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guerre de 14-18

  • 6 août 1914 ... La confiance est générale

    soldat%20francais%201914.jpgLa confiance est générale. Lea antimilitaristes d'hier sont les premiers à réclamer un fusil.

    - En quoi cet enthousiasme-là n'est il pas capable de se transformer ? demande sagement Lucien M...

    On continue à faire confiance à tout ce qui effrayait hier. La bourgeoisie admire Gustave Hervé, que l'assassinat de Jaurès, disent les mauvaises langues, a rendu patriote. Albert de Mun pleure d'attendrissement devant le patriotisme de la Chambre. Il appelle la journée parlementaire de mardi, le "jour sacré". Quand on connaît la coulisse, il faut en rabattre. Hier, Bernard de Vesins était à la réunion du syndicat de la presse parisienne. Clemenceau ne veut déjà plus admettre que l'autorité militaire contrôle les épreuves des journaux, établisse une censure de salut public.

    - Mais c'est la loi que nous avons votée hier au Sénat, a objecté Henry Bérenger.

    - Cette loi que j'ai votée, je jure d'être le premier à lui désobéir, a répondu Clemenceau, qui veut pouvoir continuer à faire de l'opposition, à renverser des ministères.

    A-t-on cru sérieusement que la France guérirait en quarante-huit heures de son anarchie ?

     

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  • 5 août 1914, l'Angleterre s'est décidée

    WWI-SirEdwardGrey.jpgL'Angleterre s'est décidée : ce n'est pas sans que nous ayons passé vingt-quatre heures d'anxiété mortelle. Lundi, au Parlement, sir Edward Grey n'avait pas été très catégorique. On sentait une hésitation chez les ministres, une résistance dans la majorité radicale des Communes, une indifférence dans l'opinion. La violation de la neutralité belge a tout emporté en donnant à l'Angleterre le plus puissant des motifs pour déclarer la guerre à l'Allemagne. Car l'Angleterre sera la seule des puissances de la Triple Entente qui ait envoyé un ultimatum à l'Allemagne, tandis que la Russie et la France en ont reçu chacune un...

    Le propre de cette guerre, c'est qu'elle sera soutenue, du côté anglais et du côté français, par des gouvernements non seulement pacifiques, mais pacifistes, c'est-à-dire doctrinalement persuadés que la phase guerrière était close dans l'histoire de l'humanité. Du côté ennemi, c'est un état militaire dont toutes les forces sont tendues vers la préparation de la guerre. Comment les conséquences d'un conflit éclatant entre deux conceptions, deux mécanismes politiques aussi différents, n'alarmerait-il pas ceux qui observent, ceux qui réfléchissent, ceux qui savent ? Et nous, nous disons que toutes les guerres européennes pour l'équilibre et contre la suprématie d'une puissance auxquelles l'Angleterre a été mêlée se sont étendues sur une durée considérable. Moins l'Angleterre est préparée à frapper un coup décisif, plus le conflit menace de durer, et de durer à nos dépens : car, en France, tout le monde sert. La France n'a pas pour se protéger contre l'invasion le "ruban d'argent", le magique anneau des mers qui protège le Royaume Uni...

    En France, tout est pour le mieux et le patriotisme a surgi de toutes parts... Le gouvernement a une attitude honorable. Il se tient aussi bien que possible. Le message de Poincaré n'a pas paru tout à fait assez chaleureux. L'expression en est terne.

    Le public attendait des paroles qui fussent à l'unisson de son bel enthousiasme. Mais ce sont des jurisconsultes, des hommes de bureau qui lui parlent, et au nom de quoi élèveraient-ils le ton ?... Nos homme d'Etat s'efforcent d'imiter le flegme et la tenue du parlementarisme à l'anglaise. Combien de temps cela durera-t-il ? Hier, à la Chambre (anniversaire de la nuit du 4 août), il y a eu réconciliation enthousiaste, communion de tous les partis. Mais, dans les coulisses, les partisans s'agitent, prononcent l'exclusive contre tels et tels. C'est ainsi que la reconstitution d'un grand ministère avec Delcassé, Léon Bourgeois, Briand, etc a échoué. Peut-être cela est-il meilleur : ces grands chefs se fussent dévorés entre eux...

