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bainville - Page 4

  • 6 août 1914 ... La confiance est générale

    soldat%20francais%201914.jpgLa confiance est générale. Lea antimilitaristes d'hier sont les premiers à réclamer un fusil.

    - En quoi cet enthousiasme-là n'est il pas capable de se transformer ? demande sagement Lucien M...

    On continue à faire confiance à tout ce qui effrayait hier. La bourgeoisie admire Gustave Hervé, que l'assassinat de Jaurès, disent les mauvaises langues, a rendu patriote. Albert de Mun pleure d'attendrissement devant le patriotisme de la Chambre. Il appelle la journée parlementaire de mardi, le "jour sacré". Quand on connaît la coulisse, il faut en rabattre. Hier, Bernard de Vesins était à la réunion du syndicat de la presse parisienne. Clemenceau ne veut déjà plus admettre que l'autorité militaire contrôle les épreuves des journaux, établisse une censure de salut public.

    - Mais c'est la loi que nous avons votée hier au Sénat, a objecté Henry Bérenger.

    - Cette loi que j'ai votée, je jure d'être le premier à lui désobéir, a répondu Clemenceau, qui veut pouvoir continuer à faire de l'opposition, à renverser des ministères.

    A-t-on cru sérieusement que la France guérirait en quarante-huit heures de son anarchie ?

     

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  • 5 août 1914, l'Angleterre s'est décidée

    WWI-SirEdwardGrey.jpgL'Angleterre s'est décidée : ce n'est pas sans que nous ayons passé vingt-quatre heures d'anxiété mortelle. Lundi, au Parlement, sir Edward Grey n'avait pas été très catégorique. On sentait une hésitation chez les ministres, une résistance dans la majorité radicale des Communes, une indifférence dans l'opinion. La violation de la neutralité belge a tout emporté en donnant à l'Angleterre le plus puissant des motifs pour déclarer la guerre à l'Allemagne. Car l'Angleterre sera la seule des puissances de la Triple Entente qui ait envoyé un ultimatum à l'Allemagne, tandis que la Russie et la France en ont reçu chacune un...

    Le propre de cette guerre, c'est qu'elle sera soutenue, du côté anglais et du côté français, par des gouvernements non seulement pacifiques, mais pacifistes, c'est-à-dire doctrinalement persuadés que la phase guerrière était close dans l'histoire de l'humanité. Du côté ennemi, c'est un état militaire dont toutes les forces sont tendues vers la préparation de la guerre. Comment les conséquences d'un conflit éclatant entre deux conceptions, deux mécanismes politiques aussi différents, n'alarmerait-il pas ceux qui observent, ceux qui réfléchissent, ceux qui savent ? Et nous, nous disons que toutes les guerres européennes pour l'équilibre et contre la suprématie d'une puissance auxquelles l'Angleterre a été mêlée se sont étendues sur une durée considérable. Moins l'Angleterre est préparée à frapper un coup décisif, plus le conflit menace de durer, et de durer à nos dépens : car, en France, tout le monde sert. La France n'a pas pour se protéger contre l'invasion le "ruban d'argent", le magique anneau des mers qui protège le Royaume Uni...

    En France, tout est pour le mieux et le patriotisme a surgi de toutes parts... Le gouvernement a une attitude honorable. Il se tient aussi bien que possible. Le message de Poincaré n'a pas paru tout à fait assez chaleureux. L'expression en est terne.

    Le public attendait des paroles qui fussent à l'unisson de son bel enthousiasme. Mais ce sont des jurisconsultes, des hommes de bureau qui lui parlent, et au nom de quoi élèveraient-ils le ton ?... Nos homme d'Etat s'efforcent d'imiter le flegme et la tenue du parlementarisme à l'anglaise. Combien de temps cela durera-t-il ? Hier, à la Chambre (anniversaire de la nuit du 4 août), il y a eu réconciliation enthousiaste, communion de tous les partis. Mais, dans les coulisses, les partisans s'agitent, prononcent l'exclusive contre tels et tels. C'est ainsi que la reconstitution d'un grand ministère avec Delcassé, Léon Bourgeois, Briand, etc a échoué. Peut-être cela est-il meilleur : ces grands chefs se fussent dévorés entre eux...

