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Qui commande ?, par Hilaire de Crémiers

(Voici l'analyse politique d'Hilaire de Crémiers, parue dans le n° 101 de Politique magazine, novembre 2011) 

 

Au cours du dernier sommet européen à Bruxelles le 26 octobre dernier, l’Europe a cru se sauver elle-même. Telle est la version officielle. Pour les esprits réaliste, il ne s’agit que de palliatifs qui repoussent les échéances et c’est Allemagne qui a dicté sa volonté, même si Angela Merkel a paru céder sur certains points. 

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 Pas de sommet européen qui ne soit précédé de la rencontre préalable d'Angela Merkel et de Nicolas Sarkozy....

        L’accord de façade du sommet réuni à Bruxelles le 26 octobre dissimule mal un profond désaccord. Des décisions ont été prises par et pour la zone euro et constituent, à côté et même à l’encontre des traités existants, comme un nouveau contrat d’entente monétaire, bancaire et budgétaire ; cependant les partenaires de l’accord ont, en réalité, tous des visées différentes. Leurs intérêts immédiats sont divergents et ce sont leurs intérêts respectifs qu’ils poursuivent à travers la prétendue convention. Pourquoi se leurrer ? L’affectio societatis europeana en est irrémédiablement atteinte. Pour une raison simple et connue de tous : l’affaire européenne n’est aujourd’hui plus qu’une affaire d’argent et il n’est pas d’union qui résiste aux questions d’argent. C’est le diviseur par excellence.

        Comment ne pas voir l’impossible gageure, grosse de contradictions, que se sont fixée comme but les chefs d’État et de gouvernement ? L’avenir de l’euro, de la zone euro, de l’Union européenne elle- même, en est hypothéqué. Chacun considère selon ses vues ses propres dettes, les dettes des autres, leurs assises, leur traitement et donc le règlement de l’immense question qu’elles posent. Le tout étant toujours de payer aujourd’hui le moins possible, alors que les sommes deviennent, chaque jour qui passe, plus colossales. Aussi le seul point d’accord véritable n’est jamais que d’avoir encore et toujours recours à la dette : dans tous les cas de figure, elle fait office de solution ; seulement, il n’est personne qui la conçoit de la même façon. La seule ligne commune se réduit à une opération facilement qualifiable : la dette de demain garantira la dette d’aujourd’hui qui elle-même garantit celle d’hier qui garantissait celle d’avant-hier. Une partie au passage sera épongée ; suffisamment, croit-on, pour tenir encore un certain temps en attendant on ne sait quel retournement de situation. En argot commercial, cela s’appelle de la cavalerie. Les Grecs y excellent ; ils ne sont pas les seuls.

 

Le fonds de stabilité multiplicateur de liquidités

        D’où les efforts prodigieux pour faire croire à la solidité de l’échafaudage qui n’a été bâti par des experts à la demande des politiques que pour soutenir la machinerie mirobolante où s’effectuera la merveilleuse transformation d’une dette supplémentaire – car comment appeler ça autrement , même s’il ne s’agit que de sommes cautionnées ? – en actifs stables et pérennes à effet de levier garanti. 1 donnera 4, voire plus, répète-t-on à l’envi. En centaines de milliards, peut-être bientôt en milliers de milliards, la multiplication fait beaucoup ! 

        Klaus Regling, le directeur du FESF, sollicite déjà les Chinois de venir abonder, spontanément et sans-arrière pensée, avec la complicité du FMI, les sous-fonds du fonds qui lui-même abondera les caisses vides de l’Europe. Quel soulagement ! Il n’y aurait plus qu’à attendre ce bel argent frais qui inondera si généreusement nos pays assoiffés. Si les Chinois accourent, les Brésiliens suivront et tous les autres, Russes, Japonais…Oui, mais à quelles conditions ? A quel prix ? Il faudra en contre-partie se soumettre à leurs impératifs de développement, donc nous laisser envahir par leurs produits et leurs capitaux. C’est ce qui s’appelle être tenu.

