Le pavillon de la reine Jeanne, aux Baux de Provence, qui a servi de modèle au tombeau de Mistral à Maillane
1904 : Frédéric Mistral reçoit son Prix Nobel de Littérature
Le premier prix Nobel avait été remis en 1901, et Mistral était alors en compétition avec Sully Prudhomme, qui lui fut finalement préféré (voir l'Éphéméride du 6 septembre).
Le jury du Prix Nobel ne souhaitant pas distinguer deux fois de suite un même pays, Mistral ne fut pas retenu en 1902. En 1903, de nouveau candidat, Mistral arriva deuxième, et dut laisser la place à un auteur scandinave.
Ce fut donc en 1904 que - Miréio étant enfin disponible en langue suédoise - Mistral reçut la distinction prestigieuse, qu'il partagea cependant avec le poète espagnol José Echegaray : de nombreuses coquilles dans le texte, des maladresses ou erreurs de traduction avaient joué contre lui...
Les Nobel sont attribués en décembre (généralement vers le 10, voir notre Éphéméride du 1O Décembre), mais Mistral était trop fatigué pour faire le voyage de Stockholm (il devait mourir dix ans après, juste avant le début de la Grande Guerre...) : il reçut donc son prix en différé, en quelque sorte, le 29 février 1904...
À ce moment-là, il reste donc dix ans à vivre au poète provençal, qui a écrit la quasi totalité de son œuvre :
• Mirèio (Mireille), en 1851;
• Calendau (Calendal), en 1866;
• Lis Isclo d'Or (Les Îles d'Or), en 1875;
• Memòri e raconte (Mémoires et récits), en 1906;
• Lou Tresor dòu Felibrige (Le Trésor du Félibrige), de 1878 à 1886.
Son dernier recueil, Lis Oulivado (Les Olivades, 1912) commence par ces vers :
"Lou tèms que se refrejo, e la mar que salivo / Tout me dis que l'ivèr es arriba per ièu / E que fau, lèu e lèu, acampa mis òulivo / E n'òufri l'òli vierge à l'autar dou bon Diéu."
(Le temps qui fraichît et la mer qui gronde / Tout me dit que l'hiver est arrivé pour moi / Et qu'il faut, vite, vite, ramasser mes olives /Et en offrir l'huile vierge sur l'autel du Bon Dieu).
Mistral consacrera l'intégralité de son Prix à réaliser le projet qui lui tenait à coeur : agrandir et re-créer le Muséon Arlaten, l'un des tous premiers musées d'ethnographie créé en France... (achat du Palais Laval-Castellane, acquisition des collections...)
Le Muséon arlaten, déjà créé en 1896 par Mistral, fut donc installé dans l’hôtel Laval-Castellane du XVème siècle; il présente costumes, mobilier, outils de travail, objets de culte... et illustre la vie des provençaux du XIXème siècle
À partir d'aujourd'hui, nous allons évoquer Frédéric Mistral, à travers sa poésie, et nous déclinerons cette évocation en trois temps :
• aujourd'hui, 29 février (réception du Prix Nobel de Littérature);
• puis, le 25 mars, jour anniversaire de sa mort;
• et, enfin, le 8 septembre, date anniversaire de sa naissance;
Et nous évoquerons cette poésie au moyen de deux poèmes (ou extraits) à chaque fois, soit au total six textes majeurs, qui permettent de se faire une première idée du fond de ses inspirations :
1. Aujourd'hui, 29 février, nous allons lire un poème que l'on qualifiera de chrétien, tant est forte et sous-jacente partout chez Mistral cette source d'inspiration : La coumunioun di sant (La communion des saints) de 1858. Puis l'enracinement dans l'Histoire provençale et dans cette Provence charnelle, à travers ses paysages et ses villes. L'amour profond pour sa terre transparaît évidemment lui aussi partout chez Mistral : "...Se quauque rèi, pèr escasènço..." (Si Clémence était reine..., Mireille, Chant II);
2. Le 25 mars, nous lirons un extrait d'un poème de combat, pourrait-on dire : I troubaire catalan (Aux troubadours catalans, partie I) de 1861. Puis, un poème peut-être un peu plus politique : A la raço latino (Ôde à la race latine) de 1878.
3. Enfin, le 8 septembre, nous lirons le Mistral virgilien et homérique, paysan au sens fort et grand du terme, de l'Invocation de Mirèio (Mireille). Et le Mistral épique et historique, avec l'Invocation de Calendau (Calendal).
I : Un poème chrétien, La coumunioun di sant (La communion des saints)
Ci dessous, le portail de la Cathédrale Saint Trophime d'Arles, puis deux vues du cimetière antique des Alyscamps (Elysii Campi, les Champs Élysées des Grecs et des Romains) : des tombeaux, et l'église Saint Honnorat...
