Aux marges du Palais... (IV) : Jurassiens français
Dès le XVIème siècle, dans tout le Sud jurassien, le français remplaça systématiquement le patois dans l'enseignement des préceptes de la religion réformée. Le patois perdit tout prestige pour se confiner aux communications informelles.
Dans le Nord, le patois se perpétua, de même que la religion catholique romaine.
Après 1648 et les traités de Westphalie, le Jura, séparé du reste du Saint Empire, accrut ses liens avec la Confédération helvétique.
La situation se perpétua jusqu'en 1792, alors que le dernier prince-évêque de Bâle fut chassé de sa résidence de Porrentruy au moment de la Révolution française.
Le 17 décembre 1792, fut proclamée à Porrentruy la «République libre et indépendante de la Rauracie», qui ne dura que quelques mois. Elle comprenait les régions de Porrentruy, Saint-Ursanne, Delémont, Laufon et les Franches-Montagnes.
Cette brève période d'indépendance fut à l'origine de la dénomination «République» qui sera adjointe à la création du canton du Jura en 1978.
Le 23 mars 1793, la Convention française annexa la nouvelle république autoproclamée et en fit le 87ème département français sous le nom de Mont-Terrible, avec les districts de Porrentruy, chef-lieu, et de Delémont, siège du commandement militaire.
Pour la première fois de son histoire, le français devint la langue officielle du Jura.
Durant toutes ces années, seul le français fut utilisé par les autorités révolutionnaires.
Les patois périclitèrent davantage, mais réussirent néanmoins à survivre.
Après la défaite napoléonienne, le Congrès de Vienne de 1815 annexa le Jura à la Suisse en l'attribuant au canton de Berne : c'était une vexation supplémentaire pour ces "français" à qui l'on refusait le rattachement à la France qu'ils demandaient, puisque le Canton de Berne est de langue germanique.....
Très tôt, des tensions se manifestèrent entre les francophones et les germanophones du canton de Berne.
En 1830, des Jurassiens s'organisèrent pour résister à l'érosion progressive de leur autonomie.
L'agitation populaire se répandit, pendant qu'un bataillon bernois était envoyé en Ajoie.
Certains Jurassiens militaient pour faire avancer un projet visant à séparer l'ancien Jura du canton de Berne : les autorités bernoises ordonnèrent aux préfets de dénoncer les instigateurs de cette proposition, puis dépêchèrent en 1836 une douzaine de bataillons d'infanterie dans le Jura, en faisant arrêter les préfets et les notables.
Deux ans plus tard, les députés jurassiens demandèrent le maintien de la législation française dans le Jura.
En 1839, les députés jurassiens réunis à Glovelier réclamèrent l'autonomie du Jura.
L'arrivée de l'horlogerie entraîna d'importants mouvements migratoires, avec un mélange des populations du Jura du Nord, du Jura du Sud et d'une partie du canton de Neuchâtel, tandis que la population augmenta considérablement.
De nombreux paysans vinrent de l'Oberland bernois ainsi que des cantons de Neuchâtel et de Vaud.
Ces grands brassages de population ont largement contribué à l'extinction du patois jurassien au profit du français.
De plus, à partir de 1815, l'industrialisation avait provoqué une immigration massive dans le Jura du Sud, dont la population doubla entre 1818 et 1900....
Dès la seconde moitié du XIXème siècle, les rivalités entre les francophones du Jura du Nord et les germanophones du Sud s'aggravèrent. Les autorités bernoises tentèrent de germaniser le nom de certaines agglomérations : par exemple, La Scheulte et Elay devinrent Schelten et Seehof.
En 1917, un mouvement sécessionniste vit le jour, mais la population ne manifesta pas immédiatement son adhésion. Néanmoins, le Jura francophone résista aux velléités centralisatrices de Berne et réussit à préserver la langue française et sa culture, alors que l'Ours bernois continuait d'administrer les Jurassiens par la force.
Un mouvement sécessionniste jurassien se constitua en 1949 lors de la création du Rassemblement jurassien (RJ) en 1951, dont le but était est la formation d'un canton du Jura.
Un hebdomadaire vit le jour, Le Jura libre, suivi d'une fête annuelle: la Fête du peuple jurassien.
En 1962 naissait un mouvement sécessionniste : le Groupe Bélier. Les militants autonomistes menèrent une lutte pacifiste qui aboutit en 1978 à un vote populaire historique : en effet, tous les citoyens suisses furent appelés à se prononcer sur la création d'un nouveau canton, le 26ème de la Confédération suisse. Le nouveau canton devait regrouper toutes les communes francophones jurassiennes alors administrées par le canton de Berne.
La population helvétique approuva majoritairement la création du nouveau canton. Cependant, certaines communes du Jura bernois, pourtant francophones, refusèrent de demeurer dans le nouveau canton et préférèrent rester dans le riche canton de Berne.
À la suite d'une procédure unique (consultation du 23 juin 1974), le Jura fut en 1975 divisé en deux: la moitié nord (districts de Delémont, Porrentruy et des Franches-Montagnes) obtint le statut de «canton autonome», alors que la moitié sud demeura rattachée au canton de Berne (districts de Courtelary, Moutier et La Neuveville).
Le 20 mars 1977, le peuple jurassien approuva la Constitution par plus de 80 % des votants. La Constituante l'avait elle-même approuvée à l'unanimité, le 3 février 1977 dans la collégiale de Saint-Ursanne.
Le 24 septembre 1978, la population suisse et tous les cantons acceptèrent la création officielle de la «République et canton du Jura» au sein de la Confédération suisse. Le nouveau canton était créé le 1er janvier 1979 et était constitué de trois districts : Delémont, Porrentruy et Franches-Montagnes.
Mais ce n'était pas tout à fait terminé ! Après une longue procédure, le district alémanique de Laufon rejoignit le canton de Bâle-Campagne en 1994 et la commune de Vellerat quitta le canton de Berne en 1996 pour devenir la 83ème commune jurassienne....