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LAFAUTEAROUSSEAU - Page 1198

  • Rétrospective : 2018 année Maurras [3]

    Dédicace de Charles de Gaulle à Charles Marras pour son livre La discorde chez l'ennemi

    Par Rémi Hugues

    saint_augustin visuel.jpgAu moment où s'achève l'année du cent-cinquantenaire de Charles Maurras, Rémi Hugues nous propose une série de quatre articles - à venir les jours suivants, « Rétrospective : 2018 année Maurras »Notre collaborateur et confrère y évoque différents aspects ou moments importants de la vie et l'oeuvre de Charles Maurras à travers les écrits fort contestables de Michel Winock, l'un des historiens organiques de la République française du XXIe siècle, « une figure dʼautorité. » Bonne lecture !  LFAR    

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    In Winock veritas ?

    De la subtilité, Winock en manque cruellement lorsquʼil va jusquʼà défendre la position selon laquelle de Gaulle était lʼ « anti-Maurras », quʼil était « aux antipodes de Maurras ». Il est indiscutable que lʼidiosyncrasie gaullienne était imprégnée de lʼesprit de Maurras. Il faudrait que Winock réécoute sa conférence de presse du 27 novembre 1967, largement consacrée à lʼactualité internationale, aux États-Unis et à Israël notamment. Certes, de Gaulle était un maurrassien critique, de raison, pas un maurrassien béat. 

    En vérité lʼ « intelloʼ de Martigues » avait imprimé sa marque dans lʼâme jeune du natif de Lille. La socialisation politique primaire de De Gaulle sʼétait faite sous le signe de Maurras : son père, « Henri, lisait LʼAction française […]. Il était royaliste de cœur, et le jeune Charles a été éduqué dans un milieu habité par la nostalgie de la royauté. » 

    hqdefault.jpgEt pour preuve : de Gaulle a parfaitement retenu la leçon de son maître à penser à propos des quatre états confédérés quand il dit à Alain Peyrfefitte que la franc-maçonnerie fait office de quatrième colonne, un parti de lʼétranger, inféodé à la perfide Albion : « Sénat, Club Jean-Moulin, francs-maçons, tout se tient. Ces gens-là cherchent à me mettre des sabots aux pieds. On mʼassure que la moitié des sénateurs, de la gauche à la droite, sont franc-maçons. On mʼen dit autant des magistrats, quʼils soient du siège ou du parquet. Ça expliquerait bien des choses. Ces gens-là nʼaiment pas la France, ils préfèrent les Anglo-Saxons. »[1] On dirait du Maurras dans le texte. 

    Négateur du réel, Winock préfère voir en de Gaulle un épigone de Charles Péguy, un grand littérateur nʼayant en revanche jamais développé une doctrine politique cohérente sʼarticulant autour de concepts originaux, structurants et fondamentaux, à la différence de la pensée de Maurras, dont la dichotomie pays légal / pays réel, par exemple, est encore utilisée aujourdʼhui, notamment par les publicistes de la presse écrite ou même de la radio et de la télévision. Est-il quelquʼun qui a retenu une quelconque doctrine politique de Péguy, lui qui commença socialiste avant de se tourner vers le catholicisme ? Péguy ne s’est jamais voulu et nʼa jamais été à la tête dʼune organisation politique. 

    2784291594.jpgLʼanalyse de Winock révèle ici ses limites : il montre quʼil nʼa guère compris que le politique est dʼabord une somme dʼinteractions sociales, de relations humaines (quʼelles soient dʼamitié ou dʼinimitié[2]), soit quelque chose de bassement concret, avant dʼêtre des idées abstraites empilées dans des livres. Faire de De Gaulle lʼépigone de Péguy (photo) pour l’opposer à Maurras, quelle ineptie ! Plus énorme encore est celle dʼériger de Gaulle en anti-Maurras ; par ce truchement Winock réhabilite la formule maurrassienne très controversée dʼ « anti-France ». Sʼil est valide du point de vue épistémologique de se servir du préfixe « anti » pour exprimer une opposition radicale, pourquoi le serait-il pour Maurras et ne le serait-il pas pour la France ? 

    Ce manque de rigueur sémantique est le trait marquant de lʼarticle de Winock. Il utilise, si lʼon peut dire, des mots sans en mesurer le poids. Jetant aux orties Aristote qui signale que si « on ne posait de limite et quʼon prétendît quʼil y eût une infinité de significations, il est manifeste quʼil ne pourrait y avoir aucun logos. En effet, ne pas signifier une chose unique, cʼest ne rien signifier du tout », il sʼaffranchit du respect du sens strict des mots. 

    Prenons celui dʼantisémitisme. Maurras est victime de la présomption de culpabilité dʼen être un. Pour Winock, cʼest un fait avéré. On est dans lʼordre du préjugé : nul besoin de chercher à le démontrer. Lʼhistoire a tranché : Maurras est à bannir car il a rejoint le rang des antisémites notoires. 

    17639964-22082748.jpgOr cʼest mal connaître la généalogie de la question juive. Lʼantisémitisme présuppose lʼexistence de races distinctes, ce qui dans la modernité, comme le souligne Hannah Arendt (photo) dans le passage qui suit, a été introduit par des Juifs. 

    « Cʼest alors que, sans aucune intervention extérieure, les Juifs commencèrent à penser que ʽʽce qui séparait les Juifs des nations nʼétait pas fondamentalement une divergence en matière de croyance et de foi, mais une différence de nature profondeʼʼ, et que lʼancienne dichotomie entre Juifs et non-Juifs était ʽʽplus probablement dʼorigine raciale que doctrinaleʼʼ. Ce changement dʼoptique, cette vision nouvelle du caractère étranger du peuple juif, qui devait se généraliser chez les non-Juifs que beaucoup plus tard, à lʼépoque des Lumières, apparaît clairement comme la condition sine qua non de lʼapparition de lʼantisémitisme. Il est important de noter que cette notion sʼest formée dʼabord dans la réflexion des Juifs sur eux-mêmes, et à peu près au moment où la Chrétienté européenne éclata en groupes ethniques qui accéderont plus tard à lʼexistence politique dans le système des États-nations modernes. »[3] 

    Augustine_Confessiones.jpgSe situant à extrême distance de ces Juifs qui théorisèrent la diversité raciale du genre humain, du racialisme en somme qui, dʼaprès Hannah Arendt est une invention juive, Maurras, ce fidèle de lʼÉglise de Rome en vertu non de la foi mais de la raison, entendait rester fidèle à lʼesprit de lʼépître aux Galates de saint Paul qui continuait la parabole christique du Bon Samaritain. 

    Maurras n’entend pas remettre en cause lʼuniversalité, lʼunité radicale de lʼhumanité, telle quʼexprimée par saint Augustin de la manière suivante : « Quel que soit lʼendroit où naît un homme, cʼest-à-dire un être raisonnable et mortel, sʼil possède un corps étrange pour nos sens, par sa forme, sa couleur, ses mouvements, sa voix, quels que soient la force, les éléments et les qualités de sa nature, aucun fidèle ne doit douter quʼil tire son origine du seul premier homme[4] ». (A suivre)  

    [1]  Alain Peyrefitte, Cʼétait de Gaulle, II, Éditions de Fallois / Fayard, 1997, p. 111.
    [2]  Carl Schmitt, dans La notion de politique, avance que la syzygie, autrement dit lʼappariement du couple dʼopposés ami / ennemi est au politique ce que les dichotomies vrai / faux, bien / mal, beau / laid et utile / nuisible sont respectivement à la science, à la morale, à lʼart, et à lʼéconomie.
    [3]  Hannah Arendt, Sur lʼantisémitisme. Les origines du totalitarisme, Paris, Gallimard, 2002, p. 8-9.
    [4]  Saint Augustin, La Cité de Dieu,  II, Paris, Gallimard, 2000, p. 661. 
    A lire de Rémi Hugues Mai 68 contre lui-même ...
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  • Culture • Loisirs • Traditions

    Ce visuel est destiné à marquer l'unité des articles du samedi et du dimanche, publiés à la suite ; articles surtout culturels, historiques, littéraires ou de société. On dirait, aujourd'hui, métapolitiques. Ce qui ne signifie pas qu’ils aient une moindre importance.  LFAR

  • Lettres & Philo • « Pour Boutang, Les Fables de La Fontaine proposent une sagesse de la limite »

    Une Lecture de Bérénice Levet

    blue-wallpaper-continuing-background-wallpapers-bigest-images - Copie.jpgLa Fontaine politique, de Pierre Boutang vient récemment d'être réédité. Bérénice Levet salue un ouvrage qui décèle dans les Fables une profondeur philosophique digne d'Aristote [FigaroVox, 26.12]. Penseur assumé d'une condition humaine noble parce que limitée, La Fontaine peut être un maître pour notre temps, souffle, en philosophe, Bérénice Levet. D'ailleurs, elle fait bien plus que saluer l'ouvrage réédité de Pierre Boutang. Elle le prolonge de sa propre méditation. Ouvrage difficile dont on sent qu'elle l'a lu avec passion, sympathie, gourmandise, et, en un sens, avec affection, ou à tout le moins, empathie pour son auteur, dont nous n'oublions pas, ici, qu'il est l'un de nos maîtres. Il faut en rendre grâce à Bérénice Levet.  Lafautearousseau. 

