UA-147560259-1

Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

Idées, débats... - Page 419

  • Une culture officielle ?

    François Nyssen qui s'est déconsidérée en retirant le nom de Charles Maurras des commémorations officielles 2018 

     

    par Gérard Leclerc

     

    arton22534-b73f0.jpgFrançoise Nyssen, ministre de la Culture, a présenté hier les orientations de sa réforme de l’audiovisuel public. Elle s’est expliquée notamment, durant une conférence de presse, sur l’ambition qui est la sienne, en correspondance avec ce qu’avait annoncé Emmanuel Macron durant sa campagne présidentielle.

    Une discussion est d’ores et déjà amorcée par les syndicats maison, qui se disent inquiets de certaines modalités qu’impliquent des changements de structure. Mais il y a un autre aspect à retenir des propos de la ministre. Quelle philosophie sous-tend cette volonté de remodeler le service public ? « Reconquérir la jeunesse, retrouver les territoires, dit-elle, grâce à un média audacieux, un média engagé dans la vie citoyenne, un média engagé pour la création, un média engagé vers la rupture technologique. »

    Pourquoi pas ? Mais un média engagé, cela ne va pas sans un certain contenu idéologique, et celui-ci devrait être l’objet d’une discussion et même d’un certain consensus, dès lors qu’il est hors de question que l’audiovisuel public devienne « la voix de son maître ». On peut espérer que le débat d’idées préconisé sera vraiment pluraliste. Mme Nyssen pourrait nous rassurer, lorsqu’elle fait part de son souhait de promouvoir ce qu’elle appelle « un miroir de nos différences ». Mais ce mot même de différence est piégé, il est susceptible de diverses acceptions et celui que la ministre entend privilégier peut éveiller quelques soupçons : « Le pays des Lumières, dit-elle, sur le sujet de la diversité est hautement réactionnaire… Avec une volonté politique sans ambiguïté, notre média engagé changera les mentalités sur le terrain. »

    L’orientation idéologique ne perce-t-elle pas le bout du nez, à travers de tels propos, qui peuvent rappeler la philosophie de Vincent Peillon qui, à travers l’école publique, entendait arracher les enfants à leurs préjugés familiaux ? Par ailleurs, la création d’une plateforme anti-bobards – on me pardonnera ici de m’abstenir de parler franglais – n’est pas pour rassurer. Certes, Mme Nyssen n’a sans doute pas l’intention de donner à son ministère une orientation orwellienne, mais ses choix idéologiques lui appartiennent. Libre à nous de les contester.   

    Gérard Leclerc

    Chronique diffusée sur Radio Notre-Dame le 5 juin 2018.

  • La tyrannie de l’image ... Selon Mathieu Bock-Côté

     

    Par  Mathieu Bock-Côté 

    Mathieu Bock-Côté n'est pas à l'âge où l'on ronchonne, où l'on s'épuise à penser et à dire que « c'était mieux avant ». Mais il n'est pas non plus de ceux qui croient qu'il n'y a rien à faire, rien à opposer aux dérives de notre temps qui seraient comme une fatalité. Faut-il croire aux fatalités ? Cette chronique du Journal de Montréal [2 juin] est simplement un cri d'alarme. Elle signale le « désastre psychologique à grande échelle » à quoi conduit l'emprise infantilisante des réseaux sociaux. LFAR 

     

    501680460.5.jpg

    Le Devoir nous confirmait hier que Facebook, le réseau social iconique de notre temps, est de plus en plus largué par la jeune génération, qui préfère d’autres réseaux sociaux davantage centrés sur l’image et la vidéo.

    Concentration

    Certains n’y verront qu’une mode. On se lasse d’un réseau, on en adopte un autre. Ainsi va la vie dans une société qui a le culte du changement. 

    Mais il y a peut-être autre chose dans ce basculement, soit une régression infantilisante qui nous pousse à penser de moins en moins avec des mots et des concepts et de plus en plus avec des images en mouvement.

    Lire un statut Facebook, apparemment, c’est encore trop compliqué. Mais faire défiler des milliers d’images jusqu’à l’hypnose, c’est plus simple.

    Autre piste à suivre : notre société accélère sa démocratisation – illusoire – du star-system. Chacun veut mettre en scène sa vie, de manière glamour. Chacun veut briller, se vivre comme une vedette et sentir le désir de tous qui s’exprimera par la multiplication des « likes » et autres gratifications symboliques du même genre.

    La révolution technologique de notre temps crée les conditions d’une généralisation fascinante du narcissisme. L’individu n’habite plus le monde, mais son propre monde fantasmé et veut qu’on l’admire en permanence. On le voit avec la dépendance aux réseaux sociaux : la moindre alerte suffit pour que l’individu se jette sur son écran avec une réaction pavlovienne.

    Désespoir

    Mais avec cette obsession de la représentation, l’écart entre la vie virtuelle et la vie réelle se creuse. Entre l’image projetée sur les réseaux sociaux et la vérité d’une vie, on trouve de moins en moins de points de contact. Qui sait encore jouir d’une belle vue sans la gâcher par un selfie ? Et si une photo ne suscite pas assez de réactions, le désespoir vient vite.

    Un désastre psychologique à grande échelle nous attend.      

    Mathieu Bock-Côté

    Mathieu Bock-Côté est docteur en sociologie, chargé de cours aux HEC à Montréal et chroniqueur au Journal de Montréal et à Radio-Canada. Ses travaux portent principalement sur le multiculturalisme, les mutations de la démocratie contemporaine et la question nationale québécoise. Il est l'auteur d'Exercices politiques (VLB éditeur, 2013), de Fin de cycle: aux origines du malaise politique québécois (Boréal, 2012) de La dénationalisation tranquille (Boréal, 2007), de Le multiculturalisme comme religion politique (éd. du Cerf, 2016) et de Le Nouveau Régime (Boréal, 2017).  

    Lire aussi dans Lafautearousseau ...

    Le « scandale Facebook » - dit aussi « scandale des données »

  • Société • Charles Saint-Prot : Mai 68 la révolution des imbéciles

     

    L'invité de Yannick Urrien *

    Pour l'équipe de Lafautearousseau, l'occasion de retrouver un ami de longue date, avec qui nous partageons de riches expériences, et qui nous est cher. LFAR

    Charles-Saint-Prot-810x579.jpg...Charles Saint-Prot : « Mai 68, c’est la destruction de nos sociétés traditionnelles, c’est la destruction des nations et c’est l’individualisme. » En finir avec le mythe soixante-huitard pour remettre les idées à l’endroit…

    Charles Saint-Prot est docteur en science politique, universitaire, habilité à diriger des recherches (HDR) et directeur général de l’Observatoire d’études géopolitiques. Il fait partie des rares intellectuels qui ne s’en laissent pas conter sur les prétendus « apports de Mai 68 » et qui osent le dire. Son dernier ouvrage n’est guère tendre à l’égard de ce qu’il qualifie de « chamboulement abject, un mouvement littéralement antisocial conduisant à l’institution d’un individu abstrait livré à la domination du Marché mondialisé… ». Il souligne : « Sous couvert d’un gauchisme de façade qui ne fut rien d’autre que la maladie sénile du crétinisme, Mai 68 fut le terreau d’un nouveau totalitarisme qui s’épanouit aujourd’hui avec un rare cynisme. Moins qu’une révolution, ce fut le début d’un long processus de pourrissement, de renversement des valeurs ». Charles Saint-Prot répond aux questions de Yannick Urrien.

     

     

    Kernews : Pour ce cinquantenaire, vous publiez un livre intitulé « Mai 68 : la révolution des imbéciles ». Franchement, vous n’y allez pas avec le dos de la cuillère…

    Charles Saint-Prot : Oui, mais ce titre correspond bien à la réalité ! Je mène depuis des années une réflexion sur la politique nationale, puisque j’ai écrit « La pensée française » ou « l’État-nation » et je suis très excédé par la commémoration de ces événements qui marquent le déclin de la France. Il fallait qu’un certain nombre de gens tapent sur la table en disant que cela suffit. Il faut en finir avec Mai 68, qui était une révolution de dupes et d’imbéciles où la piétaille était totalement manipulée, ce qui est d’ailleurs le cas d’à peu près toutes les révolutions. La Révolution française était manipulée on sait par qui, tout comme la Révolution russe. Et Mai 68 a été organisé par les États-Unis et par Israël pour punir la France gaulliste d’avoir une politique d’indépendance nationale. Je l’ai écrit plusieurs fois et je n’ai jamais été démenti. Souvenons-nous qu’en 1967, le général De Gaulle avait pris la position que l’on sait pendant la guerre des Six Jours entre Israël et les Arabes. C’était le renouveau d’une politique arabe de la France, et De Gaulle c’est aussi le discours de Phnom Penh ou le discours du Québec. C’est une France debout qui s’est affirmée et je crois que les États-Unis et Israël ne veulent pas de cette France debout. Ils ont manipulé ces événements de Mai 68 avec la complicité de Daniel Cohn-Bendit et autres… Ce Cohn-Bendit est adulé par les journalistes qui l’appellent Dany, en le tutoyant, mais ce monsieur a quand même dit que le drapeau français était un torchon qu’il fallait brûler. Il est allé pisser sur la tombe du Soldat inconnu à l’Arc de Triomphe ! Il faut que les Français se souviennent que c’était la haine de la France qui s’exprimait en Mai 68, avec la manipulation de pauvres imbéciles qui ont servi de piétaille. Il est temps de dénoncer cette supercherie et de dire ce qu’était Mai 68 : un complot anti Français, mais aussi une dégradation de toutes les valeurs. À partir de Mai 68, il y a eu un recul intellectuel et moral des forces traditionnelles et, aujourd’hui, ce sont les idées de Mai 68 qui sont au pouvoir, avec la destruction de la famille, la destruction de l’autorité, la destruction de l’État et la destruction du travail. Ce sont ces idées qui ont gagné. C’est comme un cancer ! Cela a mis 50 ans à s’infiltrer et vous avez même un président de la République qui commémore cet événement avec Daniel Cohn-Bendit… On ne peut pas traiter la France avec plus de mépris !

