De l'Amoco Cadiz à Grande America : les tristes marées noires.
Par Jean-Philippe Chauvin

Le 16 mars 1978 au soir, le pétrolier Amoco Cadiz s’échouait, se brisait en deux, puis coulait au large de Portsall, libérant des centaines de milliers de tonnes de fioul saoudien et iranien : je m’en souviens comme si c’était hier, et c’était pourtant il y a 41 ans et c’est encore aujourd’hui, avec ce nouveau naufrage d’un « navire poubelle » comme le qualifie Le Figaro dans son édition de vendredi dernier.
Le nom de ce nouveau cauchemar s’appelle « Grande America », et son carburant, ainsi que l’huile et l’essence des vieilles voitures qu’il transportait, s’apprête à souiller les côtes charentaises et guyennaises, au grand désespoir des Français des bords de l’Atlantique et de tous les amoureux du littoral français. Un désastre écologique, au moment même où deux manifestations d’importance viennent d’avoir lieu dans notre pays, vendredi et samedi, pour sensibiliser nos concitoyens aux questions environnementales et alerter les pouvoirs publics sur les dangers de notre société de consommation : triste concordance des temps et dramatique collision des événements !
Il y a quatre décennies, le bilan environnemental du naufrage de l’Amoco Cadiz [Photo] avait été particulièrement lourd, comme le rappelle Aujourd’hui en France ce dimanche 17 mars : « L’« Amoco Cadiz » a tué plus de 20.000 oiseaux, vitrifié 5 % de la flore et 30 % de la faune marine sur une superficie de 1.300 km2 ». Pour moi, adolescent, c’était la crainte de voir arriver sur notre plage de Lancieux ce fichu mazout et de retrouver nos mouettes engluées et étouffées par ce maudit pétrole : en fait, ce ne fut que « la queue de la pollution », et quelques grosses flaques et boulettes noires, visqueuses, mais quelques oiseaux, trop nombreux, en furent aussi les victimes au pied de l’Islet. Ce ne fut pas le même tabac un peu plus à l’ouest, et la colère saisit alors tous les amoureux de la Bretagne, comme le présentateur de la Première chaîne de télévision de l’époque, Roger Gicquel, qui le fit bien comprendre aux auditeurs de ses journaux du soir !
Après l’Amoco Cadiz, il y eut l’Erika en 1999, puis le Prestige en 2002, avec des conséquences environnementales encore pires qu’en 1978 : les navires étaient devenus de plus en plus énormes et le rythme des circulations maritimes n’avait cessé de s’accélérer et de multiplier les flux, mondialisation oblige. Parmi tous les bateaux croisant sur les mers, combien de « navires poubelles » ? Trop, encore trop, toujours trop ! D’autant plus que celui de cette semaine emportait dans ses flancs et sur son pont des conteneurs de vieilles voitures, considérées comme trop polluantes en Europe et destinées aux marchés africains, moins regardants sur les questions environnementales au nom d’un « développement » qui consiste juste à préparer l’entrée de nouveaux pays et de nouvelles populations dans la société de consommation et de croissance : immense hypocrisie d’un système qui vante (parfois) l’écologie, en particulier lors des grandes marches pour le climat et des différentes COP, et qui se débarrasse de ses déchets pour quelques profits supplémentaires près de personnes qui, elles, n’ont visiblement pas droit aux mêmes attentions sanitaires !
