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Rechercher : qu'est-ce que le Système

  • La Libye du Boulevard Saint Germain : Une guerre civile ? (I/III), par Champsaur.

    Le terme peut sembler excessif, mais c’est celui retenu par le pertinent analyste, ex officier, Patrick Haimzadeh (Au cœur de la Libye de Kadhafi, chez J.C. Lattès). 

    LYBIE AU COEUR DE LA LYBIE DE KHADAFI.jpg 

    200 pages, 15 euros

    Que sait-on vraiment de la Libye ? Que dissimule la personnalité fantasque et mégalomaniaque du colonel Kadhafi… Pour tenter de mieux cerner les origines et les enjeux de la guerre civile, et pour comprendre comment ce régime a pu perdurer plus de quarante ans, Patrick Haimzadeh, l’un des meilleurs connaisseurs de la Libye, nous propose un tableau clair et complet de ce pays. 
    Il y est question d’histoire, des conquêtes phéniciennes jusqu’à la Libye actuelle, en passant par l’occupation italienne, de géographie humaine aussi, où l’on apprend que cette région a toujours été une interface entre Maghreb et Machreq, ainsi que de culture. 
    Cet ouvrage se nourrit d’entretiens multiples effectués ces dernières années, avec des Libyens de tous horizons, mais également d’imprégnation de terrain et de confidences recueillies au fil d’amitiés suivies. 
    C’est donc autant à un voyage livresque qu’incarné que nous convie l’auteur. On y trouvera notamment le portrait d’une ville ordinaire, Tobrouq, essence même de l’échec du système kadhafien, ou encore celui d’un jeune entrepreneur de Tripoli, et, bien sûr, des pages édifiantes sur la véritable nature du Guide, de son épopée et de son régime. 
    Mais la Libye, c’est avant tout un peuple de plus de quatre millions d’habitants dont la grande majorité n’a d’autre aspiration que de vivre dans la dignité et la paix.

     

     

    * Patrick Haimzadeh est arabisant et spécialiste de la Libye où il a été en poste diplomatique pendant plusieurs années. Outre la connaissance des organes officiels du pouvoir, ce séjour lui a permis d’aller à la rencontre du pays réel. Il a travaillé auparavant en Egypte, en Irak, au Yémen et au sultanat d’Oman, pour le compte de la France ou des Nations Unies, en tant que coopérant, analyste ou négociateur dans des contextes de crise. Il vit maintenant à Paris, dans le 18e arrondissement.

    Le 7 Avril dernier, le grand reporter du quotidien britannique The Independent, Patrick Cockburn titre un article «L’avenir de la Libye parait sombre alors que les media tournent leurs camera vers d’autres évènements. Deux ans après l’intervention de l’OTAN, les milices continuent de terroriser le pays» lien http://www.independent.co.uk/voices/comment/libyas-future-looks-bleak-as-media-focus-turns-elsewhere-8563076.html

    Sur les évènements de Libye depuis le printemps 2011 notre site est très riche en billets remarquablement documentés, archivés dans la catégorie International 2. Depuis le premier jour de cette intervention extérieure, tous allaient dans le sens d’une mise en garde sur les différentes conséquences.

    Une reprise alarmante sur le blog de Jean-Dominique Merchet le 9 Juillet, http://www.lopinion.fr/blog/secret-defense/libye-nouveau-centre-gravite-terrorisme-1874

    Et dans sa dernière livraison de l’Afrique réelle, Bernard Lugan parle d’embrasement.

    Nous ne répèterons pas ce que d’éminents africanistes ont déjà publié, mais la dégradation est à présent tellement visible, catastrophique et inquiétante, qu’elle mérite un nouveau point de situation dans un pays où il n’y a plus d’État.

    La France s’est positionnée en flèche de cette intervention dans des conditions politiques hasardeuses, sans que l’on détecte très bien où étaient les intérêts : ceux de l’Élysée ? ceux de la France en Libye ? étaient-ils menacés ? la feuille de vigne de l’humanitaire ? provoquer la chute du régime et pourquoi ?

    Mais les connaisseurs de ce pays et de ses voisins limitrophes, les africanistes avertis, les gens du renseignement qui suivaient Kadhafi depuis le premier jour de son coup d’État en 1969, découvrir éberlués et incrédules ce philosophe milliardaire du Boulevard St Germain, ex maoïste, que Raymond Aron appelait dans ses mémoires un érudit de pacotille (mais authentique imposteur), virevolter et dicter sa conduite au Président de la République.

    Une lecture critique des opérations militaires

    Cette aventure n’a pu que susciter de très forts soupçons, loin des coups de clairon et roulements de tambours dont on nous a abreuvés pour positionner Nicolas Sarkozy comme « chef de guerre ».

    Notons tout d’abord que ce que les militaires et leurs états-majors appellent les ODB, (pour Ordre de Bataille), c’est-à-dire la liste tant des unités constituées, que des dotations en matériels, sont suivies, connues et publics pour les trois armées, Terre, Air, Mer, et rassemblés pour chaque pays dans un document britannique en vente, le Jane’s. C’était  donc le cas pour les armées de la Libye, ajouté au fait qu’une intense assistance technique existait depuis longtemps, par tout le complexe militaro-industriel, français en particulier. Il n’y a donc eu aucune surprise en face de nos forces et le médiocre niveau des matériels libyens n’était pas en mesure de défier les moyens techniques de l’OTAN. L’insistance française un peu puérile à vouloir «tirer les premiers» n’apporta aucune valeur ajoutée à la suite des opérations. Le samedi 19 mars 2011 l’Armée de l’Air française entra en action contre quelques aéronefs libyens de facture très ancienne (héritage de l’époque soviétique) qui ne respectaient pas l’interdiction de survol de certaines zones, décidée par l’ONU (résolution 1973). La suite des opérations fut une grande classique américaine, consistant à intervenir sans l’afficher ouvertement, et laissant volontiers les media, français en particulier, claironner que les États Unis, échaudés par les coûts de l’Irak et de l’Afghanistan, ne voulaient plus conduire de guerres à l’extérieur. Pure intoxication car dans la réalité, ils étaient présents partout, ici comme ailleurs, et dès le premier jour. Comme dans n’importe quelle guerre le premier objectif est la destruction et la désorganisation des communications de l’adversaire, neutralisant ainsi les commandements et les systèmes de tirs de missiles. Le bilan de la première semaine fut ainsi de 199 missiles de croisière Tomahawk et de 455 munitions de précision, tirés depuis des sous marins. Matériels que la France ne possède pas. Les USA ont fourni les fameux avions A10 (tueurs de chars), les avions ravitailleurs (80 % des heures de vol de la coalition), les capacités de renseignement (satellites et avions, où 75% des vols de renseignement sont américains). Au total on peut affirmer que la totalité de l’armée de Kadhafi fut hors de combat au bout de la première semaine. Les gesticulations françaises ne furent en réalité qu’à destination des journaux télévisés du soir, et pour la gloire de monsieur Sarkozy. Ajoutons quelques remarques de simples bon sens. Tous les praticiens de la chose militaire savent que depuis notre retour dans le commandement intégré de l’OTAN, pas un avion ne peut décoller, pas un navire ne peut prendre la mer, sans communications de l’intégralité des ordres d’opération au commandement intégré, avec, au sommet de la pyramide, la bannière étoilée. Ce que S. A. R. le Prince Sixte Henri de Bourbon Parme a appelé «Voir l’OTAN engager nos forces aériennes».

    Selon une technique d’intoxication de masse désormais au point, arrivent très vite sur les plateaux de télévision les 6.000 tués de Kadhafi. Et la colonne de chars fonçant sur Benghazi, frissons entretenus à l’envi. L’excellent Rony Brauman eut beau s’évertuer sur les rares plateaux de télés où il était invité, il ne réussit pas à faire entendre que 6.000 cadavres ne se dissimulent pas aux yeux des photographes qui cherchent en priorité l’image « saignante ». Il parlait d’expérience en tant que médecin, ex patron de MSF (douze ans), et praticien des zones de guerre. Seuls quelques réseaux « sociaux » ont très vite réalisé la propagande qui était derrière et se sont donc efforcés d’en trouver les sources. De nombreux journalistes indépendants ont alerté sur le fait que l’intervention en Libye n’avait rien a voir avec le printemps arabe, ni avec l’idée d’y défendre les droits de l’homme. L’intervention de l’OTAN nous a été soumise au nom d’une contestation du régime de Kadhafi qui a été orchestrée en dehors des centres de décisions français. Nous nous demandions comment aucune image de « bombardements intensifs » n’était disponible et comment Benghazi semblait intact malgré les frappes. Concernant une répression féroce, très peu d’images sont arrivées jusque dans les rédactions des grands médias. Quelques vidéos prises dans les hôpitaux ont certes montré qu’il y avait eu une répression sanglante dans différentes villes de Libye. Mais de là à voir des milliers de morts et encore plus de blessés, rien.

    En fait, ces « 6000 morts » reposaient sur une unique déclaration reprise en boucle. Personne ne s’est intéressé à la légitimité de la personne qui avait déclaré ce chiffre. L’information a été donné par Ali Zeidan. Ce Libyen était présenté comme le «porte parole de la Ligue libyenne des Droits de l’homme», ou sur plus de 100 sites internet anglophones comme directeur ou président. Alors que le président était en réalité Sliman Bouchiguir, comme indiqué sur le site de la LLDH. Et le pire, c’est que le site ne reprennait nulle part l’affirmation de ces « 6000 morts ».

    Mais Ali Zeidan n’était pas seulement le récent porte-parole de la LLDH, il était aussi celui du Comité Nationale de Transition (CNT) en Europe, l’opposition libyenne reconnue légitime par l’État français. Ce monsieur était donc à la fois juge et partie.

    S’il s’est improvisé défenseur des droits de l’homme, il ne s’agit pas de son unique spécialité. Le 23 mars 2011 à Paris, devant les invités de marque conviés par Bernard Henri Levy, il promettait concernant le pétrole que «les contrats signés seront respectés», mais qu’un futur pouvoir «prendra en considération les nations qui nous ont aidés». Porte-parole de quoi ?

    Autre voix discordante, l’ambassadeur de France en Libye, M. François Gouyette (aujourd’hui notre ambassadeur en Tunisie depuis Août 2012), lors de son audition à l’assemblée nationale le 8 mars 2011 dit : » Nous avons certes vécu, entre le 16 et le 26 février (2011), jour de notre départ, une dizaine de jours de fortes tensions et d’affrontements – non pas tant à Tripoli que dans les autres régions –, mais leur relation a fait l’objet d’exagérations, voire de désinformation. Ainsi, l’information, reprise par les médias occidentaux, selon laquelle l’aviation aurait bombardé Tripoli est parfaitement inexacte : aucune bombe n’est tombée sur la capitale, même si des affrontements sanglants ont eu lieu dans certains quartiers. »

    En fait de colonnes de chars, six obusiers de marque italienne, certes suffisants pour faire de gros dégâts à Benghazi, mais pas le « carnage » invoqué par le plus beau décolleté du Boulevard Saint Germain. Au total la propagande servie fut du même niveau que les précédentes, armes de destruction massive de Saddam Hussein ou Afghanistan foyer du terrorisme islamique international, montrant ainsi qu’en France on ne pouvait plus accorder une once de crédibilité à nos autorités.       (à suivre...).

  • Notre entretien sur Charles Maurras à Martigues, avec Georges Bourquard, du Dauphiné libéré...(V/V)

    MAURRAS PROCES.JPG... et sa condamnation en 1945 ?

    A ce stade, final, de notre conversation, nous avons choisi d'aborder ce thème d'une façon un peu différente de la "traditionnelle", en commençant par parler d'abord... de la Guerre de 14 !

    Nous avons ainsi rappelé à notre interlocuteur quelle avait été la politique de L'Action française lors de la Première Guerre mondiale : sa politique d'union nationale, ou d'union sacrée - surtout lorsque ce fut autour de Clémenceau, l'un des "ennemis de toujours" - ne fit pourtant pas l'unanimité dans ses rangs - et ne la fait toujours pas - puisque certains faisaient remarquer, avec justesse, que ce serait la France, certes, mais aussi la République qui gagnerait la guerre.

    Malgré sa justesse, cet aspect des choses n'ébranla ni Maurras, ni Daudet, ni Bainville, et L'Action française soutint l'effort national, jusqu'à la victoire finale. Ce qui lui valut un prestige considérable, les remerciements officiels de Raymond Poincaré et une estime générale dans le pays, une fois la guerre gagnée.

    Oui, mais voilà : après la Victoire si chèrement acquise, la France pouvait et devait démembrer l'Allemagne. Et lui enlever la rive gauche du Rhin, soit pour la "réunir" à la France, soit pour la laisser devenir une ou plusieurs républiques indépendantes. Le Système, ou le Pays légal ne le fit point et se laissa voler la Victoire par nos "chers Alliés anglo-saxons", malgré les avertissements de Bainville et de L'AF. Puis il y eut la farce de "L'Allemagne paiera" : là aussi, le Système ou Pays légal, et toujours malgré les conseils quotidiens de L'Action française, laissa l'Allemagne non seulement "ne pas payer", mais se relever, prospérer de nouveau, se réarmer, réoccuper la rive gauche du Rhin et, finalement, nous envahir vingt ans après notre Victoire, exactement comme l'avaient prévu Bainville, les grands généraux et les esprits lucides.  

    Quelle différence, alors, à la fin de la Seconde Guerre mondiale, avec la fin de la première ! Malgré la justesse des analyses de L'Action française pendant les vingt ans de l'Entre-Deux Guerres, et le sabotage de la position de la France par le Régime, amenant au désatre, on vit au contraire, lorsque la Guerre s'acheva, L'Action française décapitée, le journal interdit, et le royalisme effacé d'un coup du paysage politique ! Phénoménal triturage de la réalité et de la vérité des faits; stupéfiante falsification historique, et fabrication d'une "vérité officielle" fondamentalement mensongère.

    Que s'était-il donc passé ?

    Pourtant, juste avant la guerre, à sa sortie de prison, en 1937, Maurras avait été acclamé dans un gigantesque meeting au Vel d'Hiv' par 60.000 personnes; il venait d'être élu à l'Académie le 9 juin 1938; le mouvement, malgré la dissolution des ligues en 36, restait un mouvement avec lequel il fallait compter; et Maurras jouissait d'un prestige intellectuel considérable, qui dépassait de beaucoup les frontières du territoire national... Alors ?

    maurras,chemin de paradisD'abord, il faut se souvenir qu'au début de la guerre, Maurras - né le 20 avril 1868 - a plus de 71 ans (76 aux débuts de la Libération); il a perdu Jacques Bainville, le sage, trois ans auparavant; et Léon Daudet, qui mourra trois ans plus tard, en 1942 d'une hémorragie cérébrale, commence déjà à ressentir les premiers signes du mal qui l'emportera, et n'était déjà plus le flamboyant Daudet de l'Avant-guerre (de 14) ni de l'entre deux guerres... Maurras n'était donc pas seul, mais le trio historique des grandes heures de L'Action française était disloqué.

    A partir de là, et Georges Bourquart en est convenu, il est facile, aujourd'hui, confortablement assis dans nos salons, et ne risquant strictement rien, de savoir ce qu'il fallait faire, ou pas; dire ou pas etc. puisque l'on sait comment les choses ont fini. Mais, à l'époque ? Si l'on a un minimum d'honnêteté intellectuelle et de connaissances historiques, on sait bien que, jusqu'à la fin, plusieurs scénarios étaient possibles. Les révolutionnaires, formidablement poussés par Staline, pouvaient prendre le pouvoir; les Américains, qui avaient imprimé une monnaie spéciale, pouvaient fort bien organiser un régime dont ils auraient tiré les ficelles (et, pourquoi pas, avec Pétain, Lebrun ou Herriot, éventualités qui furent envisagées par les Américains et les Anglais) : il y avait plusieurs sorties de guerre possibles, et ce n'est qu'à la toute fin du conflit que les choses se sont décidées.

    Ce qui est certain, par rapport à la Première Guerre mondiale, c'est la nouveauté radicale que représenta l'intrusion de l'idéologie dans la Seconde. Que Maurras ait mal apprécié, mal évalué, ce fait, comme certains maurrassiens le pensent, cela ne fait de lui ni un coupable, ni un criminel. On peut dire que, d'une certaine façon, il a considéré cette Seconde guerre comme la Première, et qu'il a répété la même stratégie d'union nationale - Pétain remplaçant Clémenceau - que durant le premier conflit; rejetant "le clan des yes" comme "le clan des ya", il élabora une ligne de conduite, certes, difficilement tenable, de fait, sur le terrain, mais au moins conforme à l'idée qu'il se faisait de l'union nationale, à préserver absolument.

    On peut juger irréaliste sa position, la juger périlleuse - surtout aujourd'hui... - mais, au moins, n'obéissait-elle aux pas aux intérêts partisans ni à l'esprit de division. Certes, les Allemands - victorieux et maîtres chez nous, à la différence de 14 - occupaient le territoire, accentuaient de jour en jour leur pression, manipulaient de plus en plus la fiction d'un "pouvoir" de plus en plus inconsistant, ce qui rendait chaque jour plus inaudible et plus incompréhensible le soutien que continuait d'apporter Maurras au pouvoir légal, mis en place dans la débandade générale - ne l'oublions pas - par ce qui restait alors des élus de la République.

    Mais, encore une fois, même son supposé irréalisme de fait, ne suffit pas à faire de Maurras un traître, ni de son attitude, en soi, un crime ni un délit. Ni, bien-sûr, à disqualifier sa pensée, son oeuvre politique.

    Le sort ne fut pas favorable à Maurras, la "fortune" lui fut contraire : revenus triomphants, les révolutionnaires ont été d'autant plus haineux et violents contre Maurras qu'ils devaient hurler très, très fort, afin que que leur vacarme assourdissant fasse oublier leur(s) trahison(s) initiale(s) :

    * soutien inconditionnel à l'URSS, s'alliant avec Hitler par le fameux pacte de non agression, qui dura officiellement du 23 août 1939 au 22 juin 1941, soit tout de même près de deux ans !..

    maurras,chemin de paradis* désertion et fuite de Thorez à Moscou où, arrivé le 8 novembre 39, il restera jusqu'à son amnistie par de Gaulle, en novembre 44. Passer toute la guerre à Moscou, c'éait, évidemment, beaucoup plus "facile" et beaucoup moins périlleux que de rester en France tout ce temps-là...

    * quantité impressionnante de nombreuses personnalités venues du socialisme et du communisme dans la Collaboration (les socialistes Marcel Déat et Pierre Laval, le communiste Jacques Doriot); 

    A partir de là, c'est Vae victis, et l'histoire offcielle écrite par les vainqueurs... On fit le procès de Maurras, mais on attend toujours le procès le plus important, celui des responsables de la défaite : ceux qui n'ont pas préparé la France à la guerre qui arrivait et qu'annonçait Jacques Bainville, dès le calamiteux Traité de Versailles, dans L'Action française "pour dans 20 ans"; ceux qui sont restés sourds aux avertissements, du sabotage de la Victoire à l'impréparation de la France face aux revanchards allemands, emmenés par Hitler.

