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Idées, débats... - Page 414

  • Histoire & Patrimoine • Vidéo : Une chapelle pour les guerres de Vendée, un extraordinaire projet de transmission !

     

    soleil.jpgBravo à Boulevard Voltaire pour ce reportage. Et, bien-sûr, à Reynald Secher pour son projet. Sans oublier la jeunesse qui s'y consacre ! Bravo les jeunes !

     

    Boulevard Voltaire est allé en Vendée sur les lieux du chantier du Mémorial des guerres de Vendée pour rencontrer les acteurs de ce projet lancé par Reynald Secher, il y a 25 ans. L’historien revient sur l’histoire du projet et sa mise en œuvre. Les jeunes en pleine action se livrent au micro de Boulevard Voltaire sur leur engagement qui devrait susciter d’autres vocations. À ne surtout pas manquer.   

     

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    www.bvoltaire.fr

  • Idées • Maurras tel qu'en lui-même : Pour en finir avec le temps où les Français ne s'aimaient pas ...

    D'illustres admirateurs et quelques grands amis ...

     

    3717013392.jpgIl y a cent-cinquante ans - un siècle et demi ! - que Maurras est né à Martigues, en Provence [1868] « au bord des eaux de lumière fleuries » [1|

    Il y a plus d'un siècle qu'il a inauguré son royalisme militant en publiant son Enquête sur la monarchie (1900). Et il y a presque 70 ans - une vie d'homme - qu'il est mort à Saint-Symphorien les Tours [1952]. Mais les passions qu'il a si souvent suscitées de son vivant - qu'elles fussent d'admiration ou de détestation, l'une et l'autre souvent extrêmes - ne semblent pas s'être émoussées avec le temps. Prêtes toujours à s'élancer. Comme pour attester une forme paradoxale et performative de présence de sa pensée et de son action.

    On sait que la décision d'exclusion du ministre de la Culture, Mme Nyssen, a fini par susciter une vague d'indignations assez générale qui s'est retournée contre son auteur. Mme Nyssen ne savait pas ou avait oublié que depuis notre Gaule ancestrale ou le lointain Moyen-Âge, énorme et délicat, les Français détestent les interdictions. Et les Hauts Comités les démentis du Pouvoir.

    Mais cette réprobation n'empêche pas à propos de Maurras l'inévitable mention, dogmatiquement prononcée, des « zones d’ombre ». Expression d'une notable imprécision, lourde de mystérieux et inquiétants sous-entendus et le plus souvent inexpliquée ... À propos de Maurras, on réprouve l'interdit - en bref, on veut benoîtement la liberté d'expression - mais on accuse le fond. 

    « Zones d’ombre » est porteur d'opprobre. De quoi s'agit-il ? Qu'a donc fait ce Maurras qu'admiraient Proust, Péguy, Malraux et le général De Gaulle ; qui fut l'ami de Bainville et de Daniel Halévy, de Bernanos et de Joseph Kessel, de Barrès et d'Anatole France, d'Apollinaire et de Thibon, de Gaxotte et de Boutang ? Qui fut académicien français. Que consultait Poincaré au cœur de la Grande Guerre, que citait Pompidou dans une conférence demeurée célèbre à Science-Po Paris. « Zones d'ombre » ? Fût-ce brièvement, il nous faut bien tenter de dire le fond des choses, de quitter l'allusion sans courage et sans nuances.

    Quatre grands reproches sont faits à Maurras : son antirépublicanisme, son nationalisme, son antisémitisme et son soutien à Vichy. 

    LA CONTRE-REVOLUTION

    Le premier - le plus fondamental - est d'avoir été un penseur contre-révolutionnaire ; d’être le maître incontesté de la Contre-Révolution au XXe siècle ; d'avoir combattu la République et la démocratie, du moins sous sa forme révolutionnaire à la française ; enfin d'être royaliste. Options infamantes ? En France, oui. Mais en France seulement. Et pour la doxa dominante. La Révolution ni la République n'aiment qu'on rappelle leurs propres zones d'ombre. Leurs origines sanglantes, la Terreur, la rupture jamais cicatrisée avec notre passé monarchique, avec l'ancienne France, qu'elles ont imposée. « Soleil cou coupé » ... écrira Apollinaire (2). Et, à la suite, à travers de terribles épreuves et quelques drames, toute l'histoire d'un long déclin français, d'un inexorable affaissement de notre civilisation, que Zemmour a qualifié de suicide et dont nous-mêmes, aujourd'hui, vivons encore l'actualité. Faut-il rappeler qu'au début des années soixante (1960), De Gaulle, monarchiste, avait envisagé que le Comte de Paris lui succède ? Que François Mitterrand dans sa jeunesse était monarchiste et que, comme en atteste, plus tard, sa relation constante avec le comte de Paris, il l'était sans-doute resté ? Quant à l'actuel président de le Réplique, on connaît ses déclarations sur le roi qui manque à la France ... Sur sa conviction que les Français n'ont pas voulu la mort de Louis XVI, la mort du roi ... (3) Faut-il reprocher à De Gaulle, Mitterrand ou Macron telle « zone d’ombre » ? Comme à Maurras ? Ce dernier voulut simplement, à la différence de ces derniers grands-hommes, que ce qu'il savait nécessaire pour la France devînt réalité. Il y consacra sa vie et y sacrifia sa liberté. 

    LE NATIONALISME

    Le nationalisme, autre « zone d’ombre » ? Être nationaliste, un motif d'opprobre, de rejet moral ? Non, s'il s'agit d'un nationalisme quelconque à travers le monde. Oui - pour la bien-pensance - s'il s'agit du nationalisme français. Maurras l'avait défini comme « une douloureuse obligation » dont la cause et le contexte sont historiques, bien plus qu’idéologiques : l'humiliante défaite de 1870 et l'affrontement franco-allemand qui ne cessera jamais vraiment entre 1870 et 1945. « Douloureuse obligation » créée aussi par l'absence de roi, laissant la France aux mains, pour ne pas dire à la merci, d'un régime faible divisé et imprévoyant, qui la plaçait en situation d'infériorité face à l'Allemagne impériale. Plus tard, face à l'Allemagne nazie. Au cours de chacune des deux avant-guerres, Maurras avait vécu dans l'angoisse de l'impréparation où nous maintenait l'État républicain, laquelle devait rendre la guerre à la fois inévitable et terriblement meurtrière. Avant 1914, il avait eu la vision tragique de ce qui se préparait : « Au bas mot, en termes concrets, 500 000 jeunes français couchés froids et sanglants sur leur terre mal défendue » (4). On sait ce qu'il en fut, qui fut bien pis. Entre 1935 et 1939, l'on eut la reproduction du même scénario. La trahison de Blum refusant d'armer la France face au nazisme en même temps qu'il menait une politique étrangère belliciste irresponsable, les agissements du Parti Communiste, aux ordres de Moscou, comme Blum l'était de la IIème Internationale, allaient rendre le futur conflit mondial inévitable. « Pourquoi faut-il de tels retours ? « écrira alors Maurras. Dans la douleur, nous dit Boutang. On sait qu'il vécut cette période dans la certitude de la guerre et de la guerre perdue. Le « miracle de la Marne » qui avait sauvé la France en 1914, ne se renouvellerait pas ... Tel fut, au-delà du simple patriotisme, le nationalisme maurrassien. Nationalisme non de conquête ou d'expansion mais de défense d'un pays menacé. Menacé de l'extérieur et de l'intérieur, car le danger allemand n'était pas le seul qui pesât sur la France. Son désarmement mental, social, politique et culturel, ses divisions, étaient à l'œuvre comme elles peuvent l'être encore aujourd'hui pour diverses raisons supplémentaires dont certaines - comme l'invasion migratoire ou le mondialisme - que Maurras n'eut pas à connaître. Elles justifient, elles aussi, la persistance de la « douloureuse obligation » d’un nationalisme français.

    L'ANTISEMITISME

    L'antisémitisme est un autre des grands griefs faits à Maurras. Il n'est pas un thème central dans son œuvre et dans sa pensée - comme il le fut pour Edouard Drumont dont l'influence avait été considérable à la fin du XIXe siècle et au début du XXe. C'est pourtant à l'antisémitisme que l'on réduit souvent Maurras dans les débats d'aujourd'hui. 

