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Idées, débats... - Page 420

  • Histoire • « J’en appelle à toutes les mères » : Ce cri traverse les siècles !

     

    1417414836 - Copie.jpgC'est sur un article du 30 mai 2017 [lien ci-dessous] que Richard a réagi vendredi dans les commentaires de LFAR en nous envoyant un extrait du Marie-Antoinette du toujours excellent Stephan Zweig. Henri à son tour a écrit : « ce cri traverse les siècles ! » Nous l'avons repris en titre. Il s'agit, bien-sûr, de l'accusation infamante portée par Hébert contre la reine. Accusation bien connue. Merci à Richard et Henri.   LFAR  

     

    Le commentaire de Richard 

    Marie-Antoinette (Stefan Zweig )

    « Et, en effet, une effervescence profonde, une violente agitation remue la salle . Les femmes du peuple, les ouvrières, les poissardes, les tricoteuses retiennent leur souffle ; elles sentent, mystérieusement, qu'on vient de blesser leur sexe entier en lançant cette accusation contre Marie- Antoinette. Le président se tait, le juré indiscret baisse le regard : tous ont été touchés par l'accent douloureux et enflammé de la femme calomniée, Hébert quitte la barre sans ajouter un mot, peu fier de son exploit. Ils sentent tous, et lui aussi peut être, qu'à l'heure précisément la plus grave ce témoignage vaut à Marie-Antoinette un grand triomphe moral. Ce qui devait l'abaisser l'a élevée.

    Robespierre, qui apprend cet incident le soir même, ne peut maîtriser sa colère contre Hebert .  ..... il décide en lui même, ce jour - là, de supprimer cette horreur. La pierre qu'Hébert a lancée sur Marie-Antoinette retombe sur lui , et le blesse mortellement. Dans quelques mois, il fera le même trajet que sa victime, dans la même charrette, mais pas aussi vaillamment qu'elle ; il sera si peu courageux que son camarade Ronsin lui criera : " Lorsqu'il fallait agir, vous avez verbiagé ; maintenant sachez mourir . »

    « J’en appelle à toutes les mères » [Par Juliette Mondon]

     

  • Mai 68 • LʼEmpire U.S. contre-attaque [2]

    Ce grand moment de l’histoire de la France du XXème siècle, si l’on s’en tient à l’explication « schumpeterienne » du héros individuel, nous le devons aux seuls mérites de « Dany-le-Rouge », à la seule force de persuasion du tribun des bancs de l’université. N’est-ce pas accorder à ce seul homme trop de pouvoir d’entrainement, trop de leadership ? La science historique fondée sur le récit des hauts faits accomplis par de grands hommes est aujourd’hui dépassée, au profit de la sociologie historique réticulaire. Tant la thèse de la révolte judéo-française que celle de l’épopée du génial entrepreneur politique sont à mettre à rancart. 

    Derrière le trublion de Nanterre devenu une véritable rock-star[1] se trouvent les réseaux transnationaux. Comme l’a démontré Jean-François Sirinelli Mai 68 fut un événement Janus[2]. Une deuxième face est dissimulée du côté opposé à la première, de celle qui est visible.

    Dans l’ombre opère une organisation mondiale de la subversion.

    En sous-main lʼEmpire déploie ses « tentacules de pieuvres », pour reprendre la vision qu’eut lors d'une soirée à lʼOpéra l’écrivain français anarchiste Octave Mirbeau, suite à une hallucination qui le fit imaginer la main du baron Gustave de Rothschild se métamorphoser :        « J’imaginai que la France était là, sur la scène, couchée parmi les ruines, belle, pâle et souffrante. Et je vis cette main s’approcher d’elle, se poser sur elle, et, lentement, l’enlaçant de ses mille suçoirs et de ses mille ventouses, pomper le sang tout chaud de ses veines qui se dégonflaient avec des bruits de bouteille qu’on vide »[3].

    À l’abri des regards, silencieusement, cette coterie aux multiples ramifications, dont René Cassin fut l’un des plus illustres représentants, et dont la Central Intelligence Agency (C.I.A.), les services secrets américains, est le bras armé le plus efficient, le plus redoutable, le plus puissant, agit en France quasiment en toute impunité. 

    Sur le territoire français, la C.I.A., créée le 18 septembre 1947, « s’est immiscée dans tous les secteurs de la vie publique et démocratique : syndicalisme, presse, partis politiques, patronat, armée et police, intelligentsia, universités... Dotée d’énormes moyens financiers, durant soixante ans, la CIA s’est ingérée dans les affaires intérieures françaises. »[4] Ce qu’ont oublié les observateurs, c’est que durant sa conférence de presse du 27 novembre 1967 qui fit tant de bruits à cause de sa petite phrase sur le « peuple d’élite, sur de lui-même et dominateur », de Gaulle dénonça très sévèrement l’hyperpuissance économique américaine. 

    D’après Vincent Nouzille, les États-Unis, « de la CIA à la Maison-Blanche, ont toujours espionné notre pays et tenté d’en influencer, voire d’en infléchir, la politique. »[5] Au mitan des années 1960, leur confiance à l’égard de De Gaulle est inexistante. Ou plutôt, leur méfiance est totale. Les présidents américains s’inquiètent des initiatives intempestives du Général, visiblement prêt à se mêler de tout, suspecté de vouloir rompre la solidarité atlantique pour se poser en champion de l’équilibre entre les grands »[6]

    C’est pourquoi « les Américains ont commencé à préparer méticuleusement l’apprès-de Gaulle dès que le Général a été réélu à la présidence de la République, en décembre 1965. Des ambassades à la CIA, tous les services se sont alors mobilisés pour analyser, surveiller, voire influencer la scène politique française, à droite comme à gauche, afin d’être prêts, le jour venu, à tourner la page de ce général encombrant. »[7] 

    La C.I.A. en Mai 

    En fait, même avant sa réélection, de Gaulle eut maille à partir avec la C.I.A., à l’occasion de la grande grève des mineurs du Nord-Pas-de-Calais de 1963.

    « La situation est d’autant plus grave que l’hiver est particulièrement rude. De Gaulle ne veut pas céder d’un pouce. Il fait réquisitionner les mineurs. Le conflit menace les fondements de la Ve République. La CIA envisage de soutenir les grévistes pour prolonger ce bras de fer qui peut affaiblir durablement le Général voire l’acculer à la démission. Consulté, Kennedy s’oppose à une telle opération secrète. Mais la CIA a-t-elle passé outre les ordres présidentiels ? Dans un mémorandum secret du 4 avril 1963, MC George Bundy, le conseiller du président pour les affaires de sécurité, juge nécessaire de rappeler solennellement au patron de l’agence de renseignement la directive de J.F.K. :

    ʽʽSelon un rapport en provenance d’une source considérée comme fiable, le gouvernement français croit que le gouvernement américain aide clandestinement les mineurs dans le but d’affaiblir de Gaulle. Afin d’éviter tout malentendu possible, je tiens à faire savoir clairement que le président a ordonné qu’aucune action de notre gouvernement de quelque nature que ce soit, officielle ou clandestine, ne soit entreprise pour soutenir la grève des mineurs.ʼʼ »[8] 

    À travers cet exemple, est mise en évidence l’existence d’un État profond, pour reprendre les termes de Peter Dale Scott, universitaire canadien spécialisé en science politique de son état, qui fonctionnerait de façon autonome, s’affranchissant sans problème des ordres venus de l’exécutif. Il y aurait en somme un appareil d’Etat au sein de l’État, une administration agissant de manière déloyale, œuvrant indépendamment des décisions prises par sa hiérarchie. 

    En France, durant la Guerre froide, une partie des forces vives de la nation – syndicalistes, journalistes, hommes politiques, dirigeants d’entreprise, militaires et policiers, membres de l’intelligentsia, professeurs d’université – étaient ainsi inféodée à une puissance étrangère. S’agissant du Parti communiste français (P.C.F.), soumis à Moscou, la chose est connue[9].

    Or la propagande communiste, qui dénonçait les ingérences de l’impérialisme U.S. au moyen du slogan « Les Américains en Amérique », n’avait absolument pas tort. Les yankees étaient devenus une puissance tutélaire. Un « Big Brother » avec qui les froggies se devaient d’être dociles. Sa force de frappe se fit précisément remarquer lors des événements de Mai 1968. L’ « ami américain », de Gaulle l’avait touché au cœur, en contestant son hégémonie militaire et monétaire sur le monde occidental. Surtout monétaire. L’argent est le nerf de la guerre, selon la célèbre maxime. Et même en temps de paix.

    Le dollar vacillait : 1968 fut justement l’année où de manière informelle il fut mis un terme à sa convertibilité en or, ce qui fut officiellement acté trois ans plus tard, en 1971. De Gaulle s’en offusqua publiquement. La contre-attaque dʼUncle Sam fut effroyablement redoutable. Celui-ci riposta au moyen de ses courroies de transmission.  (Dossier à suivre)    

    [1]  Mai 68 aura été pour lui un formidable tremplin, dès lʼété 1968 il est devenu une véritable célébrité. « La nouvelle vedette a trouvé un complément de revenus : il monnaie ses interviews et prétend en reverser une partie au mouvement. Les éditions du Seuil lui proposent 50 000 deutsche Marks pour son récit des événements. Une somme considérable. Le livre doit sortir à la rentrée. Cet été-là, lʼEurope sʼarrache Cohn-Bendit. Sollicitée de toute part, la nouvelle vedette court de studios en plateaux télé aux frais de la princesse. », Émeline Cazi, ibid., p. 78-79.

    [2]  Jean-François Sirinelli, Mai 68. L'événement Janus, Paris, Fayard, 2008.

    [3]  Cité par Raoul Girardet, Mythes et mythologies politiques, Paris, Seuil, 1986, p. 44.

    [4]  Frédéric Charpier, La CIA en France. 60 ans dʼingérence dans les affaires françaises, Paris, Seuil, 2008, p. 9.

    [5]  Vincent Nouzille, Des secrets si bien gardés. Les dossiers de la Maison-Blanche et de la CIA sur la France et ses présidents (1958-1981), Paris, Fayard, 2009, p. 9.

    [6]  Ibid., p. 33.

    [7]  Ibid., p. 149.

    [8]  Vincent Jauvert, LʼAmérique contre de Gaulle. Histoire secrète 1961-1969, Paris, Seuil, 2000, p. 118.

    [9]  Thierry Wolton, La France sous influence. Paris-Moscou : 30 ans de relations secrètes, Grasset & Fasquelle, 1997.

     

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    Dossier spécial Mai 68

  • Mai 68 • LʼEmpire U.S. contre-attaque [1]

    En exorde du dossier de Lafautearousseau consacré à la crise de mai-juin 1968, il a été fait cas de René Cassin, qui, après la guerre des Six-Jours, en juin 1967, et la conférence de presse du 27 novembre de la même année, fut vent-debout contre de Gaulle –  « son » Général, quʼil avait rejoint à Londres dès 1940 –, comme le montre ce passage du livre De Gaulle et Israël écrit par Daniel Amson :

    « René Cassin allait sʼélever plus vivement encore contre la politique menée par Charles de Gaulle au moment de la guerre des Six Jours. ʽʽLa France sʼidentifie à lʼinjusticeʼʼ, proclamait-il en réponse à lʼembargo sur les livraisons de matériel militaire, décrété par le Chef de lʼÉtat le 2 juin 1967. Puis, après la conférence de presse du 27 novembre suivant – au cours de laquelle le Président de la République qualifiera ʽʽles Juifsʼʼ de ʽʽpeuple dʼélite, sûr de lui-même et dominateurʼʼ –, le ʽʽvieux compagnon de 1940 donnera libre cours à son indignation. »[1]

    Son indignation, on lʼa vu, il lʼexprima sous la forme de la menace. 