Quels risques, aujourd’hui, pour nos côtes ? Dans Libération du lundi 18 mars, le maire de La Rochelle évoque une possible pollution au fioul de grande ampleur : « Ma plus grande préoccupation c’est la culture marine, les ostréiculteurs, les mytiliculteurs ou encore les sauniers. Sur les huitres ou les moules, les dommages peuvent être irréversibles et avoir un impact sur l’économie locale. » Et le journal de poursuivre : « S’il est impossible d’évaluer les répercussions, les conséquences sur l’activité des professionnels de la mer pourraient en effet être dramatiques, notamment en termes d’image. ». Car il ne faut pas oublier que toute catastrophe environnementale est aussi une catastrophe sociale, et qu’elle peut peser fortement sur certaines professions et sur l’emploi des régions touchées : ceux qui séparent l’environnemental du social commettent une erreur d’analyse, mais c’est une erreur désormais moins courante qu’il y a quelques décennies, et la réponse n’est plus seulement, et heureusement, de simples indemnités mais une stratégie visant à préserver et pérenniser les activités professionnelles locales. Est-ce suffisant pour autant ? Pas toujours, malheureusement, et cela ne répare pas ce qui est détruit, pour un temps plus ou moins long, c’est-à-dire la nature et ses richesses, aujourd’hui déjà fragilisées par les aspects et effets de la société de consommation.
Ce qui est certain, c’est que ce nouveau naufrage et la difficulté qu’il y a à savoir ce que contenaient exactement les conteneurs reposent crûment quelques questions sur un modèle économique et idéologique qui, pour être dominant, n’en est pas moins dangereux pour la planète et ceux qui la peuplent ou y vivent, du végétal à l’animal, sans oublier, évidemment, les humains. Penser l’avenir français, pour notre cas spécifique, force à penser l’écologie : pour le vieux royaliste que je suis, celle-ci ne peut être qu’intégrale, c’est-à-dire éminemment politique et, pour la France, royale. ■
Défendre la langue française
Avant 1689 en Angleterre, avant 1789 en France, il n’existe ni parti politique, ni homme politique. Des hommes comme Thomas More [ci-contre], Thomas Cromwell, Buckingham, Strafford, Oliver Cromwell en Angleterre, Suger, Nogaret, Sully, Colbert, Louvois, Fleury, Maupeou, Necker, en France, furent des hommes d’État, souvent affectés à un domaine précis, mais ils ne furent pas des hommes politiques. Ces derniers se réclament d’une idéologie, d’une conception philosophique de l’homme, du monde et de l’histoire, et défendent un projet de société et un programme de gouvernement. Ils mettent en avant des idées et des convictions qui, la plupart du temps, ont une orientation humaniste, là où les grands ministres de la monarchie œuvraient selon les lois de la nécessité, au nom du Roi, institué en son royaume par la volonté de Dieu afin d’en assurer la sauvegarde et la prospérité, et d’y maintenir un ordre régi par une morale chrétienne supra-rationnelle soustraite à toute discussion et imprégnant toute la société. L’homme politique et le parti politique sont les produits d’une société laïcisée et libérale, où les individus ne sont plus intriqués exclusivement dans la sphère d’existence constituée par leur naissance et leur situation sociale (liée à celle-ci), et évoluent dans l’espace public selon leurs désirs, leurs ambitions, leurs centres d’intérêt (lesquels ne se limitent plus à ceux de leur classe d’origine), leurs intérêts particuliers et les aléas d’un ordre économique qui n’a pas la stabilité (ou la lenteur d’évolution) de celui d’autrefois. Les partis et les hommes politiques proposent aux hommes (et aux femmes) des projets de société et des programmes de gouvernement répondant (théoriquement et en gros) à leurs besoins et aspirations, à leur idéal, désormais indépendant de toute morale religieuse, et donc variable suivant les personnes et les classes (et autres groupes sociaux). En une société désormais dépourvue de fondements religieux et moraux indiscutés, et où, par conséquent, les individus, les classes, les groupes divers (économiques et autres) poursuivent leurs propres fins sans égard pour les autres ou la communauté, ils jouent le rôle de guides, d’auxiliaires et de garde-fous, d’intermédiaires entre les intérêts divergents, voire opposés, des uns et des autres ; et, de par la synthèse qu’ils opèrent, des revendications les plus disparates, ils garantissent, vaille que vaille, grâce au jeu du suffrage universel, un minimum de cohésion et de continuité sociales. Ils sont le moteur de la démocratie.