    Un Hitler que Jacques Bainville fut le premier, dès 1930, et dans L'Action française, à dénoncer, comme "l'énergumène" Hitler : voici quelques notes de son Journal (Tome III) : Bainville et l'énergumène Hitler.pdf , dans lesquelles il écrit : "Qui eût dit qu'Adolf Hitler, l'énergumène en chemise brune, recevrait un jour la visite du ministre des Affaires étrangères de Grande Bretagne ?". Ou : "Sir John Simon sera dans quelques jours à Berlin. Il verra Hitler, c'est-à-dire le monstre lui-même..."

    C'est à cette aune que doit être mesurée la condamnation de Maurras, totalement inique si l'on veut bien se souvenir de cette phrase d'Otto Abetz (tout de même, un connaisseur !) : "L’Action Française est l’élément moteur, derrière les coulisses, d’une politique anti-collaborationniste, qui a pour objet, de rendre la France mûre le plus rapidement possible, pour une résistance militaire contre l’Allemagne".

    Que Maurras ait été condamné est donc un fait.

    Que cette condamnation soit juste, à l'évidence, non. Mais il eût été naïf d'attendre une juste sentence d'un procès conduit par ses ennemis.  

    Qu'elle signifie que ses idées n'existent plus, qu'il n'ait plus rien à nous dire aujourd'hui, et qu'il doive être rayé de la carte des penseurs, des esprits féconds, des "vivants", encore moins !

    Voici donc l'essentiel de ce qui s'est dit pendant cette heure et demie de discussion courtoise, à bâtons rompus; augmenté de toutes ces choses que nous n'avons pas eu le temps d'ajouter à tel ou tel moment de la conversation, ou que nous n'avons pu qu'effleurer ou évoquer trop rapidement, donc superficiellement; mais qu'il s'impose naturellement de rajouter lorsqu'on passe à la transcription, écrite, du langage parlé.

    De toute évidence Georges Bourquart n'avait pas la place - nous ignorons s'il en avait le désir ou la possibilité - pour tout rapporter; nous, oui : il nous a semblé qu'il aurait été dommage de s'en dispenser. (fin).

  • La Laïcité. Le sens des mots..., par Champsaur (I/II)

    Faut il rappeler la passion qui accompagne toute réflexion sur la laïcité ? Or nous sommes toujours surpris de découvrir à ces occasions que le sens des mots est ignoré, ainsi que leur origine, alors même que les débats s’engouffrent assez vite vers des prises de position péremptoires et sectaires (dernier en date, Mars 2011, sans que le sujet de fond de l’islam n’ait été correctement traités). Il nous semble que beaucoup d’aspects de la laïcité « à la française » seraient abordés plus sereinement si l’évolution du sens des mots au cours de l’histoire était mieux connue. 

    Pour revenir aux sens premiers des mots :

    1. Le kleros grec (Κλήρος) était à l'origine le lot reçu par le hasard ou par l'héritage.

    Dans un glissement progressif chez les juifs et chez les chrétiens il s'est assimilé à ceux qui avaient reçu Dieu en héritage. Puis pendant tout le Moyen Age il a désigné les lettrés dans les monastères et chez les contemplatifs réguliers, seuls lieux de connaissances, de lecture et d'écriture. Désignant peu à peu le moine copiste d'un monastère, le clerc s'est identifié à tout homme savant et lettré (définition chez Littré). Le Petit Robert le définit comme une personne instruite. Pendant près de 1.400 ans le clergé a été le seul dépositaire des connaissances jusqu'à la diffusion de l'imprimerie.

    2. Le laos grec (λαος - différent du peuple constitué comme force politique dans la Cité demos (δήμος) - était la foule, la foule des guerriers, foule non instruite. λαός a aussi donné liturgie avec la racine ἐργο « faire, accomplir », qui désigne donc, littéralement, le service du peuple. C'est un culte public et officiel institué par une Église. 

    Le Christ s'adressait aux foules, laos (Odon Vallet); laicos, λαίκός signifie "du peuple", puis "profane", au sens premier de non religieux. Le terme a évolué vers le latin ecclésiastique laicus (pour la première fois chez Tertullien, vers 230 après J.C.) pour désigner logiquement une personne "ni ecclésiastique ni religieuse" (Littré).

    Inusité jusque vers le XVIème siècle, il a désigné ceux qui ne font pas partie du clergé (Petit Robert).

    Littré le trouve dans Bossuet : "un pape laïque", et dans Fénelon.

    Le Petit Robert le trouve chez Voltaire : " missionnaires laïcs".

    C'est uniquement en France à partir de 1870, que le mot laïque tout en conservant le sens de non-religieux a progressivement désigné une posture anti-religieuse, anticléricale, surtout anti-catholique glissement sémantique alimenté par les ateliers les plus à gauche du Grand Orient. Cette obédience avorton de la maçonnerie universelle, non reconnue par elle, de création purement française, athée et délibérément anticléricale, fut à la pointe du combat contre l'église catholique de France et le demeure aujourd'hui. 

    Sur l'universalité

    Ce petit détour vers l'origine des mots n'est pas sans intérêt car il met en lumière deux points:

    * La conception française de la laïcité telle qu'elle a été développée depuis Gambetta et ses républicains ne relève d'aucune universalité, contrairement à ce que s'acharnent à défendre les adeptes d'une laïcité de combat à la française.

    * Elle est de naissance très récente sur une échelle historique, dont l'unité de mesure est de 200 ans chez tous les historiens classiques de l'Université. 

    On cite souvent le 5ème amendement de la Constitution américaine comme modèle et source de la laïcité. Or que dit il ? :

    "Le Congrès ne pourra prendre aucune loi ayant pour objet d'établir une religion ou d'en interdire le libre exercice".

    Non seulement une telle rédaction ne contient pas l'idée d'un combat contre les clergés, quel qu'ils soient, mais les pères fondateurs de la Fédération étaient imprégnés de la Maçonnerie Écossaise, dite régulière et universelle, dont l'initiation impose:

    · la croyance en Dieu

    · la croyance en l'Immortalité de l'âme

    Et s'il y avait un doute, le billet de One Dollar porte imprimé les principaux symboles du 33ème grade...

    La déclaration de Philadelphie proclame un certain nombre de vérités "tenues pour évidentes" telles que "l'existence de la Divinité, la vie à venir, le bonheur des justes, le châtiment des méchants, la Sainteté du Contrat social et des lois." Sur de tels fondements, la violence des attaques anticléricales à la française à la fin du XIXème siècle et au début du XXème aurait été inconcevable aux États Unis.

    Ce que l'on appelle la séparation de l'église et de l'État est donc toute relative dans la Fédération. Qu'on en juge:

    · Lors de son investiture tout personnage officiel (Président, présidents de Chambres, assemblées des États, Juges ... etc), prête serment sur la Bible, souvent en faisant un signe maçonnique.

    · La référence à la religion est permanente. Des candidats à l'investiture affichent leur appartenance. Il est courant d'entendre le "God bless you" en toute occasion. Non seulement on ne cache pas sa religion mais on l'affiche volontiers par des signes extérieurs: beaucoup de juifs portent leur kippa, et il n'est pas rare de voir les catholiques arriver à leur travail, le front ostensiblement enduit de cendre, le lendemain du mercredi des cendres.

    · Comme il n'est pas rare de prononcer le bénédicité en début de repas dans les familles.

    Toute la société américaine est imprégnée de religiosité. Madame Michèle TRIBALAT fait très bien ressortir ces points. Mais au total et très objectivement, quel rapport avec la France du XXème siècle ? 

    Et pour regarder les choses de plus près faisons un petit tour du monde. 

    Au Royaume Uni, le souverain est le chef de l'église anglicane, la révolution de 1689 (la seconde) s'étant bornée à imposer que les lois du Parlement sont supérieures au pouvoir du monarque. Le matin, la BBC débute ses émissions avec la lecture d'une page de la Bible, et il n'est pas rare qu'une messe soit diffusée dans la semaine. Les fêtes chrétiennes y sont célébrées. Le grand quotidien The Times maintient en bonne place une devise fameuse "Dieu et mon Droit". La société anglaise étant une société de classe, élitiste par nature, les communautés se cotoient. 

    En Russie, la Pâques orthodoxe est célébrée avec des banderolles dans les rues affichant "Christ est ressuscité" et les gens se saluent dans la rue en se disant "Christ est ressuscité". 

    En Inde, toutes les fêtes hindoues d'un panthéon très riche sont fidèlement célébrées et le personnel politique ne manque pas de faire savoir qu'il a rempli son devoir spirituel vis à vis du Temple. Là encore les signes extérieurs des célébrations sont portés avec naturel. 

    En Allemagne on déclare sa religion sur sa feuille d'impôts, et la notion de "libre penseur" n'a pas grand sens pour un Allemand. En Octobre 1977, l’évènement dramatique du détournement d’un avion de la Lufthansa vers Mogadiscio, se conclut par l’assassinat du pilote, et l’assaut réussi des forces spéciales, mais en représailles, l’assassinat du patron du patronat allemand Hans-Martin Schleyer quelques jours plus tard. Devant le Bundestag le chancelier Helmut Schmidt effondré déclare « avec l’aide de Dieu, nous gagnerons contre la barbarie ». (Faut il préciser que ce serait impensable en France ?). 

    Dans tous les pays à système de monarchie parlementaire, le monarque est la référence spirituelle en tant que Royauté Sacrée, même dans les pires situations, comme au Cambodge. En Thaîlande le premier ministre révère le Roi. 

    Petit voyage incomplet si l'on ne cite pas les taoïstes, les shintoïstes et les bouddhistes qui entretiennent et vénèrent le petit autel des ancêtres à l'entrée de l'habitation.

    Comme nous le voyons, prétendre que la laïcité héritée de 1870 est universelle et que la France serait la référence, a quelque chose de totalement irréel et de fâcheusement présomptueux, avec un orgueil mal placé qui le dispute à l'aveuglement. 

    Sur l'Ancienneté

    Il est aussi de bon ton de lui attribuer une ancienneté qu'elle n'a pas. Michèle Tribalat (citée), emportée par son élan, nous dit " ... Historiquement, la laïcité française, c’est, après des siècles de rivalité, la mise au pas de l’Eglise par la République, pour qu’elle se cantonne dans son magistère spirituel ...". En fait de siècles, la République sous la forme d'aujourd'hui n'a jamais que 140 ans d'âge !

    Tel député de bonne foi, dans un article de mars 2004, " La laïcité pour tous" nous dit " Plongeant ses racines loin dans le passé ..." ce qui est tout aussi rapide.

    S'agit il d'évoquer la lutte éternelle entre les Prêtres et l'État, dans les trois fonctions indo-européennes ? Elle ne date pas de 1789. Le Gautama Bouddha s'est heurté aux Brahmanes 500 ans avant notre ère, un rabin qui a fini sur une croix avait demandé que les deux pouvoirs soient honorés (ce qui, donc, n'allait pas de soi ...). Et plus près de nous le Droit divin de la Monarchie a volé en éclat devant Luther, Calvin et la Réforme qui a soufflé sur l'Europe, et en France le Jansénisme. 

    Une troisième affirmation hasardeuse nous inflige que le triptyque de la République serait une création révolutionnaire, alors qu'il est d'essence strictement religieuse, diffusé par la Maçonnerie universelle des Constitutions d'Anderson :

    · Liberté : au sens où l'Homme est la seule créature vivante sur la Planète à pouvoir choisir en toute conscience entre le Bien et le Mal; pouvoir unique qui imprègne tous les Livres sacrés de l'Humanité.

    · Égalité : c'est l'égalité devant la mort, la seule réelle, fatalité très tôt perçue dans la destinée de l'Homme, là aussi partout inscrite, aussi loin que l'on peut décrypter des textes et des vestiges.

    · Fraternité : l'idée que tous les Hommes sont issus de la même matrice. 

    On est donc très loin des élucubrations d'un jacobinisme centralisateur. Il va de soi que le petit instituteur barbu à la tignasse hirsute, fabriqué par les IUFM de monsieur Jospin, n'a pas les connaissances pour enseigner ces fondements comme nos maîtres et nos professeurs "de la laïque" les offraient avant mai 1968, aux jeunes cervelles dont ils avaient la charge, secondés par les manuels d'Albert Malet et de Jules Isaac.

    Le G.O. a organisé un tintamarre à l'occasion du discours de Nicolas Sarkozy à Latran (20 décembre 2007), faisant à nouveau le contresens d'appeler à l'aide les Lumières comme rempart à toute référence religieuse. Agitation bien inutile dans la mesure où monsieur Sarkozy lui-même n'a certainement rien compris à ce qu'il lisait, mais surtout sans fondement étant donné que les Lumières en question n'ont jamais prétendu éradiquer la Transcendance.

    Le professeur canadien de sciences politiques (aujourd’hui disparu) Jacques Zylberberg résume un tour de la « laïcité » dans quatre pays, Allemagne, Angleterre, États Unis, Canada en ces quelques mots : « Dans les quatre pays étudiés, il n’existe pas de laïcité juridique ou sociétale au sens français. Même aux États-Unis des pouvoirs publics et un système scolaire neutre coexistent avec une société civile balisée par les institutions religieuses. Dans les trois autres pays, des régimes quasi concordataires maintiennent des situations de confessionnalité importantes en dépit de la sécularisation sociétale. Dans ces quatre pays, le pluralisme et la fragmentation des appartenances et des références influencent des espaces publics et des sociétés civiles sécularisées mais non laïques ». (à suivre)

  • Benoît XVI, un maître en politique, par Hilaire de Crémiers

    Benoît XVI ne cesse dans ses déplacements de donner un enseignement de haute portée politique. Encore lors de son dernier voyage au Mexique et à Cuba. Y aura-t-il des hommes politiques pour l’entendre ? 

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     Messe célébrée par Benoît XVI à Santiago de Cuba, place de la révolution...

            Il est des paroles qu’il faut savoir méditer. Elles éclairent nos problèmes d’une telle lumière qu’il n’est pas possible d’échapper à la force de leur vérité. Benoît XVI s’est exprimé sur les plus graves sujets au Mexique et à Cuba au cours d’un voyage de cinq jours du 24 au 29 mars avec cette simplicité et cette fermeté qui le caractérisent. Selon son habitude, au-delà même de son discours de foi – car l’essentiel pour lui est là – , il a délivré  un message de charité sociale et d’intelligence politique qui est susceptible de ranimer l’espérance d’un monde désenchanté, livré aux seuls intérêts égoïstes, après avoir épuisé toutes les formes les plus absurdes et les plus cruelles des idéologies.

            C’est à Cuba, devant Raul Castro lui-même, que le Pape a le plus explicité sa pensée sur la crise mondiale que les peuples subissent. 

            Il l’a fait d’autant plus intentionnellement que dans l’avion qui l’emmenait de Rome au Mexique, il avait pris le soin de préciser aux journalistes que le marxisme n’était plus d’actualité, que cette page devait être définitivement tournée et qu’il convenait de trouver pour demain les vraies solutions pour établir une société plus juste.

    Les vraies raisons de la crise

            Alors, comment ne pas saisir la portée des paroles que, de Cuba, le Pontife suprême a adressé, en réalité, au monde entier, comme s’il voulait profiter de l’occasion pour donner plus d’éclat à la seule vision qui, pour lui, peut donner la compréhension du moment. Crise financière, crise économique, bien sûr ; la réalité est plus grave, dit-il. La crise est morale et spirituelle : c’est de cette crise d’abord que le monde est malade. Il ne peut s’en sortir que si apparaissent des hommes droits, ayant de fortes convictions et qui sauraient, par leur rôle dans la société, remettre les priorités et les primautés là où elles doivent être placées. Tel est l’appel puissant du Saint-Père.

            « De nombreuses parties du monde vivent aujourd’hui un moment de difficulté économique particulière, que de  nombreuses personnes s’accordent à situer dans une profonde crise spirituelle et morale, qui a laissé l’homme vide de valeurs et sans protection devant l’ambition et l’égoïsme de certains pouvoirs qui ne prennent pas en compte le bien authentique des personnes et des familles. On ne peut pas continuer à suivre plus longtemps la même direction culturelle et morale qui a causé la situation douloureuse que tant de personnes subissent.

            Au contraire, le progrès véritable nécessite une éthique qui place au centre la personne humaine et prenne en compte ses exigences les plus authentiques et, de manière générale, sa dimension spirituelle et religieuse. Pour cela, dans le cœur et dans la pensée de beaucoup, s’ouvre toujours plus la certitude que la régénération des sociétés et du monde demande des hommes droits, de fermes convictions, des valeurs de fond morales et élevées qui ne soient pas manipulables par des intérêts étroits et qui répondent à la nature immuable et transcendante de l’être humain ».

            Voilà ce que le Pape a dit à Santiago de Cuba. Cette leçon, il l’a répétée pendant tout son voyage. Aucune idéologie, aucun plan politique ou social, aucune domination économique des choses ne sauveront les sociétés de leurs maux dans le monde actuel si les hommes ne reviennent pas à l’essentiel, surtout dans les pays dont l’histoire porte un patrimoine spirituel incomparable. D’où l’espérance que doivent garder les Cubains : « Chers amis, je suis convaincu que Cuba, en ce moment particulièrement important de son histoire, regarde déjà vers demain et s’efforce pour cela de rénover et d’élargir ses horizons, ce à quoi coopère cet immense patrimoine de valeurs spirituelles et morales qui ont formé son identité la plus authentique et qui se trouvent sculptées dans l’œuvre et dans la vie de nombreux et nobles pères de la Patrie, tels le bienheureux José Olallo y Valdès, le serviteur de Dieu Félix Varela ou l’imminent José Marti ».

            Cela dit devant les vieux apparatchiks de la révolution cubaine ! 

            Non, ce ne sont pas eux les pères de la Patrie ! Ni les modèles pour demain ! Eh bien, ils ont écouté fort sagement. Et le Pape, après ces fortes paroles, pouvait s’entretenir en toute sérénité avec Raul Castro et même avec le vieux Fidel. Il avait naturellement exercé son droit à la liberté d’exprimer la vérité. Points sur lesquels il n’a pas manqué d’insister et qui sont pour lui – c’est ce qui ressort de ses paroles –, le plus sûr fondement de la liberté religieuse.

            Telle est la force morale de l’autorité du Saint-Père, le seul homme au monde qui peut tenir un tel langage et qui soulève à son passage un tel enthousiasme des foules. Oui, car ce sont des foules qui écoutent le successeur de Pierre et telles qu’aucun homme politique qui se flatte de ses meetings où il éructe ses slogans, n’en a jamais rassemblé. La présence et les paroles du Pape ne suscitent qu’une atmosphère de paix et de ferveur spirituelle. Quel est le journaliste qui le note ?

    La vérité rend libre, y compris en politique

     

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    Au Mexique, à Leon, le pape s'est adréesé aux enfants...

     

     

            Comment les hommes de pouvoir ne voient-ils pas un tel bienfait, celui qu’ils ne peuvent donner et sans lequel leur programme et leur système ne sont que vanité et finalement échec ? Le Pape a insisté à Cuba, au Mexique – tant marqués par la foi catholique dont se sont détournés avec violence pendant des décennies les partis au pouvoir –, pour faire valoir « l’apport imprescriptible que la religion est appelée à développer dans le domaine public ». 

            Il s’agit en ces terres hispaniques de la religion du Dieu vivant et vrai qui s’est incarné pour le salut des hommes, qui « change de l’intérieur, au fond du cœur, une situation insupportable, obscure et sans avenir », qui est capable de montrer à leurs frères « ceux qui sont marginalisés par la force, le pouvoir ou une richesse qui ignorent ceux qui manquent de presque tout ». (Discours à Notre-Dame de la Lumière au Mexique). Quelle leçon !