    Nous avons émis lʼhypothèse selon laquelle Mai 1968 peut être vu comme une rébellion de la communauté juive française contre de Gaulle, qui « fut souvent perçu – à partir de 1967 – comme un adversaire déclaré du peuple juif. »[2]

    Ce qui contraste avec ce quʼénonce Maurice Szafran quand il avance que « les gaullistes au pouvoir ont noué une idylle politique et militaire avec lʼÉtat dʼIsraël. Les Juifs de France nʼavaient jamais rêvé situation plus douce et confortable. »[3] Le journaliste affirme aussi la chose suivante : « De tous les dirigeants occidentaux, il est celui qui entretient les meilleurs rapports, les plus étroits, les plus intimes avec David Ben Gourion[4]. […] Dans son entourage, des personnalités aussi importantes que Michel Debré, Jacques Chaban-Delmas ou Pierre Messmer ne cachent à personne – et surtout pas au Général – la passion quʼils éprouvent envers Israël, leur estime pour la bravoure de ses soldats, pour cette volonté inaltérable de faire revivre une terre morte. »[5] 

    Outre René Cassin, de Gaulle était ainsi entouré de nombreux fervents défenseurs dʼIsraël, quʼils soient dʼorigine juive comme Michel Debré, ou non, comme Jacques Chaban-Delmas ou Pierre Messmer.

    Mais tenir pour vraie cette hypothèse reviendrait à méconnaître les interactions entre États, à évacuer les questions géopolitiques et au fond à se cantonner à une conception autarcique de lʼanalyse sociopolitique des faits historiques. Mai 68 ne fut pas quʼune affaire franco-française, vouloir la réduire à un point de vue domestique relève de lʼineptie. 

    À voir uniquement en René Cassin, ce « croisé » des droits de lʼhomme, un Français juif, qui avec ses compatriotes et coreligionnaires aurait, à partir de 1967, initié un formidable déchaînement contre lʼami dʼhier – en quelque sorte brûlé celui quʼils avaient adoré –, lʼon omet le côté international, onusien, cosmopolite, de René Cassin. Sa vraie communauté à lui, lʼ« agent officiel du gouvernement de Sa Majesté »[6] depuis la Deuxième Guerre mondiale, ce sont les élites globales mobiles. Sa vraie League, cʼest un empire mondial, lʼEmpire du dollar.

    Brouillé avec de Gaulle lʼeffronté, au comportement hargneux vis-à-vis des Anglo-saxons, René Cassin a-t-il participé à une opération de déstabilisation du Général venue à la fois dʼoutre-Manche et dʼoutre-Atlantique ? Fut-il lʼun des rouages essentiels dʼun parti de lʼétranger visant de Gaulle, essayant de le dégager du pouvoir ? 

    La main invisible de lʼEmpire 

    Une main invisible, anglophone comme Adam Smith, dirigée par les élites mondialistes, a œuvré, si lʼon en croit Jacques Foccart, à lʼirruption de Mai 1968. Dans ses carnets, à la date du 19 mai, il écrit que « concernant les étudiants, il y a un malaise depuis longtemps, le détonateur est venu dʼune organisation internationale : il est certain que lʼhistoire de Cohn-Bendit et de son mouvement révolutionnaire montre une volonté chez des adversaires de notre pays de sʼimmiscer chez nous de lʼintérieur. »[7] Sʼil ne précise pas lʼorigine de cette main, il est persuadé que cette main a agi,.

    Ce que, en tout état de cause, Daniel Cohn-Bendit admit, lorsquʼil apparut en Sorbonne le mercredi 28 mai 1968 nonobstant lʼinterdiction qui lui avait été notifiée de rentrer sur le territoire national en raison dʼun outrage au drapeau tricolore proféré à Londres – tout un symbole –. Ce jour-là il reconnut en effet faire « partie dʼune internationale révolutionnaire »[8]

    Certes, Daniel Cohn-Bendit, qui se définit « comme un Juif de la diaspora »[9], pour qui « la diaspora nʼa pas de nationalité »[10], qui dit quʼil « nʼest ni Français ni Allemand »[11], est un animateur hors pair, un agitateur ô combien talentueux. Avec son Mouvement-du-22-mars, il a réussi à unifier un ensemble hétéroclite dʼétudiants, de lycéens, de jeunes salariés et de révolutionnaires professionnels ; ces derniers, à la fois marxistes et anti-soviétiques, ont au départ méprisé la mobilisation étudiante, au même titre que leurs frères ennemis de la C.G.T. et du P.C.F., avant de sʼengouffrer dans la brèche afin de ne pas « louper le virage » du cours de ces événements. Eh oui, ce ne fut pas seulement les « stalʼ » qui eurent une réticence instinctive lors des premiers soubresauts de lʼagitation juvénile :

    « Parmi les militants des groupuscules présents au Quartier latin, des maoïstes ou des trotskistes affichent leur hostilité aux étudiants petit-bourgeois manipulés par un complot social-démocrate. Ils ne les rejoindront quʼaprès le 13 mai. Entre-temps, le leader de lʼUJC(ml), Robert Linhart, aura sombré dans un délire paranoïde en imaginant le piège du pouvoir en train de se refermer sur la classe ouvrière que les étudiants mènent au massacre »[12].  (Dossier à suivre)    

    [1]  Daniel Amson, De Gaulle et Israël, Paris, PUF, 1991, p. 53.

    [2]  Ibid., p. 9.

    [3]  Maurice Szafran, Les juifs dans la politique française de 1945 à nos jours, Paris, Flammarion, 1990, p. 151.

    [4]  Qui est à cette époque le Premier ministre de lʼÉtat hébreu.  

    [5]  Idem.

    [6]  Antoine Prost, Jay Winter, René Cassin et les droits de lʼhomme : le projet dʼune génération, Fayard, Paris, 2011, p. 140.

    [7]  Jacques Foccart, Le Général en Mai. Journal de lʼÉlysée, II, Paris, Arthème Fayard / Jeune Afrique, 1998, p. 112.

    [8]  Claude Paillat, Archives secrètes. 1968/1969 : les coulisses dʼune année terrible, Paris, Denoël, 1969, p. 206.

    [9]  Émeline Cazi, Le Vrai Cohn-Bendit, Paris, Plon, 2010, p. 34.

    [10]  Idem.

    [11]  Idem.

    [12]  Bénédicte Vergez-Chaignon, « Le tombeau dʼune génération. Quarante de critique de mai 68 », Le Débat, n° 149, février 2008, p. 53. 

     

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    Dossier spécial Mai 68

  • Cinéma • Monsieur Je-sais-tout

     

    Par Guilhem de Tarlé

    Monsieur Je-sais-tout, une comédie dramatique de François Prévôt-Leygonie et Stephan Archinard, avec Arnaud Ducret (Vincent Barteau), Max Baissette de Malglaive (Léonard, neveu de vincent), Alice David (Mathilde, médecin) et Caroline Silhol (Françoise Barteau, mère et grand-mère de Vincent et Léo), adapté du roman d’Alain Gillot, La surface de réparation (Flammarion, 2015). 

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    « Un film très bien, très très bien, un film très très bien … » 

    Monsieur Je-sais-tout…  Je ne savais rien de ce film sauf la bande-annonce qui avait tenté mon épouse. 

    Après la mise en scène de la maladie d’Alzheimer, dans la médiocre Finale, voici un scénario sur l’autisme, et je me rappelle avoir bien apprécié Rain Man, en son temps – 1988 –, avec Dustin Hoffman et Tom Cruize.

    Je découvre sur ce sujet l’existence d’une longue série de productions, jusqu’à ce 48ème long-métrage, excellent, émouvant  et, en même temps – comme dit l’autre –, plein d’humour et de bon sens « normal », avec  une mention spéciale pour les réalisateurs qui nous introduisent véritablement dans le cerveau du petit Léo. 

    Puisque je viens de l’évoquer, et pour en finir avec La Finale, j’y avais retenu l’interprétation de Thierry Lhermitte dans ma liste perso de nominés à l’Oscar du Meilleur Acteur. C’est avec empressement que je fais aujourd’hui monter sur le podium le jeune Max Baissette de Malglave ( il fêtera son dix-huitième anniversaire en juin prochain) pour son interprétation de Monsieur Je-sais-tout. 

     

    PS : vous pouvez retrouver ce « commentaire » et plusieurs dizaines d’autres sur mon blog Je ciné mate.

  • Mai 68 • En guerre contre eux-mêmes [2]

    « Mai 68 fut leur catharsis collective »

     

    L’histoire est un enchaînement de circonstances qui permet à certaines actions planifiées de réussir et à d’autres déchouer. Et les historiens sont là pour ériger la mémoire des vainqueurs en vérité objective. Lesquels vainqueurs ont une fâcheuse tendance à occulter leurs torts, sans parler de leur génie à faire que les masses s’émerveillent de leurs crimes. 

    Un matériau humain disponible pour lʼOncle Sam 

    En aucun cas Mai 68 ne fut un mouvement juif ou pro-israélien. Il fut une opération de police internationale secrète qui sut trouver dans des groupuscules largement orientés par des Juifs les moyens de sa politique hégémonique. Ces derniers étaient anti-sionistes par anti-impérialisme américain.

    La guerre entre Israël et ses voisins arabes les avait fait entrer en guerre contre eux-mêmes, contre une part d’eux-mêmes. Ils souhaitaient la victoire du camp « progressiste » en même temps qu’ils craignaient un nouveau pogrom contre leurs coreligionnaires. Le triomphe des Arabes les aurait enchantés mais la chose qu’ils redoutaient le plus, c’était la défaite de leurs frères d’Israël. Comme en atteste ce passage extrait de l’ouvrage de Yaël Auron : « Bien qu’une fraction de radicaux juifs ait craint pour Israël à la veille et au début de la guerre, ils adoptèrent, dès que la victoire israélienne fut avérée, des positions anti-israéliennes et antisionistes, parfois avec une animosité et une virulence extrême. »[1] Un état de schizophrénie ne peut être éternellement refoulé. Survient toujours le moment de la catharsis.

    Mai 68 fut leur catharsis collective, ils eurent des émules, ceux qui sans sourciller les suivirent, ceux qui se plurent à renouer avec la tradition très française de l’émeute populaire, l’exutoire indispensable qui supplée la communion dominicale et le carnaval, us de temps anciens et révolus. 

    De Gaulle fut ainsi le dommage collatéral du besoin qu’avaient ces Juifs antisionistes de se réconcilier avec eux-mêmes. Peu importe si son attitude vis-à-vis des belligérants de 1967 penchait en faveur de l’antisionisme. Par son essentialisation du Juif, il fit d’un coup, aux yeux des révolutionnaires professionnels, resurgir la « bête immonde » de l’antisémitisme : maurrassien, capitaliste, occidental, sioniste... et antisémite. La limite, pour eux, était franchie, de Gaulle incarnait dès lors le fascisme à l’état pur contre lequel il devenait impératif de rentrer en résistance.

    À ce moment, André Glucksmann, qui occupe une place éminente au sein du maoïsme français, « dénonce en France l’instauration d’un ʽʽnouveau fascismeʼʼ. »[2]      

    Yaël Auron indique à ce sujet la chose suivante : « Un autre fait qui provoqua l’ire de la communauté juive française fut bien sûr la ʽʽpetite phraseʼʼ de De Gaulle le 27 novembre 1967, lors d’une conférence de presse, sur ʽʽle peuple d’élite, sûr de lui-même et dominateurʼʼ. Elle eut pour effet que de nombreux Juifs qui n’avaient jusque-là cure de leur judéité ni du sens qu’elle pouvait revêtir, réagirent en protestant et en manifestant contre le général de Gaulle. […] Les aspects spécifiquement juifs de la révolte étudiante doivent être appréciés à la lumière de ce que symbolisa la guerre des Six Jours et de la phrase de De Gaulle du 27 novembre 1967. Il y a concomitance entre ces deux événements qui se sont produits dans le courant de l’année précédant Mai 68. »[3] 

    Une communauté en émoi 

    Pour la première fois de leur vie ces remuants gauchistes reçurent l’aval de leurs parents : non, leur agitation n’était pas vaine, capricieuse et puérile. Elle se justifiait par la nécessité de laver l’honneur de tout un peuple.

    Chacun exprima sa furie selon ses moyens. Les notables avec leur plume, ou même, pour les plus éminents d’entre eux, directement à la personne concernée – de Gaulle – . Ce fut le cas, on l’a vu de René Cassin.

    À peu près au même moment que son avertissement menaçant lancé dans les ors élyséens, au début de l’année 1968, le grand rabbin de France, Jacob Kaplan, signifia son indignation et sa désapprobation au président de la République. L’échange est relaté par un ouvrage de Maurice Szafran.

    « De Gaulle : Venez, nous allons discuter, monsieur le grand rabbin. Alors, vous avez des reproches à me faire...

    Kaplan : Vous le savez bien, mon général. Si je vous comprends, un Juif français ne peut soutenir Israël sans que vous remettiez en cause sa loyauté.  