Davalavo, en beissant lis iue, Elle descendait, en baissant les yeux,
Dis escalié de Sant-Trefume; L'escalier de Saint-Trophime.
Ero a l'intrado de la niue, C'était à l'entrée de la nuit
Di Vèspro amoussavon li lume. On éteignait les cierges des Vêpres.
Li Sant de pèiro dou pourtau, Les Saints de pierre du portail,
Coume passavo, la signèron, Comme elle passait, la bénirent
E de la glèiso a soun oustau Et de l'église à sa maison
Emé lis iue l'acoumpagnèron. Avec les yeux l'accompagnèrent.
Car èro bravo que-noun-sai, Car elle était sage, vraiment,
E jouino e bello, se pou dire; Et jeune, et belle, on peut le dire;
E dins la glèiso res bessai Et dans l'église nul peut-être
L'avié visto parla, vo rire; Ne l'avait vu parler ou rire.
Mai quand l'ourgueno restountis, Mais quand l'orgue retentissait,
E que li saume se cantavon, Pendant que l'on chantait les psaumes,
Se cresiè d'èstre en paradis Elle croyait être en Paradis
E que lis Ange la pourtavon ! Et que les anges la portaient !
Li Sant de pèiro, en la vesènt Les Saints de pierre, la voyant
Sourti de-longo la darriero Sortir tous les jours la dernière
Souto lou porge trelusènt Sous le porche resplendissant
E se gaudi dins la carriero, Et s'acheminer dans la rue,
Li sant de pèire amistadous Les Saints de pierre bienveillants
Avien pres la chatouno en gràci; Avaient pris en grâce la fillette;
E quand, la niue, lou tèms es dous, Et quand, la nuit, le temps est doux,
Parlavon d'èlo dins l'espàci : Ils parlaient d 'elle dans l'espace :
- La vourriéu vèire deveni, "Je voudrais la voir devenir
Disié sant Jan, moungeto blanco, - Disait Saint Jean- nonette blanche,
Car lou mounde es achavani, Car le monde est orageux,
E li couvènt soun de calanco. Et les couvents sont des asiles.
- Sant Trefume diguè : - Segur ! - Saint Trophime dit : "Oui, sans doute !
Mai n'ai besoun, iéu, dins moun tèmple, Mais j'en ai besoin, moi, dans mon temple,
Car fau de lume dins l'escur, Car dans l'obscur il faut de la lumière,
E dins lou mounde, fau d'eisèmple. Et dans le monde il faut des exemples."
- Fraire, diguè sant Ounourat, "Ô frères - dit Saint Honnorat -
Aniue, se'n-cop la luno douno Cette nuit, dès que luira la lune
Subre li lono e dins li prat, Sur les lagunes et dans les prés,
Descendren de nosti coulouno, Nous descendrons de nos colonnes,
Car es Toussant : en noste ounour Car c'est la Toussaint: en notre honneur
La santo taulo sara messo... La sainte table sera mise....
A miejo-niue Noste Segnour A la mi-nuit Notre-Seigneur
Is Aliscamp dira la messo. Aux Alyscamps dira la messe."
- Se me cresès, diguè sant Lu, "Si vous m'en croyez - dit Saint Luc -
Iè menaren la vierginello; Nous y emmènerons la jeune vierge;
Ié pourgiren un mantèu blu Nous lui donnerons un manteau bleu
Em'uno raubo blanquinello. Avec une robe blanche."
E coume an di, li quatre Sant Et cela dit, les quatre Saints
Tau que l'aureto s'enanèron; Tels que la brise s'en allèrent;
E de la chatouno, en passant, Et de la fillette en passant,
Prenguèron l'amo e la menèron. Ils prirent l'âme et l'emmenèrent.
Mai l'endeman, de bon matin, Mais le lendemain, de bon matin,
La bello fiho s'es levado... La belle fille s'est levée...
E parlo en touti d'un festin Elle parle à tous d'un festin
Ounte per sounge s'es trouvado: Où elle s'est trouvée en songe:
Dis que lis Ange èron en l'èr, Elle dit que les Anges étaient dans l'air,
Qu'is Aliscamp taulo èro messo, Qu'aux Alyscamps table était mise,
Que sant Trefume èro lou clerc Que Saint Trophime était le clerc
E que lou Crist disiè la messo. Et que le Christ disait la messe.
II : L'enracinement dans la terre de Provence :
À la veillée, entourée de ses amies, Clémence raconte son rêve et ce qu'elle ferait, si elle devenait reine : "Se quauque rèi, pèr escasènço, de iéu veni'amourous / M'envendriéu, iéu la rèino, i Baus, moun paure endrè !...." (Si quelque roi, par hasard, de moi devenait amoureux / Je m'en viendrais, moi la Reine, aux Baux, mon pauvre pays !...)
