Livres • Un printemps éditorial maurrassien
Par Christian Tarente
Publié le 22 juin 2018 - Réactualisé le 29 juillet 2018
LE CENT-CINQUANTENAIRE DE CHARLES MAURRAS Ses adversaires s'inquiètent. On ne saurait leur donner tort : leur principal atout était de voir Maurras condamné non seulement à la dégradation nationale, mais surtout à la mort éditoriale. Une peine de mort qu'on a oublié d'abolir ! Il y eut, certes, des tirages confidentiels, mais les grands éditeurs étaient peu soucieux de laisser ce nom honni compromettre leur image. Or les choses bougent...
C'est un modeste mais réel printemps éditorial maurrassien qui nous est offert aujourd'hui.
Une petite flottille d'ouvrages, sortie de l'enfer, a appareillé et vogue vers la haute mer. À vrai dire, seul le vaisseau amiral - l'anthologie publiée dans la collection « Bouquins » - répond directement à l'urgence d'une réédition des textes. Les autres, des navires d'accompagnement, relèvent surtout du commentaire, mais tous profitent du vent favorable suscité par l'affaire du « livre des commémorations ».
Avant d'entrer au gouvernement, Mme Nyssen dirigeait les éditions Actes Sud : commémorer l'enfant de Martigues, provençal de naissance et de coeur, était pour elle une exceptionnelle occasion d'agir pour le Sud... Elle y a réussi - malgré elle, dirait-on... - au-delà de toute espérance !
DIVINE SURPRISE : LA COLLECTION « BOUQUINS » CRÉE L'ÉVÉNEMENT
Mais saluons d'abord la sortie du livre-événement. Le travail effectué par l'universitaire Martin Motte pour réunir en un seul volume de 1200 pages l'essentiel de l'opus maurrassien force le respect. De même que la préface de plus de trente pages de Jean-Christophe Buisson, du Figaro magazine, sous le titre - certes un peu discutable - d'Un prophète du passé, constitue un essai complet sur le sujet, plein de vie et de richesses multiples. À ce double travail, accueilli chez Robert Laffont dans la collection Bouquins, ne manquent sans doute pas les critiques à faire. Elles le seront en temps utile. Mais il s'agit le plus souvent d'observations passionnantes et propres à susciter et enrichir le débat. Or rien n'a plus nui à Maurras depuis un demi-siècle que la conspiration du silence. On l'avait jeté au fond du puits, mais c'était « le puits et le pendule » d'Edgar Poe, les enfouisseurs le vouaient à une mort inexorable. La vérité, cependant, finit toujours par sortir du puits !
En feuilletant ce livre, en parcourant sa table des matières, en lisant les introductions proposées par Martin Motte avant chaque partie, en consultant les notes en bas de page, on devine déjà le colossal travail consenti pour choisir et ordonnancer les textes d'un homme qui a publié, sa vie durant, plus de pages que Voltaire. Sa vie s'est confondue avec son oeuvre, avec cette conséquence que ses livres pouvaient ne jamais être achevés. Les textes - souvent des articles commandés par l'actualité - se chevauchaient au fil des différentes éditions d'ouvrages, qui semblaient ne jamais le satisfaire. Quand, peu avant sa mort, il conçut ses Œuvres capitales, il pensa qu'elles constitueraient son « avenir total ».
Erreur : les choix de Martin Motte se révèlent assez largement divergents. Un seul exemple : Mes idées politiques, ouvrage paru en 1937, composé de morceaux choisis et d'une préface inédite (son célèbre texte sur la politique naturelle) n'était pas retenu par Maurras sous cette forme. En revanche, l'édition « Bouquins » a estimé que la popularité de ce livre et de son titre justifiait son maintien : un choix défendable... autant que discutable, comme le sont tous les choix.
Les lecteurs les plus attachés à Maurras regretteront les manques énormes - aussi inévitables que les regrets qu'ils suscitent -, et les grands livres dont ne figurent que des extraits : mais nombre de jeunes lecteurs, et même de moins jeunes, y trouveront sûrement un accès plus aisé. Il nous faudra revenir sur ce livre, notamment sur la préface de Jean-Christophe Buisson. Ce sera dans les années à venir un indispensable manuel pour découvrir et fréquenter l'oeuvre d'un homme qui, à l'orée du XXe siècle, eut un regard si pénétrant qu'il nous concerne tous encore aujourd'hui. Un dernier mot : le livre s'achève sur le procès de 1945, avec les textes du réquisitoire et de la plaidoirie. Ils sont précédés d'une présentation qui dit, avec une grande précision et une louable modération de ton, toute l'iniquité de ce qui n'a été qu'une parodie de justice.