    - Pas du tout, monsieur le grand rabbin. Un Français de religion juive qui soutient Israël, c’est évidemment un Français loyal, je n’ai pas émis sur le sujet le moindre doute. Un bon Français peut être un bon Juif et vice-versa...

    - Mais votre fameuse petite phrase, elle est antisémite. En tout cas, moi, je l’ai ressentie comme telle.

    - Mais la petite phrase dont vous me parlez, c’est un compliment envers les Juifs. Moi ? Antisémite ?

    - Je ne dis pas que vous êtes antisémite. J’affirme que vous avez offert d’incroyables arguments aux antisémites. »[4] 

    Mais les plus jeunes, eux, n’avaient pas leurs entrées dans les alcôves du pouvoir. Soutenus par la génération des aînés, ils investirent leur fac, la rue, qui étaient les seules tribunes dont ils disposaient, appelant chacun, les goyim avec, à participer au plus grand des vacarmes contre ce satané Général. À ses dépens les générations se réconcilièrent, vieux sionistes et jeunes antisionistes.

    Ces derniers se firent les relais des anciens. Tout le poids d’une communauté à la nuque raide se fit d’un coup ressentir. Son efficacité fut redoutable : elle mit le pays sans dessus dessous.

    Car les réseaux formés durant l’enfance, qui n’avaient jamais totalement disparu, se reformèrent. Hashomer Hatsaïr, la bande de la place de la Répuʼ, tous au quartier Latin et que le feu d’artifice commence !   (Dossier à suivre)   

    [1]  Yaël Auron, op. cit., p. 167.

    [2]  Morgan Sportès, Ils ont tué Pierre Overney, Paris, Grasset, 2008, p. 92.

    [3]  Yaël Auron, op. cit., p. 168.

    [4]  Maurice Szafran, Les juifs dans la politique française de 1945 à nos jours, Paris, Flammarion, 1990, p. 168-169. 

     

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    Dossier spécial Mai 68

  • Mai 68 • En guerre contre eux-mêmes [1]

    « Le terrible traumatisme provoqué par la guerre des Six Jours ... »

     

     

    Il s’agit maintenant d’établir les raisons qui expliquent cet état de fait, à savoir l’homogénéité ethnique des révolutionnaires professionnels. Aux causes déjà évoquées, à savoir la mémoire de la tragédie de la Seconde Guerre mondiale, s’ajoutent d’autres qui se rattachent à l’histoire immédiate qui a précédé Mai 68. 

    La « Shoah » et la guerre des Six-Jours 

    Premièrement, Yaël Auron signale ceci : « Le terrible traumatisme provoqué par la guerre des Six Jours fut à l’origine de l’émergence et du renforcement de l’identité nationale juive chez les Juifs de France, et plus particulièrement parmi les jeunes. Moins d’une année plus tard, l’insurrection révolutionnaire de Mai 68 emportait aussi la jeunesse juive. »[1] Il écrit ensuite, quelques pages plus loin, la chose suivante : « La communauté juive, hébétée et meurtrie à la fin de la Seconde guerre mondiale était devenue au cours des années 60 une communauté stable, florissante, la seconde en Europe par sa taille (après celle de Russie) et la première par ses prises de position éclatantes. Pour qui pouvait en douter, la participation des Juifs, individuelle et collective, dans trois séries d’événements en moins d’une année, révélait l’étendue du chemin parcouru par la communauté sortie exsangue de la guerre. Ces événements furent, bien sûr, la guerre des Six Jours, la réaction de la communauté juive à la déclaration blessante de De Gaulle sur le ʽʽpeuple sûr de lui-même et dominateurʼʼ en novembre 1967 et la crise de Mai 68. »[2] 

    D’après lui, aux causes lointaines liées aux horreurs de la guerre et de la barbarie hitlérienne se superposent deux causes proches qui sont intimement liées à celles-ci, la guerre des Six-Jours et la petite phrase du général de Gaulle sur le peuple juif prononcée lors d’une conférence de presse, le 27 novembre 1967. La soudaine défiance à l’égard du président de la République française, bien qu’il fût un héros de la résistance face au nazisme, qui suivit une victoire israélienne renforçant le nationalisme judéo-sioniste, explique Yaël Auron, est la cause latente du soulèvement des révolutionnaires professionnels en Mai 68. Derrière l’engagement manifeste – la révolution prolétarienne universelle – se dissimulait un élan nationaliste. 

    Le communisme de ces gauchistes était la version laïcisée de la religion ancestrale de leur famille. Comme en atteste le commentaire fait par Henri Weber a posteriori : « Ce qui séduisait les étudiants dans le marxisme, c’était sa dimension millénariste. La société radicalement mauvaise, non réformable, devait être détruite de fond en comble afin de permettre l’accession à la bonne société. Pour passer de l’une à l’autre, la révolution était nécessaire. La classe ouvrière, Messie collectif, serait l’instrument de la rédemption. Le prolétariat n’était rien ; il serait tout. De l’excès de mal naîtrait l’excès de bien. C’est cette force mystique, prophétique, religieuse qui a donné au mouvement révolutionnaire, dans les pays développés, un souffle, une dimension, une énergie considérable. Il n’est pas de grande transformation sans mythe mobilisateur. Or, nous ressentions un immense besoin de croire. »[3] 

    Une rage refoulée depuis des années se libéra, se déchaîna même. Ceux dont elle émanait furent la ressource humaine idoine pour lʼEmpire du dollar, qui avec les moyens considérables de ses services secrets, la C.I.A., le M.I.6. et le Mossad, se contentait de la canaliser dans une direction précise. Haro sur de Gaulle !  Le dissident en chef du monde occidental. Ce que lui coûta sa liberté de ton, ce fut une fin de règne paisible. Il n’est absolument pas certain que lʼEmpire américain eût pu réussir à déstabiliser ainsi de Gaulle sans cette force subversive considérable.    (Dossier à suivre)   

    [1]  Yaël Auron, op. cit., p. 130-131.

    [2]  Ibid., p. 141.

    [3]  Hervé Hamon, Patrick Rotman, op cit., p. 409. 

     

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    Dossier spécial Mai 68

  • Pourquoi l’Action Française voulait une alliance avec l’Italie de Mussolini... Un commentaire à lire.

    « Le fascisme italien, ses racines dans le passé » Léon Daudet

     

    1417414836 - Copie.jpgL'entretien de Frédéric Le Moal avec Eugénie Bastié à propos du fascisme italien - que nous avons publié hier - a suscité un commentaire riche de remarques et de citations intéressantes. En l'occurrence, celui de François Davin. On le lira avec intérêt.  LFAR  

    Le commentaire de François Davin

    Ceux qui hurlent si volontiers, et si hypocritement, contre le fâchisme oublient volontairement - ou alors ils l'ignorent - que Mussolini était un homme de gauche, venu du parti socialiste, et qu'une idéologie totalitaire, quelle qu'elle soit, n'est jamais pour nous, par définition, qu'une théorie intellectuelle et abstraite ; et donc forcément en opposition avec les réalités concrètes et charnelles, héritées de l'Histoire, dont nous partons toujours. […]

    Aucun accord possible, donc, dans le domaine des idées, entre un totalitarisme (ici le fascisme italien) et le « royalisme » venu du fond des âges et « prouvé par l'histoire » que propose l'Action française ; comme le montre bien Léon Daudet dans le court passage que je vous propose plus bas.

    Ceci étant, et pour en revenir au contexte des années 35, la guerre venant, il fallait chercher des alliés contre la puissance allemande qu'un Pays légal républicain criminel, sabotant la victoire si chèrement acquise en 1918, avait laissé se reconstituer.

    Or, Mussolini, malgré ses bravades et fanfaronnades effectivement, parfois, ridicules, pouvait parfaitement - avec toutes les réserves et les reproches que l'on pouvait par ailleurs lui faire sur le plan doctrinal - être « fréquenté » pour créer un large front d'opposition à un Hitler sans cesse plus agressif : n'est-ce pas Mussolini qui s'opposa à Hitler, et le fit reculer, en mobilisant ses troupes sur le Brenner en 1935 ? Hitler venait de faire assassiner le chancelier Dollfuss, en vue de l’annexion de l’Autriche, l'Anschluss. 

    Le 25 juillet, lorsque Mussolini envoya ses deux divisions sur le Brenner, Hitler recula. 

    C'est dans cet esprit que l'Action française souhaitait que l'on s'alliât avec Mussolini : évidemment pas par affinité ou par proximité idéologique, mais uniquement par pur intérêt stratégique, immédiat et pressant.

    Dans la même optique que François Premier s'alliant avec le Grand Turc après sa déroute de Pavie, au moment où il semblait que Charles Quint et les Habsbourgs allaient écraser la France : il est bien évident qu'en s'alliant avec le Grand Turc […] François premier ne songeait nullement à se convertir lui-même à l'Islam, ni à faire de la France une nation musulmane et à la couvrir de mosquées ! […]

    Mutatis mutandis, c'est dans le même esprit que l'Action française envisageait les choses, vis-à-vis de Mussolini, juste avant la guerre : il nous fallait des alliés, fussent-ils, par ailleurs, loin de nous « idéologiquement » : la République préféra, justement pour des raisons idéologiques, jeter finalement Mussolini dans les bras d'Hitler, alors qu'il avait commencé par le combattre ! […]

    De Léon Daudet, dans « Député de Paris », pages 176-177 :

    « La méconnaissance de l'immense mouvement qu'est le fascisme italien, de ses racines dans le passé, de son animateur, comptera comme une des grandes bévues de la République finissante française.

    Nous sommes séparés du fascisme par l'immense fossé de la religion d'Etat - religion politique, s'entend - dont nous a dispensés le régime le plus souple et le plus évolué de l'Histoire, la monarchie française.

    Nous ne croyons pas, organiquement parlant, à la congestion indéfinie du centre, avec anémie consécutive de la périphérie, ou plutôt nous connaissons les dangers de cette forme du jacobinisme et de la politique du poulpe.
    Une des raisons décisives qui m'ont amené à Maurras, c'est sa formule de décentralisation administrative, si décongestionnante et si claire, dont nous n'avons cessé de nous émerveiller, ma femme et moi, depuis les inoubliables articles de la Gazette de France, de 1902 à 1908. 

    Ce que je redoute dans le Syllanisme fasciste, par ailleurs séduisant, c'est la décompression presque fatale d'un tel système, le jour de la disparition de son chef, comme il arriva précisément pour Sylla. 

    A la centralisation étatiste, même louis-quatorzienne, il faut la main d'un homme de génie. 

    S'il s'en va, on risque le jacobinisme ou l'anarchie, ou un fléau dans le genre de Bonaparte, mêlé d'étatisme et d'insanité.

    Je m'excuse de ces considérations qui, touchant à la politique italienne, aujourd'hui rapprochée de l'Allemagne par notre faute, peuvent sembler accessoires. »

    Il est souvent intéressant et instructif - et, parfois, presque amusant, comme ici - de rapprocher des textes émanant de personnes que tout oppose : ainsi, après avoir lu ce passage de Daudet, peut-on trouver matière à réflexion dans ... « Le Populaire » du 25 octobre 1934, où Léon Blum écrit ceci :

    Blum.jpg« Quand on place avant tout autre l'intérêt de la stabilité gouvernementale, on est monarchiste.