    Au ministère de la Marine, la nomination d'Augagneur produit le plus mauvais effet. "Est-ce une plaisanterie ?" a demandé à pleine voix à travers le téléphone un haut fonctionnaire de la rue Royale à qui on apprenait le nom du nouveau ministre...

    Tout ce qui n'est pas mobilisé cherche à s'engager, à se rendre utile pour la durée de la guerre. Qui n'est pas soldat a le sentiment d'une diminution, d'une sorte de honte. Du reste, il n'y a  rien à faire pour la moment. Aux plus impatients, on offre de renforcer la police de la banlieue. Il faut laisser la mobilisation se faire sans trouble. Elle s'annonce bien, et le déchet (insoumis, déserteurs) est inférieur à toutes les prévisions : 6 pour cent au lieu de 20 pour cent régulièrement prévus, annonce-t-on. Les hommes ne manquent pas.

    J'ai rencontré X..., qui, malgré ses cheveux blancs et les années, a gardé l'élégance et la politesse d'un homme du monde qui  a vu le second Empire. Ce vieux Parisien tient à rester à Paris quoi qu'il arrive. Son héroïsme à lui, ce sera de ne pas quitter sa ville.

     

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  • 4 août 1914 : "Je fixe brièvement les grandes étapes des journées qui ont précédé la guerre"

    415px-F%C3%BCrst_von_B%C3%BClow.jpgLe 20 juin, accompagné de Jules Delahaye, je prononçai à l'Athénée de Bordeaux un discours que je puis résumer en ces termes :

    "Il y a deux partis en Allemagne : celui des politiques qui pensent que le temps travaille pour l'Empire, que la France se décompose et perd chaque année une bataille; et celui des impatients qui, à l'exemple du général de Deimling, se déclarent "las de tirer "à blanc". Il y a ceux qui veulent manger l'artichaut français feuille à feuille (système d'Agadir et du Congo) et ceux qui veulent le manger d'un seul coup. Ce second parti gagne en force tous les jours. Bismarck avait dit : "Laissons les Français "cuire dans leur jus". La question est de savoir si les successeurs de Bismarck n'estiment pas que nous sommes parvenus à ce degré de cuisson auquel il convient de  servir le rôti."    

    Aujourd'hui 4 août, je suis hanté par mes propre paroles. Trop bon prophète quant à la guerre, puisque l'ambassadeur d'Allemagne a demandé hier ses passeports, il y a des moments où je redoute d'avoir prédit aussi juste quant à l'issue de la guerre.

    Dans un livre qui vient de paraître en Allemagne et dont on a publié la traduction française quinze jours avant les hostilités, le prince de Bülow (l'ancien chancelier devenu prince depuis le coup de Tanger et "l'humiliation sans précédent") a inséré cet axiome : "Tout Etat doit être dirigé dans toutes ses parties comme si, demain, il devait avoir une guerre à soutenir."

    L'Etat français a-t-il été dirigé dans toutes ses parties comme s'il devait avoir la guerre le lendemain ?

    Voilà la grande expérience que nous allons faire.

    Avant de noter mes impressions au jour le jour, je fixe brièvement les grandes étapes des journées qui ont précédé la guerre.

    Le jeudi 23 juillet, l'Autriche envoyait son ultimatum à la Serbie. L'intervention de la Russie devenait aussitôt certaine. Tout le monde se demandait :

    - Est-ce la guerre ?

    Je répondais :

    -Nous n'en sommes séparés que par l'épaisseur d'une feuille de papier, la feuille sur laquelle s'écrivent les dépêches d'Ems.

    C'était encore trop optimiste puisque, cette guerre, l'Allemagne l'a préméditée, l'a voulue et n'a même pas pris la peine de créer un prétexte sérieux pour la faire.