Eh bien, si cela était déjà le cas il y a au bas mot vingt-cinq ans, cela n’a fait qu’empirer depuis. Plus exactement, on peut dire que la situation actuelle confirme le diagnostic de Charles Millon. Les Français d’aujourd’hui, plongés dans des conditions d’existence de plus en plus difficiles, sacrifiés à l’ordre économique néolibéral européen et mondialiste, se révoltent directement contre l’État macronien qui représente ce dernier dans leur pays, sans s’en remettre à des partis qui les ont trompés depuis quatre décennies, et qui, de toute manière, ne peuvent absolument pas les aider, dans la mesure même où ils ne pèsent d’aucun poids face aux puissances économiques et financières mues par une logique implacable, et qui se jouent des peuples, des intérêts nationaux et des gouvernements. À l’égard des Français de base comme vis-à-vis de ces puissances, les hommes (et femmes) politiques ont perdu tout pouvoir réel et toute légitimité, et nous assistons à la dilution pure et simple du politique. Il est à craindre que, désormais, notre vie politique se caractérise, non plus par un affrontement entre partis opposés ou entre employeurs et syndicats, mais par un affrontement direct entre l’État et les citoyens, et entre les patrons et les salariés. Cela signifie la fin de la démocratie républicaine. Sous nos yeux, sans que nous en soyons bien conscients, les piliers de la démocratie républicaine s’effondrent. Nos compatriotes n’éprouvent plus le moindre intérêt à l’égard des partis et des hommes politiques, qu’ils ne détestent même plus, tant ils les jugent impuissants et insignifiants. Souvenons-nous que le taux d’abstention atteignit 57% des électeurs inscrits lors de la dernière élection présidentielle. Autrement dit, M. Macron, porté au pouvoir par 66% des suffrages exprimés, n’est que l’élu des deux tiers des 43% d’électeurs inscrits qui ont daigné voter le jour du scrutin. Il n’est d’ailleurs que de constater l’état de déliquescence des partis. Également impuissants à infléchir le cours des choses, tous prisonniers de la logique infernale du nouvel ordre économique mondial, tous condamnés à poursuivre la même politique, contraire aux intérêts vitaux de nos compatriotes, tous pareils et interchangeables, ayant tous répudié leurs convictions propres pour se replier sur les « valeurs de la République », les « Droits de l’Homme » et l’attachement à une société libérale-libertaire frelatée, ils ne représentent plus rien. Il n’est que de considérer les noms insignifiants, insipides et passe-partout qu’ils se donnent : La République en marche, Les Républicains, Rassemblement national, Les Patriotes, Debout la France, La France insoumise. Nous assistons à la mort des idées, des convictions, des valeurs (sauf les « valeurs de la République », bien entendu), et à la mort du politique. Il est à craindre que les prochaines élections (les européennes, puis les autres) se traduisent par des scores phénoménaux d’abstention, ou des listes aussi nombreuses que disparates, qui émietteront l’électorat, ou par des listes anarchiques de Gilets jaunes (ou de Stylos rouges ou de Bonnets rouges). Bref, c’est la République elle-même qui vacille sur ses bases.
En réalité, elle force la république, d’origine révolutionnaire et d’essence collectiviste, à aller jusqu’au bout de sa logique, et à tenir effectivement ses promesses de démocratie absolue, de justice parfaite et d’égalité intégrale et effective (et non pas seulement théorique et juridique). C’est oublier qu’une telle démocratie idéale ne peut advenir et durer, que la république actuelle n’écorne ou ne viole (suivant les circonstances) ses principes que dans la mesure où elle ne peut pas faire autrement (sous peine de plonger le pays dans le plus grand marasme), et qu’un système politique en lequel un État ou un gouvernement ne pourrait prendre que des mesures approuvées par le suffrage universel se verrait incapable de tenir longtemps et d’œuvrer dans l’intérêt général de nos compatriotes. Il suffit d’ailleurs d’en imaginer le fonctionnement pour comprendre cela.