     

    6792525lpw-6792702-sommaire-jpg_4039695.jpgQuasiment disparu de l'école républicaine depuis les années 1970 - si vous en doutez, interrogez vos enfants, et si vous êtes quarantenaires, interrogez-vous vous-mêmes ! -, La Fontaine connaît depuis plusieurs années un regain d'intérêt et de faveur. À la fin des années 1990, le comédien Fabrice Luchini inscrit Les Fables au programme de ses représentations. La gourmandise, la délectation, la jubilation avec lesquelles il les récite provoquent un effet d'entraînement qui dure depuis lors. En juin dernier, dans le cadre de l'opération « un livre pour les vacances », le ministre de l'éducation nationale, Jean-Michel Blanquer offrait à 800 000 élèves sortant de classe de CM2, un recueil des œuvres du poète. Ce printemps, Le Monde et Le Figaro consacraient chacun un numéro spécial au fabuliste, Le Point, L'Obs, Lire lui réservaient leur couverture. Sans être dupe des motifs purement mercantiles qui président à ce retour en force et en grâce - l'industrie culturelle, avide de produits toujours neufs, toujours frais se plaît à puiser et à épuiser les ressources spirituelles du passé -, ce phénomène dit quelque chose de notre présent. Comme si nous pressentions que rouvrir La Fontaine ne nous serait peut-être pas inutile, comme si nous devinions que cette œuvre avait encore bien des choses à nous dire, bref qu'il était, pour user d'une formule vermoulue, un poète pour notre temps.

    arton771.jpgPour Pierre Boutang, ce n'est pas qu'un pressentiment, c'est une conviction, qu'il déploie dans cet ouvrage que « Les provinciales » ont l'heureuse idée de rééditer aujourd'hui, La Fontaine politique.

    Le titre est hasardeux, et Boutang le sait. « Prenons garde, écrit-il, se souvenant de Sainte-Beuve qui recommandait de toujours s'imaginer l'auteur auquel on se voue assis à nos côtés, tendant l'oreille, prenons garde donc, que La fontaine ne s'enfuie par le fond du jardin, s'il entend notre dessein de lui attribuer une politique ». Mais précisément Boutang ne se brise pas sur cet écueil, il n'attribue pas une politique au fabuliste, il ne transforme pas Les Fables en programme électoral ni en petit livre rouge. Mais il célèbre en La Fontaine le penseur de la condition politique des hommes, c'est-à-dire de l'homme comme « animal politique ». On y aura reconnu l'empreinte d'Aristote. « Animal politique » désignant l'homme comme être d'emblée pris dans le faisceau des relations humaines. Politique renvoie donc d'abord à une essentielle sociabilité de l'homme, consubstantielle au don du logos, du langage et de la raison intrinsèquement mêlés, qui le distingue d'entre toutes les espèces vivantes (et fonde, soit dit en passant, sa responsabilité à leur égard). C'est parmi et avec ses semblables que l'homme accomplit son humanité. L'atome des modernes est une fiction. « Politique, définit Boutang, veut dire que ni bête ni dieu, l'homme se revêt de son image dans le regard et les projets de ses frères humains incertains et bigarrés ». Anthropologie pré-moderne avec laquelle Boutang n'est pas seul à renouer, songeons à Hannah Arendt ou à Léo Strauss, par exemple.

    Les Fables sont donc politiques parce qu'elles n'ont pas d'autre objet que cette chétive créature avec ses passions, ses grandeurs et ses faiblesses, aux prises avec des questions qui ne se résolvent pas à la façon d'une équation mathématique ou d'un problème technique et financier. Comment vivre, comment rendre le monde plus habitable, la vie un peu plus douce, le commerce avec nos semblables un peu moins âpre ? La réponse n'est écrite nulle part. À nous, hommes, de nous débrouiller, de nous bricoler, de nous composer un art de vivre. En dehors de tout système, de tout dogme, La Fontaine nous est une béquille: « La Fontaine n'enseigne pas, dit si justement Boutang, il montre, […] il aide à faire naître la douce habitude ». Et l'on peut dire de La Fontaine ce que Pascal disait du christianisme, il a bien connu l'homme, « il montre tout, sa paideia va au meilleur et au pire ».

    Mais Les Fables sont politiques aussi, et c'est peut-être la leçon première que nous devons retenir de ce livre, parce qu'elles nous donnent la langue, et qu'il n'est pas d'autre force politique que la possession, la maîtrise de cette langue : « La seule réelle force politique [est] la perfection d'une langue […] et d'abord sa transmission religieuse aux enfants de chaque patrie. […] Je ne dis plus seulement que ma patrie c'est la langue française, mais que c'est l'enseignement et la tradition de cette langue dans son intégrité. Tous les autres biens passent effectivement par celui-là ; c'est en lui que l'intérêt et les intérêts deviennent par une métamorphose quotidienne, le bien commun national ». La langue est le ciment d'un peuple : « Chaque fois qu'un enfant apprend sa langue, il imite et prolonge l'aventure capétienne du rassemblement d'une terre dans l'unité de sa parole maîtresse ». À un moment où non seulement les « gilets jaunes », mais la classe politique tout entière et le Président de la République lui-même peinent tant à formuler le discours salutaire et réaliste dont nous avons besoin - nous comprenons que c'est cet apaisement que notre langue nationale est capable de produire en traduisant dans sa perfection et avec sa franchise singulière la réconciliation des intérêts dans le bien commun national, que tout un peuple espère. Apprendre sa langue dans La Fontaine, c'est acquérir un vocabulaire de la sensibilité et de l'intelligence d'une extrême richesse. Boutang est parfaitement accordé à La Fontaine, à l'anthropologie de la transmission qui est la sienne : relisons sa préface aux Fables : Une des grandes « utilités » de son ouvrage, indique-t-il d'emblée, est d'escorter les enfants, de les accompagner : « ces derniers sont nouveaux venus dans le monde, ils n'en connaissent pas encore les habitants ; ils ne se connaissent pas eux-mêmes. On ne les doit laisser dans cette ignorance que le moins qu'on peut ».

    La Fontaine nous est précieux, parce qu'il nous donne les mots, parce qu'il nous donne les histoires pour être rapatriés sur terre, dans le monde des hommes, ce monde humain trop humain. Un politique qui ne donne audience qu'à la raison technicienne, technocratique, calculante, est comme condamné à méconnaître et à sacrifier la réalité humaine, qui crie parfois pathétiquement pour être reconnue et entendue, sans même pouvoir trouver les mots. « Nous avions cessé de regarder le hibou et les souris (cf XI, 9) mais la figure de meurtre et de servitude qui y était contenue, associée cette fois, hors nature, avec la raison calculatrice et technicienne, est revenue sur nous. Qu'est-ce qu'un camp d'extermination, ou un goulag, avec leur finalité industrielle ? Ne reconnaissons-nous pas le hibou et les souris aux visages d'homme ? »

    Prenons l'exemple d'une question politique majeure aujourd'hui, la question écologique, la question de notre rapport à la nature. Avant toute mesure, avant toute interdiction, c'est d'une autre philosophie que celle de l'individu et de ses droits que nous avons besoin. Et à cet égard, le détour par La Fontaine lu par Boutang ne serait peut-être pas vain. « La Fontaine devrait être le saint patron des ‘'écologistes'' authentiques ». Rien que de très convenu, dira-t-on : La Fontaine, la nature, les animaux … Mais le propos de Boutang est autrement hardi et fécond. Lisons avec lui, L'homme et la couleuvre. Si La Fontaine mériterait d'être érigé en saint patron de l'écologie, ce n'est pas seulement parce qu'il rend une âme aux bêtes et même aux végétaux (et particulièrement dans cette fable, aux arbres), mais parce qu'il se fait le poète d'une disposition sans laquelle il ne saurait y avoir de véritable sauvetage de la nature : la gratitude, la capacité à remercier, à se tenir pour les obligés de ce dont nous ne sommes pas les auteurs, à voir un don dans ce qui nous est donné, dans ce que nous recevons. Il faut lire les pages très inspirées qu'il consacre à la vertu de gratitude. « La Création n'est confiée à l'homme qu'aux conditions de l'Alliance », disposition qui, au-delà de l'écologie elle-même, devrait être considérée comme le critère et le principe de toute vie politique.

    font-couvR.jpgAvant d'aller plus avant, prévenons un malentendu. On conçoit que résumé ainsi, l'objet de ce livre puisse rebuter et ce n'est plus seulement La Fontaine qui risque de prendre ses jambes à son cou mais non moins l'éventuel lecteur de Boutang, redoutant de voir le fabuliste enseveli sous des considérations abstraites, dépossédé de son charme, de sa grâce, de sa légèreté, de son « sourire ». Il n'en est rien. Pierre Boutang ne cède à ce péché (familier à ses semblables) d'abaisser la fable au statut de servante de la philosophie, et le fabuliste à celui de simple illustrateur de thèses et de concepts.