    L'Allemagne était convaincue que la France ne marcherait pas. Cette certitude l'aura emporté sur les hésitations de Guillaume II. J'écris depuis six ans (depuis l'annexion  de la Bosnie par l'Autriche) que la division de l'Europe en deux groupes de puissances armées jusqu'aux dents, et dont l'un, celui de la Triplice, recourt en toute circonstance à l'intimidation, ne peut manquer d'amener une des plus grandes guerres européennes que l'on ait vues depuis les temps révolutionnaires. Nous y sommes... 

    L'illusion générale est que tout sera fini dans deux mois, trois au plus. On se donne rendez-vous pour la fin d'octobre, - au plus tard. Les officiers, -tel G..., avec qui j'ai déjeuné dimanche et bu à la victoire - sont convaincus qu'ils partent pour une campagne d'été. Les chefs les ont prévenus que le commencement serait dur, qu'il faudrait reculer d'abord, mais qu'après dix ou quinze jours nous reprendrions la marche en avant. Dans le public, chacun s'attend à la prise de Nancy dans les premiers jours de la campagne et nul n'en sera ému...

    Croire à la brièveté de la guerre, c'est peut-être encore une façon de ne pas croire à la guerre, une autre forme d'une incrédulité presqu'universellement répandue en France et qui, devant le fait accompli, s'attache à une dernière espérance. Les guerres modernes mettent trop de monde en action pour pouvoir durer, les Etats seront trop vite épuisés et ruinés, les intérêts souffriront trop, les peuples mettront fin à la folie des gouvernements...

    Ces raisons qu'on invoquait hier contre la possibilité d'un grand conflit européen, on les élève aujourd'hui en faveur d'une paix rapide...

    Cependant, pour l'observateur, il s'agit plutôt d'une guerre de sept ans que d'une guerre de trois mois. C'est la reprise de la lutte pour l'équilibre que l'Europe a vu renaître de siècle en siècle, la lutte contre l'empire de Charles-Quint. Et puis, pour qui connaît la puissance militaire de l'Allemagne, comment croire qu'elle sera brisée en six semaines ? N'est-ce pas l'assurance de posséder une force unique dans l'histoire qui pousse Guillaume II aux plus imprudentes provocations ?...

    Mais il convient, surtout à ceux qui ne partent pas, de taire et de cacher ces pensées...

     

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  • 3 et 4 août 1914, la vie est suspendue au télégraphe...

    albert1er-roi-des-belges.jpgLa vie est suspendue au télégraphe...

    L'ultimatum allemand à la Belgique est un coup de tonnerre : l'Allemagne veut donc exécuter cette invasion par le Nord, tant de fois prédite, annoncée par ses propres stratèges et à laquelle peut-être, en France, malgré tant d'avertissements, on n'aura pas assez cru...

    Le noble refus opposé par la Belgique à la demande de passage de Guillaume II exalte l'enthousiasme et fortifie la confiance. C'est une des grandes choses de l'l'histoire. On le sent, grâce à Albert 1er. La France, cette fois-ci, n'est pas seule, Et puis, la Belgique envahie, le concours des Anglais, plus que douteux hier, devient presqu'assuré.

     

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  • Nous commençons aujourd'hui la mise en ligne du Journal inédit de l'année 14 de Jacques Bainville

    338418280.jpgQuelques mots seulement pour signaler que nous commençons aujourd'hui la mise en ligne du Journal inédit de l'année 14 de Jacques Bainville.

    Ainsi pourrons-nous suivre, presque chaque jour, le déroulement de cette première année de la Grande Guerre, telle que Bainville l'a vécue, observée, analysée, au jour le jour, au fur et à mesure des évènements.

    A partir du 2 août, les notes de Bainville sont quasiment quotidiennes. (A l'exception du 14 et du 27 pour ce qui est d'août). Elles se poursuivront - au moins - jusqu'au 31 décembre. Nous conseillons vivement de les lire au jour le jour, comme elles furent écrites. 

    Signalons encore qu'en 1914 Bainville est un homme jeune. Il a trente-cinq ans.

