plus de moyens qu'il y a dix ans. Nous, on peut intervenir en matière de sécurité, il n'y a pas de zone de non-droit. On est présent, on travaille et on en paie le prix. Mais la cité cumule tellement de handicaps que d'autres acteurs doivent intervenir. Les associations, les médiateurs, les parents...»

    Demain, c'est Mexico

              Les Beaudottes ressemblent finalement à beaucoup d'autres banlieues rongées par l'économie souterraine : Stains en SeineSaint-Denis, Pablo-Picasso à Nanterre, les Biscottes à Lille... Des cités paupérisées, à forte population d'origine étrangère dont 80% des jeunes n'arrivent pas au bac, et dont la géographie se prête au trafic : malgré sa rénovation, il y a deux ans, les Beaudottes, avec ses tours de 17 étages, ses parkings et ses appartements vides, est un refuge idéal pour les dealers. Mais tout n'y est pas si sombre. Le centre social Marcel-Paul et la bibliothèque fonctionnent, les jeunes n'ont pas détruit la petite salle de sport. «Il y a huit maternelles, un collège, un centre médico-psychologique, un centre de loisirs, rassure Anne-Claire Garcia, directrice des projets sociaux. Mais on manque d'animateurs et de moyens.» Une impasse face à laquelle le maire déclare son impuissance : «Sevran a 30% d'argent de moins qu'une ville de 50 000 habitants en Ile-de-France, explique Stéphane Gatignon (PC), élu depuis 2001. La normalité, pour les jeunes, c'est la débrouille, la violence et le pognon. Comment ils s'en sortiraient sans le système D ? Nous, ça fait des années qu'on parle de réseaux mafieux. J'ai dit au préfet : si on ne fait rien, demain c'est Mexico.» Aujourd'hui, les derniers acteurs sociaux sont très inquiets : fin mars, tous les concierges des Beaudottes sont partis. Agressés dix-huit fois en deux ans, les onze gardiens ont fini par démissionner, abandonnant définitivement le territoire aux trafiquants.

    (1): Voir la note "Que sont nos banlieues devenues ?....." (1 et 2), dans la Catégorie "Banlieues: l'art de vivre ( ! ) républicain....."
    (2): Voir les notes des Catégories "Banlieues: des bombes à retardement...", "Banlieues: l'Art de vivre ( ! ) républicain...", et "Douce France républicaine...ou : Chronique de l'insécurité ordinaire....".
    (3): Tous les noms ont été changés.
    (4): Denoël, 2006.

  • Alexandra Lavastine : mon jour d'après le 13 novembre dans un quartier sensible de Seine-Saint-Denis

     

    Passionnant récit d'Alexandra Laignel-Lavastine

    La journaliste et philosophe Alexandra Laignel-Lavastine, qui habite en Seine-Saint-Denis, a interrogé les jeunes de son quartier dès le matin du 14 novembre. Si leurs propos ne reflètent pas l'opinion majoritaire dans ce département, ils traduisent une réalité dérangeante.   

    Alors qu'en ce lugubre matin du samedi 14 novembre, la France était en état de choc et le monde glacé d'effroi, comment les jeunes de mon quartier, dans le 93, avaient-ils vécu, eux, les carnages de la nuit? Un vague espoir m'avait saisi: et si les tueurs islamistes venaient, par ce bain de sang, de s'aliéner un peu leurs admirateurs de banlieue, généralement fascinés par leurs «exploits guerriers»? Dans cet univers clos et à la dérive, où la fêlure morale est souvent vertigineuse, le principe qui prédomine est en effet celui de la valeur contraire. Les décapitations en ligne, les prières de rue et le voile intégral horrifient ou dérangent? Ils «kiffent» puisqu'ils «niquent la France». Mais cette fois? Se pouvait-il que les images atroces des tueries les laissent de marbre et ne suscitent pas l'ombre d'un écœurement ou d'une identification aux victimes? En s'en prenant au public jeune et festif d'un concert de rock ; pis, en ciblant les spectateurs d'un match de foot, leur passion, de surcroît au Stade de France, situé à quelques encablures de là et où ils auraient tous pu se trouver, les tueurs de Daech n'avaient-ils pas commis une erreur d'appréciation? J'avoue que je m'attendais au moins à un vague: «Là quand même, ils abusent!». Je descends au bistrot du coin vers 10 heures.

    Première surprise: rien n'y laisse deviner qu'une tragédie vient de frapper le pays. La télé est pourtant allumée au-dessus du comptoir, le film des événements passe et repasse en boucle. La clientèle, exclusivement masculine, regarde du coin de l'œil, mais personne ne semble concerné. J'interroge le patron, les yeux rougis par l'absence de sommeil, un sympathique arabe chrétien qui se définit comme «assyro-babylonien»: «J'y crois pas», me dit-il à voix basse. Depuis que j'ai ouvert à 8 heures, les gens parlent de tout et de rien, mais surtout pas de ce qui vient de se passer. C'est biz as usual: circulez, y'a rien à voir. Je m'attable avec Malik* en train de boire son café, le visage fermé. Je lui dit qu'il a une mine fatiguée et qu'il y a de quoi après les massacres horribles des dernières heures. «Pourquoi horribles?», me lance-t-il d'un air hostile, «tu crois quand même pas ce qu'ils nous racontent!». Ma crédulité lui fait même «pitié»: «Réfléchis trois secondes: un musulman, ça tue pas. Tuer, chez nous, c'est haram. C'est marqué dans le Coran». Je tente la carte bobo nunuche bien-pensante: l'islam est certes une religion-de-tolérance-et-de-paix, mais il peut y avoir de mauvais musulmans, des fanatiques qui le déforment et s'en servent à de vilaines fins politiques. «C'est quoi ces conneries?», poursuit-il. «Un communiqué, ça se fabrique, c'est comme les images: tout est bidon». Et comme un musulman ne peut donc être un meurtrier, il faut bien que «y'ai un truc derrière tout ça». Le raisonnement est implacable. Aussi brillant que celui d'Emmanuel Todd et d'une bonne partie de la doxa de gauche politiquement correcte, pour qui il ne s'agissait déjà plus, quatre mois après «Charlie», de combattre l'islamisme, mais le «laïcisme radical» porté par les néo-réactionnaires, très vite tenus, en toute indécence, pour les coupables indirects des crimes de janvier.

    Entre temps, les copains de Malik sont arrivés et ils se mêlent à la conversation. Nidal, passablement agressif, renchérit: «La vérité, de toute façon, on l'a connaît: c'est un complot contre nous et contre l'islam, comme avec Merah et le reste». Le reste? Un autre m'éclaire de façon assez prévisible en m'expliquant que les chambres à gaz seraient une «invention sioniste», le 11-Septembre un complot du Mossad et le massacre de Charlie-Hebdo un coup monté de la DCRI. «Tu vois, les Kouachi. J'ai un copain qui les connaissait bien. Il m'a dit que le deuxième frère était mort en 2009. C'est pas une preuve, ça? Le but, c'est de salir les musulmans». Avant, m'expliquent-ils, ils ne disposaient que de la version officielle que leur servaient «les médias». Désormais, ils possèdent un savoir inaccessible au profane: «On peut plus nous enfumer». À ce propos, je leur demande quels sont leurs sites préférés: Dieudonné, Soral, Médiapart, oumma.com, les Indigènes de la République? Ils ne comprennent pas le sens de ma question: «Internet, quoi, YouTube. Tu connais YouTube?». Je n'insiste pas, voyant que la notion même de source leur échappe. Je me résigne aussi assez vite à laisser de côté la question de la vraisemblance dudit complot — la paranoïa conspirationniste étant par définition immunisée contre tout démenti en provenance des faits —, pour m'intéresser aux chefs d'orchestres cachés: un complot, mais orchestré par qui? «Justement, on le saura jamais», dit Kevin d'un air grave et dubitatif. «Tu déconnes!», s'énerve Réda qui prend à son tour la parole avec véhémence: «T'sé quoi Madame, avec tout mon respect: les gros salauds, les barbares, les criminels qu'faudrait régler à la kalach, c'est les Juifs! Mais ça, tu pourras pas l'écrire dans ton journal vu qu'ils contrôlent tout». Vraiment tout? «Nan, en fait, seulement 80 %», estime Kamel, plus raisonnable et qui dispose de chiffres plus… exacts. Son voisin, un peu gêné devant moi, tient lui aussi à… nuancer: «Les Juifs, enfin les sionistes plutôt. C'est eux les grands caïds. Même l'Etat français est une marionnette entre leurs mains». Tous acquiescent avec vigueur et considèrent, pour de mystérieuses raisons, que seul Poutine, «un mec génial», pourrait nous «sauver».