    Car précisément, par-delà La Fontaine, un des enjeux majeurs de cet ouvrage est de rendre leurs lettres de noblesse aux œuvres de fiction en tant qu'œuvres de fiction, d'exalter, de faire rayonner la puissance de vérité et de signification du mythe, de la fable, des histoires. La condition humaine ne se laisse pas dire dans la langue de la science ou du concept, non plus, soit dit en passant, dans la langue de carton des technocrates, des politiques et des médias. Et c'est bien pourquoi nous avons tant besoin des poètes, de leurs mots, de leurs fables. « Grâce à l'art, disait Soljenitsyne, il nous arrive d'avoir des révélations, même vagues, mêmes brèves, qu'aucun raisonnement si serré soit-il, ne pourrait faire naître ». L'art est en effet le lieu de l'épiphanie de la vérité, d'une vérité humaine, toute humaine.

    Le projet de ce La Fontaine politique, qui paraît pour la première fois en 1981, remontait à loin, au début des années 1950, Boutang devait surseoir à son exécution mais sans jamais y avoir vraiment renoncé. La rencontre avec l'œuvre du philosophe Giambattista Vico fut l'étincelle qui ralluma la mèche, en quelque sorte. La scienza nuova lui donna la clef des Fables … « J'y découvrais, se souvient-il, une philosophie de l'être et de l'homme » et une philosophie qui donnait à la fable, au mythe, leurs fondements anthropologiques. D'où vient que les hommes, depuis l'aube de l'humanité, racontent des histoires ? D'où vient ce que La Fontaine lui-même appelle le « pouvoir des fables », pouvoir irrésistible, sans rival: « Et moi-même, confesse le fabuliste, au moment que je fais cette moralité, /Si peau d'âne m'était conté, j'y prendrais un plaisir extrême » (VIII, IV) ? Vico est en effet ce philosophe qui, contre Descartes, pour dire les choses rapidement, réhabilite l'imagination, le vraisemblable, le mythe, refuse d'abandonner à la rationalité scientifique et à ses critères, le monopole de la vérité. Souvenons-nous de Flaubert: « Pécuchet voulut faire lire [à Bouvard] Vico. Comment admettre, objectait Bouvard, que des fables soient plus vraies que les vérités des historiens ?''» - , échos d'une époque où, notons-le au passage, grâce à Michelet qui s'en faisait le traducteur, l'auteur de la Scienza Nuova était redécouvert.

    Giovan_Battista_Vico.jpgBoutang puisa chez « le grand, le sublime Vico » (photo) différents outils conceptuels, et tout particulièrement, la notion d' « universaux fantastiques ». Que désigne cette expression peu amène à l'oreille, qui sent son jargon philosophique ? « Fantastique» s'entend en son sens grec étymologique, produit par la « fantasia », par l'imagination mais une imagination qui n'est pas la folle du logis, mais l' « ouvrière d'universaux », c'est-à-dire de généralités, de vérités qui mordent sur la condition humaine, qui mettent en forme les invariants de l'humaine condition. Des universaux, et c'est là leur spécificité par rapport aux universaux produits par les sciences ou la philosophie, sans abstraction, qui procèdent du particulier, qui se donnent sous la forme colorée, chatoyante, concrète d'histoires singulières, de récits. Et Boutang se propose d'établir une sorte de table des universaux, des catégories d'intelligibilité, du vocabulaire de la sensibilité et de l'intelligence que recèlent Les Fables de La Fontaine.

    Aristote est l'autre grande figure philosophique invoquée, sollicitée par Boutang. Et là encore le détour se révèle fécond et nullement forcé. Car il ne s'agit pas d' « éclairer » La Fontaine par Aristote mais de faire apparaître qu'il y a chez le fabuliste une pensée de la condition politique et morale des hommes aussi consistante, aussi puissante que chez le philosophe. Chacune des « vertus » requises par et pour l'action, les qualités qui font le citoyen, dont Aristote fait en quelque sorte l'inventaire dans L'Éthique à Nicomaque, ont trouvé en La Fontaine leur poète, leur conteur. Phronesis, kairos, c‘est-à-dire repérage du moment opportun, rôle de l'opinion, du conflit des opinions dans la prise de décision, La Fontaine met en scène ces notions, leur donne un contenu narratif et opère à l'avance la critique radicale des complaisances électoralistes dont la totalité de notre personnel politique ne sait plus comment se dépêtrer. C'est ainsi que Boutang propose une lecture extrêmement stimulante du Meunier, son fils et l'âne.

    Et l'épreuve de la mise en regard se révèle âpre pour le philosophe : comment rivaliser avec la saveur d'une fable, avec « la langue des dieux telle que La Fontaine en use » et grâce à laquelle il fait droit à cet excès de sens que recèle l'expérience vivante, concrète ? C'est elle que charriaient les proverbes et que le poète restitue à sa manière pour constituer le vrai socle de l'antique sagesse populaire et la transmettre à nos riches autant qu'aux pauvres auxquels elle manque si cruellement.

    Le corbeau, la gazelle, la tortue, et le rat.jpgLe thème de l'amitié en offre une belle illustration. Aristote est le philosophe par excellence de cette vertu, mais les deux livres de l'Éthique à Nicomaque qu'il lui consacre pâlissent face à ce « chef d'œuvre absolu » qu'est « Le Corbeau, la Gazelle, le rat, la tortue » (XII, 15): cet «universal fantastique complexe, [cette] délicate machine de l'imaginaire ne contredit point aux chapitres d'Aristote mais combien plus elle parle à tout homme encore capable de devenir pareil à des enfants'' » , « à quelle profondeur elle pénètre dans nos vies » ?

    Aristote, La Fontaine, Vico: ces trois-là partagent une même sagesse des limites, une même attention à la condition humaine dans sa finitude qu'ils respectent et nous apprennent à aimer. Ils consentent à l'essentielle ambiguïté des hommes et du monde, ils ignorent tout de l'hubrys de ceux qui entendent régénérer l'humanité, « changer les mentalités » avec des taux de croissance, les seules prouesses de la technique et des lois toujours plus dispendieuses. Ils sont résolument du côté de Philinte. La Fontaine , écrit Boutang, « ne prétend pas abolir l'amour-propre, ni le traquer en ses secrets replis »: « quelques politesses que le fabuliste ait faites à [La Rochefoucauld], ajoute-il magnifiquement, il n'a jamais pu croire que sa chasse impitoyable, et presque délirante, au moi trop humain pût s'ouvrir sur autre chose que le désespoir ».

    En plaçant ainsi son étude sur La Fontaine sous le signe d'Aristote et de Vico, Boutang inscrit La Fontaine dans une famille de pensée, une tradition cachée (dont l'histoire reste à écrire) dont la figure tutélaire est en effet Aristote et se poursuit avec Vico, en passant par Montaigne, Molière, conduisant jusqu'à Albert Camus, Hannah Arendt et qu'il nous appartient de maintenir vivante aujourd'hui. Il y aura toujours deux familles de penseurs, ceux qui consentent à la finitude humaine et ceux qui mènent la rébellion contre cette limitation, et s'engagent dans des politiques d'ingénierie sociale, culturelle et anthropologique désastreuses. L'histoire, de la Terreur de 1793 au léninisme et au stalinisme du XXe siècle, est là pour nous instruire du prix humain auquel se paie cette impossible réconciliation avec l'homme.

