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LAFAUTEAROUSSEAU - Page 1196

  • Justice et justice…

    PAR JACQUES TRÉMOLET DE VILLERS

    3444282921.2.jpg

    Quand le fait d’être un Français de France rend la justice implacable 

    Au soir d’une longue et belle et pleine existence professionnelle, mon regretté confrère Georges-Paul Wagner constatait que, globalement, la justice pénale était plus sévère avec les gens de droite qu’avec les gens de gauche.

    Depuis, le constat s’est aggravé et il ne porte plus seulement sur la justice pénale. Il y a, dans les affaires civiles, et notamment les affaires familiales, des « profils » humains qui, dès le premier contact, disqualifient l’homme, ou la femme, à qui certains traits les attribuent : catholiques pratiquants, fonctionnaires d’autorité et particulièrement, militaires, chefs d’entreprise ou patrons de P.M.E.…

    Les nouveaux critères

    Nous n’en sommes plus aux « gauche » ou « droite », mais aux « réacs », « fachos », « machos », « nantis », qui se repèrent à leur allure, leur façon de s’habiller, de s’exprimer. Une étonnante séparation se crée entre la vie normale, familiale, professionnelle, sociale et l’appréhension judiciaire de la même existence. Tout ce qui paraît sain et recommandé dans la vie réelle : une bonne tenue, une certaine élégance, une aisance de parole, le goût du travail bien fait, le sens de l’autorité et de la discipline, est pratiquement considéré comme suspect en arrivant devant les tribunaux. Si on y ajoute une raisonnable aisance financière et un nom sentant la vieille France, la cause est entendue.

    CpqnNmWWYAAQFP4.jpgUn bon exemple a été le traitement judiciaire des manifestants de La Manif Pour Tous. On y voyait une différence d’appréciation avec les délinquants habituels et les manifestants des banlieues (photo), mais aussi une étonnante divergence entre le Ministère public, chargé de la répression, requérant parfois avec une violence inouïe, et les magistrats du siège plus raisonnables dans l’appréciation des sanctions.

    Aujourd’hui, avec les Gilets jaunes, il semble que la volonté de réprimer se fasse plus sévère encore. Ici, ce ne sont plus les familles de La Manif Pour Tous, souvent disqualifiées comme bourgeoises, voire aristo-réactionnaires ou catholiques intégristes. Le ton est différent, mais le reproche est le même. Ils ne sont pas « vieille France », mais ils sont « franchouillards » et ressemblent aux manifestants du 6 février 1934 qui étaient, dans leur immense majorité, des gens du peuple.

    Donc, c’est le peuple de France qui est mal vu par la Justice de France qui est pourtant rendue « au nom du peuple français ». Il y a là comme une « contradiction dans l’essence même des choses », aurait dit Lénine, et qui laisse prévoir une explosion. Car la justice se dit aujourd’hui « gérante du contrat social et du pacte républicain ». Si la République et ses juges sont contre le peuple, parce que ce peuple est français et que les « autorités morales » le disent pour cela « homophobe, raciste, xénophobe, etc. », la tension va monter et le pacte républicain voler en éclats. Dès lors, la justice ne pourra pas, même avec une répression sévère, modérer l’exaspération. Au contraire, les condamnations vont entraîner une solidarité… On connaît l’engrenage : provocation, répression, révolution.

    Une justice qui n’existe plus pour les justiciables

    Il est temps de rappeler que, depuis Aristote, la justice veut l’égalité de ceux qui comparaissent devant elle et une harmonie des traitements réservés aux délinquants. On ne peut pas, à Coutances, comme on l’a vu tout récemment, acquitter un violeur au motif que sa culture ne lui permet pas de savoir que la victime n’était pas consentante, et, à Strasbourg, jeter en prison un homme au gilet jaune parce que son entrave à la circulation met en danger la vie d’autrui.

    Déjà, en 1661, notait Louis XIV dans ses Mémoires, « la justice, à qui il appartenait de tout réformer, était la première à devoir l’être », car les jugements rendus au nom du Roi disaient le contraire les uns des autres. Cette unité dans le droit et l’application du droit est la seule garantie d’une société éprise de justice. Elle est aussi la condition de la confiance. Aujourd’hui, en France, les justiciables n’ont plus confiance. Ils vont vers la justice quand ils ne peuvent faire autrement, mais dans la crainte, le tremblement et, surtout, la défiance. Nous avons là un symptôme fort et certain d’une grande maladie sociale. Il ne semble pas que nos « élites » s’en préoccupent. Elles ont tort.

    Le besoin de justice est attaché au cœur de la vie sociale plus fort encore que l’aorte au cœur de l’homme. Qui le contrarie, s’expose au pire des infarctus. Pour un régime aux abois tenté de s’acharner démesurément sur des hommes en colère, le moment est d’en prendre conscience. Avant le collapsus.

    Actu justice : La sévérité des peines prononcées, quand même ce ne serait que du sursis, contraste avec l’étonnante mansuétude dont jouissent les petits malfrats et leurs frasques ordinaires.   

    Jacques Trémolet de Villers

  • Café Actualité d'Aix-en-Provence, ce jeudi 10 janvier. A ne pas rater ...

     

    Cette immense révolte populaire est un séisme politique majeur, totalement imprévu. C'est la France périphérique qui revient au centre et laisse les professionnels (partis politiques et syndicats) sur la touche, spectateurs d'un phénomène qui leur échappe totalement.

    Le café  se déroulera sous la forme d'un forum avec plusieurs interventions et celles des des participants.  

    Débat animé par Antoine de Crémiers avec participations attendues de Michel Franceschetti, Danielle Masson et Patrick Barrau.

    Café Le Festival, 1 cours Mirabeau
    18 h 45 : accueil. Entrée libre.
    19 h : conférence et débat animé par Antoine de Crémiers
    20 h 30 : fin de la réunion.
    Participation sous forme de consommation.
    Consommations à commander et régler au bar en arrivant. Merci !
    Inscriptions et renseignements : 06 16 69 74 85
  • « Les principes libéraux sont en train de voler en éclats » [2]

    Par David Cayla

    blue-wallpaper-continuing-background-wallpapers-bigest-images - Copie.jpgCet article (Figarovox, 31.12) est long, raison pour laquelle nous l'avons publié en deux parties, hier et aujourd'hui. Mais il est capital, surtout dans ses conclusions qui démontrent le grand retour du politique, sa reprise en mains de l'économique, la fin prévisible du néolibéralisme et du multilatéralisme mondialistes. A lire dans sa totalité.  LFAR     

    La mort du multilatéralisme 

    800-000-employes-federaux-affectes-shutdown-moitie-obligee-travaillerdes-services-juges-essentiels-etrelinstant-payee-tandis-lautre-chomage-force_0_729_486.jpgTensions commerciales, fin du cycle de croissance américain, contexte international déprimé, division au sein de l'administration américaine sur les politiques budgétaires et monétaires… On le voit, cette fin d'année 2018 n'incite guère à l'optimisme pour 2019. Aussi, la question que se posent aujourd'hui la plupart des économistes n'est pas de savoir s'il y aura ou non une récession l'année prochaine (celle-ci semble acquise) mais si cette récession était à l’image de 2001, de courte durée, ou si elle s’accompagnerait d'un effondrement plus brutal comme ce fut le cas en 2008. 