Gilles-William Goldnadel écrit cela 
L'exemple le plus grotesquement écœurant nous aura été servi par l'ancienne ministre Najat Vallaut-Belkacem. Dans un gazouillis sur Twitter, celle-ci instrumentalise ainsi le massacre: « Oui toutes nos pensées vont aux victimes de l'abject attentat de Christchurch, et oui cela devrait tous nous rassembler. Mais découvrir ici des messages d'indignation hypocrite y compris de ceux qui ont contribué, année après année, à promouvoir ça… Comment dire ? Nausée .»

Laquelle ? Pourrir la révolte populaire, celle des « braves gens » des débuts qui avaient fait reculer Macron en décembre par leur nombre, par leur sincérité et par leur détermination et qui l'avaient effrayé aussi à cause du soutien que leur apportaient plus des deux-tiers des Français, ramenant la popularité du Chef de l'État à presque rien. L'allié inavoué de cette opération, l'auxiliaire précieux du pourrissement, ce seront les hordes de l'ultragauche, troquant ou non, selon le cas, leurs cagoules, leurs capuches et leurs sinistres habits noirs, pour un gilet jaune. L'on ne distinguerait que rarement entre vrais et faux gilets jaunes. Ces derniers on les confondrait avec les vrais gilets jaunes. L'on appellerait l'ensemble
On établirait des parallèles de diversion, dépréciatifs. Par exemple, l'on monterait en épingle les manifestations écologistes, si nombreuses, si paisibles et par-dessus le marché si « festives ». Le concept tant apprécié ! Il n'y aurait ni Baudelaire ni Murray pour dire son fait à
Dans un peu plus d'un mois, ce sera

L'ancien président de l'OM avait tout pour plaire à l'électorat populaire mais il n'a pas compris l'histoire qu'il pouvait écrire. 
Celui-ci avait fait fortune dans l'immobilier et connu la gloire sportive avec le Milan AC. Tapie avait fait une belle pelote en rachetant des entreprises en difficulté et s'aventurait aussi sur les terrains de football avec l'OM. Tapie n'était ni énarque ni bourgeois. Son côté parvenu déplaisait à l'establishment mais avait tout pour plaire à l'électorat populaire qui commnçait à se détacher de la gauche. Tapie l'ignorait mais il avait inventé Trump avant Trump.


Le Janissaire, Le Soliman, Le Bacha, Le Bajazet lui ont été offerts en 1808 par le sultan Mahmoud II [Photo], inquiet que le résultat de la rencontre à Tilsit, l’année précédente, entre Napoléon et le tsar Alexandre 1er, ne lui soit défavorable.
Vizir ! Va pour Mahomet, et va pour ton sultan ! Va, et deviens le plus illustre cheval de Napoléon. »
Au lieu de faire comme tous ses prédécesseurs – à savoir remettre l’animal à l’administration des Haras nationaux –, Mitterrand commit l’erreur de chercher à cacher ce qu’il allait en faire : l’offrir secrètement à sa fille naturelle, Mazarine, passionnée d’équitation. Pourquoi secrètement ? C’est qu’à l’époque, l’existence même de la petite Mazarine, fille illégitime du président, était un secret d’État bien gardé.
Trop curieux sans doute, certains passionnés de chevaux – catégorie à laquelle j’avoue appartenir – finirent par découvrir que le bel étalon (d’ailleurs un peu caractériel) était logé dans une discrète résidence des environs de Paris, où la fille clandestine du président venait souvent passer ses week-ends. La révélation de cette double vie d’un homme usant d’un double langage et s’affranchissant allègrement de la séparation des affaires publiques des affaires privées provoqua un scandale qui, c’est certain, gâcha un peu ses dernières années de règne.