    Au ministère de la Marine, la nomination d'Augagneur produit le plus mauvais effet. "Est-ce une plaisanterie ?" a demandé à pleine voix à travers le téléphone un haut fonctionnaire de la rue Royale à qui on apprenait le nom du nouveau ministre...

    Tout ce qui n'est pas mobilisé cherche à s'engager, à se rendre utile pour la durée de la guerre. Qui n'est pas soldat a le sentiment d'une diminution, d'une sorte de honte. Du reste, il n'y a  rien à faire pour la moment. Aux plus impatients, on offre de renforcer la police de la banlieue. Il faut laisser la mobilisation se faire sans trouble. Elle s'annonce bien, et le déchet (insoumis, déserteurs) est inférieur à toutes les prévisions : 6 pour cent au lieu de 20 pour cent régulièrement prévus, annonce-t-on. Les hommes ne manquent pas.

    J'ai rencontré X..., qui, malgré ses cheveux blancs et les années, a gardé l'élégance et la politesse d'un homme du monde qui  a vu le second Empire. Ce vieux Parisien tient à rester à Paris quoi qu'il arrive. Son héroïsme à lui, ce sera de ne pas quitter sa ville.

     

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  • 4 août 1914 : "Je fixe brièvement les grandes étapes des journées qui ont précédé la guerre"

    415px-F%C3%BCrst_von_B%C3%BClow.jpgLe 20 juin, accompagné de Jules Delahaye, je prononçai à l'Athénée de Bordeaux un discours que je puis résumer en ces termes :

    "Il y a deux partis en Allemagne : celui des politiques qui pensent que le temps travaille pour l'Empire, que la France se décompose et perd chaque année une bataille; et celui des impatients qui, à l'exemple du général de Deimling, se déclarent "las de tirer "à blanc". Il y a ceux qui veulent manger l'artichaut français feuille à feuille (système d'Agadir et du Congo) et ceux qui veulent le manger d'un seul coup. Ce second parti gagne en force tous les jours. Bismarck avait dit : "Laissons les Français "cuire dans leur jus". La question est de savoir si les successeurs de Bismarck n'estiment pas que nous sommes parvenus à ce degré de cuisson auquel il convient de  servir le rôti."    

    Aujourd'hui 4 août, je suis hanté par mes propre paroles. Trop bon prophète quant à la guerre, puisque l'ambassadeur d'Allemagne a demandé hier ses passeports, il y a des moments où je redoute d'avoir prédit aussi juste quant à l'issue de la guerre.

    Dans un livre qui vient de paraître en Allemagne et dont on a publié la traduction française quinze jours avant les hostilités, le prince de Bülow (l'ancien chancelier devenu prince depuis le coup de Tanger et "l'humiliation sans précédent") a inséré cet axiome : "Tout Etat doit être dirigé dans toutes ses parties comme si, demain, il devait avoir une guerre à soutenir."

    L'Etat français a-t-il été dirigé dans toutes ses parties comme s'il devait avoir la guerre le lendemain ?

    Voilà la grande expérience que nous allons faire.

    Avant de noter mes impressions au jour le jour, je fixe brièvement les grandes étapes des journées qui ont précédé la guerre.

    Le jeudi 23 juillet, l'Autriche envoyait son ultimatum à la Serbie. L'intervention de la Russie devenait aussitôt certaine. Tout le monde se demandait :

    - Est-ce la guerre ?

    Je répondais :

    -Nous n'en sommes séparés que par l'épaisseur d'une feuille de papier, la feuille sur laquelle s'écrivent les dépêches d'Ems.

    C'était encore trop optimiste puisque, cette guerre, l'Allemagne l'a préméditée, l'a voulue et n'a même pas pris la peine de créer un prétexte sérieux pour la faire.

    L'Allemagne était convaincue que la France ne marcherait pas. Cette certitude l'aura emporté sur les hésitations de Guillaume II. J'écris depuis six ans (depuis l'annexion  de la Bosnie par l'Autriche) que la division de l'Europe en deux groupes de puissances armées jusqu'aux dents, et dont l'un, celui de la Triplice, recourt en toute circonstance à l'intimidation, ne peut manquer d'amener une des plus grandes guerres européennes que l'on ait vues depuis les temps révolutionnaires. Nous y sommes... 