    En réalité, ce ne sera certainement ni 2001, ni 2008. Ce qui se passe aux États-Unis et plus largement dans le monde relève d'une logique nouvelle et d'un profond tournant dans la gouvernance économique. 

    ffa3a45921911b083eaa9d1690fc0ee9-guerre-commerciale-la-chine-accuse-les-etats-unis-de-vouloir-saborder-l-omc.jpgPremier bouleversement : la politique de Trump acte la mort du multilatéralisme. Cette fin touche de nombreuses organisations internationales, en premier lieu l'ONU et ses agences, dont l'Organisation internationale du travail (OIT) qui n'est plus depuis longtemps un lieu de de développement du droit social. Mais c'est surtout l'Organisation mondiale du commerce (OMC) qui connait la crise existentielle la plus grave. Depuis l'échec du cycle de Doha, acté en 2006, les accords commerciaux se négocient et se signent de manière bilatérale, sans l'aval de l'OMC, à l'initiative des pays riches. Des accords qui excluent presque systématiquement les pays les moins avancés. Plus grave, l'Organe de règlement des différends (ORD), chargé de résoudre les contentieux commerciaux entre pays ne fonctionne plus qu'au ralenti et pourrait définitivement cesser toute activité en décembre 2019. En effet, les États-Unis bloquent le renouvellement des juges. Alors qu'ils devraient être sept pour un fonctionnement optimal, il n'en reste plus que trois, dont deux titulaires d'un mandat qui s'achève fin 2019. 

    L'ORD apparaît surtout totalement dépassé par les conflits commerciaux qui ne cessent de se développer. La gestion unilatérale du commerce international par l'administration Trump crée en retour des représailles tout aussi unilatérales de la part de ses partenaires commerciaux. Impossible d'instruire judiciairement ces conflits alors qu'ils ne cessent de se multiplier. À force, les nouvelles relations commerciales à la sauce Trump menacent de rendre caduc tous les traités commerciaux multilatéraux négociés depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale.

    Donald Trump n'est pourtant pas le seul responsable de l'affaiblissement du multilatéralisme économique. De fait, la manière dont les États-Unis tentent de s'accorder de nouveaux privilèges commerciaux n'est pas sans rappeler la manière dont l'administration Obama a fait plier le secret bancaire suisse en imposant aux banques du monde entier l'extraterritorialité de son droit national… ou, pour remonter plus loin encore, la manière dont Nixon mit subitement fin au système monétaire de Bretton Woods en renonçant (de manière là aussi unilatérale) à assurer la convertibilité en or du dollar. 

    Une reprise en main du politique sur l'économie 

    Le mythe d'une économie mondiale qui serait organisée autour de règles décidées en commun a vécu. La gestion contemporaine de l'économie en revient à un ordre mondial originel, bien éloigné de celui anticipé par George Bush senior en 1990. Ainsi, le nouvel ordre mondial qui émerge n'est pas celui de la règle mais celui d'un ordre fondé sur la logique des rapports de force, qui pousse chaque pays à mettre ses armes économiques au service de ses seuls intérêts. Ce passage d'une gestion par la règle à une gestion par la force suppose le retour du pouvoir politique et de sa capacité à agir de manière discrétionnaire. 

    image.jpgVoilà qui permet de mieux comprendre les tensions actuelles entre Donal Trump et la Fed. En effet, derrière le conflit relatif au niveau des taux d'intérêt se trouve une question bien plus fondamentale : une banque centrale doit-elle être indépendante du pouvoir politique ? Lorsque vendredi 21 décembre, Bloomberg annonce que le président américain a demandé à ses conseillers s'il était possible de démettre Powell (photo) de ses fonctions, la presse américaine et la plupart des économistes ont crié à l'hérésie. Interrogé par le Washington Post, le Sénateur démocrate Mark Warner, membre de la Commission bancaire sénatoriale, a parfaitement résumé le sentiment général : « Ce que le Président ne comprend pas, c'est que la politique monétaire doit être séparée de la politique. Toute mesure prise pour démanteler l'indépendance de la Fed serait non seulement inappropriée, mais menacerait les institutions qui protègent notre État de droit.» 

    Mais dans un monde où les règles s'affaiblissent et où les rapports de force deviennent prédominants, ne serait-ce pas Trump qui aurait raison ? La doctrine selon laquelle la banque centrale doit être strictement indépendante du pouvoir politique repose sur l'idée qu'il faut à tout prix éviter l'interférence du politique sur l'économie. C'est une doctrine d'obédience libérale qui consiste à mettre la politique monétaire sur une sorte de pilotage automatique confié à un comité d'experts chargés de créer un cadre favorable à l'épanouissement des marchés. 

    Mais dans un monde où l'incertitude domine et où la gestion économique est un important levier d'action, on ne peut plus gérer la politique monétaire en s'extrayant de toute considération politique. Prenons la crise des pays émergents. Le principal problème de pays tels que l'Argentine ou la Turquie c'est que leurs entreprises ont profité des taux faibles pour emprunter en devises étrangères, notamment en dollars. La hausse des taux américains met ces entreprises en difficulté et l'effondrement de leurs monnaies les rend insolvables. Ces pays auraient donc besoin d'un dollar plus faible et d'une politique monétaire qui ne restreigne pas trop vite l'accès à la liquidité. Or, une gestion purement administrative de la politique monétaire américaine par la Fed est incapable de prendre ces questions en considération. 

    L'ère de la gouvernance économique illibérale

    Du point de vue de Trump au contraire, les négociations commerciales difficiles dans lesquels il est plongé impliqueraient des alliés et donc une capacité à utiliser la politique monétaire comme une arme de négociation vis-à-vis de pays tiers. Hérésie économique ? Ce qui est sûr c'est que l'affaiblissement des règles et le retour de la souveraineté politique sur les marchés impliquent de reconsidérer l'ensemble des vérités établies auxquelles nous nous sommes habitués. Car c'est une véritable gouvernance économique illibérale qui est en train d'émerger aux États-Unis, mais également en Chine et en Russie. 

    1671-dossier-prevoyance-assurance-vie.jpgC'est la raison pour laquelle le prochain retournement économique n'aura rien à voir avec ceux de 2001 et de 2008. Les principes libéraux qui ont tracé les grandes lignes de l'économie mondiale au cours des dernières décennies sont en train de voler en éclat. La politique qui avait été mise à distance de la sphère économique et des marchés au nom d'une gouvernance d'experts d'inspiration libérale est en train de faire son grand retour. Aussi, si une crise économique apparaît aux États-Unis en 2019 elle ne manquera pas d'ouvrir une nouvelle ère dont la gestion marquera le grand retour des politiques économiques souveraines. C'est une ère à laquelle l'Union européenne, avec son système institutionnel extrêmement rigide, figé dans l'idéologie des années 80 et 90, n'est absolument pas préparée. (FIN)    

    David Cayla est économiste, maître de conférences à l'université d'Angers. Il a notamment publié L'Économie du réel (De Boeck Supérieur, 2018) et a contribué à l'ouvrage collectif, coordonné par Henri Sterdyniak, Macron, un mauvais tournant (Les liens qui libèrent, 2018).
    David Cayla
  • Les Américains vont-ils vraiment quitter la Syrie ?

    Antoine de Lacoste 

    téléchargement.jpgTrump l’a dit, mais le fera-t-il ?

    Plusieurs jours après l’annonce fracassante du départ américain de Syrie, rien ne s’est passé. Aucun préparatif de départ n’a été observé et les membres des forces spéciales continuent de patrouiller dans Manbij comme si de rien n’était.

    Certes la démission de Mattis, le secrétaire d’Etat à la Défense, reste à l’ordre du jour mais le doute demeure. Il a été renforcé par les déclarations du sénateur Graham, un proche du président américain. Selon lui, Trump est prêt à « ralentir » le retrait des soldats mais cette affirmation n’a pas été relevée par le président.

     Pour les militaires américains, ce retrait est prématuré : ils considèrent que Daech n’est pas vaincu (ce qui est vrai) et que les Kurdes risquent de se faire « massacrer » par la Turquie. Ce n’est pas complètement faux mais c’est faire peu de cas de la présence russe. Poutine ne tolérera jamais qu’une tuerie de grande ampleur se passe sous les yeux de son armée. Erdogan a besoin de l’aval russe pour toute initiative importante et tout le monde le sait.