    Le Journal inédit (1914) a été publié chez Plon, en 1953

  • 2 août 1914 : Notes liminaires de Jacques Bainville, en introduction au "Journal inédit 1914"

    de_schoen.jpgLe vendredi 24 juillet, la France était occupée par le drame le plus saisissant de toutes nos guerres civiles depuis l'affaire Dreyfus : la Cour d'assises jugeait Mme Caillaux (1). Innombrables furent les Français qui lurent distraitement ce jour-là une dépêche, reproduite en caractères ordinaires dans les journaux et qui annonçait que le gouvernement austro-hongrois avait décidé d'envoyer un ultimatum au gouvernement serbe (2)

    Le gouvernement n'était ni moins distrait ni moins ignorant que le public, puisque M. Poincaré et M. Viviani se trouvaient en Russie (3)...

    Pendant les journées qui suivirent, la France, avec une stupéfaction mélangée d'incrédulité, vit le conflit austro-serbe prendre les proportions d'une immense affaire  européenne qui, en faisant jouer toutes les alliances, conduirait directement à la guerre.

    On douta jusqu'au dernier moment. Le 1er août encore, en ordonnant la mobilisation générale, le gouvernement affichait sur les murs : "La mobilisation n'est pas la guerre." Un petit avoué de province, ancien Garde des Sceaux, du nom de Bienvenu-Martin, qui faisait l'intérim des Affaires étrangères en l'absence de Viviani, avait si peu compris la démarche comminatoire de M. de Schoen, ambassadeur d'Allemagne, qu'il remerciait "M. le baron de son aimable visite". Il avait fallu que le spirituel Philippe Berthelot (4), qui assistait le vieillard effaré, lui poussât le coude pour l'avertir de l'erreur, lui faire comprendre que M. de Schoen était aimable comme une patrouille de uhlans. Au Quai d'Orsay, les fonctionnaires, renseignés, s'étonnaient de l'indifférence de la presse, multipliaient les avis que la situation n'avait jamais été aussi grave, qu'elle était désespérée.

    Le jeudi soir, une manifestation socialiste contre la guerre n'éveilla, ni pour ni contre, presqu'aucun écho. Ce fut le vendredi seulement, à la nuit, que l'on commença de comprendre que les choses se gâtaient. 

    Ce jour-là, à 9h45, comme je venais d'être informé que les Allemands avaient fait sauter les ponts et coupé les voies entre Metz et la frontière, je m'étais rendu au Télégraphe de la Bourse. Je sortais du bureau déjà encombré et bruissant, lorsqu'un homme dit rapidement en passant près de moi :
    - Il se passe quelque chose de très grave : Jaurès vient d'être assassiné.
    - Où, et quand , demandai-je à l'inconnu.
    - Au Café du Croissant , il n'y a pas dix minutes.

    Le Café du Croissant, dans la rue du même nom, la rue des journaux, est à cinquante mètres de la Bourse.
    Je m'y rendis en courant.
    C'était vrai : Jaurès dînait avec quelques rédacteurs de l'Humanité, lorsqu'un inconnu, par la fenêtre ouverte, lui avait tiré deux coups de révolver dans la nuque.
    Déjà la rue Montmartre était pleine d'une foule agitée et murmurante que les charges des agents ne parvenaient pas à disperser.
    On eut à cet instant l'illusion qu'un mouvement révolutionnaire commençait.
    La journée avait été chaude, la soirée était étouffante.
    Ce sang répandu, cette guerre civile surgissant après les secousses données aux nerfs de Paris depuis quatre jours, tout faisait redouter le pire...
    Allons-nous voir une Commune avant la guerre ?
    L'ennemi aurait-il cette satisfaction ?...