    Une évidence s'impose ici : on ne comprendra rien à l'antisémitisme de Maurras, celui de son temps, très répandu en tous milieux, si, par paresse d'esprit ou inculture, l'on se contente de le considérer et de le juger avec des yeux qui ont vu, des mémoires qui savent, ce que vécurent les Juifs d'Europe entre 1930 et 1945, ce qu'était devenu l'antisémitisme en une époque barbare.  Dans la jeunesse de Charles Maurras et encore longtemps après, l'antisémitisme fut une opposition politique, culturelle et si l'on veut philosophique à l'influence excessive que leur communautarisme natif - singulièrement apte à « coloniser » - conférait aux Juifs de France. À propos de cet antisémitisme politique de Maurras, Éric Zemmour propose une comparaison tirée de l'Histoire : « Son antisémitisme était un antisémitisme d'État, qui reprochait aux Juifs un pouvoir excessif en tant que groupe constitué, à la manière de Richelieu luttant contre « l'État dans l'État » huguenot. » (5) Avant la seconde guerre mondiale, il n'y avait pas là motif à rupture personnelle ou sociale, ni même un motif d'inimitié. Le jeune Maurras est lié à Anatole France. Il fréquente le salon de l'égérie de France, Madame Arman de Cavaillet, née Lippmann ; il est l'ami de Marcel Proust, plus qu'à demi Juif (sa mère est née Weil). Ils resteront amis, quoique Proust ait été dreyfusard, jusqu'à la mort de l'auteur de la Recherche. Proust l'a écrit, aussi bien que son admiration pour Maurras, Bainville et Daudet.  On se souvient que Léon Daudet, disciple de Drumont bien davantage que Maurras ne le sera jamais, fit obtenir à Proust le prix Goncourt pour A l'ombre des jeunes-filles en fleur, en 1919 ... L'un des plus vifs admirateurs de Charles Maurras et son ami jusqu'à sa mort après la Seconde Guerre mondiale (1962, dix ans après Maurras), sera l'un des Juifs les plus éminents du XXe siècle, Daniel Halévy, dont, pour la petite histoire, mais pas tout à fait, la fille épousera Louis Joxe, résistant, ministre du général De Gaulle, et père de Pierre Joxe. De Daniel Halévy, l’auteur d’Essai sur l'accélération de l'HistoireJean Guitton écrira : « Il avait un culte pour Charles Maurras qui était pour lui le type de l'athlète portant le poids d'un univers en décadence. » (6)

    L'antisémitisme politique de Maurras, au temps de sa pleine gloire, ne le sépara pas des grandes amitiés que nous avons citées et de l'admiration que lui portèrent, de Malraux à Bernanos, les plus illustres personnalités de son temps. Maurras eut-il le tort de ne pas comprendre que la persécution des Juifs au temps du nazisme rendait toute manifestation d'antisémitisme contestable ou même fautive ? Impardonnable ? On peut le penser, comme Éric Zemmour. C'est ignorer toutefois deux points essentiels : 1. ce que souffrirent les Juifs lors du conflit mondial ne fut vraiment connu dans toute son ampleur qu'après-guerre, 2. Peut-être est-il triste ou cruel de le rappeler mais le sort des Juifs ne fut pas le souci principal ni même accessoire, des alliés pendant la guerre.  Ni Staline, lui-même antisémite, ni Roosevelt, ni Churchill, ni De Gaulle, ne s'en préoccupèrent vraiment et n'engagèrent d'action pour leur venir en aide, nonobstant leurs appels au secours.  Le souci premier de Charles Maurras était la survie de la France et son avenir. S’il s’en prit nommément à des personnalités juives bien déterminées pendant l’Occupation (comme à nombre d'autres), c’est qu’elles lui semblaient conduire des actions selon lui dangereuses et contraires aux intérêts de la France en guerre. 

    L'antisémitisme moderne, sans remonter à ses sources chrétiennes, pourtant réelles, trouve de fait son origine et son fondement dans les Lumières et l'Encyclopédie. L'on aurait bien du mal à exclure de la mémoire nationale toutes les personnalités illustres, françaises et autres, qui l'ont professé. Dont, en effet, Charles Maurras qui louait Voltaire de participer du « génie antisémitique de l’Occident ». Ce génie était de résistance intellectuelle et politique. Il n'était pas exterminateur. L'évidence est que les événements du XXe siècle ont jeté une tache sans-doute indélébile sur toute forme - même fort différente - d'antisémitisme. Cela est-il une raison pour reconnaître aux communautés juives de France ou d'ailleurs plus de droits d’influence qu’au commun des mortels ? Deux des présidents de la Ve république ne l'ont pas cru et ont parfois été taxés d'antisémitisme : le général De Gaulle, après sa conférence de presse de 1965 et ses considérations à propos d'Israël ; mais aussi François Mitterrand refusant obstinément – et en quels termes ! - de céder aux pressions des organisations juives de France, qu’il trouvait tout à fait excessives, pour qu’il présente les excuses de la France à propos de la déportation des Juifs sous l'Occupation (7). Ce que feront ses successeurs …

    LE SOUTIEN A VICHY

    Dernier des grands reproches adressés à Maurras : son soutien à Vichy. Nous n'avons pas l'intention de traiter longuement de ce sujet. Est-il encore pertinent ? Vichy est sans postérité. Il ne laisse ni héritage ni héritiers et n'est qu'un épisode tragique de notre histoire, conséquence incise du plus grand désastre national que la France moderne ait connu et qui aurait pu la tuer.

    Il est absurde de définir Maurras comme « pétainiste ». Il était royaliste et contre-révolutionnaire. Qu'il ait pratiqué l'Union Sacrée en 1914-1918 ne le faisait pas républicain. Pas plus que son soutien au vieux maréchal ne fera de lui un pétainiste. Maurras ne fut pas davantage un « collabo » ; il détestait les Allemands qui le traitèrent en ennemi. Il refusa d’approuver la politique de collaboration. Il fut la cible des plus violentes attaques de la presse collaborationniste de Paris. 

    Entre la politique de Vichy - analogue à celle de la Prusse après Iéna ou de l'Allemagne de Weimar après l'autre guerre (finasser à la manière de Stresemann) - et la stratégie gaulliste de lutte contre l'occupant depuis l'étranger, l'on sait aujourd'hui laquelle des deux options l'a politiquement emporté. Ce n'était pas donné, c'était encore très incertain aux premiers jours de la Libération. Le grand historien Robert Aron, à propos de la politique de Vichy, pose cette question : « La Prusse après Iéna écrasée par un vainqueur intraitable n'a-t-elle pas su ruser elle aussi pour se relever et reprendre sa place parmi les États victorieux ? » (8). Une telle politique ne mérite ni opprobre ni infamie, fût-elle vaincue. C’est pourquoi François Mitterrand, comme nombre de ses pareils, devenu résistant, ne rompit jamais ses amitiés vichystes. Entre les deux mondes, il n’y eut de fossé infranchissable que pour les zélateurs intempérants d’après la bataille…

    Y eut-il des excès de la part de Maurras au cours de la période considérée ? Sans aucun doute. Les maurrassiens sérieux n'ont jamais prétendu qu'il fût infaillible. Excès de plume surtout en un temps de tensions extrêmes où se jouait l’avenir de la Patrie. Croit-on qu'il n'y ait pas eu d'excès dans le camp d'en face ? Sous l’occupation et plus encore à la Libération ? Passons !

    I00017021.jpgCar, pour en terminer, notre avis sur cette matière sensible, est que le président Pompidou fit une sage et bonne action lorsque, répondant aux critiques de ceux qui lui reprochaient la grâce qu'il avait accordée à l'ex-milicien Paul Touvier, il déclara ceci qui devrait servir de charte aux Français d’aujourd’hui : « Notre pays depuis un peu plus de 30 ans a été de drame national en drame national. Ce fut la guerre, la défaite et ses humiliations, l'Occupation et ses horreurs, la Libération, par contre-coup l'épuration, et ses excès, reconnaissons-le. Et puis la guerre d'Indochine. Et puis l'affreux conflit d'Algérie et ses horreurs, des deux côtés, et l'exode de millions de Français chassés de leurs foyers, et du coup l'OAS, et ses attentats et ses violences et par contre-coup la répression …  Alors je me sens en droit de dire : allons-nous éternellement maintenir saignantes les plaies de nos désaccords nationaux ? Le moment n'est-t-il pas venu de jeter le voile, d'oublier ces temps où les Français ne s’aimaient pas, s'entre-déchiraient et même s'entre-tuaient ? » (9)

    Reste alors Charles Maurras, grand penseur, écrivain, poète, félibre, académicien et patriote français qui appartient au patrimoine national.   