    Les Kurdes ne s’y sont d’ailleurs pas trompés et ont appelé l’armée syrienne à se réinstaller dans les environs de Manbij, mais pas à Manbij même : tant que les forces spéciales américaines y sont, ce n’est évidemment pas possible. C’est pourtant un territoire syrien, mais si les Américains accordaient de l’importance à la souveraineté d’un pays, cela se saurait.

    En attendant que la situation se décante, c’est dans la province d’Idleb que des combats violents entre islamistes viennent d’avoir lieu.

    Ce territoire, situé au nord-ouest de la Syrie est censé être administré par l’armée turque. Elle y contrôle des milliers de djihadistes (supposés ex djihadistes…) qu’elle a regroupés au sein d’un Front de la Libération Nationale. C’est ce Front qui a appuyé l’armée turque en janvier 2018 pour la bataille d’Afrin décidée pour en chasser les Kurdes.

    Mais la moitié de ce territoire est encore tenu par l’ex Front al-Nosra, devenu Hayat Tahrir al-Cham (HTC).  Pour l’étendre encore, HTC a attaqué plusieurs positions d’un groupe rival nommé Noureddine al-Zinki. Les combats ont fait plus d’une centaine de morts et HTC l’a emporté. L’armée turque a laissé faire : Nourredine al-Zinki avait refusé l’allégeance à la Turquie et son élimination ne provoquera aucun regret.

    1032985970.jpgL’armée syrienne quant à elle, qui campe face aux positions de HTC, aimerait bien commencer la reconquête d’Idleb : près de 60 000 combattants plus ou moins islamistes (plutôt plus que moins en fait) y sont regroupés et c’est une épine qu’il faudra bien extraire un jour. La présence turque reste un obstacle majeur.

    L’armée syrienne a gagné la guerre, mais beaucoup reste à faire. ■

    Retrouvez l'ensemble des chroniques syriennes d'Antoine de Lacoste dans notre catégorie Actualité Monde.

  • « Les principes libéraux sont en train de voler en éclats » [1]

    Par David Cayla

    blue-wallpaper-continuing-background-wallpapers-bigest-images - Copie.jpgCet article (Figarovox, 31.12) est long, raison pour laquelle nous le publions en deux parties, aujourd'hui et demain. Mais il est capital, surtout dans ses conclusions qui démontrent le grand retour du politique, sa reprise en mains de l'économique, la fin prévisible du néolibéralisme et du multilatéralisme mondialistes. A lire dans sa totalité.  LFAR    

     

    Depuis son élection, le président américain Donald Trump a fait de la hausse de Wall Street un indicateur de la bonne santé économique américaine et de la réussite de sa politique. Mais voilà : les effets conjugués d'une déréglementation financière et d'une réduction massive d'impôts s'estompent. La chute brutale, en fin d'année, des indices boursiers américains est perçue comme le signe annonciateur d'une crise économique imminente. Il y a quelques bonnes raisons d'y croire. 

    La première et la principale source d'inquiétude est que les États-Unis en sont à leur neuvième année consécutive de croissance économique, ce qui correspond à l'un des plus longs cycles de croissance de leur histoire. La dernière performance de ce type date de 1992-2000 ; elle avait débouché sur une brève récession en 2001, à la suite de l'effondrement de la bulle Internet. Or, loin de s'affaiblir, la croissance américaine des derniers mois s'est en fait accélérée, dépassant les 3 % en rythme annuel au 2ème et 3ème trimestre. Bonne nouvelle ? Pas vraiment, car cette croissance se fait sur une économie de plein-emploi (3,7 % de chômage) et n'apparaît pas soutenable à court terme. Elle l'est d'autant moins qu'ailleurs dans le monde les performances économiques régressent. Les économies européennes et chinoises sont en phase de décélération tandis que les pays émergents tels que la Turquie, le Brésil ou l'Argentine ont plongé dans la crise depuis le début de l'année. 

    Des conflits commerciaux en suspens 

    Autre signe peu encourageant, l'administration Trump ne cesse de souffler le chaud et le froid en matière commerciale. Tantôt elle menace ses partenaires commerciaux d'une hausse unilatérale de droits de douane, tantôt elle annonce la conclusion d'un accord ou d'une trêve, lorsqu'elle parvient à obtenir quelques concessions chez la partie adverse. La stratégie commerciale américaine est en réalité loin d'être erratique. Depuis qu'il est au pouvoir, Donald Trump applique une politique déterminée qui consiste à négocier en position de force avec la Chine et l'Union européenne à tour de rôle. Cette stratégie fonctionne dans la mesure où ni les autorités européennes ni la Chine ne parviennent pour l'instant à lire clairement les objectifs américains de long terme qui semblent varier en fonction des circonstances. 

    téléchargement (1).jpgDe fait, Trump ne mène pas une politique protectionniste, ce qui consisterait à encadrer le commerce international dans le but de contribuer à des objectifs économiques et sociaux, mais développe une stratégie de type mercantiliste. Son comportement relève davantage de l'homme d'affaires que du responsable politique. Il ne cherche pas à réguler mais à obtenir des concessions spécifiques au service de ses industriels. En échange d'une trêve commerciale de trois mois, il est ainsi parvenu à obtenir de la Chine qu'elle augmente ses achats de gaz US et qu'elle renforce la protection légale des droits de propriété intellectuelle. De même, en menaçant les constructeurs automobiles allemands, il a obtenu de Merkel un renoncement au projet européen de taxation des « GAFAM » (Google, Apple, Facebook, Amazon, Microsoft), ces entreprises du net (exclusivement américaines) qui parviennent à échapper à l'impôt en jouant de la concurrence fiscale entre les États. 

    Ces tensions commerciales ne sont pas sans inquiéter. Il pourrait arriver un moment où les partenaires commerciaux des États-Unis pourraient se rebiffer, voire se coaliser, et imposer à leur tour des sanctions aux entreprises américaines. 

    Querelles sur le front intérieur 

    zbimg_700_800.jpgEnfin, dernier sujet d'inquiétude, les querelles internes à l'administration américaine elle-même. Incapable d'obtenir du Congrès les 5 milliards de dollars nécessaires au financement de la construction du mur frontalier avec le Mexique, la présidence bloque depuis le 20 décembre l'adoption du budget fédéral, conduisant au « shutdown », c'est-à-dire à l'arrêt soudain du paiement des salaires de 800 000 fonctionnaires fédéraux américains et à la cessation de nombreuses missions fédérales. Depuis les élections partielles de novembre dernier, les Républicains ont perdu la Chambre des représentants nécessaire à l'adoption du budget ce qui implique une forme de cohabitation à l'américaine entre le Président républicain et la Chambre démocrate, en particulier pour tout ce qui relève de la politique budgétaire. 