        Quoi qu’il en soit, la zone euro, pense-t-on, aura, du coup, à sa disposition un fonds de stabilité financière à la puissance renforcée et sans doute sous peu décuplée. Les imaginations politiciennes, financières et journalistiques se complaisent dans cette assurance. Il est si facile de dire que la force de frappe financière européenne aura la capacité de repousser les assauts des forces hostiles de la spéculation. Mieux encore : les États étranglés par leur dette souveraine puiseront dans cette source intarissable les liquidités dont ils ont un urgent besoin. Quoi de mieux, en effet, que de transformer des dettes en monnaie et, pourquoi pas, jusqu’à due concurrence . Quantitative easing, disent nos amis américains. Ce sont procédés connus et vieilles habitudes que les Français seront heureux de retrouver ! Et, puisque les banques sont affectées par le poids des dettes souveraines, ce fonds pourra servir aussi pour les recapitaliser si elles n’y suffisent pas elles-mêmes, ce qui aidera à leur faire accepter les décotes desdites dettes souveraines que les politiques ont décidé en dépit de leur protestation : pour la Grèce, c’est fait à hauteur de 50 %... Ainsi les banques seront dans le coup : elles ingurgiteront plus de 100 milliards, ce qui permettra heureusement « aux privés », sur l’ordre des « publics », de participer eux aussi avec les contribuables – qui sont en fait les mêmes, « les cochons » de payants et de déposants – au sauvetage de la zone euro. Ô merveille de dévouement ! Et la BCE, déjà gorgée d’actifs pourris, pourrait ainsi reprendre son rôle souverain d’arbitrage et de contrôle, garantissant l’ensemble du système de toute la pureté de son immarcescible vocation ! Les Allemands y sont attachés.

        Que peut-il résulter de tant de combinaisons hasardeuses ? 

        L’empilement des structures cache la simple vérité de l’empilement des dettes et la complexité des systèmes mis en œuvre dissimule l’opposition évidente des points de vue sur la manière de traiter des engagements qui, s’ils ne sont pas virtuels, sortent du champ du réel.

        Les uns cherchent à faire supporter ou garantir ou monétiser ou mieux annuler en partie ou en totalité leurs dettes par les autres, autrement dit et en termes vulgaires c’est les refiler en s’en désengageant au risque de provoquer un effondrement général ou une inflation immaîtrisable ; les autres pensent à se préserver et à limiter leur implication en contraignant leurs partenaires à une rigueur jugée nécessaire dont les effets dépressifs se retourneront aussi et bientôt contre eux-mêmes. La vérité est que, malgré toutes les annonces euphorisantes, il n’y a plus de bonne solution ; il n’y a même plus de solution. La solution sera… ce qui arrivera ! Les choses iront leur train d’enfer sans qu’aucun « volontarisme » ne puisse enrayer, freiner, changer leur cours.

 

La désunion de l’union

        Comme dans tous les mauvais accords, chacun commence à accuser l’autre et, le discours moral étant le plus naturel et le plus facile à l’homme, ces accusations réciproques sont déjà ponctuées d’une litanie expiatrice qui désigne l’autre à la vindicte publique : « c’est la faute à… ».

        On se persuade, en s’en félicitant, que la crise aura eu pour heureux résultat de faire progresser l’Europe, d’améliorer sa gouvernance, d’assurer une plus parfaite  intégration au motif qu’on a créé et qu’on va créer encore des structures supplémentaires, des organes de cohésion, de surveillance, de contrôle, d’unification avec des commissaires spécialisés, le tout assorti d’obligations nouvelles exigées par les Allemands et par Bruxelles. L’Europe fédérale serait le salut, parce que ces messieurs se sont rendu compte que l’union monétaire ne suffit pas.