    22726814168.jpg« La tâche terminée, écrit Boutang au moment de clore son La Fontaine politique, j'avoue qu'elle m'a été joyeuse, et continûment ». Nous n'en doutons pas un instant. Boutang a le goût, le sens des mots, sa verve interprétative est souvent inspirée, son enjouement, communicatif - même si, et on ne le dissimulera pas, la lecture de cet ouvrage n'est guère aisée, elle demande de la patience, des efforts. Mais on aurait tort de se priver de cette extraordinaire occasion de revisiter ou de visiter ce continent que sont Les Fables - « musarder dans les fables », dit joliment Boutang, mais il fait plus qu'y musarder, il s'y promène avec une agilité, une souplesse, tout à fait vertigineuse (est-il une seule fable qui ne soit pas convoquée par le philosophe ?) L'effet le plus assuré de ce livre, et qui à soi seul en justifie la lecture, est de conduire à La Fontaine…Et de prendre exemple sur Boutang, de lire le poète de telle sorte que l'on vive avec ses histoires, avec ses mots. Que La Fontaine nous devienne réellement compagnon de vie et de pensée.  

    Bérénice Levet est docteur en philosophie et professeur de philosophie au Centre Sèvres. Elle vient de faire paraître Libérons-nous du féminisme !  aux éditions de l'Observatoire.
  • Histoire & Action Française • Rétrospective : 2018 année Maurras [2]

    Par Rémi Hugues

    saint_augustin visuel.jpgAu moment où s'achève l'année du cent-cinquantenaire de Charles Maurras, Rémi Hugues nous propose une série de quatre articles - à venir les jours suivants, « Rétrospective : 2018 année Maurras »Notre collaborateur et confrère y évoque différents aspects ou moments importants de la vie et l'oeuvre de Charles Maurras à travers les écrits fort contestables de Michel Winock, l'un des historiens organiques de la République française du XXIe siècle, « une figure dʼautorité. » Bonne lecture !  LFAR    

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    In Winock veritas ?

    Dans le milieu des historiens organiques de la République française du XXIe siècle, Michel Winock est une figure dʼautorité[1]. Fort de son statut de conseiller auprès de la rédaction du mensuel LʼHistoire, il sʼest donné la peine dans le numéro de juin 2018 dʼexprimer son point de vue expert à la piétaille qui nʼy comprend rien – nous les gueux sans doctorat ni agrégation – sur le cas Charles Maurras, qui depuis quelque temps a reçu un nouveau sobriquet : « M le Maudit ». 

    41qLB-P4F4L._AC_US218_.jpgIl est vrai que Michel Winock (photo) sʼest spécialisé dans lʼétude des figures « réactionnaires » (pour reprendre le vocable du libéral Benjamin Constant[2], vocable si cher aux socialo-communistes) de lʼhistoire littéraire de notre pays, comme Léon Bloy. Visiblement, Winock est attiré par les plumes talentueuses ! Confondant analyse historique et jugement moral, il se plaît dans le rôle de parangon de vertu républicaine, livrant les bons et les mauvais points. Untel a bien agi en 1789, un autre sʼest très mal comporté pendant la Commune, lʼattitude de celui-là fut indigne dans les années 1930 et 1940, heures les plus sombres de la doxa médiatique. 

    Il se garde bien en revanche dʼinsister sur le génocide de 1793-1794 commis par les révolutionnaires en Vendée, contribuant à lʼindigne « mémoricide » perpétré par lʼÉcole républicaine. Quelle horreur ce serait de salir lʼimage de Marianne : le professeur Winock profite des prébendes depuis tant dʼannées ! Quoi de plus ignoble que de blâmer la République !       

    En synthétisant la bien-pensance contemporaine relative à la représentation des faits historiques, Winock joue le rôle de guide des âmes en peine qui pourraient être troublées par les sirènes du populisme, du chauvinisme ou du passéisme, les pires maux de ce siècle à en croire la caste « ripoublicaine » qui nous gouverne. 

    Degradation_alfred_dreyfus.jpgComme le suggèrent le titre de lʼarticle puis son contenu, ce qui obnubile Winock chez Maurras cʼest son rapport à la question juive et à Adolf Hitler. En choisissant « La revanche de Dreyfus ? » comme titre, il fait un clin d’œil à la saillie que prononça Maurras en apprenant sa condamnation à l’indignité nationale et à la détention à vie pour intelligence avec lʼennemi en 1945 : « cʼest la revanche de Dreyfus ! » 

    Winock se fourvoie dans le réflexe pavlovien, en vogue chez les penseurs stipendiés, de la reductio ad hitlerum. Une autre historien, lʼAméricain dʼorigine russe Yuri Slezkine, commente cet état de fait en ces termes : à partir des années 1970 « lʼHolocauste devint tout à la fois lʼépisode central de lʼhistoire juive et de celle de lʼhumanité et un concept religieux transcendant concernant un événement réputé incomparable, incompréhensible et irreprésentable. »[3] Et Adolf Hitler de représenter le Mal pris comme un principe transcendant. « La conséquence la plus profonde de la Seconde Guerre mondiale a été la naissance dʼun nouvel absolu moral, celui du nazisme comme mal universel. »[4] 

    Du haut de sa science Winock édicte une fatwa, dʼoù Maurras sort plutôt sacrilège quʼen odeur de sainteté. Cʼest le moins que lʼon puisse dire. Mais à délaisser la raison au profit de la morale, lʼon risque de se commettre en imprécisions, inexactitudes, inepties. 

    Commençons par ce qui est dʼordre factuel. Winock écrit que Maurras aurait « défrayé la chronique au mois dʼavril 2018 ». Or cʼest quelques mois plus tôt, en janvier, que la polémique a éclaté lorsque le ministère de la Culture de Madame Nyssen a publié le cahier des commémorations officielles de lʼannée 2018, où le nom de « M le maudit » apparaissait, avant de le retirer, sous la pression des Valls et consorts. Mis à part les intimidations de la gauche contre les organisateurs dʼun colloque qui sʼest tenu à Marseille le 21 avril[5] – affaire relayée par quelques titres de presse comme La Provence ou La Croix –, rien dʼautre de retentissant ne sʼest passé au sujet de Maurras en avril. 

    Outre sʼemmêler les pinceaux dans les dates – un comble pour un historien –, Winock sʼembrouille quant aux notions « nationalisme », « nationalisme intégral » et « conservatisme ». Il se montre incapable de définir rigoureusement ces termes. Pour lui ils sont équivalents. Alors que le nationalisme, concept originellement de gauche, peut être aussi bien progressiste que traditionaliste, renvoyer tant au jacobinisme des Robespierre, Thorez, Chevènement ou Mélenchon (ce dernier a axé sa campagne présidentielle de 2017 autour de la défense de la souveraineté française contre les diktats de lʼUnion européenne) quʼau catholicisme des Barruel, Barrès, de Villiers ou Jean-Marie Le Pen. Cʼest pourquoi Maurras insistait pour que le nationalisme soit intégral, c’est-à-dire monarchique : un nationalisme conséquent ne pouvant à ses yeux que vouloir perpétuer lʼhéritage glorieux de la France, dʼessence catholique et royale, eu égard à sa fondation par un roi converti au christianisme et à son attribut, dont elle sʼenorgueillit jusquʼen 1789, de « fille aînée de lʼÉglise ». 

    Mariage-gay-Taubira-enflamme-l-Assemblee.jpgEn outre, cʼest une erreur dʼidentifier le nationalisme intégral de Maurras à un conservatisme, idéologie qui vient dʼAngleterre (des Tories) et qui est donc étrangère à notre culture politique. Même si, aujourd’hui, un certain courant intellectuel plutôt traditionaliste et largement  antimoderne,  lui donne un sens nouveau, en France et ailleurs. Comment est-il possible de sʼattacher à vouloir conserver des mœurs et un droit positif qui, du fait du changement social, évoluent constamment ? En 2010 si je suis conservateur je suis contre le mariage pour les homosexuels. En 2018 en tant que conservateur je suis favorable au maintien de lʼexistant, au statut quo, donc à la loi Taubira qui accorde aux homosexuels le droit de sa marier. 

