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Idées, débats... - Page 416

  • Livres • Un printemps éditorial maurrassien

     

    Par Christian Tarente

    Publié le 22 juin 2018 - Réactualisé le 29 juillet 2018

     

    933807218.jpgLE CENT-CINQUANTENAIRE DE CHARLES MAURRAS Ses adversaires s'inquiètent. On ne saurait leur donner tort : leur principal atout était de voir Maurras condamné non seulement à la dégradation nationale, mais surtout à la mort éditoriale. Une peine de mort qu'on a oublié d'abolir ! Il y eut, certes, des tirages confidentiels, mais les grands éditeurs étaient peu soucieux de laisser ce nom honni compromettre leur image. Or les choses bougent...

     

    C'est un modeste mais réel printemps éditorial maurrassien qui nous est offert aujourd'hui.

    Une petite flottille d'ouvrages, sortie de l'enfer, a appareillé et vogue vers la haute mer. À vrai dire, seul le vaisseau amiral - l'anthologie publiée dans la collection « Bouquins » - répond directement à l'urgence d'une réédition des textes. Les autres, des navires d'accompagnement, relèvent surtout du commentaire, mais tous profitent du vent favorable suscité par l'affaire du « livre des commémorations ».

    Avant d'entrer au gouvernement, Mme Nyssen dirigeait les éditions Actes Sud : commémorer l'enfant de Martigues, provençal de naissance et de coeur, était pour elle une exceptionnelle occasion d'agir pour le Sud... Elle y a réussi - malgré elle, dirait-on... - au-delà de toute espérance !

    DIVINE SURPRISE : LA COLLECTION « BOUQUINS » CRÉE L'ÉVÉNEMENT

    Mais saluons d'abord la sortie du livre-événement. Le travail effectué par l'universitaire Martin Motte pour réunir en un seul volume de 1200 pages l'essentiel de l'opus maurrassien force le respect. De même que la préface de plus de trente pages de Jean-Christophe Buisson, du Figaro magazine, sous le titre - certes un peu discutable - d'Un prophète du passé, constitue un essai complet sur le sujet, plein de vie et de richesses multiples. À ce double travail, accueilli chez Robert Laffont dans la collection Bouquins, ne manquent sans doute pas les critiques à faire. Elles le seront en temps utile. Mais il s'agit le plus souvent d'observations passionnantes et propres à susciter et enrichir le débat. Or rien n'a plus nui à Maurras depuis un demi-siècle que la conspiration du silence. On l'avait jeté au fond du puits, mais c'était « le puits et le pendule » d'Edgar Poe, les enfouisseurs le vouaient à une mort inexorable. La vérité, cependant, finit toujours par sortir du puits !

    En feuilletant ce livre, en parcourant sa table des matières, en lisant les introductions proposées par Martin Motte avant chaque partie, en consultant les notes en bas de page, on devine déjà le colossal travail consenti pour choisir et ordonnancer les textes d'un homme qui a publié, sa vie durant, plus de pages que Voltaire. Sa vie s'est confondue avec son oeuvre, avec cette conséquence que ses livres pouvaient ne jamais être achevés. Les textes - souvent des articles commandés par l'actualité - se chevauchaient au fil des différentes éditions d'ouvrages, qui semblaient ne jamais le satisfaire. Quand, peu avant sa mort, il conçut ses Œuvres capitales, il pensa qu'elles constitueraient son « avenir total ».

    Erreur : les choix de Martin Motte se révèlent assez largement divergents. Un seul exemple : Mes idées politiques, ouvrage paru en 1937, composé de morceaux choisis et d'une préface inédite (son célèbre texte sur la politique naturelle) n'était pas retenu par Maurras sous cette forme. En revanche, l'édition « Bouquins » a estimé que la popularité de ce livre et de son titre justifiait son maintien : un choix défendable... autant que discutable, comme le sont tous les choix.

    Les lecteurs les plus attachés à Maurras regretteront les manques énormes - aussi inévitables que les regrets qu'ils suscitent -, et les grands livres dont ne figurent que des extraits : mais nombre de jeunes lecteurs, et même de moins jeunes, y trouveront sûrement un accès plus aisé. Il nous faudra revenir sur ce livre, notamment sur la préface de Jean-Christophe Buisson. Ce sera dans les années à venir un indispensable manuel pour découvrir et fréquenter l'oeuvre d'un homme qui, à l'orée du XXe siècle, eut un regard si pénétrant qu'il nous concerne tous encore aujourd'hui. Un dernier mot : le livre s'achève sur le procès de 1945, avec les textes du réquisitoire et de la plaidoirie. Ils sont précédés d'une présentation qui dit, avec une grande précision et une louable modération de ton, toute l'iniquité de ce qui n'a été qu'une parodie de justice.

    AU TEMPS DE LA « REVUE GRISE »

    Parmi les ouvrages qui font le mieux revivre les débuts remuants de l'Action française - comme ceux de Léon S. Roudiez et de Victor Nguyen - L'Âge d'or du maurrassisme de Jacques Paugam a pris toute sa place avec un singulier mélange de vive sévérité critique et de générosité du regard. En cet « entre-deux-siècles » si agité et si fécond des années 1900, la Revue d'Action française - bimestriel vite surnommé la Revue grise - apparaît comme un « think-tank », un laboratoire d'idées tout à fait innovant. Paugam a ce mot qui peut donner une idée du ton de son livre : « À travers cette lutte permanente, le véritable portrait de Charles Maurras se dessine, assez peu conforme à l'idée qu'on se fait généralement de lui : on est frappé par sa modestie. » La réédition de ce livre datant de près d'un demi-siècle, est bienvenue, d'autant plus qu'elle bénéficie d'une très remarquable préface, inédite, de Michel De Jaeghere, dont le long passage consacré à l'antisémitisme d'État maurrassien est exemplaire. Ce sujet qui, sur le fond, n'avait pas une telle importance pour Maurras, est devenu, pour nous, hypersensible. Porter un jugement vrai et pouvant être compris aujourd'hui apparaît toujours très difficile. Il n'est pas sûr que De Jaeghere y parvienne totalement, mais peu ont avancé aussi loin que lui sur ce terrain qui a été systématiquement miné.

    MAURRAS CONDAMNÉ À ÉCHOUER ?

    Un petit ouvrage pédagogique a connu un grand succès chez les jeunes militants depuis les années 70, Maurras et la pensée d'Action française, dû à un juriste universitaire, Maurice Torrelli. En cent pages, l'essentiel est dit sur la démocratie et les libertés, le nationalisme, la monarchie, et les mérites de l'empirisme organisateur. Devenu introuvable, le « Torrelli » vient d'être réédité par les toutes jeunes Éditions de Flore, dont c'est la première publication. En le faisant, lui aussi, bénéficier d'un remarquable avant-propos, dû cette fois à François Marcilhac.

    Il ne faudra pas non plus laisser passer cette « année Maurras » sans avoir lu les douze textes d'hommage réunis par Marc-Laurent Turpin pour les éditions Apopsix. Axel Tisserand décrit la fidélité du Martégal à la Maison de France, Paul-Marie Coûteaux et Christian Vanneste analysent (chacun à sa manière) les influences maurrassiennes sur de Gaulle. D'autres - Anne Brassié, Philippe Prévost, Michel Fromentoux...- témoignent, ou évoquent Maurras, le Provençal, la question religieuse, l'homme... Hilaire de Crémiers, qui passe en premier, a cette phrase qui pourrait être de conclusion (provisoire...) : « Ne fallait-il pas sortir de l'échec répété ? Puisque, malgré le prestige de l'homme et le rayonnement de l'oeuvre, une sorte de fatalité les a condamnés à ne pas réussir. À jamais ? C'est une grave question à laquelle l'homme a répondu, mais à sa manière. Étonnante, mystérieuse ! »   

     

    images7RTCAV2M.jpgL'AVENIR DE L'INTELLIGENCE ET AUTRES TEXTES, DE CHARLES MAURRAS

    Édition établie par Martin Motte,
    préface de Jean-Christophe Buisson
    Éditions Robert Laffont,
    coll. Bouquins, 2018,
    1226 p. 32 €

     

    510E3Cvcv0L._SX317_BO1,204,203,200_.jpgL'ÂGE D'OR DU MAURRASSISME,
    de Jacques Paugam
    Préfaces de Michel De Jaeghere et Jean-Jacques Chevallier Éditions Pierre-Guillaume de Roux, 2018,
    402 p. 25 €

     

     

    maurras-et-la-pensee-d-action-francaise.jpgMAURRAS
    ET LA PENSÉE D'ACTION FRANÇAISE,
    de Maurice Torrelli
    Avant-propos de François Marcilhac
    Éditions de Flore, 2018,
    104 p. 10€

     

    91xOpqcU2bL._AC_UL320_SR206,320_.jpgREGARDS SUR MAURRAS
    (12 auteurs)
    Ouvrage collectif d'hommage
    pour un cent-cinquantenaire
    Éditions Apopsix, 2018,
    284 p.  20 €

     

    Christian Tarente

  • Lectures d'été & Projet de visite • Voyez ce reportage nîmois de Péroncel-Hugoz entre culture et actualité !