    On l'est consciemment ou inconsciemment, en le sachant ou sans le savoir, mais on l'est ! Seule la monarchie est stable par essence, et encore la monarchie totale, où le roi gouverne en même temps qu'il règne. 
    Les dictatures fascistes ne sont pas stables ; même si le dictateur évite les cataclysmes analogues à ceux qui l'ont porté au pouvoir, il reste une cause d'instabilité majeure qu'il ne peut éluder : sa succession
    . »
     

    « Il n'y a jamais eu autant d'antifascistes depuis que le fascisme a disparu » ... Analyses de L'historien Frédéric Le Moal

  • « Il n'y a jamais eu autant d'antifascistes depuis que le fascisme a disparu » ... Analyses de L'historien Frédéric Le Moal

     

    2293089609.14.jpgAu fil de cet entretien avec Eugénie Bastié [Figarovox, 4.05], l'historien Frédéric Le Moal, qui publie une importante Histoire du fascisme (Perrin) revient sur la définition d'un mouvement politique dont le retour fantasmé est invoqué à tort et à travers. Il établit la généalogie intellectuelle d'une doctrine qui puise ses sources dans l'imaginaire révolutionnaire. Telle est, en effet, la thèse de Frédéric Le Moal et, en tant que telle, peut-être la systématise-t-il à l'excès, encore qu'il la nuance par endroits à juste raison. Maurras a-t-il sous-estimé le caractère révolutionnaire du fascisme italien comme le pense Frédéric Le Moal ? Encore faudrait-il commencer par se demander si lui-même, comme déjà indiqué, ne le surestime pas. D'autre part, Maurras avait tout de même formulé à l'encontre des doctrines fascistes une objection de fond : « Comment ne voient-ils pas que la famille est antérieure à l'Etat ? ».  Enfin, Frédéric Le Moal signale à juste titre les sérieuses raisons de politique extérieure qui ont joué dans l'esprit de Maurras. Tenir l'Italie éloignée de l'alliance allemande était sa politique. Une politique que la France n'a pas suivie, malgré les avances répétées de Mussolini. Erreur - ou trahison - qui a coûté fort cher à la France et à la paix. Pierre Debray nous avait beaucoup intéressés naguère en publiant un article dont le titre était : « Le fascisme est passé » . Qu'il soit une forme politique du passé est le point où nous rejoignons les analyses de Frédéric Le Moal.   LFAR

     

    frédéric-le-moal-1-1024x680-740x480.jpgLe climat est à la dénonciation d'un «retour du fascisme», notamment par des groupuscules d'extrême-gauche qui s'autoproclament « antifas ». Que vous inspire cette crainte ? Le fascisme en tant que mouvement politique est-il mort ou peut-il renaître de ses cendres ?

    Si je voulais répondre par une boutade, je dirais qu'il n'y a jamais eu autant d'antifascistes depuis que le fascisme a disparu. Plus sérieusement, je considère que le fascisme est mort en tant qu'idéologie de masse, et ce pour plusieurs raisons. La première vient bien sûr des horreurs de la Seconde Guerre mondiale et du cortège de tueries auxquelles le nazisme et son comparse italien ont associé leur nom, ce qui provoque un rejet total. Ensuite le fascisme a constitué une réponse à plusieurs problématiques qui ont complètement disparu de nos jours : la crise de la modernité libérale de la fin du XIXe siècle, le problème de l'intégration des masses dans des systèmes politiques encore peu démocratiques, le cataclysme qu'a constitué la Grande Guerre (les fascistes, c'est la génération du front qui prend le pouvoir), la peur du bolchevisme et la crise de l'après-guerre. Tout cela a disparu dès 1945. Certes il existe encore des groupuscules se réclamant haut et fort du fascisme mais ce sont justement… des groupuscules ! Nous faisons face à de nouvelles problématiques, à de nouvelles contestations qui n'ont rien à voir avec celles du fascisme. Il faudrait juste faire un effort sémantique.

    Pourquoi selon vous la peur du retour du fascisme fait-elle tant recette (plus que le retour du nazisme ou du communisme) ?

    Personne aujourd'hui ne peut croire à une résurgence du nazisme et le communisme bénéficie d'une telle indulgence mémorielle qu'il n'effraye pas ou guère. Reste le fascisme et surtout l'antifascisme dont la gauche s'est emparée dès les années 1920. En outre, comment l'antifascisme pourrait-il vivre sans le fascisme ? Ce combat est un puissant instrument d'instrumentalisation politique et un formidable levier de mobilisation, encore de nos jours. Enfin, une fois l'étiquette fort pratique et facile de fasciste accolée à l'adversaire politique, plus besoin de polémiquer avec lui. Il est enfin plus facile d'insulter de fasciste un adversaire que de réfléchir à son idéologie.

    Dans votre livre « Histoire du fascisme » (Perrin) vous vous intéressez à la nature du fascisme italien. Est-il possible de donner une définition précise de ce mouvement ?

    C'est en vérité très difficile. Depuis son émergence en 1919, bien des historiens, des politologues, des philosophes ont tenté d'y voir clair dans ce véritable kaléidoscope qu'a été le fascisme, vaste mouvement recrutant à l'extrême-gauche et à l'extrême-droite. On peut pourtant tenter d'avancer quelques éléments : un mouvement révolutionnaire et donc totalitaire, qui unit socialisme et nationalisme, anticommunisme et antilibéralisme, visant à créer un homme nouveau sous la férule d'un État tout puissant pour engendrer une communauté nationale unie, purgée de ses ennemis intérieurs et militarisée, avec un programme d'expansion guerrière.

    Contrairement aux idées reçues, vous expliquez dans votre livre que loin d'être un mouvement conservateur, le fascisme porte un idéal révolutionnaire … En quoi ?

    Jamais aucun fasciste, et surtout pas le premier d'entre eux, ne s'est considéré comme un conservateur et encore moins un réactionnaire. La plupart des chefs avaient commencé leur engagement politique dans les mouvements de l'extrême-gauche socialiste, marxiste, anarchistes, etc. Et ils ne renièrent jamais ce passé. À leurs yeux, le marxisme en étant matérialiste ne correspondait pas à la soif d'idéal que porte chaque homme en lui. Le leur a été celui d'une révolution avant tout anthropologique visant à créer un homme nouveau, un guerrier patriote par élimination de l'esprit bourgeois fait de lâcheté, d'égoïsme, de goût de l'argent et de trahison. Il s'agissait, sans remettre en cause la propriété privée, de mettre fin au capitalisme libéral par un système corporatiste où l'État prendrait le contrôle de l'économie. L'exaltation de la romanité et de ses vertus guerrières, la mise en place d'un ordre moral pour différencier l'homme fasciste du bourgeois décadent, l'hygiénisme, le corporatisme, l'anticléricalisme et l'antichristianisme : autant de symptômes d'un projet de rupture avec l'ordre ancien que le grand capital, l'Église et la monarchie incarnaient. Un projet en fait issu de la modernité.

    Vous allez même jusqu'à faire du fascisme un mouvement héritier des Lumières…N'est-ce pas exagéré ?

    Vous évoquez ici un point capital qui renvoie le fascisme à sa nature révolutionnaire et à son lien avec la Révolution française. Le grand historien italien Renzo de Felice a été le premier à mettre en avant ses racines jacobines et rousseauistes. Réalité encore difficile à admettre en France et pourtant…

    Les Lumières constituent la première révolution anthropologique moderne car elle a coupé l'homme de son lien avec Dieu. Devenu de la simple matière, on peut agir sur lui, le remodeler, le rééduquer pour en faire un homme parfait. Le fascisme n'est pas un mouvement anti-Lumières pour la bonne et simple raison qu'il refuse de croire à la nature inaliénable de l'être humain qui est réduit à de la cire qu'on peut malaxer. Mussolini utilisait d'ailleurs très souvent la métaphore de l'artiste pour parler de son œuvre politique. Cette tentation démiurgique fait donc clairement du fascisme un mouvement appartenant à l'univers de la gauche révolutionnaire.

    L'héritage de la pensée de Rousseau est très clair dans le fascisme: la volonté générale et nationale qui annihile les libertés individuelles, le rôle du législateur et de l'État dans la naissance du citoyen modèle, la puissance du sentiment national transformé en amour pour la patrie qui exige le sacrifice ultime, l'union du pouvoir politique et du pouvoir religieux au bénéfice du premier - d'où l'installation d'une religion civile - la haine pour le cosmopolitisme supposé des riches.

    Le fascisme a bien des points communs avec la Révolution française dans sa phase jacobine (j'insiste sur cette nuance car les fascistes rejetaient bien sûr l'héritage libéral de 1789) jusque dans ses accents xénophobes de 1793, le soutien de la petite bourgeoisie, l'association de la nation et de la révolution introduit en Italie par Bonaparte et exaltée par le Risorgimento. S'il existe une cohérence dans le fascisme, c'est bien cet héritage. Juste un exemple éclairant : deux régimes ont introduit un changement de calendrier: la Convention et l'Italie fasciste !

    On sous-estime souvent le fascisme italien, en faisant un totalitarisme d'opérette, moins sanglant que le nazisme. Doit-on le considérer comme un véritable totalitarisme ?

    Sa nature totalitaire a été longtemps niée, notamment par Hannah Arendt alors que le mot est né en Italie dans les années 1920 ! Les travaux de Renzo de Felice et surtout d'Emilio Gentile l'ont mise en pleine lumière. Totalitaire parce que révolutionnaire, le lien de cause à effet est fondamental. Le régime mit en place des structures d'encadrement politique, notamment de la jeunesse car, selon Mussolini, c'était à l'État et non à la famille d'éduquer les enfants. Il le dit en 1929: « Dire que l'instruction revient à la famille, c'est dire une chose qui est hors de la réalité contemporaine. La famille moderne, assaillie par les nécessités d'ordre économique, accrochée chaque jour à la lutte pour la vie, ne peut instruire personne. Seul l'État, avec ses moyens en tout genre, peut assumer cette tâche.» Difficile ne pas y voir une continuité depuis les Lumières et les Jacobins dans la volonté de modeler les esprits par l'éducation étatique.

    Pour autant, je le qualifie de totalitarisme de basse intensité car le niveau de terreur est très faible, l'emprise sur le société relative et les contre-pouvoirs nombreux : le roi, les évêques et le pape, les industriels du nord. Or, il existe aujourd'hui une tendance à aggraver les aspects violents du fascisme. Au rythme où vont les choses ils dépasseront bientôt ceux du Troisième Reich… Incontestablement ils ont existé et ce dès la sanglante épopée squadriste. Et je ne parle pas de l'effroyable époque de la République Sociale de Salò où le fascisme républicain, libéré de ses entraves, s'est déchaîné y compris contre son propre peuple. Mais on ne trouvera ni d'Auschwitz ni de Goulag en Italie.

    On parle beaucoup en ce moment du retour de Maurras, dont on commémore le 150e anniversaire. En quoi le fascisme italien se distingue-t-il de la tradition de l'Action française ?

    Maurras ne cachait pas son admiration pour le régime fasciste, autoritaire, nationaliste, évoluant dans un cadre monarchique, bien qu'il fût l'expression d'un nationalisme d'expansion, agressif, conquérant, ce que n'était pas l'Action française. De surcroît, la latinité pouvait être un élément de cohésion entre les deux pays contre l'Allemagne. Maurras a donc été un partisan convaincu de l'alliance franco-italienne contre le Reich hitlérien. J'ajouterai qu'il avait compris le danger totalitaire à l'œuvre derrière la restauration de l'État ce qui ne manquait pas de l'inquiéter. Mais, à mon avis, il en sous-estimait le caractère révolutionnaire.   

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    Frédéric Le Moal, docteur en histoire (Paris IV-Sorbonne), professeur au lycée militaire de Saint-Cyr et à l'institut Albert-le-Grand. Il publie « Histoire du fascisme » (Perrin, 421 p, 23 €)

    Propos recueillis par Eugénie Bastié

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    Eugénie Bastié

    Auteur, - Journaliste Débats et opinions

  • Mai 68 • Un rendez-vous manqué [2]

    Les gauchistes et le peuple : un amour déçu 

    Outre le contraste socioéconomique, il y avait entre petit-bourgeois estudiantins et ouvriers de souche française une différence de nature ethnique. Les « indigènes » des banlieues et des villes moyennes se méfièrent de ces allogènes parisiens qui jouaient au prolo. Comme ce levantin au regard condescendant de « Benny Lévy [qui] avait troqué l’accent de sa mère pour les intonations du populo. À Normale sup, il avait appris par cœur des pages et des pages de vocabulaire grec. Désormais, avant d’aller haranguer les ouvriers de Renault-Billancourt, il potassait L’équipe, de façon à connaître les résultats du foot sur le bout des doigts. »[1]

    Les « établis », ces diplômés des grandes écoles qui allaient dans les usines pour s’immerger au cœur du prolétariat, ils les voyaient comme des taupes de la classe possédante. Comme des élites auto-proclamées qui désiraient être leurs nouveaux maîtres. La classe ouvrière française refusa que ces colons aschkenazim deviennent leurs nouveaux représentants. Elle resta attachée aux syndicalistes en place. Ils lui ressemblaient plus. Quelle ne fut pas la déception chez les « établis ».           