    1. Anatole France, poème dédicatoire pour Le Chemin de Paradis de Charles Maurras 
    2. Zone, Alcools, 1913 
    3. Emmanuel Macron, Le 1 Hebdo, 8 juillet 2015 
    4. Kiel et Tanger, 1910 (913, 1921 …) 
    5. Eric Zemmour, Figaro Magazine du 2.02.2018 
    6. Jean Guitton, Un siècle une vie, Robert Laffont, 1988, 361 pages 
    7. Jean-Pierre Elkabbach « François Mitterrand, conversation avec un Président » (1994) 
    8. Robert Aron, Histoire de Vichy, Fayard 1954, 766 pages 
    9. Conférence de presse du 21 septembre 1972.  
  • Livres • Cicero redivivus

     

    Par Hilaire de Crémiers

     

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    Jacques Trémolet de Villers a la plume aussi agile et plaisante que la parole. Et, comme sa parole, sa plume sait se faire aussi sérieuse qu’agréable.

    Dramatiquement claire aussi quand il le faut ! Ainsi de son Procès de Jeanne d’Arc, publié en 2016 aux Belles Lettres, où l’avocat n’intervenait dans la défense de son héroïne que pour mieux la comprendre, l’aimer et l’admirer.

    Marcus Tullius Cicero

    De même aujourd’hui, encore aux Belles Lettres, évoque-t-il, dans tous les sens du terme – une évocation, ce n’est pas rien ! – juridique aussi bien que magique et psychologique, la personne, l’âme vivante de Cicéron. Elle apparaît et s’exprime grâce aux charmes enchanteurs du subtil avocat qui se met à l’école de son prestigieux prédécesseur. L’homme s’explique devant le tribunal de l’histoire, celui des hommes et des dieux ; mais, au-dessus de tout, devant le Jupiter supremus, ce Deus optimus maximus, dont la présence – lumière et puissance selon l’étymologie – surplombe la philosophie et le drame antiques – même la comédie, cher Plaute ! Cicéron vient nous redire ainsi la haute raison qui guidait sa vie et, tout simplement, avec ses propres mots, il vient se dire lui-même.

    Son talent avait dominé les siècles ; la latinité chrétienne en était imprégnée. Jérôme le savant et l’ascète se confessait en gémissant plus cicéronien que chrétien et Macrobe en faisait une sorte de chrétien avant l’heure. Le XVIe siècle y puisait son phrasé ; le XVIIe se coulait dans son rythme ; nos grands-pères y cueillaient leurs humanités et savaient leur Pro Milone par cœur. Et puis ce fut une mode de le décrier ! Taisons les noms de ses contempteurs qui nous sont si familiers et qui lui reprochaient ce qu’on pourrait appeler son tempérament conservateur dont, certes, il n’était pas dupe – sa correspondance en témoigne. Par détestation des aventures personnelles – c’est de tous les temps – qui usurpent et ensanglantent la légitimité politique, celle qu’auraient dû incarner les optimates, il se refusa à envisager, à discerner, à voir – bien malgré lui – l’heureuse issue possible du principat, cette monarchie si nécessaire, si salutaire pour sortir Rome des maux de la République qui n’était plus qu’une guerre civile permanente dont d’ailleurs, il périt, fort noblement pour lui, fort ignoblement pour ses assassins.

    Pierre Grimal avec justice rétablit l’homme qui fut l’un des plus cultivés de son temps et qui rassembla dans son esprit tout l’héritage hélleno-romain, dans son statut de Romain, de plus romain des Romains.

    L’amitié romaine

    XVM825c3e2e-7609-11e8-9988-c6152e0685ac.jpgEt voici que Jacques Trémolet de Villers (photo) en refait un modèle. Pour aujourd’hui. Et c’est pourquoi il l’évoque et Marcus Tullius Cicero se rend à cette évocation avec cette bonté et cette magnanimité qui le caractérisent. L’orateur répond à l’orateur comme dans le De oratore ; la disputatio se met en forme comme dans le De Republica et le De officiis. Sommes-nous à Tusculum, dans la villa du maître ou dans celle de son ami Crassus, l’avocat, l’autre grand orateur du temps, quand ils discutaient des pensées et des paroles des hommes – à l’époque, c’est tout un : penser, parler, agir – pour en mieux cerner le divin secret ? Eh bien non, nous sommes à Vivario, dans les montagnes corses, à l’heure des soirées estivales quand le ciel favorise toutes les poésies de la terre, majoresque cadunt altis de montibus umbrae.

    Cicéron se rend au rendez-vous que lui fixe chez lui Jacques Trémolet de Villers ! Quelques grandes ombres le suivent. Scipion en est, évidemment, pour redire son songe.

    Les habitants de Vivario sont autour des tables où se boit l’apéritif ; ils ajoutent leurs remarques. Le bon sens d’un village corse rejoint la plus belle latinité.

    L’homme est fait pour l’amitié, c’est la leçon des siècles ; et, en dépit de tout, malgré les folies furieuses qui ravagent les sociétés humaines, c’est l’amitié qui constitue le fondement de toutes les unions, les plus sacrées comme les plus utiles, car l’amitié est faite pour le Bien, même si le bien est difficile à réaliser ; lui seul donne du sens à la vie, ut virtus ad beate vivendum sit se ipsa contenta – la vertu se suffit à elle-même pour réaliser la vie heureuse – ; et nous voici grâce à cette réflexion philosophique chez les Grecs, dans ce platonisme fortement teinté de stoïcisme romain, mais très humain, où se complaisaient Cicéron et les meilleurs de son temps. Cette quête du Bien conjoint heureusement les finalités de l’homme et de la cité, l’homme – et surtout l’homme politique – œuvrant pour la chose commune, cette « république » qui se doit d’être conforme à toutes les règles de la sagesse divine et humaine, au point que la cité terrestre ne saurait être – pour qui pense justement – que le palier d’une cité céleste qui en espérance ne peut manquer d’exister.

    Jacques Trémolet de Villers en faisant parler Cicéron a su exprimer la naturelle harmonie de cette raison si humaine qu’elle en est plus qu’humaine et qui est en surnaturelle attente d’immortalité et d’éternité, dans ce demi-siècle qui précéda la venue sur terre, en une incarnation charnelle et temporelle, du Logos divin, Maître de toute sagesse.

    Nous le savions : « Les pas des légions avaient marché pour lui. »

    Cicéron, aussi et à sa manière, avait parlé pour Lui !  ■   

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    En terrasse avec Cicéron, Jacques Trémolet de Villers, Les Belles Lettres, 160 p, 15,90 € 

    Hilaire de Crémiers

  • Cinéma • My Lady

     

    Par Guilhem de Tarlé

    My lady, un film anglais de Richard Eyre, avec Emma Thompson (le juge Fiona Maye), Stanley Tucci (son mari Jack) et Fionn Whitehead (Adam, le jeune leucémique), d’après le roman L’intérêt de l’enfant de Ian McEwan.

     

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    Je n’ai pas lu le livre, mais j’imagine que Richard Eyre en détourne l’histoire.

    Evacuons évidemment la fausse piste évoquée par Jack, du couple vieillissant qui vit comme « frère et sœur », pour justifier sa décision d’aller voir ailleurs.

    L’intérêt de l’enfant pose plus certainement la question du pouvoir souverain du juge, qui décide de la vie ou de la mort de l’enfant handicapé, ou malade, face à ses parents et aux autorités médicales. On pense bien évidemment à Vincent Lambert…

    My Lady, comme ce choix de titre l’indique, porte son projecteur sur la femme et s’intéresse différemment à l’enfant… Celui-ci est, probablement, seulement le fils qu’elle n’a pas eu, trop absorbée par son activité professionnelle.

    Le véritable sujet du film est donc sans doute là, celui de l’épouse qui s’investit dans son métier jusqu’à délaisser sa vocation d’épouse et de mère.

    Finalement, ces deux ou trois questions sont suffisamment importantes et intéressantes pour mériter des long-métrages distincts, mais leur juxtaposition dans un seul scénario n’a pas véritablement permis de les traiter.

    Dommage ! d’autant que la réalisation est prenante, avec une Emma Thompson qui interprète excellemment une Fiona Maye certes peu sympathique mais séduisante.

    Mon épouse garde d’ailleurs un très bon souvenir de cette actrice dans Les Vestiges du jour (1993).  ■  

    PS : vous pouvez retrouver ce « commentaire » et plusieurs dizaines d’autres sur mon blog Je ciné mate.