            N’est-elle pas valable pour tous les pays, au moins tous ceux qui, à un titre ou à un autre, peuvent revendiquer un tel héritage chrétien ? « Pour cela, a précisé Benoît XVI, l’Eglise ne cesse d’exhorter chacun afin que l’activité politique soit une tâche recommandable et désintéressée en faveur des citoyens et qu’elle ne se convertisse pas en luttes pour le pouvoir ou en une imposition de systèmes idéologiques rigides qui, tant de fois, ont eu pour résultat la radicalisation d’amples secteurs de la population ».

            Comment ne pas mettre en perspective avec notre actualité cet enseignement de foi et de raison et ne pas se souvenir des discours de Benoît XVI en Europe, en France aux Bernardins, en Angleterre à Westminster, à Madrid devant les autorités, en Allemagne au Bundestag même et ainsi dans toute la vieille Europe chrétienne où il tient à chaque fois le même langage de haute portée, rappelant à chaque peuple le meilleur de toutes ses traditions ?

            C’est quand tout va mal qu’il est bon de se rappeler la voie du salut possible. Le drame de Montauban et de Toulouse devrait faire réfléchir les Français soucieux de l’avenir de leur pays. Des incidents pareils n’arrivent pas par hasard. Il est malheureusement probable que ces crimes perpétrés froidement soient un signe révélateur d’une terrible réalité. Sur laquelle rien ne sera dit officiellement que de très anecdotique et sur quoi les discussions reprendront.

    Quel homme politique aura le courage d’aller au fond du problème ? 

            Les partis au pouvoir, quels qu’ils soient, ne sont-ils pas directement responsables de l’état de la société ? Après tout, ce qui se passe, ils l’ont d’une certaine manière voulu… En tout cas, ce n’est que la conséquence de toutes leurs politiques. 

            Des banlieues livrées à elles-mêmes, des trafics organisés dans de vastes zones de non-droit, une immigration non maîtrisée, non contrôlée, d’immenses secteurs de la société abandonnés, de fausses réformes qui ne vont jamais au cœur du mal, des soutiens inconsidérés à des gens qui profitent de ce mal social pour justifier leur existence alors que les hommes de bien ne sont, pour ainsi dire, jamais encouragés, jamais soutenus ; et, maintenant, dans une société qui a banni Jésus-Christ et qui s’en est même fait une fierté, jusqu’à l’insulter publiquement, voici l’apparition d’un sentiment religieux totalement fou qui ne connaît que la cruauté et la vengeance et qui revendique tous les crimes. Ah, le beau résultat !

            Il faut le souligner, nos hommes politiques sont à peu près tous des chrétiens, la plupart des catholiques d’origine, issus de bonnes familles, tous encore sortis de très bons collèges. Vraiment ? 

            Vraiment ! Mais l’ambition les tenaille de ce maudit pouvoir toujours à prendre et à reprendre et qui les rend fous, eux aussi, à leur manière, et dont ils se sont fait leur dieu, à qui ils consacrent une sorte de religion, toute de violence pareillement, bien que feutrée et hypocrite. Où est le bien public ? Où est la paix ? Où est la grande force dynamique qui remettra la France sur sa voie royale ? Qui s’en occupe ? Comme disait l’autre : « D’abord on gagne, après on voit ». Beau programme, en vérité ! 

            Et qui définit parfaitement le régime dans lequel nous vivons.

            Dans ce climat délétère et alors que les échéances se rapprochent d’une crise aux multiples engrenages, tous devenus irréversibles, financiers, économiques, sociaux, culturels, institutionnels et politiques, il est salutaire de se rappeler, surtout en cette année de la célébration du six-centième anniversaire de la naissance de la sainte de la Patrie, Jeanne d’Arc, où se situe le véritable patrimoine de notre pays. Alors que toutes les prétendues solutions s’épuisent, un patrimoine aussi prestigieux peut encore alimenter une foi et une espérance françaises.

     

     

    Politique magazine - avril 2012 - numéro 106

     

  • Qui commande ?, par Hilaire de Crémiers

    (Voici l'analyse politique d'Hilaire de Crémiers, parue dans le n° 101 de Politique magazine, novembre 2011) 

     

    Au cours du dernier sommet européen à Bruxelles le 26 octobre dernier, l’Europe a cru se sauver elle-même. Telle est la version officielle. Pour les esprits réaliste, il ne s’agit que de palliatifs qui repoussent les échéances et c’est Allemagne qui a dicté sa volonté, même si Angela Merkel a paru céder sur certains points. 

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     Pas de sommet européen qui ne soit précédé de la rencontre préalable d'Angela Merkel et de Nicolas Sarkozy....

            L’accord de façade du sommet réuni à Bruxelles le 26 octobre dissimule mal un profond désaccord. Des décisions ont été prises par et pour la zone euro et constituent, à côté et même à l’encontre des traités existants, comme un nouveau contrat d’entente monétaire, bancaire et budgétaire ; cependant les partenaires de l’accord ont, en réalité, tous des visées différentes. Leurs intérêts immédiats sont divergents et ce sont leurs intérêts respectifs qu’ils poursuivent à travers la prétendue convention. Pourquoi se leurrer ? L’affectio societatis europeana en est irrémédiablement atteinte. Pour une raison simple et connue de tous : l’affaire européenne n’est aujourd’hui plus qu’une affaire d’argent et il n’est pas d’union qui résiste aux questions d’argent. C’est le diviseur par excellence.

            Comment ne pas voir l’impossible gageure, grosse de contradictions, que se sont fixée comme but les chefs d’État et de gouvernement ? L’avenir de l’euro, de la zone euro, de l’Union européenne elle- même, en est hypothéqué. Chacun considère selon ses vues ses propres dettes, les dettes des autres, leurs assises, leur traitement et donc le règlement de l’immense question qu’elles posent. Le tout étant toujours de payer aujourd’hui le moins possible, alors que les sommes deviennent, chaque jour qui passe, plus colossales. Aussi le seul point d’accord véritable n’est jamais que d’avoir encore et toujours recours à la dette : dans tous les cas de figure, elle fait office de solution ; seulement, il n’est personne qui la conçoit de la même façon. La seule ligne commune se réduit à une opération facilement qualifiable : la dette de demain garantira la dette d’aujourd’hui qui elle-même garantit celle d’hier qui garantissait celle d’avant-hier. Une partie au passage sera épongée ; suffisamment, croit-on, pour tenir encore un certain temps en attendant on ne sait quel retournement de situation. En argot commercial, cela s’appelle de la cavalerie. Les Grecs y excellent ; ils ne sont pas les seuls.

     

    Le fonds de stabilité multiplicateur de liquidités

            D’où les efforts prodigieux pour faire croire à la solidité de l’échafaudage qui n’a été bâti par des experts à la demande des politiques que pour soutenir la machinerie mirobolante où s’effectuera la merveilleuse transformation d’une dette supplémentaire – car comment appeler ça autrement , même s’il ne s’agit que de sommes cautionnées ? – en actifs stables et pérennes à effet de levier garanti. 1 donnera 4, voire plus, répète-t-on à l’envi. En centaines de milliards, peut-être bientôt en milliers de milliards, la multiplication fait beaucoup ! 

            Klaus Regling, le directeur du FESF, sollicite déjà les Chinois de venir abonder, spontanément et sans-arrière pensée, avec la complicité du FMI, les sous-fonds du fonds qui lui-même abondera les caisses vides de l’Europe. Quel soulagement ! Il n’y aurait plus qu’à attendre ce bel argent frais qui inondera si généreusement nos pays assoiffés. Si les Chinois accourent, les Brésiliens suivront et tous les autres, Russes, Japonais…Oui, mais à quelles conditions ? A quel prix ? Il faudra en contre-partie se soumettre à leurs impératifs de développement, donc nous laisser envahir par leurs produits et leurs capitaux. C’est ce qui s’appelle être tenu.

            Quoi qu’il en soit, la zone euro, pense-t-on, aura, du coup, à sa disposition un fonds de stabilité financière à la puissance renforcée et sans doute sous peu décuplée. Les imaginations politiciennes, financières et journalistiques se complaisent dans cette assurance. Il est si facile de dire que la force de frappe financière européenne aura la capacité de repousser les assauts des forces hostiles de la spéculation. Mieux encore : les États étranglés par leur dette souveraine puiseront dans cette source intarissable les liquidités dont ils ont un urgent besoin. Quoi de mieux, en effet, que de transformer des dettes en monnaie et, pourquoi pas, jusqu’à due concurrence . Quantitative easing, disent nos amis américains. Ce sont procédés connus et vieilles habitudes que les Français seront heureux de retrouver ! Et, puisque les banques sont affectées par le poids des dettes souveraines, ce fonds pourra servir aussi pour les recapitaliser si elles n’y suffisent pas elles-mêmes, ce qui aidera à leur faire accepter les décotes desdites dettes souveraines que les politiques ont décidé en dépit de leur protestation : pour la Grèce, c’est fait à hauteur de 50 %... Ainsi les banques seront dans le coup : elles ingurgiteront plus de 100 milliards, ce qui permettra heureusement « aux privés », sur l’ordre des « publics », de participer eux aussi avec les contribuables – qui sont en fait les mêmes, « les cochons » de payants et de déposants – au sauvetage de la zone euro. Ô merveille de dévouement ! Et la BCE, déjà gorgée d’actifs pourris, pourrait ainsi reprendre son rôle souverain d’arbitrage et de contrôle, garantissant l’ensemble du système de toute la pureté de son immarcescible vocation ! Les Allemands y sont attachés.

            Que peut-il résulter de tant de combinaisons hasardeuses ? 

            L’empilement des structures cache la simple vérité de l’empilement des dettes et la complexité des systèmes mis en œuvre dissimule l’opposition évidente des points de vue sur la manière de traiter des engagements qui, s’ils ne sont pas virtuels, sortent du champ du réel.

            Les uns cherchent à faire supporter ou garantir ou monétiser ou mieux annuler en partie ou en totalité leurs dettes par les autres, autrement dit et en termes vulgaires c’est les refiler en s’en désengageant au risque de provoquer un effondrement général ou une inflation immaîtrisable ; les autres pensent à se préserver et à limiter leur implication en contraignant leurs partenaires à une rigueur jugée nécessaire dont les effets dépressifs se retourneront aussi et bientôt contre eux-mêmes. La vérité est que, malgré toutes les annonces euphorisantes, il n’y a plus de bonne solution ; il n’y a même plus de solution. La solution sera… ce qui arrivera ! Les choses iront leur train d’enfer sans qu’aucun « volontarisme » ne puisse enrayer, freiner, changer leur cours.

     

    La désunion de l’union

            Comme dans tous les mauvais accords, chacun commence à accuser l’autre et, le discours moral étant le plus naturel et le plus facile à l’homme, ces accusations réciproques sont déjà ponctuées d’une litanie expiatrice qui désigne l’autre à la vindicte publique : « c’est la faute à… ».

            On se persuade, en s’en félicitant, que la crise aura eu pour heureux résultat de faire progresser l’Europe, d’améliorer sa gouvernance, d’assurer une plus parfaite  intégration au motif qu’on a créé et qu’on va créer encore des structures supplémentaires, des organes de cohésion, de surveillance, de contrôle, d’unification avec des commissaires spécialisés, le tout assorti d’obligations nouvelles exigées par les Allemands et par Bruxelles. L’Europe fédérale serait le salut, parce que ces messieurs se sont rendu compte que l’union monétaire ne suffit pas.

            Qui ne voit que c’est le contraire qui se passe ? Dans l’atmosphère délétère où se débat l’Europe, c’est le « trompe qui peut », vieille règle des mariages de convention, qui va retrouver tous ses droits. Les politiques nationales dont l’Europe ne tenait aucun compte et qu’elle méprisait, s’imposeront comme des nécessités de salut avant que ne puisse apparaître l’ombre d’une politique fédérale. C’est déjà presque fait et cette résurgence ne laisse pas d’inquiéter. Tous les retournements sont possibles. Les peuples demandent à être protégés, rien ne sert d’agiter les spectres des jours anciens ni de dénoncer un « populisme » qualifié de stupide parce qu’il s’accroche à ses salaires, à ses usines, à ses village, à ses sous, à son pays. Il aurait peut-être mieux valu ne pas négliger ce qui fait la vie des gens. Les Grecs penseront d’abord aux Grecs, les Français aux Français, les Allemands aux Allemands qui ne joueront, quant à eux, le jeu de l’Europe que jusqu’au moment où ils se sentiront floués. Après tout, c’est normal.

     

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    Avant tout engagement, la chancelière allemande soumet aux représentants de la souveraineté allemande les plans européens...

     

     

    L’europe sous souveraineté allemande

            Le président français qui a bousculé au cours de ces trois dernières années les décisions de la chancelière allemande se voit forcé aujourd’hui de se plier à son tour aux impératifs germaniques. Libre à lui de présenter dans son discours aux Français ces impérieux rappels à l’ordre comme une pédagogie vers plus de réalisme et comme des perspectives lucides et rigoureuses vers des redressements possibles que seul son courage politique est capable d’assumer à l’encontre des folies, des rêves ou des lâchetés de tous les autres ! C’est assurément un bon argument de campagne électorale. Il n’empêche : les réunions qui se sont succédées au cours du mois d’octobre et qui précédèrent ce sommet du 21 octobre, se concentraient pour l’essentiel sur les ententes préalables entre Angela Merkel et Nicolas Sarkozy ; et il est dorénavant indubitable que c’est Angela Merkel qui fait savoir à Nicolas Sarkozy et à tous les autres que l’Allemagne dans cette crise terrible a la ferme volonté de reprendre la main. La zone euro, l’euro, et donc l’Union européenne, ne fonctionneront qu’autant que l’Allemagne y consentira. C’est dit et c’est clair ; et par deux fois, y compris le 21 octobre, elle a soumis au Bundestag les dispositions du nouveau plan de sauvetage européen puisqu’elle est responsable devant l’assemblée souveraine de l’Allemagne et que la Cour suprême de Karlsruhe n’a pas manqué de rappeler la règle irréfragable de la souveraineté allemande qui ne se partage pas. Ainsi l’Europe toute entière était suspendue au vote des députés allemands. Ce sera la règle pour l’avenir.

            Est-il possible de parler d’avancées européennes ? La rigueur va s’abattre sur la France : le gouvernement est obligé d’y aller de plus en plus vigoureusement, pour répondre à toutes les exigences. 

            Les prévisions du taux de croissance sont à la baisse. Tout l’univers français public et parapublic est criblé de dettes. Le chômage augmente, autant que les impôts et les taxes. L’Espagne et l’Italie sont menacées de perpétuelles dégradations : comment faire quand rien ne va plus ? Quant aux pays de l’union européenne qui ne font pas partie de la zone euro, comme l’Angleterre et la Pologne, ils ont fait savoir qu’ils ne comprenaient pas pourquoi tant de décisions qui les concernaient  également, étaient prises sans eux. Au point qu’une majorité d’Anglais souhaitent sortir de l’Union et que David Cameron voit une partie de ses députés se rebeller.

            Pareille ambiance est propice aux aigres propos. Ça ne manque pas. A ce jour, il n’est guère possible de dire ce qu’apportera de plus le sommet du G20 à Cannes, ces 3 et 4 novembre, dont Nicolas Sarkozy qui le préside, espérait faire un moment de clarification. Les discours ne suffisent plus. ■ 

  • Quelques leçons politiques de la crise économique, par François Reloujac

                La crise économique actuelle – ou les crises successives : économique, financière, politique – doit conduire chacun à examiner les raisons de son développement et à tirer les enseignements qui découlent des enchaînements auxquels on assiste. Sinon, il est vain de vouloir essayer d’en sortir, on ne pourra, au mieux, que retarder l’échéance. Il est difficile, dans un espace restreint d’exposer une analyse détaillée d’un phénomène complexe et ancien, c’est pourquoi il faut se contenter ici d’évoquer quelques grandes lignes.

                La première cause de la crise actuelle est politique. Elle résulte de la facilité qui a conduit les hommes politiques à réduire le fondement de leur pouvoir à une simple question financière. Depuis le triomphe américain aux lendemains de la Seconde guerre mondiale et surtout depuis l’effondrement du monde communiste, il est admis que celui qui a l’argent a le pouvoir. Dès lors, tout le discours politique contemporain a été orienté vers l’augmentation du pouvoir d’achat immédiat et son corollaire : l’achat – direct ou indirect – des voix aux élections !

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    L’élection la plus chère de l’histoire : deux milliards de dollars, c’est le montant cumulé de l’argent levé par tous les candidats (primaires y compris). A ce petit jeu, le roi s’est appellé Barack Obama. Il a accumulé à lui seul près de 700 millions de dollars, dont 500 juste pour le dernier round. C'est parce qu'il avait le plus d'argent; c'est parce que - oui - l'élection s'achète, qu'il l'a emporté haut la main.....

     

                 Pendant tout le XIXe siècle et au début du XXe, à l’époque du triomphe des idéologies, les élections mettaient aux prises des candidats qui avaient des projets politiques et philosophiques différents. Dans ces conditions, on a enregistré une « prime aux sortants » ; le suffrage universel était essentiellement conservateur. Les électeurs savaient ce qu’ils avaient, ils avaient du mal à imaginer ce qu’ils auraient s’ils décidaient de changer d’équipe… que celle-ci gagne ou perde, et l’électeur avec !

    Autrefois conservateur, le suffrage universel est devenu facteur d’alternance… et d’insatisfaction permanente

                  Depuis la deuxième moitié du XXe siècle, tous les candidats, à quelque élection que ce soit, cherchent simplement à capter le plus d’argent possible pour se présenter avec les meilleures chances de succès envisageables. Les projets qu’ils peuvent avoir passent au second plan. L’important n’est plus le contenu – le programme – mais le contenant – les slogans de campagne. Tout candidat a donc désormais recours à des « communicants » professionnels, à des agences de publicité qui, telles des savonnettes, les parent de toutes les vertus auxquelles personne ne croit mais auxquelles tout le monde rêve. Comme il faut, dans une telle compétition médiatique, que chacun se distingue, l’on assiste à un emballement des promesses suivi d’un cumul de déceptions. De conservateur, le suffrage universel est devenu le premier facteur de l’alternance… mais aussi de l’insatisfaction permanente. Sauf en cas de situation extrême, nul candidat ne peut se faire élire sur une réputation d’austérité relative. Les efforts demandés sont toujours moins populaires que les subventions promises.

                 Or, cette primauté de la question financière a évolué au cours des cinquante dernières années. Au sortir de la seconde guerre mondiale, les populations occidentales n’avaient qu’une seule envie : reconstruire leur domaine et se survivre. Peu importait alors l’inflation, puisque, de toute façon, les lendemains seraient meilleurs. Cela a duré jusque vers les années soixante-dix ; le temps d’un changement de génération. A partir de ce moment là, les nouveaux détenteurs du pouvoir ont commencé à se préoccuper de leur propre retraite, d’autant que la démographie n’était pas favorable. Elevés comme des dieux par les survivants de la guerre, ayant bénéficié d’une période d’euphorie comme il n’y en a pas eu beaucoup dans l’histoire du monde (les « trente glorieuses »…), ils ne pouvaient pas imaginer un instant que le progrès ne soit pas indéfini. Dans leur soif de profiter pendant leur jeunesse des sollicitations toujours plus nombreuses de l’offre de consommation, ils n’avaient pas voulu avoir d’enfants, pour ne pas avoir à partager avec une progéniture encombrante. L’âge avançant, ils ont constaté que demain non plus ils n’auraient pas d’enfants pour payer leur retraite et accepter que celle-ci augmente au gré de l’inflation. D’où leur décision de développer des systèmes tels que les fonds de pension dans le monde anglo-saxon ou l’assurance-vie dans le monde latin. L’envol de la dette publique et l’explosion du crédit à la consommation en sont directement issus (1) : les populations européennes vieillissantes ont une nette préférence pour l’immédiateté et ne veulent plus envisager des sacrifices présents pour assurer le futur.