    Autre cohabitation difficile, celle qui oppose Donald Trump à Jerome Powel, le président de la Réserve fédérale, la banque centrale américaine (Fed). Depuis décembre 2015, la Fed mène une politique monétaire qui vise à sortir de la politique accommodante menée depuis 2008. Aussi entend-elle d'une part se débarrasser progressivement des actifs détenus à son bilan achetés pour soutenir l'économie américaine et les dépenses publiques dans le cadre du « Quantitative Easing », et d'autre part relever progressivement ses taux d'intérêt directeurs. En 2018, ils ont été relevés quatre fois, passant de 1,5 % à 2,5 %, une hausse plus rapide que lors des années précédentes. 

    fed-1-445x317.jpgOr, la dernière hausse en date, celle de décembre, a suscité le courroux du président américain. Trump accuse notamment cette dernière hausse d'être responsable de l'effondrement des marchés financiers de décembre. Une hausse des taux de la Fed conduit mécaniquement à hausser la rentabilité des créances de court terme, des actifs sans risque. Aussi, plus les taux d'intérêt augmentent, moins les marchés d'actions sont attractifs, par comparaison. De plus, les taux d'intérêt déterminent les taux d'emprunt pour les entreprises et les ménages ; leur hausse contribue donc à déprimer l'investissement et la consommation et tend à freiner l'économie dans son ensemble. Enfin, des taux d'intérêt en hausse contribuent à valoriser le dollar sur le marché des changes, ce qui renchérit le coût des exportations et diminue à l'inverse celui des importations. Bref, Donald Trump craint, et il n'a pas entièrement tort, que cette hausse rapide des taux d'intérêt de la Fed ne contribue à fragiliser l'économie américaine et ne suscite le retournement de cycle qu'elle est censée prévenir. (A suivre, demain)    

    David Cayla est économiste, maître de conférences à l'université d'Angers. Il a notamment publié L'Économie du réel (De Boeck Supérieur, 2018) et a contribué à l'ouvrage collectif, coordonné par Henri Sterdyniak, Macron, un mauvais tournant (Les liens qui libèrent, 2018).
    David Cayla 
  • Affaire Ghosn, affaire Renault-Nissan, affaire française ?

    Par François Reloujac

    Carlos Ghosn, grand capitaine et citoyen mondial, mettait moins sa fortune au service du bien commun qu’il ne mettait en péril le bien commun pour sa propre fortune. Ou comment la philosophie financière d’un leader en vient à fragiliser une industrie nationale. 

    À la fin du mois de novembre, le monde interloqué a appris l’arrestation au Japon, à sa descente d’avion, du patron du premier groupe automobile mondial, considéré jusque-là comme le modèle de tous les capitaines d’industrie actuels. Il ne s’agit pas ici de porter un jugement sur une affaire en cours dont la justice est saisie mais, à cette occasion, de réfléchir sur ce qu’elle révèle des fragilités d’un système économique mondialisé par la finance.

    Le groupe Renault, fleuron de l’industrie française

    Avec plus de dix millions de voitures vendues en 2017 (9 % du marché mondial), ce que l’on appelle en France le « groupe Renault » est devenu le premier constructeur automobile au monde, devant Volkswagen, General Motors et Toyota. Ce groupe est considéré comme le fleuron de l’industrie française et, pour le maintenir à cette place, l’État en détient 15 % du capital et 22 % des droits de vote. Il désigne un membre du Conseil d’administration et en « propose » un autre au vote de l’Assemblée générale des actionnaires. Mais, à y regarder de plus près, la « nationalité » française du groupe n’est pas aussi clairement assumée. Tout d’abord le capital de l’ensemble se trouve réparti entre le Japon, la France, la Russie, l’Allemagne, tandis que les voitures vendues par le groupe sont commercialisées sous les marques Nissan, Renault, Mitsubishi, Lada, Dacia, Alpine… Il faut y ajouter des filiales, dites stratégiques, qui ont pour but d’optimiser les résultats financiers et la pression fiscale, comme la filiale d’assurance domiciliée à Malte. Mais ce qui est le plus significatif, c’est que la société qui joue le rôle de holding (mais qui est une filiale 50/50 de Renault et de Nissan) est domiciliée à Amsterdam pour permettre au groupe de bénéficier de ce qui est connu dans le jargon des conseillers fiscaux comme le « sandwich hollandais ». Il en résulte qu’en 2017, si l’on en croit les chiffres officiellement publiés, le montant de l’impôt sur les bénéfices payés en France par Renault était inférieur à 15 % du bénéfice. Mais il n’y a pas que l’optimisation fiscale que peuvent s’offrir les grands groupes multinationaux, il y a aussi une optimisation sociale. C’est ainsi que la réussite du groupe Renault-Nissan, sous l’impulsion de Carlos Ghosn, a été en partie due à une « externalisation » de la sous-traitance, à des mises à la retraite anticipées – dont la conséquence première est de faire prendre en charge par la collectivité des rémunérations perçues par ces nouveaux retraités – et à des délocalisations massives. Aujourd’hui, sur les 181 350 salariés que compte le groupe, à peine 48 000 travaillent en France. Et on pourrait continuer la liste de ces avantages ouverts aux seules multinationales, simplement organisées autour de liens financiers et jonglant avec des systèmes juridiques entremêlés.

    Les multinationales au-dessus des droits communs

    Le groupe, tel qu’il est organisé, semble bien, en effet, « optimiser » aussi le droit¹. Il repose sur un système de participations croisées entre Renault qui détient plus de 43 % du capital de Nissan et Nissan qui détient 15 % du capital de Renault. Sans compter que Renault détient 2,17 % de son propre capital (en pratique cette « autodétention » débouche sur un gonflement artificiel du capital nominal, dont le droit dit qu’il est la garantie des créanciers). Au regard du droit français, Nissan n’a donc pas le droit de prendre part aux votes affectant la direction de Renault. Mais on constate que si Nissan détient un poste d’administrateur, privé du droit de vote en vertu de la loi, un autre administrateur est élu « sur proposition de Nissan » ; rien ne s’oppose donc à ce qu’il participe aux décisions. De plus, la « tête » du groupe est la société Alliance BV dans laquelle il n’y a pas de participations croisées et où Nissan et Renault sont à parité. Et c’est Alliance BV qui prend les décisions stratégiques. Cette « optimisation » juridique permet d’éviter nombre de contraintes imposées tant par le droit des sociétés que le droit de la concurrence² (sans parler bien sûr du droit fiscal).

    Que sert à l’homme de gagner l’univers ?

    cover-r4x3w1000-5bf3f56429a3c-b9e10bb0539b41666e194f723d5936e3d7a7e22c-jpg.jpgUne autre information est frappante. Carlos Ghosn est vraiment un homme universel. Il sait tout faire. Ce n’est pas pour rien que, jusqu’au début de l’affaire, il était président de Renault, Nissan, Mitsubishi et Alliance. Mais, au-delà, il était aussi impliqué dans diverses opérations immobilières, notamment au Brésil et dans le nord du Liban, ainsi que dans la gestion d’un domaine viticole. Etant ainsi un homme universel, que l’on voyait un jour à Maubeuge auprès du président Macron, un autre à Moscou avec le président Poutine, un troisième à Pékin avec le président Xi Jinping et un autre au forum de Davos, il partageait son temps entre ses divers domiciles, à Beyrouth, Tokyo, Paris, Amsterdam, Rio de Janeiro, sans compter Beaulieu, sur la Côte d’Azur. On comprend qu’il ait eu besoin d’un avion privé pour pouvoir se rendre rapidement de l’un à l’autre. On comprend aussi que les Libanais, fiers de « leur » enfant, aient émis un timbre à son effigie et que les Japonais reconnaissants aient imaginé un manga dont ce « samouraï » d’aujourd’hui est le héros. On comprend enfin que pour assurer sa défense devant les juridictions japonaises il fasse appel à un célèbre cabinet d’avocats américains. Que restera-t-il de tout cela demain ? En attendant, il bénéficie provisoirement d’une nouvelle résidence, qu’il n’a ni choisie ni fait aménager spécialement pour lui.