  • Mathieu Bock-Côté : « L'occupation touristique planétaire est une dépossession »

    Le Mont Saint-Michel rongé par les masses de touristes

     

    soleil.jpgMathieu Bock-Côté s'alarme des méfaits du tourisme de masse qui produit une véritable dénaturation tant du voyage lui-même que des villes et des pays visités, en réalité à la manière d'un flot invasif. [Le Figaro, 10.08]. Peut-on « espérer que le tourisme se civilise après s'être démocratisé. » Force est de constater que nous n'en prenons pas le chemin. Il faudrait, nous semble-t-il, que l'ensemble de l'édifice social se recivilise après s'être démocratisé...  LFAR

     

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    D'une année à l'autre, la belle saison confirme le statut de la France comme première destination touristique mondiale. On a d'abord tendance à s'en réjouir: n'est-ce pas le plus beau compliment que le monde puisse lui adresser ? On se rue vers elle pour admirer l'incroyable travail des siècles sur un territoire modelé par l'homme, qui a su à la fois fonder villes et villages, élever des cathédrales et dessiner des paysages. Si l'Amérique fascine spontanément qui veut contempler la nature sauvage et les grands espaces, l'Europe attire ceux qui s'émeuvent à bon droit de l'empreinte humaine sur la planète. S'ajoutent à cela des considérations prosaïques élémentaires : le tourisme est une industrie extrêmement lucrative. Qui serait assez bête pour se désoler de son expansion et des milliards qui l'accompagnent ?

    Mais on se désenvoûte assez rapidement de ce beau récit pour peu qu'on pense le tourisme de masse non plus seulement comme une opportunité économique mais 9782081365452.jpgcomme un phénomène politique. D'ailleurs, dans La Carte et le territoire, Michel Houellebecq s'était déjà inquiété de ce qu'on pourrait appeler le devenir touristique de l'Europe, soit celui d'une civilisation s'offrant à l'humanité comme parc d'attractions, comme si elle n'avait plus que des vestiges monumentaux mais vidés de toute sève à présenter au monde. En se réinventant par sa promotion du tourisme de masse, elle consentirait à sa muséification définitive. Elle ne serait plus qu'un décor déshabité, témoignant d'une gloire passée qu'il ne viendrait à personne l'idée de restaurer. La gloire témoigne de temps tragiques et nous souhaitons plus que tout habiter une époque aseptisée.

    La logique du circuit touristique planétaire est facile à reconstruire. Lorsque le système du tourisme mondialisé happe un lieu, celui-ci est progressivement vidé de sa population, comme s'il fallait effacer une présence humaine résiduelle, datant de l'époque où la ville était d'abord habitée avant d'être visitée. Les derniers résidents sont de trop, sauf s'ils savent se plier à la nouvelle vocation du lieu.

    Globalement, les habitants seront remplacés par des employés convertis à la logique du capital mondialisé qui sont souvent d'ailleurs habitués à tourner dans son circuit. La population locale en vient même à reconnaître implicitement un statut d'extraterritorialité symbolique aux lieux sous occupation touristique. Elle devient elle-même touriste en son propre pays lorsqu'elle fréquente ces lieux.

    Sans surprise, ce sont les plus beaux quartiers qui sont ainsi arrachés de la ville où ils ont été construits pour accueillir les touristes qu'on peut se représenter comme l'armée de la mondialisation, qui partout, impose ses codes. C'est peut-être une figure nouvelle du colonialisme. Paradoxe : d'un côté, la ville vidée de son peuple est invitée à conserver ce qui la caractérise, à la manière d'un folklore pour ceux qui sont en quête d'authenticité, mais de l'autre, elle doit offrir les mêmes facilités et les mêmes enseignes qu'on trouve partout sur la planète, du magasin de luxe au Starbucks. Il ne faudrait surtout pas que le touriste se sente trop loin de chez lui. S'il égrène fièrement les destinations où il est passé, il ne cherche la plupart du temps qu'un dépaysement soft. S'il était vraiment ailleurs, ce serait probablement pour lui l'enfer. Le moderne vante les mérites de l'autre mais ne le voit jamais qu'à la manière d'une copie du même.

    C'est bien une dynamique de dépossession qui caractérise le tourisme de masse. Et ses ravages sont indéniables. Des masses humaines se jettent à un pas rythmé par les chansons mondialisées à la mode sur des destinations choisies et en viennent à les défigurer complètement. Elles n'ont souvent qu'un objectif: « immortaliser » leur passage avec un selfie destiné aux réseaux sociaux, au point même où la première chose qu'on croise aujourd'hui en voyage, ce sont d'exaspérants badauds qui se prennent en photo. Devant cette sauvagerie molle et souriante, certains en appellent à une résistance politique. On apprenait ainsi récemment que Venise, Barcelone, Dubrovnik ou Santorin cherchent activement des mesures pour contenir le flot humain qui les engloutira. Une chose est certaine : si le monde entier devient une destination touristique, plus personne ne sera chez lui et tout le monde sera chassé de chez soi.

    On voit là comment le système de la mondialisation s'empare du monde. On a beaucoup parlé ces dernières années du concept de France périphérique, formulé par Christophe Guilluy, qui sert à désigner les populations laissées de côté par la mondialisation. On pourrait en élargir la signification en parlant plus simplement des populations qui sont refoulées non seulement territorialement mais symboliquement à l'extérieur du système de la performance mondialisée parce qu'elles ne sont pas suffisamment adaptables, mobiles et interchangeables. On les juge mal préparées aux règles du nouveau monde de la mobilité maximale. Ce sont des populations retardataires, attachées à un lieu, une langue et peut-être même une tradition. Un tel enracinement ne se pardonne pas. On ne saurait jamais, sous aucun prétexte, être en décalage avec les exigences de ce qui passe pour la modernité.

    Ici et là, la critique du tourisme de masse se fait heureusement entendre, même si elle peut aussi devenir agaçante. On brandit facilement, en prenant la pose dandy, une éthique du voyageur qui saurait se glisser subtilement dans la ville, en laissant entendre que le voyage devrait être le privilège exclusif du petit nombre. Mais ce réflexe aristocratique porte une leçon intéressante. Le génie du voyageur authentique tient moins dans la consommation des destinations recherchées où il vivra des expériences préformatées que dans sa capacité à habiter plus d'un endroit dans le monde, en y développant ses habitudes, ce qui implique de prendre le temps de se familiariser avec les mœurs locales. Il n'est pas interdit d'espérer que le tourisme se civilise après s'être démocratisé et que les hommes se rappellent que le monde n'a pas pour vocation à se plier aux désirs de ceux qui fardent leur pulsion de conquête en sophistication cosmopolite.   ■

    Mathieu Bock-Côté        

    XVM7713ddbc-9f4e-11e6-abb9-e8c5dc8d0059-120x186.jpgMathieu Bock-Côté est docteur en sociologie, chargé de cours aux HEC à Montréal et chroniqueur au Journal de Montréal et à Radio-Canada. Ses travaux portent principalement sur le multiculturalisme, les mutations de la démocratie contemporaine et la question nationale québécoise. Il est l'auteur d'Exercices politiques (éd. VLB, 2013), de Fin de cycle: aux origines du malaise politique québécois (éd. Boréal, 2012) et de La dénationalisation tranquille (éd. Boréal, 2007). Son dernier livre, Le multiculturalisme comme religion politique, est paru aux éditions du Cerf [2016].

     

    Sur le même sujet lire aussi dans Lafautearousseau ... 

    Marin de Viry : « Comment le tourisme de masse a tué le voyage »

  • 15 août 2018 • Prière de Charles Maurras à la Vierge Marie

    Le Couronnement de la Vierge, Le Greco, 1605 (Chapelle de l'Hôpital de la Charité à Illescas) 

     

    « Savez-vous ce qu'est devenue
    La mystique rose au cœur pur
    Qui, neige et feu, sous de longs voiles
    Qu'auréolèrent sept étoiles,
    Emparadisa Terre et Mer
    Et, du péché libératrice,
    De la douleur consolatrice
    Eut pitié même de l'Enfer ?

    Dites-nous : la Vierge Marie
    Ne règne plus dans votre ciel
    Et votre terre défleurie,
    Désert de cendres et de sel,
    Ne mène plus l'ogive en flamme
    S'ouvrir aux pieds de Notre Dame,
    Jurer l'amour entre ses mains
    Et lui chanter : — Ô belle, ô claire,
    Dans la maison d'un même Père
    Abritez nos cœurs pèlerins ! »
     

     

     maurras-Mistral.jpg

    Charles Maurras

    Ode à la Bataille de la Marne - Extrait (1918)

     

     

     

  • Un printemps éditorial maurrassien

     

    Par Christian Tarente

    Publié le 22 juin 2018 - Réactualisé le  13 août 2018

     

    933807218.jpgLE CENT-CINQUANTENAIRE DE CHARLES MAURRAS Ses adversaires s'inquiètent. On ne saurait leur donner tort : leur principal atout était de voir Maurras condamné non seulement à la dégradation nationale, mais surtout à la mort éditoriale. Une peine de mort qu'on a oublié d'abolir ! Il y eut, certes, des tirages confidentiels, mais les grands éditeurs étaient peu soucieux de laisser ce nom honni compromettre leur image. Or les choses bougent...