    3679871411.3.jpgCe reportage illustré est en cinq parties.

    Il suffit de suivre les liens ci-dessous.

    Nîmes - La romanité aux prises avec « la diversité » [1] 

    Des Africains jeunes et moins jeunes

    Nîmes - La romanité aux prises avec « la diversité » [2]

    Auguste et Antonin

    Nîmes - La romanité aux prises avec « la diversité » [3]

    De Napoléon III à Vichy 

    Nîmes - La romanité aux prises avec « la diversité » [4]

    Un duo à la mode bobo 

    Nîmes - La romanité aux prises avec « la diversité » [5]

    Des Africains jeunes et moins jeunes 

    soleil.jpg

    Bonne lecture ...

    Le Musée de la Romanité à Nîmes est ouvert tous les jours de 10 h à 19 h en juin, de 10 h à 20 h en juillet-août. Ensuite, tapez ou cliquez museedelaromanite.fr    

  • Cinéma • Mamma mia ! Here we go again

     

    Par Guilhem de Tarlé  

    Mamma mia ! Here we go again :  un film américain de Ol Parker, avec Meryl Streep

     

    GT Champagne !.JPG

    Autant j’aime la bonne chanson française, autant je ne suis pas fan des étrangères que je suis incapable de fredonner moi-même…

    Seules peuvent ressortir du lot certaines mélodies, certains rythmes et, maintenant, une certaine nostalgie.

    Le groupe Abba avait, en son temps, produit quelques musiques que j’avais pu entendre avec plaisir…

    Je n’ai jamais vu la comédie musicale éponyme, et j’ai regardé le premier Mamma mia en DVD seulement lundi dernier. Parmi les dizaines de titres repris par ces deux long-métrages je n’en ai reconnu que quelques-uns… C’est dire si je suis peu amateur.

    Un beau spectacle, dans un beau paysage, avec de belles chorégraphies, que mon épouse, bien meilleure connaisseuse que moi, a beaucoup aimé.

    Heureusement les filles étaient jolies.  ■ 

    PS : vous pouvez retrouver ce « commentaire » et plusieurs dizaines d’autres sur mon blog Je ciné mate.

  • Les leçons de Pierre Debray ... Retrouvez « Une politique pour l'an 2000 », 28 jours de lecture sur Lafautearousseau

    Pierre Debray aux Baux de Provence, en 1973

     

    2293089609.14.jpgVint-huit jours - du 8 février au 21 mars - nous ont occupés à publier - et pour nombre de nos lecteurs, à lire Une politique pour l'an 2000 de Pierre Debray, cette analyse de situation et cette réflexion prospective de haut niveau parue en 1985. 

    Lire la suite

  • Soljenitsyne, le Vendéen ... Retrouvez le superbe récit de Dominique Souchet

     

    2293089609.14.jpgNous avons publié du 15 au 19 juillet le superbe et passionnant récit des relations entre Alexandre Soljenitsyne et la Vendée donné par Dominique Souchet dans le dernier numéro de la Nouvelle Revue Universelle.  Comment commémorer plus dignement qu'il n'a été fait à ce jour le centenaire du grand Soljenitsyne ? Et comment évoquer en même temps l'écrasement de la Vendée par la fureur révolutionnaire autrement que par les indignations faciles et les formules toutes faites habituelles ? On a là un récit précis mais aussi une réflexion à l'altitude qui convient pour évoquer en les reliant, Alexandre Soljenitsyne, la révolution russe et le massacre de la Vendée. L'horreur révolutionnaire en soi-même d'un siècle l'autre.

    Il nous a paru bon que les lecteurs de Lafautearousseau puissent, s'il le souhaitent lire ou relire ce récit intégral. Il suffit de suivre les liens ci-dessous.   LFAR 

    680816130.jpgLiens ...

    Soljenitsyne, le Vendéen [1]

    Soljenitsyne, le Vendéen [2]

    Soljenitsyne, le Vendéen [3]

    Soljenitsyne, le Vendéen [4]

    Soljenitsyne, le Vendéen [5]

     

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    La nouvelle revue universelle, 1 rue de Courcelles, 75008 PARIS - 4 numéros par an.  S'abonner

  • Pierre-André Taguieff : le mot « race » ne tue pas

     

    « Ce qui est sûr, c’est que le mot « race » ne tue pas, qu’il n’incite pas non plus à la haine, sauf dans certains contextes, tout comme bien d’autres mots, tels « Dieu », « nation », etc., que nul ne songe à interdire. ».

     

    Pierre-André Taguieff

    Philosophe, historien des idées

    et auteur de nombreux livres sur le racisme

    L'Express 29.06.2018

  • Patrimoine • La salle dédiée aux ordres royaux rouvre ses portes au musée de la Légion d’honneur

     

    Après sept semaines de travaux et de fermeture au public, la salle des ordres royaux du musée de la Légion d’honneur a retrouvé son éclat et propose un nouveau parcours.

    Depuis le mercredi 11 juillet, les visiteurs peuvent découvrir le lieu et admirer ses richesses.

    Un bleu royal

    Dans un premier temps, les murs de la salle ont entièrement été repeints dans un bleu profond pour évoquer la couleur des rois de France. Un ton tranché qui fait écho au rouge vif de la salle de la Légion d’honneur située juste en face.

    Une nouvelle disposition

    L’installation des œuvres a été pensée pour simplifier la visite puisque la salle se divise désormais en espaces mieux définis : l’entrée est ainsi dédiée à l’ordre de Saint-Michel, la partie gauche à celui du Saint-Esprit et on retrouve enfin à droite les ordres réunis de Saint-Lazare de Jérusalem, de Notre-Dame du Mont-Carmel, de Saint-Louis, l’institution du Mérite militaire et le Médaillon de Vétérance.

    De nouvelles œuvres

    musee-de-la-legion-1.jpgJusqu’ici non exposées, certaines œuvres ont été sorties des réserves du musée pour pouvoir être admirées par tous.C’est le cas notamment d’un pastel représentant le comte de Provence, futur Louis XVIII. Plusieurs objets déjà présents dans l’ancienne salle, comme les colliers de l’ordre du Saint-Esprit ont quant à eux été nettoyés pour faire ressortir leurs couleurs et détails.

    Des insignes mis en avant

    Enfin, le musée a choisi de donner vie aux insignes des ordres du Saint-Esprit et de Saint-Louis en les accrochant dans des vitrines au milieu de la salle. Contrairement à la précédente installation, les visiteurs peuvent désormais découvrir leurs détails à l’avers et au revers.  

     

    Musée national de la Légion d'honneur et des ordres de chevalerie

    2 Rue de la Légion d'Honneur, 75007 Paris

    Source :  Grande Chancellerie de la Légion d’Honneur

  • Famille de France • Lancement du livre « Dreux, Cité Royale », préfacé par le prince Jean de France

     

    37020610_1702375689878259_8932588989840359424_n.jpgLe mercredi 11 juillet, le prince Jean de France, à accueilli au Domaine royal de Dreux le lancement du livre « Dreux, Cité Royale » , lors d’une cérémonie officielle sur la terrasse du logis de l’ancien château des comtes de Dreux. 