    L'illusion générale est que tout sera fini dans deux mois, trois au plus. On se donne rendez-vous pour la fin d'octobre, - au plus tard. Les officiers, -tel G..., avec qui j'ai déjeuné dimanche et bu à la victoire - sont convaincus qu'ils partent pour une campagne d'été. Les chefs les ont prévenus que le commencement serait dur, qu'il faudrait reculer d'abord, mais qu'après dix ou quinze jours nous reprendrions la marche en avant. Dans le public, chacun s'attend à la prise de Nancy dans les premiers jours de la campagne et nul n'en sera ému...

    Croire à la brièveté de la guerre, c'est peut-être encore une façon de ne pas croire à la guerre, une autre forme d'une incrédulité presqu'universellement répandue en France et qui, devant le fait accompli, s'attache à une dernière espérance. Les guerres modernes mettent trop de monde en action pour pouvoir durer, les Etats seront trop vite épuisés et ruinés, les intérêts souffriront trop, les peuples mettront fin à la folie des gouvernements...

    Ces raisons qu'on invoquait hier contre la possibilité d'un grand conflit européen, on les élève aujourd'hui en faveur d'une paix rapide...

    Cependant, pour l'observateur, il s'agit plutôt d'une guerre de sept ans que d'une guerre de trois mois. C'est la reprise de la lutte pour l'équilibre que l'Europe a vu renaître de siècle en siècle, la lutte contre l'empire de Charles-Quint. Et puis, pour qui connaît la puissance militaire de l'Allemagne, comment croire qu'elle sera brisée en six semaines ? N'est-ce pas l'assurance de posséder une force unique dans l'histoire qui pousse Guillaume II aux plus imprudentes provocations ?...

    Mais il convient, surtout à ceux qui ne partent pas, de taire et de cacher ces pensées...

     

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  • 3 et 4 août 1914, la vie est suspendue au télégraphe...

    albert1er-roi-des-belges.jpgLa vie est suspendue au télégraphe...

    L'ultimatum allemand à la Belgique est un coup de tonnerre : l'Allemagne veut donc exécuter cette invasion par le Nord, tant de fois prédite, annoncée par ses propres stratèges et à laquelle peut-être, en France, malgré tant d'avertissements, on n'aura pas assez cru...

    Le noble refus opposé par la Belgique à la demande de passage de Guillaume II exalte l'enthousiasme et fortifie la confiance. C'est une des grandes choses de l'l'histoire. On le sent, grâce à Albert 1er. La France, cette fois-ci, n'est pas seule, Et puis, la Belgique envahie, le concours des Anglais, plus que douteux hier, devient presqu'assuré.

     

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  • Nous commençons aujourd'hui la mise en ligne du Journal inédit de l'année 14 de Jacques Bainville

    338418280.jpgQuelques mots seulement pour signaler que nous commençons aujourd'hui la mise en ligne du Journal inédit de l'année 14 de Jacques Bainville.

    Ainsi pourrons-nous suivre, presque chaque jour, le déroulement de cette première année de la Grande Guerre, telle que Bainville l'a vécue, observée, analysée, au jour le jour, au fur et à mesure des évènements.

    A partir du 2 août, les notes de Bainville sont quasiment quotidiennes. (A l'exception du 14 et du 27 pour ce qui est d'août). Elles se poursuivront - au moins - jusqu'au 31 décembre. Nous conseillons vivement de les lire au jour le jour, comme elles furent écrites. 

    Signalons encore qu'en 1914 Bainville est un homme jeune. Il a trente-cinq ans.

    Le Journal inédit (1914) a été publié chez Plon, en 1953

  • 2 août 1914 : Notes liminaires de Jacques Bainville, en introduction au "Journal inédit 1914"

    de_schoen.jpgLe vendredi 24 juillet, la France était occupée par le drame le plus saisissant de toutes nos guerres civiles depuis l'affaire Dreyfus : la Cour d'assises jugeait Mme Caillaux (1). Innombrables furent les Français qui lurent distraitement ce jour-là une dépêche, reproduite en caractères ordinaires dans les journaux et qui annonçait que le gouvernement austro-hongrois avait décidé d'envoyer un ultimatum au gouvernement serbe (2)

    Le gouvernement n'était ni moins distrait ni moins ignorant que le public, puisque M. Poincaré et M. Viviani se trouvaient en Russie (3)...

