Livres • Cicero redivivus
Par Hilaire de Crémiers
Jacques Trémolet de Villers a la plume aussi agile et plaisante que la parole. Et, comme sa parole, sa plume sait se faire aussi sérieuse qu’agréable.
Dramatiquement claire aussi quand il le faut ! Ainsi de son Procès de Jeanne d’Arc, publié en 2016 aux Belles Lettres, où l’avocat n’intervenait dans la défense de son héroïne que pour mieux la comprendre, l’aimer et l’admirer.
Marcus Tullius Cicero
De même aujourd’hui, encore aux Belles Lettres, évoque-t-il, dans tous les sens du terme – une évocation, ce n’est pas rien ! – juridique aussi bien que magique et psychologique, la personne, l’âme vivante de Cicéron. Elle apparaît et s’exprime grâce aux charmes enchanteurs du subtil avocat qui se met à l’école de son prestigieux prédécesseur. L’homme s’explique devant le tribunal de l’histoire, celui des hommes et des dieux ; mais, au-dessus de tout, devant le Jupiter supremus, ce Deus optimus maximus, dont la présence – lumière et puissance selon l’étymologie – surplombe la philosophie et le drame antiques – même la comédie, cher Plaute ! Cicéron vient nous redire ainsi la haute raison qui guidait sa vie et, tout simplement, avec ses propres mots, il vient se dire lui-même.
Son talent avait dominé les siècles ; la latinité chrétienne en était imprégnée. Jérôme le savant et l’ascète se confessait en gémissant plus cicéronien que chrétien et Macrobe en faisait une sorte de chrétien avant l’heure. Le XVIe siècle y puisait son phrasé ; le XVIIe se coulait dans son rythme ; nos grands-pères y cueillaient leurs humanités et savaient leur Pro Milone par cœur. Et puis ce fut une mode de le décrier ! Taisons les noms de ses contempteurs qui nous sont si familiers et qui lui reprochaient ce qu’on pourrait appeler son tempérament conservateur dont, certes, il n’était pas dupe – sa correspondance en témoigne. Par détestation des aventures personnelles – c’est de tous les temps – qui usurpent et ensanglantent la légitimité politique, celle qu’auraient dû incarner les optimates, il se refusa à envisager, à discerner, à voir – bien malgré lui – l’heureuse issue possible du principat, cette monarchie si nécessaire, si salutaire pour sortir Rome des maux de la République qui n’était plus qu’une guerre civile permanente dont d’ailleurs, il périt, fort noblement pour lui, fort ignoblement pour ses assassins.
Pierre Grimal avec justice rétablit l’homme qui fut l’un des plus cultivés de son temps et qui rassembla dans son esprit tout l’héritage hélleno-romain, dans son statut de Romain, de plus romain des Romains.
L’amitié romaine
Et voici que Jacques Trémolet de Villers (photo) en refait un modèle. Pour aujourd’hui. Et c’est pourquoi il l’évoque et Marcus Tullius Cicero se rend à cette évocation avec cette bonté et cette magnanimité qui le caractérisent. L’orateur répond à l’orateur comme dans le De oratore ; la disputatio se met en forme comme dans le De Republica et le De officiis. Sommes-nous à Tusculum, dans la villa du maître ou dans celle de son ami Crassus, l’avocat, l’autre grand orateur du temps, quand ils discutaient des pensées et des paroles des hommes – à l’époque, c’est tout un : penser, parler, agir – pour en mieux cerner le divin secret ? Eh bien non, nous sommes à Vivario, dans les montagnes corses, à l’heure des soirées estivales quand le ciel favorise toutes les poésies de la terre, majoresque cadunt altis de montibus umbrae.
Cicéron se rend au rendez-vous que lui fixe chez lui Jacques Trémolet de Villers ! Quelques grandes ombres le suivent. Scipion en est, évidemment, pour redire son songe.
Les habitants de Vivario sont autour des tables où se boit l’apéritif ; ils ajoutent leurs remarques. Le bon sens d’un village corse rejoint la plus belle latinité.
L’homme est fait pour l’amitié, c’est la leçon des siècles ; et, en dépit de tout, malgré les folies furieuses qui ravagent les sociétés humaines, c’est l’amitié qui constitue le fondement de toutes les unions, les plus sacrées comme les plus utiles, car l’amitié est faite pour le Bien, même si le bien est difficile à réaliser ; lui seul donne du sens à la vie, ut virtus ad beate vivendum sit se ipsa contenta – la vertu se suffit à elle-même pour réaliser la vie heureuse – ; et nous voici grâce à cette réflexion philosophique chez les Grecs, dans ce platonisme fortement teinté de stoïcisme romain, mais très humain, où se complaisaient Cicéron et les meilleurs de son temps. Cette quête du Bien conjoint heureusement les finalités de l’homme et de la cité, l’homme – et surtout l’homme politique – œuvrant pour la chose commune, cette « république » qui se doit d’être conforme à toutes les règles de la sagesse divine et humaine, au point que la cité terrestre ne saurait être – pour qui pense justement – que le palier d’une cité céleste qui en espérance ne peut manquer d’exister.
Jacques Trémolet de Villers en faisant parler Cicéron a su exprimer la naturelle harmonie de cette raison si humaine qu’elle en est plus qu’humaine et qui est en surnaturelle attente d’immortalité et d’éternité, dans ce demi-siècle qui précéda la venue sur terre, en une incarnation charnelle et temporelle, du Logos divin, Maître de toute sagesse.
Nous le savions : « Les pas des légions avaient marché pour lui. »
Cicéron, aussi et à sa manière, avait parlé pour Lui ! ■
En terrasse avec Cicéron, Jacques Trémolet de Villers, Les Belles Lettres, 160 p, 15,90 €
Commentaires
Je commande de toute urgence ce livre
Ne serions nous pas en train de redécouvrir l'Antiquité, ses vertus et ses charmes ?
La réponse est sans-doute dans la question que pose Frédéric Rouvillois très judicieusement.
Le prince Jean - qui me semble "sentir" les choses plus que certains le croient - a écrit récemment un billet qu'il a intitulé "Grecs et Latins" et que LFAR a repris in extenso sous le titre : "Prince Jean de France : « Il nous faut retrouver le chemin des Grecs et des Latins. Ne négligeons pas la culture classique »."
On peut le retrouver aisément dans ce blog et sur le site du Prince.
Benoit XVI avait déjà dit cela .
Le meilleur des grecs et des romains peut nous donner une assise humaine que la foi vient couronner . Saint Thomas lisait Aristote ; le droit romain a fourni la base du droit canonique , etc...