    Cet ouvrage écrit par Alexis Robin, illustré par Patrick Forget, préfacé par le prince Jean de France, duc de Vendôme, et commenté par Christophe Le Dorven, adjoint au Maire de Dreux, en charge de la culture, du patrimoine et du tourisme, est une invitation à la promenade dans la Cité des Durocasses, mais aussi une illustration concrète en quelques dates et monuments, de l’histoire de France, de l’an Mille à aujourd’hui !   

    Source La Couronne

  • Cinéma • Trois visages

     

    Par Guilhem de Tarlé  

    Trois visages, un drame de Jafar Panahi, avec Jafar Panahi, Behnaz Jafari et Marziyeh Rezaei, interprétant leur propre personnage.

     

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    Trois visages... Bonjour les dégâts !

    En tout cas je n'en... visage pas d'aller voir un troisième visage de l'Iran selon Panahi. Déjà dans son Taxi Téhéran il nous avait baladé dans les rues de la capitale, et j'aurais pu ne pas le voir...

    Ces trois visages-là nous conduisent sur les routes « rompe-cul » (maman prononçait « rompe-kiou ») de l'Iran profond... Tellement profond qu'on pourrait s'endormir à lire le sous-titrage de ce film en VOSTF !

    Encore une fois, pourquoi cet acharnement à nous distribuer en VO une production dont l'essentiel est dans le dialogue ?

    Pourquoi nous obliger à  lire les répliques - rapidement pour tenter, vainement, de ne rien en perdre - plutôt que de regarder les photos et, en l'occurrence, s'imprégner d'un paysage qui aurait pu être l'autre intérêt  de ce long-métrage ?

    Quand je veux lire, je prends un livre ; si je vais au cinéma c'est pour voir !

    De ces deux « opus » je retiens surtout Panahi au volant de sa voiture, sans doute meilleur chauffeur que réalisateur.   •  

    PS : vous pouvez retrouver ce « commentaire » et plusieurs dizaines d’autres sur mon blog Je ciné mate.

  • Soljenitsyne, le Vendéen [5]

    25 septembre 1993, Les Lucs-sur-Boulogne

     

    par Dominique Souchet

    2293089609.14.jpgComment commémorer plus dignement qu'il n'a été fait à ce jour le centenaire du grand Soljenitsyne ? Et comment évoquer en même temps  l'écrasement de la Vendée par la fureur révolutionnaire autrement que par les indignations faciles et les formules toutes faites cent fois répétées ? Le superbe récit des relations entre Alexandre Soljenitsyne et la Vendée de Dominique Souchet que le dernier numéro de la Nouvelle Revue Universelle vient de publier répond à ce souci de façon passionnante. On a là un récit précis mais aussi une réflexion à l'altitude qui convient pour évoquer en les reliant Alexandre Soljenitsyne, la révolution russe et le massacre de la Vendée. L'horreur révolutionnaire en soi-même d'un siècle l'autre. Du XVIIIe au XXe. Nous avons entrepris dimanche dernier la publication de ce récit qui s'étendra aux jours suivants. En remerciant Dominique Souchet et la N.R.U. de nous l'avoir donné.  LFAR 

     

    Le récit

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    « NOUS N'AVONS TROUVÉ PERSONNE... »

    Moscou, monastère Donskoï, 6 août 2008. Il est 9 heures. Alexandre Soljenitsyne est mort il y a trois jours. Il a choisi d'être inhumé dans ce haut-lieu de l'histoire russe où les restes du général des armées blanches Anton Denikine et du philosophe Ivan Iline, expulsé d'Union Soviétique comme le fut Soljenitsyne, ont été trans­férés en 2005. Ce site porte les stigmates de l'impitoyable lutte antireligieuse menée par le régime bolchevik. Le dernier patriarche de la Russie impériale, Tikhon, y fut détenu jusqu'à sa mort. La splendide cathédrale a été érigée par le fils d'Ivan le Terrible pour remercier de ses protections la Vierge du Don, et pour honorer sa vé­nérable icône, de la main même de Théophane le Grec (XIVe siècle). Elle fut, un temps, subvertie en musée à la gloire de l'athéisme. Dans les années Brejnev, je l'ai visitée, dénaturée en musée d'architecture.

    800px-Donskoi_25-07-2017.jpgElle a, depuis, retrouvé sa vocation et sa beauté. C'est elle qui accueille, en cette journée orageuse au cœur de l'été, la dépouille de l'auteur de L'archipel du Goulag. Dimitri Medvedev, alors président de la Fédération de Russie, a interrompu ses congés d'été pour être présent aux obsèques.

    La famille, avec laquelle nous avions gardé des liens étroits depuis le voyage en Vendée, nous a invités, Philippe de Villiers et moi, à nous y rendre. Naturellement, nous prévenons notre ambas­sadeur à Moscou que nous serons auprès de lui pour cette cérémonie. Nous apprenons qu'il est en vacances et ne prévoit pas de rentrer. Nous interrogeons le jeune et sympathique chargé d'affaires, qui fera tout ce qu'il pourra. Mais quand nous lui demandons quelles person­nalités représenteront le gouvernement et les milieux culturels français, il répond : « Nous n'avons trouvé personne. — Comment cela... personne ? — Non, personne : il y a ceux qui ne veulent pas interrompre leurs vacances, et ceux qui font leurs bagages pour Pékin. — Pékin ? — Oui, pour parader au cœur de la Chine communiste, grande ordonnatrice des Jeux olympiques : il faut y être pour la grandiose cérémonie d'ouverture... C'est donc vous, les députés de la Vendée, qui représenterez la France, et je vous accompagnerai. »

    Dans ses Mémoires, Le moment est venu de dire ce que j'ai vu, Philippe de Villiers a décrit avec précision cette séquence histo­rique. Il y voit une illustration topique de la futilité d'une élite occidentale amnésique, se voulant sans dette ni devoir, obsédée de loisirs et toujours prête à la connivence avec le pire.

    Pour venir exprimer la reconnaissance infinie due à celui qui a délivré non seulement la Russie, mais le monde entier du vénéneux « charme d'Octobre », nous n'avons trouvé personne.

    Au pays qui sut accueillir les dissidents, et eut l'honneur de publier L'archipel du Goulag dans son édition originale russe, nous n'avons trouvé personne.

    Dans les autres pays d'Europe non plus, ni aux États-Unis, qui eurent pourtant l'honneur d'accueillir chez eux pendant vingt ans, à Cavendish, le laboratoire de la vérité sur le totalitarisme, nous n'avons trouvé personne.

    S'appliquait ainsi à son propre destin ce que Soljenitsyne, dans son discours de Harvard, avait dénoncé comme l'un des traits dominants de l'Occident actuel : la superficialité, la frivolité, la futilité.

    À l'Académie des sciences, lors du repas de funérailles qui suivit l'enterrement, la veuve de Soljenitsyne demanda à Philippe de Villiers d'évoquer, au nom de la France et de la Vendée, la mémoire du Maître. Après tous les éloges prononcés en russe, on entendit alors le Vendéen exprimer en français, aussitôt traduit par Nikita Struve, la dette immense de notre pays envers celui qui avait, sans crainte, osé mettre à nu la genèse des totalitarismes. Il dit son espoir que l'on ferait lire Soljenitsyne aux jeunes élèves français, en parti­culier le discours d'Harvard. Il exprima le souhait que l'on donnât le nom d'Alexandre Soljenitsyne à de nombreuses rues, places ou écoles, comme la Vendée venait de le faire pour le plus moderne de ses collèges, inauguré par son fils Ignat Soljenitsyne. Il manifesta enfin la profonde gratitude de la Vendée envers celui qui avait révélé le lien entre la « Roue rouge », persécutrice de la Russie, et les colonnes infernales qui ont martyrisé la Vendée, et envers l'homme qui avait lancé, en ouvrant son discours des Lucs : « Jamais je n'aurais pu imaginer, fût-ce en rêve, que j'aurais l'honneur d'inaugurer le Mémorial de votre héroïque Vendée ! »

    Les_Lucs-sur-Boulogne,_HIstorial_de_la_Vendée.jpgAlors, ce Mémorial des Lucs-sur-Boulogne, allez le voir, pour y méditer, pour y chercher l'inspiration !

