Visuel La Couronne
Jusqu’il y a peu, on appelait « prétendant » celui qui aspirait à la main d’une femme – et « soupirant » celui qui en était amoureux. En politique, prétendre à la couronne de France suppose un grand amour pour elle, tant la belle semble lointaine. Semble seulement, car la duègne républicaine qui la tient en tutelle est, aux dires éplorés de ses partisans eux-mêmes, assez mal en point.
N’empêche, la situation de prétendant est aléatoire, incommode, compliquée. Il nous a paru utile, et instructif, de nous pencher sur ses principales caractéristiques, ses inconvénients et avantages tant psychologiques que sociaux, ses chances, ses probabilités, et ses sortes de réussite.
Être prétendant, c’est assumer un fait de naissance qui vous désigne roi virtuel d’un pays, d’un peuple et, de toutes façons, continuateur réel d’une lignée éminente. La virtualité est plus ou moins virtuelle selon le degré de probabilité de la résurgence de la royauté, mais pas seulement. La renommée de la lignée, principal héritage social, donne matière, plus ou moins dense, à cette virtualité. La densité exceptionnelle de l’histoire de la royauté en France, exceptionnelle au point que la désinformation systématique, scolaire et médiatique, n’est pas parvenue à la réduire complètement, confère à l’héritage virtuel un poids réel. Ainsi donc, lorsqu’elle est fondée sur l’impressionnante histoire d’une dynastie millénaire et – phénomène plus exceptionnel encore – continûment nationale, lorsqu’elle est peu ou prou soutenue par un inconscient collectif encore vivace, la prétendance est une fonction fort singulière certes, mais inéluctable, inépuisable, qui coule de source.
Comment la définir ? D’abord par ce qu’elle n’est pas. Elle n’est ni un métier, ni un emploi professionnel reconnu. Ce serait plutôt une activité libérale, non rémunérée, de représentation patrimoniale et de communication politique non institutionnelle, assurée par une sorte de droit coutumier. C’est une fonction de représentation patrimoniale en ce que son détenteur incarne la richesse d’un immense passé et une part de l’imaginaire français. À l’heure du devoir de mémoire et de la quête fervente des ascendants familiaux, c’est une fonction généalogique et invocatrice. Le piège serait de la confiner à celle de gardien de musée, alors que son objectif est de rendre ce passé présent, vivant, attractif et porteur d’avenir. Concrètement, cette fonction consiste, entre autres, à participer à des cérémonies, à honorer des manifestations internationales, nationales, régionales. C’est aussi une fonction de communication politique, originale de par la position de celui qui l’exerce, à la fois à l’écart des jeux politiciens et intimement concerné par la vie et le destin d’un pays auquel peu de dirigeants peuvent s’identifier autant que lui.
Mais élevé pour le servir par son règne, comment le servir quand on ne règne pas?
Les marges de manœuvre d’un prétendant sont à la fois considérables et très restreintes. Considérables puisque la fonction n’est définie par aucune constitution, réglementation, obligation stricte de résultats. Restreintes parce que la charge d’un legs historique sacralisé – en tout cas vécu comme très précieux -, embarrasse l’initiative. En outre ses partisans comme ses adversaires attendent de l’homme qu’il soit à la hauteur du mythe qu’il incarne ! Ce qui n’est pas une mince affaire…
Même vis-à-vis des royalistes et royalisants, le prince ne détient qu’un certain pouvoir symbolique – et passablement énigmatique – d’influence. Sans eux, il ne peut guère agir ; avec eux seuls, il ne peut réussir. Entre ceux qui, au fond aimeraient l’enfermer dans une sorte de reliquaire et ceux qui le pressent de foncer à tout-va, sa position n’est pas aisée. Mais on n’est pas prétendant pour ses aises ! Fonction, oh combien ingrate et captivante ! Captivante en un double sens : elle tient captif tout en étant passionnante. Captivité due à un fait de naissance auquel le dynaste ne peut (presque) rien, à part se dérober avec lucidité ou embarras. Passion due au fait d’une identité incorrigible, d’une raison d’être sublime, trop peut-être, d’une image de marque exigeante, d’une position sociale bien particulière, à vrai dire tout à fait unique.
Citoyen ordinaire en République, mais pas complètement car tenu à l’œil l’air de rien – et individu extra-ordinaire dans l’imaginaire de ses concitoyens, soient-ils hostiles ou sympathisants, le prétendant pâtit et jouit de cette ambivalence. Car, présentement, la fonction ne comporte pas que des inconvénients. Les bénéfices secondaires, psychologiques et sociaux, ne sont pas minces. Être entouré de fidélités sincères et d’animosités constantes, recevoir quantité de signes de reconnaissances positifs et négatifs, voilà qui est royal ! Son état lui ferme des portes, mais lui en ouvre d’autres, et sans doute davantage. Il est à même, pour peu qu’il le veuille, grâce à ses relations et aux connivences les plus inattendues de la part de gens en principe opposés, de visiter et connaître son pays de fond en comble, ses entreprises, ses laboratoires, ses associations, ses institutions, ses écoles et académies, ses armées…
Quant aux ouvertures sur l’Europe et le grand large, elles sont, pour un capétien, à portée de main. Dans tous les pays où la France, par son histoire, a marqué le destin d’un peuple, ou d’une élite, ou d’une minorité, le prétendant ressent de mystérieuses et troublantes accointances, qui sont le plus souvent parfaitement perçues par les interlocuteurs qu’il y rencontre. Enfin l’identification à une lignée et à une nation riches de drames, de réalisations, de gloires, de mémoires douloureuses ou consolantes, si elle peut être écrasante, est aussi parfaitement exaltante, transcendante. Toute promue qu’elle soit par des actifs historiques, sa fonction s’exerce en pleine actualité. Elle adresse un joyeux pied-de-nez à sa suffisance la modernité. Il faut vivre avec son temps, dit le perroquet. Nous sommes avec le temps, dit le prince. ■
Bernard Lhôte,
« La Prétendance », aux éditions « Compagnie d’Artagnan et Planchet »