    Les trois mots magiques — «Juif», «sioniste» et «complot» — étant lâchés, ces vocables ont aussitôt pour effet d'échauffer le groupe, toujours aussi peu disposé, autour de midi, à verser une larme de compassion, même une toute petite, envers les morts et les blessés de la nuit. Une insensibilité et une indifférence absolues. Tandis que je songe à la réflexion d'Hannah Arendt sur le fait que c'est aussi dans le vide de la pensée et l'incapacité d'être ému que la barbarie se déploie, voilà que Toufik infléchit avec succès la discussion sur les francs-maçons, «les alliés du grand caïd» qui, manifestement, les passionnent. Et d'ajouter: «De toute façon, en France, c'est simple: si tu fais pas partie d'une loge, t'as pas de boulot». Son pote le coupe: «Faut pas oublier non plus Sarko et sa bande qui, après avoir vendu cinq tonnes d'or aux Américains pour une bouchée de pain, se sont tous tirés à Tel-Aviv». Son voisin complète: «Même les Français en ont marre, ils sont plus chez eux avec ces Juifs pourris. Or on a quand même le droit de se sentir chez soi, c'est normal!». J'ose faire remarquer que Nicolas Sarkozy a pourtant l'air de se trouver physiquement à Paris. «Ben c'est normal, vu que c'est Rockefeller qui dirige BFM et iTélé». J'admet que je n'y avais pas pensé… De toute façon, «ils sont tous islamophobes, faut arrêter de nous stigmatiser», conclut un autre.

    Là, il me sidère: ces jeunes esprits déstructurés, abreuvés aux discours de haine et aux fantasmes complotistes, ont en même temps très bien capté le prêt-à-penser du jour et l'intérêt qu'ils pouvaient en retirer, entre chantage à l'islamophobie, vulgate du padamalgame (les procès en dérive «néo-réac», ils ne connaissent pas encore) et complaisance victimaire. Il est vrai que l'axiome de Malik — «Un musulman, ça tue pas» — rejoint le principe intangible de la bien-pensance contemporaine, à savoir que le Mal ne saurait en aucun cas surgir du camp du Bien, celui des anciens «damnés de la terre». D'où l'exploit d'Edwy Plenel qui, en 2013, osait encore parler d'un «terrorisme dit islamiste».

    C'est ainsi que sans ces territoires occupés de la pensée progressiste, toute à son déni idéologique du réel, Les Territoires perdus de la République*, un livre qui réunissait dès 2002 les témoignages alarmés de professeurs du secondaire, aurait pu permettre de faire — à temps? — le bon diagnostic. La gauche, dont la lâcheté fut affligeante, a préféré le bouder et le considérer comme raciste: comment osait-on constater une offensive salafiste dans certains quartiers? Scandaleux. Résultat: la France enregistre quinze ans de retard à l'allumage face à la menace représentée par un islam qui se radicalise. À se demander où réside le plus horrifiant. Dans cette perte absolue de repères parmi une jeunesse pourtant née et éduquée en France? Ou dans le manque de courage de nos élites somnambules qui, de renoncements en capitulations, ont contribué à accuser cette fracture qu'il était jusqu'à présent de mauvais goût de vouloir voir et sur laquelle il était donc de bon ton de ne rien savoir. Tragique. Au début des années 2000, mes interlocuteurs étaient encore enfants. Nos milliers de djihadistes de fabrication locale — dont les massacreurs du 13 novembre —, l'étaient aussi. 

    * 220 pages, 18 €.

    * Les prénoms ont été changés

    XVMbffe1f82-8e20-11e5-99b8-4bd51d8f92b3-100x150.jpgAlexandra Laignel-Lavastine a fait ses études à l'Université Paris Sorbonne-Paris IV puis au Centre de formation des journalistes (CFJ), avant de se consacrer à une carrière d'essayiste, d'universitaire et d'éditeur, collaborant aussi, depuis 1987, à de nombreux médias écrits et audiovisuels, dont Le Monde (près de 250 articles, portraits et chroniques de 1998 à 2009, accessibles via le site du quotidien), Libération, Le Monde des débats, Philosophie Magazine... Elle est l'auteur d' un livre de combat sur les enjeux de l'après Charlie, intitulé La Pensée égarée (Grasset, Prix de la Licra, mai 2015)* et sous titré «Islamisme, populisme, antisémitisme: essai sur les penchants suicidaires de l'Europe». La chronique d'une catastrophe annoncée en même temps qu'une invitation à décréter l'état d'urgence intellectuel.

    Alexandra Laignel-Lavastine  - FigaroVox          

             

  • Société • « La grille idéologique des nouvelles féministes les empêche de se saisir des vrais combats »

     

    Par Eugénie Bastié 

    Le 8 mars a été célébré la « journée de la femme ». Trente ans après la mort de Simone de Beauvoir, le féminisme a-t-il encore un sens ? La philosophe Bérénice Levet déplore - dans un fort intéressant entretien donné à Figarovox [08.03] - qu'il soit devenu aveugle aux nouveaux dangers qui guettent la femme, et notamment le communautarisme islamique.      

     

    2960413950.jpgNous célébrons le 8 mars la « journée de la femme ». Trente ans après la mort de Beauvoir, le féminisme a-t-il encore un sens, ou a-t-il au contraire accompli ses promesses ?

    Si le féminisme a encore un sens, ce n'est surtout pas celui que lui attachent les néo-féministes, tributaires d'une grille idéologique qui les empêche de se saisir des seuls vrais combats qu'il y aurait encore à mener. L'égalité et la liberté sont acquises pour les femmes en France. Comment peut-on encore parler, ainsi que le font certains, d'un fondement patriarcal de notre société ? Qu'est-ce qu'une société patriarcale ? Une société où la femme dépend entièrement de l'homme, une société où la femme est assignée à résidence et vouée aux tâches domestiques. Or, si ce monde n'est pas tout à fait derrière nous, si patriarcat il y a encore en France, il se rencontre exclusivement dans les territoires perdus de la République. Là, en effet, les principes d'égalité, de liberté, d'émancipation des femmes sont foulés au pied par les hommes. Là, en effet, certaines femmes sont maintenues dans un état de minorité. Mais ce ne sont pas nos mœurs qui sont coupables mais bien l'importation, sur notre sol, de mœurs étrangères aux nôtres. En sorte que si le féminisme a encore un sens, c'est en ces territoires qu'il doit porter le fer or les femmes qui ont le courage de se dresser contre le patriarcat, contre les interdits prescrits par les autorités religieuses, et dont les frères, les fils se font les implacables sentinelles, se retrouvent bien seules.

    En dehors d'Elisabeth Badinter, qui sait faire prévaloir l'exigence de vérité et le principe de réalité sur toute idéologie, qui ose nommer les seuls ennemis des femmes aujourd'hui en France ?

    Les statistiques sont là pour nous montrer que les inégalités salariales subsistent entre hommes et femmes. La lutte contre les stéréotypes permet-elle selon vous de réduire les inégalités réelles ?

    Ne nous laissons pas intimider par le discours ambiant et ces statistiques qu'on ne manque jamais d'exhiber - la seule arme capable d'impressionner à notre époque, disait Hannah Arendt - qui voudraient nous faire croire que les femmes restent d'éternelles victimes de la domination masculine. Vous parlez des inégalités réelles, mais en dehors des inégalités salariales qui en effet persistent, mais dont les femmes triompheront sans tarder et sans qu'il soit nécessaire qu'une quelconque loi intervienne, quels autres exemples pourriez-vous invoquer ? Aucun. Les dernières élections municipales à Paris mettaient aux prises trois femmes et c'est Anne Hidalgo qui dirige la capitale. Qui a été élu à la tête de l'île de France lors des élections départementales de décembre 2015 ? Valérie Pécresse. Le seul parti politique qui puisse s'enorgueillir de gagner des électeurs est dirigé par une femme, Marine Le Pen et a pour figure montante sa nièce, Marion Maréchal Le Pen. Qui préside à la destinée de France-Culture, de France 2 télévision ou de la Ratp ? Respectivement, Sandrine Treiner, Delphine Ernotte, Elisabeth Borne. Qui vient d'être nommé à la direction du Centre Européen de Recherche Nucléaire ? Fabiola Gianotti. Il faut donc en finir avec cette rhétorique féministe de l'assujettissement.