    Trois leçons

    De ce rapide tour d’horizon, il y a au moins trois leçons principales à tirer. La première est que, dans un groupe multinational comme Renault-Nissan, un événement – quelles qu’en soient la cause et la nature – se produisant dans un pays entraîne des conséquences qui peuvent affecter gravement l’économie d’un autre pays, sans que les autorités de celui-ci puissent intervenir. La seconde est qu’un Conseil d’administration composé de membres éminents choisis pour leur appartenance à « l’élite » politico-administrative, et comportant presque autant de femmes que d’hommes, est impuissant à comprendre les agissements du président ; en l’occurrence, ils n’ont rien vu venir et ils sont incapables de prendre la défense dudit président qu’ils sont pourtant chargés d’accompagner et de surveiller. Plus grave : s’il s’agit d’un complot proprement japonais au profit de Nissan, qui se grefferait sur l’affaire, ce qui peut évidemment se supputer, voilà les Français dans l’incapacité de réagir !

    Enfin, les entreprises d’aujourd’hui n’ont rien à voir avec celles que l’on présente aux étudiants dans les Universités et dont Schumpeter a vanté les mérites. Dans le modèle enseigné, les entrepreneurs étaient des hommes qui risquaient leur fortune personnelle au service d’un projet qu’ils avaient conçu et qui donnait du travail à d’autres pour servir le bien commun ; aujourd’hui, le capitaine d’industrie est quelqu’un qui utilise l’argent des autres en faisant la promotion d’un projet qui lui est extérieur et pour lequel il est prêt à sacrifier de nombreux travailleurs afin d’en retirer une fortune personnelle.   

    1. Nous n’aborderons pas ici le droit boursier car les variations observées sur les cours des actions ne sont pas caractéristiques des sociétés multinationales mais du fonctionnement de ces « casinos » appelés Bourses.
    2. Dans ce domaine, on doit aussi se poser la question de la « coopération » avec l’Allemand Daimler qui détient 3 % du capital de Renault et autant de celui de Nissan.
     François Reloujac
    Journaliste, spécialiste des questions économiques
    Lire aussi dans Lafautearousseau ...
    Revers de fortune
  • Paris ce 8 janvier, aux Mardis de Politique magazine, une conférence de Gregor Puppinck à ne pas manquer !

     

    Rendez-vous à partir de 19 h 00 - Conférence à 19 h 30 précises
    Participation aux frais : 10 euros -  Etudiants et chômeurs : 5 euros

    Salle Messiaen, 3 rue de la Trinité  Paris 9° - Métro La Trinité, Saint-Lazare

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    Renseignements : Politique magazine, 1 rue de Courcelles Paris 8° - T. 01 42 57 43 22

  • Incertitudes

    par Louis-Joseph Delanglade 

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    En ce début d’année, rien n’autorise à penser que le pouvoir a pris la bonne mesure du problème posé par l’existence même du mouvement des gilets jaunes.

    Malgré les mesures chiffrées de décembre, malgré l’ouverture de cahiers de doléances, malgré l’annonce d’une grande concertation, le malaise demeure. L’idée d’une crise de régime poursuit sourdement son chemin. 

    jean-michel-aphatie-ne-souhaite-pas-prendre-cette-affaire-serieusement_6141356.jpgCependant, même si le mouvement est susceptible d’avoir des conséquences sur, voire contre, le système, ceux qui pensent pouvoir le récupérer au moins en partie se font sans doute des illusions car il est essentiellement hors système. Les tentatives politiciennes sont grossières (M. Philippot qui dépose l’appellation « gilets jaunes »), ridicules (M. Mélenchon qui croit voir en M. Drouet la réincarnation du terroriste robespierriste de Varennes), ou simplement bien naïves (MM. Jardin ou Lalanne qui sont tentés par l’aventure électorale). Ceux-là n’ont pas compris l’essentiel d’un mouvement dont le surgissement incongru et les manifestations a-politiques sont plutôt le signe d’une réaction salutaire du fameux, mais bien mal en point, « pays réel » et dont le mot d’ordre, pour reprendre la formule de M. Zemmour, serait : « On ne veut pas mourir ! » M. Berger, secrétaire général de la CFDT, ne s’y trompe d’ailleurs pas lorsqu’il déclare sur les ondes de France Inter (6 janvier), que le mouvement est essentiellement « réactionnaire ». 

    e093d72f016017025a97fd18d7dd8cd8-qui-est-stanislas-guerini-le-nouveau-patron-de-la-republique-en-marche.jpgHors système, donc, ce mouvement qui remet en cause le régime de la démocratie dite bien à tort  « représentative », véritable captation de la réalité populaire qui permet à de faux « corps intermédiaires » et autres élites médiatiques et politiques de parler et de penser pour tous les autres sans jamais les consulter vraiment sur les choix civilisationnels et politiques  fondamentaux - ou de ne pas tenir compte de l’avis exprimé, comme ce fut le cas lors du référendum de 2005 (55% de « non » au traité établissant une constitution pour l’Europe), ou même de refuser ouvertement l’idée d’en tenir compte, comme ce M. Guerini (photo), délégué général de La République en marche, qui justifie son hostilité au RIC par le refus de voir les Français décider par exemple de rétablir la peine de mort (BFMTV, 17 décembre). 

    Mais si leur existence est d’abord une remise en cause de cette supercherie, il est cependant évident que les Gilets jaunes ne peuvent apporter au pays la nécessaire re-mise en ordre.  Nous aurons peut-être une crise de régime mais, dans ce cas, l’issue en sera forcément politique et rien ne dit qu’elle soit positive. Aujourd’hui divisées, les « élites républicaines » peuvent se ressouder dans un de ces compromis historiques destinés à permettre la survie du régime, quitte à procéder à un ravalement de façade. Pour l’instant, l’avancée « politique » du mouvement des Gilets jaunes, et elle n’est pas négligeable, est d’avoir fragilisé les certitudes idéologiques du chef de l’Etat, obligé d’admettre explicitement que s’est manifestée une « colère légitime » et peut-être de revenir en conséquence et si peu que ce soit sur son catéchisme euro-libéral.   ■

  • « QUAND TOMBE LE MASQUE DES POPULICIDES » Michel Onfray bientôt royaliste ?

     

    blue-wallpaper-continuing-background-wallpapers-bigest-images - Copie.jpgMichel Onfray donne là une critique féroce du Système, ses hommes, ses institutions. Analyse un peu longue, parfois redondante, mais tueuse ... On ne sera pas d'accord sur tout, mais enfin, tout de même, sur beaucoup de choses ... Les esprits progressent. Les nécessités font bouger les lignes. Et le Système est désormais sur la défensive.  LFAR

     

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     Quelle que soit son issue, le mouvement des gilets-jaunes aura au moins eu un mérite : mettre à nu les rouages de ce régime corrompu jusqu’à la moelle depuis que les politiciens de tous bords, « gaullistes » compris, ont décidé de déconstruire ce qui fut le contrat social de la Cinquième République. A force de modifications, de changements, d'altérations, de rectifications, de retouches, ni l'esprit ni la lettre de cette constitution ne sont plus respectés. Nous vivons depuis des années avec une règle du jeu édictée par des faussaires ayant pour nom : Mitterrand et Chirac, Sarkozy et Hollande. 

    Les logiciens connaissent bien l'argument du bateau de Thésée rapporté par Plutarque : pendant des siècles, on a gardé respectueusement la barque de Thésée, qui avait combattu le Minotaure. Régulièrement, les Athéniens changeaient les planches qui s'abîmaient. Un jour, il n'y eut plus une seule planche d'origine. Certains dirent alors que ça n'était plus son bateau ; d'autres affirmaient au contraire que si ; pendant que d'autres encore débattaient pour savoir avec quelle planche, la première rajoutée, la dernière enlevée, ou bien celle après laquelle les planches d'origine ont cessé d'être majoritaires, le bateau de Thésée n'a plus été le bateau de Thésée. 

    nee-dans-le-tumulte-et-souvent-brocardee-la-constitution-dont-on-fete-jeudi.jpgVingt-quatre lois ont modifié la constitution de 1958 jusqu'à ce jour ! Sur les 92 articles de départ, il n'en reste plus que 30 d'origine ! Elle est donc morte depuis longtemps... On fait semblant de la révérer, or elle est piétinée régulièrement par la classe politique dans l'intérêt de ses opérations de basse police, droite et gauche confondues. Qui peut bien imaginer que la cohabitation et le quinquennat puissent relever de l'esprit gaullien ? Qu'un référendum perdu puisse être purement et simplement annulé par la coalition des politiciens maastrichtiens de droite et de gauche ? Qui ? 