    L'auteur de cet assassinat - un jeune homme inconnu (5) - était-il un exalté, un fou ou un agent provocateur ? 
    L'enquête a prouvé que c'était un solitaire qui ne se réclamait d'aucun parti ni même d'aucune idée politique précise.
    Tuer Jaurès au moment où la politique de Jaurès s'effondrait, au moment où sa conception internationaliste et pacifiste du socialisme s'abimait dans le néant, au moment où de toute sa pensée, de toute sa carrière d'orateur, la brutalité des faits ne laissait rien, au moment où la responsabilité de l'homme public de ce temps rempli d'erreurs commençait à n'être plus un vain mot, au moment aussi où il importait à l'esprit public que la France conservât tout son calme oubliât ses divisions - tuer Jaurès c'était plus qu'un crime, c'était une faute.
    La suite nous a appris les calculs et les espérances que Berlin avait fondés sur cet assassinat : dès le lendemain, les journaux allemands répandaient à travers l'Empire, en Autriche et jusqu'en Orient, la nouvelle que le drapeau rouge flottait sur Paris et que le président de la République avait été assassiné.
    Mais il était dit que, dans cette guerre, toutes les machinations allemandes devaient avorter misérablement.
    Deux heures après l'assassinat de Jaurès, Paris était redevenu calme, avait remis ce tragique épisode à sa place.
    Chacun, en cherchant le sommeil, évoquait non pas le drame du Café du Croissant, mais les dépêches des chancelleries et des états-majors courant à travers toute l'Europe les fils télégraphiques décidant de la paix ou de la guerre: déjà personne ne doutait plus que ce fut la guerre. Devant la grande tragédie européenne, l'assassinat de Jaurès s'effaçait, ne gardait plus que la valeur d'un fait divers.

    Cependant le gouvernement tenait conseil. Transfuge du socialisme unifié par scepticisme, Viviani s'était mis tout à coup à croire à la révolution, à en avoir peur. Il passa la nuit à rédiger une proclamation au peuple français pour le supplier de rester calme, promettant que l'assassin de Jaurès n'échapperait pas au châtiment. Le président Poincaré, dans le même temps, écrivait une lettre publique à Mme Jaurès, et Maurice Barrès, sollicité au nom de la patrie de collaborer à la cause de l'apaisement, en adressait une autre à la fille de la victime (6).

    Le lendemain matin, la proclamation était affichée sur les murs de Paris, les journaux publiaient les deux lettres destinées à conjurer la révolution. Mais qui donc eût pensé à la Commune ? Jaurès fût mort d'une congestion ou d'un accident de voiture qu'on n'en eût pas parlé davantage. Tous les hommes valides étaient sur le point de répondre à l'ordre de mobilisation, et la seule question était de savoir si, oui ou non, c'était la guerre.

    Une chose paraît étrange quand on se reporte à ces journées suprêmes, c'est la difficulté avec laquelle l'esprit acceptait que c'était la guerre... La guerre ? Tout le monde en parlait. Combien se la représentaient, acceptaient d'y croire ?

    Depuis six jours, j'étais averti qu'au Quai d'Orsay on savait l'Allemagne résolue à la guerre, qu'on s'y étonnait de l'optimisme des journaux. Cependant cet optimisme était entretenu par les hommes du gouvernement. Y avait-il à ce point séparation, divorce entre les services ? L'Intérieur - et la Guerre aussi, peut-être - ignoraient donc ce que faisaient, ce que pensaient les Affaires étrangères ? Du Quai d'Orsay à la place Beauvau et à la rue Saint-Dominique, la distance était-elle si grande ?   

    Cependant, le mercredi 29 juillet, à sept heures du soir, on était venu nous dire que tout s'arrangeait; que l'Allemagne mettait cartes sur table et demandait le moyen de s'entendre; que le secrétaire de M. Briand ne se cachait pas d'en répandre la bonne nouvelle. D'autre part - côté autrichien - on nous avisait que l'Autriche hâtait son entrée en campagne de façon à pouvoir exercer rapidement une action "punitive" à Belgrade et se déclarer contente d'une satisfaction d'amour-propre remportée sur la Serbie. Dans cette contradiction réside la grande énigme de ces journées.  

    Ainsi le public voyait monter l'orage avec un arrière-fonds d'incrédulité. Mais quoi ? Le samedi 1er août dans la matinée, M. de Schoen ne négociait-il pas encore ? Il tentait sans doute de faire pression pour tenter d'obtenir la neutralité de la France. En tout cas, derrière le paravent des pourparlers, il donnait à l'Allemagne le temps de hâter ses préparatifs. A je ne sais quoi de lourd, d'angoissant et de mystérieux qui pesait dans l'air, on sentait l'arrivée de la grande catastrophe.