    L'expression « inégalités réelles » que vous avez employée m'évoque la dernière trouvaille sémantique de notre président de la République qui excelle en ce domaine. A la faveur du dernier remaniement ministériel, le chef de l'Etat a ainsi créé un secrétariat d'Etat à l'égalité réelle - on se croit revenu au temps du marxisme et du combat contre l'égalité formelle, il est vrai que François Hollande doit donner des gages à l'aile gauche de son parti et à ses satellites.

    Il semble que l'objectif primordial des féministes soit de « mettre la femme au travail » et de lui faire réussir sa carrière. La femme qui n'exerce pas de profession pour éduquer ses enfants appartient elle au passé ?

    Tout porte à le croire tant la femme au foyer est aujourd'hui dévalorisée socialement. Les femmes y ont-elles gagné en troquant une injonction contre une autre ? Hier, assignées au foyer, aujourd'hui sommées de travailler…Qu'on me comprenne bien, je ne milite en aucune façon pour un retour des femmes dans la sphère domestique, l'indépendance économique est une immense conquête, elle est la condition même de la liberté. Mais cela ne doit pas nous interdire de nous interroger sur les conséquences quant à l'éducation des enfants, de ce désinvestissement par les deux sexes de l'espace familial.

    Avec la naissance, les parents ne donnent pas seulement la vie, ils font entrer l'enfant dans un monde, c'est-à-dire dans un monde vieux, qui le précède, un monde de significations qu'il faut lui transmettre, lui donner à aimer. Il convient donc de l'y escorter, or, requis par leur carrière, leur épanouissement personnel, les parents se sont délestés de cette tâche. « Les parents modernes, écrit le grand sociologue Christopher Lasch, tentent de faire en sorte que leurs enfants se sentent aimés et voulus ; mais cela ne cache guère une froideur sous-jacente, éloignement typique de ceux qui ont peu à transmettre à la génération suivante et qui ont décidé, de toute façon, de donner priorité à leur droit de s'accomplir eux-mêmes ».

    La crise de la transmission est telle et la déréliction d'une jeunesse abandonnée à elle-même devient si éclatante, que peut-être y aura-t-il un retour de bâton. Que les parents renoueront avec leur responsabilité de parents. Sinon mieux vaut renoncer à mettre au monde des enfants.

    Sous l'impulsion de l'idéologie du genre, il semble que désormais l'horizon du féminisme ne soit plus l'égalité mais l'interchangeabilité…

    Le féminisme s'est égaré en adoptant les postulats du Genre. En ratifiant ce petit vocable, en apparence inoffensif, qui s'est imposé afin de marquer une scission parfaite entre le donné biologique et anatomique (que prend en charge le mot sexe) et l'identité sexuée et sexuelle, qui serait purement culturelle (que désigne le mot Genre), le féminisme s'est littéralement désincarné. Rappelons en un mot l'enjeu de cette théorie. « On ne naît pas femme, on le devient » disait Simone de Beauvoir. Le Genre considère que l'auteur du Deuxième sexe est demeurée comme en retrait de sa propre intuition et en poursuit la logique à son terme : si l'on ne naît pas femme, pourquoi le deviendrait-on ? Si l'identité sexuée et sexuelle est sans étayage dans la nature, dans le corps, dans l'incarnation, bref si tout est culturel, pourquoi ne pas s'essayer à tous les codes, jouer de toutes les identités. Les partisans du Genre se grisent ainsi de l'obsolescence de l'identité ou de la « flexibilité sexuelle » (le Gender fluid) dont les grandes marques de luxe seraient les promoteurs au travers de leur collection de mode.

    Partant, éduquer différemment son enfant selon qu'il naît dans un corps féminin ou un corps masculin, transmettre les normes, les codes que notre civilisation attache à chacun des deux sexes est assimilée à de l'assignation identitaire, du « formatage ». Que l'humanisation de l'homme ait partie liée avec l'inscription dans une humanité particulière nous est devenu inintelligible, que ces codes, ces significations partagées cimentent une société, nous est indifférent. Le Genre travaille assurément à l'interchangeabilité des deux sexes mais plus énergiquement encore, à la désidentification. La nov-éducation, acquise aux postulats du Genre et promue par notre ministre de l'Education nationale, entend parachever un processus commencé dans les années 1970. Après la désidentification religieuse et la désidentification nationale, il s'agit désormais d'accomplir la désidentification sexuée et sexuelle.

    Les féministes ont tardé à s'indigner pour le scandale de Cologne. Au moment où éclatait l'affaire en Allemagne, elles se mobilisaient contre l'absence de femmes dans la sélection du festival d'Angoulême. Que révèle selon-vous ce deux-poids deux mesures ?

    Elles ont plus que tardé, elles sont demeurées muettes et quand elles sont sorties de leur silence, elles ont pris le parti de ne pas s'indigner, comme Clémentine Autain, ou alors à front renversé, à l'instar de Caroline de Haas qui a rageusement invité ceux qui avait l'outrecuidance de rendre publics les faits, à aller « déverser leur merde raciste ailleurs ». Ce deux-poids deux-mesures - qu'on se souvienne également du traitement réservé à Dominique Strauss-Kahn - révèle la déroute du féminisme, son incapacité à être au rendez-vous, son inutilité et son irresponsabilité. Une chasse ouverte aux femmes se produit au cœur de l'Europe, - 766 plaintes sont déposées à la police, dont 497 pour agression sexuelle - et les égéries du néo-féminisme restent impassibles.

    Leur mutisme tient d'abord, mais la chose a suffisamment été dite, au fait que les prédateurs étaient musulmans et qu'entre deux maux - la violence faite aux femmes et le risque d'alimenter le racisme, de « faire le jeu du Front National », - les néo-féministes n'hésitent pas un instant. Elles sacrifient les femmes. La barbarie peut croître, leur conscience est sauve : elles restent du côté de ceux qu'elles ont définitivement rangés dans le camp des opprimés, des réprouvés, des damnés de la terre.

    Leur résistance vient aussi, et ce point me semble décisif bien qu'il ait été peu ou pas relevé, de ce que ces faits les obligeraient à se désavouer elles-mêmes. De quel récit vivent-elles ? De celui de l'éternelle domination des femmes par les hommes. A les suivre, tout resterait à faire, l'égalité, la liberté ne seraient que formelles. Lorsque Kamel Daoud écrit: « Ce que je jalouse dans l'Occident, la seule avance qu'il a comparé à nous, c'est dans le rapport des femmes », elles doivent s'étrangler. Or, si ces événements nous révoltent, c'est pour leur sauvagerie, naturellement, mais non moins pour l'offense faite à nos mœurs en matière de relation homme/femme, des mœurs taillées dans l'étoffe de l'égalité et de la liberté, et notre art de la mixité des sexes : les femmes habitent l'espace public sans hantise de voir les hommes se jeter sur elles comme de proies.

    D'aucuns, comme Kamel Daoud ou Claude Habib, ont vu dans le réveillon cauchemardesque de Cologne le symbole d'un choc des civilisations. Partagez-vous ce constat ?

    Il faut le dire, ces pratiques barbares ne sont pas même d'un autre âge. L'Occident n'a jamais connu de telles mœurs. Jusqu'au XXe siècle, les femmes étaient certes en état de minorité juridique par rapport à leur époux, mais elles n'étaient pas de la chair livrée à l'hallali des hommes. Les hommes ont été « polis » par les femmes, ils ont appris à dompter le désir que l'autre sexe leur inspire, à emprunter tours et détours. Ils n'ont pas exigé que l'objet de leur concupiscence se voile de la tête au pied pour ne pas céder sans délai à la tentation, ils ont appris les règles de la galanterie. Et dans notre imaginaire, il n'est rien qui évoque les scènes décrites par les victimes de Cologne sinon L'Enlèvement des Sabines tel que peint par Poussin qui a su rendre magistralement les sentiments que les femmes allemandes ont dû éprouver le soir de la Saint-Sylvestre, cette peur panique qui s'empare des femmes prises au piège, dans un guet-apens. Bref, ces actes portent atteinte à l'un des biens les plus précieux de notre civilisation, la condition des femmes.

    Nos féministes ne veulent y voir qu'une version, paroxystique certes, d'une menace qui pèserait en permanence sur les femmes. Autrement dit la différence ne serait que de degré, nullement de nature. Or, si ces actes nous terrorisent au sens fort, c'est parce que nous savons qu'ils ne sont pas le fait de quelques hommes particulièrement brutaux et/ou avinés en cette nuit de Saint-Sylvestre, mais qu'ils sont pratiques communes dans les pays du Maghreb et du Moyen-Orient dont ces hommes sont originaires. Ce type d'agression sexuelle de masse a un nom en arabe, Taharrush gamea .Le procès en islamophobie intenté à Kamel Daoud pour avoir eu le courage d'établir un lien entre les agressions sexuelles de Cologne et les mœurs dans lesquelles les agresseurs ont grandi est hautement significatif de la cécité et de l'irresponsabilité à laquelle l'idéologie confine.