    Pendant les journées qui suivirent, la France, avec une stupéfaction mélangée d'incrédulité, vit le conflit austro-serbe prendre les proportions d'une immense affaire  européenne qui, en faisant jouer toutes les alliances, conduirait directement à la guerre.

    On douta jusqu'au dernier moment. Le 1er août encore, en ordonnant la mobilisation générale, le gouvernement affichait sur les murs : "La mobilisation n'est pas la guerre." Un petit avoué de province, ancien Garde des Sceaux, du nom de Bienvenu-Martin, qui faisait l'intérim des Affaires étrangères en l'absence de Viviani, avait si peu compris la démarche comminatoire de M. de Schoen, ambassadeur d'Allemagne, qu'il remerciait "M. le baron de son aimable visite". Il avait fallu que le spirituel Philippe Berthelot (4), qui assistait le vieillard effaré, lui poussât le coude pour l'avertir de l'erreur, lui faire comprendre que M. de Schoen était aimable comme une patrouille de uhlans. Au Quai d'Orsay, les fonctionnaires, renseignés, s'étonnaient de l'indifférence de la presse, multipliaient les avis que la situation n'avait jamais été aussi grave, qu'elle était désespérée.

    Le jeudi soir, une manifestation socialiste contre la guerre n'éveilla, ni pour ni contre, presqu'aucun écho. Ce fut le vendredi seulement, à la nuit, que l'on commença de comprendre que les choses se gâtaient. 

    Ce jour-là, à 9h45, comme je venais d'être informé que les Allemands avaient fait sauter les ponts et coupé les voies entre Metz et la frontière, je m'étais rendu au Télégraphe de la Bourse. Je sortais du bureau déjà encombré et bruissant, lorsqu'un homme dit rapidement en passant près de moi :
    - Il se passe quelque chose de très grave : Jaurès vient d'être assassiné.
    - Où, et quand , demandai-je à l'inconnu.
    - Au Café du Croissant , il n'y a pas dix minutes.

    Le Café du Croissant, dans la rue du même nom, la rue des journaux, est à cinquante mètres de la Bourse.
    Je m'y rendis en courant.
    C'était vrai : Jaurès dînait avec quelques rédacteurs de l'Humanité, lorsqu'un inconnu, par la fenêtre ouverte, lui avait tiré deux coups de révolver dans la nuque.
    Déjà la rue Montmartre était pleine d'une foule agitée et murmurante que les charges des agents ne parvenaient pas à disperser.
    On eut à cet instant l'illusion qu'un mouvement révolutionnaire commençait.
    La journée avait été chaude, la soirée était étouffante.
    Ce sang répandu, cette guerre civile surgissant après les secousses données aux nerfs de Paris depuis quatre jours, tout faisait redouter le pire...
    Allons-nous voir une Commune avant la guerre ?
    L'ennemi aurait-il cette satisfaction ?...

    L'auteur de cet assassinat - un jeune homme inconnu (5) - était-il un exalté, un fou ou un agent provocateur ? 
    L'enquête a prouvé que c'était un solitaire qui ne se réclamait d'aucun parti ni même d'aucune idée politique précise.
    Tuer Jaurès au moment où la politique de Jaurès s'effondrait, au moment où sa conception internationaliste et pacifiste du socialisme s'abimait dans le néant, au moment où de toute sa pensée, de toute sa carrière d'orateur, la brutalité des faits ne laissait rien, au moment où la responsabilité de l'homme public de ce temps rempli d'erreurs commençait à n'être plus un vain mot, au moment aussi où il importait à l'esprit public que la France conservât tout son calme oubliât ses divisions - tuer Jaurès c'était plus qu'un crime, c'était une faute.
    La suite nous a appris les calculs et les espérances que Berlin avait fondés sur cet assassinat : dès le lendemain, les journaux allemands répandaient à travers l'Empire, en Autriche et jusqu'en Orient, la nouvelle que le drapeau rouge flottait sur Paris et que le président de la République avait été assassiné.
    Mais il était dit que, dans cette guerre, toutes les machinations allemandes devaient avorter misérablement.
    Deux heures après l'assassinat de Jaurès, Paris était redevenu calme, avait remis ce tragique épisode à sa place.
    Chacun, en cherchant le sommeil, évoquait non pas le drame du Café du Croissant, mais les dépêches des chancelleries et des états-majors courant à travers toute l'Europe les fils télégraphiques décidant de la paix ou de la guerre: déjà personne ne doutait plus que ce fut la guerre. Devant la grande tragédie européenne, l'assassinat de Jaurès s'effaçait, ne gardait plus que la valeur d'un fait divers.