    Pour Winock toutes ces idéologies sont anathèmes, il nʼy a donc pas lieu dʼen saisir les subtilités. (A suivre)  

     
     [1]  Michel Winock a écrit notamment La Belle Époque et 1789, Lʼannée sans pareille, publiés chez Perrin. Il a également contribué à la rédaction, sous la direction de Serge Berstein, de lʼouvrage collectif Les cultures politiques en France, paru au Seuil. En 2008, son livre La fièvre hexagonale était au programme du concours dʼentrée à lʼInstitut dʼétudes politiques de Grenoble. Régulièrement invité sur les plateaux de télévision et dans les studios des stations de radio, il est incontestablement membre de cet aréopage dʼexperts du régime quʼil est de coutume dʼappeler fonctionnaires de la technocratie. 
    [2]  En 1797 Benjamin Constant publie le volume Des réactions politiques, où pour la première fois est utilisé cet adjectif de « réactionnaire » promis à un bel avenir. Le plus surprenant cʼest quʼaujourdʼhui il est tout particulièrement prisé par les « antilibéraux », trotskystes, P.C.F. et France insoumise.
    [3]  Le siècle juif, Paris, La Découverte, 2009, p. 388.
    [4]  Ibid., p. 389.
    [5]  Organisé par le blog « Lafautearousseau », son lieu initial, occupé par un ordre monastique, dut être changé à la dernière minute sous la pression dʼune poignée dʼhurluberlus allant du parti socialiste à un fantasque « front unitaire antifasciste ». Ces derniers ayant menacé de mettre à sac le couvent, la police prit les choses très au sérieux, avertissant les religieux quʼil serait plus sage de tout annuler. Une salle de conférence sise dans un hôtel fut trouvée en hâte pour que le colloque, célébrant le cent-cinquantième anniversaire de la naissance de Charles Maurras et visant à présenter sa pensée à une jeune génération attirée par le nationalisme mais connaissant de façon imprécise la doctrine du « nationalisme intégral », puisse bien avoir lieu. 
     
    A lire de Rémi Hugues Mai 68 contre lui-même ...
    (Cliquer sur l'image)

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  • Culture • Loisirs • Traditions

    Ce visuel est destiné à marquer l'unité des articles du samedi et du dimanche, publiés à la suite ; articles surtout culturels, historiques, littéraires ou de société. On dirait, aujourd'hui, métapolitiques. Ce qui ne signifie pas qu’ils aient une moindre importance.  LFAR

  • Société • Bock-Côté : « La cité est périssable, mais c'est la grandeur de l'homme de vouloir faire durer le monde qui est le sien »

    Par Mathieu Bock-Côté 

    blue-wallpaper-continuing-background-wallpapers-bigest-images - Copie.jpgLe « conservatisme » ainsi défini, nous l'acceptons. Il est nôtre, même si nous n'avons jamais beaucoup aimé le mot s'il signifie « conservation molle de l'existant ». C'est à dire de la modernité y compris en ce qu'elle a de plus détestable. Si on lit cet article, qui est important, on verra que ce n'est pas du tout le sens que Mathieu Bock-Côté donne à conservatisme et encore moins le fond de sa riche pensée. Lafautearousseau reprend ces réflexions parce qu'elles comptent et qu'elles doivent être connues des royalistes. Notamment de nos lecteurs. [Le Figaro, 29.12]LFAR

     

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    On a beaucoup glosé ces dernières années sur le conservatisme, dont la renaissance intellectuelle est indéniable.

    Si tous les intellectuels qu'on y associe ne revendiquent pas nécessairement cette étiquette, ils s'inscrivent néanmoins dans la perspective d'une modernité sceptique, que ce soit en critiquant l'immigration massive, le féminisme pudibond, le bougisme qui arrache l'homme à sa demeure ou le manichéisme historique qui réduit l'aventure des nations à un affrontement bête et stérile entre les gentils et les méchants.

    Ces dernières années, le système médiatique en est même venu à parler, devant ce mouvement, d'un renversement d'hégémonie, en s'alarmant de la montée en puissance des « réacs » qu'il ne serait plus possible de ne pas entendre, ce qui serait apparemment embêtant. La formule était pourtant exagérée et reposait sur une double illusion. La gauche a été si longtemps dominante qu'il lui suffit d'être critiquée pour se croire assiégée. Inversement, la droite a été si longtemps silencieuse, et même humiliée, qu'il lui suffit d'être entendue pour se croire dominante. Dans la réalité, la mouvance conservatrice demeure médiatiquement et intellectuellement très minoritaire, et chacune de ses audaces se paie normalement du prix d'un scandale.

    Qu'est-ce que les conservateurs veulent conserver ? Ce n'est pas d'hier qu'on se le demande, souvent avec un brin de moquerie. Ne sont-ils pas que les héritiers mélancoliques d'un monde déjà perdu, qu'ils enchantent rétrospectivement par la magie du souvenir ? Ce procès est injuste, d'autant qu'il y a une grandeur certaine dans le fait de défendre après la défaite le souvenir de ce qui n'aurait pas dû tomber. Dans Rue Corneille, un beau livre de 2009, Denis Tillinac présentait avec tendresse Régis Debray comme un « gardien des ruines de la civilisation occidentale », un titre qu'il pourrait revendiquer aussi et qui n'a rien de déshonorant.

    Le sentiment de la fin d'un monde hante notre temps et il inspire souvent une posture résignée ou apocalyptique. Les adeptes de la première pleurent un monde perdu mais se font une raison en méditant sur l'œuvre du temps qui use toutes les civilisations, et contre lequel il serait vain de combattre. Les adeptes de la seconde maudissent cette décomposition qui les transforme en exilés de l'intérieur. Mais s'ils ne s'interdisent pas de rompre des lances contre l'époque qui vient, c'est généralement sur le mode du baroud d'honneur, à la manière de la dernière charge héroïque des vaincus.

    Ce sont là les deux pièges psychologiques qui guettent les conservateurs qui ont intériorisé trop intimement le mythe du progrès et qui poussent les hommes à la démission mentale. La modernité tend à dissoudre les sociétés dans le culte du mouvement perpétuel : elle fait déchoir tous les héritages en arrangements temporaires qu'il devient nécessaire de dépasser. Tout ce qui semblait devoir durer sera un jour périmé. Dès lors, quiconque refuse de suivre le rythme de la modernité sera un jour décrété conservateur, puis réactionnaire. Pour éviter la mauvaise réputation, plusieurs préfèrent alors la soumission. Car la modernité ne veut pas seulement qu'on l'accepte mais qu'on l'encense.

    Une nouvelle tentation totalitaire traverse l'Occident: celle d'un monde absolument transparent délivré de ses contradictions, purement malléable et soumis à toutes les formes d'ingénierie sociale, culturelle ou biotechnologique. Elle se réclame de l'émancipation totale du genre humain. C'est en son nom qu'on décrète que les peuples sont des constructions artificielles à dissoudre dans une diversité rédemptrice ou qu'on veut conjuguer la pédagogie avec l'esprit de table rase, pour immuniser l'enfant contre l'héritage au nom de sa supposée pureté virginale. C'est en son nom aussi qu'on décrète que la filiation est une fiction archaïque qu'on doit liquider pour redéfinir la famille dans une perspective exclusivement contractualiste. On pourrait multiplier les exemples.

    Mais l'âme humaine n'est pas d'une plasticité infinie. L'homme nouveau des progressistes ne sera jamais rien d'autre qu'une version mutilée de l'homme éternel. C'est une chose d'accepter la modernité, c'en est une autre de se définir intégralement à l'aune de ses catégories. À travers le conservatisme, l'homme moderne redécouvre les permanences anthropologiques qui structurent intimement la nature humaine et dans lesquelles il peut toujours puiser pour revitaliser ses libertés. De là la nécessité de les reconstruire politiquement. La cité est périssable, mais c'est la grandeur de l'homme de vouloir faire durer le monde qui est le sien. Ce que l'on nomme conservatisme n'est peut-être rien d'autre que la traduction intellectuelle de l'instinct de survie d'une civilisation qui ne voit pas pourquoi elle s'enthousiasmerait à l'idée de sa disparition.   