    Vous expliquez qu’il est temps de tourner la page de Mai 68, mais on ne peut plus vraiment faire marche arrière…

    Il faut se battre et dénoncer le mythe de Mai 68 ! Ce n’était pas une révolution du bonheur et des libertés. Il faut en finir avec toute cette utopie de Mai 68 et ces slogans idiots sur les libertés car, aujourd’hui, la seule liberté, c’est celle du fric roi et de l’ultralibéralisme. On est passé du col Mao au Rotary, comme le dit Guy Hocquenghem. Mais, à côté de cela, il y a toutes ces idées qui sont encore présentes. Il ne faut pas baisser les bras, mais contester des idées qui sont des idées de mort. Cet ignoble Cohn-Bendit en est l’image typique. Entre les soixante-huitards et le libéralisme, c’est la même idéologie, je parle de l’ultralibéralisme à la Macron, c’est-à-dire ce mondialisme qui veut détruire les nations. Ce qui unit les ultralibéraux, Monsieur Cohn-Bendit et toute cette clique de gauchistes soixante-huitards, c’est la haine de la France, la haine de la tradition et la haine de l’identité française. Les Français doivent se réveiller, parce qu’ils sont un peuple qui n’est pas destiné à mourir et qui n’est pas destiné à supporter la dictature de ces gens-là.

    Votre principale critique de Mai 68 porte sur la création de ce citoyen de nulle part : n’est-ce pas un effet naturel de la mondialisation, puisqu’on le retrouve dans toutes les grandes capitales ?

    Oui et non, parce que je ne sais pas si on le retrouve réellement en Russie, en Chine ou en Turquie, y compris dans les classes dirigeantes… Je peux vous citer de nombreux pays où cette idéologie a été moins prégnante. Je pense que les Français, qui ne sont jamais en retard d’adhérer aux idées les plus loufoques, sont malheureusement au premier rang dans ce domaine. Mai 68, c’est la destruction de nos sociétés traditionnelles, c’est la destruction des nations et c’est l’individualisme. C’est la préparation à ce citoyen de nulle part, cosmopolite. On prépare ce monde de robots que prédisaient des gens comme Bernanos ou Saint-Exupéry : c’est-à-dire de parfaits abrutis consommateurs qui sont propres à adhérer à toutes les billevesées de la mondialisation, qui n’est pas, bien entendu, une mondialisation heureuse. Il faudrait être bien naïf pour croire que cette mondialisation est heureuse. C’est une mondialisation qui met sur le carreau les plus faibles, les professions les plus traditionnelles, comme les agriculteurs. Donc, c’est une mondialisation qui ne vise qu’à détruire les Nations, après avoir détruit l’État qui est quand même le protecteur des Nations. L’État est au service du bien commun, à condition d’être dirigé par des gens dignes de ce nom. L’État est là pour remettre de l’équilibre dans les choses et pour faire passer de l’équité dans les choses. Ce n’est pas le cas du système ultralibéral où le pauvre est libre de crever et le riche libre de s’enrichir.

    C’est un paradoxe de constater que la conséquence de Mai 68, c’est la puissance de l’argent…

    Bien entendu et c’est là que l’on s’aperçoit vraiment de la supercherie de ces événements. Les révolutionnaires ont donné l’impression d’être contre les forces de l’argent, alors qu’ils ont méthodiquement, par leurs idées de destruction, préparé le règne de l’argent roi.

    On célèbre Mai 68, mais dans les médias, comme dans l’opinion publique, on n’est plus dans l’idolâtrie…

    Je ne sais pas. Je me souviens quand même d’un président de la République, Nicolas Sarkozy, qui a dit que le problème de la France c’est Mai 68 et qu’il fallait sortir de Mai 68 ! Je me demande toujours si la haine qu’il a suscitée n’est pas due à cette phrase… Il a remis en question le saint évangile soixante-huitard… Nicolas Sarkozy, qui peut avoir des défauts, a quand même eu de grands moments : le discours du Latran, où il explique que le curé est plus important que l’instituteur, parce qu’il est porteur de valeurs éternelles, et sa critique de Mai 68. Je pense que ces deux discours peuvent expliquer beaucoup de la haine qu’il y a contre Nicolas Sarkozy, parce qu’en réalité il avait mis le doigt sur deux choses fondamentales. Aujourd’hui, je n’entends pas formuler par la classe dirigeante une critique très acerbe de Mai 68, y compris dans ces mouvements dits de droite ou d’extrême droite, qui sont d’un silence absolu sur cette question… Il y a un vrai problème. Bien sûr, le pays réel existe, il y a une grande partie des Français qui n’adhèrent pas du tout à cette idéologie et à cette destruction de notre Nation et de notre société. Mais ces Français ont peu la parole et ils ne sont pas, ou peu, représentés. C’est le vrai problème. Il est temps que les Français se réveillent, parce que l’on ne peut pas laisser ce piège diabolique conçu par Monsieur Macron qui nous refait le coup des gaullistes avec les communistes, puisqu’il dit qu’entre Mélenchon et lui, il n’y a rien. Mélenchon est un fou furieux, probablement très dangereux, et il est très facile de dire qu’entre les deux il n’y a rien… Bien entendu, personne n’a envie de faire le choix impossible. Il faut que les Français se réveillent et retrouvent les vraies valeurs, celles de la Nation et de la société. C’est là-dessus que l’on pourra rebâtir quelque chose et non sur des combines politiciennes qui ne sont, d’ailleurs, que de l’écume. 

    sans-titre 12.png

    « Mai 68 : la révolution des imbéciles » de Charles Saint-Prot est publié aux Éditions de Flore. En vente à la librairie de Flore [5 € - 20 p.]

    * La radio du littoral de Loire Atlantique - Kernews

  • Littérature • Lire avec Léon Daudet

     

    2293089609.14.jpgIl peut aussi paraître de plutôt bonnes recensions dans Les Echos. Comme celle-ci qui restitue un peu du fabuleux écrivain, polémiste, homme politique, que fut Léon Daudet. Injustement oublié il est vrai par le plus grand nombre. Son souvenir reste vivant dans les milieux d'Action française. Trop rares sont ceux qui l'ont lu. Mais redisons-le : point de culture sans lecture.  LFAR

     

    sans-titre.pngPlus grand monde ne lit aujourd'hui Léon Daudet, qui traîne derrière lui une réputation sulfureuse, et méritée, de polémiste réactionnaire, voire d'extrême droite. Le fils d'Alphonse Daudet avait pourtant une plume déliée et un sens de la critique que ses contemporains admiraient et redoutaient à la fois. Nous en avons un excellent exemple dans cette collection de textes parus entre 1927 et 1929, republiés aujourd'hui par les éditions Séguier, jamais en reste lorsqu'il s'agit d'allier originalité et audace. Il y a dans les auteurs choisis par Daudet des gens qui sont de nos jours de presque parfaits inconnus. Heureusement, on trouve aussi en grand nombre des noms fameux, de Shakespeare à Flaubert. Quand il restait sur les terres des lettres, ce lecteur compulsif oubliait ses préjugés idéologiques, comme le rappelle Jérôme Leroy dans sa préface, rapportant ce mot étonnant de la part de ce nationaliste forcené: «La patrie, je lui dis merde quand il s'agit de littérature." Daudet est remarquable dans ses exercices d'admiration comme dans les descentes en flammes qu'il réserve à quelques gloires. Palme de l'hommage le plus ému et le plus vrai: les propos sur Marcel Proust, déjà son ami de vingt ans quand celui-ci obtient le prix Goncourt pour À l'ombre des jeunes filles en fleurs. Le journaliste voit aussitôt dans À la recherche du temps perduun chef-d'oeuvre de la littérature française du xxe siècle. Il le présente avec justesse comme «une fresque composée de miniatures, si paradoxal que semble ce rapprochement de mots». Même s'il note, avec un brin de misogynie très répandu à l'époque, que cette oeuvre géniale et touffue ne conviendrait sans doute pas «aux demoiselles dont on coupe le pain en tartines". Parmi les gloires incontestables aux yeux du royaliste rallié à l'Action française de Maurras figure, au sommet, Cervantès, mis sur le même plan que Shakespeare. Homme de goût avant tout, Daudet doit convenir que le décadent Baudelaire est un poète incomparable, gâché par ses addictions, tandis que l'époux malheureux de la petite-fille de Victor Hugo n'arrive pas à cacher une certaine réticence face aux envolées de La Légende des siècles.

    La dent du pamphlétaire

    Le ton monte encore d'un cran à l'évocation de Flaubert, qu'il dépeint en romancier emprunté comme un ado: «Sa vie ne fut qu'une longue puberté, avec les tourments, les erreurs, les boutons et les rêveries décevantes de cette crise sexuelle qui perturbe la sagesse et l'originalité enfantines." Ce n'est rien toutefois à côté des moments où le pamphlétaire aux 130 livres a la dent vraiment dure. Le traitement réservé à Zola en donne un échantillon: «Quand Hugo disait de Zola que le pot de chambre lui masquait le ciel étoilé, il avait parfaitement raison», tranche Daudet. Il lui reproche son «goût maladif du laid et du triste» attribué à sa personnalité de «sensuel déçu». Pour finir - et l'achever! - il conclut: «On ne peut le lire qu'à quatre pattes.» Mais ce bouillant démolisseur d'icônes était également un découvreur: il fait connaître à ses compatriotes Robert Louis Stevenson, repère le jeune journaliste Joseph Kessel, signale avant tout le monde l'immense talent de Paul Morand. «L'esprit véritable, soudain, en fusée et en flèche, est une détente indispensable à la causerie", observe-t-il dans ses notes. De fait, Daudet a un don incomparable pour détendre et faire causer.  H. G  

  • Patrimoine & Famille de France • Cet été visitez le parc du château où naquit feu le comte de Paris

     

    Cet été si vos vacances vous amènent dans l’Aisne, le site « j’aime l’Aisne » vous propose de visiter en compagnie d’un guide passionné, le parc du château où naquit feu le comte de Paris, un certain 5 juillet 1908.

    Votre guide, Monsieur Pierre-Marie Tellier, un enfant du pays, partagera avec vous sa passion pour la famille royale, qui s’installa  au Château Thiérache au 19ème siècle.

    En exclusivité, il vous introduira dans le parc du château où naquit Henri VI de France, avant de vous présenter le magnifique jardin princier composé d’essences rares.

    À proximité, la profonde forêt du Nouvion et ses maisons forestières compléteront cette balade au charme unique. Issu d’une famille d’herbagers, mais aussi correspondant d’un journal local, Pierre-Marie vous racontera avec passion le récit émouvant de la vie rurale et ses souvenirs d’enfance. Entre forêt et bocage, une balade en Thiérache à consommer sans modération !