    A midi, on apprenait à la fois, par les journaux, la proclamation du Kriegsgefahrzustand (état de danger de guerre) en Allemagne et la remise d'un ultimatum allemand à la Russie. En France, des mesures militaires étaient certainement ordonnées déjà, car Paris se vidait étrangement, et, comme s'il eût perdu son sang goutte à goutte, de ses hommes, de ses voitures, de son mouvement. Dans le silence croissant de la ville, on entendait les portes du temple de Janus s'ouvrir lourdement sur l'Europe.   

    Je reverrai toujours le papier blanc officiel qui, vers 4 heures, parut au bureau de poste le plus voisin de ma maison et qui, au même instant, porté par le télégraphe, parcourait toute la France. Le laconisme en était tragique : "Extrême urgence. La mobilisation générale est ordonnée; le premier jour de la mobilisation est le dimanche 2 août." Ce télégramme officiel est resté longtemps sur les murs des mairies et des gares. Ceux qui ont vécu ces journées n'ont jamais pu en évoquer les termes dans leur souvenir sans penser : "Voilà les quelques mots si simples et si terribles qui ont décidé de la vie de milliers et de milliers d'hommes, la carte sur laquelle la nation jouait son sort."

    Comme si Paris n'eût attendu que ce signal, on s'aperçut soudain que la solitude s'était faite dans la grand'ville. Les voitures publiques avaient disparu, les boutiques s'étaient fermées. L'accomplissement rapide de la tâche fixée à chacun sur son livret militaire venait de nous donner immédiatement confiance dans l'organisme souple et rapide de la mobilisation. Des femmes, les yeux rouges, mais la tête droite, rentraient seules au logis désert. Une heure plus tard, nous traversions la gare Saint-Lazare pleine d'une foule de réserviste en route pour leurs dépôts. Je ne sais quelle détermination calme se lisait sur tous les visages. Henry Céard nous a cité ce mot d'un ouvrier parisien à qui l'un de ses camarades venait d'apprendre, comme il était en plein travail, que la mobilisation était ordonnée :

    - C'est bon, dit l'autre. On va prendre ses outils.

    Ce fut, ce jour-là, le mot du Paris travailleur, de tout le peuple de nos champs et de nos villes...

    Une des grandes fautes que l'Allemagne avait commises entre tant d'autres, ç'avait été de pousser à bout le peuple français. Depuis neuf ans - depuis le coup de Tanger (7), en 1905 - les provocations avaient été si nombreuses, si insolentes, qu'elles avaient fini par donner aux plus timides, aux plus doux, à cette population française qui ne demandait qu'à vivre tranquille, une ferme résolution de ne plus supporter le retour d'affronts pareils. Cette résolution était presque devenue de l'envie d'en finir. Avec ce mot sur les lèvres : "Il faut en finir", deux millions d'hommes, dans ces journées du mois d'août, allèrent rejoindre leur dépôts.

    Le soir de ce samedi 1er août, dans le grand silence de la ville, fut solennel. Paris, cette nuit-là, eut sa veillée des armes...  

     

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  • Et pourquoi pas Bainville dans La Pléiade ?...

               Le 22 janvier 2010, Raphaël Stainville publiait, dans Le Figaro Magazine, un très intéressant article sur la collection de La Pléiade, justement nommée "bibliothèque de l'admiration" par André Malraux : le titre, bien choisi, en est Il était une fois... Sa Majesté La Pléiade....

                Sa Majesté la Pléiade.pdf

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    Seul maître à bord, Antoine Gallimard -dit la légende, illisible ici-
    veille avec un soin tout particulier sur La Pléiade,
    le joyau brut des Éditions qu'il préside.

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  • Né et mort un 9 février (1879/1936) : permanence de Jacques Bainville...

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    L'Ephéméride de ce 9 février lui est, tout naturellement, entièrement consacré.