AU TEMPS DE LA « REVUE GRISE »
Parmi les ouvrages qui font le mieux revivre les débuts remuants de l'Action française - comme ceux de Léon S. Roudiez et de Victor Nguyen - L'Âge d'or du maurrassisme de Jacques Paugam a pris toute sa place avec un singulier mélange de vive sévérité critique et de générosité du regard. En cet « entre-deux-siècles » si agité et si fécond des années 1900, la Revue d'Action française - bimestriel vite surnommé la Revue grise - apparaît comme un « think-tank », un laboratoire d'idées tout à fait innovant. Paugam a ce mot qui peut donner une idée du ton de son livre : « À travers cette lutte permanente, le véritable portrait de Charles Maurras se dessine, assez peu conforme à l'idée qu'on se fait généralement de lui : on est frappé par sa modestie. » La réédition de ce livre datant de près d'un demi-siècle, est bienvenue, d'autant plus qu'elle bénéficie d'une très remarquable préface, inédite, de Michel De Jaeghere, dont le long passage consacré à l'antisémitisme d'État maurrassien est exemplaire. Ce sujet qui, sur le fond, n'avait pas une telle importance pour Maurras, est devenu, pour nous, hypersensible. Porter un jugement vrai et pouvant être compris aujourd'hui apparaît toujours très difficile. Il n'est pas sûr que De Jaeghere y parvienne totalement, mais peu ont avancé aussi loin que lui sur ce terrain qui a été systématiquement miné.
MAURRAS CONDAMNÉ À ÉCHOUER ?
Un petit ouvrage pédagogique a connu un grand succès chez les jeunes militants depuis les années 70, Maurras et la pensée d'Action française, dû à un juriste universitaire, Maurice Torrelli. En cent pages, l'essentiel est dit sur la démocratie et les libertés, le nationalisme, la monarchie, et les mérites de l'empirisme organisateur. Devenu introuvable, le « Torrelli » vient d'être réédité par les toutes jeunes Éditions de Flore, dont c'est la première publication. En le faisant, lui aussi, bénéficier d'un remarquable avant-propos, dû cette fois à François Marcilhac.
Il ne faudra pas non plus laisser passer cette « année Maurras » sans avoir lu les douze textes d'hommage réunis par Marc-Laurent Turpin pour les éditions Apopsix. Axel Tisserand décrit la fidélité du Martégal à la Maison de France, Paul-Marie Coûteaux et Christian Vanneste analysent (chacun à sa manière) les influences maurrassiennes sur de Gaulle. D'autres - Anne Brassié, Philippe Prévost, Michel Fromentoux...- témoignent, ou évoquent Maurras, le Provençal, la question religieuse, l'homme... Hilaire de Crémiers, qui passe en premier, a cette phrase qui pourrait être de conclusion (provisoire...) : « Ne fallait-il pas sortir de l'échec répété ? Puisque, malgré le prestige de l'homme et le rayonnement de l'oeuvre, une sorte de fatalité les a condamnés à ne pas réussir. À jamais ? C'est une grave question à laquelle l'homme a répondu, mais à sa manière. Étonnante, mystérieuse ! » •
L'AVENIR DE L'INTELLIGENCE ET AUTRES TEXTES, DE CHARLES MAURRAS
Édition établie par Martin Motte,
préface de Jean-Christophe Buisson
Éditions Robert Laffont,
coll. Bouquins, 2018,
1226 p. 32 €
L'ÂGE D'OR DU MAURRASSISME,
de Jacques Paugam
Préfaces de Michel De Jaeghere et Jean-Jacques Chevallier Éditions Pierre-Guillaume de Roux, 2018,
402 p. 25 €
MAURRAS
ET LA PENSÉE D'ACTION FRANÇAISE,
de Maurice Torrelli
Avant-propos de François Marcilhac
Éditions de Flore, 2018,
104 p. 10€
REGARDS SUR MAURRAS
(12 auteurs)
Ouvrage collectif d'hommage
pour un cent-cinquantenaire
Éditions Apopsix, 2018,
284 p. 20 €
Ce reportage illustré est en cinq parties.