    Oui il s'agit bien d'un choc des civilisations, et, ce qui me semble capital, rappel de ce que nous sommes une civilisation et une civilisation qui, après avoir été accablée de tous les maux, accusée de tous les péchés, n'a guère à rougir d'elle-même. Rappel également et spécialement sur ce chapitre des relations entre les hommes et les femmes, de ce que toutes les civilisations ne se valent pas.   

    Eugénie Bastié   

    Bérénice Levet est docteur en philosophie et professeur de philosophie à l'Ecole Polytechnique et au Centre Sèvres. Son essai La Théorie du genre, ou le monde rêvé des anges, préfacé par Michel Onfray, vient de paraître en livre de poche.         

  • Iran : en flânant à travers Téhéran. Voyage d'un érudit dans l'Iran de Rohani

     

    par Thomas Flichy de la Neuville 
     
    Un remarquable article Qui nous renseigne utilement sur l'Iran d'aujourd'hui. Et à travers le récit, sur sa situation sociale, économique, politique et géopolitique [Causeur, 29.08]. Voilà qui devrait concerner la France, si elle avait une politique étrangère. Décidément, Emmanuel Macron, s'il avait le dynamisme et l'esprit d'initiative qu'il revendique aurait quelques voyages à entreprendre sans trop tarder : Par exemple, à Moscou, pour rendre sa visite à Poutine et y rétablir la relation franco-russe ; à Varsovie, après avoir assez sottement insulté la Pologne, afin d'y y restaurer l'amitié franco-polonaise multiséculaire ;  à Téhéran, avant que d'autres, plus puissants, ne l'y précèdent  ...   Lafautearousseau
     

    2520158154.jpgJe fus saisi à ma descente d’avion par cette espèce d’odeur un peu âcre qui me rappelait que j’avais retrouvé Téhéran la miséreuse et son haleine pétrolière. Le temps d’attendre une heure en compagnie d’un acheteur de tapis italien et d’un allemand en mission interlope, je me frayai un chemin dans la rue, égayé par le concert étrange des imperceptibles coups de klaxon qui accompagne le flot anarchique des voitures.

    Les marchands sont partout

    L’on circule bien la nuit sous les banderoles à la gloire du régime et il me fallut attendre la chaleur du jour suivant pour examiner la façon dont la ville avait changé. Téhéran est sans doute la capitale du bricolage électrique, les compteurs surchargés de fils sont autant de points d’interrogation au sujet des incendies qui ne se déclenchent pas. Les marchands sont partout, étonnamment jeunes, et vendent à peu près tout, jusqu’au débris rouillés d’une cave que l’on a vidée. Les boutiques entassent un bric-à-brac indescriptible où un oiseau en cage chante parmi des pièces de moteur pour moto. De jeunes iraniens poussent des chariots antiques à bras sur lesquels ils entassent de la pacotille de chine ou des bouteilles de soda. L’on vous propose des noix fraîches, des pistaches ou de petites pêches à chaque coin de rue. Mais il faut acheter vite pour éviter d’être écrasé par la moto qui passe. Quant aux vendeurs de melons, ils entassent leurs denrées dans une petite camionnette et déambulent les rues en annonçant le prix à l’aide d’un haut parleur.

    Les sanctions ont conforté le régime

    Du huitième étage d’un immeuble, une femme ouvre sa fenêtre et les interroge sur la qualité de la marchandise. Les affaires ne semblent pas au beau fixe : trop de marchands sans doute et trop peu d’acheteurs. La pauvreté est réelle en tout cas. Il n’est que de voir les malades qui entrent en clopinant dans Sina hospital, un pied bandé entouré d’un sac en plastique. Quant au Muze-ye Melli-ye Irān, le musée chargé de mettre en valeur le passé préislamique de l’Iran, l’on y voit que peu de pièces et encore moins de visiteurs. Après plusieurs décennies de sanctions, qui semblent avoir conforté le régime, l’Iran manque d’investissements et une partie de la jeunesse rêve parfois de partir quelques années ailleurs : en France ou en Corée du Sud et pourquoi pas aux Etats-Unis. Ceci ne la dispense pas de la plus exquise politesse, vestige de la civilisation qui fut. Bref, beaucoup de pauvres parmi lesquels se glissent quelques occidentalisés des quartiers nord. Ces derniers ont leurs endroits : au parc Laleh, par exemple, l’on minaude, ou l’on joue aux échecs à l’ombres des arbres. Une femme s’est parée d’un drapeau américain en guise de voile. A la sortie du métro, qui diffuse des valses viennoises, l’on distingue parfois un jeune Mollah, coiffé d’un turban d’une blancheur surnaturelle et rehaussant sa robe d’une coquette cape de bure lui tombant jusqu’aux pieds. Il a l’élégance et la bonté, en tout cas les passants l’écoutent aujourd’hui et le vénèreront peut être demain. Une jeune fille au tchador rose, passe rapidement à côté de lui, un violon à la main.

    Adieu Facebook, Twitter, Youtube?

    Le gouvernement a supprimé Facebook, Twitter et Youtube depuis 2009, mais toute la jeunesse y accède par le biais de proxys. Quant aux septuagénaires, ils déclament toujours des poèmes lorsqu’ils vous croisent. Ici, la frange fidèle à la révolution estime que Rohani n’a gagné l’élection que par des moyens déloyaux et qu’il a trahi intérieurement son propre régime. Aussi les forces profondes proposent elles de le rejeter à la périphérie. Mais tout est calme et il n’y a rien de plus sûr que la capitale pour flâner. Cela durera-t-il ? Malgré les quelques annonces flatteuses sur les marchés conclus avec l’étranger, le développement semble suspendu. Pourtant les investisseurs sont là, attirés par le gigantesque marché, et ne sachant pas toujours comment l’aborder.

    Entre le loup et le marchand

    Dans ce contexte, l’Iran hésite entre la posture du loup maigre et vindicatif vouant aux gémonies les puissances qui ont provoqué son jeûne forcé et celle du marchand affable, prêt à converser aimablement avec tous ses voisins pourvu que les affaires reprennent enfin. Le guerrier raidi et le marchand malicieux, voici peut être l’héritage antinomique qui se perpétue pour mieux travailler l’Iran par ses contradictions. A l’Université, la créativité inépuisable du professorat se plait à catégoriser, définir les mots et surtout inventer de nouveaux concepts. Tout espace clos tend à sécréter ses propres légendes : l’on entend ainsi dans un cours que les peaux-rouges seraient sur le point de se révolter aux Etats-Unis ou bien que les Israéliens auraient négocier pour obtenir un territoire où se fixer en Australie dans quelques décennies, après que leur Etat se soit effondré. A côté de cela, beaucoup de réflexions sont frappées au coin du bon sens : « Ensani ke robot nist », déclare un professeur : l’être humain n’est pas un robot.

    Nez raccourcis

    Les étudiantes viennent en métro ou elles jouissent du privilège de choisir entre les wagons réservés aux femmes – situés à l’avant et à l’arrière du train – ou bien de se mêler aux hommes. La mode est ici de se faire raccourcir le nez dans les cliniques des quartiers nord de Téhéran. Ce sont en tout cas les seules à prendre des notes et à transmettre des questions sous la forme de petits papiers qui remontent vers la chaire professorale. Elles se promènent avec un port de reine, mais après tout, la révolution les y autorise peut être.

    L’autobus qui se rend de Téhéran à Qom tient à partir plein. Comme il reste quelques places, il part la porte ouverte. Le receveur des billets se place à l’entrée en hélant les passants à tous les carrefours : Qom, Qom ! La municipalité a planté de nombreux arbres, à proximité immédiate des quartiers sud. Mais après quelques kilomètres, toute végétation disparaît pour laisser place à un désert aride, éclairé à un moment par la croûte blanche du lac salé.

    Qom bardée de portables

    A Qom, la ville sainte, les Irakiens chiites ont installé leur bazar, dans un quartier qui jouxte le sanctuaire de Fatima Massoumeh. Ils proposent du jus de melon glacé aux pèlerins qui déambulent vers la mosquée avant de se diriger vers le sanctuaire des Martyrs. La ferveur religieuse a t’elle tendance à croître ? Le succès du pèlerinage vers l’Irak tendrait à le montrer, toujours est il que les Iraniens sont également tentés par d’autres préoccupations. La généralisation des téléphones portables les rend moins volubiles qu’il y a une décennie. Le chargeur de portable est d’ailleurs l’objet qui se vend le plus facilement dans le métro même si les vendeurs n’ont parfois que six à sept ans. Les pouvoirs publics, se préoccupent du grand enfermement électronique et diffusent actuellement des affiches dans le métro montrant un homme gisant à terre dans une prison carrée formée par 4 i-phones. Un médecin, muni d’une trousse de secours se dirige vers lui. Quant à la télévision, elle diffuse à plein régime un modèle consumériste avancé, mettant en vedette des familles réduites de la classe supérieure, dans un décor esthétisé. Dans ce cadre, le voile semble simplement une touche de couleur, faisant partie du décor.