     

    C'est un modeste mais réel printemps éditorial maurrassien qui nous est offert aujourd'hui.

    Une petite flottille d'ouvrages, sortie de l'enfer, a appareillé et vogue vers la haute mer. À vrai dire, seul le vaisseau amiral - l'anthologie publiée dans la collection « Bouquins » - répond directement à l'urgence d'une réédition des textes. Les autres, des navires d'accompagnement, relèvent surtout du commentaire, mais tous profitent du vent favorable suscité par l'affaire du « livre des commémorations ».

    Avant d'entrer au gouvernement, Mme Nyssen dirigeait les éditions Actes Sud : commémorer l'enfant de Martigues, provençal de naissance et de coeur, était pour elle une exceptionnelle occasion d'agir pour le Sud... Elle y a réussi - malgré elle, dirait-on... - au-delà de toute espérance !

    DIVINE SURPRISE : LA COLLECTION « BOUQUINS » CRÉE L'ÉVÉNEMENT

    Mais saluons d'abord la sortie du livre-événement. Le travail effectué par l'universitaire Martin Motte pour réunir en un seul volume de 1200 pages l'essentiel de l'opus maurrassien force le respect. De même que la préface de plus de trente pages de Jean-Christophe Buisson, du Figaro magazine, sous le titre - certes un peu discutable - d'Un prophète du passé, constitue un essai complet sur le sujet, plein de vie et de richesses multiples. À ce double travail, accueilli chez Robert Laffont dans la collection Bouquins, ne manquent sans doute pas les critiques à faire. Elles le seront en temps utile. Mais il s'agit le plus souvent d'observations passionnantes et propres à susciter et enrichir le débat. Or rien n'a plus nui à Maurras depuis un demi-siècle que la conspiration du silence. On l'avait jeté au fond du puits, mais c'était « le puits et le pendule » d'Edgar Poe, les enfouisseurs le vouaient à une mort inexorable. La vérité, cependant, finit toujours par sortir du puits !

    En feuilletant ce livre, en parcourant sa table des matières, en lisant les introductions proposées par Martin Motte avant chaque partie, en consultant les notes en bas de page, on devine déjà le colossal travail consenti pour choisir et ordonnancer les textes d'un homme qui a publié, sa vie durant, plus de pages que Voltaire. Sa vie s'est confondue avec son oeuvre, avec cette conséquence que ses livres pouvaient ne jamais être achevés. Les textes - souvent des articles commandés par l'actualité - se chevauchaient au fil des différentes éditions d'ouvrages, qui semblaient ne jamais le satisfaire. Quand, peu avant sa mort, il conçut ses Œuvres capitales, il pensa qu'elles constitueraient son « avenir total ».

    Erreur : les choix de Martin Motte se révèlent assez largement divergents. Un seul exemple : Mes idées politiques, ouvrage paru en 1937, composé de morceaux choisis et d'une préface inédite (son célèbre texte sur la politique naturelle) n'était pas retenu par Maurras sous cette forme. En revanche, l'édition « Bouquins » a estimé que la popularité de ce livre et de son titre justifiait son maintien : un choix défendable... autant que discutable, comme le sont tous les choix.

    Les lecteurs les plus attachés à Maurras regretteront les manques énormes - aussi inévitables que les regrets qu'ils suscitent -, et les grands livres dont ne figurent que des extraits : mais nombre de jeunes lecteurs, et même de moins jeunes, y trouveront sûrement un accès plus aisé. Il nous faudra revenir sur ce livre, notamment sur la préface de Jean-Christophe Buisson. Ce sera dans les années à venir un indispensable manuel pour découvrir et fréquenter l'oeuvre d'un homme qui, à l'orée du XXe siècle, eut un regard si pénétrant qu'il nous concerne tous encore aujourd'hui. Un dernier mot : le livre s'achève sur le procès de 1945, avec les textes du réquisitoire et de la plaidoirie. Ils sont précédés d'une présentation qui dit, avec une grande précision et une louable modération de ton, toute l'iniquité de ce qui n'a été qu'une parodie de justice.

    AU TEMPS DE LA « REVUE GRISE »

    Parmi les ouvrages qui font le mieux revivre les débuts remuants de l'Action française - comme ceux de Léon S. Roudiez et de Victor Nguyen - L'Âge d'or du maurrassisme de Jacques Paugam a pris toute sa place avec un singulier mélange de vive sévérité critique et de générosité du regard. En cet « entre-deux-siècles » si agité et si fécond des années 1900, la Revue d'Action française - bimestriel vite surnommé la Revue grise - apparaît comme un « think-tank », un laboratoire d'idées tout à fait innovant. Paugam a ce mot qui peut donner une idée du ton de son livre : « À travers cette lutte permanente, le véritable portrait de Charles Maurras se dessine, assez peu conforme à l'idée qu'on se fait généralement de lui : on est frappé par sa modestie. » La réédition de ce livre datant de près d'un demi-siècle, est bienvenue, d'autant plus qu'elle bénéficie d'une très remarquable préface, inédite, de Michel De Jaeghere, dont le long passage consacré à l'antisémitisme d'État maurrassien est exemplaire. Ce sujet qui, sur le fond, n'avait pas une telle importance pour Maurras, est devenu, pour nous, hypersensible. Porter un jugement vrai et pouvant être compris aujourd'hui apparaît toujours très difficile. Il n'est pas sûr que De Jaeghere y parvienne totalement, mais peu ont avancé aussi loin que lui sur ce terrain qui a été systématiquement miné.

    MAURRAS CONDAMNÉ À ÉCHOUER ?

    Un petit ouvrage pédagogique a connu un grand succès chez les jeunes militants depuis les années 70, Maurras et la pensée d'Action française, dû à un juriste universitaire, Maurice Torrelli. En cent pages, l'essentiel est dit sur la démocratie et les libertés, le nationalisme, la monarchie, et les mérites de l'empirisme organisateur. Devenu introuvable, le « Torrelli » vient d'être réédité par les toutes jeunes Éditions de Flore, dont c'est la première publication. En le faisant, lui aussi, bénéficier d'un remarquable avant-propos, dû cette fois à François Marcilhac.

    Il ne faudra pas non plus laisser passer cette « année Maurras » sans avoir lu les douze textes d'hommage réunis par Marc-Laurent Turpin pour les éditions Apopsix. Axel Tisserand décrit la fidélité du Martégal à la Maison de France, Paul-Marie Coûteaux et Christian Vanneste analysent (chacun à sa manière) les influences maurrassiennes sur de Gaulle. D'autres - Anne Brassié, Philippe Prévost, Michel Fromentoux...- témoignent, ou évoquent Maurras, le Provençal, la question religieuse, l'homme... Hilaire de Crémiers, qui passe en premier, a cette phrase qui pourrait être de conclusion (provisoire...) : « Ne fallait-il pas sortir de l'échec répété ? Puisque, malgré le prestige de l'homme et le rayonnement de l'oeuvre, une sorte de fatalité les a condamnés à ne pas réussir. À jamais ? C'est une grave question à laquelle l'homme a répondu, mais à sa manière. Étonnante, mystérieuse ! »   

     

    images7RTCAV2M.jpgL'AVENIR DE L'INTELLIGENCE ET AUTRES TEXTES, DE CHARLES MAURRAS

    Édition établie par Martin Motte,
    préface de Jean-Christophe Buisson
    Éditions Robert Laffont,
    coll. Bouquins, 2018,
    1226 p. 32 €

     

    510E3Cvcv0L._SX317_BO1,204,203,200_.jpgL'ÂGE D'OR DU MAURRASSISME,
    de Jacques Paugam
    Préfaces de Michel De Jaeghere et Jean-Jacques Chevallier Éditions Pierre-Guillaume de Roux, 2018,
    402 p. 25 €

     

     

    maurras-et-la-pensee-d-action-francaise.jpgMAURRAS
    ET LA PENSÉE D'ACTION FRANÇAISE,
    de Maurice Torrelli
    Avant-propos de François Marcilhac
    Éditions de Flore, 2018,
    104 p. 10€

     

    91xOpqcU2bL._AC_UL320_SR206,320_.jpgREGARDS SUR MAURRAS
    (12 auteurs)
    Ouvrage collectif d'hommage
    pour un cent-cinquantenaire
    Éditions Apopsix, 2018,
    284 p.  20 €

     

    Christian Tarente

  • Poésie & Patrimoine • « Félix Leclerc, un immortel de la culture québécoise, toujours parmi nous »

     

    soleil.jpgIl ne faut pas oublier les poètes. Fussent-ils simplement auteurs, compositeurs, diseurs ou chanteurs de ballades populaires comme le fut Félix Leclerc.