    Cette visite vous intéresse ? Pour joindre votre guide, il suffit de vous rendre sur le site de « j’aime l’Aisne » et de prendre contact avec M. Monsieur Pierre-Marie Tellier.  

    Source La Couronne

  • Société • Mai 68 : des histoires dans l’histoire, entretien avec Gérard Leclerc

     

    1237311666.2.jpgEntretien avec Gérard Leclerc Gérard Leclerc est journaliste et écrivain, philosophe et théologien, l’un des meilleurs connaisseurs de la pensée contemporaine. Propos recueillis par Philippe Ménard. 

    Gérard Leclerc, qui avait 26 ans en Mai 68, vient de publier Sous les pavés, l’Esprit aux éditions France-Empire/Salvator, une analyse des événements autant qu’une méditation sur leur sens.

    « Que l’on ne s’y trompe pas : toutes les offensives actuelles, qu’elles concernent aussi bien la déconstruction des liens sacrés du mariage, l’instrumentalisation de la procréation, la légitimation du meurtre en fin de vie, participent toutes d’un vaste mouvement de déshumanisation, en rupture d’un héritage dont les sources sont les lois non-écrites d’Antigone, les commandement du Sinaï et la charte des béatitudes. Mai 68 correspond à l’effondrement de l’héritage, mais il signifiait aussi la possibilité d’un sursaut moral au milieu des convulsions. Il pouvait être la perception d’un sauvetage possible dans l’abîme. »

    Philippe Ménard : Il y a deux Mai 68 : le fourrier du libéralisme libertaire, avec la libération totale du désir et donc la nécessité d’avoir un appareil de production pour satisfaire des désirs sans cesse renouvelés ; et un Mai 68 qui, à travers la remise en cause des effets nocifs du capitalisme, se voulait concret, généreux, solidaire, inventif, et dont on parle moins.

    Gérard Leclerc. Le phénomène Mai 68 est susceptible de plusieurs analyses qui se chevauchent. Il est fomenté par des groupuscules marxo-léninistes qui se trouvent débordés par un mouvement de jeunesse qui leur échappe. La Révolution, on n’en veut plus, on veut les fruits des Trente Glorieuses ! La révolution politique disparaît de l’horizon au profit du gauchisme culturel, comme dit Jean-Pierre Le Goff, le meilleur analyste de Mai 68, à mon sens. Gauchisme culturel qui se cristallise dans le service de la société de consommation : l’idéologie du désir a conforté la société capitaliste, ultra-libérale.

    50 ans plus tard, le Mai 68 capitaliste et libertaire a triomphé, mais le Mai 68 de l’autogestion, du retour à la terre, où en est-il ?

    Le gauchisme violent échoue en France, contrairement aux brigades rouges allemandes ou italiennes. La mort de Pierre Overney en signe la fin. Il y a eu trois rebonds. : le Larzac, cette « proto-ZAD », qui a mobilisé beaucoup de monde ; l’affaire Lip, tentative d’autogestion sans lendemain, dont Maurice Clavel a fait un roman Les Paroissiens de Palente (Grasset, 1974) ; et la candidature de René Dumont aux élections présidentielles de 1974 – mais le système a très vite intégré la dimension écologique, Robert Poujade étant ministre de la Protection de la Nature et de l’Environnement. Et on connaît le destin du mouvement écologique aujourd’hui. Ces trois rebonds ont produit des fruits, mais cela reste très inabouti.

    La « troisième voie » de Mai 68, ni capitaliste ni violente, celle de l’autogestion et de l’écologie, a quand même profondément transformé le paysage sociologique français : les questions environnementales sont centrales.

    Tout à fait mais avec une grosse réserve : c’est la réalité la plus physique qui nous y oblige, et pas vraiment les rêveries soixante-huitardes. C’est l’épuisement des ressources naturelles, le problème de l’eau, la couche d’ozone… C’est la réalité qui contraint l’économie libérale à s’adapter. Toutes les expériences d’agriculture biologique, de commerce équitable, sont très intéressantes mais restent encore très marginales. Il faut surtout considérer le domaine des idées. En 68, on décroche du marxisme, même si on parlait marxien dans la rue, comme disait Clavel. Et d’autres courants apparaissent, même s’ils sont discrets. La pensée de Jacques Ellul, par exemple, qui devient beaucoup plus intéressant à lire que Marx et Lénine, – et qui a eu une influence certaine sur José Bové quand il lutte contre la PMA et la GPA. Ces courants étaient en harmonie avec certaines aspirations de Mai 68.

    Les vainqueurs de Mai 68 ont éliminé du récit de leur triomphe plusieurs « populations » contestatrices, comme les catholiques. Y a-t-il eu un Mai 68 catholique ?

    Le Mai 68 de Maurice Clavel ne correspond pas du tout au Mai 68 des catholiques – et malheureusement. Mai 68 a provoqué une crise catastrophique du clergé, une génération complète de séminaristes s’est évanouie… J’ai eu un récit très complet de ce qui s’était passé par Mgr Pézeril, évêque auxiliaire de Paris à l’époque, aux côtés du cardinal Marty. Selon lui, une telle crise n’avait pas existé depuis la Révolution française. Il m’a dit que c’était les prêtres qui avaient le ministère humainement le plus épanouissant, qui sont partis. J’ai beaucoup aimé sa formule : « Ce sont les laboureurs qui sont restés. » Les gens d’Échanges et dialogue étaient si violents qu’un évêque s’est évanoui en les écoutant ! Clavel, c’était tout le contraire. Il est devenu pratiquant de la messe quotidienne quand les fidèles ont abandonné la messe dominicale. Il s’était converti à la suite d’une profonde dépression. Pour lui, Mai 68 était d’ailleurs une dépression nerveuse, et on ne pouvait s’en sortir que par le haut, par une effusion de l’Esprit, par le retour de Dieu – ce qu’il expliquait par une métaphysique augustinienne. Dieu, chassé par les Lumières, réapparaissait de manière souterraine et intempestive. Les curés de l’époque n’étaient pas du tout dans cet état d’esprit ; ils n’en tenaient que pour Garaudy et le dialogue avec les communistes… Clavel disait que le dernier des communistes serait un curé breton ! Et il a écrit un pamphlet, Dieu est Dieu, nom de Dieu ! (Grasset, 1976), où il les a attaqués de façon frontale. L’Église de France était complètement en dehors du coup…

    Vous définissez Mai 68 par l’émancipation de la médiocrité ambiante, la contestation de la société de consommation, la remise en cause de la civilisation urbaine et même une certain archaïsme avec le retour à la nature. Toute ceci émerge-t-il à nouveau dans les discours politiques de droite comme de gauche, ou chez les jeunes catholiques ?

    Pour ce qui est de l’Église catholique, c’est certain, grâce à l’enseignement des papes Jean-Paul II et Benoit XVI et a fortiori celui du pape François qui y a consacré une encyclique vigoureuse, très mal vue chez les libéraux, même les catholiques. On s’aperçoit aussi que beaucoup de mouvements politiques ont intégré cette dimension, comme Mélenchon ou Marine Le Pen, qui en a parlé dans son discours de Lille, avec même une attaque contre le transhumanisme. On peut y voir un rebond d’une certaine inspiration soixante-huitarde… Il y avait cette insatisfaction profonde d’un monde dans lequel on ne se reconnaissait pas – mais c’est lui qui a triomphé, et qui a intégré les revendications de Mai 68 en en faisant des paramètres de son propre système.   

    dossier-3.jpg

    Maurice Clavel quand il écrit Dieu est Dieu, nom de Dieu

     

    arton22477-c71fa.jpg

    Dans le flot des publications célébrant le cinquantenaire des événements de Mai 68, se détache l’essai du journaliste catholique Gérard Leclerc, Sous les pavés, l’Esprit (France-Empire / Salvator, 148 p., 14 €).

    À 26 ans, immergé dans l’effervescence idéologico-politique parisienne, Gérard Leclerc a été marqué à sa façon par le phénomène de Mai 68. L’éditorialiste de France catholique et chroniqueur de Radio Notre-Dame propose un décryptage intéressant qui ne plaira pas à tous.

  • Cinéma • Le Petit-Maître corrigé

     

    Par Guilhem de Tarlé

    Le Petit-Maître corrigé, théâtre au cinéma, une comédie en prose de Marivaux, mise en scène à  la Comédie française par Clément Hervieu-Léger, avec Clément-Hervieu-Léger (Dorante), Loïc Corbery (Rosimond, le jeune marquis), Christophe Mortenez (Frontin, son valet), Claire de la Rüe du Can (Hortense), Adeline d’Hermy (Marton, sa servante), Florence Viala (Dorimène), et Dominique Blanc (la marquise, mère).

    GT Champagne !.JPG

    Après le débat sur la fidélité dans Mes Provinciales, il se trouve que Frontin revient sur ce sujet pour opposer la province et Paris, où « la fidélité n’est point sauvage (mais) galante, badine, qui entend raillerie, et qui se permet toutes les petites commodités du savoir-vivre (…) Je trouve sur mon chemin une personne aimable (…) je lui dis des douceurs, elle m’en rend ; je folâtre (…) la fidélité conjugale n’y est point offensée »…

    Cette opposition entre les « bobos » parisiens de la première moitié du XVIIIe siècle et la noblesse provinciale constitue le sujet de la pièce de Marivaux, et l’on peut comprendre son « four » lors de la première représentation en 1734 (et dernière jusqu’à notre époque) à la Comédie française, tellement la société urbaine y est expressément ridiculisée.

    Disons-le tout net, cette pièce, emberlificotée, est plutôt médiocre malgré son vocabulaire (une gasconnade, ce faquin), certaines expressions (A vue de pays, sa dignité de joli homme), des répliques « piquantes » et quelques échanges jouissifs qui fleurent bon l’ancienne France : Frontin (qui) est le singe de Rosimond parle de son original (…) on attrape toujours quelque petite fleurette en passant (…) A Paris les cœurs on ne se les donne pas, on se les prête (…) nous avons lié une petite affaire de cœur ensemble (…)une vapeur d’amourune vapeur se dissipe.

    Je n’ai, non plus, pas aimé la mise en scène qui fait courir les acteurs en permanence d’un bout à l’autre du plateau, lorsqu’ils ne se jettent pas par terre l’un sur l’autre. Je parlerais donc volontiers d’une « bonne » soirée plutôt qu’excellente. 