Ci dessous, le château des Baux, ruine grandiose sur son rocher escarpé, que Clémence rebâtirait et dont elle ferait sa capitale; puis le château d'If, le Ventoux, Avignon et la Durance, en suivant les strophes du poème...
Di Baus fariéu ma capitalo ! Des Baux je ferais ma capitale !
Sus lou roucas que vuei rebalo, Sur le rocher où il rampe aujourd'hui,
De nòu rebastiriéu noste vièi castelas : Je rebâtirais à neuf notre vieux grand
château :
I'apoundriéu uno tourrello J'y ajouterais une tourelle
Qu'emé sa pouncho blanquinello Qui, de sa pointe blanche,
Ajougneguèsse lis estello ! Atteignît les étoiles !
E pièi, quand voudriéu un pauquet de soulas, Et puis, quand je voudrais un peu de distraction,
Au tourrihoun de ma tourriho, Au donjon de ma tourelle,
Sènso courouno, ni mantiho, Sans couronne, ni mantille,
Souleto emé moun prince amariéu d'escala. Seule avec mon prince j'aimerais à monter.
Souleto em'éu, sarié, ma fisto ! Seule avec lui ce serait, je vous jure !
Causo de bon e de requisto Chose plaisante et délicieuse
Peralin de perdre sa visto Que de perdre au loin sa vue,
Contro lou releisset, couide à couide apiela. Contre le parapet coude à coude appuyés
De vèire en plen, fasié Clemènço, De voir en plein - disait Clémence -
Moun gai réiaume de Prouvènço Mon gai royaume de Provence
Coume un claus d'arangiè davans iéu s'espandi; Tel un clos d'orangers devant moi s'épanouir:
E sa mar bluio estalouirado Et sa mer bleue, mollement étendue
Souto si colo e si terrado, Sous ses collines et ses plaines,
E li grand barco abandeirado, Et les grandes barques pavoisées / Pounjanto à plen de velo i pèd dou Castèu d'I; Cinglant à pleine voile au pied du Château d'If !
E Ventour que lou tron labouro, Et le Ventoux, que laboure la foudre,
Ventour que, venerable, aubouro Le Ventoux qui, vénérable, élève
Subre li mountagnolo amatado souto éu, Sur les montagnes blotties au-dessous de lui
Sa blanco tèsto fin-qu'is astre, Sa blanche tête jusqu'aux astres,
Coume un grand e vièi baile-pastre Tel un grand et vieux chef de pasteurs
Qu'entre li fau e li pinastre, Qui, entre les hêtres et les pins sauvages, Couta'mé soun bastoun, countèmplo soun vaciéu. Accoté de son bâton, contemple son troupeau !
E lou Rose, ounte tant de vilo Et le Rhône, où tant de cités,
Pèr béure vènon à la filo Pour boire, viennent à la file
En risènt e cantant s'amourra tout-de-long; En riant et chantant, plonger leurs
lèvres, tout le long;
Lou Rose, tant fier dins si ribo, Le Rhône si fier dans ses bords,
E qu'Avignoun tant lèu arribo, Et qui, dès qu'il arrive à Avignon,
Counsènt pamens à faire gibo, Consent pourtant à s'infléchir,
Pèr veni saluda Nosto-Damo de Dom; Pour venir saluer Notre-Dame des Doms.
E la Durènço, aquelo cabro, Et la Durance, cette chèvre,
Alandrido, feroujo, alabro, Ardente à la course, farouche, vorace,
Que rousigo en passant e cade e rabaudin Qui ronge en passant et cades et argousier
Aquelo chato boulegueto Cette fille sémillante
Que vèn dou pous'mé sa dorgueto, Qui vient du puits avec sa cruche,
E que degaio soun eigueto Et qui répand son onde
En jougant'mé li chat que trovo pèr camin En jouant avec les gars qu'elle trouve
sur sur sa route...
Trois de nos Éphémérides essayent donc de restituer au moins une partie de la puissance et de la beauté de la poésie mistralienne (8 septembre, naissance; 25 mars, décès; 29 février, Prix Nobel) : elles sont réunies et "fondues", pour ainsi dire, en un seul et même PDF, pour la commodité de la consultation :
Frédéric Mistral
Mais six autres de nos Éphémérides rendent compte de son action, de ses initiatives ou d'autres prises de position importantes :
Cette Éphéméride vous a plu ? En cliquant simplement sur le lien suivant, vous pourrez consulter, en permanence :
• la Table des Matières des 366 jours de l'année (avec le 29 février des années bissextiles...),
• l'album L'Aventure France racontée par les cartes (211 photos),
• écouter 59 morceaux de musique,