    Mathieu Bock-Côté 

    Le-nouveau-regime.jpgMathieu Bock-Côté est docteur en sociologie, chargé de cours aux HEC à Montréal et chroniqueur au Journal de Montréal et à Radio-Canada. Ses travaux portent principalement sur le multiculturalisme, les mutations de la démocratie contemporaine et la question nationale québécoise. Il est l'auteur d'Exercices politiques (éd. VLB, 2013), de Fin de cycle: aux origines du malaise politique québécois (éd. Boréal, 2012) et de La dénationalisation tranquille (éd. Boréal, 2007). Ses derniers livres : Le multiculturalisme comme religion politiqueaux éditions du Cerf [2016] et le Le Nouveau Régime (Boréal, 2017). 
  • Histoire & Action Française • Rétrospective : 2018 année Maurras [1]

    Par Rémi Hugues

    saint_augustin visuel.jpgAu moment où s'achève l'année du cent-cinquantenaire de Charles Maurras, Rémi Hugues nous propose une série de quatre articles - à venir les jours suivants, « Rétrospective : 2018 année Maurras ». Notre collaborateur et confrère y évoque différents aspects ou moments importants de la vie et l'oeuvre de Charles Maurras à travers les écrits fort contestables de Michel Winock, l'un des historiens organiques de la République française du XXIe siècle, « une figure dʼautorité. » Bonne lecture !  LFAR    

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    Avant-propos ...

    Alors que la nuit de la saint-Sylvestre approche, où une fois de plus nos forces de l'ordre vont probablement être mises a rude épreuve, c'est le moment de jeter un oeil sur le rétroviseur. De quoi l'année 2018 a-t-elle été le nom ?

    Elle a commencé par une polémique déclenchée par le ministère de la Culture qui a décidé de mettre Charles Maurras dans la liste des commémorations officielles des personnalités ayant marqué l'histoire de France avant de se raviser.

    2018-world-cup-final-french-4635-diaporama.jpgA son mitan, s'est produite une vague nationaliste de grande ampleur, rappelant quelque peu l'euphorie qui gagna la France un autre été, celui de la mobilisation de 1914. Visages grimés aux couleurs de la patrie, Marseillaises entonnées a tout va et nombre pléthorique de drapeaux déployés, aux fenêtres des voitures en marche ou des logements... tel est ce que l'on a pu observer après la victoire de la France lors de la coupe du monde de football en Russie.

    325225350.jpgCe sentiment d'unité nationale a muté au moment de l'automne en une fièvre saine de contestation radicale du Pouvoir. Après les célébrations du centenaire du dénouement de la Grande Guerre, dont l'issue favorable pour notre pays doit en grande partie à l'énergie, au courage et à la probité de Maurras et des siens, le Pays Réel a initié un mouvement extraordinaire de révolte contre le Pays Légal, cette bancocratie cosmopolite que Macron représente avec une morgue typique des golden boys de la City et de Wall Street.

    Indéniablement ce Mai 1968 inversé, où cette fois c'est la périphérie (les provinces) qui donne le LA au centre (Paris), est pour tout défenseur du Pays Réel une divine surprise.

    2018, soit 150 années après la naissance du Maître de Martigues, a été l'année Maurras.  (A suivre)  

    A lire de Rémi Hugues Mai 68 contre lui-même ...
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  • Cinéma • Rémi sans famille

     Par Guilhem de Tarlé 

    A l’affiche : Rémi sans famille, un film français d’Antoine Blossier, avec Daniel Auteuil (Signor Vitalis), Maleaume Paquin (Rémi), Virginie Ledoyen (Mme Harper), Ludivine Sagnier (Barberin), Jacques Perrin (Rémi âgé), adapté du roman d’Hector Malot, Sans famille.

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    Rémi sans famille, un film à voir… en famille.

    Je me rappelais avoir bien aimé le livre lu à mon enfance… mais j’avais complètement oublié l’intrigue et les personnages dont mon épouse égrenait les noms avant d’entrer dans la salle, à commencer par Capi (elle a toujours aimé les chiens) ; le seul qu’elle avait oublié, c’est Joli-Cœur (sans doute, parce que j’ai pris sa place !).

    J’ai donc non pas redécouvert cette histoire, mais plus simplement découvert car elle n’a éveillé en moi aucun souvenir…

    Capture d’écran 2018-06-18 à 16.19.12.pngA vrai dire, elle m’a plutôt déçu par rapport à l’idée que je m’en faisais, et l’émotion que j’en éprouvais. J’ai notamment trouvé Daniel Auteuil médiocre avec sa barbe postiche (ce n’est pas l’avis de mon épouse). 

    Le seul intérêt de cette fiction est dans l’actualité et le respect que l’on doit à Vitalis, ancien violoniste de réputation internationale, qui refuse de se faire reconnaître et se camoufle en saltimbanque tant il se sent coupable de l’incendie de sa maison où périrent sa femme et son fils. J’ai pensé à certain chanteur qui n’a pas eu de tels scrupules avec le noir désir de remonter sur scène après avoir violenté sa compagne jusqu’à la mort… 

    J’émets le vœu que ce film incite les enfants à lire Hector Malot.    

    PS : vous pouvez retrouver ce « commentaire » et plusieurs dizaines d’autres sur mon blog Je ciné mate.

  • Le Japon reprend la pêche à la baleine …

     

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    L'on a appris ces jours derniers qu'invoquant une tradition séculaire, le Japon reprend la pêche à la baleine.

    Il en est résulté, a-t-on écrit, un tollé international.

    abe.jpgLe très nationaliste premier ministre nippon, Monsieur Shinzö Abe, a annoncé lui-même cette importante nouvelle – du moins importante pour son pays. On y respecte les traditions. L'on y honore l'Empereur. On y chérit la nation. Et l'on se soucie de ses intérêts avec l'ardeur de ceux qui chez nous travaillent à trahir les nôtres.  Souci et ardeur ataviques chez les Japonais, on le sait bien. Compte-tenu des rythmes saisonniers, le Japon reprendra donc la pêche - ou chasse - à la baleine en juillet 2019. 

    Il l’avait abandonnée dans le cadre d'accords internationaux auxquels il avait adhéré naguère (il y a tout juste trente ans). Ils ne lui conviennent plus aujourd'hui. Il a donc annoncé sans ambages son retrait de la Commission Baleinière Internationale. Comme Donald Trump s'est retiré des accords de Paris sur le climat que son prédécesseur venait de signer. Et comme il a déchiré le traité signé par le même Obama sur le désarmement nucléaire iranien. America first !  

    Japanemperorbirthday.jpgCette mince affaire de la pêche à la baleine nous rappelle, si nous l'avons oublié, ce que valent les conventions, accords ou traités internationaux, de quelque nom qu'on les baptise ; et quelle est leur capacité à durer, à résister, quand les réalités, les nécessités, en bref les intérêts des peuples et des nations en lice viennent à s'en trouver contrariés. Le multilatéralisme à vrai dire est en train de s'effondrer, lui aussi, un peu partout dans le monde, comme bien d'autres illusions de notre époque en train de changer.  

    Les conventions internationales sont en vérité fragiles et de faible durée. Elles s'effacent devant les intérêts nationaux, comme des chiffons de papier que le premier vent contraire emporte. Fruits des palabres et des bons sentiments, elles n'offrent qu'une résistance dérisoire aux réalités pérennes.  

    Les nations, elles, sont des réalités pérennes. Elles ne sont sans-doute pas éternelles mais leurs impératifs, comme nous le montre le Japon, finissent par triompher un jour ou l'autre des rêves unanimistes. Et - le Japon nous en donne aussi un exemple - elles durent infiniment plus longtemps... Ce qui n'est pas une mince différence.  ■ 

    Retrouvez l'ensemble des chroniques En deux mots (110 à ce jour) en cliquant sur le lien suivant ... 

    En deux mots, réflexion sur l'actualité

  • Trump : l’annonce du retrait américain de Syrie

    Antoine de Lacoste 

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    Cette fois ça a l’air sérieux. Donald Trump avait annoncé pendant sa campagne électorale que les Etats-Unis se retireraient de Syrie. Il l’avait ensuite confirmé mais rien ne s’était passé.

    Et puis, après l’attaque chimique de Khan Cheikhoun en avril 2017, imputé sans aucune preuve à l’armée syrienne, un revirement semblait s’être produit. Trump avait ordonné un bombardement de représailles en insultant allègrement Bachar el-Assad. Les faucons de la Maison Blanche reprenaient du poil de la bête et semblaient convaincus d’avoir fait changer d’avis leur Président. Le conseiller à la Sécurité nationale, John Bolton, annonçait encore récemment que les Etats-Unis ne partiraient pas tant que l’Iran serait présent en Syrie.

    Autant dire que le tweet de Trump en a surpris plus d’un. Le secrétaire à la Défense, James Mattis, un faucon, n’a pas supporté d’être ainsi désavoué et a annoncé sa démission. La Maison-Blanche est donc en pleine tempête, mais elle a l’habitude.