    Mathieu Bock-Côté a eu raison non pas de rappeler sa mémoire, comme celle d'un disparu,  mais de le dire, le 8 août, dans le Journal de Montréal, « toujours parmi nous ». Pour Bock-Côté, Félix Leclerc est « un immortel de la culture québécoise ». Pour nous aussi, d'ailleurs, de ce côté-ci de l'Atlantique où l'on fut si sensible à la poésie de ce chanteur qui vivait à l'Île d'Orléans, ainsi nommée en souvenir de nos princes.

    Dans un entretien télévisé, à Paris, où on lui lui demandait si quelque chose le gênait lors de ses séjours en France, il avait eu le front de répondre :  « Oui, la langue ... anglaise ». Nous l'aimions aussi à cause de cette fidélité à notre langue commune qu'il parlait si bien, autant qu'à à la Belle Province, dont il a chanté de sa voix profonde et calme et grave reconnaissable entre toutes, toutes les saisons, tous les paysages, tous les personnages et tous les rêves..

    Félix Leclerc est mort à l'Île d'Orléans - il y a trente ans cette année - le 8 août 1988.  

     

    La mort de l'ours

    où il est question d'aller porter hommage au roi ... 

     

    d6274ce_6863-2b38gs.jpgLa Mort De L'Ours

    (Un peu à la manière d'une fable)

    Où allez-vous, Papa loup
    Chapeau mou, médaille au cou
    Vous a-t-on nommé shérif
    Des montagnes et des récifs ?

    Non, mon fils, j'ai pris un bain
    Chaussé guêtres et canne en main
    Vais porter hommage au roi
    Si tu veux, viens avec moi

    N'orignal ni carcajou
    Je ne connais roi que vous
    Peigne plutôt tes poils fous
    Et suis-moi à pas de loup

    Ils ont marché quatre lieux
    Arrivés près d'un torrent
    Sauvage et débordant
    De cris et de chants d'adieu

    Bonjour Sire, c'est moi, le loup
    M'voyez-vous, m'entendez-vous ?
    Suis venu à travers bois
    Vous saluer, comme ils se doit

    Il se tient droit, salue l'ours
    Qui a la patte dans le piège
    Plein de sang dessus la mousse
    Et tombe la première neige

    Le petit loup est ému
    Et voudrait rentrer chez lui
    Le gros ours, le gros poilu
    Lui sourit et dit merci

    Ils sont revenus de nuit
    A travers bouleaux jolis
    Le plus grand marchait devant
    Et pleurait abondamment.
  • Histoire • Louis XVI, cet inconnu ...   Allez, on révise son histoire de France !

    Louis XVI préparant l’expédition La Pérouse 

    Oui, c’est Louis XVI qui l’a fait : le saviez-vous ?

    Louis XVI décida de soulager son peuple en le dispensant du droit de Joyeux avènement, impôt perçu à chaque changement de règne.

     Louis XVI, créa le corps des pompiers.

     Louis XVI, autorisa l’installation de pompes à feu, pour approvisionner Paris en eau de manière régulière.

    • Louis XVI, créa un mont-de-piété à Paris pour décourager l’usure et venir en aide aux petites gens.

    • Louis XVI, abandonna aux équipages de ses vaisseaux le tiers de la valeur des prises qui lui était réservé en temps de guerre.

    • Louis XVI, décida d’aider l’abbé de l’Épée dans son œuvre pour l’éducation des « sourds-muets sans fortune » auquel il enseignait un langage par signes de son invention. Le Roi lui versa alors une pension de 6000 livres sur sa propre cassette, contre l’avis de l’archevêché qui soupçonnait cet homme de jansénisme.

    • Louis XVI, dota l’école de Valentin HAUY pour les aveugles.

    • Louis XVI, donna l’ordre à ses commandants de vaisseaux de ne point inquiéter les pêcheurs anglais et obtint la réciproque pour les pêcheurs Français.

    • Louis XVI, donna le droit aux femmes mariées et aux mineurs de toucher eux-même leur pensions sans demander l’autorisation de leur mari ou tuteur.

    • Louis XVI, ordonna aux hôpitaux militaires de traiter les blessés ennemis « comme les propres sujets du Roi » 90 ans avant la 1ère convention de Genève !

    • Louis XVI, décida d’abolir le servage et la main morte dans le domaine royal et le droit de suite qui permettait aux seigneurs de faire poursuivre les serfs ou mainmortables qui quittaient leur domaine.

    • Louis XVI, ordonna l’abolition de la question préparatoire et préalable (torture).

    • Louis XVI, accorda le premier, le droit de vote aux femmes dans le cadre de l’élection des députés à l’assemblée des états généraux.

    • Louis XVI, décida de faire construire à ses frais, des infirmeries « claires et aérées » dans les prisons.

    • Louis XVI, s’inquiéta du sort qui était réservé aux prisonniers détenus en préventive de par leur inculpation, avant le procès. Par ailleurs, il décida de leur accorder une indemnité ainsi qu’un droit d’annonce dans le cas où leur innocence serait reconnue lors de leur procès (sujet d’une étonnante actualité) !

    • Louis XVI, supprima de très nombreuses charges de la maison de Roi (plus du tiers).

    • Louis XVI, permit aux femmes d’accéder à toutes les maîtrises.

    • Louis XVI, finança tous les aménagements, de l’hôtel-Dieu pour que chaque malade ait son propre lit individuel.

    • Louis XVI, employa le premier, l’expression « Justice sociale ».

    • Louis XVI, fonda un hôpital pour les enfants atteints de maladies contagieuses, aujourd’hui nommé : « Hôpital des enfants malades »

    800px-1783_balloonj.jpg• Louis XVI, créa le Musée des Sciences et Techniques, futur Centre National des Arts et Métiers.

    • Louis XVI, fonda l’École des Mines.

    • Louis XVI, finança sur ses propres fonds, les expériences d’aérostation des frères Montgolfier. (Photo).

    • Louis XVI, finança également les expériences de Jouffroy pour l’adaptation de la machine à vapeur à la navigation.

    • Louis XVI, exempta les Juifs du péage corporel et autres droits humiliants.

    • Louis XVI, accorda sept millions aux victimes du froid excessif en 1784.

    • Louis XVI, accorda des pensions de retraites, à tous ceux qui exerçaient une profession maritime.

    • Louis XVI, demanda l’établissement annuel de la balance du commerce.

    • Louis XVI, créa le droit de propriété des auteurs et compositeurs de musique.

    • Louis XVI, accorda l’état-civil aux non-catholiques.

    • Louis XVI, créa l’Ecole de musique et de danse de l’Opéra de Paris et le musée du Louvre.    

    Louis XVI a la parole : lettres,: Girault De Coursac

    Source : « Louis XVI a la parole » de Paul et Pierrette GIRAULT de COURSAC, éd de l’OEIL, 1997..

  • Cinéma • Bécassine

     

    Par Guilhem de Tarlé

    Bécassine, un film de Bruno Podalydès, avec Bruno Podalydès (Rastaqoueros), Denis Podalydès (M. Proey-Minans), Emeline Bayart (Bécassine), Karin Viard (la Marquise de Grand-Air), Michel Vuillermoz (l’oncle Corentin) et Josiane Balasko (Mademoiselle Châtaigne).

     

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    Même pas la peine d’implorer le pardon de mes amis bretons qui n’aiment pas Bécassine et jugent qu’elle déshonore leur province… je suis suffisamment puni par ce film qui est d’une nullité crasse, sans aucun intérêt.

     Je ne suis pas Bécassine qui, selon un journaliste, « ne s’étonne de rien et s’émerveille de tout », et me refuse à être bécassin ; je m’étonne donc des critiques louangeuses de certains et ne m’émerveille pas devant cette comédie qui ne réussit même pas à me faire sourire, à l’exception peut-être de la cuisson des œufs à la coque. ■  

    PS : vous pouvez retrouver ce « commentaire » et plusieurs dizaines d’autres sur mon blog Je ciné mate.