    Allez-y pour retrouver la présence, toujours palpable, de celui qui lui a conféré sa dimension universelle !

    Allez-y pour retrouver la présence spirituelle de cet ami in­comparable de la Vendée, Alexandre Soljenitsyne ! ■ [FIN] 

    Lire les articles précédents ... 

    Soljenitsyne, le Vendéen [1]

    Soljenitsyne, le Vendéen [2]

    Soljenitsyne, le Vendéen [3]

    Soljenitsyne, le Vendéen [4]

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    La nouvelle revue universelle, 1 rue de Courcelles, 75008 PARIS - 4 numéros par an.  S'abonner

  • Soljenitsyne, le Vendéen [4]

    25 septembre 1993, Les Lucs-sur-Boulogne

     

    par Dominique Souchet

    2293089609.14.jpgComment commémorer plus dignement qu'il n'a été fait à ce jour le centenaire du grand Soljenitsyne ? Et comment évoquer en même temps  l'écrasement de la Vendée par la fureur révolutionnaire autrement que par les indignations faciles et les formules toutes faites cent fois répétées ? Le superbe récit des relations entre Alexandre Soljenitsyne et la Vendée de Dominique Souchet que le dernier numéro de la Nouvelle Revue Universelle vient de publier répond à ce souci de façon passionnante. On a là un récit précis mais aussi une réflexion à l'altitude qui convient pour évoquer en les reliant Alexandre Soljenitsyne, la révolution russe et le massacre de la Vendée. L'horreur révolutionnaire en soi-même d'un siècle l'autre. Du XVIIIe au XXe. Nous avons entrepris dimanche dernier la publication de ce récit qui s'étendra aux jours suivants. En remerciant Dominique Souchet et la N.R.U. de nous l'avoir donné.  LFAR 

     

    Le récit

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    GÉNÉALOGIE DE LA TERREUR

    Aux yeux de Soljenitsyne, la Vendée, comme laboratoire de la première Terreur idéologique, a incontestablement un caractère matriciel. Pour lui, les deux Terreurs s'emboîtent. 

    Lénine sera hanté par la nécessité d'éviter à tout prix Thermidor — d'où la suppression de toute assemblée, au profit d'un organe au fonctionnement secret, le parti. Et par la nécessité de susciter sans cesse de nouvelles Vendées, pour alimenter en continu le processus révolutionnaire et entretenir l'indispensable surenchère. Dès 1905, il a reconnu dans « les Vendéens » les adversaires les plus redouta­bles de l'idée révolutionnaire. Soljenitsyne le souligne aux Lucs : Thermidor fut la chance de la France, en empêchant le régime terroriste de déployer ses conséquences dans le temps long, en privant le moment Robespierre de la possibilité de se pérenniser en système durable. (Robespierre et Lénine, photo ci-dessous)

    lenine-que_faire-7862b.jpgPourtant, s'exclame Soljenitsyne, « l'expérience de da Révolution française aurait dû suffire. » Mais non, l'horreur de la Terreur jacobine n'a pas suffi à dissuader les repreneurs : « Nos organisateurs rationa­listes du "bonheur du peuple" », comme il les définit, vont en déployer les déclinaisons « à une échelle incomparable. »

    À partir de cette même expérience vécue par les Vendéens et par les Russes, Soljenitsyne en vient à définir le processus révolu­tionnaire lui-même, qu'il caractérise comme intrinsèquement des­tructeur : « Jamais, à aucun pays, lance-t-il aux Lucs, je ne pourrais souhaiter de "grande révolution". Il veut dire qu'il n'y a pas de « grande » révolution.

    Au terme du XXe siècle — « de part en part un siècle de terreur » on peut faire le bilan, et il est temps de le faire. Il est temps, dit-il, d'arracher à la Révolution « l'auréole romantique » dont l'avaient parée les Lumières et les artisans autoproclamés du « bonheur du peuple » au XVIIIe siècle. Il est temps de traiter lucidement de la question des origines des régimes terroristes : la Terreur du XXe siècle est l'accom­plissement, « l'effroyable couronnement, dit Soljenitsyne — ce sont les der­niers mots de son discours —, de ce Progrès auquel on avait tant rêvé au XVIIIe siècle » et qui a débouché sur les charniers de l'avenir radieux et la liquidation de ceux qui ont refusé de devenir des « hommes nouveaux ».

    C'est une véritable description clinique de la désarticulation des sociétés par le processus révolutionnaire, que Soljenitsyne effectue aux Lucs : « Les hommes ont fini par se convaincre, à partir de leurs propres malheurs, que les révolutions détruisent le caractère organique de la société et qu'elles ruinent le cours naturel de la vie... Toute révolution déchaîne chez les hommes les instincts de la plus élémentaire barbarie, les forces opaques de l'envie, de la rapacité et de la haine... »

    Mais les malheurs générateurs de lucidité s'oublient. L'aspiration utopique demeure comme une tentation sans cesse renaissante. La Révolution, sous quelque avatar que ce soit, est toujours prête à prendre la place du souci du bien commun. Alors quels garde-fous Soljenitsyne propose-t-il ? Il préconise, aux Lucs, un double contre­poison.

    D'une part, il ne faut pas cesser, il ne faut jamais cesser de regarder la réalité de la Révolution, là où elle a sévi, comment elle a effective­ment fonctionné, comment elle a broyé les hommes et les sociétés. C'est ce que fait aujourd'hui la Vendée, constate-t-il. Il vient le ratifier en espérant que la Russie sera capable demain d'en faire autant.

    D'autre part, il faut mettre en œuvre ce qu'il appelle « un déve­loppement évolutif normal » de la société. Au processus infernal de la « Roue rouge », il oppose une ligne empreinte de sagesse. Une ligne qu'il proposera à la Douma un an plus tard, pour permettre à la Russie de sortir de « 70 ans d'extermination spirituelle » : « Il faut savoir, dit-il aux Lucs avec beaucoup d'humilité et de modestie, améliorer avec patience ce que nous offre chaque "aujourd'hui". »

    Soljenitsyne est stupéfait par cette « révérence » persistante à l'égard de la Révolution qu'il observe avec consternation au sein de l'élite française. Elle crée chez lui un véritable malaise. Pourquoi, demande-t-il, règne-t-elle toujours en maître dans l'intelligentsia et les médias, alors que les travaux des historiens ont mis à nu les mécanismes de l'extermination ? Pourquoi, s'étonne-t-il, l'écrivez-vous toujours, cette Révolution, avec une majuscule, ainsi d'ailleurs que la Terreur ? Il aurait certainement approuvé les propos tenus à l'Ices lors de la Nuit de l'Histoire par Stéphane Courtois, montrant à quel point la France demeurait le conservatoire, non seulement du communisme, mais de l'idée révolutionnaire.

    145949321-612x612.jpgLors de son passage à Paris, Soljenitsyne, invité à l'émission Apostrophes, a été profondément choqué que Bernard Pivot tente de le dissuader de se rendre en Vendée. Outré que l'on ne comprenne pas l'importance qu'il attache au geste qu'il vient y accomplir, il répond avec vigueur devant les caméras : « Je n'ai pas eu le moindre doute, la moindre hésitation quand j'ai reçu l'invitation à me rendre en Vendée. Au contraire, j'ai estimé que c'était un honneur pour moi. » Fermez le ban.