    Bien sûr un revirement est toujours possible avec ce Président sanguin et versatile. Mais la démission de Mattis est tout de même un symbole fort, même si les désaccords étaient nombreux entre les deux hommes.

    Au-delà de la promesse électorale tenue concernant une guerre qui n’intéresse pas les Américains, quelle peut être la motivation de Trump ?

    Car le retrait de ses troupes est une trahison de son allié kurde qui constituait son infanterie contre Daech. De plus il mécontente Israël et réjouit ses ennemis du moment : la Russie et surtout l’Iran.

    Syriens-kurdes-membres-Unites-protection-peuple-YPG-ville-Qamishli-6-decembre-2018_0_729_486.jpgAfin de comprendre, il faut se tourner vers la Turquie. Pour Erdogan, mais ce serait la même chose pour tout dirigeant turc, l’ennemi c’est le Kurde (photo). L’alliance américano-kurde l’exaspérait donc. La Russie lui faisait les yeux doux malgré leur fort antagonisme du début de la guerre, et l’achat de missiles russes se profilait à l’horizon. Pour un membre de l’OTAN cela faisait désordre.

    Trump était donc confronté à cette alternative : continuer d’occuper un tiers de la Syrie avec 2000 hommes et ses auxiliaires kurdes en creusant l’antagonisme avec Ankara ou lâcher son allié et tenter une réconciliation avec la Turquie. Ce n’est d’ailleurs pas gagné car Erdogan reste persuadé que les Américains sont derrière la tentative de coup d’Etat qui a failli le renverser en juillet 2016.

    Trump a donc choisi (s’il va jusqu’au bout) et les conséquences vont être importantes en Syrie. Les Turcs vont probablement attaquer les Kurdes dans le nord et en échange l’armée syrienne aura le droit de reconquérir une partie de la province d’Idleb, tout cela sous contrôle et accord de la Russie qui n’en demandait pas tant.

    Pour justifier sa décision, Trump a indiqué que le travail était accompli et que Daech était vaincu. Le problème c’est que ce n’est pas tout à fait vrai. Bien sûr, il n’en reste plus grand-chose et sans doute moins de 5000 hommes sont en état de se battre actuellement en Syrie. Ce n’est pas avec ça que l’on peut reconquérir grand-chose. Mais ces hommes sont toujours là et le fait que leur chef soit toujours vivant montre une capacité de résistance incontestable. Pour les Américains, qui avaient tenu à distance Russes et Syriens sur ce front, c’est en fait un échec.

    Daech est très affaibli mais l’islamisme sunnite n’est pas près de s’éteindre.

    Malgré cela, les Américains ont mis un tel chaos au Proche-Orient qu’un retrait de leur part est tout de même une excellente nouvelle, au moins pour la Syrie.  ■

    Retrouvez l'ensemble des chroniques syriennes d'Antoine de Lacoste dans notre catégorie Actualité Monde.

  • Quand France Inter ose la science-fiction politique iconoclaste

    C'est Salvini qui rit, maintenant ...

    2019 : la politique française à l'heure italienne ?

    blue-wallpaper-continuing-background-wallpapers-bigest-images - Copie.jpg« Le vent tourne ». Les éditorialistes sentent-ils venu le moment d'envisager les hypothèses incorrectes ? Préparer le terrain aux bouleversements qui, peut-être se préparent, en France et ailleurs ? En Europe, en tout cas ! Songent-ils à leur avenir professionnel ? Aux mouvements de l'opinion, qui les juge ... Ecoutez, c'est instructif ! Pour qui préfère lire, le texte est au-dessous.  LFAR

     

     

    L'édito politique
    par Yaël Goosz
    jeudi 27 décembre 2018

    416x277_legrand_thomas.jpgEt si on regardait de l'autre côté des Alpes pour comprendre ce qui nous arrive : un scénario à l'italienne en France, ça n'est peut-être plus une fiction.

    Bonjour Yael Goosz, la politique en 2019, votre édito du jour : et si la France s'était mise à l'heure italienne ?

    Nous sommes le 20 mai 2018... L'Italie a un nouveau gouvernement, attelage baroque entre deux extrêmes, aussitôt dénoncé par Bruno Le Maire. Le ministre redoute que l'alliance entre la Ligue et le Mouvement 5 Etoiles ne provoque un dérapage budgétaire dans la zone euro. Mi-juin, c'est sur la gestion du dossier Aquarius, que le torchon brûle... Emmanuel Macron dénonce le cynisme de Rome sur la question migratoire. 

    L'Italie comme anti-modèle du progressisme dont se revendique La République en Marche : la référence aux années 30, le chaos populiste... Cette rhétorique a fonctionné à plein régime, à l'automne, dans les discours d'Emmanuel Macron. 

    Jusqu'à la crise des Gilets Jaunes... Jusqu'à ce qu'il lâche plusieurs milliards d'euros pour tenter de stopper ce mai-68 des ronds-points. A partir de là, comment faire la leçon ? Comment montrer du doigt les Italiens, quand on s'autorise un excès de déficit et que l'on dit, devant sa majorité, que "le chiffrage budgétaire est secondaire". 

    Emmanuel Macron a non seulement perdu son punching-ball , Yael, mais il pourrait lui-même se retrouver victime d'un scénario à l'italienne ? 

    L'analogie est frappante. En 2014, le jeune démocrate Matteo Renzi prend la présidence du Conseil, c'est la nouvelle star, il a dégagé la vieille classe politique et va réformer l'Italie. Deux ans plus tard, il s'effondre, après un référendum raté, léché puis lynché par une opposition multiforme coalisée contre lui. Une chute à la vitesse des réseaux sociaux et des raccourcis populistes... Cela ne vous rappelle rien ?

    L'anti-macronnisme ou l'anti-renzisme comme seul dénominateur commun ? 

    Quelle autre motivation y avait-il, en Italie, entre un Luigi Di Maio prônant le revenu universel et un Matteo Salvini allergique à l'impôt ? Plus de services publics avec moins d'Etat ? Rationnellement, ça ne tenait pas la route, et pourtant, la Ligue et les 5 étoiles ont réussi à s'entendre pour prendre le pouvoir.

    Est-ce que cela peut arriver en France ? Le scrutin majoritaire ne favorise pas les coalitions, c'est un frein... Mais dans le discours, 2018 aura été une année de trajectoires parallèles, parfois convergentes, entre RN et Insoumis : avec l'incursion, chez Mélenchon d'une thématique nouvelle - l'immigration qui pèse sur les salaires -, un François Ruffin qui rend hommage à Etienne Chouard, et puis cette bienveillance réciproque, quand l'Insoumis Mélenchon subit les foudres de la presse, de la justice, pour ses comptes de campagne, l'autre, Marine Le Pen vole immédiatement à son secours, et réciproquement... Enfin le même entrisme chez les gilets jaunes, qui présente beaucoup de similitudes avec les débuts du Mouvement 5 étoiles. 

    Quant à l'Italie, elle est clairement le modèle à suivre pour le Rassemblement national. Proximité entre Marine Le Pen et le petit frère Salvini qui a dépassé son maître, et l'histoire d'amour entre Marion Maréchal et l'un des cadres de La Lega...

    Politique-fiction, me direz-vous ? Dans le paysage décomposé où la poutre travaille encore, toute ressemblance avec une situation politique déjà connue n'est plus fortuite.   

    Lire dans Lafautearousseau le dernier Lundi de Louis-Joseph Delanglade ...

    Le vent tourne

  • Réflexions sur Noël • La crèche familiale ... « Noël est notre bien commun inaliénable »

     
    Noël à Strasbourg

    par Gérard Leclerc 

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    Il n’y a pas de règle absolue en la matière. Pour ma part, j’installe toujours la crèche à quelques heures de la célébration de la Nativité, pour que tout soit prêt pour recevoir le nouveau né, sitôt revenus de la messe dite de minuit.

    C’est un rite familial, auquel je tiens de toute mon âme, avec l’approbation entière de la famille. Je l’ai reçu de mes parents, ainsi que la prière le soir, tous réunis devant cette scène de santons si suggestifs et si familiers, qui associent aux personnages de l’Évangile quelques autres de la tradition provençale. Cette prière, le plus souvent, consiste dans la reprise des nombreux noëls chers à notre mémoire. Et cela se poursuit en se transmettant. Les enfants mariés ont leur propre crèche et les petits enfants sont ravis de communier aux mêmes rites.