  • Edgar Poe, l'antimoderne

     

    « En dépit de la voix haute et salutaire des lois de gradation qui pénètrent si vivement  toutes choses sur la terre et dans le ciel, des efforts insensés furent faits pour établir une démocratie universelle. »

     

    Edgar Poe, Colloque entre Monos et Una,

    traduction de Charles Baudelaire

  • L’Horreur inclusive

     

    Par Jean-Paul Brighelli

    soleil.jpgOn se souviendra que nous aimons les textes de Jean-Paul Brighelli, son style, son expression directe et sans ambages, son érudition, son bon sens, son non-conformisme et jusqu'à la verdeur de son langage. On lira avec une délectation certaine l'article qui suit, publié sur le site de Valeurs actuelles, le 9 août. Et les modernes prendront une leçon de vraie et bonne langue française. Inutile de la défendre, si on la bafoue !   LFAR 

     

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    Le président d’AMU (Aix-Marseille Université), l’ineffable Yvon Berland, vient d’adresser un courriel à tous les usagers de son université faisant le point sur Parcourssup et qui commence ainsi : « Chères et chers enseignant.e.s-chercheurs-euses, enseignant.e.s, chercheurs –euses, personnels administratifs et techniques, chères étudiantes, chers étudiants… » Sic. La preuve : 

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    Passons sur le fait que la formule est impossible à dire, et que dans notre ère de communication, ce n’est pas sans poser un léger problème. Passons même sur le fait que le souci du « politiquement correct » entre en conflit, dans ce début de message, avec les vieilles habitudes (machistes, cela va sans dite) de politesse qui font passer les femmes d’abord (« chères étudiantes, chers étudiants »). Un pur objet d’horreur pour de vraies féministes, ulcérées de constater qu’un mâle blanc les a repérées comme « femmes » — une forme de dégradation, à les en croire : sachez-le, il ne faut pas tenir la porte à ces dames, ni les complimenter sur leur jolie robe. Considérez désormais que ce sont des sujets neutres (les Suédois, jamais en retard d’une absurdité, viennent d’inventer un pronom neutre qui n’existait pas dans leur langue afin que les enfants ne soient pas sommés de s’identifier en fonction d’un sexe pré-défini), et qu’elles sont toutes habillées avec des sacs de jute. À force de refuser la courtoisie, elles n’auront plus même la politesse. Mais ce que ce court début de mail laisse percer d’ignorance abyssale de la langue est stupéfiant.

    Imaginons qu’Yvon Berland soit Yvonne. Dirait-elle qu’elle est la « présidente » d’AMU ? Non : « président » est une fonction, et, à ce titre, invariable. Madame LE président. En français, « Madame la présidente », c’est l’épouse d’un président. Dans les Liaisons dangereuses, la « présidente de Tourvel » est tout bonnement la femme d’un président de Parlement provincial. Si demain vous rencontrez Brigitte Macron, appelez-la sans crainte « Madame la présidente » ; mais si jamais elle venait à être élue président de la République après son époux, elle serait « Madame le président ». C’est ainsi. Il n’y a qu’Anne Hidalgo pour insister sur « Madame la maire ». Quand le Canard enchaîné appelait Michel Debré « l’amer Michel », c’était drôle. Mais « la maire Anne », comme on dit à Lyon « la mère Brazier »… On mesure les pataquès et autres incongruités qui peuvent naître de ces déformations de la langue.

    Uni·e·s par la même maire mais pas forcément né·e·s de la même paire…

    Le pire, c’est que l’écriture inclusive arrive en classe. Des manuels scolaires l’utilisent pour prendre en otages des gamins (pardon : gamin·e·s !) qui ne leur en demandaient pas tant — et le Haut Conseil à l’Égalité s’en félicite, tout comme les plus obtus des syndicats enseignants. Des enseignantes exigent d’être appelées « madame la professeure » - j’imagine qu’il faut prendre l’accent marseillais pour bien faire sonner un « e » qui a vocation, en français, à être muet… D’ailleurs, nombre de journalistes s’y sont mis et parlent couramment d’« auteures » : eux aussi ont dû faire leurs classes chez Pagnol…

    Au programme de l’agrégation de Lettres, cette année, les Mémoires d’une jeune fille rangée de Simone de Beauvoir. Les universitaires qui ont commencé à rédiger des cours sur le sujet parlent tous d’« écrivaine » - un terme, croyez-moi, qui aurait fait ruer d’horreur la compagne de Sartre, qui se voulait « écrivain », et rien d’autre. C’est déjà assez dur de savoir que, comme dit la chanson, « être une femme libérée tu sais c’est pas si facile… »

    L’Académie française, qui après tout devrait avoir le dernier mot sur les pratiques langagières, condamne fermement ces pratiques lexicales venues de nulle part. Le maître de la langue, disait Vaugelas, c’est l’usage : si dans un siècle ou deux « écrivaine » a fait son trou, si je puis dire, sans doute faudra-t-il l’accepter ; mais cela va lentement, dans un pays qui persiste à écrire « événement » avec deux accents aigus, conformément à une tradition quadri-centenaire, alors que cette même Académie accepte désormais l’insertion d’un accent grave, « évènement » - conformément à la prononciation. Comme disait Barthes, « la langue est fasciste » en ce qu’elle « oblige à dire » - et les petit·e·s marquis·e·s du politiquement correct n’y peuvent pas grand-chose. Fasciste, mais flexible, et c’est pourquoi on peut lui faire confiance. La langue ne dit pas « la professeure » (sauf à Libé et au Monde), mais elle dit très bien « la prof ».

    Evidemment, peut-on accepter un féminin qui vous abrège ?…

    Pire : ces bonnes intentions féministes sont contre-productives. Vouloir à toute force féminiser des mots qui n’en ont nul besoin, c’est assigner les femmes à résidence, en quelque sorte. Leur imposer de s’identifier comme femmes, au moment même où elles revendiquent, justement, l’égalité de traitement.

    C’est que nous vivons dans des temps paradoxaux. Tous égaux, mais clairement divisés en « communautés », selon nos origines, nos croyances ou nos mœurs. Et moi qui croyais que la République interdisait toute distinction de sexe ou de race - pardon, ce dernier mot a récemment sauté, il n’est plus utilisé que par des esprits éclairés du genre Houria Bouteldja, présidente du Parti des Indigènes de la République, qui titre son dernier livre Les Blancs, les Juifs et nous : dérive identitaire, comme dit gentiment Libé, ou racisme à l’envers ? Pourquoi la Ligue des Droits de l’Homme, si prompte à dégainer contre Georges Bensoussan, ne porte-t-elle pas plainte pour incitation à la discrimination ? L’historien explique, dans Marianne, que « leur » objectif est d’empêcher les gens de penser - bien sûr !

    Jean-Michel Blanquer s’est déclaré peu favorable à l’exercice scolaire de l’écriture inclusive. Encore faudrait-il sanctionner les enseignants qui s’y livrent. Les renvoyer faire leurs classes - mais pas à l’université, comme on l’a vu plus haut, gangrenée par les bons apôtres du politiquement correct. Alors, où ? Dans les rizières de Camargue ? Quelques centaines de barbares suffisent pour intimider des dizaines de millions d’usagers, qui ignorent que le destin de la langue leur appartient : elle n’a jamais été que ce que le peuple a voulu en faire, pas ce que des élites auto-proclamées prétendaient en dire. Voyez Les Précieuses ridicules ou Les Femmes savantes. Le langage précieux des « Inc’oyables » et des « Me’veilleuses » du Directoire n’a pas pris - on continue à dire le « r », et parfois même, dans certaines provinces de la France périphérique, à le rouler à l’ancienne. Le premier gouvernement à avoir voulu effacer la règle (absurde, linguistiquement parlant) de l’accord du participe conjugué avec avoir avec le COD antéposé fut celui du petit père Combes, en 1905 - et ça n’a toujours pas pris : le temps linguistique est un temps très long.

    La pratique volontariste d’une poignée d’illuminées (je mets le mot au féminin pluriel, même s’il y a dans le lot quelques hommes - comme il y avait quelques collabos sous Pétain -, ils ne méritent pas mieux) ne doit pas déteindre sur la façon d’écrire et de parler de nos enfants - et c’est aux parents, désormais, puisqu’on ne peut plus faire confiance à tous les enseignants, de veiller à ce que la langue enseignée à leurs enfants soit du français et non du gloubi-boulga féministe. On peut tolérer des méthodes pédagogiques diverses (quoique…), mais le savoir est un. La langue qui reste à apprendre est celle de Vaugelas - à quelques nuances près : les imparfaits ne s’écrivent plus - oi -, l’accent circonflexe s’est substitué aux -s- étymologiques sur « estes » ou « testes », et lorsque deux noms de genre différent se suivent le « masculin » (c’est-à-dire en fait le neutre - mais il y en a qui confondent encore masculin et mâle) l’emporte et l’adjectif ou le participe suivant se mettent au masculin pluriel : est-ce si difficile à enseigner ? La confusion où nous entraînent les apprentis-sorciers actuels risque de créer des incertitudes mortelles dans le cerveau des enfants, sanctionnés bientôt parce qu’ils écriront correctement des mots neutres que les gauleiters du féminisme veulent à toute force sexualiser.