    Pour lui, le sens de sa venue est clair et non dissimulé. Il se rend dans un lieu-origine, un lieu-source. Il vient saluer une terre de résis­tance. Il vient rendre hommage, sur les lieux mêmes où il a surgi, à ce « premier sursaut de liberté », qui fit que la Terreur, la première terreur idéologique, ne put l'emporter impunément, longuement, définitivement. Et il écrira plus tard : « Je mesure à présent combien mon projet de voyage en Vendée était exaspérant pour les cercles français de gauche, si aveugle est leur admiration, encore aujourd’hui, pour leur cruelle révolution. » Un cercle, en réalité, plus large encore qu'il ne le pensait...   ■  

    A suivre, demain jeudi.

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    Soljenitsyne, le Vendéen [1]

    Soljenitsyne, le Vendéen [2]

    Soljenitsyne, le Vendéen [3]

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  • Soljenitsyne, le Vendéen [3]

    Cosaques du Don, 1920 

    par Dominique Souchet

    2293089609.14.jpgComment commémorer plus dignement qu'il n'a été fait à ce jour le centenaire du grand Soljenitsyne ? Et comment évoquer en même temps  l'écrasement de la Vendée par la fureur révolutionnaire autrement que par les indignations faciles et les formules toutes faites cent fois répétées ? Le superbe récit des relations entre Alexandre Soljenitsyne et la Vendée de Dominique Souchet que le dernier numéro de la Nouvelle Revue Universelle vient de publier répond à ce souci de façon passionnante. On a là un récit précis mais aussi une réflexion à l'altitude qui convient pour évoquer en les reliant Alexandre Soljenitsyne, la révolution russe et le massacre de la Vendée. L'horreur révolutionnaire en soi-même d'un siècle l'autre. Du XVIIIe au XXe. Nous avons entrepris dimanche dernier la publication de ce récit qui s'étendra aux jours suivants. En remerciant Dominique Souchet et la N.R.U. de nous l'avoir donné.  LFAR 

     

    Le récit

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    LA VENDÉE... FAMILIÈRE DEPUIS L'ENFANCE

    En réalité, l'intérêt de Soljenitsyne pour la Vendée et son histoire est ancien. Très ancien même, puisqu'il remonte à son enfance.

    C'est sa mère qui, à Rostov-sur-le-Don, lui a donné le goût de la lecture dès l'âge de huit ans, comme il le révélera dans son discours des Lucs, « les récits évoquant le soulèvement de la Vendée, si courageux et désespéré » suscitant, dès cet âge, son « admiration ».

    Soljenitsyne est frappé très tôt par la ressemblance entre les soulèvements paysans vendéen et russe contre le « régénération » que l'idéologie révolutionnaire veut imposer. Dans une lettre de 1992, par exemple, il écrit : « Pour moi, la Vendée est un symbole important : c'est l'ana­logue exact de nos deux grandes révoltes paysannes contre les bolcheviks. »

    L'analogie s'étend au déni qui affecte les deux événements. À l'occultation du soulèvement vendéen en France correspond celle qui frappe les soulèvements de populations rurales entières dans la Russie des années 1920. En Russie aussi, il y eut une résistance populaire. Une résistance paysanne qui fut, elle aussi, ardente et finalement vaincue. Et Soljenitsyne enrage qu'elle soit pareillement méconnue et occultée en Occident.

    Il confie son exaspération au magazine Le Point qui l'a consacré « homme de l'année » en 1975 : « Vous ignorez et tout le monde ignore, ce qu'a été la résistance des peuples russe et ukrainien. J'écrirai cela. Parce que l'Occident n'a jamais su et ne sait toujours pas : des horizons entiers de paysans armés de fourches, avançant par milliers contre des mitrailleuses. Des entassements de morts, partout. En fait, nous avons été décimés. Le mystère n'est pas dans notre affaissement. Il est dans notre résistance. »

    sans-titre.pngC'est après son passage en Vendée, une fois rentré en Russie et après être allé sur place interroger les descendants des survivants, qu'il réalisera son projet. Il consacre un livre entier, Ego, publié en 1995 — ce sera sa première publication en Russie après son retour —, à l'insurrection paysanne de la région de Tambov en 1920-21, dont le Charette s'appelle Alexandre Antonov. (Photo ci-contre). Un récit particulièrement intense. À trois reprises y surgit l'interrogation : est-ce une nouvelle Vendée ? Et Soljenitsyne conclut : oui, c'est incontestablement une Vendée russe », la plus emblématique peut-être. À une exception près : l'attitude du clergé orthodoxe, dont il déplore la passivité générale, contrastant avec le courage général du clergé catholique qu'il relève en Vendée.

    Alexandre Soljenitsyne s'est explicitement et longuement référé dans son discours des Lucs au soulèvement de Tambov : « Nous pouvons en être fiers en notre âme et conscience, nous avons eu notre Vendée, et même plus d'une. Ce sont les grands soulèvements paysans, celui de Tambov, en 1920-21, de la Sibérie occidentale en 1921. » Il anticipe alors sur le récit qu'il fera dans Ego : « Un épisode bien connu : des foules de paysans en chaussures de tille (écorce de tilleul), armés de bâtons et de fourches, ont marché sur Tambov, au son des cloches des églises avoisinantes, pour être fauchées par les mitrailleuses.

    NicolasII-Cosaques.jpgLe soulèvement de Tambov s'est prolongé pendant onze mois, bien que les communistes, pour le réprimer, aient employé des chars d'assaut, des trains blindés, des avions, bien qu'ils aient pris en otages les familles des révoltés et qu'ils fussent à deux doigts d'employer des gaz toxiques. Nous avons connu aussi une résistance farouche chez les Cosaques du Don... (Photo ci-contre) étouffée dans des torrents de sang, un véritable génocide. » Nous retrouvons ici le parallèle entre le Don et la Vendée, magnifié par Marina Tsvetaieva.

    On voit bien que pour Soljenitsyne, ces soulèvements paysans et cosaques ne sont nullement anecdotiques et que pour lui, ils constituent au contraire une grande page de l'histoire russe et de l'histoire tout court. Il en va de même, à ses yeux, pour la Vendée. Sa venue, il la conçoit comme devant être pour le plus grand nombre possible de Français, un révélateur : « Aujourd'hui, je le pense — c'est ainsi qu'il conclue son grand discours des Lucs — les Français seront de plus en plus nombreux à mieux comprendre, à mieux estimer, à garder avec fierté dans leur mémoire, la résistance et le sacrifice de la Vendée. »

    33159085_510815492699099_5825379128429248512_n.jpgLa question du parallèle entre les deux Révolutions et les deux résistances qu'incarnent la Vendée française et les Vendées russes ne cesse de l'habiter. Il avait même rédigé, en 1984, une étude intitulée Les deux Révolutions dans laquelle il souligne les « ressemblances déter­minantes » entre les deux Terreurs, leur « ampleur et leur caractère inhumain » et entre les méthodes d'abomination utilisées pour réduire les deux résistances paysannes, la vendéenne et la russe. (Photo ci-contre : les noyades de Nantes). ) Un point qu'il reprendra et développera aux Lucs : « De nombreux procédés cruels de la Révolution française ont été docilement réappliqués sur le corps de la Russie par les communistes léniniens et par les socialistes internationalistes ; seuls leur degré d'organisation et leur caractère systé­matique ont largement dépassé ceux des Jacobins. » ■  

    A suivre, demain mercredi.

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    Soljenitsyne, le Vendéen [1]

    Soljenitsyne, le Vendéen [2]

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  • Soljenitsyne, le Vendéen [2]

    La Chabotterie, le logis rustique témoin de la capture du chef emblématique du soulèvement vendéen, Charette 

    par Dominique Souchet

    2293089609.14.jpgComment commémorer plus dignement qu'il n'a été fait à ce jour le centenaire du grand Soljenitsyne ? Et comment évoquer en même temps  l'écrasement de la Vendée par la fureur révolutionnaire autrement que par les indignations faciles et les formules toutes faites cent fois répétées ? Le superbe récit des relations entre Alexandre Soljenitsyne et la Vendée de Dominique Souchet que le dernier numéro de la Nouvelle Revue Universelle vient de publier répond à ce souci de façon passionnante. On a là un récit précis mais aussi une réflexion à l'altitude qui convient pour évoquer en les reliant Alexandre Soljenitsyne, la révolution russe et le massacre de la Vendée. L'horreur révolutionnaire en soi-même d'un siècle l'autre. Du XVIIIe au XXe. Nous avons entrepris hier dimanche la publication de ce récit qui s'étendra aux jours suivants. En remerciant Dominique Souchet et la N.R.U. de nous l'avoir donné.  LFAR 

     

    Le récit

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    UN ITINÉRAIRE VENDÉEN EN QUATRE ÉTAPES

    Des liens profonds unissent la Vendée et la Russie. Elles ont partagé une épreuve et un élan de même nature : une épreuve et un élan existentiels.