Vint-huit jours - du 8 février au 21 mars - nous ont occupés à publier - et pour nombre de nos lecteurs, à lire Une politique pour l'an 2000 de Pierre Debray, cette analyse de situation et cette réflexion prospective de haut niveau parue en 1985.
Nous avons publié du 15 au 19 juillet le superbe et passionnant récit des relations entre Alexandre Soljenitsyne et la Vendée donné par Dominique Souchet dans le dernier numéro de la Nouvelle Revue Universelle.
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Jusqu’ici non exposées, certaines œuvres ont été sorties des réserves du musée pour pouvoir être admirées par tous.C’est le cas notamment d’un pastel représentant le comte de Provence, futur Louis XVIII. Plusieurs objets déjà présents dans l’ancienne salle, comme les colliers de l’ordre du Saint-Esprit ont quant à eux été nettoyés pour faire ressortir leurs couleurs et détails.

Comment commémorer plus dignement qu'il n'a été fait à ce jour le centenaire du grand Soljenitsyne ? Et comment évoquer en même temps l'écrasement de la Vendée par la fureur révolutionnaire autrement que par les indignations faciles et les formules toutes faites cent fois répétées ? Le superbe récit des relations entre Alexandre Soljenitsyne et la Vendée de Dominique Souchet que le dernier numéro de la Nouvelle Revue Universelle vient de publier répond à ce souci de façon passionnante. On a là un récit précis mais aussi une réflexion à l'altitude qui convient pour évoquer en les reliant Alexandre Soljenitsyne, la révolution russe et le massacre de la Vendée. L'horreur révolutionnaire en soi-même d'un siècle l'autre. Du XVIIIe au XXe. Nous avons entrepris dimanche dernier la publication de ce récit qui s'étendra aux jours suivants. En remerciant Dominique Souchet et la N.R.U. de nous l'avoir donné. LFAR 
Elle a, depuis, retrouvé sa vocation et sa beauté. C'est elle qui accueille, en cette journée orageuse au cœur de l'été, la dépouille de l'auteur de L'archipel du Goulag. Dimitri Medvedev, alors président de la Fédération de Russie, a interrompu ses congés d'été pour être présent aux obsèques.
Alors, ce Mémorial des Lucs-sur-Boulogne, allez le voir, pour y méditer, pour y chercher l'inspiration !
Pourtant, s'exclame Soljenitsyne, « l'expérience de da Révolution française aurait dû suffire. » Mais non, l'horreur de la Terreur jacobine n'a pas suffi à dissuader les repreneurs : « Nos organisateurs rationalistes du "bonheur du peuple" », comme il les définit, vont en déployer les déclinaisons « à une échelle incomparable. »
Lors de son passage à Paris, Soljenitsyne, invité à l'émission Apostrophes, a été profondément choqué que Bernard Pivot tente de le dissuader de se rendre en Vendée. Outré que l'on ne comprenne pas l'importance qu'il attache au geste qu'il vient y accomplir, il répond avec vigueur devant les caméras : « Je n'ai pas eu le moindre doute, la moindre hésitation quand j'ai reçu l'invitation à me rendre en Vendée. Au contraire, j'ai estimé que c'était un honneur pour moi. » Fermez le ban.
C'est après son passage en Vendée, une fois rentré en Russie et après être allé sur place interroger les descendants des survivants, qu'il réalisera son projet. Il consacre un livre entier, Ego, publié en 1995 — ce sera sa première publication en Russie après son retour —, à l'insurrection paysanne de la région de Tambov en 1920-21, dont le Charette s'appelle Alexandre Antonov. (Photo ci-contre). Un récit particulièrement intense. À trois reprises y surgit l'interrogation : est-ce une nouvelle Vendée ? Et Soljenitsyne conclut : oui, c'est incontestablement une Vendée russe », la plus emblématique peut-être. À une exception près : l'attitude du clergé orthodoxe, dont il déplore la passivité générale, contrastant avec le courage général du clergé catholique qu'il relève en Vendée.
Le soulèvement de Tambov s'est prolongé pendant onze mois, bien que les communistes, pour le réprimer, aient employé des chars d'assaut, des trains blindés, des avions, bien qu'ils aient pris en otages les familles des révoltés et qu'ils fussent à deux doigts d'employer des gaz toxiques. Nous avons connu aussi une résistance farouche chez les Cosaques du Don... (Photo ci-contre) étouffée dans des torrents de sang, un véritable génocide. » Nous retrouvons ici le parallèle entre le Don et la Vendée, magnifié par Marina Tsvetaieva.