    Le bazar de Téhéran s’est aseptisé

    Le grand bazar de Téhéran a singulièrement changé. Même si l’on peut encore trouver quelques recoins pittoresques à peindre, il s’est progressivement aseptisé et l’on y crie moins fort qu’autrefois. Les échoppes sont devenues de véritables magasins avec vitrines, au moins dans certaines avenues. Cela ne lui ôte pas son charme pour autant car le marché central, grouillant de vie est encore présent. A l’entrée, plusieurs groupes bruyants de marchands achètent des monnaies et enchérissent à la voix avec un téléphone dans la main. Ici, l’on ne recule devant rien pour vendre. Aussi tel marchand de poussins n’a t’il pas hésité à teindre une partie des petits oiseaux en rose ou en bleu pour attirer l’attention des passants, tel autre a peint la tête des cactus à la vente d’une couleur fluorescente afin de simuler une anomalie naturelle. Certaines parties du bazar ont été restaurées ou agrandies avec de jolies briques neuves Le soir, les marchandises restent sur place, simplement recouvertes d’un drap. Tant il est vrai que les voleurs ne sont pas craints. Au nord, l’une des fiertés de la ville est le musée dédié à la guerre Iran-Irak.

    Le long couloir des martyrs

    Devant ses portes sont exposées les quatre voitures de savants nucléaires éliminés par l’usage de bombes magnétiques. Il est adossé à une mosquée et débute par la galerie des papillons une salle dédiée aux âmes des combattants illustres. Un film d’image de synthèse montre un insecte monstrueux dévorant une carte d’Iran. Mais la pièce la plus étrange, est certainement ce long couloir parfumé au dessus duquel sont suspendues des milliers de plaques d’identité militaires éclairées par une lumière rouge. Ce long couloir des martyrs mène tout simplement au paradis, c’est à dire à une pièce monumentale, éclairé par un lustre immense, et dont deux buffets gigantesques, dorés à l’or fin, réfléchissent la lumière. Vous cherchiez un musée, l’Iran a déployé toutes les ressources de sa sensibilité pour vous plonger au cœur d’un mausolée.   

    Enseigne à Saint-Cyr. 
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  • Loi de moralinisation

     

    par Elisabeth Lévy
     
    Une excellente tribune publiée dans Causeur le 
     

    3963099543.jpgSi quelqu’un veut instaurer une dictature en France, qu’il s’y prenne entre le 20 juillet et le 15 août, il a toutes les chances d’y parvenir. Personne ne troublera ses vacances pour si peu. À l’exception d’un édito par-ci et d’une tribune par-là, nul ne s’est ému de la disposition scélérate adoptée par l’Assemblée dans la nuit de vendredi à samedi, avec le reste de la stupide loi « confiance ». 

    Que dire, en effet, d’un texte par lequel les députés acceptent de se placer sous une tutelle infantilisante parce que le moloch de l’opinion exige de voir leurs notes de frais et que puisque je suis obligé de le faire pourquoi pas eux gnagnagna, et qui leur interdit de surcroît de travailler avec les personnes en lesquelles ils ont le plus confiance, parce que le Canard et Mediapart sont aux aguets ? Cette loi manifeste en vérité un consternant asservissement à l’air du temps et aux vaches sacrées d’une époque qui ne tolère plus que l’on ait quelque chose à cacher. On dira que, si les députés veulent se mettre à poil, c’est leur problème. Pardon, mais vu qu’ils me représentent, moi le peuple souverain, c’est un peu le mien.

    Feu sur la liberté d’expression !

    Toutefois, le plus scandaleux n’est pas cette nouvelle et grotesque avancée de la transparence, mais le forfait contre la liberté d’expression, donc, contre la démocratie, contenu dans l’article 1, de la loi, modifié au cours des débats par les amendements 572 et 621, dont Alain Jakubowicz, le patron de la Licra, tient absolument à faire savoir urbi et orbi qu’ils ont été inspirés par son association. Il s’agit en réalité d’un sucre lâché aux ultras, tous ceux qui entendent laver plus blanc que blanc (surtout le linge des autres), pour leur faire avaler l’abandon de l’exigence de casier judiciaire vierge pour tous les candidats, idée qui, en plus de son robespierrisme outrancier, montre la confiance que nous avons dans la capacité de rédemption de notre Justice, mais qui, semble-t-il n’était pas constitutionnelle, quel dommage.

    La lettre écarlate vous suivra pendant dix ans

    On pourra donc élire un repris de justice, sauf s’il a commis un de ces délits d’opinion que nos associations, bras armés et même dopés de la police de la pensée, se font un honneur de traquer et qu’elles appellent « dérapages ». Si le texte n’est pas modifié au cours des débats, toute condamnation pour diffamation ou injure à caractère racial, antisémite, homophobe ou témoignant d’une forme quelconque de discrimination, sera en effet assortie, sauf avis contraire du juge, d’une peine d’inéligibilité de dix ans. En gros, si vous avez fait des conneries, vous pouvez représenter le peuple souverain, mais si vous en avez dites ou écrites, pas de pardon, la lettre écarlate vous collera à la peau pendant dix ans, et, pour le tribunal médiatique, à perpétuité. On devrait s’interroger sur notre sensibilité croissante à ces délits qui se commettent la plume ou le micro à la main. Est-ce parce que nous ne sommes plus capables d’argumenter contre les idées qui nous déplaisent que nous cherchons à les faire disparaître par des pincements de nez ou, de plus en plus souvent, par des opérations d’intimidation judiciaire ?

    Aux électeurs de choisir

    Sur le plan des principes, cet article 1 est problématique à plusieurs titres. Tout d’abord, cela ne semble pas vraiment casher du point de vue de la séparation des pouvoirs. Les juges ne devraient intervenir dans le processus électoral en prononçant des peines d’inéligibilité que lorsque c’est indiscutablement légitime, par exemple pour empêcher un trafiquant de drogue de se présenter à une élection. Mais la règle devrait être que ce sont les électeurs qui choisissent. Une fois informés des turpitudes commises par un candidat, celui-ci ayant purgé sa peine ou acquitté sa dette, c’est à eux de décider. On peut trouver déplorable que Patrick Balkany soit réélu. On ne peut pas faire une loi pour obliger les gens à être intransigeants sur l’honnêteté passée de leurs élus.

    L’Encyclopédie n’aurait jamais existé

    Mais si l’affaire est grave, c’est parce qu’elle concerne la « libre communication des pensées et des opinions », que nous appelons communément liberté d’expression, et qui est, selon les rédacteurs de la Déclaration des droits de l’Homme, « un des droits les plus précieux de l’Homme ». Certes, cette liberté ne saurait être sans limites. Du reste, toute société se définit par ce qu’il n’est pas permis de dire. Seulement, sous l’influence conjointe du juge et du législateur, cette limite, en France, ne cesse d’être déplacée et le champ de la liberté restreint. Jamais les Encyclopédistes n’auraient existé dans ce climat de pudibonderie idéologique où on brandit son juge dès qu’on se sent offensé ou choqué. Cette République des chochottes et des susceptibles n’est pas seulement irrespirable politiquement, elle est intellectuellement désespérante car elle interdit tout véritable débat. (Pour avoir une idée de ce qu’on appelle « débat » aujourd’hui, il faut écouter la quotidienne de France Inter appelée « Le débat de midi », où il n’y a jamais, justement, l’ombre d’un débat car l’animatrice déroule le tapis rouge à tous les poncifs du moment sans jamais exprimer une once de distance ou de contradiction, on dirait un sketch sur le lavage de cerveau)

    Embastiller les racistes ?

    J’entends les protestations. Faut-il laisser des racistes en liberté ? Mais oui, et d’ailleurs c’est ce qu’on fait car à l’exception de quelques négationnistes multi-récidivistes, on n’embastille pas encore, en France pour les « crimes-pensée ». Et par ailleurs, interdire à Dieudonné ou à Le Pen de se présenter, c’est refuser le bénéfice de nos libertés à ceux qui ne pensent pas comme nous. Et c’est politiquement beaucoup plus dommageable politiquement que de les laisser prendre une raclée électorale. Ah oui, mais Hitler, dira-t-on encore. Pardon, mais au moment où Hitler arrive en tête aux élections, il est déjà trop tard. Et puis nous n’en avons pas en rayon.