    Que dire ensuite des différents personnages ?

    Hortense, d’abord, tellement « aimable », nous déçoit à la fin par sa façon d’utiliser Dorante, pour lui reprocher ensuite d’avoir voulu « profiter des fautes de (son) ami » ; on se demande en outre comment elle peut aimer ce « ridicule » de Rosimond.

    J’ai, pour ma part, considéré comme exagérées les « ridiculités » de ce marquis, avec son rire glapissant, stupide – pour ne pas dire autre chose - qui rappelle celui de Mozart dans Amadeus.

    Dorimène tient bien son rôle, mais les deux seuls personnages véritablement attachants sont la servante et le valet qui jouent particulièrement bien, et l’on s’amuse énormément à écouter Frontin « de la promotion de Lisette ». 

    Cette pièce, pour conclure, malgré son mariage arrangé (quoique ?) me paraît totalement d’actualité qui met face à face les Macron parisiens et les provinciaux ; elle illustre, en outre, le combat permanent que le péché originel - l’orgueil – fait à l’amour, et la victoire finale de celui-ci.  

    PS : vous pouvez retrouver ce « commentaire » et plusieurs dizaines d’autres sur mon blog Je ciné mate.

  • Mai 68 • LʼEmpire U.S. contre-attaque [7]

    Une fois que la tempête a commencé, les leaders de la J.C.R. « Krivine, Bensaïd, Weber sont fiers de lʼaide que leur apporte la IVème Internationale – essence belge, talkies-walkies américains, collecte des dockers ceylanais. » Alain Krivine est, de même, fier dʼavoir lʼhonneur dʼêtre reçu par le plus américain des politiciens français, Pierre Mendès France, qui, le 10 mai 1968, à lʼoccasion dʼun débat à lʼAssemblée nationale sur la proposition faite par de Gaulle de revenir à lʼétalon-or strict, sʼemportait contre « une politique médiévale, une politique qui nʼest pas digne dʼun État moderne »[1].

    « Pierre Mendès France désire le rencontrer pour sʼinformer de lʼétat dʼesprit des jeunes contestataires. […] Alain respecte Mendès et ne voit nulle objection à semblable entretien. Dès le 18 mai, ils sont face-à-face dans un restaurant voisin de la rue Montholon. Une autre conversation suivra. Lʼancien président du Conseil est à la fois réjoui et alarmé. Réjoui parce quʼune de ses vieilles prédictions se réalise : ce régime est à la merci dʼune poussée violente. Tourmenté parce quʼil juge de Gaulle capable de recourir aux armes. »[2]

    Aucune preuve, cependant, nʼa encore été révélée qui puisse confirmer quʼil y aurait eu des liens entre la IVème Internationale et la C.I.A. au moment de 68, seulement un faisceau dʼindices. Il est en revanche attesté, concernant la troisième branche du trotskisme français, le « lambertisme », auquel ont notamment appartenu MM. Jospin, Mélenchon et Cambadélis avant de rallier le P.S., que la main des services secrets américains agissait pour, si lʼon peut dire, piloter la boutique.

    Le Français le plus proche de lʼagent de la C.I.A. Irving Brown, André Lafond, en plus de sa fonction de syndicaliste à F.O, était membre de lʼO.C.I, qui auparavant sʼappelait Parti communiste internationaliste (P.C.I.). « Dans lʼentre-deux-guerres, il fut militant socialiste sympathisant des bolchevkis-léninistes à lʼintérieur de la SFIO, démissionna en 1936 et adhéra officiellement au Parti communiste internationaliste. […]. À partir de 1950, sa correspondance avec Brown et Lovestone devient très régulière. »[3]

    Tant F.O. que les « lambertistes » de lʼO.C.I. étaient des organisations que la C.I.A. avait infiltrées. Cʼest ce que montre le passage qui suit :

    « À lʼautomne 1967, Robert Ehlers sʼintéresse particulièrement aux nouveaux groupuscules révolutionnaires et à leurs jeunes dirigeants. »[4] Cet homme est le « directeur adjoint du bureau parisien de Radio Liberty »[5], une radio créée en 1949 sous lʼégide de la C.I.A. En novembre 1967, il fait la rencontre de « M. », qui « passe pour un des meilleurs spécialistes de lʼextrême gauche »[6]. Ce dernier lui conseille dʼinterviewer quelques figures de ce courant. Une journaliste de son équipe rencontre alors Charles Berg, dirigeant dʼun groupuscule trotskiste appelé Révoltes. « Dans la discussion, le cigare aux lèvres, Charles Berg a confié à la journaliste de Radio Liberty que les jeunes de son mouvement acheminaient derrière le rideau de fer une littérature considérée comme subversive dans les pays du bloc soviétique, ce dont il paraît très fier. Cette confidence, dont il a fait état non sans une certaine gloriole, suscite la curiosité de M. Ce dernier nʼignore pas en effet les liens qui existent entre le groupe de Berg, coiffé par un certain Pierre Lambert, et FO, ni ceux de FO avec la revue Le Syndicaliste exilé et le Centre dʼétudes économiques et syndicales, ni davantage ceux dʼIrving Brown avec FO et les services américains. »[7]

    Pierre Lambert, le premier mentor politique des Jospin, Cambadélis et Mélenchon était donc en relations resserrées avec les États-Unis, ce qui peut expliquer leur parcours. En rejoignant le P.S. pour des raisons stratégiques dʼentrisme, cʼest-à-dire avec lʼaval de leur direction, ils restaient dans le giron américain. Leur évolution ne représentait en rien une trahison. Elle relevait dʼune certaine continuité. Et lʼun des leaders de Mai, Jacques Sauvageot, issu de lʼatlantiste P.S.U., savait à qui il devait sa place de chef de lʼU.N.E.F. : à une autre formation atlantiste, les trotskistes de lʼO.C.I.

    Experts ès rouerie, en dignes successeurs de leur grande sœur la perfide Albion, les Américains agissaient sous couvert. Ils ne regardaient pas non plus le mouvement maoïste français des Linhart et Lévy – lʼUnion des jeunesses communistes (marxistes-léninistes) fondées les 10 et 11 décembre 1966 au théâtre dʼUlm – comme un ennemi mais comme un allié objectif. Ce changement radical – car en 1964 la décision de la France dʼétablir « des relations diplomatiques avec la Chine populaire est accueillie par les États-Unis comme un geste de défiance à leur égard »[8] – est opéré suite aux conseils prodigués par Henri Kissinger, qui « considérait que la Chine, ruinée par la Révolution culturelle, ne constituait pas un modèle révolutionnaire crédible et quʼelle appartenait dʼores et déjà, du fait de son opposition à lʼURSS, au système de sécurité américain »[9] On retrouve une telle analyse dans le film Pentagon Papers (2018), au détour dʼune conversation à la fin dʼun dîner réunissant des membres éminents de lʼestablishment de lʼère Nixon.

    De ce fait les militants maoïstes, ces communistes concurrents du P.C.F. pro-soviétique, nʼétaient pas du tout gênants pour les Américains, ils pouvaient sans problème aller chercher à lʼambassade de Chine les grands textes du marxisme-léninisme, le Petit Livre rouge de Mao et le périodique Pékin Information, pour les refourguer aux jeunes esprits naïfs prêts à croire que le Grand Timonier fût un bienfaiteur de lʼhumanité et la Chine un paradis. En Europe de lʼOuest les groupuscules maoïstes, comme lʼaffirme Morgan Sportès, étaient en réalité plus ou moins contrôlés par la C.I.A.[10]

    Celle-ci, parce quʼentre les États-Unis et la France « le malentendu est permanent avec des périodes de très vive tension »[11], et donc « nʼapprécie pas la politique gaulliste, cherche dʼailleurs à semer le trouble en France »[12]. Le moins quʼon puisse dire cʼest quʼelle a réussi...  (Fin du dossier)  

    [1]  Maurice Vaïsse, La grandeur. Politique étrangère du général de Gaulle, Paris, C.N.R.S. Éditions, 2013, p. 405-406.

    [2]  Hervé Hamon, Patrick Rotman, op. cit., p. 532.

    [3]  Tania Région, op. cit., p. 108.

    [4]  Frédéric Charpier, La CIA en France. 60 ans dʼingérence dans les affaires françaises, Paris, Seuil, 2008, p. 264.

    [5]  Ibid., p. 263.

    [6]  Ibid., p. 266.

    [7]  Ibid., p. 267-268.

    [8]  Maurice Vaïsse, op. cit., p. 363.

    [9]  Cité par Morgan Sportès, Ils ont tué Pierre Overney, Paris, Grasset, 2008, p. 193.

    [10]  Ibid., p. 195.

    [11]  Maurice Vaïsse, op. cit., p. 364.

    [12]  Ibid., p. 369.

     

    Retrouvez les articles de cette série en cliquant sur le lien suivant ... 

    Dossier spécial Mai 68

  • Israël ou le droit de tuer

     

    Par Antoine de Lacoste

     

    1456949215.png

    Les récents et tragiques évènements de Gaza ont remis au goût du jour un débat vieux comme Israël : cet Etat agit-il en situation de légitime défense ou utilise-t-il la violence comme moyen de gouvernement en outrepassant ses droits ?

    Ainsi posée la question est bien juridique et donc inopérante. En effet, depuis son existence, Israël a été attaquée par de multiples forces, à commencer par une partie de la population palestinienne, forcée de quitter des terres qu’elle habitait depuis plusieurs générations.

    Savoir si elle avait le droit de riposter et comment, n’a jamais intéressé ni la classe politique ni l’armée ni la population israéliennes. Le rôle de son armée est de défendre les acquis conquis progressivement et c’est elle seule qui a le choix des moyens. Cela ne saurait être un débat.

    Le droit international ne compte donc pas et les Etats-Unis sont là pout y veiller, veto à l’ONU à l’appui en cas de besoin. L’allié américain ne prend d’ailleurs même plus de gants : les Clinton, Obama, même Bush énonçaient des regrets de principe lorsque l’armée avait tiré à balles réelles sur des manifestants qui lançaient des pierres. Aujourd’hui, Trump se tait et l’ambassadrice américaine à l’ONU, la sémillante et ambitieuse Nikki Haley, se permet même de quitter l’assemblée lorsque le représentant palestinien prend la parole. C’était tout de même du jamais vu.