    Cependant le gouvernement tenait conseil. Transfuge du socialisme unifié par scepticisme, Viviani s'était mis tout à coup à croire à la révolution, à en avoir peur. Il passa la nuit à rédiger une proclamation au peuple français pour le supplier de rester calme, promettant que l'assassin de Jaurès n'échapperait pas au châtiment. Le président Poincaré, dans le même temps, écrivait une lettre publique à Mme Jaurès, et Maurice Barrès, sollicité au nom de la patrie de collaborer à la cause de l'apaisement, en adressait une autre à la fille de la victime (6).

    Le lendemain matin, la proclamation était affichée sur les murs de Paris, les journaux publiaient les deux lettres destinées à conjurer la révolution. Mais qui donc eût pensé à la Commune ? Jaurès fût mort d'une congestion ou d'un accident de voiture qu'on n'en eût pas parlé davantage. Tous les hommes valides étaient sur le point de répondre à l'ordre de mobilisation, et la seule question était de savoir si, oui ou non, c'était la guerre.

    Une chose paraît étrange quand on se reporte à ces journées suprêmes, c'est la difficulté avec laquelle l'esprit acceptait que c'était la guerre... La guerre ? Tout le monde en parlait. Combien se la représentaient, acceptaient d'y croire ?

    Depuis six jours, j'étais averti qu'au Quai d'Orsay on savait l'Allemagne résolue à la guerre, qu'on s'y étonnait de l'optimisme des journaux. Cependant cet optimisme était entretenu par les hommes du gouvernement. Y avait-il à ce point séparation, divorce entre les services ? L'Intérieur - et la Guerre aussi, peut-être - ignoraient donc ce que faisaient, ce que pensaient les Affaires étrangères ? Du Quai d'Orsay à la place Beauvau et à la rue Saint-Dominique, la distance était-elle si grande ?   

    Cependant, le mercredi 29 juillet, à sept heures du soir, on était venu nous dire que tout s'arrangeait; que l'Allemagne mettait cartes sur table et demandait le moyen de s'entendre; que le secrétaire de M. Briand ne se cachait pas d'en répandre la bonne nouvelle. D'autre part - côté autrichien - on nous avisait que l'Autriche hâtait son entrée en campagne de façon à pouvoir exercer rapidement une action "punitive" à Belgrade et se déclarer contente d'une satisfaction d'amour-propre remportée sur la Serbie. Dans cette contradiction réside la grande énigme de ces journées.  

    Ainsi le public voyait monter l'orage avec un arrière-fonds d'incrédulité. Mais quoi ? Le samedi 1er août dans la matinée, M. de Schoen ne négociait-il pas encore ? Il tentait sans doute de faire pression pour tenter d'obtenir la neutralité de la France. En tout cas, derrière le paravent des pourparlers, il donnait à l'Allemagne le temps de hâter ses préparatifs. A je ne sais quoi de lourd, d'angoissant et de mystérieux qui pesait dans l'air, on sentait l'arrivée de la grande catastrophe.

    A midi, on apprenait à la fois, par les journaux, la proclamation du Kriegsgefahrzustand (état de danger de guerre) en Allemagne et la remise d'un ultimatum allemand à la Russie. En France, des mesures militaires étaient certainement ordonnées déjà, car Paris se vidait étrangement, et, comme s'il eût perdu son sang goutte à goutte, de ses hommes, de ses voitures, de son mouvement. Dans le silence croissant de la ville, on entendait les portes du temple de Janus s'ouvrir lourdement sur l'Europe.   

    Je reverrai toujours le papier blanc officiel qui, vers 4 heures, parut au bureau de poste le plus voisin de ma maison et qui, au même instant, porté par le télégraphe, parcourait toute la France. Le laconisme en était tragique : "Extrême urgence. La mobilisation générale est ordonnée; le premier jour de la mobilisation est le dimanche 2 août." Ce télégramme officiel est resté longtemps sur les murs des mairies et des gares. Ceux qui ont vécu ces journées n'ont jamais pu en évoquer les termes dans leur souvenir sans penser : "Voilà les quelques mots si simples et si terribles qui ont décidé de la vie de milliers et de milliers d'hommes, la carte sur laquelle la nation jouait son sort."