    C'est la force de ces liens qu'ont voulu mettre en évidence les quatre étapes de l'itinéraire suivi par Alexandre Soljenitsyne en Vendée : le Puy du Fou ; le logis de la Chabotterie ; Les Lucs-sur-Boulogne ; et la côte océanique à Saint-Gilles-Croix-de-Vie.

    Au Puy du Fou, le spectacle de nuit, la Cinéscénie, sera exception­nellement représenté pour lui, hors saison, par les bénévoles. Le produit de la soirée sera remis à Natalia Soljenitsyne, pour la Fondation d'aide aux victimes du Goulag et à leurs familles qu'elle préside. Le lendemain, le couple Soljenitsyne s'attardera longuement et passion­nément auprès de tous les artisans du Grand Parc, exprimant un amour profond pour la ruralité dans lequel Vendéens et Russes reconnaissent un de leurs traits majeurs communs. Au « village XVIIIe », il empoigne le marteau du forgeron pour forger lui-même un clou. Dans ses Mémoires publiés sous le titre Esquisses d'exil, Soljenitsyne revient longuement sur son passage au Puy du Fou, qui l'a littéralement fasciné : « De Villiers nous offrit d'assister à un extraor­dinaire spectacle populaire traditionnel (mais bénéficiant de la technique la plus avancée), avec ses effets de foule, représentant en plein air, dans une immense arène, de nuit mais avec quantité d'effets de lumière, l'histoire du soulèvement vendéen. Adia [Natalia, son épouse] et moi nous n'avions jamais rien vu de semblable et n'aurions même pu l'imaginer... Ce fut une impression poignante, qui ne s'effacera jamais. Quelqu'un pourra-t-il jamais, en Russie, reconstituer des scènes équivalentes de la résistance populaire au bolchevisme, depuis les junkers et les petits étudiants de l'armée des Volon­taires jusqu'aux moujiks barbus fous de désespoir, leurs fourches à la main ? » Le projet de création d'un « Puy du Fou » en Russie, c'est donc Soljenitsyne qui en fut l'initiateur véritable, avant Vladimir Poutine...

    35199086_521290081651640_5873474442792796160_n.jpgÀ La Chabotterie, le logis rustique le séduira par son charme propre sans doute, mais surtout parce qu'il est le témoin de la capture du chef emblématique du soulèvement vendéen, Charette. Un nom qui sonne familièrement aux oreilles de Soljenitsyne, un nom que l'illustre maréchal Alexandre Souvorov a rendu familier aux oreilles russes : dans une lettre qu'il lui adressa six mois avant sa capture dans les bois de La Chabotterie, il qualifiait Charette de « héros de la Vendée et illustre défenseur de la foi et du trône, éminent représentant des immortels Vendéens, fidèles conservateurs de l'honneur des Français. »

    Quant aux Lucs-sur-Boulogne, ils sont évidemment le cœur de l'itinéraire vendéen de Soljenitsyne, le lieu du grand discours qu'il va prononcer en guise d'adieu à l'Europe, après avoir inauguré, en compagnie de Philippe de Villiers, avec une émotion qu'il peine à contenir, le nouveau Mémorial érigé sur la rive sud de la Boulogne.

    Un discours qu'il porte et qu'il a préparé depuis longtemps. Un discours, inutile de le préciser, exclusivement de sa main. Un discours qu'il a soigneusement répété, dès son arrivée à Paris, sur le balcon de son hôtel, avec son ami et interprète Nikita Struve. Il y attache une telle importance qu'il revêt, ce soir-là, le costume qu'il portait le jour de la remise du prix Nobel, en 1974, à Stockholm.

    680816130.jpgLorsqu'il parvient au pied de la tribune, la clameur qui l'accueille est inouïe : elle paraît ne jamais devoir finir. C'était comme si cette foule immense ne parvenait pas à croire à la réalité de ce qu'elle voyait et était soudain prise de vertige devant la force symbolique de l'événement auquel elle participait : Alexandre Soljenitsyne, l'homme des brèches, était en train, par sa seule présence ici, au cœur de la Vendée suppliciée, d'abattre le mur de déni obstiné qui sub­sistait depuis deux cents ans. Même si la quête de reconnaissance devrait se poursuivre après son passage, quelque chose de décisif, cependant, était en train de se jouer. Un effet cliquet, sans retour possible. Et la houle des applaudissements se mettait à exprimer une reconnaissance infinie. Alexandre Issaievitch en était comme éberlué. Il murmurait : jamais, jamais, même lors de mon arrivée à Zurich en 1974, je n'ai vu une chose pareille... Les Vendéens l'accueillaient comme une grâce.

    Добровольцы_в_Киеве._Софийская_площадь.pngDernière étape, enfin, à Saint-Gilles-Croix-de-Vie, Soljenitsyne est venu marcher sur les pas de l'une des plus grandes poétesses russes, Marina Tsvetaieva. Elle avait séjourné sur la côte vendéenne en 1926, attirée elle aussi par le souvenir du soulèvement de 1793. Au lendemain de la révolution d'Octobre, alors que son mari servait dans l'Armée blanche, elle avait publié un recueil de poèmes, Le camp des cygnes, qui s'achevait par une admirable poésie réunissant la Vendée et le Don :

    Du monde d'avant, l'ultime vision :

    Jeunesse. Héroïsme. Vendée. Don.

    Sur la dune de la Garenne, où Marina aimait venir contempler l'océan, on inaugura une stèle portant ces deux vers, gravés en russe et en français. Puis on relut et on commenta les poèmes et les lettres exprimant l'amour que Marina portait à « sa » Vendée. Soljenitsyne — qu'elle inspira — dit à quel point il admirait l'étonnante musicalité et l'exceptionnelle densité de la langue de cette poétesse russe.

    De tout ce voyage, Nikita Struve tirera ce profond commentaire « Au pied de la chapelle des Lucs et sur les dunes vendéennes, se retrouvait dans une même vérité la France et la Russie, deux époques, deux pays, mais en profondeur un seul et même destin, authentifié par les souffrances des uns et des autres et porteur d'un message universel de courage et de liberté »

    Le voyage en Vendée d'Alexandre Soljenitsyne n'eut en effet rien d'une excursion touristique. « Ce projet était cher à mon cœur » écrira-t-il dans ses Mémoires. C'est une mission pleine de gravité qu'il vient accomplir. Comme la Vendée était venue se loger dans son œuvre, lui-même va venir faire irruption dans l'histoire France, sans mesurer sans doute alors la force de l'onde de choc que va produire sa venue en Vendée. Le quotidien Le Monde titre même en première page : Vendée et Goulag : Un moment d'égarement

    Mais quel rapport Alexandre Soljenitsyne lui-même entretenait-il avec la Vendée ? Il n'y était jamais venu. Comment se fait-il qu'elle lui fût apparemment si familière ? C'est ce qu'il a fait apparaître manière solaire dans le discours des Lucs, un discours d'une exceptionnelle densité qu'il faut lire, relire et méditer. ■  

    A suivre, demain mardi.