    Le transfert inique de l’ambassade américaine à Jérusalem est une pierre de plus dans l’édifice de l’impunité. Ce transfert est contraire aux traités signés et en vigueur, mais c’est sans importance. Le lobby évangéliste connait là sa plus grande victoire et Israël peut se frotter les mains. A ce propos, il est tout de même stupéfiant que l’Eglise catholique ait aussi peu réagi : Jérusalem n’aurait jamais dû devenir la capitale d’un Etat. C’est une ville internationale, lieu saint pour les trois religions monothéistes : en faire une capitale d’un Etat, confessionnel qui plus est, est contraire à 70 ans de traités.

    Alors autant être clair : il n’y aura jamais d’Etat palestinien. Cette fiction destinée à calmer les opinions publiques et éviter de sanglantes manifestations de désespoir, n’a même plus d’apparence. Les colonies illégales peuvent s’étendre progressivement, avec ou sans expropriation. Tous les moyens sont bons : menaces, violences, arrestations arbitraires effectuées par l’armée hors de toute règle juridique. Et quand par hasard un juge indépendant annule la création d’une colonie car contraire aux traités en vigueur, la décision n’est jamais appliquée et la colonie s’étend.

    Qu’on lise à cet égard le très beau témoignage de Vera Baboun, la Maire chrétienne de Bethléem dans son livre « Ma ville emmurée ». Car il y a des chrétiens palestiniens : tous ne sont pas du Hamas. Mais coincés entre la brutalité israélienne et l’expansion islamiste, ils s’en vont peu à peu. Bientôt, le pays du Nouveau Testament ne comptera plus de chrétiens et nous pourrons nous interroger sur notre propre responsabilité.

    Alors quand certains écrivent qu’ « Israël a le droit de se défendre », ils devraient plutôt affirmer qu’Israël a le droit de tuer car c’est ainsi que les choses se passent en Palestine. 

    Retrouvez l'ensemble des chroniques syriennes d'Antoine de Lacoste dans notre catégorie Actualité Monde.

  • Mai 68 • LʼEmpire U.S. contre-attaque [6]

    Les mouvements gauchistes, pourtant dʼinspiration marxiste, étaient infiltrés par des personnes agissant à la solde des Américains. Le cas le plus emblématique étant celui de la « lambertiste » O.C.I., lʼune des trois factions du trotskisme français, avec le   « franckisme » et le « pablisme ».

    Le terme « pablisme » vient de Pablo, le pseudonyme de Michel Raptis. Son « mouvement » Voix ouvrière était lʼhéritier dʼune organisation fondée au début de la Seconde Guerre mondiale par des militants trotskistes, dont de nombreux juifs roumains. Au moment de sa réorganisation, dans les années 50, beaucoup de ses militants avaient été dʼanciens membres des jeunesses socialistes sionistes, essentiellement issus du Hashomer Hatsaïr. Après sa dissolution et sa réorganisation consécutive aux événements de Mai 68, il prit le nom de Lutte ouvrière »[1] (L.O.), parti que le grand public connaît à travers la figure dʼArlette Laguiller, première femme à sʼêtre présentée à une élection présidentielle. Le rôle des « pablistes » a été mineur en Mai 68, mouvement quʼà la base ils rejetèrent car, selon leur point de vue, dʼessence étudiante et petite-bourgeoise.

    Au contraire des « franckistes », qui participèrent pleinement au lancement de la révolte. Lors de lʼattaque de lʼAmerican Express, rue Auber, le 21 mars, est présent parmi le commando le responsable du service dʼordre de la J.C.R., Xavier Langlade. Le lendemain est fondé le Mouvement-du-22-mars à Nanterre. « Des anars, des lecteurs assidus des situationnistes, des trotsko-guévaristes de la JCR, des anarcho-communistes, des libertaires »[2] forment le gros des troupes. Ce nʼest pas un parti politique mais « une mouvance, un creuset, sans programme, sans héirarchie officielle, sans dirigeants élus. »[3] Daniel Bensaïd, un « toulousain volubile, normalien de Saint-Cloud et philosophe à Nanterre, représente la JCR au sein du 22-Mars. »[4]

    Le 3 mai C.R.S. et étudiants sʼaffrontent autour de la Sorbonne. On y retrouve des militants J.C.R., qui font partie des milliers dʼenragés qui se mesurent aux gardiens de la paix. « La plupart des leaders arrêtés dans la cour de la Sorbonne ont été conduits au commissariat qui occupe les sous-sols de lʼOpéra. Bouclés dans des cages grillagées, ils ont tout loisir dʼanalyser la conjoncture. Sauvageot découvre Cohn-Bendit, quʼil ne connaît guère, et entame avec lui une longue conversation. En aparté, Alain Krivine et Henri Weber, les dirigeants de la JCR, planifient les mobilisations futures. […] Le pouvoir vient dʼoffrir aux révolutionnaires sans révolution une chance inespérée, inouïe. »[5] Durant « cette nuit du 3 au 4 mai se met en place un état-major, un cartel qui parle désormais au nom du ʽʽmouvementʼʼ »[6] : y appartiennent le S.N.ESup (un syndicat dʼenseignants représenté par Alain Geismar), lʼU.N.E.F., le 22-Mars, et une seule formation véritablement politique, avec un programme précis, une idéologie définie et une structure hiérarchique, la J.C.R.

    Ce courant du trotskisme est désigné par le vocable « franckisme » car il a pour fondateur Pierre Franck (1905-1971), membre de la direction de lʼInternationale trotskiste, la IVème Internationale, qui est né dans « une famille juive […] de Vilna »[7].

    Comme pour la « pabliste » Voix Ouvrière, son mouvement comprend un « grand nombre de militants dʼorigine juive. »[8] Ils sont généralement issus du socialisme sioniste plutôt que du socialisme juif, ou Bund. « Certains militants ont dʼabord appartenu à une organisation sioniste socialiste, lʼHachomer Hatzaïr, avant de rejoindre la Ligue. Cʼest le cas dʼH. Weber, inscrit à cette organisation par ses parents dès lʼâge de 9 ans. »[9] Cʼest pourquoi ils entretiennent des liens privilégiés avec lʼun des alliés les plus proches des États-Unis, si ce nʼest le plus proche, si lʼon en croit Wladimir Rabi, qui insiste, concernant les États-Unis, sur « la puissance de lʼestablishment et le lobby juif »[10], et comme en atteste cette conversation tenue entre de Gaulle et Nixon en 1969 :

    Le président américain tient surtout à apporter une précision à son homologue français : ʽʽÀ propos dʼIsraël, je voudrais vous éclairer sur deux aspects. Dʼabord il y en a qui pensent quʼaucun président des États-Unis ne peut prendre une décision quelconque au sujet dʼIsraël sans tenir compte du vote juif. Ce nʼest pas mon cas.ʼʼ

    Je le sais, lʼinterrompit le Général. »[11]

    Au sein du trotskisme franckiste, « les rapports de certains militants à lʼÉtat dʼIsraël sont étroits. Ainsi, R. Prager, après avoir été déchu de la nationalité française au début de lʼannée 1950, pour avoir déserté en 1939, sʼinstalle en Israël, de mars 1950 à décembre 1952. […] De même, des militants israéliens dʼextrême gauche prennent contact avec la JCR en 1966. »[12]

    Ce qui fera dire à Michel Warschawski[13] que grâce au canal trotskiste « les idées de Mai 68 circulaient jusque dans les banlieues dʼHaïfa »[14].

    La J.C.R est créée par « deux ou trois cents militants »[15] après lʼélection présidentielle de 1965, durant laquelle Alain Krivine et ses amis ne soutiennent pas François Mitterrand, candidat unique de la gauche et notamment du P.C.F. « Elle recrute des néophytes épris de communisme originel, épouvantés par lʼhorreur stalinienne. Ils ne sʼaperçoivent pas que les ronds-de-cuir de la IVème Internationale leur débitent en tranches le Talmud trotskiste. »[16] Cette organisation transnationale, dont les ramifications vont de New York jusquʼà Amsterdam et Bruxelles en passant par Londres, semble être de mèche avec ceux qui en veulent à de Gaulle, et qui pour lʼaffaiblir tentent dʼinsuffler un esprit de révolte parmi les étudiants français afin que se levât une mouvement massif de contestation.

    Sinon pourquoi Pierre Franck fut-il capable de prophétiser Mai 68 ? Comment pouvait-il deviner lʼimminence de lʼirruption de la crise ? Une source indique quʼil était persuadé que des émeutes, des grèves et des manifestations – un nouveau « 36 », en plus grand – se produiraient : « Seul Pierre Franck, le grand-papa des trotskistes de la JCR, sʼobstine à répéter que quelque chose dʼénorme se prépare, que ce sera plus important quʼen 1936. Il a même bousculé ses horaires de repas – un comble ! Irrespectueusement, Krivine se dit que le Vieux déconne. »[17]  (Dossier à suivre)   

    [1]Yaïr Auron, Les juifs dʼextrême-gauche en mai 68, Paris, Albin Michel, 1998, p. 270.

    [2]Hervé Hamon, Patrick Rotman, op. cit., p. 431.

    [3]Idem.

    [4]Ibid., p. 432.

    [5]Ibid., p. 456.

    [6]Ibid., P. 459.

    [7]Jean-Paul Salles, La Ligue communiste révolutionnaire (1968-1981). Instrument du Grand Soir ou lieu dʼapprentissage, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2005, p. 307.

    [8]Ibid., p. 307.

    [9]Ibid., p. 308.

    [10]Wladimir Rabi, « LʼEstablishment juif. Structures et idéologie », Catalogue pour des juifs de maintenant, n° 38, septembre 1979.

    [11]Vincent Nouzille, op. cit., p. 235.

    [12]Jean-Paul Salles, op. cit., p. 310.

    [13]Lui, le « fils du grand rabbin de Strasbourg, ayant réalisé son aliya avant 1968 et militant antisioniste, tout en expliquant le rôle quʼont eu les militants trotskystes dʼIsraël dans son évolution intellectuelle, insiste sur lʼimportance des liens étroits entretenus notamment avec la JCR », ibid., p. 310.

    [14]Idem.

    [15]Hervé Hamon, Patrick Rotman, op. cit., p. 302.

    [16]Idem.

    [17]Ibid., p. 508. 

     

    Retrouvez les articles de cette série en cliquant sur le lien suivant ... 