    La Licra et le CCIF arbitres des élégances

    Ce qui rend l’article 1 beaucoup plus inquiétant encore, c’est le contexte dans lequel il est voté, alors que le mot racisme a aujourd’hui le dos si large qu’il permet de confondre toute personne qui aurait le culot de voir les différences culturelles autrement que pour les célébrer, et qu’il sert même à envelopper des propos du général de Gaulle repris par Nadine Morano. Ainsi a-t-on réussi, durant des années, à désigner comme tels tous ceux qui s’inquiétaient des flux migratoires (et il est vrai qu’il y avait des racistes parmi eux). Alors que cette inquiétude est partagée par 75 % des Français, il est plus difficile de la criminaliser. Aujourd’hui, des associations comme le Comité contre l’Islamophobie en France (CCIF) et ses supplétifs de la Licra, se font une spécialité de poursuivre tous ceux qui osent voir et décrire les méfaits de l’islam radical qui progresse sur notre territoire.

    La gachette judiciaire facile

    C’est ainsi que, en quelques mois, Pascal Bruckner, Georges Bensoussan, Eric Zemmour, Robert Ménard, pour ne citer que les plus connus, ont dû répondre de leurs propos devant les tribunaux. Rappelons que, dans le cas de Georges Bensoussan, poursuivi pour avoir évoqué l’antisémitisme répandu chez une partie des musulmans, c’est le Parquet, c’est-à-dire nous, qui a fait appel de la relaxe prononcée par le juge. Cela n’augure pas très bien de la façon dont la Justice aura à cœur de protéger nos libertés.

    Le plus dingue est que tout cela soit passé comme un lettre à la poste. Dans les médias, les rares journalistes qui n’ont pas encore laissé leur place à des stagiaires en redemandent, bien sûr. C’est vrai, quand interdira-t-on d’élection tout homme ayant fait une blague grivoise ?

    Les Insoumis soumis au politiquement correct

    À l’Assemblée, les braillards habituels n’ont pas moufté. On ne s’étonnera pas de ce que les insoumis, qui sont aux avant-postes du politiquement correct, n’aient rien trouvé à redire. Les députés FN, pourtant visés par la loi, étaient de sortie. Seule Emmanuelle Ménard, (apparentée FN) est courageusement monté au créneau lors de la séance de mercredi, parlant d’une « épée de Damoclès au-dessus de la liberté d’expression » : « Vous ouvrez la porte à l’arbitraire, au chantage de ces associations qui multiplient les procès, les transformant en un véritable fonds de commerce. Adieu Voltaire, bonjour Torquemada ! Je le dis à mes collègues de la République en marche : attention à ne pas entacher vos débuts par un texte attentatoire à cette liberté d’expression qui est l’un des socles de notre démocratie. Attention à ne pas être toujours plus donneurs de leçons, plus moralisateurs, plus démagogues aussi. » Inutile de préciser qu’elle n’a guère été applaudie. Reste donc à espérer que les sénateurs (ou le Conseil constitutionnel) feront prévaloir le bon sens. Il ne s’agit pas d’un détail. Si cet article 1 est voté, nous nous habituerons à un nouvel appauvrissement du débat démocratique, déjà mis à mal par l’envahissement du conformisme.

    Jouer à la Résistance

    On voit d’autant moins pourquoi les censeurs se gêneraient que l’opinion est comme anesthésiée. Il paraît que les Français sont accros à leur smartphone en vacances. Eh bien, ce n’est pas pour suivre les débats parlementaires. Nous adorons jouer à la Révolution, et plus encore à la Résistance. Mais nous ressemblons de plus en plus à ces veaux dont se moquait Mongénéral. Ou plus encore à ces hommes en bermudas dont Muray a montré qu’ils étaient l’avenir de l’espèce. Votez pour nous et laissez nous bronzer. Après tout, la police de la pensée ne fait pas de bruit de bottes.  • 

  • Coralie Delaume : « Par quel bout l'Europe va-t-elle exploser ? »

     

    Montée des « populismes », risque de Brexit, crise grecque, Espagne sans gouvernement, banques italiennes fragilisées, crise migratoire... Coralie Delaume dresse, sur son blog, le panorama d'une Union européenne en crise et tente de répondre à la question : « par quel bout l'Europe va-t-elle exploser ? » [28.04]. Son analyse sous forme de tout d'horizon, sans optimisme et sans concession, fait un point utile et, selon nous, pertinent, de la situation de l'actuelle Union Européenne manifestement en échec. Le lecteur rapprochera cette analyse de celles de Lafautearousseau et y relèvera d'évidentes concordances.  LFAR

     

    Après le « non » au référendum néerlandais du 6 avril, qui avait rendu « triste » le très émotif président de la Commission Jean-Claude Juncker, les chroniqueurs du GEE (Grand effondrement européen) font aujourd'hui la part belle à un autre référendum, celui à venir en Grande-Bretagne. En effet, le risque du Brexit est a priori le plus immédiat d'entre ceux qui pèsent sur l'Union. Toutefois, un rapide tour d'horizon a tôt fait de montrer qu'il est loin d'être le seul. Au point où l'on en est, on ne se demande plus si l'UE – et en son sein la zone euro – survivra à tout cela. On se demande simplement de quelle plaie elle périra, et quand. 

    Le risque du Brexit 

    La « campagne Brexit » a officiellement débuté vendredi 15 avril, avec la désignation, par la commission électorale britannique des deux camps en présence. Ainsi, The In Campaign, emmené par un authentique homme du peuple en la personne de Lord Stuart Rose, ancien PDG de Marks & Spencer,sera opposée jusqu'au 23 juin à Vote Leave, regroupant le camp des partisans de la sortie. 

    En France, certains se donnent beaucoup du mal pour tenter de peser sur le scrutin. Le ministre Emmanuel Macron, par exemple, a récemment expliqué que si la Grande-Bretagne quittait l'UE, elle serait « tuée » - rien que ça - dans les négociations commerciales mondiales . En mars dernier, le même avait déjà prévenu les Anglais qu'en cas de Brexit, la France ne retiendrait à plus à Calais les migrants désireux de traverser la Manche. Bien sûr, il s'était abstenu de préciser que les modalités de contrôle de la frontière franco-britannique sont actuellement régies par l'accord bilatéral du Touquet (février 2003), d'ailleurs très désavantageux pour la France, mais qui n'a pas grand chose à voir avec l'appartenance de l'un et l'autre pays à l'Union européenne. 

    Il faudra encore un peu de patience pour savoir si les rodomontades hexagonales - et peut-être aussi celles de Barack Obama.... - sont parvenues à impressionner les électeurs d'Albion. Si les sondages indiquent plutôt, à ce stade, une avance des partisans du maintien, le résultat pourrait toutefois être serré. 

    On l'avait oubliée : revoilà la crise grecque 

    Mais le Brexit n'est évidemment pas le seul risque auquel soit confrontée l'Union européenne. Avec une économie effondrée, une dette insoutenable, l'omniprésence d'une ex-Troïka exigeant des réformes sans cesse plus dures et confrontée à des flux migratoires inédits, il était évident que la Grèce referait parler d'elle. 

    C'est le cas, alors que se profile une nouvelle échéance pour le pays. Celui-ci devra rembourser plus de 3 milliards d'euros d'emprunts (450 millions au FMI et 2,3 milliards à la BCE) entre le 13 et le 20 juillet. Ce remboursement ne sera possible que grâce au versement d'une fraction du plan d'aide de 86 milliards voté à l'été 2015, pour l'obtention duquel Alexis Tsipras a tout de même consenti à oublier le programme sur lequel Syriza s'était fait élire, et à s’asseoir sur le résultat d'un référendum. Actuellement, le pays surnage encore sans déblocage d'argent frais. Mais c'est avant tout, comme expliqué ici, parce que le gouvernement accable les Grecs d'impôts. 

    En juillet, cela ne suffira plus. C'est pourquoi il est urgent que les créanciers de la Grèce procèdent au versement d'une partie de l'aide promise, d'autant que ces 86 milliards sont presque exclusivement destinés à rembourser les prêteurs, certainement pas à adoucir les vie des gens. Problème : si Tsipras a consenti à signer le « troisième mémorandum » sous le joug duquel vit actuellement le pays, c'était pour obtenir la restructuration d'une dette - 180 % du PIB - dont tout le monde sait qu'elle ne sera jamais payée. De cette restructuration, l'Allemagne ne veut à aucun prix. Le FMI, lui, en veut bien, mais à condition de réformes d'une dureté impitoyable : poursuite du rabotage des retraites (alors que le minimum retraite a déjà été abaissé de 18 % en un an), de la hausse des impôts, augmentation du montant des excédents budgétaires à dégager, etc. 