    Avec les petits-enfants, il peut y avoir préalablement le moment de la construction de la crèche, avec la découverte de l’identité des santons entourés dans leur papier protecteur depuis l’année précédente. Parfois même, il y a de l’impatience. Papi, quand feras-tu la crèche ? Pourquoi attends-tu Noël ? Il est vrai que dans beaucoup de paroisses on commence à installer la crèche de l’Église, dès le début de l’Avent, ce qui concourt à la pédagogie de l’attente. J’avoue, pour ma part, une certaine résistance à m’associer aux façons mondaines de célébrer les fêtes de fin d’année trop de temps à l’avance. Il s’agit d’être bien centré sur l’événement de la nuit du 24 au 25 décembre. Bien sûr, on sait que cette date a été choisie postérieurement, pour accueillir la nativité. Mais l’essentiel, c’est ce que la liturgie nous donne à contempler et qui se rapporte aux Évangiles de l’enfance : « Elle mit au monde son fils premier né ; elle l’emmaillota et le coucha dans une mangeoire, car il n’y avait pas de place pour eux dans la salle commune. »

    J’ai eu l’occasion d’évoquer à diverses reprises ce qu’il convient d’appeler la querelle contemporaine des crèches, avec la possibilité de leur exposition dans l’espace public. L’espace privé familial n’est pas l’unique possible. La révélation de Noël n’est pas réservée à l’espace privé. Qu’on le veuille ou non, il peuple notre imaginaire commun. Et quand on veut l’en évincer, ce n’est pas sans violence et sans dommage. Noël est notre bien commun inaliénable. ■ 

    Gérard Leclerc
    Chronique diffusée sur Radio Notre-Dame le 20 décembre 2018
  • Réflexions sur Noël • Noël, l'espérance au-delà des désespérances...

    Crèche de Noël en Provence

    Par Jean-Philippe Chauvin 

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    La fête de Noël n’est pas un moment ordinaire et le croyant y trouve aussi des raisons d’espérer quand l’incroyant la vit surtout comme le retour des joies et des plaisirs simples de la table et de la famille, mais c’est toujours, pour l’un comme pour l’autre, la joie de Noël qui s’exprime.

    Les enfants attendent la récompense de leur premier trimestre studieux, chantant parfois le soir autour de la crèche qui, elle, attend son principal personnage, déposé délicatement sur son lit de paille dans la nuit de la Nativité. Tant de souvenirs me remontent à la mémoire, en ce jour particulier qui s’annonce : autour de la grande crèche familiale, nous nous retrouvions le soir, à l’orée du coucher, et nous allumions les petites bougies colorées avant d’entonner quelques chants, invariablement clos par un vibrant et harmonieux « In excelsis Deo ». Ce rituel ne cessait pas lorsque j’étais chez mes grands-parents Lechaptois, mais la crèche était alors toute petite et en plastique, ce qui n’enlevait rien à ma ferveur enfantine et à celle de Mamé. Jours heureux… 

    Aujourd’hui, si je suis plus près de l’hiver que de l’enfance, je n’ai pas perdu mes espérances de Noël, même si les années passées ont effacé tant de visages familiers, les réduisant au souvenir parfois attristé, à cette nostalgie qui m’envahit parfois plus que de raison, celle d’un monde ancien qui était le mien avant que de devenir celui, incertain, des temps contemporains. Les événements récents n’incitent pas forcément à l’optimisme mais doivent susciter, dans le même temps, une espérance « raisonnable » mais aussi, sans être contradictoire, « passionnée ». 

    ob_68b531_xvm1bfc5444-f948-11e8-9082-221fe1d1342.jpgL’agitation automnale du pays, qui s’est couverte de jaune fluo, a étonné, effrayé parfois, suscité tant d’espoirs quand elle exprimait tant de colères, et ses éclats se sont fichés dans le mur des certitudes gouvernementales, au point d’en briller jusqu’aux palais lointains des puissants de ce monde-ci. Les ronds-points, lieux incontournables et pourtant négligés de notre société, ont été les espaces d’où les « personnes des recoins » ont crié leurs désespérances, leurs peurs,  leurs émotions, leurs sentiments, mais aussi leurs résistances à l’air du temps, aux oukases venus « d’en haut », de Paris ou de Bruxelles… Les « perdants de la mondialisation » ont ensuite gagné la rue, et cela s’est vu et entendu, au point de réduire la République à s’enfermer dans le palais de Madame de Pompadour derrière des murailles de fer et d’acier gardées par des troupes nombreuses et casquées… « Quand l’ordre n’est plus dans l’ordre, il est dans la révolution », affirmait Robert Aron (et non son homonyme Raymond), et le samedi 1er décembre a semblé lui donner raison, au moins quelques heures, avant ce « retour à l’ordre » qui, derrière lui, a laissé gravats et ressentiments, mais aussi l’impression d’un nouveau rapport de forces, moins favorable au « Pays légal » et à sa République cinquième… 

    Ces événements, inattendus et largement inédits, ne peuvent laisser indifférent : s’il y a eu cette « grande peur des bien-pensants » qu’évoquait déjà le royaliste Bernanos en son temps et qui a parcouru les élites mondialisées et une part des bourgeoisies urbaines bousculées en leurs centres-villes par des foules de jaune vêtues, il y aussi eu des « moments d’espérance », parfois cachés par des violences (émeutières comme répressives) dont certaines étaient tout aussi inacceptables que le mépris des dominants à l’égard des Gilets jaunes et de leurs revendications, voire de leur être même. La convivialité observée sur les fameux ronds-points, le retour de solidarités anciennes que l’on croyait disparues, la joie de se retrouver comme communauté de destin malgré des situations fort différentes… Tout cela ne peut être négligé, et constitue déjà des milliers de souvenirs et d’histoires particulières qui s’entremêlent et s’embellissent parfois, sources d’une nouvelle mémoire populaire et, pour demain, d’une histoire qui ne sera pas la seule propriété des historiens. 

    1929471531.jpgDe cela, surgit aussi une espérance passionnée, celle d’un changement, d’une rupture avec ce monde, cette mondialisation sans entraves ni racines, cette bétonisation des vies et des imaginaires, et d’une nouvelle prospérité, qui n’est pas forcément celle d’une croissance démesurée ou simplement économique. Est-elle réductible à l’espérance raisonnable, celle d’une amélioration du pouvoir d’achat compatible avec les règles économiques qui régentent notre pays et le monde contemporain ? Non, évidemment non, car « on n’est pas amoureux d’un taux de croissance », comme le clamait un slogan royaliste de la fin des années 1980 évoqué dans la publication d’alors des lycéens d’Action Française, Insurrection, titre provocateur pour une revue aux plumes alors prometteuses que l’on retrouve désormais dans quelques grands journaux d’aujourd’hui… Toute espérance dépasse la simple raison, autant raisonnement que sagesse : elle constitue une sorte d’au-delà des possibilités mais elle motive l’action et la réflexion, pour « rendre possible ce qui est nécessaire (ou ce qui est souhaitable »), et doit éviter l’hubris (la démesure), toujours dangereuse et perturbatrice. Ce sera sans doute l’enjeu des prochains mois, de la prochaine « saison » des Gilets jaunes ou de leurs successeurs. Il s’est levé, en ces temps incertains, une espérance qui, d’inquiète, est devenue vive, active, réactive… Il faut souhaiter qu’elle ne devienne pas cyclone destructeur mais qu’elle soit porteuse du meilleur possible pour notre pays et nos compatriotes, mais aussi pour ceux qui regardent la France avec amour ou simple curiosité. Bien évidemment, rien n’est sûr, mais le pire encore moins si les royalistes et les hommes de bonne volonté savent donner à l’espérance des formes heureuses et vigoureuses tout à la fois. 

    En tournant mes regards vers la crèche de cette veille de Noël, je discerne les visages des santons comme ceux des spectateurs du moment : tous semblent attendre, dans une sorte de patience tranquille… Croyants et incroyants, réunis dans l’espérance. L’espérance universelle de Noël, et particulière d’un Noël pour la France… ■  

    Le blog de Jean-Philippe Chauvin

  • Pour retrouver les 7 articles de Lafautearousseau, « Saint Augustin actuel »

    St. Augustin History Museum, Floride.

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    Augustin dʼHippone, premier grand philosophe de lʼÉglise  

    Par Rémi Hugues

    A l'approche des Fêtes, Rémi Hugues nous a proposé une série de sept articles - dont la publication vient de se terminer - consacrés à l'actualité de la pensée de Saint Augustin, père de l'Eglise. Une suite passionnante dont vous pouvez retrouver l'intégralité en suivant les liens ci-dessous. Bonne lecture !  

    Saint Augustin actuel

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