    Depuis Maastricht, les révisions qui concernent l'Europe vont dans le sens d'une destruction de la nation française au profit de l'État maastrichtien -Traité de Maastricht en 1992, Traité de Lisbonne en 2008. Cette constitution de 1958 est morte : elle est devenue un chiffon de papier, un torchon, une serpillère. Merci Mitterrand, merci Chirac, merci Sarkozy, merci Hollande - et merci Macron qui est un mixte des vices de tous ceux-là : cynisme, démagogie, vulgarité et incompétence... 

    Les Français en général, et les gilets-jaunes en particulier ont bien compris que, depuis plusieurs décennies, leur constitution leur avait été volée. De Gaulle avait voulu l'élection du président de la République au suffrage universel direct à deux tours ; un septennat avec des législatives à mi-mandat, ce qui permettait au chef de l'État de savoir où il en était avec le peuple et où le peuple en était avec lui: en cas de perte de la majorité à l'Assemblée nationale, le Président démissionnait, c'était la sanction du peuple ; il pouvait alors se représenter et être réélu, ou pas ; le référendum permettait au peuple de donner son avis sur des questions de société majeures : une fois l'avis donné, on le respectait. Quand de Gaulle a perdu le référendum sur la régionalisation, il n'a pas nié le résultat, il n'a pas fait voter les députés pour l'annuler, il n'en a pas fait un second, il n'a pas fait le contraire de ce qu’avait décidé le peuple: il lui a obéi et a quitté le pouvoir. Il y avait dans la lettre, mais aussi et surtout dans l'esprit de cette constitution, un lien entre le peuple et son souverain qui était alors son obligé. 

    Aujourd’hui, c'est l'inverse : c'est le peuple qui est l'obligé de son président élu après que la propagande eut fait le nécessaire, c'est à dire des tonnes, pour installer l'un des voyageurs de commerce de l'État maastrichtien - depuis Mitterrand 1983, ils le sont tous... Le vote ne s'effectue plus de manière sereine et républicaine, libre et autonome, mais de façon faussée et binaire avec d'un côté le bien maastrichtien et de l'autre le mal souverainiste - la plupart du temps assimilé au fascisme. Cette caricature est massivement vendue par la propagande médiatique d'État ou de la presse subventionnée par lui. L'élection législative perdue n'induit plus la démission, mais la cohabitation ; le référendum perdu ne génère plus l'abdication, mais sa négation. Quand le peuple dit au Président qu'il n'en veut plus, le Président reste... Et quand il part à la fin de son mandat, certes, on change de tête, mais la politique menée reste la même. 

    Tout le monde a bien compris depuis des années que les institutions françaises sont pourries, vermoules, comme une charpente minée par les termites et la mérule : il s'en faut de peu que la maison s'effondre d'un seul coup, avec juste un léger coup de vent. Les gilets-jaunes sont, pour l'heure, un léger coup de vent... 

    7610631_6d3d09ca-286a-11e8-ba4a-4f9f25501852-1_1000x625.jpgDe même, tout le monde a bien compris que la représentation nationale n'est pas représentative : la sociologie des élus, députés et sénateurs, ne correspond pas du tout à la sociologie de la France. Il suffit de consulter la biographie des mandatés : ceux qui sont sur les ronds-points avec leurs gilets jaunes ne risquent pas d'avoir des collègues au Palais Bourbon ou au Palais du Luxembourg ! Où sont les paysans et les ouvriers, les artisans et les commerçants, les marins pécheurs et les employés, les balayeurs et les veilleurs de nuit, les chauffeurs de taxi et les ambulanciers dans ces deux chambres ? Nulle part... Les ouvriers représentent la moitié de la population active : il n'y en a aucun au Palais Bourbon -l e PCF qui ne fonctionne qu'avec des permanents devrait s'interroger sur ce chiffre pour comprendre les raisons de sa crise... En revanche, on y trouve pas mal d'enseignants et de professions libérales, de notaires et d'avocats, des journalistes aussi. Les cadres et professions intellectuelles représentent 76 % des élus : c'est quatre fois et demie plus que leur part dans la population active. L'observatoire des inégalités a publié un texte intitulé « L'Assemblée nationale ne compte quasi plus de représentants de milieux populaires » (29 novembre 2018) qui détaille cette évidence : le peuple n'est plus à l'Assemblée nationale. Pour parler le langage de Bourdieu, on n'y trouve aucun dominé mais plus que des dominants. Dans les gilets-jaunes, c'est très exactement l'inverse: pas de dominants que des dominés ! 

    Si la sociologie des élus est à ce point peu populaire on comprend qu'elle soit devenue antipopulaire. Il n'est pas besoin d'aller chercher très loin les raisons du vote négatif du peuple au référendum sur le Traité européen ni celles qui ont fait des élus les fossoyeurs de ce même vote populaire. La démocratie directe a dit: non. La démocratie indirecte lui a dit: bien sûr que si, ce sera tout de même oui. Je date du Traité de Lisbonne ce clair divorce du peuple d'avec ses prétendus représentants. 

    Qui peut croire que ces assemblées qui ne représentent déjà pas le peuple dans sa totalité puissent être crédibles quand chacun peut constater que le parti de Mélenchon, qui arrive quatrième au premier tour des élections présidentielles et n'est pas présent au second, dispose de dix-sept députés, pendant que celui de Marine Le Pen qui arrive deuxième et qui se trouve qualifiée au second tour, n'en a que huit ? Quelle étrange machinerie politique permet à celui qui arrive quatrième d'avoir plus du double d'élus que celui qui arrive deuxième ? Sûrement pas une machine démocratique... 

    Pas besoin d'être polytechnicien pour comprendre que le mode de recrutement des élus est partidaire et non populaire ; les découpages électoraux et les logiques du code électoral sélectionnent des professionnels de la politique affiliés à des partis qui les mandatent et non des citoyens de base qui ne peuvent gagner sans le soutien d'un parti ; une fois au chaud dans les institutions, les élus font de la figuration dans un système qui évince le peuple et sélectionne une caste qui se partage le gâteau en faisant des moulinets médiatiques afin de laisser croire qu'ils s'écharpent et ne pensent pas la même chose, or sur l'essentiel, ils sont d'accord : ils ne remettent pas en cause la règle du jeu qui les a placés là ; au bout du compte, ceux qui gagnent sont toujours les défenseurs de l'État maastrichtien. Les gilets-jaunes savent que le code électoral, associé au découpage électoral opéré par le ministère de l'Intérieur avec l'Élysée, génère un régime illibéral - pour utiliser et retourner une épithète abondamment utilisée par les maastrichtiens pour salir les régimes qui ne les aiment pas donc qu’ils n'aiment pas.  Ce régime est illibéral parce qu’il gouverne sans les gens modestes, sans les pauvres, sans les démunis, sans les plus précaires, sans eux et malgré eux, voire contre eux. Sans ceux qui, aujourd’hui, portent le gilet jaune. 