        Qui ne voit que c’est le contraire qui se passe ? Dans l’atmosphère délétère où se débat l’Europe, c’est le « trompe qui peut », vieille règle des mariages de convention, qui va retrouver tous ses droits. Les politiques nationales dont l’Europe ne tenait aucun compte et qu’elle méprisait, s’imposeront comme des nécessités de salut avant que ne puisse apparaître l’ombre d’une politique fédérale. C’est déjà presque fait et cette résurgence ne laisse pas d’inquiéter. Tous les retournements sont possibles. Les peuples demandent à être protégés, rien ne sert d’agiter les spectres des jours anciens ni de dénoncer un « populisme » qualifié de stupide parce qu’il s’accroche à ses salaires, à ses usines, à ses village, à ses sous, à son pays. Il aurait peut-être mieux valu ne pas négliger ce qui fait la vie des gens. Les Grecs penseront d’abord aux Grecs, les Français aux Français, les Allemands aux Allemands qui ne joueront, quant à eux, le jeu de l’Europe que jusqu’au moment où ils se sentiront floués. Après tout, c’est normal.

 

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Avant tout engagement, la chancelière allemande soumet aux représentants de la souveraineté allemande les plans européens...

 

 

L’europe sous souveraineté allemande

        Le président français qui a bousculé au cours de ces trois dernières années les décisions de la chancelière allemande se voit forcé aujourd’hui de se plier à son tour aux impératifs germaniques. Libre à lui de présenter dans son discours aux Français ces impérieux rappels à l’ordre comme une pédagogie vers plus de réalisme et comme des perspectives lucides et rigoureuses vers des redressements possibles que seul son courage politique est capable d’assumer à l’encontre des folies, des rêves ou des lâchetés de tous les autres ! C’est assurément un bon argument de campagne électorale. Il n’empêche : les réunions qui se sont succédées au cours du mois d’octobre et qui précédèrent ce sommet du 21 octobre, se concentraient pour l’essentiel sur les ententes préalables entre Angela Merkel et Nicolas Sarkozy ; et il est dorénavant indubitable que c’est Angela Merkel qui fait savoir à Nicolas Sarkozy et à tous les autres que l’Allemagne dans cette crise terrible a la ferme volonté de reprendre la main. La zone euro, l’euro, et donc l’Union européenne, ne fonctionneront qu’autant que l’Allemagne y consentira. C’est dit et c’est clair ; et par deux fois, y compris le 21 octobre, elle a soumis au Bundestag les dispositions du nouveau plan de sauvetage européen puisqu’elle est responsable devant l’assemblée souveraine de l’Allemagne et que la Cour suprême de Karlsruhe n’a pas manqué de rappeler la règle irréfragable de la souveraineté allemande qui ne se partage pas. Ainsi l’Europe toute entière était suspendue au vote des députés allemands. Ce sera la règle pour l’avenir.

        Est-il possible de parler d’avancées européennes ? La rigueur va s’abattre sur la France : le gouvernement est obligé d’y aller de plus en plus vigoureusement, pour répondre à toutes les exigences. 

        Les prévisions du taux de croissance sont à la baisse. Tout l’univers français public et parapublic est criblé de dettes. Le chômage augmente, autant que les impôts et les taxes. L’Espagne et l’Italie sont menacées de perpétuelles dégradations : comment faire quand rien ne va plus ? Quant aux pays de l’union européenne qui ne font pas partie de la zone euro, comme l’Angleterre et la Pologne, ils ont fait savoir qu’ils ne comprenaient pas pourquoi tant de décisions qui les concernaient  également, étaient prises sans eux. Au point qu’une majorité d’Anglais souhaitent sortir de l’Union et que David Cameron voit une partie de ses députés se rebeller.

        Pareille ambiance est propice aux aigres propos. Ça ne manque pas. A ce jour, il n’est guère possible de dire ce qu’apportera de plus le sommet du G20 à Cannes, ces 3 et 4 novembre, dont Nicolas Sarkozy qui le préside, espérait faire un moment de clarification. Les discours ne suffisent plus. ■ 

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