    Dossier spécial Mai 68

  • Chateaubriand : Quelle serait une société universelle qui n'aurait point de pays particulier ?

     

    Chateaubriand, un peu prophète dans les Mémoires d'Outre-tombe (quatrième partie du livre douzième chapitre six) se demandait déjà :


    « Quelle serait une société universelle qui n'aurait point de pays particulier, qui ne serait ni française, ni anglaise, ni allemande, ni espagnole, ni portugaise, ni italienne, ni russe, ni tartare, ni turque, ni persane, ni chinoise, ni américaine ou plutôt qui serait à la fois toutes ces sociétés ? Qu'en résulterait-il pour son intelligence, ses mœurs, ses sciences, ses arts, sa poésie ? Vous dînerez à Paris, et vous souperez à Pékin, grâce à la rapidité des communications ; à merveilles (sic) ; et puis ? » 

    Et cetera ...  

    [Merci à Richard !]

  • L’homme, ce monstre toxique

     

    Par  Mathieu Bock-Côté 

    Nous n'ajouterons pas de commentaire à cette chronique de Mathieu Bock-Côté dans le Journal de Montréal du 23 mai. Elle est marquée d'un pessimisme que l'on sent parfaitement justifié et qui va comme toujours au fond des choses. Il suffit de suivre le fil de la réflexion de Bock-Côté.   LFAR 

     

    501680460.5.jpg

    La grande poussée du néoféminisme est tellement forte en ce moment qu’ils sont rares à oser le critiquer. Normal : qui s’oppose au féminisme même le plus radical risque de passer pour l’ennemi des femmes.

    Alors on se tait. Mais tout n’est pas à célébrer dans ce féminisme nouveau genre.

    Masculinité 

    Notamment, on est en droit de s’inquiéter d’une de ses dimensions les plus inquiétantes, soit la haine de l’homme, traité souvent comme un ennemi, et même comme un résidu archaïque appelé à disparaître.

    Cette guerre contre l’homme, généralement inavouée, on la fait passer pour une lutte contre la « masculinité toxique ». Le terme s’impose à grande vitesse dans la vie publique. Il circule de plus en plus dans nos médias et à l’université. Sous prétexte de dénoncer des comportements masculins problématiques (aucun sexe n’est parfait et l’homme doit évidemment être critiqué), il propose en fait la déconstruction de toute la représentation traditionnelle de ce que l’homme doit être.

    À quoi pense-t-on ? À l’homme qui contient ses émotions dans une situation difficile. À l’homme qu’on élève dans le culte du courage intellectuel et physique. À celui à qui on donnait comme héros les grands soldats, les grands explorateurs, les grands politiques. À celui qu’on élève dans le culte de la réussite ou du sacrifice. À l’homme qui veut protéger sa femme et ses enfants. À celui qui s’imagine que le père et la mère n’ont pas exactement la même fonction symbolique auprès de l’enfant.

    Cette représentation de la masculinité, on nous invite à la déconstruire, comme si elle nous pourrissait la vie depuis des siècles. L’homme serait une créature toxique. La masculinité serait une maladie mentale.

    De là, d’ailleurs, la valorisation de l’androgynie et de tout ce qui, de près ou de loin, favorise la féminisation du masculin et la masculinisation du féminin. On le voit dans la chanson comme dans la mode. Qu’un homme fasse tout pour brouiller les codes du masculin et du féminin et on le célébrera. On y verra un avant-gardiste. On célébrera même son courage : il oserait briser les derniers tabous du vieux monde.

    Mais qu’on se trouve devant un homme à peu près ordinaire, qui se conforme aux valeurs traditionnelles associées à son sexe, on le présentera comme un aliéné, prisonnier d’une culture qui l’opprime. Dans la publicité, l’homme est la plupart du temps présenté comme un incapable et un idiot. Ou alors c’est une brute. On fait même de la virilité un défaut, presque une tare. Le héros du monde ancien, surtout le soldat courageux, est présenté comme un pauvre bougre. Nos pères sont moqués. Et méprisés.

    Que personne ne proteste : on l’accusera de masculinisme.

    Déconstruction

    Il y a derrière cela une folie propre à notre époque : la déconstruction maladive de notre civilisation. On veut détruire les représentations consacrées du masculin et du féminin. On veut déconstruire nos représentations de la culture, de la beauté, de l’identité.

    C’est le culte de la table rase, qui risque de nous laisser un monde en ruine.     

    Mathieu Bock-Côté

    Mathieu Bock-Côté est docteur en sociologie, chargé de cours aux HEC à Montréal et chroniqueur au Journal de Montréal et à Radio-Canada. Ses travaux portent principalement sur le multiculturalisme, les mutations de la démocratie contemporaine et la question nationale québécoise. Il est l'auteur d'Exercices politiques (VLB éditeur, 2013), de Fin de cycle: aux origines du malaise politique québécois (Boréal, 2012) de La dénationalisation tranquille (Boréal, 2007), de Le multiculturalisme comme religion politique (éd. du Cerf, 2016) et de Le Nouveau Régime (Boréal, 2017).

  • Mai 68 • LʼEmpire U.S. contre-attaque [5]

    LʼU.N.E.F. 

    La grande centrale du syndicalisme étudiant français, lʼU.N.E.F., entretenait des « relations bilatérales continues et cordiales »[1] avec lʼUnited National Student Association (U.S.N.S.A.), un syndicat étudiant américain né en août 1947 à Madison, dans le Wisconsin. Ses fondateurs, Alice Horton et Bill Ellis, lʼont créé en vue dʼen faire la branche américaine de lʼUnion internationale étudiante (U.I.E.), première organisation internationale étudiante à voir le jour, le 17 novembre 1946 à Prague, notamment sous lʼimpulsion de lʼU.N.E.F.

    Or, suite au coup de Prague de 1948, Al Lovenstein, président de lʼU.S.N.S.A., organise à Stockholm une conférence qui amène à la création de la Conférence internationale étudiante (C.I.E.). Celle-ci devient ainsi lʼinternationale étudiante pro-américaine quand lʼU.I.E. tend à être son pendant pro-soviétique. À partir de ce moment-là lʼU.S.N.S.A. devient une antenne de la C.I.A., qui sʼen sert pour « obtenir des informations sur les activités internationales des syndicats étudiants »[2] LʼU.S.N.S.A. reçoit de généreux subsides de la part de la C.I.A.  Le service de sécurité extérieure américain « finance secrètement une partie du programme de sa commission internationale. »[3] Son soutien financier sʼélève à 200 000 $ annuels.

    Grâce à cette collaboration, lʼU.S.N.S.A et la C.I.E. disposent de « ressources financières importantes qui leur permettent dʼêtre omniprésentes sur la scène internationale »[4]. Mais cette collaboration suscite un scandale quand elle est révélée publiquement. Jean Lamarre évoque « la divulgation en 1967 par la revue Ramparts du soutien financier que la Central Intelligence Agency (CIA) accordait à lʼU.S.N.S.A depuis le début des années 1950 »[5].

    Dans les années 1960, lʼU.N.E.F., en situation de crise aiguë, avait précisément besoin dʼargent. Ses effectifs avaient fondu, ce qui avait provoqué une situation de banqueroute. Elle était en outre minée par des jeux dʼappareil, entre une aile modérée – lʼentrisme du Parti socialiste unifié (P.S.U.) – et une aile radicale – lʼentrisme trotskiste –.

    La Fédération des étudiants révolutionnaires (F.E.R.) sʼingénia à « provoquer une certaine terreur dans la direction, en faisant, de temps à autre irruption à son siège, 15, rue Soufflot, pour menacer, et parfois molester, ses dirigeants. Peu avant Pâques, la situation est telle que la direction de lʼU.N.E.F. est obligée de se réunir à Bois-Colombes, cité universitaire et à municipalité communiste. Venus saboter la réunion et prendre de force la direction de lʼU.N.E.F., les militants de la F.E.R. tombèrent à la fois sur un service dʼordre policier classique et les ʽʽgros brasʼʼ du P.C.F. La F.E.R. bat en retraite […]. Quelques jours plus tard, à Pâques, la F.E.R. se venge à la Sorbonne, en contraignant Perraud, président de lʼU.N.E.F., à démissionner, ʽʽà cause de sa mollesse, de son incapacité et de ses échecs.ʼʼ À cette occasion, Jacques Sauvageot, vice-président, prend la tête de lʼU.N.E.F., en attendant le prochain congrès prévu alors pour juillet à Caen. »[6]

    Entre temps eurent lieu les événements de Mai 1968, où Sauvageot occupa un rôle majeur puisquʼil fit partie du groupe assurant la direction du mouvement. Il avait obtenu son poste à la tête de lʼU.N.E.F. suite à un coup de pression des trotskistes de la F.E.R., le mouvement de jeunesse de lʼOrganisation communiste internationaliste (O.C.I.), fondé et dirigé par lʼouvrier du livre encarté à F.O. Pierre Lambert (son vrai nom étant Boussel).

    À la fin du mois de mai, la veille du meeting du stade Charléty, F.O., ce syndicat piloté par les Américains, avait participé à la coalition qui avait tendu la main aux trotskistes de la direction du mouvement de contestation dans le but de soutenir le projet de remplacer de Gaulle par lʼ « atlantiste »[7] Pierre Mendès France. Le 27 mai « des ambassadeurs du PSU, de la CFDT, de FO, des ʽʽpersonnalitésʼʼ se sont rencontrés en présence de Mendès. Krivine aurait reçu un carton dʼinvitation. À lʼordre du jour : un gouvernement de transition qui accorderait sa place au ʽʽcourant de maiʼʼ. »[8]

    Alain Krivine appartenait à une autre obédience du trotskisme français que lʼO.C.I. Il animait la Jeunesse communiste révolutionnaire (J.C.R.), « quʼon prononce en Sorbonne la ʽʽJcreuʼʼ »[9], qui avait été fondée le 2 avril 1966. Dans une logique dʼouverture, la J.C.R. incitait ses militants à adhérer également au sein de lʼU.N.E.F. À Nanterre, dʼoù est parti Mai 68 avec le Mouvement-du-22-mars, son représentant est aussi membre de la J.C.R. : « Lʼannexe nanterroise du syndicat étudiant est à peu près aussi déliquescente que le bureau national et nʼattire que les mandataires de factions rivales qui sʼétripent en dʼinterminables assemblées générales où la victoire revient au plus endurant. Le bureau est ʽʽtenuʼʼ par un trotskiste mélomane, Jean-François Godchau, membre de la JCR dʼAlain Krivine. »[10]   

    En réalité, comme lʼaffirme Claude Paillat, durant la crise de Mai, celle-ci a occupé la fonction dʼinfrastructure organisationnelle de lʼU.N.E.F. « Il est évident quʼau cours des événements de mai-juin, lʼU.N.E.F. était tellement désorganisée, affaiblie par ses dissensions, ses dettes, son recul aux élections de facultés, quʼelle nʼétait plus capable dʼassurer la moindre action. Cʼest donc principalement la J.C.R. qui soutient, conseille, prépare le travail de lʼU.N.E.F. »[11] Lors de la création du Mouvement-du-22-mars, puis lors de la première émeute de grande ampleur, le 3 mai à la Sorbonne, J.C.R. et U.N.E.F. étaient effectivement présents.