    Entre une dette incommensurable, des demandes de réformes invraisemblables, des « partenaires » divisés mais intraitables, on pourrait rapidement en revenir à une situation proche de celle du printemps 2015, avec des blocages épars et un pays sans cesse au bord de la faillite. Le tout sur fond de rumeurs d'exfiltration possible d'Alexis Tsipras, d'organisation éventuelle d'élections anticipées, en somme, de turbulences politiques. 

    La crise des migrants, toujours en fond de tableau 

    Ce serait d'autant plus grave que la Grèce fait face à un défi migratoire d'une ampleur inédite. Elle abrite un nombre record de personnes bloquées sur son territoire depuis que la « route des Balkans » a été fermée. Ces migrants sont plus de 11 000 à s'entasser dans le camp d'Idomeni, où les heurts et les tensions s'accumulent. Le 10 avril, par exemple, 250 d'entre eux ont été blessés par des tirs de gaz lacrymogènes de la police macédonienne, alors qu'ils tentaient de franchir la frontière. 

    De telles tensions dans ce coin fragile d'Europe du Sud ne sont certainement pas une bonne nouvelle pour l'UE, quand bien même elle tente de mettre un mouchoir dessus. Comme l'explique ici le spécialiste Amaël Cattaruzza, « les Balkans sont un thermomètre de l'Europe (…) ils révèlent les faiblesses de l'Union européenne ». Dans un ouvrage de référence, l'historien Olivier Delorme, rappelle quant à lui que c'est précisément dans cette région que se prépara le Premier conflit mondial, avec, en guise de prolégomènes, les deux guerres balkaniques de 1912 et 1913. Dans La Grèce et les Balkans (Gallimard 2013, tome II p. 780) il va jusqu'à qualifier la Grande Guerre de « troisième guerre balkanique ». 

    Le problème des banques italiennes 

    En tant que pays méditerranéen, l'Italie prend elle aussi plus que sa part dans la gestion de la crise migratoire. Il semble d'ailleurs que le nombre des arrivées y augmente depuis que l'accord UE-Turquie du 18 mars dernier rend plus difficile l'entrée dans Schengen via la Grèce. 

    L'Autriche, déjà à l'origine de la décision de fermer la route des Balkans, envisage de transformer l'essai et de faire de l'Italie un nouveau piège à migrants. En effet, elle a annoncé sa volonté de renforcer les contrôles à la frontière entre les deux pays, et il est même question de la construction d'une clôture « symbolique » au niveau du col du Brenner, une idée que ne renierait sans doute pas le parti de la liberté d'Autriche (FPÖ). Pour le coup, celui-ci estarrivé très largement en tête du premier tour de l'élection présidentielle de ce dimanche avec plus de 35 % des suffrages, en éliminant au passage la droite et la gauche traditionnelles. 

    Mais ce n'est pas le seul défi auquel l'Italie ait à faire face, loin de là. Ses banques, on le sait, sont dans un état d'extrême fragilité, qui inquiète la planète finance. On se souvient de leur plongée vertigineuse en bourse (-40%) au tout début de l'année 2016, cependant qu'elles ploient sous 200 milliards d'euros de créances douteuses. Du coup, entre autres tentatives de colmatage, le gouvernement italien a annoncé la semaine dernière la création d'un fonds spécial pour soutenir les banques transalpines. D'un fonds doté de... 5 milliards d'euros, soit moins de 3 % du total des prêts non performants. Apparemment amusé, le site spécialisé en finances Zero Hedge qualifie l'initiative de « blague de la semaine » . 

    Toutefois, même si elles sont loin d'être sorties de l'auberge, le zoom sur les banques italiennes ne doit pas faire oublier combien vont mal certaines banques allemandes (notamment la première d'entre elles, la Deutsche Bank), les banques grecques (évidemment), ou à négliger cette information : l'Autriche (tiens, tiens...) vient tout juste d'inaugurer le premier bail ineuropéen (sauvetage d'une banque à partir de l'argent des actionnaires et des déposants, sans usage d'argent public) d'une banque en faillite, Hypo Alpe Adria. 

    L'Espagne, toujours sans gouvernement 

    Quant à l'Espagne, si la situation économique y reste difficile avec un taux de chômage à 21%, le second plus haut de l'Union européenne, c'est surtout à une crise politique qu'elle est actuellement confrontée. Le pays se trouve sans gouvernement depuis quatre mois. En effet, les élections générales du 20 décembre 2015 y ont fait voler en éclat un bipartisme très installé qui opposait traditionnellement le Parti populaire (PP) aux socialistes du PSOE (Parti socialiste ouvrier espagnol). Elles ont introduit brutalement dans le jeu Ciudadanos (C's), un parti de droite libérale « espagnoliste », et Podemos, le parti de gauche anti-austéritaire. 

    Depuis lors, le blocage est total. Aucune coalition ne parvient à se former. On a bien cru, l'espace d'un moment, qu'un ménage à trois se révélerait possible, que le socialiste Pedro Sanchez réussirait à unir la carpe et le lapin, et à former autour de lui un gouvernement allant de C's à Podemos. Les militants de ce dernier en ont décidé autrement. Alors que Pablo Iglesias a fait le choix de les consulter pour qu'ils adoubent ou repoussent le « pacte Rivera-Sanchez »c'est à dire l'accord de gouvernement signé entre le patron du PSOE et celui de Ciudadanos, les militants l'ont très massivement rejeté. Le 18 avril, plus 88 % d'entre eux disaient « non » 

  • Traité transatlantique : le dessous des cartes

     

    L'analyse de Jean-Michel Quatrepoint 

     

    Pour Jean-Michel Quatrepoint, ce traité sert les intérêts des « empires » allemand et américain, qui veulent contenir la Chine, dans la « guerre économique mondialisée ». Et la France dans tout ça ? C'est la question qui est posée. (Retrouvez la première partie de la réflexion de Jean-Michel Quatrepoint, sur les « empires » publiée hier, ici-même). 

     

    PHO1159e20e-cc52-11e3-a4f2-b373f3cdeec9-150x100.jpgLe traité transatlantique qui est négocié actuellement par la Commission européenne pourrait consacrer la domination économique des États-Unis sur l'Europe. Pourquoi l'Union européenne n'arrive-t-elle pas à s'imposer face au modèle américain ?

    La construction européenne a commencé à changer de nature avec l'entrée de la Grande-Bretagne, puis avec l'élargissement. On a privilégié la vision libre-échangiste. Libre circulation des capitaux, des marchandises et des hommes. Plus de frontières. Mais en même temps on n'a pas uniformisé les règles fiscales, sociales, etc. Ce fut la course au dumping à l'intérieur même de l'espace européen. C'est ce que les dirigeants français n'ont pas compris. Dès lors qu'on s'élargissait sans cesse, le projet européen a complètement changé de nature. Ce qui n'était pas pour déplaire aux Américains qui n'ont jamais voulu que l'Europe émerge comme une puissance, comme un empire qui puisse les concurrencer. L'Europe réduite à une simple zone de libre-échange, qui se garde bien de défendre des champions industriels européens, les satisfait. Un Airbus leur suffit. Les Américains défendent leurs intérêts, il faut comprendre leur jeu. Ils ont une vision messianique de leur rôle, celle d'apporter la démocratie au monde, notamment à travers les principes du libre-échange.

    Selon vous, le traité transatlantique est aussi pour les États-Unis un moyen d'isoler la Chine. Pouvez-vous nous expliquer la stratégie américaine ?

    La force des États-Unis, c'est d'abord un dynamisme, un optimisme qui leur donne une capacité de rebond extraordinaire. C'est une jeune nation. Ils se sont endormis sur leurs lauriers d'hyperpuissance dans les années 1990 et ont commencé à rencontrer des résistances. Il y a eu le choc du 11 Septembre. Mais Bush s'est focalisé sur l'ennemi islamiste, sans voir que la Chine était pendant ce temps-là en train de monter en puissance. Cette dernière est entrée dans l'OMC quelques jours après le 11 Septembre alors que tout le monde était focalisé sur al-Qaida. Mais quand on analyse les courbes du commerce mondial, c'est édifiant : tout commence à déraper en 2002. Les excédents chinois (et aussi allemands) et les déficits des autres puissances. La Chine est entrée dans l'OMC, car c'était à l'époque l'intérêt des multinationales américaines qui se sont imaginé qu'à terme elles pourraient prendre le marché chinois. Pari perdu : celui-ci est pour l'essentiel réservé aux entreprises chinoises.