                  Dans un tel contexte, le moteur de l’action est devenu la possession de la richesse immédiate et, avec la griserie des succès obtenus, chacun ne compte plus que sur lui pour obtenir le pouvoir d’achat immédiat qui lui permet de commander des biens ou des services à tout l’univers. Ce pouvoir paraît d’autant plus grand que, dans la « grande maison commune », le langage devient de plus en plus uniforme. Mais à force d’user des mêmes mots dans des contextes différents, ceux-ci finissent par prendre des sens de plus en plus divergents. L’incompréhension menace. Ainsi, lorsque les Allemands demandent à leurs partenaires de faire un effort de rigueur dans la gestion de leur économie, ils peuvent avoir économiquement raison, ils ont politiquement tort. Ils expliquent l’intérêt qu’ils ont à prôner la rigueur et développer ainsi – au détriment des autres – leur commerce international. Les autres considèrent simplement qu’ils ont contracté une tendance névrotique (2) liée à la grande dépression qu’a connue l’Allemagne entre les deux guerres mondiales et dont personne ne se prive de leur rappeler qu’elle a précédé – sinon causé – l’un des plus grands drames de l’histoire. Les arguments allemands sur le fait que nul ne peut indéfiniment vivre au-dessus de ses moyens sont devenus inaudibles à force d’être décalés par rapport au passé immédiat de l’Europe. Tout comme un agent économique qui fait de la cavalerie (3) vit dans l’euphorie jusqu’au jour où le montant des intérêts accumulés devient tel que le système qu’il a mis en place s’effondre, entraînant dans sa chute celle de ses créanciers.

    La mondialisation a engendré des « grands feudataires » d’un nouveau genre : comment leur adapter la politique capétienne ?

                 Avec la libéralisation des lois financières qui a été mis en place depuis maintenant près de quarante ans, on a vu apparaître de nouveaux pouvoirs. Au fur et à mesure que les responsables politiques ont plus ou moins consciemment lutté contre leur propre pouvoir pour donner accès aux populations qui les avaient élus à de nouveaux produits venus de partout, ils ont favorisé le développement des multinationales apatrides qui sont les grands feudataires d’aujourd’hui.

                 Ce que l’histoire de France nous apprend, c’est que le seul à avoir pu apporter aux populations ballotées entre ces divers caprices une unité bienfaisante, a été Hugues Capet,  comte de Paris. Après lui, ses héritiers ont su limiter leur pouvoir à celui qu’ils exerçaient sur des populations qui, adhérant à leurs vues, n’avaient aucune prétention à l’empire : à la différence du monde de Babel, elles n’aspiraient pas à la mise en place du « village planétaire » et de la tour orgueilleuse qui escaladerait le ciel. Aujourd’hui où l’Europe est devenue le principal vecteur de la mondialisation et où les pouvoirs indépendants les uns des autres, mais toujours égoïstes, des grandes entreprises se disputent la clientèle de populations sans maître et sans idéal, comment ne pas songer à la descendance de Robert Le Fort ?

                 Pourtant, la tâche n’est pas la même, et cela pour au moins trois raisons. La première, la plus simple, est que, comme nous l’avons vu, les grands feudataires de ce jour ne sont plus des personnes physiques faciles à identifier et localiser mais des personnes morales installées un peu partout et qui peuvent susciter l’émergence d’une nouvelle tête dès qu’on leur en coupe une ancienne. La seconde est, qu’à l’époque d’Hugues Capet, d’un point de vue juridique, le choix avait été fait d’accepter le droit du lieu géographique (le droit français en France) plutôt que le droit de la personne, contrairement à ce qu’impose aujourd’hui l’Europe avec le droit du pays d’origine, celui du prestataire de service, du marchand ! La troisième et dernière raison est que toute disposition nouvelle est immédiatement soumise à une présentation et à un jugement médiatiques. A l’époque d’Hugues Capet, cela était déjà vrai, sauf que ceux qui assuraient cette médiatisation étaient moins nombreux, que leur influence immédiate était géographiquement moins étendue, et que tous partageaient plus ou moins les mêmes valeurs, ce qui n’est plus le cas aujourd’hui. Cependant, par rapport à cette époque, le monde actuel dispose de plus de moyens. Il lui faut seulement une volonté ou, plus exactement, une rencontre de volontés : la volonté de celui qui accepte de relever le défi de servir ainsi des peuples définis et la volonté de ceux qui acceptent de se mettre à son service. Car, en donnant la primauté à l’économie, ce que notre monde a oublié, c’est que la politique est un moyen de servir et non de se servir, que c’est un service et une solidarité.

     1 La lutte contre les discriminations aussi.

    2 Selon une formule de Roland Hureaux (Le Figaro, 24 mai 2010).

    3 Celui qui emprunte non seulement pour rembourser ses dettes, mais aussi payer les intérêts qui leur sont liés.

    Cette note, rédigée à la demande du prince Jean de France, est extraite de la Lettre n° 19 de Gens de France. 

     CLIQUEZ SUR LES LIENS SUIVANTS :

    LETTRE GENS DE FRANCE (N°19).pdf

    ADHESION A GENS DE FRANCE (N°19).pdf

    ASSEMBLEE GENERALE GENS DE FRANCE.pdf

     

  • Mini dossier sur la Crise (IV): Espérance souveraine, par Hilaire de Crémiers.

    Espérance souveraine

    Bientôt vers un deuxième krach… C’est comme un sentiment général que tout se détraque… Que peut-il en advenir ?

     

                Non, les bilans généraux ne sont pas bons. Les bilans d’État. Ceux de la zone euro, ceux de l’Europe. Ceux de la France. Le fait que les États-Unis soient dans des situations comparables, n’en est pas pour autant réjouissant.

    Les 750 milliards – même encore aujourd’hui  virtuels – du plan de sauvetage européen, dont il était dit, il y a quinze jours à peine, que ce serait la digue  qui assurerait l’avenir de la construction européenne, sont déjà obsolètes, d’avance submergés, immédiatement inutiles, sauf à donner un court répit.

     

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                Les Allemands n’ont accepté et voté ce plan sous la pression américaine qu’à des conditions draconiennes, les leurs, qui le rendent pour ainsi dire impraticable, concrètement inexécutable. Et telle est bien leur volonté profonde ; tout l’art dans cette prétendue négociation consiste à imputer le défaut d’exécution aux autres partenaires pour dégager sa propre responsabilité.

    L’irréalisme du plan tout autant que les conditions qui y sont jointes dorénavant, en ont fait, à peine conçu, un replâtrage caduc.

    La spéculation est mise en cause par les États. Et, certes, ils n’ont pas tort. Ils auraient dû s’en rendre compte plus tôt, au lieu d’en jouer eux-mêmes, car ils en ont joué dans leur intérêt, par organismes financiers interposés, tant qu’elle leur était profitable ; et ils ont laissé aveuglément ou impunément les banques qui relevaient de leur souveraineté et éventuellement de leur contrôle, en user et en abuser. Quitte à demander à ces mêmes banques de les rembourser de leurs avances ! Vient un moment où tout – ou presque tout – se sait !

    Cependant la véritable raison de cet effondrement financier, demain monétaire, aux conséquences économiques, sociales et bientôt politiques, incalculables, ne tient pas d’abord et fondamentalement à la spéculation. Feindre de le croire est une excuse facile que les hommes politiques s’accordent pour ne pas assumer leur responsabilité.

     

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    Des états insolvables

     

                La crise s’explique tout uniment par la dette, les dettes, celles qui aujourd’hui grèvent les États, hypothèquent toutes leurs capacités, empêchent leur action, bouchent leurs horizons. Il y a quelques mois, quelques semaines encore, comme personne n’osait trop aborder le problème de face, les commentateurs officiels de cette crise en cours qui ne cessait, ne cesse toujours, de connaître de nouveaux rebondissements, parlaient d’un problème de liquidités. Il suffisait, disait-on, d’assurer des liquidités et le système serait sauvé ; le moteur financier, les moteurs économiques, continueraient à fonctionner. D’où des plans, encore des plans, toujours des plans pour injecter du crédit et finalement de la monnaie, qui partaient dans tous les trous qui se creusaient et que, du coup, on creusait partout ; autant d’argent, d’ailleurs, qui n’était pas mis dans les circuits où c’était nécessaire, ceux de l’activité économique réelle, capable d’engendrer de véritables plus-values.

                Cependant la vérité du problème a fini par s’imposer dans sa cruelle réalité. Ce n’est pas, ce n’est plus une question de liquidités, une affaire de trésoreries qu’il conviendrait d’assurer et qui subiraient des difficultés. C’est une question de solvabilité. C’est donc infiniment grave. Et c’est aussi, disons-le, ce qui fut et ce qui est écrit dans ces colonnes depuis déjà trois ans.

    La constatation vient pulvériser tous les raisonnements ; elle est implacable, et ses conséquences sont inéluctables. Les États concernés par la crise sont insolvables. Voilà, c’est dit ; ça commence à se dire. Comme la percée de Sedan en mai 1940 : tout était prévu, sauf ça. Qui survient précisément. Panique dans  les états-majors, aujourd’hui comme naguère. Les événements s’enchaînent sans retours-arrière possibles.

                Les Allemands qui sont les moins mal en point de tous, économiquement parlant, ne veulent pas devenir insolvables de l’insolvabilité des autres. C’est compréhensible. Ils prennent déjà les mesures pour empêcher la spéculation sur leurs dettes souveraines. L’idée de mettre les dettes en commun, de les « européaniser » ne leur sourit pas. Un fonds monétaire européen où ils seraient financièrement les plus engagés, au prétexte de soutenir un euro qui, dans leur esprit, commencerait à davantage ressembler à la drachme qu’au deutschmark, ne saurait leur agréer. Pas plus que ne leur plaît le fait – gravissime pour eux – que la BCE se mette tout à coup à acheter de la dette d’État, grecque en particulier. C’est évidemment contraire à tous les dogmes financiers sur lesquels, à leur demande, la Banque centrale de Francfort avait été instituée. Autant dire que cette dette est monétisée, vieux procédé de la planche à billets que les fabricateurs de l’Europe intégrée et de l’euro avaient voulu justement exorciser. À quoi sert donc l’euro, en pareil cas ? Nécessité oblige, répond-t-on d’un air gêné sans donner de vrais chiffres. Trichet tricherait-il ? Pour quelle bonne cause ? Pour maintenir des taux obligataires raisonnables ? Pour arracher des États à la banqueroute forcée ? Au final, pour sauver l’euro ?

                Mais les Allemands ne voient pas du tout cette nécessité. Angela Merkel, tiraillée entre des influences contradictoires tant extérieures qu’intérieures – sa coalition est émiettée – n’a pas manqué de signaler ouvertement que l’euro était en question. Les Allemands ont donc exigé des compensations et des engagements précis. La Commission européenne et la présidence de l’Union s’en sont emparé aussitôt pour en faire un programme qui leur donne l’illusion d’exister dans cette crise. Et les ministres des Finances font réunion sur réunion pour trouver des accords qui n’en sont pas, au motif de stabiliser la zone euro. Elle est instable par nature. Alors Merkel et Schäuble ont donné leurs ordres.

     

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    La Chancelière Angela Merkel et son Ministre des Finances, Wolfgang Schäuble

     

    La rigueur ou/et la mort de l’euro

     

                Les budgets nationaux devront être supervisés par la Commission européenne et – les Allemands ont réclamé en plus cette précision – par des organismes indépendants, avant même d’être votés par les parlements nationaux. Autant dire que les chambres de députés n’exercent plus les droits de leur prérogative souveraine de représentations nationales ; et autant dire, aussi et d’ailleurs, qu’elles les exercent fort mal ; ce qui est, évidemment, plus que vrai. Les Anglais ont tout de suite, conformément à leur histoire nationale, récusé cette instance supérieure.

                Des mesures concrètes et immédiates de baisse des dépenses d’État et d’amélioration des finances publiques doivent être prises par tous les États de la zone euro, et aussi par tous ceux de l’Union européenne qui bénéficient des fonds européens sous une forme ou sous une autre.

                Ne serait-ce que pour arrêter la dégradation de leurs propres finances et, en conséquence, des notes relatives à leurs dettes souveraines qui risquent d’affecter terriblement, peut-être irréversiblement, leurs emprunts obligataires, les États ont dû, non seulement annoncer, mais entamer des plans de rigueur et là, sans les vaines  fioritures que les responsables français se croient obligés d’employer. La Grèce, l’Espagne, le Portugal, l’Irlande, l’Italie, l’Allemagne elle-même et l’Angleterre de Cameron aussi, tous les pays concernés, quel que soit leur gouvernement, frappent fort : c’est drastique, la taille est de l’ordre de 5 %, voire de 10 % tant dans les budgets que dans les salaires ; les impôts augmentent d’autant. Cameron en particulier y va très fort et donne l’exemple en commençant par rogner dans les émoluments ministériels et politiciens ; ça donne envie de crier bravo, trois fois bravo !

                Quant à la France, ne touchant pratiquement à rien, – le peut-elle seulement ? – elle entend son président proclamer que les déficits seront proscrits pour l’avenir par voie constitutionnelle. Comment faire avec les chiffres effarants qui augmentent tous les jours ? Et d’abord il n’est pas dit que la réforme de la Constitution puisse passer, et puis n’y a-t-il pas quelque chose d’absurde et de ridicule dans tous ces grands engagements qui ne font que souligner davantage les effroyables sujétions d’habitudinaires invétérés ? Une Constitution organise le fonctionnement des pouvoirs publics et ne vise pas le comportement des hommes ! Et, pendant ce temps, le gouvernement français essaye de laisser penser que peut-être il faudra songer sans doute à allonger éventuellement le temps de vie au travail, si les Français ne veulent pas que le système de retraite par répartition que, bien sûr, il n’est pas même envisagé de changer, n’explose ! La France est en retard, prend chaque jour du retard. Dans tous les domaines. Comme les investisseurs ont besoin de placements, son crédit souverain pour le moment ne souffre pas ! Mais pour combien de temps ?

                Cependant l’Allemagne a aussi exigé des sanctions contre les États récalcitrants, ceux qui ne suivraient pas les normes qu’elle a fixées. Droit de vote supprimé dans les instances européennes et, renouvellement de la pensée maestrichienne, pénalités financières pour ceux qui ne sont pas bon financièrement : gravité de la faute, aggravation de la situation du coupable ! Jusqu’où ? Jusqu’à la sortie de l’euro ! Cela a été dit. Clairement.

     

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    Les fourmis en ont assez des cigales.....

     

    L’impossible dilemme

     

                S’il est permis de risquer quelques pronostics, toujours sujets à caution en ces matières, il est des directions générales qui se profilent suffisamment pour discerner quelques évolutions politiques futures. L’Allemagne se tirera, elle, de cette crise ; elle a refait son unité et ses assises et, sur son pourtour, toute sa zone d’influence ; reste son problème central qui est moral avant même d’être démographique. L’Angleterre a toujours un ressort nationaliste qui la sauve de son égoïsme et de sa sottise démocratique ; c’est le cas aujourd’hui. Elle se moque de l’euro, en dépit des discours, et maintiendra sa livre qui lui garantit son indépendance. Elle aussi, son problème est d’abord moral avant même d’être économique. Les États-Unis pragmatiques conservent la totale souveraineté de leur dollar ; ils rachètent leur dette, en s’appuyant sur leur puissance. Ils veulent sauver leur économie. Leur souci réel, c’est la Chine ; ils traitent donc avec la Chine, carte forcée. L’euro ne compte pour eux que dans leur jeu monétaire. Les États-Unis n’ont besoin que de retrouver leur foi et leur dynamisme.

                Et la France ? Il est dès à présent à craindre qu’elle ne suive le sort de la Grèce, de l’Espagne, du Portugal… Malgré tout ce que racontent les commentateurs officiels. Quelques esprits libres, comme Yves de Kerdrel, osent le pronostiquer. La France présidera le G20 du mois de juin : elle fera des discours sur une régulation financière qu’Obama a déjà fait entériner aux États-Unis !

                Le malheur veut que les peuples du sud de l’Europe, qui plus que d’autres auraient besoin de monarchies fortes, c’est-à-dire indépendantes et libres, garanties supérieures de toutes les libertés vraiment populaires, soient livrés à des politiciens démagogues et littéralement enchaînés à des institutions aussi inefficaces que corrompues où la surenchère électorale est la règle. Comment pourraient-ils s’en sortir ?  Le président de la République française n’est pas un roi, hélas ! Il faut être sot comme nos journalistes officiels pour se l’imaginer. N’est pas Ulysse qui veut.

                Le dilemme de nos peuples est simple : ou ils se lancent dans une politique de rigueur qu’ils ne peuvent supporter, qui ébranlera leur peu d’unité sociale, en tuant en même temps toute tentative de croissance… et, alors, tout explose, y compris vraisemblablement l’euro ; ou ils prétendent sauver leur indépendance, garder leurs habitudes, aménager leur situation économique sans en avoir vraiment les moyens… et la zone euro ne peut durer. Il leur faut dès maintenant songer à une solution de rechange. La vérité est que ces peuples et leurs responsables sont aujourd’hui incapables d’anticiper sur les événements : les deux branches du dilemme sont de toute façon périlleuses, voire catastrophiques, donc, dans l’état actuel des choses et des esprits, inimaginables ! Pour sortir d’un dilemme, il faut un esprit et une volonté. Le problème de la France, avant même que d’être moral, est politique ; politique d’abord. Un Henri IV, que la France a célébré en ce mois de mai, avait su en son temps sortir son pays d’un dilemme, lui aussi, apparemment insoluble. La solution était politique, c’était lui : le Roi.

     

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  • Mini dossier sur la Crise (5/5): Le dérapage, par François Reloujac.

    Le dérapage

    Réunions sur réunions pour annoncer en début de semaine que tout est sauvé et pour s’apercevoir en fin de semaine que tout est perdu.

     

     

                Début mai 2010, les dirigeants politiques de l’Europe ont fait prendre à la crise un nouveau tournant. Et ce virage semble ne pas avoir été contrôlé. Réunis à Bruxelles pendant le week-end du 8 mai, ils ont décidé de frapper un grand coup. Puisque toutes leurs déclarations précédentes en faveur d’un soutien à la Grèce n’avaient convaincu personne, et surtout pas les spéculateurs internationaux, ils ont décidé de provoquer un électrochoc en adoptant un nouveau « plan » hors de proportion avec tout ce sur quoi on discutait antérieurement. On chipotait pour accorder une aide de 40 milliards d’euros à la Grèce, on va mettre en place un plan de plus de 750 milliards ! La première réaction des marchés financiers a été spectaculaire : en une journée, ils ont gagné au total près de 10 %. Il faut dire que le signal était fort : les États membres qui ont adopté l’euro ne le laisseront pas tomber ; et cela, quoiqu’il pût en coûter.