    On peut noter, enfin, quʼun syndicat étudiant américain autre que lʼU.S.N.S.A, le Students for a Democratic Society (S.D.S.), fondé par Tom Hayden, a concouru à lʼexaltation de la colère étudiante contre le gouvernement quand elle nʼétait quʼà ses prémices. Le 28 mars 1968, le doyen Grappin, à cause de lʼoccupation la tour de la faculté de lettres de Nanterre, décide de suspendre les cours et de fermer pour quelques jours lʼuniversité. Quand Nanterre est rouverte, ils sont mille deux cents jeunes à se rassembler pour écouter Karl Wolf, président de la branche allemande S.D.S., venu soutenir la contestation étudiante.

    Les « enragés » de Mai 1968, qui se réclament du communisme le plus intransigeant, nʼeffrayent en rien les autorités américaines. Ce qui est pour le moins paradoxal. Au contraire elles voient dʼun bon œil cette révolte estudiantine contre le pouvoir gaulliste.

    Vincent Nouzille écrit que « lʼambassadeur Shriver donne pour consigne à ses équipes dʼaller au contact de ce mouvement étudiant imprévisible. Lui-même, un libéral passionné par les courants de protestation aux États-Unis, se rend plusieurs fois rive gauche afin de prendre la mesure des manifestations. La résidence de lʼambassadeur, près de lʼÉlysée, se transforme en lieu de rencontres informelles, ouvert du matin au soir à de longues discussions entre professeurs, étudiants, fonctionnaires du ministère de lʼÉducation et diplomates. Un de ses conseillers, Robert Oakley, est chargé de monter un ʽʽcomité de jeunesseʼʼ parallèle à lʼambassade pour dialoguer avec des leaders étudiants ou politiques »[12]. En quelque sorte un comité de parrainage destiné à la jeunesse contestataire de France, si utile aux Américains, que de Gaulle exaspère au plus haut point.  

    Lʼextrême-gauche

    Lʼalliance entre U.N.E.F. et révolutionnaires professionnels est visible durant la crise de mai-juin 1968. Par exemple, à lʼintérieur du Mouvement-du-22-mars ou lors de la première nuit dʼémeute dans le Quartier latin. Également, lorsque le mouvement sʼessouffle, suite à lʼannonce de la dissolution de lʼAssemblée nationale entraînant la tenue dʼélections législatives ainsi quʼà la grande marche pro-de Gaulle du 30 mai, le syndicat étudiant et les gauchistes entendent continuer les manifestations, dénonçant le principe du vote comme étant le moyen le plus efficace de museler les réelles aspirations populaires, un piège à cons en somme. « LʼUNEF est seule, le 1er juin, à organiser un défilé de Montparnasse vers Austerlitz. La CGT désavoue, le PC aussi, la CFDT sʼexcuse, le PSU se divise. Cohn-Bendit, Geismar, Sauvageot, Krivine, suivis de vingt mille obstinés, traversent le quartier Latin, drapeaux rouges et noirs en tête, et rodent leur nouveau slogan. ʽʽÉlections, tahisons !ʼʼ »[13]   (Dossier à suivre)  

    [1]  Jean Lamarre, « Les relations entre les mouvements étudiants américain et français dans les années 1960. Une méfiance cordiale », Vingtième siècle, n° 129, janvier-mars 2016, p. 130.

    [2]  Ibid., p. 129.

    [3]  Idem.

    [4]  Idem.

    [5]  Ibid., p. 127.

    [6]  Claude Paillat, Archives secrètes. 1968/1969 : les coulisses dʼune année terrible, Paris, Denoël, 1969, p. 67.

    [7]  Hervé Hamon, Patrick Rotman, Génération. Les années de rêves, Paris, Seuil, 1987, p. 555.

    [8]  Ibid., p. 554.

    [9]  Ibid., p. 302.

    [10]  Ibid., p. 389.

    [11]  Claude Paillat, op. cit., p. 59-60.

    [12]  Vincent Nouzille, Des secrets si bien gardés. Les dossiers de la Maison-Blanche et de la CIA sur la France et ses présidents (1958-1981), Paris, Fayard, 2009, p. 199-200.

    [13]  Hervé Hamon, Patrick Rotman, op. cit., p. 560. 

     

    Retrouvez les articles de cette série en cliquant sur le lien suivant ... 

    Dossier spécial Mai 68

  • Mai 68 • LʼEmpire U.S. contre-attaque [4]

    Jay Lovestone

     

    Il s’agit maintenant de s’intéresser au plus haut fait accompli par Irving Brown, lui qui « s’est […] vanté d’avoir favorisé la scission de la CGT »[1], à savoir la création du syndicat anti-soviétique Force ouvrière. 

    Force Ouvrière 

    Après-guerre la C.G.T., qui est le bras armé syndical du P..C.F., un parti politique agissant selon les ordres de Moscou, est toute-puissante. Son hégémonie sur le monde ouvrier cause des torts aux intérêts américains. Tel est le cas de l’influence du syndicat communiste sur les dockers, qui entrave gravement le bon déroulement de la coopération militaire entre les États-Unis et la France. « Depuis le début des années 1950, la CIA recourt en effet à des hommes de main sur les docks, à Marseille, mais aussi à Bordeaux, Cherbourg ou La Rochelle, pour s’opposer aux syndicats des dockers CGT qui menacent l’acheminement de matériels militaires américains en France. Irving Brown […] sert à l’agence de factotum. Dès 1948, il a pris contact avec Pierre Ferri-Pisani : ce sulfureux syndicaliste marseillais aux fréquentations éclectiques – il a été exclu de la SFIO après avoir tenté d’évincer Gaston Defferre de la direction de sa fédération des Bouches-du-Rhône – fait alors figure de ponte des sections des dockers de Force ouvrière. Avec lui, Brown fonde le comité méditerranéen ʽʽantikominformʼʼ (ou Comité des marins libres), où ʽʽgrenouillentʼʼ la mafia napolitaine et des pistoleros du milieu corse. Avec les nervis de Ferri-Pisani, rémunérés durant des années sur les fonds secrets de la CIA, les ports français seront aussi animés et dangereux que les rues de Chicago au temps de la prohibition... »[2] Si la mafia est si puissante à Marseille – là se trouve d’ailleurs l’origine de la French connection –, ce n’est pas lié qu’au hasard. Elle n’est pas apparue par magie.

    La stratégie américaine consiste alors à affaiblir le syndicat communiste. « Depuis 1946, Brown intrigue et manœuvre pour rompre l’hégémonisme communiste à la direction de la CGT. Dans ce but, il appuie la fraction Force ouvrière qui s’est constituée depuis 1944, dirigée par Léon Jouhaux et surtout Robert Bothereau »[3]. Le 29 décembre 1947 ce dernier quitte la C.G.T. pour fonder F.O., s’appuyant sur le « soutien logistique et financier […] d’Irving Brown, mais aussi du puissant syndicat allemand DGB et des trade-unions britanniques qui servent de relais à lʼAFL. »[4] Outre ceux déjà évoqués, les membres fondateurs de F.O. sont Albert Bouzanquet, Pierre Neumeyer, Georges Delamarre, Rose Étienne, André Lafond, René Richard, Charles Veillon, Gabriel Ventejol et Raymond Le Bourre.

    Parmi eux, André Lafond et Raymond Le Bourre sont ceux qui ont les relations les plus soutenues avec la C.I.A., c’est-à-dire Irving Brown et Jay Lovestone. Né Jacob Liebstein, il « est issu d’une famille juive émigrée de Russie. D’abord proche de la gauche du parti socialiste, il se radicalise sous l’influence de la révolution russe et participe à la fondation du parti communiste américain, dont il devient le secrétaire à la mort de Ruthenberg. En 1937, il rompt avec Staline. D’anti-stalinien, il devient anti-communiste. Ayant rejoint lʼAFL en 1941, il crée avec quelques hauts responsables le Comité des syndicats libres (Free trade unions comittee) dont il devient le secrétaire exécutif, et dont le but est d’assister les syndicats libres à l’étranger »[5].

    Tania Frégin signale même qu’André Lafond « entretient d’excellents rapports avec Brown qu’il sollicite pour des services aux exilés, ou pour favoriser l’embauche de certains salariés dans les compagnies américaines. »[6] l’aide apportée par les États-Unis à F.O. était essentiellement d’ordre matériel.