    C'est donc fort de ce savoir acquis par l'expérience que le peuple des gilets-jaunes ne veut plus rien entendre des partis, des syndicats, des élus, des corps intermédiaires, des députés ou des sénateurs, du chef de l'État et de ses ministres, des élus de la majorité ou de ceux de l'opposition, mais aussi des journalistes qui, de la rubrique locale à l'éditorial du journal national, font partie de tous ces gens qui ont mis la France dans cet état et ce peuple dans cette souffrance. La démocratie indirecte, le système représentatif, le cirque des élections : ils n'y croient plus. Qui pourrait leur donner tort ? 

    Voilà pour quelles raisons quelques gilets-jaunes proposent aujourd’hui le RIC - le référendum d'initiative citoyenne. Les journalistes qui estiment que les gilets-jaunes ne pensent pas, que leur mouvement c'est tout et n'importe quoi, qu'ils disent une chose et son contraire, qu'ils ne sont que dans la colère ou le ressentiment, de vilaines passions tristes que tel ou tel éditorialiste condamne dans son fauteuil de nanti, qu’ils sont des anarchistes ou des casseurs, qu'ils ne proposent jamais rien, ces journalistes, donc, sont bien obligés, en face de cette proposition majeure, de jouer les professeurs devant une classe de primaire en expliquant que le RIC, c'est du délire. 

    C'est pourtant, au contraire, une pharmacopée majeure très adaptée à cette démocratie malade, sinon mourante. C'est un authentique remède de cheval qui donne la frousse aux dominants, aux corps intermédiaires, aux élus, aux rouages du système, parce qu'ils voient d'un seul coup leurs pouvoirs mis en péril alors qu'ils les croyaient acquis pour toujours ! Quoi : « le pouvoir du peuple, par le peuple, pour le peuple, mais vous n'y pensez pas? Quelle idée saugrenue ! ». Si messieurs, justement: c'est la définition que donne le dictionnaire de la démocratie ! 

    Qu'est-ce que ce RIC ? La possibilité pour les citoyens de réunir un certain nombre de signatures qui obligent le pouvoir à examiner la question faisant l'objet du RIC, soit au parlement soit sous forme référendaire. « Impossible !» disent les éditocrates comme un seul homme. Or ils oublient que c'est possible depuis des siècles en Suisse et que c'est d'ailleurs ce qui fait de la Confédération helvétique antijacobine une démocratie bien plus sûrement que notre régime oligarchique. 

    A tout seigneur, tout honneur: le chevau-léger Stanislas Guerini (dans Marianne, le 17 octobre 2018 ), dont tout le monde ne sait peut-être pas encore qu’il est le patron de LREM, procède avec subtilité: Le RIC, c'est la possibilité demain de restaurer la peine de mort ! Le RIC, c'est la certitude de la castration chimique pour les délinquants ! Le RIC, ce pourrait même être, rendez-vous compte, il ne le dit pas, mais on voit bien qu'il le pense, la possibilité de sortir de l'État maastrichtien ! 

    610043537001_5796112814001_5796107350001-vs.jpgA la République en Marche, on n'aime pas le peuple, trop grossier, trop débile, trop crétin, trop pauvre, trop bête aussi... Il suffit d'écouter cette fois-ci le président du groupe LREM à l'Assemblée nationale, Gilles Legendre, qui affirme quant à lui, sans rire : « Nous avons insuffisamment expliqué ce que nous faisons. Nous nous donnons beaucoup de mal, il faut le faire mieux. Et une deuxième erreur a été faite, dont nous portons tous la responsabilité : le fait d'avoir été trop intelligents (sic), trop subtils (sic), trop techniques (sic) dans les mesures de pouvoir d'achat. » (Marianne, 17 décembre 2018) 

    On ne peut mieux dire que le ramassis d'anciens socialistes, d'anciens hollandistes, d'anciens Modem, d'anciens écologistes, d'anciens LR, d'anciens EELV, d'anciens juppéistes, d'anciens sarkozystes, enfin d'anciens anciens qui constituent la modernité révolutionnaire dégagiste de LREM, méprise clairement le peuple jugé trop débile pour comprendre que l'augmentation des taxes sur l'essence, sous prétexte de transition écologique, est un impôt prélevé sur les pauvres sans qu’ils puissent y échapper, puisqu'ils sont contraints de remplir le réservoir de leurs voitures pour travailler. 

    Certes, Gilles Legendre est un intellectuel haut de gamme, puisqu’il dispose d'une triple casquette: journaliste, économiste, homme politique, ce qui, avouons-le, constitue trois titres de gloire dans l'État maastrichtien en général et, en particulier, dans la France, l'une de ses provinces depuis 1992. Lui qui a été élève à Neuilly, est diplômé de l'Institut d'études politiques de Paris, puis du Centre de formation des journalistes de Paris, qui a travaillé à Europe 1, au Nouvel Économiste, à L'Expansion, à Challenges, à L'Événement du jeudi de JFK aussi, qui accumule les jetons dans les conseils d'administration, comme la FNAC, qui a créé une boite de consulting, cet homme, donc, est aussi président d'un Observatoire de l'élection présidentielle - prière de ne pas rire... Il a été giscardien en 1974 - et n'a cessé de l'être depuis cette date...   

    Quelle morgue ! Quelle arrogance ! Quelle suffisance d'affirmer que le peuple est inculte, abruti, obtus, alors qu'il comprend très bien qu'on le tond depuis des années et qu'il ne le veut plus ! En 2005, lors de la campagne contre le non au Traité européen, j'ai assisté à des réunions publiques où des gens simples et modestes qui ne sortaient pas de l'école de Neuilly, qui n'avaient pas usé leur fond de culotte à l'IEP ou au CFJ, qui n'avaient pas dirigé des journaux économiques libéraux, avaient sur les genoux ce fameux traité annoté, souligné, surligné, stabiloté : ils en avaient très bien compris les tenants et les aboutissants. A l'époque, ils ne voulaient pas être mangés à cette sauce-là. Ils ont donc massivement dit non. Des gens comme Legendre et autres giscardiens de droite et de gauche, dont les socialistes, le leur ont tout de même fait manger de force ce brouet. Mais cette fois-ci, les gilets-jaunes le disent dans la rue : ils ne veulent plus de ces gens, de leurs idées populicides, de leur monde dont Alain Minc dit qu'il est « le cercle de la raison », alors qu'il est bien plutôt le cycle de la déraison. 

    Avec les gilets-jaunes, je prends une leçon : ce peuple que des années de politique éducative et culturelle libérale ont essayé d’abrutir, d’hébéter, d'abêtir, de crétiniser, ce peuple abîmé par des décennies d'école déculturée, de programmes télévisés décérébrés, de productions livresques formatées, de discours propagandistes relayés de façon massive par une presse écrite, parlée, télévisée aux ordres, ce peuple gavé comme des oies à la télé-réalité et à la variété, à la religion du football et à l'opium de la Française des jeux, ce peuple-là, celui dont j'ai dit un jour qu’il était le peuple old school et que je l'aimais, ce peuple: il pense. Et il pense juste et droit. Bien mieux que Macron, dont il est dit qu'il fut l'assistant de Paul Ricœur, et sa cour ou ses élus godillots.    

    On entend peu, très peu, pour ne pas dire pas du tout, le peuple new school jadis célébré par Terra Nova. Quand il parle, c'est plutôt d'ailleurs pour dire son soutien, donc sa collusion, avec les gens du système honni par les gilets-jaunes - voyez l'emblématique Mathieu Kassovitz qui tweete : « le peuple qui se bat pour protéger son confort je ne l'aime pas » (25 novembre 2018) - « protéger son confort », quand on est smicard ou à peine !  

    Sinon, ils sont bien silencieux les gens du show-biz, du cinéma, de la littérature, de la chanson, eux qu’on voit si souvent dans les médias pour combattre la faim et la misère, avec des majuscules, pourvu qu’on ne les oblige pas à prendre parti pour les faméliques et les miséreux, avec des minuscules, qui vivent au pied de chez eux... Ce retour de l'ancien peuple qui fait l'Histoire et souhaite dégager le vieux monde - le faux projet avoué de Macron - me donne le sourire. 