     

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                Quand on a affaire à une spéculation généralisée dont le principe de base s’apparente à celui d’un jeu de poker, une telle stratégie s’appelle montrer  son jeu à l’adversaire. Celui-ci connaît désormais les atouts dont on dispose et les annonces que l’on va faire. Les médias, qui se focalisent sur l’instant qui passe avec fugacité, ont salué l’euphorie boursière et la confiance retrouvée ! Mme Lagarde a eu beau dire que les marchés avaient sur-réagi, elle ne pouvait pas aller jusqu’à expliquer que le plan qu’elle venait de cautionner était dangereux. Les jours qui ont immédiatement suivis la présentation de ce nouveau plan ont été marqués par des mouvements boursiers très exagérés et par une chute rapide de l’euro sans pour autant que celui-ci ne retombe à sa parité de pouvoir d’achat avec le dollar. En fait, la confiance semble avoir fui pour longtemps. Cela est normal dans la mesure où « quand les déficits filent et que les caisses publiques se vident, les investisseurs sont inquiets. Quand les gouvernements décident des mesures d’austérité, les investisseurs craignent alors qu’il n’y ait plus de croissance » (1).

                Avec cette décision du 8 mai 2010, comme l’a reconnu Angela Merkel, on a juste « gagné un peu de temps ». Comment, dans un monde où les liquidités sont trop importantes – et nourrissent la spéculation – peut-on penser calmer le jeu de cette spéculation en injectant de nouvelles liquidités dans le système ? Si quelqu’un en doutait encore, il est absolument évident que les États européens, tout comme les États-Unis, font de la cavalerie (2). C’est-à-dire que, rapidement, il apparaîtra inéluctablement que ces 750 milliards seront devenus insuffisants. On sera obligé de recommencer… jusqu’à quand ?

     

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    "...il est absolument évident que les États européens, tout comme les États-Unis, font de la cavalerie..."

     

    Un mécanisme de cavalerie

     

                Au bout de quelques jours, les Européens se sont aperçu qu’ils n’avaient pas la même interprétation de l’accord auquel ils étaient parvenus. Les Français et leurs partenaires – sauf les Allemands – avaient compris que tous les Parlements devraient se prononcer en une seule fois sur le plan. Les Allemands ont expliqué à partir du 18 mai que, non seulement le Bundestag devrait se prononcer sur l’ensemble du plan, mais que, de plus, il se prononcerait chaque fois qu’un pays en difficulté demanderait la mise en œuvre dudit plan. Ce qui équivaut à s’arroger un droit de veto sur tous les déblocages. Il est vrai que la solidarité mise en œuvre par le plan pourrait coûter cher aux Européens, ou du moins à certains d’entre eux. Si, au moment de l’appel des fonds par le pays en difficulté, un de ceux qui doit intervenir ne peut le faire, la charge correspondante sera répercutée sur les autres. C’est pourquoi, selon le ministre allemand de l’économie, Wolfgang Schäuble, tout État qui demanderait la mise en jeu à son profit du plan de solidarité devrait automatiquement être privé du droit de vote au sein du Conseil européen. En dehors des questions politiques que ces disparités ne manquent pas de susciter, les difficultés ne pourront que croître rapidement, pour deux raisons.

                Ce mécanisme de cavalerie a été décidé et mis en place pour permettre aux États les plus endettés de se « refaire ». Exactement comme le joueur qui a déjà perdu toute sa fortune au jeu et qui emprunte à nouveau pour pouvoir continuer de jouer et essayer de parvenir enfin à récupérer une partie de ce qu’il a perdu. Pour aider le joueur en question dans cette quête, pour aider tout Etat endetté à se désendetter, les autres joueurs lui imposent de nouvelles règles : une cure d’austérité drastique. Il faut tailler immédiatement dans les déficits publics. Ces nouvelles règles sont extrêmement dangereuses. En effet, alors que les États n’arrivent déjà pas à rembourser ce qu’ils doivent, on leur impose un mécanisme qui va conduire les populations à travailler deux fois plus en étant payés deux fois moins. Le risque d’une dépression sans précédent est grand. Mais c’est à ce seul prix que les États endettés auront droit à la manne bruxelloise qui leur fera gagner un peu de temps. Et comme il n’y en aura pas pour tout le monde, seuls les premiers à entrer dans le jeu seront servis. C’est ce qu’a compris le Premier ministre espagnol qui, dès le 12 mai a annoncé une baisse de 10 % du salaire de tous les fonctionnaires ; imité, dès le lendemain par le Premier ministre portugais. Il est vrai que les utopistes de l’Europe pensent avoir la solution : si la dépression continue à enfler en Grèce, au Portugal, en Espagne, en Italie ou en France, les populations de ces pays pourront toujours aller travailler en Allemagne ! Va-t-on devoir rendre demain les délocalisations obligatoires ? Un seul marché du travail à l’échelon européen – à moins que ce ne soit à l’échelle mondiale – et suspension des allocations de chômage à toute personne qui aura refusé un emploi, fut-il situé aux antipodes dans un État où les couvertures sociales n’existent pas ! Mme Lagarde ne s’y est pas trompée quand, dans une interview accordée aux Échos, le 11 mai, elle a reconnu que ce plan de sauvetage européen contenait « plus qu’une once de fédéralisme puisque le fonds européen fera des émissions pour acheter des titres ou proposer des prêts ». La prétention de la Commission européenne de contrôler les projets de budget des États avant de les soumettre aux parlements nationaux va bien dans le sens de ce fédéralisme accru.

     

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    Les deux Ministres des Finances, Christine Lagarde et Wolfgang Schäuble...

     

    Le cercle vicieux

     

                La deuxième raison qui va conduire à accroître les difficultés résulte de la question de savoir qui va prêter les sommes empruntées par l’Union européenne. Les États ? Ils n’ont pas d’argent. Ils devront eux-mêmes emprunter les sommes nécessaires. On va donc, faire appel aux banques pour souscrire… les obligeant à se refinancer elles-mêmes auprès de la Banque Centrale Européenne, dont le président va une nouvelle fois avaler son chapeau en inondant les marchés d’un argent quasi gratuit et en « achetant des dettes souveraines d’États toxiques » (3). Parallèlement, les banques risquent de commencer à se méfier les unes des autres, pour la même raison qu’elles ne se faisaient plus confiance au moment de la faillite de Lehman Brothers. En effet, elles vont mutuellement se soupçonner d’être plus exposées qu’elles ne le disent à une banqueroute de la Grèce, du Portugal, de l’Espagne, de l’Italie, de l’Irlande, du Royaume-Uni ou de la France. C’est pourquoi, afin que les banques puissent elles-mêmes prêter cet argent – qu’elles n’ont pas – elles vont devoir faire un effort pour expliquer aux agences de notation qu’elles sont solides. En particulier, conformément aux règles prudentielles internationales, elles vont devoir « mobiliser » des fonds propres, ce qui diminuera leur capacité à prêter aux entreprises pour investir et relancer l’économie. Il va donc y avoir un nouveau transfert des capacités de financement vers la seule charge de la dette financière antérieure. Comme les politiques ne pourront pas assister sans rien dire à cette désertion des banques, ils ne manqueront pas de ne pas remplir leur mission et décideront d’emprunter encore un peu plus pour réinjecter ces sommes empruntées aux banques dans le capital desdites banques pour leur permettre de prêter un peu plus aux autres agents économiques dans un processus de fuite en avant (faisant ainsi jouer un « effet de levier »). D’autant que, démagogie et keynésianisme obligent, on demandera aux banques de faire un effort tout particulier dans le crédit à la consommation, économiquement stérile.

     

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    Quel mécanisme ?

     

                Dès le 10 mai, l’éditorialiste du Monde expliquait pourquoi, selon lui, le plan ne pouvait qu’échouer. En focalisant son analyse sur le seul cas grec, mais son raisonnement peut être généralisé, il constatait que l’on ne pourrait jamais faire l’économie d’une « restructuration » de la dette, ce qui signifie que les prêteurs ne rentreront jamais intégralement dans leurs fonds. Peu importe le mécanisme que l’on mettra en place pour cela (l’inflation ? l’explosion de l’euro ? le changement de système monétaire international ?...), il arrive un moment où un retour à la santé ne peut pas se faire sans une opération chirurgicale. Après avoir constaté le coût proprement insupportable pour les populations de la purge qui leur est imposée, il concluait : « De plus, du fait que les créanciers sont aujourd’hui payés pour s’enfuir, qui les remplacera ? À coup sûr, ce plan échouera à réintégrer à des conditions gérables la Grèce sur le marché dans quelques années ». Si, les chefs d’État et de gouvernement ont donné leur accord à un tel plan c’est probablement qu’ils espèrent repousser la défaillance de la Grèce – et des autres États surendettés – jusqu’à une époque meilleure où le climat économique sera redevenu plus calme… À moins qu’ils n’aient voulu donner des gages au Président américain que la valeur de l’euro ne baissera pas au point de rendre impossible la réévaluation du yuan.

     

    1 Y.A. Noghès, La Tribune, 18 mai 2010.

    2 Faire de la cavalerie, c’est emprunter pour rembourser ou, comme le sapeur Camember, faire un trou pour en boucher un premier… sauf qu’il y a des « pertes en ligne » et que pour boucher le trou précédent  il faut faire un trou plus grand, et ainsi de suite.

    3 Cf. Isabelle Mouilleseaux, La Chronique Agora, 10 mai 2010.

     

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  • France - Allemagne : Relation de couple ou dangereuse compétition ?

                Dans le numéro d'octobre de Politique Magazine, François Reloujac, comme chaque mois, analyse la situation économique.

                Il y définit remarquablement les lignes de force des rapports France-Allemagne et de façon si précise, si fondamentale que nous publions, ici, cet article in extenso.

                Ses conclusions nous paraissant pérennes, du moins pour longtemps, nous l'incluons, aussi, dans nos "pages" (bas de la colonne de droite du blog) où l'on pourra toujours le consulter.

                Alors que les mouvements de capitaux étaient encore équivalents aux échanges de biens et de services au début des années 80 dans la quasi-totalité des pays européens, ils représentaient en 2008 un montant quatre fois plus élevé en Allemagne et dix fois plus en France. Cette évolution des statistiques financières n’est qu’une partie visible des divergences croissantes entre les économies des deux pays. 

                Si, eu égard à l’importance de son commerce international, le montant des échanges financiers internationaux est moins important en Allemagne qu’en France, l’industrie allemande est moins tributaire des investissements internationaux que l’industrie française. D’autant que ce que l’on range parmi les investissements étrangers en France représente en fait souvent des prises de contrôle des industries françaises par des intérêts étrangers. En France, plus de 46 % de la capitalisation boursière est entre les mains des fonds internationaux, ce qui n’est pas le cas outre-Rhin ; les entreprises françaises sont donc aujourd’hui beaucoup plus vulnérables que celles d’outre-Rhin aux opérations de délocalisation. Si le commerce extérieur de la France dépend largement du fonctionnement de l’économie allemande, de ses achats, celui de l’Allemagne est plus lié à la santé de l’économie des États-Unis et de la Chine. Si la France assure 3,5 % du commerce mondial, l’Allemagne en couvre 11 % ; les exportations allemandes représentent 50 % de son PIB alors que les françaises n’atteignent que 29 %. Enfin, quand la France délocalise ses usines de production en Afrique ou en Asie, l’Allemagne se tourne plus vers les anciens pays de l’Europe de l’Est. Ces quelques différences particulièrement visibles entre les deux partenaires affectent peu ou prou l’ensemble de l’Europe. 

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    Deux économies étroitement liées : l'Allemagne est désormais le premier investisseur étranger en France, surtout dans l'énergie, les activités commerciales et financières, les équipement électroniques, médicaux, les télécoms, l'automobile. Et ce sinvestissements se situent principalement en Île-de-France, en Rhône-Alpes et en Provence-Alpes-Côte d'Azur. La France, elle, est le quatrième investisseur étranger en Allemagne. Ses investissements vont dans les industries chimiques, automobiles, aéronautiques, les produits de luxe, et se concentrent plutôt sur l'ouest du territoire, à l'exception de Berlin....


     
    Incompatibilité d’intérêts 

                 Le système économique européen est, dans la pratique actuelle, un système qui recèle des déséquilibres tels qu’il est insoutenable à terme. Deux stratégies économiques opposées se révèlent particulièrement problématiques : la stratégie de désinflation compétitive pratiquée notamment par l’Allemagne et la stratégie de consommation inflationniste que suivent la Grèce et l’Espagne... et, dans une moindre mesure, la France. Ni l’une ni l’autre n’assure à long terme un régime équilibré de croissance tandis que leur confrontation affecte l’ensemble européen en pesant sur ses performances économiques et en y instaurant une instabilité potentiellement explosive. Les pays en excédent commercial, dont les autres pays européens assurent les principaux débouchés, connaissent en fait une croissance inférieure à la moyenne de la zone. La désinflation compétitive des premiers freine la croissance des seconds ; l’inflation augmentera demain les taux d’intérêt pour tous, y compris pour les pays « vertueux ». 
                La monnaie unique a rendu incompatibles les intérêts des divers pays européens. C’est ainsi, par exemple, que, quand on vend surtout des services à la personne ou de l’immobilier résidentiel, on ne peut capitaliser sur l’explosion de la demande chinoise comme le fait l’Allemagne. Dans un tel contexte, les politiques économiques de la France et de l’Allemagne s’éloignent de plus en plus et la divergence de leurs intérêts s’accroît. Plus l’euro est fort et le dollar faible plus l’industrie manufacturière spécialisée allemande gagne de l’argent tandis que le commerce extérieur de la France devient plus déficitaire. Si l’Allemagne peut exporter aux États-Unis des machines-outils vendues en euros, en dehors de l’aéronautique vendue en dollars, la France y exporte essentiellement des produits de luxe, des vins et des spiritueux. Quand le cours de l’euro s’envole par rapport à celui du dollar les Allemands conservent leur marge et obtiennent un pouvoir d’achat en dollar plus élevé tandis que les Français perdent des revenus nets. Lorsque la crise économique éclate aux États-Unis, les Allemands continuent à y vendre un peu plus longtemps que les Français. 
                Depuis la création de la zone euro, l’Allemagne a profité de la stabilité monétaire pour compenser « l’extrême faiblesse de sa demande intérieure par une demande extérieure vigoureuse » (Martin Wolf, Le Monde), notamment de la part de ses partenaires de la zone euro. En fait, les performances de l’économie allemande s’expliquent par des efforts pour être plus compétitifs que ses partenaires, en réalité considérés comme ses concurrents. Si, au lieu d’acheter les produits allemands, ses partenaires cherchaient eux-aussi à mettre en œuvre des gains de compétitivité, il en résulterait une spirale récessionniste auto-entretenue. Celui qui voudrait faire à nouveau la différence, devrait alors redoubler d’efforts, c’est-à-dire accroître les sacrifices demandés à la population active en comprimant les salaires et réduisant les diverses prestations sociales qui alourdissent les charges. Dans ce schéma déflationniste, il serait toujours possible de progresser « aussi longtemps que le zéro absolu socialement supportable » (Chronique Agora) ne serait pas atteint. 
     
    Des modèles opposés 

                Est-ce à dire que l’Allemagne a désormais acquis une position de domination que nul en Europe ne saurait lui contester ? Assurément non. Des statistiques publiées outre-Rhin au début du mois de septembre faisaient état d’une baisse de la population pour la sixième année consécutive (l’Allemagne aurait perdu 500 000 habitants au total depuis 2003) et une remontée du chômage dont le taux serait désormais de 7,4 % de la population active (Ce taux de chômage moyen cache mal une très forte disparité : entre 2,7 % aux Pays-Bas et 13,4 % en Espagne). Dans le même temps la population de la France continuait à croître. Certes, le taux de chômage est plus important en France mais, de 1998 à 2010, pendant que le nombre des emplois augmentait de 7 % en Allemagne il progressait de plus 11 % en France. Or, la différence entre les deux évolutions de la population globale n’est pas seulement due à la différence entre les soldes migratoires car les Allemands aussi connaissent une importante vague d’immigration ; la différence entre le nombre des emplois créés ne résulte pas uniquement des emplois du secteur industriel car, en France, la croissance s’est surtout faite dans le secteur tertiaire… difficilement délocalisable ! 

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                Que ce soit au regard de la recherche de compétitivité économique, de l’importance des mouvements financiers ou de la politique des retraites, le modèle économique de la France et celui de l’Allemagne sont diamétralement opposés : pour l’Allemagne, il faut favoriser l’emploi, fût-il à temps partiel et fût-ce au détriment de la consommation ; pour la France, il faut relancer la croissance par la consommation ! Les deux plans pourraient être complémentaires si les deux pays n’avaient pas la même monnaie et pouvaient donc, périodiquement, procéder à des ajustements de parité. Avec une monnaie unique, mais des fiscalités différentes et des politiques sociales divergentes, les tensions économiques graves sont inéluctables. 
     
    Des élites désarmées 

                Il ne faut cependant pas penser que l’Allemagne pourra à elle seule tirer l’économie européenne et la remettre sur le chemin de la croissance. En effet, si l’industrie allemande est encore puissante, la population ne bénéficie pas véritablement de cet avantage concurrentiel. Profitant de la relative faiblesse des syndicats dans la période qui a suivi la réunification, les grandes entreprises ont imposé à l’ensemble de la population des choix de plus en plus difficiles à assumer. Le développement du travail précaire, l’accroissement de la durée des « stages », la baisse relative des salaires (pour lutter contre l’inflation), la hausse de la TVA (pour augmenter la compétitivité), toutes les mesures prises dans l’intérêt de l’industrie allemande sont de plus en plus incompréhensibles pour une population qui a le sentiment d’être entrée dans une phase de paupérisation. Ce qu’il y a de dramatique dans cette évolution, alors que les médias amplifient les exigences, c’est que les Allemands, comme les autres Européens, finissent par constater que leurs élites politiques sont tout autant désarmées qu’eux devant l’évolution de la situation. Plus personne ne sait comment y faire face, soit que les élites dirigeantes soient empêtrées dans une analyse de type libéralo-keynésienne qui, pour être largement partagée, n’en est pas moins inadaptée, soit qu’elles ne se sentent pas assez fortes – ou légitimes – pour braver l’égoïsme superbe des Américains et la discrète ambition des Chinois. 
                Alors que la création d’une monnaie unique, plutôt que d’une monnaie commune européenne avait été dictée dans les années 1990 par le souci de permettre à tous les États de la zone d’emprunter au même taux avantageux (le taux allemand), avec la crise ces taux se sont éloignés les uns des autres… favorisant un peu plus l’économie allemande au détriment de celles des autres États membres. La France n’est pas épargnée, qui risque de perdre son « triple A » ! En période d’euphorie monétaire, les pays les moins développés avaient bénéficié d’un effet de rattrapage ; avec la crise les économies les plus puissants vampirisent les plus faibles. « Il est clair que si les divergences se creusent entre la France et l’Allemagne, les deux pays vont avoir des besoins symétriquement inverses sur le plan monétaire : l’Allemagne jouera la carte de la maîtrise des coûts, et de la lutte contre l’inflation, la France surendettée misera sur la relance par les salaires et aura intérêt à voir sa dette grignotée naturellement par un minimum d’inflation », analysait un haut fonctionnaire français au plus fort de la crise financière ». ■ 

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  • Mieux connaître, pour mieux comprendre et mieux évaluer... : Regards croisés sur l'Islam (IV)

                Aujourd'hui, la parole est à Claude Lévi-Strauss.