    Rappelons que notre quotidien propose en permanence :

    1. Un Album Jacques Bainville :  Maîtres et témoins...(II) : Jacques Bainville.

    2. Une Chronique, Lire Jacques Bainville

    3. Ainsi qu'un second Album, Le dernier livre de Jacques Bainville...

    Jacques Bainville, décédé prématurément à l'âge de 57 ans, est resté fidèle, jusqu'au bout, malgré les épreuves et la maladie, à ses engagements.

    Nous avons pris, pour l'une de nos trois Devises, les derniers mots de son Discours de réception à l'Académie française,

    "...Ce qui a été conservé et sauvé ne l'a pas été en vain. Il est des oeuvres et des pensées qui se prolongent au-delà de la tombe. Il est toujours des mains pour recueillir et transmettre le flambeau. Et pour les renaissances, il est encore de la foi".

  • Lire Jacques Bainville (XXIII) : Variations sur le 14 juillet, et l'erreur intériorisée de Louis XVI...

    bainville,14 juillet,révolution,nicolas ii,bastilleJournal - Tome III, Note du 15 juillet 1929

     

    Supposons qu'on apprenne ce soir qu'une bande de communistes, grossie des éléments louches de la population, a donné l'assaut à la prison de la Santé, massacré le directeur et les gardiens, délivré les détenus politiques et les autres.

    Supposons que cette journée reste dépourvue de sanctions, que, loin de là, on la glorifie et que les pierres de la prison emportée d'assaut soient vendues sur les places publiques comme un joyeux souvenir.

    Que dirait-on ? Que se passerait-il ?

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  • A propos de Jacques Bainville : merci à Anne-Lyse pour la précision...

    bainville le meilleur.jpg        "A propos de Jacques Bainville, je signale aux possesseurs de tablettes Kindle (et à ceux qui, possédant une tablette sous Android 4, ont pu télécharger le logiciel de Kindle) que son Histoire de France est téléchargeable pour 1,97 € sur la boutique Kindle..."

             A vos tablettes !...

  • Histoire de France par Jacques Bainville. Chapitre 3 Grandeur et décadence des Carolingiens 14'35"

            Le Troisième chapitre de l’Histoire de France de Bainville en fondu enchaîné est disponible sur le site de « La France pittoresque ».

            On est un peu surpris de la nouvelle présentation, mais ce qui compte, c’est bien le texte….

            Rappelons que nous avons ouvert une « Page » pour présenter tous ensemble, ces fondus enchaînés, pas mal du tout pour les enfants et pré-ados, de 7 à…..

  • GRANDS TEXTES (30) : Napoléon, par Jacques Bainville

    Voici les dernières lignes du dernier chapitre du Napoléon  de Jacques Bainville.

    "A égale distance de tout parti pris, nous avons essayé d'écrire son histoire naturelle... Nous voudrions - écrit-il dans son Avant-propos - comprendre et expliquer la carrière de Napoléon Bonaparte, en établir l'enchaînement, retrouver les motifs qui l'ont poussé, les raisons qu'il a pu avoir de prendre tel parti plutôt que tel autre. Nous avons tenté de discerner les causes générales et particulières d'une fortune qui tient du prodige et d'évènements qui semblent forgés par un conteur oriental...".

    Comprendre et expliquer, plutôt que d'accorder une place prépondérante au récit des évènements - en l'occurrence, pour Napoléon, les batailles... : tout Bainville est là.

    Comme dans ses autres livre majeurs : L'Histoire de France, L'Histoire de deux peuples, continuée jusqu'à Hitler, La troisième République, Les conséquences politiques de la paix, Bismarck...  

    On verra une fois de plus, dans ces quelques pages qui clôturent son Napoléon, comment Bainville, selon le mot si juste du Duc de Levi-Mirepoix "...faisait, à la fois, de l’histoire un théorème par la logique de la pensée et une oeuvre d’art par la pureté de son style" (duc de Lévis Mirepoix, discours de réception a l’Académie, éloge de Maurras).