    C’est cette déception qui, d’après Jean Birnbaum, a entraîné l’émergence du néoconservatisme français. Pour lui, un néoconservateur est « un maoïste qui a perdu son peuple. »[2] On retrouve dans son ouvrage un témoignage fort intéressant sur cette question : « ʽʽÀ partir du moment où j’ai compris qu’il était figé, j’ai abandonné mon peuple, confiait Guy Landreau, non sans préciser que son camarade Benny Lévy avait eu la possibilité, lui, de s’en inventer un nouveau : ʽʽBenny a tenté de redécouvrir une autre notion du ʽʽpeupleʼʼ. Il l’a fait à partir d’un concept très archaïque dont sa mère l’avait rendu coupable. La mère, ça s’appelle le peuple. Donc Benny s’est posé la question : quel est mon peuple ? Il avait longtemps cru – ça je suis fondé à le dire – que c’était le peuple français, ce peuple auquel nous tenions, lui comme moi, sur le même thème barrésien et aragonien. Ce peuple de la Résistance, le peuple de Jeanne dʼArc, qu’il avait existé ou non, nous l’avions en commun. Mais le mien était in-déplaçable. Je n’en ai plus. Benny, lui, a pu déplacer le sien : c’est sans doute une chance qui lui a été donnée, d’être juif.ʼʼ »[3]  

    La France, pour ce peuple sans terre qu’étaient les révolutionnaires professionnels, devint vite une terre sans peuple

    Ainsi la vox populi n’eut pas tort de réagir avec scepticisme voire avec suspicion – si ce n’est avec crainte – lorsque dans le quartier Latin les premières barricades furent élevées et les premières voitures flambèrent. « La chroniqueuse canadienne, Mauvis Gallant, installée à Paris, note les détails de la vie quotidienne [...]. Elle écrit : ma femme de ménage me confie : Maintenant on sait qui est responsable de tout ça. Des commandos d’étrangers et d’apatrides. Ils sont arrivés par voitures entières. ʽʽQui vous a dit cela ?ʼʼ Mais tout le monde le dit. Rumeurs et peur vis-à-vis de l’étranger caractérisent bien le climat agité de la fin du mois de mai. À un mois de l’ouverture, prévue le 1er juillet 1968, des frontières de la Communauté économique européenne, les manifestants parisiens du 24 mai opposent à ces déclarations nationalistes les slogans : ʽʽNous sommes tous des juifs allemands et ʽʽLes frontières on s’en foutʼʼ. »[4]  

    Les ouvriers français, soucieux de préserver leur identité, veulent des frontières, qui les protègent économiquement, assurent leur sécurité culturelle. Or ils n’ont pas moins pris part au mouvement de Mai ; ils lui ont même donné sa force et son éclat – la plus grande grève de l’histoire de France –, non point derrière la caste des compradores en puissance, les Cohn-Bendit, Geismar, Krivine, etc., mais sous la direction des grandes centrales syndicale, C.G.T. en tête. 

    Le chef du syndicat communiste, Georges Séguy, s’en prend d’ailleurs de manière virulente à Daniel Cohn-Bendit, la « star de Mai 1968 », dans un livre consacré aux événements, Le Mai de la CGT. « Je voulais, par cette réponse, donner à réfléchir sur le rôle exact de ce personnage et sur ses affinités politiques nationales et internationales. Le gouvernement en savait bien plus sur son compte qu’il ne l’a jamais avoué. Un jour dans un discours Georges Pompidou a parlé de ʽʽcertains individus déterminés, munis de moyens financiers importants et d’un matériel adapté aux combats de rue, dépendant à l’évidence d’une organisation internationale »[5].

    À l’évidence, l’instinct populaire – René Descartes n’a-t-il pas écrit dans Le Discours de la méthode que le bon sens est la chose du monde la mieux partagée ? en dépit d’une certaine tendance à la déformation, ne s’est pas trompé. Ces révolutionnaires professionnels venus de l’Est, et en particulier du Yiddishland, ne méritaient pas de recevoir le soutien de la base ouvrière française.  (Dossier à suivre)   

    [1]  Jean Birnbaum, Les Maoccidents. Un néoconservatisme à la française, Paris, Stock, 2009, p. 101.

    [2]  Ibid., p. 122.

    [3]  Ibid., p. 99.

    [4]  Michelle Zancarini-Fournel, Le Moment 68. Une histoire contestée, Paris, Seuil, 2008, p. 22.

    [5]  Cité par Jacques Capdevielle et Henri Rey, Dictionnaire de Mai 68, Paris, Larousse, 2008, p. 136. 

     

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    Dossier spécial Mai 68

  • Mai 68 • Un rendez-vous manqué [1]

    L’étude de Hervé Hamon et Patrick Rotman le montre : il y avait bien une surreprésentation d’individus d’extraction juive petite-bourgeoise parmi les révolutionnaires de Mai. Elle met en évidence, de plus, que la thèse d’Annie Kriegel, contenue dans l’article de Larche « Gauchisme et judaïsme » déjà mentionné, selon laquelle il y avait au sein du milieu des révolutionnaires professionnels une suprématie des ashkénazes sur les séfarades est juste, à l’exception, comme elle le précise bien, du groupuscule maoïste UJC(ml), où le polak Linhart est pris en étau par le pharaon Lévy et le portos Grumbach. 

    Gauchisme et judaïsme 

    Les auteurs de Génération l’admettent eux-mêmes en écrivant qu’ « [u]ne société qui tolérait l’intolérable au nom de la raison d’Etat était intrinsèquement perverse et appelait à une révolution radicale. L’idée d’une révolution jaillit d’un étonnant brassage : la fascination du temps où l’acte militant était un acte guerrier, l’insurrection éthique contre les turpitudes d’une sale guerre, la quête messianique d’un Éden sans classes où les hommes seraient frères. Goldman possède un chromosome marqué de l’étoile jaune. Il n’est pas le seul, loin s’en faut. Ce parcours est peuplé de jeunes juifs et le hasard n’y est évidemment pour rien. Il se retrouvent là, kibboutzim du boulevard Saint-Michel, les Juifs polonais, les Sénik, Pienkny, Goldman, les Juifs russes, les Krivine, Schalit, Butel, sans oublier les Polonais nés en Union soviétique comme Henri Weber. Plus Grumbach, Castro, Kahn, Kouchner... Ils n’ont eu qu’à emprunter, prolonger le chemin de leurs parents, qui louvoyait entre Auschwitz et Vorkhouta, pour échouer sur cette terre promise, coincée au pied de la Sorbonne. Ils ne portent pas leur judéité en sautoir. Ils sont avant tout révolutionnaires ; mais ils savent, même s’ils n’en parlent point, sauf pour en plaisanter, que l’identité juive détermine leur engagement. Exclus, immigrés, minoritaires, ils perpétuent une tradition qui allie judaïté et Grand Soir dans l’irrépressible désir de la justice universelle, finale. L’an prochain, la révolution ! »[1] 

    D’après les deux auteurs, la direction du mouvement étudiant qui s’était instaurée de fait était composée d’Alain Geismar, Benny Lévy, Jacques Sauvageot, Alain Krivine, Henri Weber, Daniel Cohn-Bendit, Serge July et Jean-Louis Péninou, auxquels s’ajoutent les porte-paroles des lycéens Maurice Najman et Michel Recanati. Cette surreprésentation parmi les leaders est effectivement incontestable, elle crève les yeux même.

    Ce que confirme, en outre, l’article scientifique de Martha Kirszenbaum, où elle développe l’analyse selon laquelle les différents groupuscules gauchistes étaient unifiés par l’appartenance de leurs chefs à un même milieu, parisien, petite-bourgeoise, estudiantin et juif, chez qui « au sentiment du judaïsme se substitue un engagement politique révolutionnaire, pleinement hérité de l’histoire juive de l’Est. En effet, chez les étudiants contestataires d’origine juive, le particularisme n’est pas à l’ordre du jour. C’est au contraire l’internationalisme ou l’universalisme qui les animent. […] Or ce passage du judaïsme à la révolution s’est opéré pour beaucoup au moment de la guerre d’Algérie, lorsque certains des futurs acteurs de Mai 68 d’origine juive fréquentaient le mouvement sioniste de gauche Hashomer Hatsaïr »[2].

    Elle précise également : « Une des spécificités du milieu d’extrême gauche étudiant parisien de 1968 réside peut-être en ce que certaines de ses figures majeures sont d’origine juive de l’Est, en particulier de Pologne – pays qui accueille avant la guerre la plus grande communauté juive d’Europe. Parmi les leaders étudiants du mouvement se trouvent de nombreuses personnes originaires du monde juif d’Europe de l’Est et dont les parents se sont réfugiés en France. »[3]

    L’analyse de Martha Kirszenbaum corrobore celle d’Annie Kriegel : les meneurs du mouvement étudiant de Mai étaient tous petit-bourgeois, majoritairement juifs, avec une dominante ashkénaze.   

    Le forte coloration étrangère, pour ne pas employer un vocable cher à Charles Maurras – celui de métèque –, de la direction du mouvement de contestation étudiante, explique pourquoi beaucoup ont développé l’idée qu’il y a eu un « rendez-vous manqué en mai-juin 1968 entre ouvriers et étudiants »[4], en s’appuyant en particulier sur ces deux éléments : « l’article de Georges Marchais dans LʼHumanité le 3 mai contre les gauchistes et l’anarchiste allemand Cohn-Bendit, et, bien sûr, l’opposition des syndicalistes CGT à l’entrée des étudiants dans la ʽʽforteresse ouvrièreʼʼ de Renault-Billancourt les 16 et 17 mai. »[5]

    Reste à nuancer le propos : il y a eu en effet quelques exceptions. « Si le plus souvent, c’est à l’initiative des étudiants que des liens se nouent, des ouvriers font parfois le chemin vers les facultés occupées : de jeunes ouvriers CGT de Billancourt, mais aussi des syndicalistes contestataires de Sochaux s’en vont humer l’air du quartier Latin, des ouvrières d’une petite entreprise de câblage de Montpellier sont en relation avec des étudiants en lettres, des militants cédétistes de l’usine Rhône-Poulenc de Vitry se réunissent dans la faculté de Censier aux premiers jours de la grève »[6].   (Dossier à suivre)   

    [1]  Ibid., p. 163.

    [2]  Martha Kirszenbaum, « 1968 entre Varsovie et Paris : un cas de transfert culturel de contestation », Histoire@Politique. Politique, culture, société, n° 6, septembre-décembre 2008, p. 3.

    [3]  Ibid., p. 2.

    [4]  Boris Gobille, Mai 68, Paris, La Découverte, 2008, p. 55.

    [5]  Idem.

    [6]  Ibid., p. 56.   

     

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    Dossier spécial Mai 68

  • Mai 68 • Les acteurs de la contestation [3]

    Guerre contre eux-mêmes ... 

     

     

    Les auteurs de Génération. Les années de rêve, Hervé Hamon et Patrick Rotman, ont dressé une longue liste des protagonistes de Mai 68. Nous reprenons ce qu’ils disent du milieu familial et social de chaque acteur.