    Thierry Wolton soutient que « l’American Fédération of Labour a soutenu financièrement les premiers pas de Force ouvrière en lui versant 5 000 dollars toutes les trois semaines, et ce, jusqu’à la fin janvier 1948. Puis, lʼAFL lui a accordé un prêt de 25 000 dollars pour 1948, et l’ambassade américaine a entrepris des démarches pour obtenir de Washington 250 000 dollars supplémentaires. […] Une partie [des] ressources [du FTUC] provenait de centrales américaines, dont le puissant Syndicat international des travailleurs de la confection féminine. Un rapport financier de ce syndicat fait apparaître que Force ouvrière a reçu par son intermédiaire, de 1948 à 1950, 300 000 dollars. […] Thomas Braden, un ancien responsable des opérations de la CIA en Europe, affirmera en 1967 avoir remis lui-même à Irving Brown 50 000 dollars en petites coupures pour Force ouvrière. Braden prétendra encore que la CIA aurait versé 2 millions de dollars dans les années 50 au Free Trade Union Committee, pour le financement des syndicats français. »[7]

    On peut par conséquent parler de véritable « guerre froide syndicale » opposant les deux superpuissances américaine et soviétique. Mais le syndicalisme ne se réduit pas à la défense des salariés. Il s’applique aussi notamment au domaine de la formation des élites, à l’orientation intellectuelle des futurs décideurs. Parmi les masses le modèle culturel américain a été très tôt dominant. Mais cela n’était pas le cas pour les élites. « La France de l’après-guerre voit la diffusion du ʽʽmodèleʼʼ américain, davantage dans la culture de masse que dans les formes traditionnelles et élitistes. Le PCF exerce d’ailleurs une attraction importante sur les intellectuels. L’affrontement idéologique est violent. Des entreprises anti-communistes regroupant des intellectuels venus d’horizons divers sont menées, soutenues par les fonds secrets américains. »[8]

    C’est pour cette raison que l’effort de « containment » des États-Unis s’est également concentré sur le syndicalisme étudiant, puisque les universités sont le lieu de prédilection de l’émergence des élites nouvelles. L’Union nationale des étudiants de France (U.N.E.F.), le principal syndicat étudiant, a été l’objet d’une lutte d’influence entre Ouest et Est. Les Américains entendaient que leurs hommes y soient présents.  (Dossier à suivre)   

    [1]  Thierry Wolton, La France sous influence. Paris-Moscou : 30 ans relations secrètes, Grasset & Fasquelle, 1997, p. 98.

    [2]  Frédéric Charpier, « De la Synarchie à lʼénarchie » in Benoît Collombat, David Serveny (dir.), Histoire secrète du patronat..., op. cit., p. 70.

    [3]  Frédéric Charpier, La CIA en France..., op. cit., p. 42.

    [4]  Ibid., p. 43.

    [5]  Tania Régin, « Force Ouvrière à la lumière des archives américaines », Cahier dʼhistoire. Revue dʼhistoire critique, n°87, 2002, p. 110.

    [6]  Ibid., p. 109.

    [7]  Thierry Wolton, op. cit.

    [8]  Tania Régin, op. cit.  

     

    Retrouvez les articles de cette série en cliquant sur le lien suivant ... 

    Dossier spécial Mai 68

  • Mai 68 • LʼEmpire U.S. contre-attaque [3]

     Irving Brown

     

    À l’intérieur de l’hexagone, les principaux relais des États-Unis étaient la Section française de l’Internationale ouvrière (S.F.I.O), le syndicat Force Ouvrière (F.O.), l’Union nationale des étudiants de France (U.N.E.F.) et l’extrême-gauche, c’est-à-dire maoïstes et trotskistes. 

    La S.F.I.O. 

    Le parti politique fondé par Jean Jaurès et Jules Guesde, ancêtre du Parti socialiste, devient, au moment de la Guerre froide, un allié important des États-Unis. « En 1947, la SFIO rallie l’avant-garde de l’anti-soviétisme. Elle devient et restera tout au long de la guerre froide un fidèle partenaire de Washington et de ses services secrets. »[1] L’aide américaine destinée aux alliés européens, appelée plan Marshall, sert notamment à renflouer ce parti, et en particulier son journal, fondé par Léon Blum, Le Populaire. C’est le Free Trade Union Congress (F.T.U.C.) qui est chargé d’assurer ce financement occulte. « Depuis la Libération, certains journaux français ne survivent que grâce aux subsides du plan Marshall. En particulier ceux du groupe de presse socialiste de la SFIO. Le FTUC […] a versé 20 000 dollars au Populaire »[2].

    Un Américain a été l’éminence grise et, surtout, le mécène des socialistes français durant l’après-guerre : Irving Brown, comme le souligne Frédéric Charpier : « La SFIO sait ce qu’elle doit au mouvement ouvrier juif, mais aussi à Irving Brown, qui a levé pour Le Populaire, auprès des banquiers Rothschild, 3 millions de francs. »[3] Irving Brown est un « juif libre-penseur »[4] qui est né à New York le 18 novembre 1911 et qui est décédé à Paris le 10 février 1989. Son père était un syndicaliste, le « responsable local des chauffeurs livreurs de lait affiliés aux syndicats des camionneurs de lʼAFL »[5]. Irving Brown « a fait ses classes dans les syndicats de l’automobile et du transport routier, où le secrétaire de lʼAssociation internationale des travailleurs de l’électricité (IBEW), Joseph Keenan, le repère. Devenu un homme clé du War Production Board (Bureau de la production de guerre, créé en 1942 pour assurer l’approvisionnement des industries de guerre), ce dernier introduit Brown dans la place et en fait son assistant, en juin 1943. »[6] Ayant également caressé l’espoir de devenir une star du baseball et étudié l’économie à la New York University, en octobre 1945 il part à Paris, « où lʼAFL a ouvert un bureau permanent dans le but de combattre plus efficacement l’influence communiste. »[7] Celui qu’en Italie on surnomme Scarface, en référence au  célèbre racketteur fasciste américain, est « en fait un véritable ʽʽagent itinérant de la CIAʼʼ opérant sous la couverture de la puissante AFL »[8]. Frédéric Charpier indique à cet égard qu’Irving Brown « sera de toutes les opérations spéciales de la CIA conduites en France durant la guerre froide »[9].

    Il fait notamment partie de ceux qui ont fondé le groupe Bilderberg, cette coterie visant au renforcement de l’alliance entre les États-Unis et l’Europe, et non dans une moindre mesure à la création d’une instance gouvernementale unique à l’échelle mondiale – la fameuse gouvernance globale –. « Pendant la guerre froide, ce cercle a joué un rôle fondamental dans les coulisses de la politique internationale, s’employant au rapprochement américano-européen et œuvrant tout spécialement à l’unification de l’Europe face à lʼʽʽexpansion soviétique.ʼʼ »[10] De plus, « [s]es rencontres annuelles se dérouleront le plus souvent dans de grands hôtels aux quatre coins du monde, comme à Barbizon (France) en 1955, à Yesilköy (Turquie) en 1959, à Woodstock (États-Unis) en 1971, à Megève en 1974 ou à Athènes en mai 2009. […] Le groupe Bilderberg a sans doute pris sa part après-guerre dans l’homogénéisation des élites politiques, patronales et médiatiques des États de l’Alliance atlantique, avant d’être éclipsé dans les années 1960 et 1970 par le CFR (Council on Foreign Relations) et la ʽʽTrilatéraleʼʼ. »[11]

    La France a peut-être été le premier pays à accueillir la tenue de ce type d’événement très spécial. « C’est à Paris, le 25 septembre 1952, que se tient une des toutes premières réunions du groupe. Elle se déroule chez le baron François de Nervo, un ami d’Antoine Pinay, alors président du Conseil. »[12] En réalité il est difficile d’en être certain.

    Cette organisation est en effet née dans le secret le plus total. « ʽʽLes séances de ce groupe ont toujours lieu à huis clos ; les assistants ne font aucune déclaration et il n’y a pas de communiqué partiel ou final.ʼʼ Lié aux services américains, financé secrètement par la fondation Ford, le groupe a été baptisé ʽʽBilderbergʼʼ après avoir tenu en mai 1954 une réunion à l’hôtel Bilderberg dʼOosterbeek, en Hollande. Assistaient à cette grande messe européenne secrète plus d’une centaine d’universitaires, de banquiers, de politiciens, de diplomates, de hauts fonctionnaires internationaux, ainsi que l’inévitable Irving Brown. […] Naturellement, le groupe Bilderberg a ses correspondants français. Le plus éminent d’entre eux, associé dès le début à l’entreprise, est Guy Mollet, le patron de la SFIO. »[13]

    Guy Mollet n’est pas le seul dirigeant socialiste à verser dans l’atlantisme. C’est aussi le cas de François Mitterrand. Celui qui a réussi à mettre le Général en ballottage lors de l’élection présidentielle de 1965 est à la tête d’un parti qui gravite autour de la S.F.I.O., la Fédération de la Gauche démocratique et socialiste (F.G.D.S.). « ʽʽL’ambassade avait des relations très étroites avec les socialistes, notamment François Mitterrand et ses prochesʼʼ, confirmera William Weingarten, conseiller américain en poste à Paris de 1966 à 1968. Dès la fin des années 1950, l’ancien ministre de la IVème République a fréquenté quelques émissaires américains »[14], note Vincent Nouzille. Il se saisit des événements de Mai 1968 pour se poser en recours en cas de défaillance du pouvoir. Et ce avec le soutien américain : le département d’Etat se met à rêver de la formation « d’une coalition de centre-gauche (Mendès France, Mitterrand, Mollet, Defferre), ʽʽplus positive, moins grandiose et plus en consonance avec la politique américaineʼʼ […]. Les préférences américaines en faveur du centre-gauche sont clairement exposées. »[15]   (Dossier à suivre)    

    [1]  Frédéric Charpier, La CIA en France. 60 ans dʼingérence dans les affaires françaises, Paris, Seuil, 2008, p. 28.

    [2]  Ibid., p. 99.

    [3]  Ibid., p. 101.

    [4]  Ibid., p. 31.

    [5]  Frédéric Charpier, « De la Synarchie à lʼénarchie » in Benoît Collombat, David Serveny (dir.), Histoire secrète du patronat de 1945 à nos jours, Paris, La Découverte, 2009, p. 68.

    [6]  Idem.

    [7]  Frédéric Charpier, La CIA en France..., op. cit., p. 39.

    [8]  Ibid., p. 32.

    [9]  Frédéric Charpier, « De la Synarchie à lʼénarchie » in Benoît Collombat, David Serveny (dir.), Histoire secrète du patronat, op. cit., p. 70.

    [10]  Frédéric Charpier, « Groupe Bilderberg, Siècle et clubs anti-communistes : les lieux discrets de pouvoir de lʼélite patronale », in  Benoît Collombat, David Serveny (dir.), Histoire secrète du patronat..., op. cit., p. 84.

    [11]  Ibid., p. 84-85.

    [12]  Frédéric Charpier, La CIA en France..., op. cit., p. 185.

    [13]  Ibid.

    [14]  Vincent Nouzille, Des secrets si bien gardés. Les dossiers de la Maison-Blanche et de la CIA sur la France et ses présidents (1958-1981), Paris, Fayard, 2009, p. 218.

    [15]  Ibid., p. 215. 

     

    Retrouvez les articles de cette série en cliquant sur le lien suivant ... 

    Dossier spécial Mai 68