            En Annexe, la "brochure" de Chateaubriand, De Buonaparte et des Bourbons, et de la nécessité de se rallier à nos princes légitimes pour le bonheur de la France et celui de l'Europe 

    bainville,napoléon,révolution

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  • Le serpent de mer de la réforme de l'orthographe... et la sagesse de Jacques Bainville

             Ce mercredi 9 novembre, au JT du soir, Laurence Ferrari "envoie" un reportage sur la réforme de l'orthographe. Pour l'essentiel d'un sujet traité, de toutes façons, d'une manière assez confuse, une femme savante s'extasiait de pouvoir "enfin" (?) écrire "nénufar" avec un "f" au lieu d'un "ph" ! On est sauvés ! La crise de l'euro est derrière nous et l'avenir est, d'un coup, redevenu radieux : pensez ! le "f" a -"enfin", dit-ellle - remplacé le "ph"...

             Monstre du Loch Ness, aberration périodiquement ressortie, puits sans fin faisant s'affronter en des débats aussi oiseux qu'interminables et - surtout - stériles, ce passage désolant du JT nous a rappelé cette note de Jacques Bainville dans son Journal, inépuisable source de sagesse sereine et d'intelligence profonde.

            Le texte de Bainville se trouve dans le Tome I de son Journal (années 1901 à 1918), Plon, pages 37/38. Le voici dans son intégralité. Là où le énième débat de TF1 obscurcissait encore un peu plus un débat devenu plus que vaseux, Bainville remet les choses au point et tire vers le haut....    

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  • Des riches qui veulent payer plus ? C'est très bien ! Mais, le Pays légal, lui, il compte faire quoi, comme effort ?.....

          "Il faut trouver des moyens de rassembler plus d'argent", dit Jean Peyrelevade, et c'est sûr qu'il a raison.

            "Taxez-nous davantage ! Nous voulons payer plus !..." rétorquent - comme c'est touchant ! - une bonne vingtaine de grosses fortunes.

            Tous les milliardaires seraient-ils devenus beaux ? Tous les milliardaires seraient-ils devenus gentils ? Face à ces torrents de générosité aussi soudaine qu'inattendue, qui font penser à une sorte de Nuit du 4 août à retardement, tâchons de garder la tête froide, et de raison garder, justement....

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  • Retour sur les propos d'Eva Joly.....

            Eva-dans-le-mur, on s'en souvient, n'avait rien trouvé de plus malin à dire, après le Défilé du 14, juillet, qu'il fallait, selon elle, le remplacer par un défilé citoyen !....

            Nous avions relevé ses propos, soulignant leur niaiserie dangereuse, et Maurras.net nous avait transmis une citation de Maurras qui s'intégrait parfaitement dans notre réponse, à laquelle nous l'avons évidemment ajoutée : eva joly defile 14 juillet.pdf

            L'été étant propice aux lectures et relectures (et donc aux trouvailles qui vont avec...), voici deux courts extraits que l'on peut dédier à l'égérie des Verts. Ils sont tirés du remarquable Journal de Jacques Bainville (Tome II, pages 107/108 et page 117).

    - premier extrait (pages107/108, note du 24 juin 1921) :

             "...Et comme l'humanité n'est jamais raisonnable, parce que ce serait trop simple si elle ne se déterminait que par la raison; comme le besoin de s'affranchir, de dominer, de posséder, et même le besoin le plus impérieux, celui de manger, dirigent les impulsions des peuples; comme les passions nationales s'en mêlent et mettent en jeu l'amour-propre des gouvernements, alors, pour que le monde connaisse la paix, il faut bien que la paix lui soit imposée par la force".  

    - deuxième extrait (page 117, note du 14 novembre 1921) :

            "Les hommes préfèrent la paix. Ils ont horreur de la guerre, bella matribus detesta, et sans cesse la guerre revient. Quel était le plus beau titre de gloire de la Rome antique ? C'était d'avoir imposé au monde la paix romaine et elle l'avait imposée par sa puissance militaire. Il n'y a pour ainsi dire pas de gouvernement ancien ou moderne qui ait débuté en déclarant qu'il voulait la paix..."

            Eva Joly vient, tout simplement, de montrer une fois de plus qu'ils (et elles) sont nombreux, celles et ceux qui n'ont, pour reprendre une formule célèbre, rien oublié ni rien appris....