     

                Voici un extrait significatif de Tristes Tropiques, publié en 1955, l'auteur ayant, alors, 47 ans.

     

     

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    « Sans doute nous berçons-nous du rêve que l’égalité et la fraternité régneront un jour entre les hommes sans que soit compromise leur diversité» 

                 C’était surtout l’Islam dont la présence me tourmentait (…). Déjà l’Islam me déconcertait par une attitude envers l’histoire contradictoire à la nôtre et contradictoire en elle-même: le souci de fonder une tradition s’accompagnait d’un appétit destructeur de toutes les traditions antérieures. (…)

                 Dans les Hindous, je contemplais notre exotique image, renvoyée par ces frères indo-européens évolués sous un autre climat, au contact de civilisations différentes, mais dont les tentations intimes sont tellement identiques aux nôtres qu’à certaines périodes, comme l’époque 1900, elles remontent chez nous aussi en surface.

                 Rien de semblable à Agra, où règnent d’autres ombres: celles de la Perse médiévale, de l’Arabie savante, sous une forme que beaucoup jugent conventionnelle. Pourtant, je défie tout visiteur ayant encore gardé un peu de fraîcheur d’âme de ne pas se sentir bouleversé en franchissant, en même temps que l’enceinte du Taj, les distances et les âges, accédant de plain-pied à l’univers des Mille et une Nuits (…).

                Pourquoi l’art musulman s’effondre-t-il si complètement dès qu’il cesse d’être à son apogée ? Il passe sans transition du palais au bazar. N’est-ce pas une conséquence de la répudiation des images ? L’artiste, privé de tout contact avec le réel, perpétue une convention tellement exsangue qu’elle ne peut être rajeunie ni fécondée. Elle est soutenue par l’or, ou elle s’écroule. (…)

     

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    "N’est-ce pas une conséquence de la répudiation des images ? L’artiste, privé de tout contact avec le réel, perpétue une convention tellement exsangue qu’elle ne peut être rajeunie ni fécondée...."
     

                Si l’on excepte les forts, les musulmans n’ont construit dans l’Inde que des temples et des tombes. Mais les forts étaient des palais habités, tandis que les tombes et les temples sont des palais inoccupés. On éprouve, ici encore, la difficulté pour l’Islam de penser la solitude. Pour lui, la vie est d’abord communauté, et le mort s’installe toujours dans le cadre d’une communauté, dépourvue de participants. (…)

                N’est-ce pas l’image de la civilisation musulmane qui associe les raffinements les plus rares - palais de pierres précieuses, fontaines d’eau de rose, mets recouverts de feuilles d’or, tabac à fumer mêlé de perles pilées - servant de couverture à la rusticité des moeurs et à la bigoterie qui imprègne la pensée morale et religieuse? 

                Sur le plan esthétique, le puritanisme islamique, renonçant à abolir la sensualité, s’est contenté de la réduire à ses formes mineures: parfums, dentelles, broderies et jardins. Sur le plan moral, on se heurte à la même équivoque d’une tolérance affichée en dépit d’un prosélytisme dont le caractère compulsif est évident. En fait, le contact des non-musulmans les angoisse. Leur genre de vie provincial se perpétue sous la menace d’autres genres de vie, plus libres et plus souples que le leur, et qui risquent de l’altérer par la seule contiguïté.

                Plutôt que de parler de tolérance, il vaudrait mieux dire que cette tolérance, dans la mesure où elle existe, est une perpétuelle victoire sur eux-mêmes. En la préconisant, le Prophète les a placés dans une situation de crise permanente, qui résulte de la contradiction entre la portée universelle de la révélation et de la pluralité des fois religieuses. Il y a là une situation paradoxale au sens « pavlovien », génératrice d’anxiété d’une part et de complaisance en soi-même de l’autre, puisqu’on se croit capable, grâce à l’Islam, de surmonter un pareil conflit. En vain d’ailleurs: comme le remarquait un jour devant moi un philosophe indien, les musulmans tirent vanité de ce qu’ils professent la valeur universelle de grand principes - liberté, égalité, tolérance - et ils révoquent le crédit à quoi ils prétendent en affirmant du même jet qu’ils sont les seuls à les pratiquer.

                Un jour à Karachi, je me trouvais en compagnie de Sages musulmans, universitaires ou religieux. A les entendre vanter la supériorité de leur système, j’étais frappé de constater avec quelle insistance ils revenaient à un seul argument: sa simplicité. (…) Tout l’Islam semble être, en effet, une méthode pour développer dans l’esprit des croyants des conflits insurmontables, quitte à les sauver par la suite en leur proposant des solutions d’une très grande (mais trop grande) simplicité. D’une main on les précipite, de l’autre on les retient au bord de l’abîme. Vous inquiétez-vous de la vertu de vos épouses ou de vos filles pendant que vous êtes en campagne ? Rien de plus simple, voilez-les et cloîtrez-les. C’est ainsi qu’on en arrive au burkah moderne, semblable à un appareil orthopédique (…).

     

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    "...voilez-les et cloîtrez-les. C’est ainsi qu’on en arrive au burkah moderne, semblable à un appareil orthopédique..." 
     
     

                Chez les Musulmans, manger avec les doigts devient un système: nul ne saisit l’os de la viande pour en ronger la chair. De la seule main utilisable (la gauche étant impure, parce que réservée aux ablutions intimes) on pétrit, on arrache les lambeaux et quand on a soif, la main graisseuse empoigne le verre. En observant ces manières de table qui valent bien les autres, mais qui du point de vue occidental, semblent faire ostentation de sans-gêne, on se demande jusqu’à quel point la coutume, plutôt que vestige archaïque, ne résulte pas d’une réforme voulue par le Prophète – "ne faites pas comme les autres peuples, qui mangent avec un couteau"  - inspiré par le même souci, inconscient sans doute, d’infantilisation systématique, d’imposition homosexuelle de la communauté par la promiscuité qui ressort des rituels de propreté après le repas, quand tout le monde se lave les mains, se gargarise, éructe et crache dans la même cuvette, mettant en commun, dans une indifférence terriblement autiste, la même peur de l’impureté associée au même exhibitionnisme. (…)

                Si un corps de garde pouvait être religieux, l’Islam paraîtrait sa religion idéale: stricte observance du règlement (prières cinq fois par jour, chacune exigeant cinquante génuflexions; revues de détail et soins de propreté (les ablutions rituelles); promiscuité masculine dans la vie spirituelle comme dans l’accomplissement des fonctions religieuses; et pas de femmes.

                Ces anxieux sont aussi des hommes d’action; pris entre des sentiments incompatibles, ils compensent l’infériorité qu’ils ressentent par des formes traditionnelles de sublimations qu’on associe depuis toujours à l’âme arabe: jalousie, fierté, héroïsme. Mais cette volonté d’être entre soi, cet esprit de clocher allié à un déracinement chronique (…) qui sont à l’origine de la formation du Pakistan (…). C’est un fait social actuel, et qui doit être interprété comme tel: drame de conscience collectif qui a contraint des millions d’individus à un choix irrévocable (…) pour rester entre musulmans, et parce que qu’ils ne se sentent à l’aise qu’entre musulmans.

                Grande religion qui se fonde moins sur l’évidence d’une révélation que sur l’impuissance à nouer des liens au-dehors. En face de la bienveillance universelle du bouddhisme, du désir chrétien de dialogue, l’intolérance musulmane adopte une forme inconsciente chez ceux qui s’en rendent coupables; car s’ils ne cherchent pas toujours, de façon brutale, à amener autrui à partager leur vérité, ils sont pourtant (et c’est plus grave) incapables de supporter l’existence d’autrui comme autrui. Le seul moyen pour eux de se mettre à l’abri du doute et de l’humiliation consiste dans une« néantisation » d’autrui, considéré comme témoin d’une autre foi et d’une autre conduite. La fraternité islamique est la converse d’une exclusive contre les infidèles qui ne peut pas s’avouer, puisque, en se reconnaissant comme telle, elle équivaudrait à les reconnaître eux-mêmes comme existants....

                Ce malaise ressenti au voisinage de l’Islam, je n’en connais que trop les raisons: je retrouve en lui l’univers d’où je viens; l’Islam, c’est l’Occident de l’Orient. Plus précisément encore, il m’a fallu rencontrer l’Islam pour mesurer le péril qui menace aujourd’hui la pensée française. Je pardonne mal au premier de me présenter notre image, de m’obliger à constater combien la France est en train de devenir musulmane. (…) Si, pourtant, une France de quarante-cinq millions d’habitants s’ouvrait largement sur la base de l’égalité des droits, pour admettre vingt-cinq millions de ci

  • Trois textes de Maurras sur l'Enseignement : I : L'École laïque contre la France.

                Le site Maurras.net ( http://maurras.net/ ) a ressorti récemment deux textes de Maurras, portant sur l'Enseignement. Le premier est de 1928 et il nous a paru intéressant de le relire, accompagné d'une déclaration du Ministre de l'Education nationale faite en... 2010, et mis en note, plus bas, en fin d'article (1). Car si, dans l'article de Maurras, on voit apparaître un précurseur du chèque scolaire, on verra que l'idéologie dénoncée par lui en 1928 reste bien installée aujourd'hui dans le Pays Légal, qui n'entend pas, sur ce point, reculer d'un pouce.

                La comparaison des deux textes est donc éclairante, et pleine d'enseignements....

                L'article de Maurras est paru dans l’Almanach de l’Action française pour 1928, et s'intitule L'Ecole laïque contre la France.

                Le site l'accompagne d'un petit commentaire, dont voici quelques extraits : « ...On pourrait négliger ce fait, d’ailleurs patent, que cette école est une très mauvaise école. Du point de vue de la justice, il suffit pour condamner cette école que, enseignant la doctrine de quelques-uns, elle soit payée par tous et obligatoire pour tous, en particulier pour ceux qui n’ont aucun moyen de se défendre contre ses inventions, ses conjectures, ses frénésies et ses fanatismes. »

                Sans doute les insuffisances morales ou simplement intellectuelles de l’école de Jules Ferry sont présentées avant tout par Maurras : sa fausse neutralité qui en fait l’église ou du moins la salle paroissiale du culte républicain, sa vision de l’histoire qui est anti-nationale jusqu’à l’incohérence, et jusqu’à son élitisme masqué derrière la gratuité puisque seuls les enfants des bourgeois assez riches pour prendre soin par ailleurs de l’éducation de leur progéniture peuvent prétendre échapper à son influence.

                C’est en politique justement qu’il tire la seule leçon qui vaille, et pense à frapper cette école au seul endroit qui lui serait douloureux : cette école républicaine, républicaine militante, n’a pas à être payé par ceux qui ne sont pas républicains".

                L’article est accompagné dans l’Almanach du portrait de Charles Maurras reproduit ci dessous, et d’un fac-similé de sa signature, reproduit en fin d'article.

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    L'École laïque contre la France

    Un système d'abêtissement

     

    Il faut en finir avec le carnaval de la liberté de l'esprit.

    Il faut en finir avec la plus sournoise mais la plus odieuse oppression intellectuelle qui ait pesé sur un pays.

    Il faut en finir avec la théocratie kantienne et roussienne qui accable écoliers et contribuables français.

    Il y avait autrefois, en France, deux livres de classe, très inégalement respectables, d'une antiquité inégale, d'une popularité inégale aussi en fait comme en droit, mais qui représentaient ensemble la somme de l'esprit national. C'étaient le Catéchisme diocésain et (l'adjonction est de Nisard ) les Fables de La Fontaine.

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    Le catéchisme propageait tout l'essentiel de la morale et de la religion, il apprenait aux bambins ce qu'il faut faire et ce qu'il faut éviter, et comment et pourquoi ; le pourquoi naturel et le pourquoi surnaturel, la raison du devoir, la sanction du devoir, et ces précisions réalistes n'empêchaient pas d'entrouvrir à l'intention des âmes les plus fines, ou peut-être, en vue des moments les plus heureux des âmes communes, le royaume supérieur de la grâce et du pur amour. Le curé de village qui enseignait ainsi la morale et la foi philosophait pour toute l'âme. Il en intéressait toutes les parties basses, moyennes ou sublimes. Ainsi agissait-il. Ainsi obtenait-il des résultats spirituels et moraux dont toute la vie de notre France témoigne. Mais l'école laïque a supprimé le catéchisme. Elle l'a remplacé. Elle a substitué au catéchisme le manuel de morale laïque. Elle a substitué à la morale catholique ce stoïcisme germanique de Rousseau et de Kant, qu'il est bien permis d'appeler le dégoût solide et durable de toute raison, l'écœurement fondamental de toute intelligence claire et de tout esprit bien constitué, le haut-le-cœur essentiel du simple bon sens. Le bien pur pour le bien sec ! Le devoir de croire au devoir ! L'absolu désintéressement « sur la terre comme aux cieux » à la racine de tous les actes méritoires ! La vertu si cruellement escarpée qu'il n'y ait d'autre accès vers elle que l'hypocrisie. Et, par bonheur, trop de pathos et de charabia pour être assimilé même en surface non seulement par les enfants, mais par leurs maîtres ! Au total, une fois sur dix, éducation pervertie, neuf fois sur dix, néant d'éducation, d'où il résulte que le « petit sauvage » demeure inéduqué et qu'il se produit un formidable développement de criminalité dans l'enfance et dans la jeunesse.

    Il est vrai que l'école laïque ne s'est pas contentée de détourner au profit du manuel le catéchisme, elle lui a sacrifié aussi les Fables, elle a écarté aussi le répertoire exquis du bon sens national. Toute cette sagesse, toute cette malice, toute cette réflexion matoise et profonde a dû céder à des sentences utopiques, dans lesquelles le monde se conçoit renversé sens dessus dessous.

    De là, un prodigieux abêtissement.

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    Le paysan et le pâtre d'il y a septante-sept ans voyaient peut-être voler dans la nuit de Noël des angelots joufflus et des étoiles surnaturelles, mais ils savaient parfaitement à quelle catégorie particulière appartenaient ces êtres d'élite et d'exception : ils n'en concluaient pas au bouleversement des rapports naturels ni des rapports sociaux, ils ne croyaient pas au pouvoir international d'un programme de député, et l'idée que la guerre ou tout autre fléau pût être terminé par le tribunal à Genève n'entrait pas dans leur imagination. Ni la foi ni la poésie n'y faisait de tort au bon sens.

    Il n'en est plus de même, le Manuel a mêlé le Ciel et la Terre. Les fables vraies, les justes fables de La Fontaine qui gardaient et qui défendaient, ont cédé aux fables menteuses et niaises, aux fables qui livrent et trahissent, les fables de Léon Bourgeois et d'Édouard Herriot. Et le pis est que ce malheur n'est pas, comme pourrait le croire l'historien de l'an 3000, un résultat involontaire et inconscient d'une aveugle dégénérescence de race. Il est voulu. Il est visé. Il est systématiquement poursuivi. Nous payons pour qu'il soit touché. Une part de nos contributions annuelles est portée à l'État pour que, à chaque petit Français qui atteint l'âge d'aller à l'école, des sommes soient versées, des frais soient faits pour lui ôter des mains le catéchisme, lui rendre les Fables suspectes et lui imposer, avec toutes les marques et estampilles de l'État, le stupide petit Manuel qui lui enseignera de véritables billevesées sur la nature essentielle du réel et du possible, du bien et du mal !

     

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    Une religion d'État

     

    Tout le régime d'enseignement désigné sous le nom de laïcité représente un système complet d'embrigadement et de domestication des intelligences et des consciences populaires. Hors du peuple, dans les classes aisées, moyennes et supérieures, il y a des voies ouvertes toutes grandes pour échapper à cette trituration administrative des cervelles et des cœurs selon le procédé de Rousseau et de Kant qu'imposa la bande des huguenots sectaires et des kantistes bismarckiens qui entouraient Jules Ferry vers 1880 ! Un fils de famille bourgeoise a chance d'apprendre une autre morale que la prétendue éthique indépendante et ses burlesques fariboles : un enfant du peuple, non. Le pauvre petit avalera Rousseau et digérera Kant mis en pilules de la marque Buisson-Pécaut-Monod et Cie. Il n'aura pas le moyen de recevoir une autre éducation, ces sottises lui seront imposées par la loi de l'État, et avec l'argent de l'État, c'est-à-dire notre argent à tous. La secte kantienne et roussienne ne paye pas des établissements pour propager ses chimères anticatholiques et anticritiques, lesquelles sont aussi, par-dessus le marché, tout à fait anarchiques. Ce groupe s'est emparé de l'État, il s'y est installé, et c'est de là, par là, que sa marchandise anti-intellectuelle s'écoule.
                                                                     Sous la laïcité, le laïcisme..., haine du catholicisme.

     "...Jules Ferry dit vouloir "organiser l'humanité sans roi et sans Dieu". C'est d'abord sur le terrain de l'école que les Républicains engagent le combat...." ("Un Prince français", Chapitre 6, Foi, page 118).

    Que mon lecteur ne se fâche point des épithètes un peu rudes. Elles sont au-dessous de la vérité. Toute la France finira par savoir quel mécanisme d'abrutissement (et aussi quel instrument de démoralisation), constitue la morale rousso-kantienne dans l'enseignement primaire. Cela tue le pays. Cela tue l'esprit du pays. L'Université le sait bien, et tout ce qui pense dans l'Université, enseignement secondaire et supérieur. Mais cette haute Université est bâillonnée. Elle ne peut parler. Elle est d'État. L'État la tient et il la tue, comme il est en train de tuer, cet État républicain, toute bonne chose française.

    On le voit, c'est à un point de vue national, au point de vue de l'intelligence non confessionnelle, comme à un point de vue de simple moralité effective, que je me place pour éclairer le pays sur la véritable réalité du laïcisme : ce régime, cet État, est un régime de théocratie ou de sacristie, tous les mots d'ordre secret y sont d'ordre religieux et une dogmatique implicite y est imposée à ses adhérents de cœur et d'esprit, à ceux, qui ont véritablement reçu l'initiation aux derniers mystères, ou qui doivent voir, comme ils disent, la lumière du trente-troisième appartement .

    On me dira :

    — Quelle dogmatique ? Quelle idée enfermée dans ce dogme ?

    Je réponds :

  • Homélie de la messe de requiem pour le Roi Louis XVI, par le père Xavier Manzano

                Une basilique pleine de fidèles, à Marseille, comme en bien d’autres villes de France, en ce soir du 21 janvier 2009, pour la messe de 19h célébrée à la mémoire du Roi Louis XVI et des défunts de sa famille.

                Avec la participation de nombreux élus de la ville de Marseille, dont M. André Malrait, représentant M. Jean-Claude Gaudin, les Chevaliers et Dames du St Sépulcre, et les Chevaliers de l'Ordre de Malte.

                La cérémonie est présidée par Mgr Jean-Pierre ELLUL, recteur de la basilique du Sacré-Coeur, en présence de Mgr Matthieu Aquilina et du Père Xavier Manzano qui donna l'homélie reproduite ci-dessous.