Quant au titre, L’archipel français, il évoque de façon métaphorique la réalité d’une France brisée, disloquée, écartelée, que tout le monde connaît. Cartes, tableaux et graphiques à l’appui, sont ainsi rappelées quelques évidences. Celle-ci d’abord, qui ne fait pas forcément plaisir : différents indices (le rapport à la mort, aux animaux, à la sexualité, etc.) montrent la dislocation du « socle judéo-chrétien » et, par voie de conséquence, de la « matrice catho-républicaine » de la France contemporaine. De même, M. Fourquet, en écho au mouvement des Gilets jaunes qui s’en trouve justifié, rappelle la « sécession des élites » : regroupées dans certains quartiers des grandes métropoles urbaines, elles « ignorent » tout simplement la majorité de la population française dite « périphérique ». Mais, au fond, tout cela on le savait et M. Fourquet lui-même en avait parlé dans d’autres ouvrages ou sur les ondes. L’intérêt du livre est ailleurs.
D’abord, M. Fourquet établit que 18% des prénoms donnés en France chaque année sont désormais des prénoms « arabo-musulmans » (au sens large : sont concernés Maghreb, Turquie et Afrique subsaharienne). Or, lui-même cite volontiers MM. Besnard et Desplanques, sociologues : «
voilà qui donne indirectement raison à M. Zemmour, lequel avait reproché en septembre dernier, avec sa franche brutalité mais aussi tout son talent de polémiste, à Mme Sy, chroniqueuse de télévision franco-sénégalaise, de se prénommer « Hapsatou », prénom fort exotique s’il en est.
Lambeau). Dans ce contexte, ce 18% a de quoi inquiéter. Il est en effet avéré que, si les courbes démographiques observées depuis l’an 2000 ne s’inversent pas, alors, et mécaniquement par le seul jeu du renouvellement des générations, la proportion des populations d’origine arabo-musulmane sera vite de 20%, puis de 25%, puis de… Certains ont nommé cela « le grand remplacement ».
On pourrait peut-être espérer pouvoir réconcilier les parties de la population qui ont, malgré tout, encore quelques points de référence en commun - ne serait-ce que la langue, le drapeau, le territoire, ou encore les noms propres, la littérature, la gastronomie, etc. Mais comment se concilier avec une trop grande partie de ceux qui sont venus, d’au-delà des mers et bien récemment, avec d’autres références religieuses et/ou socioculturelles, références qu’ils entendent conserver si ce n’est imposer ? Les promoteurs de l’immigration de masse ont eu raison, semble-t-il, de l’homogénéité ethnoculturelle du pays. Tout n’est sans doute pas encore perdu. Ce qui est sûr, c’est que sur la « dislocation des références culturelles communes », sur les ruines de la France, il y aura(it) on ne sait quoi mais certainement plus la France.

Aujourd’hui, les FDS [Photo] estiment que ce sont près de 60 000 personnes qui ont ainsi quitté le territoire lilliputien de Daech, où ils mourraient de faim. Il a été beaucoup dit que l’Etat islamique se débarrassait ainsi de bouches inutiles. Voire !
Un autre point retient l’attention dans cet étrange imbroglio : à l’automne, les FDS affirmaient qu’environ 2000 combattants et leurs familles se trouvaient dans le dernier réduit de Daech. On en est à 60 000 ! Comment l’armée américaine peut-elle se tromper à ce point ? C’est un mystère mais, de ce fait, la gestion de tous ces prisonniers est impossible. Cela expliquerait la récente demande de Donald Trump concernant le rapatriement des djihadistes dans leur pays d’origine. C’est un risque immense pour tous les pays concernés, mais les Américains font valoir que le risque de voir tous ces combattants disparaître dans la nature est plus grand encore.