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    Soljenitsyne, le Vendéen [1]

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  • Histoire & Révolution • Soljenitsyne, le Vendéen [1]

     

    par Dominique Souchet

    2293089609.14.jpgComment commémorer plus dignement qu'il n'a été fait à ce jour le centenaire du grand Soljenitsyne ? Et comment évoquer en même temps  l'écrasement de la Vendée par la fureur révolutionnaire autrement que par les indignations faciles et les formules toutes faites cent fois répétées ? Le superbe récit des relations entre Alexandre Soljenitsyne et la Vendée de Dominique Souchet que le dernier numéro de la Nouvelle Revue Universelle vient de publier répond à ce souci de façon passionnante. On a là un récit précis mais aussi une réflexion à l'altitude qui convient pour évoquer en les reliant Alexandre Soljenitsyne, la révolution russe et le massacre de la Vendée. L'horreur révolutionnaire en soi-même d'un siècle l'autre. Du XVIIIe au XXe. Nous entreprenons ce dimanche d'été la publication de ce récit qui s'étendra aux jours suivants. En remerciant Dominique Souchet et la N.R.U. de nous l'avoir donné.  LFAR       

     

    Présentation de la Nouvelle Revue Universelle [Extraits]

    IMG - Copie.jpgLe discours prononcé par Alexandre Soljenitsyne le 25 septembre 1993 en Vendée pour le bicentenaire du soulèvement de 1793, alors qu'il était encore en exil, fut un événement considérable : une des plus grandes autorités spirituelles du XXe siècle finissant dénonçait à la face du monde la source « vendéenne » des totalitarismes de ce siècle de fer et de sang. […]

    Le rôle joué par Alexandre Soljenitsyne dans l'écroulement du Communise fut considérable. La publication en France, en 1973, de L'Archipel du Goulag, dont le manuscrit avait pu être transmis clandestinement, eut un effet déflagrateur dans l'opinion occidentale […]. Dès l'année suivante, déchu de la citoyenneté soviétique, Soljenitsyne était expulsé d'URSS et s'exilait aux États-Unis, dans le Vermont où il dut demeurer vingt ans. Autorisé à retourner en Russie en 1994 [...] il est mort à Moscou en 2008.

    Pour célébrer le centenaire de sa naissance, l’Institut catholique d'études supérieures de Vendée (Ices), à La Roche-sur-Yon […] a consacré une nuit entière, le 1er mars dernier, à ce géant de la littérature [..]. Lors de cette « nuit de l'histoire », née d'une initiative des professeurs Eric et Emeline Picard, Dominique Souchet, organisateur du voyage de Soljenitsyne en Vendée en 1993, a évoqué la relation privilégiée qu'entretenait avec la Vendée le grand dissident. Il a bien voulu confier le texte de son intervention à notre revue.

    Le récit

    4273640-6459671.jpg25 septembre 1993, Les Lucs-sur-Boulogne, il est 21 heures. Cette petite commune de Vendée (2600 habitants) a été choisie comme haut-lieu de la commémoration du bicentenaire du soulèvement de la Vendée et de l'extermination de sa population.

    Aux Lucs fut perpétré, non pas pendant la guerre, mais bien après la défaite militaire des Vendéens, l'un des plus effroyables massacres de population civile qu'aient commis les colonnes infernales. Le martyrologe relève 564 noms, dont 110 enfants de moins de sept ans. Le plus jeune avait 15 jours.

    La nuit est tombée. Il bruine sur la Vendée. 30 000 personnes pourtant se sont massées dans le vallon de la Boulogne, face à une immense tribune, emplie de musiciens et de choristes et implantée à l'endroit même où sera édifié, quelques années plus tard, l'Historial de la Vendée.

    Qui attendent-elles ? Le président de la République, venu saisir cette occasion unique de faire enfin entrer dans l'histoire de France la page de sang et de lumière, de terreur et de résistance, qui s'est écrite ici ? Non, il n'y eut aux Lucs, ce soir-là, ni président, ni premier ministre... "Pas même un ministre !", s'exclamera, horrifié, scandalisé, l'académicien Alain Decaux qui, lui, eut le courage de venir, malgré les pressions, et de parler : « J'ai cru que la République se grandirait dès lors qu'un historien républicain viendrait publiquement affirmer que les droits de l'homme ont été bafoués en Vendée. »

    35545483_527716967675618_5253698717675945984_o.jpgCe n'est pourtant pas Alain Decaux que cette foule attend. C'est une présence apparemment hautement improbable en ces lieux et en ces circonstances. C'est un personnage hors norme, qui a souffert dans sa chair et dans son âme la réalité de la Terreur, et que la Terreur n'a pas réussi à briser. C'est un Russe dans lequel les Vendéens se reconnaissent, parce qu'il actualise ce qui fut la raison d'être de leur soulèvement, il y a deux siècles. Il est ce qu'ils furent, une « conscience rebelle à la séduction de l'idéologie » : c'est ainsi que Philippe de Villiers, alors président du Conseil général de la Vendée, parle de celui qu'il a invité à présider la commémoration de 1793 et qui a immédiatement accepté l'invitation comme « un honneur ».

    DERNIER REGARD SUR L'EUROPE AVANT LE RETOUR D'EXIL

    Dans quel cadre se place cette étonnante venue en Vendée de l'auteur de L'Archipel du Goulag ?

    À l'automne 1993, avant de rentrer définitivement en Russie après vingt ans de bannissement et d'exil, Soljenitsyne entreprend une tournée d'adieu à l'Europe. Il veut « prendre congé » des pays qui l'ont accueilli ou soutenu. Il conçoit cet adieu, comme toute chose, en stratège. Il a choisi deux hauts-lieux inattendus, où il prononcera les deux seuls discours de sa tournée : Vaduz et Les Lucs-sur-Boulogne. Ils s'inscrivent dans une géopolitique singulière : Soljenitsyne vient y rendre hommage à deux actes de courage. Au Liechtenstein, en Europe centrale : cette petite principauté, contrai­rement aux grandes puissances anglo-saxonnes, a refusé de livrer à Staline les anticommunistes russes qui y avaient trouvé refuge. Et, sur la frange occidentale de l'Europe, en Vendée : ici s'est tenu le soulèvement héroïque d'une population contre la libération totalitaire qu'on voulait lui imposer, ici eut lieu la première terreur idéologique. « C'est au cours du dernier été que je passai dans le Vermont, écrit Soljenitsyne dans Esquisses d'exil, second tome de ses Mémoires, que j'écrivis les deux discours que je devais prononcer à l'Académie inter­nationale de philosophie de Vaduz et en Vendée, et que je me préparai soigneusement à cet ultime voyage. »

    Après une promenade d'adieu dans Zurich, son premier port après son expulsion d'URSS, c'est la France, Paris puis la Vendée. « Me trouver en France, comme toujours, m'a fait chaud au cœur. Dans les rues, quantité de Parisiens me reconnaissaient et me saluaient, s'arrêtaient pour me dire un mot de reconnaissance ; depuis vingt ans, j'étais accoutumé à me sentir en France comme dans une seconde patrie tout à fait inattendue. » Un déjeuner chez Balladur, alors Premier Ministre ; une visite de Chirac, alors maire de Paris ; un passage chez Pivot, alors le roi des émissions littéraires ; un adieu à ses traducteurs et éditeurs et en route pour la Vendée !

    Après la Vendée, ce sera l'Allemagne, et la rencontre avec le président Weizsäcker, qui se déroulera à Bonn. Une audience délicate avec Jean-Paul II, le pape polonais, clôturera cette visite d'adieu à l'Europe.

    Tel fut le contexte de la visite d'Alexandre Soljenitsyne en Vendée. Quel allait y être son itinéraire ? Quatre jours, quatre lieux - là encore, rien n'a été laissé au hasard.   ■  (A suivre, demain lundi)

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  • Livres & Histoire • Le Roi ou l’incarnation du pouvoir

     

    Par Anne Bernet

     

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    Depuis la mort de Louis XVI, la France, en dépit des apparences républicaines, n’aura cessé de rechercher un remplaçant à la figure royale. En vain. Deux études historiques, complémentaires, permettent, en dépit de leurs défauts, de comprendre pourquoi aucun homme prétendu providentiel n’est jamais parvenu à remplacer le Très Chrétien.