              

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                « J'ai été appelé deux fois au conseil de celui qui fut mon maître, dans un temps où cette fonction était ambitionnée de tout le monde : je lui dois le même service lorsque c'est une fonction que bien des gens trouvent dangereuse. » C’est en ces termes que M. de Malesherbes s’explique lorsque, contre toute attente, il rentre d’émigration et vient proposer ses services au Roi Louis XVI, mis en accusation devant la représentation nationale. Derrière ces quelques mots, nous pouvons voir une conscience en action. Et peut-être pouvons-nous conjecturer que le vieux ministre avait été touché par l’attitude de son Roi.  

                   Car Louis XVI ne se faisait aucune illusion sur son sort. Il le dira très clairement à M. de Malesherbes : « Votre sacrifice est d'autant plus généreux que vous exposez votre vie et que vous ne sauverez pas la mienne. » Dès lors, la question n’est plus de savoir s’il peut sauver sa vie mais comment et pourquoi il doit mourir. C’est en ce sens qu’il veut faire de sa vie et de sa mort un sacrifice et, osons le mot, un martyre. Il est possible, certains commentateurs n’ont pas hésité à le faire, à se gausser de termes aussi peu dans le vent et d’y voir la résurgence d’un christianisme bien noir. D’autant plus que le mot « martyre », hélas, a récemment été confisqué ou employé pour qualifier de sombres terroristes qui sont pourtant au rebours de ce que ce terme signifie réellement. Le vrai martyre est toujours en fait une question de conscience. Il s’agit en effet de savoir si l’on préfère perdre son âme plutôt que sa vie. Il s’agit de se décider lorsque l’on met en balance la sauvegarde de sa vie et la fidélité à la mission reçue. Il s’agit en somme si la vie vaut la peine d’être continuée, à partir du moment où l’on devrait abandonner et piétiner ce que l’on a de plus cher et de plus précieux au monde, sa conscience, ce qui nous fait être homme, ce qui nous rend image et ressemblance de Dieu.

                 C’est bien cela qui est en jeu dans la vie entière de Louis XVI, mais plus singulièrement encore dans ses derniers jours terrestres. Il a reçu sa mission politique comme une vocation qui engage tout son être. Une vocation qu’il sait difficile et dangereuse puisqu’il n’hésitera pas à la qualifier de « malheur » dans son testament. Mais une vocation que, dans sa conscience de chrétien, il conçoit comme une donation de lui-même, une donation qui doit aller jusqu’au bout. Et c’est sans doute ainsi que nous pouvons comprendre qu’il a pu donner une dimension « politique », au sens noble du terme, à son procès et à sa mort. Déjà, dans la Déclaration que Louis XVI rédige le 20 juin 1791 à l’adresse de tous les Français, au moment de la fuite à Varennes, il fait un bilan très sombre mais très lucide de l’état du pays, nous peignant un système constitutionnel très élaboré, sans doute, mais impuissant à empêcher les pressions exercées sur les consciences par des groupes privés, on dirait aujourd’hui des lobbies, pratiquant avec un art consommé l’intimidation et la désinformation. Lorsque la cité et les consciences sont livrés en pâture à ce genre d’actions, lorsque la vie politique ne joue plus son rôle de défense et de promotion des consciences personnelles, lorsque la formalité juridique, fût-elle démocratique, n’est plus qu’un jeu et un masque, la question vient immédiatement, je la tire des Psaumes : « que peut faire l’homme juste ? »

                 Quand le Pape Jean-Paul II proclama Saint Thomas More, le chancelier du roi d’Angleterre Henri VIII, patron des hommes politiques, il n’avait, je pense, pas d’autre question en tête. Il entendait montrer que la conscience, entendue comme « le centre le plus secret de l’homme et le sanctuaire où il est seul avec Dieu dont la voix se fait entendre dans ce lieu le plus intime »[1][1][1], est la voie ultime par laquelle l’homme reste homme et témoigne « de la primauté de la vérité sur le pouvoir »[2][2][2]. Le grand Pape, qui avait affronté jeune la persécution du nazisme et qui avait vécu dans ces démocraties dites « populaires », de sinistre mémoire, savait que la conscience personnelle est ce qui unit les hommes entre eux et les empêchent de devenir des bêtes. Il savait que des institutions politiques peuvent considérer, dans leur délire tyrannique et idéologique, l’existence de cette instance comme une menace à leur propre domination. Il savait qu’il existe au fond de l’être humain une voix que l’on ne peut dompter et qui est celle du bien. Il savait surtout que la meilleure résistance à toute forme d’oppression et d’arbitraire vient de la fidélité inébranlable à cette conscience où Dieu réside et parle.

     

                C’est peut-être ainsi que nous pouvons comprendre le « sacrifice » consenti par Louis XVI. Sa seule indignation, au cours d’un procès pourtant inique, fut lorsqu’on l’accusa d’avoir répandu le sang du peuple. C’est-à-dire lorsqu’on chercha à salir sa conscience. C’est par fidélité au lourd fardeau qu’il avait reçu et à l’idée qu’il en avait qu’il a souhaité aller jusqu’au bout et en assumer toutes les conséquences. Son testament d’homme, sa fidélité à sa famille et à la foi, tout cela n’est pas à séparer de sa mission politique : c’est plutôt le combat d’une conscience qui clame, « au nom de la primauté de la conscience, de la liberté de la personne par rapport au pouvoir politique »[3][3][3]. Il met sa conscience au-dessus même de la conservation de son pouvoir et cela a une intense signification « politique ». Oui, frères et sœurs, ce n’est pas parce qu’un système constitutionnel fonctionne formellement qu’il est légitime au regard de l’être humain qu’il prétend servir. Pour cela, il doit se faire le serviteur de la conscience personnelle et y chercher ce « supplément d’âme » qui lui permettra de vraiment chercher le bien commun qui est aussi le bien de chacun.

                 Chers amis, nous savons bien que la mission politique, si elle a besoin de principes forts, ne les invente pas et ne s’y résume pas. C’est un art de la sagesse et de la nuance qui exige, non pas les compromissions ou les manipulations, mais un engagement de conscience que Benoît XVI n’hésitait pas à qualifier de « charité politique ». Autrement dit, c’est une question d’amour, oui, et Louis XVI peut nous montrer, à la suite de beaucoup d’autres, que cet amour, qui sait ce que c’est qu’un être humain et le respecte jusqu’au bout, peut aller jusqu’à l’effusion du sang. C’est cela qu’on peut attendre d’un homme vraiment juste. C’est la route que le Christ nous a ouverte.

                 Lorsque Louis XVI retourna au Temple après sa mise en accusation devant la Convention Nationale, il eut faim. Il demande un morceau de pain au procureur-syndic de la Commune de Paris, Chaumette, peu connu pour sa modération. Celui-ci le lui donna. « Louis XVI mange lentement la croûte de son pain. Comme la mie l'embarrasse, le greffier du maire la prend et la jette sur la chaussée.

    - Oh, c'est mal de jeter ainsi le pain, dit le roi, surtout dans un moment où il est rare.

    - Comment savez-vous qu'il est rare? demande Chaumette.

    - Parce que celui que je mange sent un peu la terre.

    Chaumette observe gravement.

    - Ma grand'mère me disait toujours: «Petit garçon, on ne doit pas perdre une mie de pain, vous ne pourriez en faire venir autant. »

    - Monsieur Chaumette, murmure Louis XVI, votre grand'mère était, à ce qu'il paraît, une femme de grand sens. »

                 Derrière ce dialogue apparemment banal et pourtant d’un grande profondeur, on sent que Chaumette, en regardant Louis XVI et devant cet élément si symbolique du pain, est, pour un moment, arraché à l’idéologie et rendu à son humanité. C’est lorsque les regards se croisent et que les consciences se rencontrent que les hommes sont rendus à eux-mêmes. Etre fidèle à la mémoire de Louis XVI, c’est peut-être se souvenir de cela et en vivre pour Dieu puisse reconnaître en nous les fils qu’il s’est choisis. 

     

    Abbé Xavier Manzano,

    Vicaire à la basilique du Sacré-Coeur,

    Directeur des Etudes à l'ISTR et à l'ICM de Marseille.

  • HISTOIRE • Pierre Nora : « Vers une sorte de réaction conservatrice »

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    Pierre Nora appartient à ce que Régis Debray appelle la « haute intelligentsia », qui tend aujourd'hui, sinon vers la droite politique, du moins, selon ses propres termes, vers une sorte de réaction conservatrice. Il convient, à travers un ensemble d'intellectuels somme toute assez différents, d'en saisir toutes les nuances. Pierre Nora en est l'un des acteurs importants. Il est l'un des protagonistes de cet avenir de l'intelligence française dont parlait Maurras et dont, nous savons l'influence qu'il peut exercer sur le destin national. National et au delà. LFAR.   

    L'académicien Pierre Nora revient sur la polémique autour des nouveaux programmes d'histoire. Une controverse qui traduit, selon lui, une profonde crise identitaire.   

    LE FIGARO: Le débat sur la réforme du collège a été très tendu. Que révèle-t-il de notre société ?

    Pierre NORA: Ce qui frappe, c'est l'emballement progressif à partir d'une mesure qui paraissait un simple ajustement à la société déjà décidé de longue date. En fait, cette réforme du collège a été une étincelle qui a mis le feu aux poudres. Un peu comme la décision du mariage pour tous (qui paraissait aussi une mesure « évidente ») a réveillé un volcan dans les profondeurs de la société. Entre ces deux épisodes du quinquennat de François Hollande, il y a quelque chose de semblable. Le mariage pour tous concerne la famille, la réforme du collège a fait prendre conscience aux Français du naufrage où plongeaient l'école et l'enseignement depuis vingt ou trente ans. Or la famille et l'école sont ce qui reste quand il n'y a plus rien. Malgré la décision d'application destinée à couper court, le problème demeure. C'est la grande vertu de cette réforme du collège et de la polémique qu'elle a déclenchée : une prise de conscience collective.

    Vous êtes depuis longtemps l'un des acteurs et observateurs de la vie intellectuelle en France. Considérez-vous qu'elle s'est détériorée ces dernières années ?

    Peut-être le débat s'est-il déplacé des enjeux idéologiques et politiques vers des enjeux biologiques, scientifiques, et climatiques, mais pour ce qui est de la vie intellectuelle en général, on ne peut malheureusement que constater un rétrécissement des horizons et des curiosités. Depuis le déclin et la fin des grandes idéologies rassembleuses. Il y a aussi certainement une atomisation de la vie de l'esprit, où chacun travaille dans sa discipline, sans qu'aucun courant ne réunisse les milieux de pensées isolés. Il y a aussi, à coup sûr, une provincialisation nationale, qui résulte du recul de la langue française à travers le monde, comme en témoigne le nombre très faible des traductions à l'étranger.

    Ma discipline, l'histoire, qui, il y a trente ans, était la curiosité du monde entier, est devenue la cinquième roue de la charrette internationale. Nous payons l'effondrement du système universitaire, qui était le terreau de la vie intellectuelle. Cela nous ramène à la question du collège. C'est-à-dire la grande incertitude sur le message éducatif. Cela étant, s'il n'y a plus de grands courants unificateurs, il me semble que l'on observe deux orientations principales de la vie intellectuelle. Une radicalisation à gauche, dans ce que Régis Debray appelait « la basse intelligentsia », et une orientation de la « haute intelligentsia », sinon vers la droite politique, du moins vers une sorte de réaction conservatrice. 

    Le culte de l'instant est le contrairede la mémoire. Sommes-nous en train de perdre la mémoire ?

    Je dirais tout l'inverse. Nous vivons au contraire sous l'empire de la mémoire et même la tyrannie de la mémoire. Ce phénomène est lié à la dictature du présent. À quoi est-ce dû ? Essentiellement à ce qu'on a appelé « l'accélération de l'histoire ». Le changement va de plus en plus vite dans tous les domaines et nous coupe de tout notre passé. Cela ressemble à ce qui s'est passé au lendemain de la Révolution française, le basculement qui a fait baptiser tout le passé de la France sous le nom d'« Ancien Régime ». La coupure du monde contemporain dans les années 1970-1980 a été plus sourde, mais plus radicale encore. L'arrivée d'un monde nouveau nous a brutalement arrachés au passé, aux traditions, au sentiment de la continuité, à une histoire avec laquelle nous étions de plain-pied, dont on héritait et qu'on cherchait à transmettre. Ce régime a disparu au profit du couple présent-mémoire. Nous sommes dans tous les domaines sollicités, pour ne pas dire condamnés à la mémoire. Un exemple entre mille : ces chefs d'entreprise qui ne voulaient entendre parler que de l'avenir se sont mis à engager des archivistes, à collectionner leurs produits anciens. Les archives elles-mêmes sont moins fréquentées par les historiens que par les familles en quête de leur généalogie. Toutes les institutions de mémoire se multiplient, à commencer par les musées. Les expositions temporaires débordent de visiteurs. Et nous vivons une inflation de commémorations, qui sont l'expression ultime de cette transformation de l'histoire en mémoire.

    Les « panthéonisations » de grandes figures (comme celles qui ont eu lieu mercredi 27 mai) participent-elles de l'histoire ou de la mémoire ?

    De la mémoire, bien sûr, et typiquement, puisqu'elles relèvent de la décision politique. Mais la panthéonisation charrie en général beaucoup d'histoire dans son contenu. Du reste, une fois que l'on a établi la différence entre les deux instances, l'histoire et la mémoire, il faut inversement montrer comment elles se nourrissent l'une de l'autre.

    Pourtant, l'histoire attire les foules (parcs d'attractions, émissions de radio et de télévision, livres, séries télévisées, patrimoine), comment expliquez-vous ce paradoxe ?

    Justement, ce qui se met en place et surtout chez les jeunes, c'est un rapport tout nouveau au passé. L'histoire se cherche et même se perd, mais le passé est partout, écrasant. Dans la littérature, Les Bienveillantes, de Jonathan Littell, en sont un exemple majeur, suivi par beaucoup d'autres. Au cinéma, de Gladiator, par exemple, à Marie-Antoinette, et jusque dans les séries télévisées sur Rome, les Borgia ou bientôt sur Versailles. L'histoire, qui était un lien collectif, se transforme en une mémoire individuelle, affective. Elle subit une appropriation par chacun d'entre nous qui entretient avec le passé un rapport parfois accusateur (dans le culte de la repentance), parfois imaginatif et merveilleux (comme en témoigne l'explosion de la fantasy, qui va du Seigneur des anneaux à Game of Thrones). Le passé est appréhendé comme le merveilleux ou le diabolique de nos sociétés démocratiques. Peut-être même que ce rapport ludique et subjectif au passé est l'une des marques de l'infantilisation du monde. Le passé épouse chaque jour un peu plus les caractéristiques du jeu vidéo.

    « La France traverse une crise identitaire profonde, une des plus graves de son histoire » avez-vous affirmé. Pourquoi ?  

    Cette crise est grave, justement, parce qu'elle n'apparaît pas à l'œil nu. C'était, en revanche, le cas des guerres de Religion, de la Révolution, des autres phénomènes bruyants de notre histoire. La crise contemporaine va plus loin. Quelques éléments très simples en témoignent. La France a été pendant des siècles un pays profondément paysan et chrétien. Le taux de la population active dans l'agriculture est aujourd'hui de moins de 2 %. Vatican II a signalé et accéléré une déchristianisation évidente.

    La France était un pays attaché à sa souveraineté. Elle a éclaté depuis une trentaine d'années vers le haut et vers le bas : insertion difficile dans un ensemble européen, forte poussée décentralisatrice. La fin de la guerre d'Algérie a mis un terme à la projection mondiale de notre pays. La faiblesse de l'État central a fait le reste. En outre, la pression migratoire alimente l'inquiétude de nos concitoyens. Ce n'est pas en soi l'immigration qui fait problème, mais l'arrivée massive d'une population pour la première fois difficile à soumettre aux critères de la francité traditionnelle. Enfin, la France a constamment été en guerre, c'était une nation militaire ; elle est peut-être aujourd'hui « en danger de paix ». Bref, nous vivons le passage d'un modèle de nation à un autre.

    Nostalgie du récit national, de la chronologie, des grands hommes, un peuple a-t-il besoin de mythes ?

    Le système d'information dont la dialectique binaire interdit toute nuance réduit le partage des historiens entre, d'un côté, les partisans du roman national à restaurer et, de l'autre, l'ouverture à une histoire que la pression de la mémoire coloniale a rendue culpabilisatrice. Je ne me reconnais dans aucun de ces deux camps. On assiste aujourd'hui, c'est un fait, à une offensive des avocats d'une restauration du « roman national ». Ce « roman national », dont on m'attribue généreusement la paternité de l'expression, est mort, et ce ne sont pas des incantations qui le ressusciteront. Il exprime une histoire qui ne se fait plus depuis trois quarts de siècle, depuis les Annales. Si roman il y a, il lui faut une belle fin, un happy end. Or, si l'on suit Lavisse, « le maître » du roman national, ce dernier s'achève après la victoire de 1918. Depuis, l'histoire de France a connu nombre de défaites militaires, une baisse d'influence à travers le monde, un chômage envahissant, un avenir d'inquiétude. Inversement, l'histoire globalisée est nécessaire à l'heure de la mondialisation, mais elle dissimule le plus souvent la revendication d'une histoire écrite seulement du point des vues des victimes, et purement moralisatrice, puisqu'elle déchiffre le passé à travers la grille des critères moraux du présent. Ce qu'illustrent les mots choisis dans le programme d'histoire en 4e et 3e « Un monde dominé par l'Europe : empires coloniaux, échanges commerciaux et traites négrières.» La « domination », condamnable, a remplacé l'« expansion », dont la domination n'est que l'un des effets. Les empires coloniaux sont nés des rivalités entre nations européennes ; quant aux traites négrières, si atroces qu'elles aient été, elles ne sont pas le trait principal des XVIIe et XVIIIe siècles ; mais leur étude est un des effets de la loi Taubira… Nous sommes face au péché de moralisme et d'anachronisme où Marc Bloch voyait la pire dérive du métier d'historien.

    Que répondre à un jeune de 20 ans qui considère que l'histoire ne sert à rien ?

    Lui dire que l'histoire a l'air de ne servir à rien parce qu'elle sert à tout. Qu'elle est au collectif ce que la mémoire est aux individus. Si vous perdez la mémoire, vous savez ce qui arrive. L'Alzheimer historique ne vaut pas mieux que l'Alzheimer cérébral. 

     

    Pierre Nora est un historien français, membre de l'Académie française, connu pour ses travaux sur le « sentiment national » et sa composante mémorielle. Il a notamment dirigé l'ouvrage collectif: Les lieux de mémoire.

    Entretien par Vincent Tremolet de Villers - Figarovox    

     

  • Hervé Juvin : « L'union européenne, une entreprise à décerveler les peuples »

     

    D'après les révélations de Wikileaks, les trois derniers présidents français auraient été mis sur écoute par la NSA. Hervé Juvin voit dans ce scandale le symbole de l'hégémonie américaine et de la naïveté des Européens.

     

    HerveJuvin.jpgVotre livre s'intitule Le mur de l'ouest n'est pas tombé. Comment analysez-vous l'affaire Franceleaks ?                     

    Ne nous faites pas rire ! L'affaire des écoutes américaines des Présidents français, dont il est promis juré qu'elles se sont arrêtées en 2012, en dit plus sur l'état de la France que sur la réalité des écoutes. Partons du principe que tout le monde écoute tout le monde, suggérons avec le sourire que les Français ne sont pas les derniers à le faire, ajoutons que l'explosion de l'espionnage de données par les systèmes américains ne leur assure pas des triomphes stratégiques bien marquants, et regardons-nous !