Bien que simple fantassin et n’ayant jamais mis ses fesses sur un cheval, il connaît la haute valeur symbolique qu’on accorde, dans le monde arabe, au don d’un cheval : c’est un geste de confiance et d’amitié. Il ordonne donc de trouver dans ce qui reste d’un cheptel largement décimé par la guerre et par l’épidémie de peste équine qui frappa le pays dans les années 1966/1967, un bel étalon à offrir au président Giscard d’Estaing.
On en trouve un, dénommé Ouassal, un barbe pur, typique de sa race, gris, 1 m 54 au garrot, âgé de 6 ans. Plus embarrassé qu’honoré par cet encombrant cadeau, le président français en confie la garde aux Haras nationaux, qui ne savent trop qu’en faire, la race n’étant plus reconnue en France depuis 1962, c’est-à-dire la fin de la guerre d’Algérie et la dissolution des derniers régiments de Spahis. Alors on le relégua, le malheureux, au rôle un peu humiliant de simple renifleur… jusqu’à ce que, quinze ans plus tard, et donc en 1989 ou 1990, la race soit à nouveau reconnue (et je me flatte d’y être pour quelque chose !) en France. Voilà alors le brave Ouassal, qui n’est plus tout à fait jeune – il a un peu plus de vingt ans –, mais est encore vigoureux, autorisé enfin à saillir des juments en toute légitimité. A sa troisième saillie, le 1er janvier 1991, son cœur s’arrête brutalement. Mort d’émotion, sans doute.
Loin d’être oubliée, cette triste histoire a connu ces dernières semaines un rebondissement inattendu. Dans un ouvrage intitulé « Le soleil ne se lève plus à l’est » (Plon, 2018), Bernard Bajolet, l’ancien patron de la DGSE – les services secrets français – raconte ses souvenirs de diplomate. Il a de quoi raconter, en effet, ayant été en poste, avant de diriger le Renseignement extérieur, à Sarajevo, Ammam, Alger, Bagdad et Kaboul. Evoquant son premier poste en Algérie, comme simple attaché d’ambassade, il raconte que (je cite) « c’était fâché que j’avais quitté l’Algérie de ce premier séjour en 1978 ». Fâché pourquoi ? Parce qu’on ne l’avait pas autorisé à emmener avec lui un cheval dont il s’était entiché, « un superbe étalon barbe à la robe blanche et aux crins argentés », appelé Qalbi, ce qui en arabe, précise-t-il, signifie Mon cœur : « Les autorités refusèrent, raconte-t-il, de m’accorder le permis d’exportation en dépit de multiples démarches, sous le prétexte que ce cheval appartenait à une race protégée ».
Ces explications ont aussitôt déclenché dans la presse algérienne une vague de protestations d’autant plus véhémentes que Bernard Bajolet [Photo en compagnie de Bouteflika], dans d’autres passages de son livre, n’est pas tendre pour le régime algérien : « S’il semble avoir laissé son cœur en Algérie, écrit non sans ironie la journaliste Ghania Oukazi dans Le Quotidien d’Oran, en enjambant l’histoire, Bernard Bajolet a dû même y laisser sa mémoire ! ».
Sous le règne du président Hollande, nouvelle malchance : en 2012, le président Bouteflika offre à son nouvel homologue français cette fois non pas un cheval mais deux chevaux. Un mâle et une femelle : un cadeau exceptionnel ! S’il est en effet de tradition d’offrir des étalons, il est rarissime d’offrir des poulinières, sauf à vouloir honorer tout particulièrement le récipiendaire qui se trouve ainsi en mesure de perpétuer une lignée. Hélas, la forte charge symbolique dut échapper au président Hollande, les deux animaux étant séparés dès leur arrivée en France, le mâle confié au Haras du Pin, où d’ailleurs on ne pratique plus de saillies, et à la femelle à la jumenterie de Pompadour, où d’ailleurs l’État a cessé de faire naître des poulains.