    Henri Weber 

    Henri Weber, né le 23 juin 1944 à Leninabad, à proximité du fleuve Amour, débute son parcours de militant politique aux jeunesses communistes. « Son père tient une échoppe d’artisan horloger rue Popincourt. Et toutes ses études, à Jacques-Decour, ont eu pour environnement Barbès, Anvers, la Goutte d’or – la zone la plus chaude de Paris pendant la guerre d’Algérie. […] Les coups, la haine venaient battre jusqu’à la loge du lycée. Une société qui a sécrété Vichy, puis les ʽʽaffairesʼʼ d’Indochine, puis les ʽʽévénementsʼʼ d’Algérie, une société qui a traqué les juifs, les Viets, les Arabes, ne saurait être qu’intrinsèquement mauvaise. […] Avant la Seconde Guerre mondiale, les parents d’Henri Weber, juifs l’un et l’autre, vivaient en Pologne, à Czanow. Une petite ville de haute Silésie, séparée par treize kilomètres dʼOswieciw – que les Allemands désignent d’un autre nom : Auschwitz. »[1] En 1949 la famille Weber émigre à Paris. « On parle yiddish et polonais, rue Popincourt. Toutefois, chez les Weber, un subtil équilibre tend à s’établir entre l’assimilation et la préservation de la tradition originelle. […] Le père, qui publie des articles dans de confidentielles revues juives, incite ses fils à ʽʽréussirʼʼ, mais les éduque simultanément dans le mépris du fric. Les cousins du Sentier qui se taillent peu à peu quelque fortune au fil de l’expansion du prêt-à-porter, malgré leurs voitures et leurs cadeaux, resteront dépeints comme d’éternels joueurs de cartes analphabètes, incapables de s’émouvoir devant une page de Heinrich Heine. Les pauvres ! La première affiliation militante d’Henri est imposée. Il a neuf ans et, pour calmer ses turbulences, on l’inscrit à l’association Hachomer Hatzaïr (en français : la Jeune Garde), qui rassemble dans un style mi-politique mi-scout les cadets du Mapam, le parti des sionistes de gauche. À quatorze ans, d’ailleurs, il séjourne en Israël dans un kibboutz. L’expérience est passionnante, chaleureuse. »[2] 

    Bernard Kouchner 

    Bernard Kouchner alias le French doctor « a rejoint l’UEC pendant la guerre d’Algérie, par antifascisme. Fils d’un médecin de gauche, il s’inscrit vers quatorze ans à lʼUJRF[3]. Militant actif du lycée Voltaire, il n’hésite pas, pour ses débuts politiques, à prendre l’autocar et à apporter son soutien – décisif – aux dockers grévistes de Rouen. […] Mais le virus ne l’atteint pas jusqu’à la tripe ; aux distributions de tracts, il préfère les boîtes de jazz, les filles. […] Schalite repère ce carabin fin et cultivé, et l’attire à Clarté. Kouchner débute par un compte rendu du livre de Salinger LʼAttrape-cœur et atteint d’emblée les frontières de l’autonomie – louanger un ouvrage américain... »[4] À travers les articles qu’il rédige pour Clarté, Kouchner dévoile que sa réussite personnelle lui importe plus que le triomphe du prolétariat, dont il n’est pas, lui le fils de notable. Il « lʼavoue dans un papier irrévérencieux et qui fait scandale. Sous la forme d’une ʽʽLettre à un moderne Rastignacʼʼ, publiée par Clarté, il donne aux jeunes gens de 1963 quelques conseils pour ʽʽarriverʼʼ. Rastignac, s’il entend parvenir à ses fins, doit décrier la société – il n’est pas de réussite sans contestation. Provocant en diable, Kouchner lance : ʽʽJe suis communiste et Rastignac. Paradoxe ? Détrompez-vous : le mélange n’est pas détonant. Il est même étonnamment efficace. Vous riez ? Je vous attends.ʼʼ »[5] Repéré par un ancien résistant et ministre de De Gaulle qui côtoya Staline, Emmanuel d’Astier de La Vigerie, qui « ressent plus que de la sympathie pour les rebelles de lʼU.E.C. »[6], il est propulsé par ce dernier rédacteur en chef de LʼÉvénement. Après son départ de lʼU.E.C., vers 1965, il se lance avec dʼautres dissidents communistes – ceux qui se faisaient appeler les « Italiens » – dans le mouvement de solidarité avec le Sud-Vietnam. Le pays subit alors un intense pilonnage aérien au niveau du dix-septième parallèle : les B 52 déversent du napalm sans discontinuer. L’ampleur du massacre est telle que partout dans le monde l’indignation est totale. L’émoi provoqué par les corps brûlés que révèlent les photos des magazines réveille la fibre humanitaire de Kouchner. Avec Laurent Schwartz, Jean Schalit et Alain Krivine il fonde le Comité Vietnam national, dont il est membre du comité directeur. 

    Robert Linhart 

    Robert Linhart, sorti de la khâgne de Louis-le-Grand, est admis à lʼÉcole normale supérieure de la rue d’Ulm. Il est le « fils de juifs polonais réfugiés, […] né en France pendant la guerre (son père, avocat à l’origine, est devenu représentant de commerce, puis ʽʽhommes dʼaffairesʼʼ) »[7]. Rue d’Ulm, sous la houlette de son professeur de philosophie Louis Althusser, il devient « le Lénine de lʼE.N.S. »[8], place éminente que seul Benny Lévy, lui aussi ʽʽulmardʼʼ, pouvait lui contester. 

    Benny Lévy 

    Benny Lévy, dont le « père, qui parfois gagne et souvent échoue au jeu de l’import-export, ne pèse guère à la maison ; ni Benny ni son plus proche frère, Tony, ne comprennent exactement ce qu’il vend. »[9] Benny Lévy n’est pas français, il est né en Égypte, « où les Lévy mènent une existence tribale. La part de religieux est faible dans l’éducation des enfants (quoiqu’une grand-mère soit fille de rabbin). Le rite est plutôt un repère culturel, le rendez-vous du vendredi soir. On parle français. […] Mais l’usage de cette langue ʽʽétrangèreʼʼ est infiniment plus, pour la circonstance, qu’une séquelle de l’histoire. C’est un commun dénominateur entre l’aile religieuse et sioniste de la famille, qui se délite peu à peu, et l’autre aile, celle qui domine en participant de la subversion communiste. L’intériorité juive s’estompe, le ʽʽprogressismeʼʼ prend le dessus et les mots français servent de truchement à cette conversion. Que deviendront-ils plus tard, Tony et Benny, les deux jeunes garçons de la tribu ? En pareils lieux et à pareille heure, le choix est restreint. Commerçants ? Comme papa ? Jamais ! Rabbins ? Leur mère fut sioniste de cœur pendant les années trente, mais la pente n’est plus celle-là. Les figures fortes, l’oncle, le frère aîné, l’emportent. Tony et Benny ne seront ni commerçants ni rabbins. Ils seront révolutionnaires. »[10] Conséquence de l’opération franco-britannique de Suez, la famille Lévy quitte l’Egypte en mars 1957. D’abord pour Bruxelles, où Benny impressionne ses professeurs. En 1965, il est accepté à Normale Supʼ : « Sʼil pénètre en ces augustes lieux, ce n’est certes pas pour des raisons universitaires. Il est là parce que là se joue son rapport à la France. Et il est là non pour se couler dans le moule de l’élite française, mais pour le muer en bastion révolutionnaire. » [11] 

    Alain Geismar 

    Alain Geismar, qui est « un petit Juif né en 1939 »[12] et qui étudie à lʼÉcole des Mines de Nancy, « passe le plus clair de son temps au local parisien des Étudiants socialistes unifiés, dont il est un des chefs sous la houlette de Jean Poperen […]. En quatrième, il était dans la même classe qu’André Sénik, aujourd’hui son concurrent de l’UEC. Le jour de la mort de Staline, Sénik l’orthodoxe arborait une boutonnière et un brassard noirs. ʽʽEncore un cochon de moins !ʼʼ, lui a aimablement décoché Geismar. Sénik a répondu avec ses poings. »[13] 

    Daniel Cohn-Bendit 

    Le plus connu des soixante-huitards, Daniel Cohn-Bendit, étudiant à Nanterre où il est « le leader de la petite bande qui récuse les leaders »[14], est « un juif allemand né en France – complexe histoire qui produit un fils d’émigrés pas vraiment juifs et assez juifs pour mériter l’étoile jaune sous Vichy. Les parents Cohn-Bendit sont agnostiques, la mère parle un peu le yiddish, le père, pas du tout. À Berlin, où réside la famille, ce dernier exerce la profession d’avocat et défend les communistes et socialistes emprisonnés. Quand Hitler prend le pouvoir, les Cohn-Bendit s’exilent en France. Pendant la guerre, ils participent à la Résistance. Daniel naît à Montauban en 1945. Il ne reçoit aucune éducation religieuse, n’est pas circoncis. […] En 1951, son père regagne l’Allemagne pour y reprendre son métier d’origine. La mère reste en France avec Daniel et son frère aîné, Gaby. […] Son père meurt en 1959, sa mère en 1963. Bac en poche, il revient en France et s’inscrit à la faculté de Nanterre »[15] où il se revendique membre d’un groupuscule libertaire, Noir et Rouge, et s’inspire des réflexions de lʼInternationale situationniste de Guy Debord, qui a été fondée en 1957, mouvement politico-artistique à l’on doit la maxime « L’humanité ne sera vraiment heureuse que le jour où le dernier bureaucrate aura été pendu avec les tripes du dernier capitaliste. » (Dossier à suivre)  

    [1]  Ibid., p. 144.

    [2]  Ibid., p. 145.

    [3]  Le nom de la branche jeunesse du PCF avant qu’elle soit rebaptisée MJCF.

    [4]  Ibid., p. 133.

    [5]  Ibid., p. 134.

    [6]  Ibid., p. 294.

    [7]  Ibid., p. 230.

    [8]  Ibid., p. 265.

    [9]  Ibid., p. 272.

    [10]  Ibid., p. 272-3.

    [11]  Ibid., p. 279.

    [12]  Jean Birnbaum, Les Maoccidents. Un néoconservatisme à la française, Paris, Stock, 2009, p. 62.

    [13]  Hervé Hamon, Patrick Rotman, op. cit., p. 76-77.

    [14]  Ibid., p. 392.

    [15]  Ibid., p. 392-393.  

     

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    Dossier spécial Mai 68

  • Histoire & Actualité • Hilaire de Crémiers : « Mai 68, c’est l’irrespect, dans tous les domaines. »

     

    Un entretien avec Hilaire de Crémiers

     

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    Entretien avec Hilaire de Crémiers directeur de Politique magazine et de La nouvelle Revue Universelle. Propos recueillis Par Philippe Ménard 

    Hilaire de Crémiers, vous avez participé aux événements de Mai 68 dans une position bien spécifique : étudiant royaliste. Quelles étaient vos fonctions à l’époque ?

    Je m’occupais des cercles d’étude, des camps d’été… J’étais secrétaire général des étudiants d’Action française – ou quelque chose d’équivalent. C’était une époque de renouveau : nous avions des groupes structurés, avec des gens brillants, dans toutes les grandes villes universitaires, comme Lille, dont Jean-Pierre Dickès était l’animateur, Toulouse, Nantes, Aix et Marseille, Nanterre, avec Bernard Lugan, qui était auparavant responsable du lycée de Saint-Cloud. Il était membre de la Restauration nationale étudiante. Nous tenions des congrès et des conférences d’étudiants royalistes qui regroupaient des centaines de jeunes. Nous avions nos propres publications, comme Amitiés Françaises universitaires, que nous appelions AFU, et nous essayions de créer des dossiers d’Action française, des DAF ! Sur tous les sujets, Monarchie, Décentralisation, Enseignement et universités…

    Mai 68 va arriver, vous sentez monter la tension… Comment les royalistes considèrent-ils alors cette effervescence ?

    Aujourd’hui, on parle moins des royalistes que des gens d’Occident, qui se contentaient souvent d’un fascisme sans rigueur intellectuelle ; ils nous accusaient justement de maintenir les normes d’une sagesse politique dans notre réflexion, en raison de ce qu’ils appelaient notre « maurrassisme ». Ces groupuscules vivaient dans l’agitation. Ils se battaient, certes, mais nous aussi, et presque toutes les semaines, contre les étudiants communistes, les trotskystes, les maoïstes. Nous nous battions à la Sorbonne, à l’Odéon, à Saint-Lazare, bien avant les barricades – et souvent à un contre cinquante, car les communistes n’attaquaient qu’avec la certitude du nombre. Nous nous battions avec les Krivine, les Goldman. Cela pouvait se terminer à l’hôpital comme au poste de police. Les étudiants communistes ou déjà « gauchistes », sous la banderole de l’UNEF, tenaient les universités, la Sorbonne notamment. Ils avaient obtenu des espaces où ils pouvaient se réunir. L’administration apeurée leur était bienveillante. Il m’arrivait d’aller vers eux, fleur de lys à la boutonnière, pour leur proposer de discuter plutôt que de se battre. J’ai eu des discussions invraisemblables avec des trotskistes et des althussériens, à Normale Sup’, où nous avions un petit groupe. Spinoza, Kant, Hegel, Marx, Lénine… Nous connaissions leurs auteurs ; je lisais du Marcuse à la bibliothèque de la rue Croix-des-Petits-Champs, mais eux ne lisaient pas « nos » auteurs. C’est toujours la même chose. Les mêmes récitent le même catéchisme indéfiniment ! Il semblerait qu’aujourd’hui il y ait une jeunesse qui serait prête à s’ouvrir l’esprit. Tant mieux !

    L’agitation précédait donc largement Mai 68. Quand cela a-t-il commencé ?