    Et comme aurait dit Pierre Desproges, à l’heure de Monsieur Cyclopède, « Con est masculin, et bite est féminin : étonnant, non ? »    

  • Quand Jacques Bainville déjà s'inquiétait de l'avenir de l'orthographe ...

     

    Correction-de-faute-orthographe-766x480.jpgSomme toute, que reproche-t-on à l'orthographe usuelle ? D'être difficile à apprendre ? Que propose-t-on de lui substituer ? Une orthographe simplifiée et mise à la portée des instructions les plus négligées ?

    C'est ici que réside ce qui n'est pas seulement une erreur mais une sottise. Qui ne voit aussitôt que, si l'on raisonne pour les paresseux ou pour les pauvres d'esprit, il n'y aura jamais de simplification suffisante ?

    Il faut aller tout de suite à l'extrémité, et l'extrémité c'est l'orthographe phonétique, le droit donné à chacun d'écrire comme son oreille entend. Du moment qu'il y a une orthographe, elle sera toujours trop compliquée, il faudra toujours l'apprendre.

    On voit mal où est l'avantage. Pour le voir, pour soutenir qu'il existe et que les simplifications proposées abrégeraient des études inutiles, il faut admettre que les enfants ont un mal considérable à retenir la figure de chaque mot. Les réformateurs proposent, par exemple, de terminer uniformément par les lettre èle tous les mots qui contiennent ce son. On écrira hirondèle, èle, quèle, èle, je me rappèle comme stèle et fidèle.

    Vous souvenez-vous d'avoir eu la moindre peine à retenir qu'on devait mettre : hirondelle, aile, quelle, elle, rappelle ? Tel n'est pas mon cas. Et j'imagine qu'on apprendrait fort vite à ne pas confondre l'èle de l'oiseau avec èle, pronom personnel. Mais il faudrait l'apprendre encore, et je ne vois donc pas trop où est l'avantage, sinon de rendre obscure et lointaine l'origine du second mot et difficilement compréhensibles les dérivés (je ne sais en ce moment s'il en existe de très usuels, mais il y en a à coup sûr) où se retrouve la forme originale du latin ala.

    S'il s'agit d'apprendre pour apprendre, mieux vaut continuer d'enseigner ce qui est conforme à la fois aux habitudes et à l'étymologie. Aile, c'est ala, comme elle c'est illa. S'il y a difficulté, au moins est-elle logique et permet-elle de se débrouiller, tant bien que mal, dans la forêt des mots savants. L'orthographe actuelle est, à y bien regarder, plus utile que nuisible aux personnes médiocrement instruites : son accord, même quelquefois un peu lâche, avec l'étymologie, ce sont les humanités du pauvre, c'est le latin des études primaires. L'orthographe compliquée est par là plus « démocratique » que l'orthographe simplifiée.

    Il est surprenant que les réformateurs n'aient pas pensé à cela.     

     

    Journal, Tome I (années 1901 à 1918), Plon,

    pages 37-38. Note du 20 juillet 1906.

  • -D'accord avec Gabriel Robin : Booba et Kaaris doivent migrer définitivement vers Miami !

    Crédit : @DR  

    Filmé par des touristes ébahis, et certains plus opportunistes qui n’ont pas hésité à monétiser leurs vidéos dans le plus pur esprit « start up nation » cher à Emmanuel Macron, le « combat » entre les deux groupes de vedettes a eu lieu dans une salle d’embarquement du hall 1 du terminal ouest de l’aéroport d’Orly, provoquant les retards de sept vols et de nombreux dégâts matériels dans un duty-free, ainsi que le transfert de voyageurs vers une autre salle d’embarquement. Le groupe gérant l’aéroport a d’ailleurs décidé de porter plainte en réaction pour« trouble à l’ordre public » avec préjudice d’image et financier, mais aussi « mise en danger de la vie d’autrui », les événements ayant empêché la mise en place d’un périmètre de sécurité autour d’un bagage abandonné… À côté de la plaque comme toujours, Gérard Collomb a déclaré, confit de mollesse : « Si deux rappeurs peuvent éviter de provoquer un embouteillage dans tout un aéroport, ce serait bien ».

    kaaris-booba_exact1024x768_l.jpgOuba Booba Ouba Booba ! Les images parlent d’elles-mêmes, rendant futiles les analyses sur les motivations des protagonistes. Pourquoi s’abaisser à déterminer ce qui a provoqué l’explosion de violence ? Pourquoi tenter de savoir qui des deux rappeurs étaient en état de légitime défense et qui est l’agresseur ? Manifestement, les deux hommes « s’affrontent » tant pour de lamentables motifs d’égo que pour des raisons bassement mercantiles, la « street cred » étant un critère de qualité dans ce genre vulgaire et commercial de rap que « Booba et Kaaris » affectionnent. Le personnage de « gangster » – carnavalesque, cela va de soi – importe donc tout autant que la « musique » binaire et les paroles des « artistes ».

    Le commentaire de cette « affaire » aurait pu se limiter à ces quelques observations factuelles, si nous ne vivions pas dans l’Occident 2.0 où tout semble se valoir et où la hiérarchie n’existe plus. Ainsi, on a lu, ça et là, parfois dans de grands titres de presse et sous la plume de personnalités prétendument « sérieuses », que cette bagarre générale de collégiens n’était pas sans rappeler des précédents, comme le coup de feu tiré par Verlaine sur Rimbaud, qui inspira à ce dernier Une saison en enfer, chef d’œuvre du patrimoine littéraire français. D’aucuns ont même comparé la rivalité entre « Booba et Kaaris » – deux surnoms que je n’oserais pas donner à des animaux domestiques sans rougir – aux grandes rivalités entre musiciens du passé, faisant des deux portiers de bar les Mozart et Salieri de la France de 2018 ! 

    Sommes-nous tombés si bas que nous confondions la musique avec des hymnes pour adolescents décérébrés qu’on passe sur les parkings de supermarchés ? Souvenons-nous que dans son numéro 567, La Nouvelle Revue française n’hésitait pas à convoquer Genet et Céline pour « décortiquer » la prose de Booba, preuve d’une méconnaissance insigne du rap et d’un mépris tout germanoprantin de l’ordre et des ordres, l’écriture une chanson n’étant pas un travail aussi fastidieux que l’écriture d’un roman. Pauvre Céline dont l’œuvre est sans cesse évaluée à l’aune de celles d’abrutis qui utilisent trois mots d’argots dans leurs textes…

    Pour prendre un peu d’altitude en ce mois d’août, on essaiera d’éviter Booba. Pourquoi ne pas aborder le Tripitaka ou la vie de Bouddha, racontée par Hermann Hesse dans son roman Siddhartha (dont le héros n’est pas le Bouddha Gautama mais un émule et un homonyme suivant un cheminement spirituel sensiblement similaire) destiné aux Européens méconnaissant l’histoire de ce fondateur d’une hérésie majeure de l’hindouisme ? Les deux religions nées dans le sous-continent indien partagent une doctrine – trop complexe et trop vaste pour qu’il soit possible ici d’en donner une juste définition – que feraient bien de méditer « Booba et Kaaris » : l’ahimsa, soit l’action ou le fait de ne causer nuisance à nulle vie. Qu’ils soient bienveillants avec la France et nous épargnent leur présence en migrant définitivement à Miami.    

  • Islam : un point de vue de Michel Houellebecq

     

    280px-Agilkia.jpg« Quand je pense que l'Égypte a tout inventé ! ... s'exclamait-il en désignant d'un geste large la vallée du Nil. L'architecture, l'astronomie, les mathématiques, l'agriculture, la médecine. Depuis l'apparition de l'islam, plus rien. Le néant intellectuel absolu, le vide total. Nous sommes devenus un pays de mendiants pouilleux. Il faut vous souvenir, Monsieur, que l'islam est né en plein désert, au milieu de scorpions, de chameaux et d'animaux féroces de toutes espèces. Savez-vous comment j'appelle les musulmans ? Les minables du désert. L'islam ne pouvait naître que dans un désert stupide, au milieu de Bédouins crasseux. »   ■ 

    Michel Houellebecq

    Plateforme (Flammarion, 2001)