    Un pouvoir sacré indépendant

    Que cela plaise ou non, à la différence de la plupart des modèles monarchiques à travers le monde et le temps, la royauté française relève héréditairement du sacré ; le pacte de Reims n’est pas un accord opportuniste conclu en 496 entre l’Église des Gaules et Clovis, puis renouvelé avec les dynasties successives, mais une réalité spirituelle unissant le royaume de la terre à Celui du Ciel. Perdre cela de vue, c’est se condamner, sous prétexte de rationalisme ou de dénonciation d’une « pensée magique » que notre époque éclairée ne saurait admettre, à ne rien comprendre à notre passé et aux façons d’être et de penser de nos ancêtres. Voilà sans doute, aujourd’hui, le pire écueil auquel se heurtent des historiens plus ou moins étrangers à la foi catholique et qui ont tendance à en parler comme ils le feraient des croyances de l’Égypte pharaonique. S’ils refusent d’admettre ce particularisme français, et que la Fille aînée de l’Église puisse avoir une place à part dans les plans d’un Dieu auquel il est de mauvais ton de se référer, toute leur vision de la longue geste royale s’en trouve d’emblée faussée. Voilà sans doute pourquoi, chacun à leur manière, Stanis Perez, qui signe Le corps du Roi (Perrin) et Marie-Claude Canova-Green, auteur de Faire le Roi ; l’autre corps de Louis XIII (Fayard), malgré d’impressionnantes recherches, restent à la surface des choses et passent à côté de l’essentiel.

    Un premier mystère, dans une société strictement matérialiste comme la nôtre, est d’admettre que le Roi « sacré », ce qui veut tout dire, entre dans une autre dimension et que, tout en restant un homme à part entière, car il ne s’agit pas, à l’instar du Pharaon, voire même du Principat romain dans certaines de ses manifestations, de diviniser le souverain, il devient cependant un lien, un intermédiaire entre ici-bas et En-haut, dimension qui comprend une part hautement sacrificielle, celle-là même que Louis XVI assumera jusqu’à l’échafaud. Faute de le comprendre – tout comme, d’ailleurs, notre époque devient incapable de saisir ce que sont les grâces du baptême ou le sacrement de l’Ordre – l’historien se focalise sur des points de détail ou pose de mauvaises questions. Vouloir réduire les rois de France à une « incarnation du pouvoir », ce que les juristes royaux au demeurant, savaient bien, c’est s’arrêter à mi-chemin de la réalité et perdre de vue ce rôle de « Lieutenant de Dieu » qui était le leur. C’est l’idée même d’un pouvoir chrétien procédant du divin, non de la volonté populaire, ou prétendue telle, qui heurte. Dès lors, les deux universitaires se perdent dans l’étude de ce qui leur semble relever de bizarreries dépassées.

    Le corps du Roi

    Qui dit pouvoir incarné dit fatalement corps. Le Roi est homme, avec ses défauts, ses faiblesses, ses passions, ses maladies, et sa condition mortelle qui, cependant, n’altère pas l’immortalité du système monarchique, ou du royaume, ou de l’État, conception plus compréhensible à nos contemporains.

    Stanis Perez scrute cet homme qui reste ancré dans son humanité, ne revendique nulle essence « divine » ; il le suit, de Philippe Auguste à Louis-Philippe, dans son quotidien le plus prosaïque. Pour lui, mais là encore, ce n’est que partiellement exact car le postulat de base de la sacralité du pouvoir reste la même à travers les siècles, l’image du Roi, ou celle du corps du Roi, se serait construite puis déconstruite au fil des siècles, de sorte que saint Louis n’aurait pas appréhendé son rôle et sa personne comme pouvaient les appréhender Henri III ou Louis XIV. Cette image renvoyée au peuple, cette propagande auraient pareillement fluctuée. Reste que le Roi demeurait le Roi, tant à ses propres yeux qu’à celui de ses peuples et que porter sur cela un regard « moderne », fausse fatalement l’objet de l’étude …

    Ce qui est intéressant, néanmoins, dans ce livre, relève du sociologique et de l’anecdotique. Si le Roi est un homme, et nul ne le nie, il naît, il grandit, il se forme, il mange, il prend soin de son corps, de son apparence, de sa santé, il engendre, et il meurt. Comment ?

    L’autre paradoxe est de parvenir à en imposer à ses sujets ou à ses ennemis tout en assumant son humanité et sa mortalité. Le cas extrême est celui de Charles VI, rongé par sa maladie mentale jusqu’à en perdre sa dignité humaine, mais jamais sa dignité royale, au point que le peuple a aimé son pauvre roi fou bien plus qu’il ne l’eût aimé sain d’esprit, dans la certitude mystique que le souverain expiait dans sa chair les péchés de la France. L’on touche là, une fois encore, à la dimension christique du pouvoir royal que nos contemporains ne savent plus appréhender. Elle est pourtant infiniment plus importante que de savoir si Louis XI jugeait indigne de se baigner en public ou que le contenu de l’assiette royale.

    Dans l’imaginaire, et dans l’idéal, il faudrait que le Roi soit toujours jeune, beau, en pleine santé, doté de toutes les vertus du corps et de l’esprit. Cela peut parfois arriver, cela ne dure jamais. Comment, sauf à imiter ces peuplades qui sacrifiaient le roi vieillissant ou malade, continuer d’en imposer ?

    Le roi est une incarnation

    Louis XIII n’était pas séduisant, il souffrait d’un sérieux défaut d’élocution, son caractère était difficile et angoissé, sa santé mauvaise depuis l’adolescence. Dans ces conditions, alors qu’il n’avait pour lui que son droit d’aînesse, comment a-t-il incarné son rôle ?

    Spécialiste du « spectacle de cour » dans l’Europe moderne, Marie-Claude Canova-Green voit, et, jusqu’à un certain point, elle a raison, Louis XIII, – mais ce serait vrai de tous les rois, – comme un acteur presque continuellement sur scène, obligé de jouer un rôle qu’il n’a pas choisi mais qui lui colle à la peau et dont il n’a pas le droit de se dépouiller.

    L’on en arrive ainsi à une vision quasi schizophrénique du monarque, pris entre son personnage royal qu’il doit assumer, et sa personne privée dans l’impossibilité de s’exprimer puisque la sphère intime lui est presque interdite. Faut-il vraiment supposer la coexistence, peu apaisée, de Louis de Bourbon et de Louis XIII dans un même corps ? Ne vaut-il pas mieux admettre que le Roi était un, même si, au siècle suivant, Louis XV, et Louis XVI plus encore, rechercheront, ce qui s’avérera une faute, les moyens d’échapper à cette épuisante et constante représentation ?

    Reste une analyse étonnante, et dure, de ce que l’historienne considère comme une sorte de dressage ou de conditionnement d’un enfant qui, né mâle et premier de sa fratrie princière, est destiné au trône, quand même ses qualités propres ne l’appelleraient pas spécialement à l’occuper.

    Les études de « genre » étant l’une des grandes préoccupations actuelles, il est beaucoup question ici, trop peut-être, d’« apprentissage de la masculinité », notion qui aurait sans doute laissé pantois nos aïeux du XVIIe siècle. Louis XIII ne s’est sûrement jamais demandé s’il devait assumer sa condition masculine, parce qu’il a toujours su et admis qu’il était un homme, et pas une femme …

    C’est parce qu’il était homme, et prématurément roi après l’assassinat de son père, qu’il s’est donné, sans pitié pour lui-même, les moyens d’assumer son destin. En toute conscience.

    Louis XIII ne s’est jamais pris pour Jupiter, pas plus que son fils ne se prendrait pour Apollon. Seulement pour ce qu’il était : l’homme, avec tous ses défauts et ses péchés, que les lois de dévolution de la couronne, et la volonté de Dieu, avaient fait roi de France et qui devait s’en rendre digne.

    Ne pas admettre cela, c’est renoncer à rien comprendre à la monarchie française.   

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    Le corps du Roi, Stanis Perez, Editions Perrin, 475 p, 25 € 

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    Faire le Roi, L’autre corps de Louis XIII, Marie-Claude Canova-Green, Editions Fayard, 372 p, 23 € 

    Anne Bernet