    Un protectionnisme qui a fait s'écrouler le rêve d'une Chinamérique…

    La Chinamérique était chimérique, c'était un marché de dupes. Dans ce G2 les Américains voulaient être numéro un. Les Chinois aussi. Les Américains s'en sont rendu compte en 2006, lorsque les Chinois ont rendu public un plan baptisé « National medium and long term program for science and technology development » dans lequel ils affichaient leur ambition d'être à l'horizon 2020 autonomes en matière d'innovation, et en 2050 de devenir le leader mondial : non plus l'usine mais le laboratoire du monde ! Là, les Américains ont commencé à s'inquiéter, car la force de l'Amérique c'est l'innovation, la recherche, l'armée et le dollar. Si vous vous attaquez à la recherche, que vous mettez en place une armée et une marine puissantes et que vous développez une monnaie pour concurrencer le dollar, là vous devenez dangereux. Lorsque les Chinois ont affiché leur volonté de faire du yuan l'autre monnaie internationale pour pouvoir se passer du dollar, notamment dans leurs accords commerciaux bilatéraux, cela a été la goutte d'eau de trop.

    Toute attaque sur le dollar est un casus belli. Lorsqu'ils ont créé l'euro, les Européens ont fait très attention à ne pas en faire une monnaie concurrente du dollar, même si les Français le souhaitaient au fond d'eux-mêmes. Les Américains ont laissé l'Europe se développer à condition qu'elle reste à sa place, c'est-à-dire un cran en dessous, qu'elle reste une Europe atlantiste. Avec une monnaie surévaluée par rapport au dollar. Cela tombe bien puisque l'économie allemande est bâtie autour d'une monnaie forte. Hier le mark, aujourd'hui l'euro.

    Le traité transatlantique peut-il néanmoins être profitable à l'Europe ?

    Les principaux bénéficiaires de ce traité seront les multinationales américaines et l'industrie allemande, notamment automobile. L'Amérique se veut plus que jamais un empire, qui règne à la fois par le commerce, la technologie et la monnaie, mais aussi par l'idéologie.

    D'où les traités transpacifiques et transatlantiques initiés par Hillary Clinton. Celle-ci vise la présidence en 2016. Elle est à la manœuvre depuis 2010 dans une stratégie de containment vis-à-vis de la Chine, mais aussi de la Russie. L'idée est de fédérer les voisins de la Chine et de la Russie, dans une zone de libre-échange et de faire en sorte que les multinationales américaines y trouvent leur compte afin que progressivement le modèle américain s'impose et que les États-Unis redeviennent le centre du monde. C'est pourquoi les États-Unis ont empêché le Japon de se rapprocher de la Chine, la querelle entre les deux pays sur les îles Diaoyu-Senkaku ayant opportunément surgi pour casser toute velléité de rapprochement. Le Japon avec le nouveau premier ministre conservateur Abe est revenu dans le giron de Washington.

    Le principal levier de pression de cette stratégie élaborée par Hillary Clinton est l'énergie. Grâce au gaz et au pétrole de schiste, l'objectif des Américains est de ne plus dépendre des importations pétrolières (et donc de se détacher du bourbier oriental), de donner un avantage compétitif aux entreprises américaines, de rapatrier la pétrochimie sur le sol américain. Les industriels américains ont désormais une énergie beaucoup moins chère que les industriels européens, notamment allemands. L'objectif est de devenir non seulement indépendant, mais aussi exportateur d'hydrocarbures, pour faire en sorte notamment que l'Europe ne soit plus dépendante du gaz russe.

    L'énergie est la clé pour comprendre le traité transatlantique. On donne aux Allemands ce qu'ils veulent, c'est-à-dire la possibilité non seulement de développer leur industrie automobile aux États-Unis, mais aussi d'avoir les mêmes normes des deux côtés de l'Atlantique. Ils pourront produire en zone dollar avec des coûts salariaux inférieurs, des modèles qu'ils pourront vendre en zone euro, voire dans le Pacifique. Cette uniformisation des normes profitera également aux multinationales américaines. Elles sont directement à la manœuvre et participent aux négociations. Leurs objectifs : uniformiser les règles, les normes en les alignant si possible sur le niveau le moins contraignant. Notamment dans la santé, l'agriculture, les industries dites culturelles. Faire en sorte que les Etats ne puissent pas remettre en cause ces normes. Ces traités délèguent en fait une part des souverainetés populaires aux multinationales. Si les Européens acceptent cette sorte de mise sous tutelle, alors les Américains condescendront à nous exporter du gaz et surtout du pétrole de schiste à bon prix. Merkel a un plan : passer de la dépendance au gaz russe à la dépendance au charbon et au gaz américain, tout en ne froissant pas les Russes, qui restent avant tout des clients. À l'opposé de Schröder, elle est américanophile et russophobe.

    Et la France dans tout ça ? Comment peut-elle tirer son épingle du jeu ?

    La France n'a rien à gagner à ce traité transatlantique. On nous explique que ce traité va générer 0,5 point de croissance, mais ces pourcentages ne veulent rien dire. Le problème de la France c'est : comment et où allons-nous créer de l'emploi ? Et pas seulement des emplois de service bas de gamme. Notre seule chance aujourd'hui est de créer des emplois à valeur ajoutée dans le domaine de l'économie numérique, ce que j'appelle « Iconomie », c'est-à-dire la mise en réseau de toutes les activités. L'Allemagne traditionnellement est moins portée sur ces secteurs où la France est relativement en pointe. La France crée beaucoup de start-up, mais dès qu'elles grossissent un peu, elles partent aux États-Unis ou sont rachetées par des multinationales. Il faut que l'on développe nos propres normes. La France doit s'engager dans la révolution numérique. Je suis partisan de doter tous les enfants d'une tablette, ça ne coûte pas plus cher que les livres scolaires, et si on les faisait fabriquer en France (11 millions de tablettes, renouvelées tous les trois ans), cela créerait de l'emploi. Et dans le sillage des tablettes, d'innombrables applications pourraient naitre et se vendre sur le marché mondial.

    Il n'y a pas de raisons de laisser Google et autres Amazon en situation de monopole. La visite de l'Opéra Garnier en live numérique, c'est Google qui l'a faite ! La France avait tout à fait les moyens de le faire ! Si nous n'y prenons pas garde, la France va se faire « googeliser » !

    Il y a un absent dans votre livre: la Russie. Celle-ci, avec Vladimir Poutine, semble pourtant avoir renoué avec le chemin de la puissance…

    Les Américains avaient un plan, il y a 20 ans : démanteler totalement l'URSS, la réduire en de multiples confettis, pour contrôler la Russie et ses matières premières, avec pour ambition de donner l'exploitation des matières premières russes en concession aux multinationales. Si Khodokovski a été victime de la répression poutinienne, c'est bien parce qu'il allait vendre le groupe pétrolier Ioukos aux Anglo-Saxons pour 25 milliards de dollars. Et qu'il pensait s'acheter la présidence de la Russie avec cet argent. Poutine est alors intervenu. À sa manière. Brutalement. Un peu comme en Géorgie hier et en Ukraine aujourd'hui. On peut le comprendre. Il défend ce qu'il considère être les intérêts de son pays. Mais il faut aussi lui faire comprendre qu'il y a des lignes à ne pas franchir.

    Ce pourrait-il qu'elle devienne un quatrième empire ?

    Pour le moment non. Le sous-titre de mon livre c'est: qui dominera l'économie monde? La Russie est un pétro-État, c'est sa force et sa faiblesse. Poutine n'a pas réussi pour le moment à diversifier l'économie russe: c'est la malédiction des pays pétroliers, qui n'arrivent pas à transformer la manne pétrolière en industrie dynamique.  

     

    Jean-Michel Quatrepoint est journaliste économiste. il a travaillé entre autres au Monde, à la Tribune et au Nouvel Economiste. Il a écrit de nombreux ouvrages, dont La crise globale en 2008 qui annonçait la crise financière à venir. Dans son dernier livre, Le Choc des empires. Etats-Unis, Chine, Allemagne: qui dominera l'économie-monde ? (Le Débat, Gallimard, 2014), il analyse la guerre économique que se livrent les trois grands empires qui règnent en maitres sur la mondialisation : les Etats-Unis, la Chine et l'Allemagne. 

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    Entretien réalisé par Eugénie Bastié et Alexandre Devecchio