    C’est 1961-1962 qui est le vrai départ des événements de Mai 68, pas 1965-1967, comme il est dit aujourd’hui. J’ai bien vécu cette période, ayant fait de la détention administrative en 1962, puis ayant été assigné à résidence. Je faisais en même temps mes études de droit et de lettres. C’est à ce moment que la gauche s’est littéralement emparée des lycées et des facultés et que le gaullisme a laissé la porte ouverte à la gauche, car la gauche l’avait soutenu dans l’abandon de l’Algérie. Nous, les royalistes d’Action française, étions alors en métropole les seuls opposants à un tel abandon, les seuls qui avions protesté non seulement contre l’abandon de la communauté française en Algérie, mais encore plus contre l’abandon des musulmans fidèles à la France. Il y avait une solution à trouver autre que le bradage honteux et qui n’a fait que repousser le problème ! Tout le monde en paie le prix aujourd’hui. Il y avait aussi la Cité catholique qui partageait la même manière de voir. J’ai assisté de l’intérieur au délitement des universités, de l’enseignement même et de la culture d’une manière générale parce que le gaullisme a systématiquement laissé la place à une gauche culturelle avant la lettre qui, en même temps, de marxiste-léniniste est devenue maoïste, spontanéiste – on parlait de « mao-spontex » –, lambertiste ou anarchiste, conséquence de l’abandon de toutes les idées de nation, d’ordre, de tradition, d’honneur, de beauté. Les professeurs étaient encore des gens remarquables, mais ils avaient déjà, en partie, abandonné leurs toges et leur autorité. Avant les cours magistraux, en Sorbonne, pendant un quart d’heure, une bande de zigotos prenaient la parole et faisaient passer leurs idées et leurs consignes. Ils tenaient l’Université. C’étaient des « professionnels de l’agitation », comme dit Macron : Krivine n’étudiait pas, il passait d’amphi en amphi pour semer l’agitation ; et l’agitation montait. J’avais écrit, alors, des articles, plusieurs mois avant Mai 68, pour signaler cette montée que nous percevions, que nous vivions, et qui allait déboucher sur un phénomène de masse. Cohn-Bendit et sa bande se sont aperçus qu’ils pouvaient faire n’importe quoi sans que jamais l’autorité leur réponde de façon cohérente : il n’y avait plus de respect. L’événement originel de Nanterre est caractéristique. Le mouvement du 22 mars est dans la logique du temps. Mai 68, c’est l’irrespect, dans tous les domaines. La libération sexuelle n’était que le refus de respecter la féminité : concrètement, dans les campus, ce n’était que la liberté de coucher. La pilule était libératrice d’abord pour le mâle ! La voyoucratie bourgeoise a pris le pouvoir dans les facultés avant d’essayer de le prendre dans la société. Et dans cette prise de pouvoir, dans cette dégradation de l’autorité, l’affaire de l’Algérie et l’évolution de l’Église, après Vatican Il, ont eu leur importance. Le christianisme de gauche a incontestablement joué un rôle déterminant dans l’évolution de la société, après la guerre, et tout spécialement après 1962. Les jeunes chrétiens gauchardisés par leurs aumôniers sont devenus les militants de la Révolution avant de devenir les cadres du parti socialiste !

    Mai 68 arrive, encouragé par un pouvoir qui a accepté d’être fragile dans les facultés, alors qu’il avait su montrer ailleurs sa dureté. À ce moment-là, les royalistes se sont-ils dit que la République pouvait vaciller, qu’il y aurait quelque bénéfice à retirer de cette agitation marxiste ?

    C’est une réflexion qui s’est faite au cours des événements. Ce sont les royalistes qui ont eu l’idée des contre-manifestations. Après la manifestation des gauchards qui étaient allés à l’Arc de Triomphe chanter l’Internationale et pisser sur la tombe du Soldat inconnu, nous avons pris la décision, en discutant avec les responsables du mouvement d’Action française de l’époque, Bernard Mallet, président des comités directeurs, et Pierre Juhel, secrétaire général de la Restauration Nationale, d’organiser des contre-manifestations. Et ça a tout de suite pris de l’ampleur : nous avons défilé tous les jours pendant huit jours, passant de 800 à 40 000 personnes sans difficulté. Mais les gens du SAC essayaient alors de prendre en main la manifestation – ils voulaient la récupérer –, ce qui n’était pas du tout dans nos objectifs ! Le SAC tentait d’entraîner la contre-manifestation sur la rive gauche pour créer des heurts frontaux. Mais je répondais aux policiers qui venaient, en quelque sorte, s’informer, et même plus que s’informer, car il n’y avait plus rien, que nous n’étions pas de la chair à canon, que nous n’allions pas jouer le jeu des barricades. L’idée est alors venue, vers la mi-mai, d’aller faire le tour systématique des lycées et des facultés, y compris les plus rouges, pour aller porter la contradiction dans un climat surréaliste de grève générale, de barricades et d’Odéon occupé ! J’ai, personnellement, fait le tour de la périphérie communiste de Paris, et de quelques lycées parisiens les plus rouges. Devant des salles de classe bondées, il était amusant d’expliquer que le totalitarisme universitaire contre lequel les émeutiers prétendaient lutter, avait été inventé par la République !

    Les étudiants manifestent avant l'intervention de la police au carrefour du boulevard Saint-Michel et du boulevard Saint-Germain, à Cluny, avec pour leader Alain Krivine des Jeunesses Communistes Révolutionnaires. On remarquera le caractère très bourgeois de ces manifestants. Politique magazine

    Les étudiants manifestent avant l’intervention de la police au carrefour du boulevard Saint-Michel et du boulevard Saint-Germain, à Cluny, avec pour leader Alain Krivine des Jeunesses Communistes Révolutionnaires. On remarquera le caractère très bourgeois de ces manifestants. 

    Nous manifestions contre le désordre et en même temps nous commencions à apporter une réponse au questionnement légitime d’une partie du public. Et nous avons installé nos propres présentoirs, avec notre presse, à côté de Clarté, le journal de l’Union des étudiants communistes, et de L’Humanité. À partir du moment où nous nous sommes installés, tout le monde a accouru, gaullistes, giscardiens en tête ! Nous avions ouvert la voie ; il avait fallu se battre un peu. Nous étions assez nombreux pour nous imposer, à Paris comme en province. Nous avions une imprimerie en banlieue où nous allions la nuit, tous feux éteints, faire tirer nos journaux, Aspects de la France et AFU. Nous étions toute une bande ; il y avait Gérard Leclerc, Jean-Pierre Dickès et bien d’autres. Nous écrivions le journal, le portions à l’imprimerie, le tirions à des milliers d’exemplaires et le rapportions en passant les chicanes de la CGT. Comme il n’y avait plus de presse et que, seules, deux radios fonctionnaient, les ventes à l’Opéra, à Saint-Lazare, explosaient ! Au lieu de vendre difficilement en faisant le coup de poing, un numéro partait à la seconde ! Je descendais en voiture à Lyon, les gens de Marseille montaient, on faisait la même chose à l’Ouest, Poitiers – Bordeaux – Toulouse, et le journal était distribué dans toute la France. Aspects de la France est le seul journal qui a paru pendant trois semaines, en alternance avec AFU. Mais tout était flou… Les gaullistes achetaient les révolutionnaires, Chirac se promenait avec un revolver et des valises de billets, De Gaulle allait consulter à Baden-Baden, nous faisions le tour des lycées et des facultés, nous chahutions Duverger et les profs bourgeois qui jouaient les émeutiers, on s’amusait beaucoup. C’était formidable, mais où menions-nous ces étudiants qui nous suivaient ? … Nous ne le savions pas. Et c’était une pensée lancinante et terrible. Tout le monde agité ne pensait en fait qu’au pouvoir à prendre et ils se sont arrangés pour s’y faire leur place, presque tous ! Devenus eux-mêmes ce qu’ils étaient censés renverser ! Et je peux vous dire que beaucoup d’argent a circulé. Jamais pour nous évidemment, toujours pour les gauchards et les sbires du gouvernement.

    Vous existez : du coup ceux qui avaient peur de réagir s’enhardissent et vous confisquent la réaction. Comment vivez-vous ce moment où tout s’échappe ?

    Douloureusement. Le milieu royaliste était en train de se fracturer entre partisans de l’ordre et partisans du chambardement. J’imposais à mon niveau une direction mais c’était fragile. Je devinais ce qu’il fallait faire mais nous n’en avions pas les moyens. Pompidou s’en est tiré après les accords de Grenelle ; De Gaulle est revenu, mais il avait, malgré les apparences, perdu la partie : un an plus tard, il sera contraint de partir, et pourtant sur une de ses meilleures propositions de réformes. La gauche a misérablement tenté de reprendre le pouvoir au stade Charlety. Le Parti communiste et la CGT ne voulaient pas aller au-delà de ce que Moscou souhaitait – et l’URSS voulait maintenir De Gaulle, personnalité « de droite » qui avait une politique internationale dite « de gauche », mais nous ne savions pas jusqu’à quel point. Nous avons eu le sentiment, d’une certaine manière, d’avoir été manipulés puisque notre contre-révolution avait servi le pouvoir républicain qui s’était ressaisi. Nous avons fait un camp, à l’été 68, très suivi. Mais la société avait changé. Les événements relevaient à la fois d’une mascarade bourgeoise et d’un bouleversement en profondeur, et nous n’avions pas la capacité de mener à son terme la dynamique que nous avions lancée. À la Mutualité, 2000 étudiants criaient « Vive le Roi », mais à quoi bon, si l’État, l’Église, la société se reconstituaient sur un pacte de consolidation républicaine où le désordre sert finalement l’ordre établi et où l’ordre établi ne cesse d’alimenter le désordre. La loi Edgar Faure en fut l’expression la plus évidente.

    Mgr Marty avait déclaré dans un mandement que Dieu n’était pas « conservateur » ! La formule aurait pu être comprise intelligemment. Ce ne fut pas le cas. Etait-ce possible ? On ne peut imaginer la sottise de l’époque. Nous avions établi, avec quelques étudiants, une sorte de PC à l’Institut catholique, mais de l’autre côté de la cloison, nous entendions de jeunes séminaristes qui allaient sur les barricades… C’était assez désespérant ! Je pense, aujourd’hui, qu’il y avait là un vrai combat. Mais ce qui est sûr, c’est que, pour réussir, il faut préparer les forces suffisamment à l’avance de façon que les réactions nationales ne soient pas que des coups de chaud ! Indéfiniment récupérés par les aventuriers de la politique.    

    Hilaire de Crémiers

  • Mai 68 • Les acteurs de la contestation [2]

    Guerre contre eux-mêmes ... 

     

    Les auteurs de Génération. Les années de rêve, Hervé Hamon et Patrick Rotman, ont dressé une longue liste des protagonistes de Mai 68. Nous reprenons ce qu’ils disent du milieu familial et social de chaque acteur.