    Michel Onfray

  • Culture • Loisirs • Traditions

    Ce visuel est destiné à marquer l'unité des articles du samedi et du dimanche, publiés à la suite ; articles surtout culturels, historiques, littéraires ou de société. On dirait, aujourd'hui, métapolitiques. Ce qui ne signifie pas qu’ils aient une moindre importance.  LFAR

  • Médias & Actualité • Le général chez les polissons

    par Claude Wallaert 

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    Qu’est-ce qu’un chef ? 

    L’autre jour, j’ai eu très peur en découvrant que le général Pierre de Villiers avait accepté de paraître à l’émission « On n’est pas couché », pour présenter son nouveau livre Qu’est-ce qu’un chef ? édité chez Fayard. Qu’allait-il faire dans cette galère ? Sûrement, il allait subir les questions idiotes habituelles, des plaisanteries anti-troupières éculées et les ricanements énervés du polisson en chef, Laurent Ruquier, sans compter les applaudissements serviles du public sélectionné.

    Par sympathie pour le général, j’ai quand même regardé l’émission. Eh bien, j’ai très vite dû, et agréablement, faire in petto amende honorable. En effet, à ma grande surprise, les polissons se sont bien tenus ! Le chef a en effet ricané, mais gentiment, et il a dirigé l’émission en vrai professionnel, Christine Angot, qui exceptionnellement arborait un sourire aimable, posait de bonnes questions et écoutait les réponses avec attention ; et son comparse Charles Consigny, qui remplace avantageusement le sinistre Yann Moix depuis la rentrée, a été remarquable de pertinence et de courtoisie !

    images.jpgMais le plaisir que j’ai pris est surtout dû à la prestation de Pierre de Villiers qui, dans cette ambiance favorable, a pu donner la pleine mesure de son charisme, faire partager son immense expérience de chef et exprimer en toute liberté les solides convictions qui sont les siennes.

    J’utilise le mot « charisme », car quel a été le message de Pierre de Villiers ? Pendant près d’une heure il a parlé, tantôt avec le sourire, tantôt avec gravité, souvent avec passion, de choses croyais-je dénigrées ou pire encore ignorées aujourd’hui, telles que les notions d’ordre, de discipline, de cohésion, de sens du groupe… Il est vrai qu’il ne les séparait pas dans son discours des valeurs de confiance, de fraternité et de l’expression heureuse du respect infini des personnes, quelles qu’elles soient, qui est le sien. Il a su dire avec des mots simples combien il aime la jeunesse et convaincre de sa sincérité, montrant qu’il ne fait pas acception de personnes, car il voit d’abord en elles leur potentiel de don d’elles-mêmes. Il n’a pas employé le mot subsidiarité, mais son éloge de la confiance à accorder par le chef et de l’obéissance d’amitié relevait parfaitement de cette notion… d’essence chrétienne !

    Je crois aussi que ce qui a impressionné à juste titre son auditoire, c’est la présence d’un grand professionnel, dont personne ne doute de la loyauté et du désintéressement ; en effet, lorsque Villiers parle de la réalité du combat, des menaces qui pèsent sur nous, des conséquences humaines des sauts technologique tels que les cyber-attaques et l’apparition des drones sur le champ de bataille, personne ne songe à ergoter, tout le monde écoute.

    villiers-20170721 (1).jpgEnfin, l’auditoire a été visiblement touché par l’évocation du brusque départ du général au lendemain du 14 juillet 2017 : l’image rappelée de la haie d’honneur spontanée et silencieuse de deux cents militaires et civils, le saluant du regard à sa sortie du Centre de Coordination des Opérations après l’annonce de sa démission, a suscité une sincère émotion sur le plateau.

    Cette émission a eu le mérite de donner la parole à un homme généreux, passionné et en pleine possession de ses moyens, qui, après avoir accompli une brillante carrière, ne demande visiblement qu’à servir encore notre patrie : plaise à Dieu que cette compétence, cette disponibilité et cette chaleur humaine trouvent à s’employer au meilleur niveau !   

  • Patrimoine cinématographique • La vie est un miracle

    Par Pierre Builly

    La vie est un miracle d’Emir Kusturica (2004)

    20525593_1529036520490493_4184281983923317414_n.jpgLe bouillonnement de la vie

    Musulman bosniaque (c'est-à-dire classé parmi les Slaves islamisés au 15ème siècle par l'Empire Ottoman), Emir Kusturica, s'est converti à l'Orthodoxie et a rejoint la Serbie en 2005, un an après La vie est un miracle, moins, sans doute en référence à  d'anciennes origines ethniques que pour marquer son désespoir de voir disparaître la Yougoslavie, mosaïque de peuples difficilement constituée au lendemain de la Première guerre mondiale et qu'il estimait, à tort ou à raison, comme un rempart utile contre les haines ancestrales. 

    Ce désespoir était déjà le sujet d'Underground, en 1995, fresque burlesque triste qui voyait la dissociation d'une utopie constructrice. La vie est un miracle est un film où transparaissent à la fois l'amertume et l'espérance. La leçon que les Occidentaux en pourraient tirer est que la pire des solutions est d'aller traîner des guêtres otaniennes étasuniennes dans des pays dont la complexité est très au delà de la pensée unique des stratèges de Washington. 

    Emir-Kusturica.jpgCeci posé, le film est admirable de verve, de musique et de couleurs. La ménagerie habituelle de Kusturica (photo) y est omniprésente : dans les deux premières minutes, apparaissent un âne, des moutons, chevaux, oies, poules, chiens ; les ours sont là à la cinquième minute ; et à peine plus tard des souris, des dindons, des oiseaux... On y joue au football, on y boit du slivovitz, on y trafique de tout et de rien : à tout bout de champ des orchestres de cuivres déferlent, les canailles respirent, littéralement, des rails de coke (pour se rendre compte de combien est exact ce littéralement, il faut regarder la séquence, effarante) et, par téléphone satellite, appellent d'invraisemblables numéros rose profond avant d'être explosés à coup de roquette. On y danse frénétiquement à la belle étoile, on chasse l'ours dans des étendues enneigées, on s'y repaît de moelle de mouton directement curée dans l'os avec les doigts.... 

    La-vie-est-un-miracle-Emir-Kusturica.jpgJoyeux capharnaüm ? Évidemment ! Folie furieuse triste et gaie, émouvante et grotesque, histoire d'amour improbable et presque massacrée, porteuse d'avenir. Tout cela avec une allure, un rythme trépidant, chaleureux, terriblement attachant. 

    Grand beau film, qui va à contre-courant des idées reçues, en Occident décérébré, sans mémoire et sans culture, toujours profond, jamais pesant, porté par des acteurs en état de grâce aux patronymes inconnus et au talent remarquable, La vie est un miracle, malgré sa longueur (2h30) ne cesse d'éblouir par la grâce des images, la fraîcheur des sentiments, les lueurs d'espérance. 

    Ce délire tendre, ce sourire jusque dans les pires moments de l'Histoire et de la vie, c'est vraiment la beauté inaltérable de l'âme slave...Le trop critiqué Barbier de Sibérie du grand Nikita Mikhalkov éclairait la force et l'appétit de vie des Slaves du Nord ; la force et la joie de vivre des Slaves du Sud - des Yougo-Slaves - c'est Emir Kusturica qui nous la rappelle... 

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    DVD autour de 12 € .

    Retrouvez l'ensemble des chroniques hebdomadaires de Pierre Builly sur notre patrimoine cinématographique, publiées en principe le dimanche, dans notre catégorie Culture et Civilisation.