    Comme si Paris n'eût attendu que ce signal, on s'aperçut soudain que la solitude s'était faite dans la grand'ville. Les voitures publiques avaient disparu, les boutiques s'étaient fermées. L'accomplissement rapide de la tâche fixée à chacun sur son livret militaire venait de nous donner immédiatement confiance dans l'organisme souple et rapide de la mobilisation. Des femmes, les yeux rouges, mais la tête droite, rentraient seules au logis désert. Une heure plus tard, nous traversions la gare Saint-Lazare pleine d'une foule de réserviste en route pour leurs dépôts. Je ne sais quelle détermination calme se lisait sur tous les visages. Henry Céard nous a cité ce mot d'un ouvrier parisien à qui l'un de ses camarades venait d'apprendre, comme il était en plein travail, que la mobilisation était ordonnée :

    - C'est bon, dit l'autre. On va prendre ses outils.

    Ce fut, ce jour-là, le mot du Paris travailleur, de tout le peuple de nos champs et de nos villes...

    Une des grandes fautes que l'Allemagne avait commises entre tant d'autres, ç'avait été de pousser à bout le peuple français. Depuis neuf ans - depuis le coup de Tanger (7), en 1905 - les provocations avaient été si nombreuses, si insolentes, qu'elles avaient fini par donner aux plus timides, aux plus doux, à cette population française qui ne demandait qu'à vivre tranquille, une ferme résolution de ne plus supporter le retour d'affronts pareils. Cette résolution était presque devenue de l'envie d'en finir. Avec ce mot sur les lèvres : "Il faut en finir", deux millions d'hommes, dans ces journées du mois d'août, allèrent rejoindre leur dépôts.

    Le soir de ce samedi 1er août, dans le grand silence de la ville, fut solennel. Paris, cette nuit-là, eut sa veillée des armes...  

     

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  • Quelques précisions, à propos des publications de lafautearousseau, pour mettre nos pendules à l'heure

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    Pour répondre à des questions qui nous ont été plusieurs fois posées, voici quelques informations concernant notre fonctionnement et nos nouveautés :

    m  Les lundis de Louis-Joseph Delanglade (politique intérieure et extérieure généralement alternées) sont suspendus pour ces vacances, à compter du 15 juillet, jusqu'au début de septembre. Mais vous pouvez consulter l'ensemble des chroniques déjà parues, en cliquant sur l'icône les lundis de Louis-Joseph Delanglade où elles se trouvent regroupées. (Page d'accueil, colonne de gauche, en partie haute). 

    m  Le Journal inédit de l'année 14, de Jacques Bainville, couvrira, à partir du 2 août, chaque jour du mois d'août, à l'exception du 14 et du 27 août. Il s'étendra jusqu'au 31 décembre. A ne pas manquer, bien-sûr ! Donc, à lire à partir du 2 août.  

    m  Notre blog annexe lafautearousseau, grands auteurs ou acteurs de l'Histoire, est disponible (nouveau !). Il s'enrichit, chaque semaine, de pensées et réflexions dignes de votre intérêt. N'hésitez pas à le consulter ! (Icône en page d'accueil, colonne de gauche, en partie haute). 

    m  Nos pages Vimeo vous offrent une sélection exceptionnelle de 128 vidéos (Documents d'archives, conférences anciennes et récentes, débats, cafés politiques, évènements et activités, etc.). Vous pouvez maintenant y accéder directement en cliquant sur Vimeo. (Icône en page d'accueil, colonne de droite, en partie médiane).  

    m  Enfin, que les amateurs de réseaux sociaux, ne manquent pas de participer à la vie très active de notre page Facebook et de notre compte Twitter. L'un et l'autre sont en plein progrès.  

    m  Dernier point : Pour nous adresser un courriel, vous pouvez cliquer directement sur notre adresse de messagerie  lafautearousseau@outlook.fr (Page d'accueil, colonne de gauche, en partie haute). 

    Bonne lecture à vous tous !