    Jeannette Pienkny 

    Jeannette Pienkny, qui était la seule femme membre du bureau national du Mouvement de la jeunesse communiste au moment du XIVème Congrès du P.C.F., qui eut lieu au Havre en juillet 1956. Vingt ans plus tôt son père arrive en France. « Juif polonais, né à Lodz, il fut dirigeant de la Jeunesse communiste. Repéré par la police, il fuit en Allemagne, milite au P.C., que Hitler entreprend de démanteler. Arrêté durant un meeting, il est condamné, incarcéré. À peine libéré, il gagne Paris. À la déclaration de guerre, comme beaucoup d’immigrés d’Europe de l’Est, il s’engage. Il est fait prisonnier, revient en 1945. Jeannette ne découvre qu’alors son père. Elle a sept ans. Les souffrances et les déchirements intérieurs s’agrippent au cœur comme l’étoile jaune s’accroche à la poitrine : descentes de la milice, camps de réfugiés, ballottements d’autant plus effrayants qu’incompréhensibles. […] Chez les Pienkny, on parle yiddish ; la mère est couturière à domicile, le père ne ʽʽfaitʼʼ plus de politique, mais il en parle du matin au soir. Cet étrange assemblage d’éducation communiste et de culture juive – non religieuse – est au début des années cinquante le terreau commun de la bande que fréquente Jeannette. […] Pour ces jeunes juifs, l’antifascisme est incarné par le parti communiste. »[1] 

    Michèle Firk 

    L’une des grandes amies de Jeannette Pienkny s’appelle Michèle Firk : « Juive comme cette dernière – sa famille avait fui les pogroms d’Europe orientale au début du siècle –, elle a connu les persécutions raciales de la guerre. […] À dix-neuf ans, en 1956, elle prend sa carte du parti communiste ; mais son besoin d’action, son dégoût viscéral devant les horreurs de la guerre d’Algérie la détournent d’un engagement trop timoré à ses yeux. Elle entre dans les réseaux de soutien au F.L.N. »[2]

    Jean Schalit 

    Jean Schalit a des origines russes « mais son arrière-grand-père était le secrétaire de Théodore Hertzl, le fondateur du sionisme – d’ailleurs il fut l’un des douze pionniers qui émigrèrent en Palestine à la fin du XIXème siècle. […] Une branche de la famille a réussi dans la presse et possède la Société parisienne d’édition qui publie Bibi Tricotin, les Pieds nickelés, l’almanach Vermot. Mais le père de Schalit, par esprit d’indépendance, préférait travailler dans un journal économique, L’information. Homme de gauche, il a collaboré au cabinet de Léon Blum en 1936. Après la guerre, la Résistance, il dirige une publication de la C.G.T. […] En 1952, la police soviétique ʽʽrévèleʼʼ que des médecins voulaient assassiner Staline. Le compagnon de route se rebiffe ; il ne croit pas un mot de ce complot des ʽʽblouses blanchesʼʼ où les praticiens accusés ont surtout le défaut d’être juifs. Il s’éloigne du communisme au moment où son fils Jean, quinze ans, s’en approche. […] Communiste de marbre, il n’hésite pas à vendre, seul, LʼHumanité aux portes de l’institut d’études politiques où il est admis à la rentrée universitaire de 1956. Les chars russes tirent sur les ouvriers de Budapest, mais il reste fidèle comme un roc. […] Bientôt propulsé au bureau national de lʼU.E.C., il est chargé du journal Clarté »[3], qui est l’organe de la branche étudiante du PCF. 

    Serge July 

    Serge July, qui n’est pas adhérent à lʼU.E.C., est cependant un lecteur assidu de Clarté. Il a pour meilleur ami René Frydman, qui est étudiant en médecine. « July et Frydman se connaissent depuis le lycée Turgot, où ils étudiaient ensemble, et sont demeurés très liés. […] Imitant la moitié de leur classe, ils suivent les initiatives du M.R.A.P., un mouvement contre le racisme particulièrement actif dans leur quartier où les élèves d’origine juive sont nombreux – les parents de Frydman, immigrés de Pologne, se sont établis dans la confection. Le père July, lui, est un ingénieur des Mines, radical-socialiste, libre penseur et sceptique, qui n’essaie pas d’inculquer à son fils une quelconque orthodoxie politique. Pas plus que sa mère, catholique bretonne qui travaille chez Lelong, un atelier de haute couture. C’est elle qui l’élève, ses parents étant séparés. »[4] 

    Roland Castro 

    Roland Castro, né en 1940 à Limoges, étudiant aux Beaux-Arts et militant au Parti socialiste unifié (P.S.U.), se rappelle avoir dit, à propos du départ de Pierre Mendès France de la fonction de président du Conseil, en 1955, « lui qui est juif d’une lignée de juifs espagnols et grecs : eh oui, ils triomphent. Ils ont flanqué dehors le petit juif qui les dérangeait tant. Mais les petits juifs, tôt ou tard, rentrent par la fenêtre...ʼʼ »[5] Son père est « issu de la diaspora juive espagnole installée en Grèce, est né à Salonique. Mais, encore jeune homme, il émigre en France où il pénètre avec de faux papiers. Devenu représentant de commerce, il épouse à Lyon une juive grecque également de Salonique. Amoureux de son pays d’accueil, il s’engage en 1939 »[6] du côté de la France contre l’Allemagne nazie. Ania Francos, qui est la « fille d’un père russe et d’une mère polonaise, cachée de famille en famille durant lʼOccupation, faisait partie de la bande d’adolescents juifs qui se retrouvaient, le samedi et le dimanche, place de la République. »[7]  (Dossier à suivre)  

    [1]  Ibid. p. 48-49.

    [2]  Ibid., p. 52.

    [3]  Ibid., p. 53.

    [4]  Ibid., p. 127.

    [5]  Ibid., p. 76.

    [6]  Ibid., p. 119.

    [7]  nIbid., p. 89.

     

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    Dossier spécial Mai 68

  • Mai 68 • Les acteurs de la contestation [1]

    Dire à la fois que les mouvements radicaux d’extrême-gauche étaient dirigés par des Juifs et que ce sont ces mouvements qui sont à la source de la révolte étudiante qui déclencha la crise de mai-juin 1968 revient à considérer que le rôle joué par ces jeunes Juifs a été déterminant. Sans eux, il est légitime de se poser la question, Mai 68 aurait-il eu lieu ? 

    Yaël Auron insiste sur leur rôle majeur dans l’irruption des événements quand il écrit que « Mai 68 revêt des spécificités juives indéniables, authentiques et profondes. Ce sont dans une large mesure des motivations juives qui ont propulsé toute une génération de jeunes juifs dans la lutte révolutionnaire universelle. Elles trouvent leurs fondements dans les événements du passé le plus proche, la Seconde Guerre mondiale et la Shoah »[1]. Pour lui, leur faible nombre était compensé par la position éminente qu’ils occupaient dans les mouvements gauchistes. Ils se trouvaient aux places les plus stratégiques, de direction. En quelque sorte ils en étaient les pivots : « les juifs n’étaient qu’une infime minorité, bien que fortement représentés au sein des instances dirigeantes des groupes contestataires étudiants. »[2]

    Outre la J.C.R. de Krivine, Yaël Auron souligne qu’« [i]l en était de même au sein de la direction des autres organisations trotskistes où les juifs représentaient une majorité non négligeable si ce n’est la grande majorité des militants. […] Le mouvement maoïste, la Gauche prolétarienne, avait à sa tête deux juifs, Alain Geismar et Pierre Victor (Benny Lévy). »[3] Sans oublier le plus informel Mouvement-du-22-mars et son leader emblématique Daniel Cohn-Bendit, le plus célèbre des soixante-huitards.

    Dans un livre autobiographique ce dernier raconte une expérience qui l’a grandement marquée : « à quinze ans, je suis allé en Israël. J’ai travaillé dans un kibboutz. C’était très joli, tout le monde vivait en communauté, les gens s’entraidaient, solidarité, égalité, etc. Intuitivement, je devais avoir une position sioniste de gauche. […] J’étais à Nanterre lorsque éclata la guerre des Six-Jours. […] Nous n’avions pas conscience réellement du problème d’Israël : nous étions encore sous l’influence de l’idéologie sioniste que nous avions acceptée pendant des années »[4].

    Plus loin il développe le raisonnement suivant : « L’extrême-gauche, comme la gauche, a toujours répugné à se poser le problème de l’identité individuelle. Pour définir quelqu’un, on se réfère toujours à son appartenance de classe. Mais notre identité est le fruit de multiples expériences, parmi lesquelles le cadre de vie de notre enfance joue un rôle important. […] Cette société m’impose d’être viril – je suis un garçon, plus tard un homme – juif allemand, rouquin, plus ou moins beau »[5]

    Les auteurs de Génération. Les années de rêve, Hervé Hamon et Patrick Rotman, ont dressé une longue liste des protagonistes de Mai 68. Nous reprenons ce qu’ils disent du milieu familial et social de chaque acteur. 

    Alain Krivine 

    Commençons par Alain Krivine : « Son père, médecin stomatologue, n’a rien d’un ʽʽencartéʼʼ. Il lit Le Figaro, se proclame antiraciste, vote régulièrement à gauche mais avec la certitude, quand son suffrage se porte sur les communistes, que ces derniers ne prendront jamais le pouvoir. Il est né en France de Juifs russes immigrés, qui ont fui les pogroms avant 1917, et la femme qu’il a rencontrée était de même souche. […] La mère d’Alain, au fond, n’éprouve ni passion politique ni passion religieuse. Elle jeûne à Kippour parce que, dit-elle, face aux antisémites, il est bon de montrer une fois l’an qu’on est juif. »[6] 

    André Sénik 

    André Sénik « est né de parents juifs polonais, petits commerçants établis à Paris dans le quartier du Sentier vers 1930, à l’époque où la communauté juive en France – cent cinquante mille âmes – double de volume sous l’afflux des réfugiés de l’Est, dont la moitié provient de Pologne. La culture familiale est teintée de marxisme mais tout autant de sionisme. La première organisation que fréquente le jeune Sénik, le M.A.P.A.M. (le Parti unifié des travailleurs, à la fois sioniste et socialiste), est ainsi orientée : à gauche, et cependant en quête dʼEretz Israël. »[7] 

    Tiennot Grumbach 

    Quant à Tiennot Grumbach : « Sa mère est la sœur de Pierre Mendès France et dirige le commerce de vêtements, devenu petite maison de couture, qu’a fondé le grand-père Mendès. [Son] père, il est ʽʽdans les affairesʼʼ, au Brésil, où la Casa Grumbach connaît des hauts et des bas. »[8] 

    Jean-Paul Ribes 

    Jean-Paul « Ribes, lui, n’est pas juif pour deux sous. Un Français, vrai de vrai, issu d’une classique famille petite-bourgeoise – le père ingénieur à l’E.D.F., la mère qui ʽʽne travaille pasʼʼ. »[9]    (Dossier à suivre)   

    [1]  Yaël Auron, Les juifs d’extrême gauche en mai 68, Paris, Albin Michel, 1998, p. 39.

    [2]  Ibid., p. 23.

    [3]  Idem.

    [4]  Daniel Cohn-Bendit, Le grand bazar, Paris, Belfond, 1975, p. 10-11.

    [5]  Idem.

    [6]  Hervé Hamon, Patrick Rotman, Génération. Les années de rêve, Paris, Seuil, 1987, p. 15-16.

    [7]  Ibid., p. 20.

    [8]  Ibid., p. 21-22.

    [9]  Ibid., p. 22.  

     

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    Dossier spécial Mai 68

  • Cinéma • En guerre

     

    Par Guilhem de Tarlé

    En guerre : un drame social de Stéphane Brizé avec Vincent Lindon (représentant syndical) et Mélanie Rover (syndicaliste CGT)

     

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    Après Mademoiselle Chambon et l’excellent Une vie, Stéphane Brizé nous livre un film « engagé ». 

    On va me traiter de gauchiste si j’en dis du bien, d'autant qu'il met en exergue une citation de Bertolt Brecht :

    « Celui qui combat peut perdre, mais celui qui ne combat pas a déjà perdu ».

    Je préfère, quant à moi, me référer à Guillaume d'Orange qui a dit, à sa façon, à peu près la même chose : « il n'est pas nécessaire d'espérer pour entreprendre ni de réussir pour persévérer » ?

    C'est en effet l'une des questions posées par ce film : faut-il « sauver les meubles » ou risquer de tout perdre en allant « jusqu’au bout » ?

    Je crois que selon les circonstances  on penche d'un côté ou de l'autre, et je crains de constater que dans les deux cas on perd...

    L'autre question du film est celle de la confiance à accorder précisément à un accord entre syndicats et patronat dans une grande entreprise, surtout quand les salariés abandonnent une part de leur salaire (« Tout travail mérite salaire ») « pour conserver leur travail ».

    « Ne nous associons qu'avecque nos égaux »  nous a enseigné La Fontaine... Le pot de terre perd en effet toujours contre le pot de fer, et le lion sait à bon escient rappeler « Le droit du plus fort » à la génisse et autres animaux avec lesquels, pourtant, il avait mis « en commun le gain et le dommage ».

    Dans un autre contexte, d'ailleurs, entre Le Loup et l'Agneau, « la raison du plus fort est toujours la meilleure ».

    Ce sont ces guerres-là, entre syndicats, entre salariés, et syndicats contre grand patronat, qui font l'objet de ce docufiction.

    Évidemment - et malheureusement - la CGT y tient le beau rôle, sachant même tirer parti de son « dérapage  », et Vincent Lindon y est tout à fait dans son élément comme  représentant syndical.

    Ce film est d'une actualité brûlante : On ouvrira un boulevard à la Gauche si l'on ne sait pas protéger la libre entreprise, communauté humaine en même temps qu'entité économique, face au libéralisme, au capitalisme sauvage et au mondialisme.  

    PS : vous pouvez retrouver ce « commentaire » et plusieurs dizaines d’autres sur mon blog Je ciné mate.