La question du parallèle entre les deux Révolutions et les deux résistances qu'incarnent la Vendée française et les Vendées russes ne cesse de l'habiter. Il avait même rédigé, en 1984, une étude intitulée Les deux Révolutions dans laquelle il souligne les « ressemblances déterminantes » entre les deux Terreurs, leur « ampleur et leur caractère inhumain » et entre les méthodes d'abomination utilisées pour réduire les deux résistances paysannes, la vendéenne et la russe. (Photo ci-contre : les noyades de Nantes). ) Un point qu'il reprendra et développera aux Lucs : « De nombreux procédés cruels de la Révolution française ont été docilement réappliqués sur le corps de la Russie par les communistes léniniens et par les socialistes internationalistes ; seuls leur degré d'organisation et leur caractère systématique ont largement dépassé ceux des Jacobins. »
À La Chabotterie, le logis rustique le séduira par son charme propre sans doute, mais surtout parce qu'il est le témoin de la capture du chef emblématique du soulèvement vendéen, Charette. Un nom qui sonne familièrement aux oreilles de Soljenitsyne, un nom que l'illustre maréchal Alexandre Souvorov a rendu familier aux oreilles russes : dans une lettre qu'il lui adressa six mois avant sa capture dans les bois de La Chabotterie, il qualifiait Charette de « héros de la Vendée et illustre défenseur de la foi et du trône, éminent représentant des immortels Vendéens, fidèles conservateurs de l'honneur des Français. »
Lorsqu'il parvient au pied de la tribune, la clameur qui l'accueille est inouïe : elle paraît ne jamais devoir finir. C'était comme si cette foule immense ne parvenait pas à croire à la réalité de ce qu'elle voyait et était soudain prise de vertige devant la force symbolique de l'événement auquel elle participait : Alexandre Soljenitsyne, l'homme des brèches, était en train, par sa seule présence ici, au cœur de la Vendée suppliciée, d'abattre le mur de déni obstiné qui subsistait depuis deux cents ans. Même si la quête de reconnaissance devrait se poursuivre après son passage, quelque chose de décisif, cependant, était en train de se jouer. Un effet cliquet, sans retour possible. Et la houle des applaudissements se mettait à exprimer une reconnaissance infinie. Alexandre Issaievitch en était comme éberlué. Il murmurait : jamais, jamais, même lors de mon arrivée à Zurich en 1974, je n'ai vu une chose pareille... Les Vendéens l'accueillaient comme une grâce.
Dernière étape, enfin, à Saint-Gilles-Croix-de-Vie, Soljenitsyne est venu marcher sur les pas de l'une des plus grandes poétesses russes, Marina Tsvetaieva. Elle avait séjourné sur la côte vendéenne en 1926, attirée elle aussi par le souvenir du soulèvement de 1793. Au lendemain de la révolution d'Octobre, alors que son mari servait dans l'Armée blanche, elle avait publié un recueil de poèmes, Le camp des cygnes, qui s'achevait par une admirable poésie réunissant la Vendée et le Don :
Le discours prononcé par Alexandre Soljenitsyne le 25 septembre 1993 en Vendée pour le bicentenaire du soulèvement de 1793, alors qu'il était encore en exil, fut un événement considérable : une des plus grandes autorités spirituelles du XXe siècle finissant dénonçait à la face du monde la source « vendéenne » des totalitarismes de ce siècle de fer et de sang. […]
Ce n'est pourtant pas Alain Decaux que cette foule attend. C'est une présence apparemment hautement improbable en ces lieux et en ces circonstances. C'est un personnage hors norme, qui a souffert dans sa chair et dans son âme la réalité de la Terreur, et que la Terreur n'a pas réussi à briser. C'est un Russe dans lequel les Vendéens se reconnaissent, parce qu'il actualise ce qui fut la raison d'être de leur soulèvement, il y a deux siècles. Il est ce qu'ils furent, une « conscience rebelle à la séduction de l'idéologie » : c'est ainsi que Philippe de Villiers, alors président du Conseil général de la Vendée, parle de celui qu'il a invité à présider la commémoration de 1793 et qui a immédiatement accepté l'invitation comme « un honneur ».