    Les Français veulent croire que nous vivons dans un monde de bisounours. L'Europe est une entreprise à décerveler les peuples européens, ceux du moins qui croiraient que les mots de puissance, de force, d'intérêt national, ont encore un sens. C'est l'étonnement général qui devrait nous étonner; oui, l'intérêt national américain n'est pas l'intérêt français ! Oui, entre prétendus alliés, tous les coups sont permis, et les entreprises françaises le savent bien ! Oui, les Américains ne manquent pas de complices européens qu'ils savent diviser pour mieux régner ! Oui encore, l'exceptionnalisme américain leur permet d'utiliser tous les moyens pour dominer, pour diriger ou pour vaincre, et la question n'est pas de protester, c'est de combattre !

    Édouard Snowden est en Russie et ces révélations servent objectivement les adversaires des États-Unis. N'est-ce pas tout simplement de la géopolitique ?

    Le premier fait marquant de l'histoire Snowden, c'est que des pays qui se disent attachés à la liberté d'expression et indépendants n'ont pas souhaité l'accueillir, voire se sont alignés sur l'ordre américain visant à le déférer à la justice américaine. Il n'y a pas de quoi être fiers, quand on est Français, et qu'on a été l'un des champions des non-alignés ! Nous sommes rentrés dans le rang ; triste résultat de deux présidences d'intérim, avant de retrouver un Président capable de dire « non ! ».

    Le second fait, c'est que Snowden a révélé un système de pouvoir réellement impérial, qui tend à assurer de fait un empire mondial américain. Nous sommes face au premier nationalisme global. Le point crucial est l'association manifeste d'une surpuissance militaire, d'une surpuissance d'entreprise, et d'un universalisme provincial - une province du monde se prend pour le monde et veut imposer partout son droit, ses normes, ses règles, ses principes, en recrutant partout des complices. Ajoutons que l'affaire des écoutes, celle de la livraison des frégates « Mistral », comme celle des sanctions contre la Russie, éclairent la subordination absolue de ceux que les États-Unis nomment alliés, alors qu'ils les traitent comme des pions ; est-ce la manifestation de la stratégie du «leading from behind» annoncée par Barack Obama dans un célèbre discours à West Point ?

    Le troisième fait est au cœur de mon livre, Le Mur de l'Ouest n'est pas tombé. Les États-Unis attendent la guerre, ils ont besoin de la guerre extérieure qui seule, va les faire sortir de la crise sans fin où l'hyperfinance les a plongés. Seul, un conflit extérieur les fera sortir du conflit intérieur qui monte. D'où la rhétorique de la menace, du terrorisme, de la Nation en danger, qui manipule l'opinion intérieure et qui assure seule l'injustifiable pouvoir de l'hyperfinance sur une Amérique en voie de sous-développement.

    Quel est, selon vous, le jeu américain vis-à-vis de la Russie ?

    La Russie est l'un des pôles de la résistance à l'ordre américain. Et c'est, à ce jour, la seule puissance militaire réellement capable de faire échec à une agression américaine. Cantonner, encercler, affaiblir la Russie, vient donc en tête de l'agenda effectif des États-Unis. Le général Wesley Clark l'a dit sans ambages ; « il faut en finir avec les États-Nations en Europe ! » Voilà pourquoi, entre autres, l'idéologie américaine nous interdit toute mesure pour lutter contre l'invasion démographique qui nous menace, promeut un individualisme destructeur de nos démocraties et de notre République, veut nous contraindre à une ouverture accrue des frontières, notamment par le traité de libre-échange transatlantique, et nous interdit de réagir contre les atteintes à notre souveraineté que représente l'extraterritorialité montante de son droit des affaires.

    Les États-Unis réveillent le fantôme de la guerre froide pour couper le continent eurasiatique en deux. C'est le grand jeu géopolitique des puissances de la mer qui est reparti ; tout, contre l'union continentale eurasiatique ! Bill Clinton a trahi les assurances données à Gorbatchev par George Bush : l'Otan ne s'étendra jamais aux frontières de la Russie. Les États-Unis accroissent leur présence militaire dans l'est de l'Europe, dans ce qui s'apparente à une nouvelle occupation. Que font des tanks américains en Pologne et dans les pays baltes? Le jeu géopolitique est clair ; l'Eurasie unie serait la première puissance mondiale. Les États-Unis, on les comprend, n'en veulent pas. On comprend moins leurs complices européens. Et moins encore ceux qui répètent que la puissance, la force et les armes ne comptent pas !

    Poutine ne cède-t-il pas au défaut (autocratie, volonté expansionniste) que l'Occident lui prête ?

    Critiquer la volonté impériale des États-Unis n'est pas encenser Monsieur Poutine ! Quand je critique la confusion stratégique américaine, je n'écris rien que des élus américains, comme Elizabeth Warren, comme Rand Paul, comme Jeb Bush lui-même, qui vient de déclarer qu'il n'aurait jamais envahi l'Irak, ont déclaré !

    Je constate simplement que les États-Unis ont eu peur du rapprochement entre l'Union européenne et la Russie, qui aurait menacé le privilège exorbitant du dollar, et qu'ils se sont employés à la faire échouer, comme ils s'étaient employés à affaiblir l'euro. Je constate ensuite que le Président Poutine a tourné la page du communisme pour renouer avec la tradition des tsars ; il a un confesseur, il favorise l'orthodoxie et redonne prestige et autorité à la troisième Rome, il discute avec le Pape François, etc. tout ceci dans un contexte où les États-Unis utilisent les droits de l'individu, sans origine, sans sexe, sans race, sans quoi que ce soit qui le distingue, sauf l'argent, pour dissoudre les sociétés constituées et en finir avec la diversité des cultures et des civilisations, qui n'est rien si elle n'est pas collective. Je salue le fait que la Russie soit un pôle de résistance à l'individualisme absolu, comme l'Inde, comme la Chine, comme l'Islam à sa manière, et qu'elle garde le sens de la diplomatie, qui est celui de reconnaître des intérêts contraires, pas d'écraser ses opposants. La France ne l'est plus. On n'est pas obligé d'être d'accord avec eux sur leur manière singulière d'écrire l'histoire de leur civilisation, pour être d'accord sur le fait que leur singularité est légitime, puisqu'ils l'ont choisie, et mérite d'être préservée !

    La chute de la diversité des sociétés humaines est aussi, elle est plus grave encore que la chute de la biodiversité animale et végétale. Car c'est la survie de l'espèce humaine qui est en danger. Il n'y aura plus de civilisation, s'il n'y a pas des civilisations. Et la Russie orthodoxe, comme l'Islam chiite, comme l'hindutva de Narendra Modi, sont des incarnations de cette merveille : la diversité des formes que l'homme donne à son destin.

    Les Russes savent aussi écouter leurs partenaires et leurs adversaires ?

    Un peu d'histoire. L'invention, l'entraînement, le financement d'Al Qaeda, des talibans, a enfoncé une épine dans le pied de l'URSS, dont elle ne s'est pas relevée. Brzezinski l'a dit avec une rare franchise ; « Al Quaeda a produit des dégâts collatéraux (side effeects) sans importance dans la lutte que nous avons gagnée contre l'URSS ». Partout, y compris pour justifier l'intervention armée en Europe et pour défendre l'islamisation de l'Europe, les États-Unis derrière leur allié saoudien, se sont servis de l'Islam. Ils s'en servent en Inde, en Chine, ils s'en sont servis en Tchetchénie. Et ils se préparent à renouveler l'opération au sud de la Russie, en déstabilisant les États d'Asie centrale et l'extrême-est de la Chine.

    Parmi les preuves multiples, regardons la prise de Palmyre par l'État islamique. Admettons qu'un vent de sable ait effectivement empêché toute intervention aérienne pour la prise de Ramadi, quelques jours plus tôt. Mais Palmyre ! Dans une zone désertique, sans grand relief, Palmyre qui ne peut être atteinte que par des pistes ou des routes droites sur des kilomètres, en terrain découvert ; une armée qui dispose de l'exclusivité aérienne, comme celle de la coalition, peut empêcher toute entrée ou sortie d'un seul véhicule de Palmyre ! L'inaction de la coalition est inexplicable. La diplomatie française, sidérée par les néo-cons qui l'ont envahie, ne semble plus savoir lire une carte de géographie. Mais une France devenue pauvre en monde, livrée à la confusion des valeurs et des intérêts, une France qui n'incarne plus la résistance à l'intérêt mondial dominant qu'est l'intérêt national américain, qui sera peut-être demain l'intérêt chinois, est-elle encore la France ?  

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    Hervé Juvin est un écrivain et essayiste français. Il poursuit un travail de réflexion sur la transformation violente de notre condition humaine qui, selon lui, caractérise ce début de XXIè siècle. Il est par ailleurs associé d'Eurogroup Consulting. Il est l'auteur de Pour une écologie des civilisations (Gallimard) et vient de publier aux éditions Pierre-Guillaume de Roux Le Mur de l'ouest n'est pas tombé.

    Figarovox

     

  • Société • Gilles Kepel : « L'attentat de Westminster sonne le glas du rêve communautariste britannique »

     

    Répondant ici aux questions d'Alexandre Devecchio pour Figarovox [25.03] Gilles Keppel revient sur l'attentat de Londres. Pour lui, les attentats qui frappent le sol européen pourraient être annonciateurs d'une fracture sociale à grande échelle. On en retiendra l'aggravation des problèmes que pose la présence de fortes communautés musulmanes sur le sol français et européen. Et leur traduction du point de vue des nations et des Etats. Aurons-nous affaire à une reféodalisation de l'espace européen ? LFAR 

     

    1630167502.jpgUn attentat terroriste revendiqué par l'État islamique a fait trois morts à Londres ce mercredi. Après la France et l'Allemagne, c'est donc l'Angleterre qui est visée par Daech. Que cela dit-il de l'évolution du terrorisme islamiste en Europe ?

    Les Britanniques se sont un peu endormis sur leurs lauriers depuis les attentats de Londres de juillet 2005. À l'époque, les terroristes étaient passés par les camps de formation du Pakistan, mais étaient nés et avaient grandi en Angleterre. Cela marquait une rupture par rapport aux attentats du 11 septembre ou de Madrid commis par des étrangers ou des immigrés de passage. C'était le début de la transition entre la phase pyramidale du djihad et la phase indigène européenne. Bien qu'Ayman al-Zawahiri, le chef d'al-Qaïda, s'était réclamé de cette opération, elle s'était produite alors qu' Abou Moussab al-Souri venait de théoriser cette année-là le djihad de troisième génération à bas coût. Dans son « appel à la résistance islamique mondiale », ce dernier prévoyait de faire de l'Europe le ventre mou de l'Occident et la cible par excellence des attaques terroristes. Depuis lors, le Royaume-Uni a mené une politique de prévention, mais aussi de dévolution de quartiers entiers aux islamistes, tolérant notamment les tribunaux islamiques, dans le but d'acheter la paix sociale. Birmingham où vivait l'auteur de l'attentat de Wesminster, Khalid Masood, est l'illustration de cette politique.

    deux-tchadors.jpgLe fameux quartier de Small Heath, où près de 95% de la population est musulmane, se voulait le contraire absolu du modèle français laïque et universaliste. En confiant à des salafistes la gestion de l'ordre public et de la communauté, les autorités britanniques espéraient ne pas avoir à affronter un djihadisme qui en France serait, selon eux, exacerbé par une gestion laïque de la société. L'attentat de Wesminster sonne le glas de cette illusion comme les attentats de 2005 avaient sonné le glas de ce qui était à l'époque le Londonistan, c'est-à-dire la politique de refuge systématique à Londres de tous les dirigeants de la mouvance islamiste internationale arabe. La différence, c'est qu'à Birmingham, il y a peu d'arabes, mais essentiellement des Indo-Pakistanais. Khalid Masood lui était un jamaïcain converti à l'islam. L'âge de ce dernier, 52 ans, est frappant. Cela indique que son acte n'est pas le rite de passage par la violence d'un jeune non intégré, mais le geste de quelqu'un qui a été socialisé très longtemps par une contre-société. Khalid Masood s'est probablement construit contre la société britannique et a choisi de passer à l'acte. Ce qui frappe également, c'est le mode opératoire qui rappelle celui des attentats de Nice et Berlin : un véhicule à vive allure qui fauche des piétons. Il s'agit d'un djihadisme low-cost absolu qui peut passer sous les radars de la police. On remarque enfin que l'attentat visait le parlement symbole par excellence de la démocratie européenne. Ironie volontaire ou involontaire pendant la cession où le parlement discutait du Brexit. L'agenda terroriste est ainsi venu percuter l'agenda politique institutionnel contraignant le processus à s'interrompre, les députés à être enfermés et le Premier ministre à être évacué en urgence.

    Le fait que Londres soit dirigé par un maire musulman a-t-il joué un rôle dans cet dérive communautariste ?

    Les autorités britanniques ont considéré que le fait d'avoir un maire musulman, qui de surcroît a été proche par le passé d'organisations islamistes dans la mouvance des Frères musulmans, permettrait de mieux contrôler les réseaux et d'éviter la violence. Cependant Sadiq Khan apparaît comme un traître pour les plus radicaux. De manière générale, c'est une illusion que de penser que les accommodements raisonnables peuvent apaiser une société. Au contraire, ils favorisent la fracture. Le cas de la Hollande est paradigmatique puisqu'aux Pays-Bas l'exacerbation multiculturaliste s'est traduite en une xénophobie tout aussi virulente.

    La France n'a donc pas été visée spécifiquement à cause de son modèle universaliste et laïc…

    La laïcité, le passé colonial et le chômage de masse en France sont des facteurs aggravants, mais en aucun cas structurants. Et l'Allemagne, qui n'a pas de passé colonial, un modèle où la religion est reconnue, et le plein-emploi, pouvait sembler à l'abri, elle ne l'est plus, notamment parce que le modèle a changé du fait de l'afflux de migrants. On peut aussi penser qu'à l'avenir l'immigration turque, qui est bien intégrée depuis longtemps en Allemagne, ne pourra pas rester à l'abri des soubresauts que connaît son pays d'origine avec la politique d'Erdogan qui tente de mobiliser les foules en Europe.

    Il faut aussi noter qu'en France depuis le 26 juillet 2016 et l'assassinat du père Jacques Hamel, les services de renseignements ont fait des progrès considérables en cassant le réseau Télégramme, en arrêtant préventivement les gens susceptibles de passer à l'acte, en tuant le « contremaître des attentats » de 2016 Rachid Kassim abattu par un drone américain il y a deux mois. Cela a rendu plus difficile aujourd'hui la perpétration d'attentats sur le territoire français.

    La France est une cible plus difficile aujourd'hui comme on peut le voir sur les réseaux en ligne où les djihadistes français considèrent qu'ils subissent aujourd'hui une épreuve. Beaucoup décident ainsi de se renfermer dans l'étude en attendant que la situation soit meilleure. C'est ce qu'on appelle dans la stratégie islamique théorisée à l'époque du prophète: la phase de faiblesse par rapport à la phase de force pendant laquelle il faut se ressourcer et ne pas se lancer dans des opérations suicidaires qui se retournent contre elles. C'est ainsi que le bilan des attentats de 2016 a été fait par un certain nombre de dirigeants de l'État islamique comme le montre le testament très amer de Rachid Kassim qui incrimine la hiérarchie de l'État islamique pour ne pas l'avoir soutenu. De ce fait, Allemagne, Belgique, Hollande, Angleterre ou peut-être demain Italie où les services de renseignements sont beaucoup moins aguerris, car ils n'ont pas été confrontés aux attentats depuis 2012, apparaissent comme des cibles plus aisées aujourd'hui.

    Quid de l'attaque d'Orly ou de celle du Louvre ?

    L'attaque d'Orly n'a pas été revendiquée par Daech. Elle est symptomatique d'un terrorisme low-cost qui n'est même plus contrôlé par des réseaux. L'individu avait déjà été arrêté pour braquage et trafic de stupéfiants et a fréquenté des islamistes en prison. Ces derniers expliquent aux délinquants que leurs crimes crapuleux sont en réalité un combat contre l'impiété, un djihad. Ziyed Ben Belgacem, l'auteur de l'attentat raté d'Orly, a habillé de références religieuses son banditisme. Il agresse au nom d' Allah, se réclame de l'islam lorsqu'il passe à l'acte, a un Coran dans son sac à dos, mais aussi des cigarettes, est sous l'emprise de l'alcool et consomme de la cocaïne. Ziyed Ben Belgacem peut ainsi être considéré comme «un mélange individuel détonnant», le «produit dérivé» d'un djihadisme plus structuré. Ce type de djihadisme est d'autant plus dangereux pour la société qu'il est difficile à déceler, mais fait généralement moins de dégâts. Son attaque a été un échec. Il a été abattu comme le djihadiste du Louvre il y a quelque semaines.

    En outre ce type de terrorisme est inefficace politiquement car il ne permet pas la mobilisation des masses. Les défaites que subit «le califat» sur son territoire sont un facteur anxiogène et dépressif pour les djihadistes. Nous ne sommes plus dans la logique triomphaliste d'autrefois, dans la mascarade d'otages torturés, décapités, et qui donnait le sentiment que l'État islamique était dans une «marche triomphale» pour conquérir l'humanité, mais dans l'intériorisation d'une défaite inéluctable, perçue comme une épreuve envoyée par Allah. En conséquence, les djihadistes n'ont plus le temps pour planifier soigneusement des attentats en Europe et tente de mûrir leur réflexion pour après. Nous sommes entrés dans une phase transitoire. Les djihadistes sont en train de réfléchir à la phase suivante.

    « Comment peut-on éviter la partition ?» s'interrogeait Hollande dans un incroyable aveu rapporté par Gérard Davet et Fabrice Lhomme dans leur livre, Un président ne devrait pas dire ça. Plus que le risque terroriste, à terme le risque majeur est-il celui de la partition?

    C'est ce que j'explique dans mon livre La Fracture, (Gallimard 2016). Si rien n'est fait, la société française sera de plus en plus sujette à des rétractions identitaires que ce soit autour du salafisme ou autour de l'idéologie de l'extrême droite. L'acceptation d'une forme de séparatisme, d' « apartheid » comme c'est le cas à Birmingham avec des juges chariatiques qui prononcent des sentences, pose le problème beaucoup plus profond des valeurs. Doit-on insister sur le partage d'un bien commun ou sur nos différences comme c'est le cas au Royaume-Uni où le Brexit est une sorte d'exacerbation de ce phénomène ?

    Le Royaume apparaît plus désuni que jamais comme le montrent les velléités d'indépendance de l'Écosse ou de l'Irlande du Nord, mais aussi la sécession culturelle de certains quartiers ou le sentiment d'abandon de l'Angleterre périphérique. Cet enjeu se pose aussi en France : l'effondrement social et l'échec de l'école font que le processus est en cours. Malheureusement le sujet est tabou aujourd'hui et largement esquivé du débat de la présidentielle. D'un côté le FN dénonce le communautarisme sans voir qu'il exacerbe lui-même la question identitaire. De l'autre côté, la plupart des candidats cachent la tête dans le sable sans que le problème soit analysé comme il le devrait et sans qu'aucune mesure ne soit prise pour enrayer le phénomène. Personne ne veut avouer que la situation dans un certain nombre de quartiers n'est plus maîtrisée. Pourtant, celui qui sera élu devra nécessairement se confronter à cet enjeu. Il faudra poser le problème de l'éducation, de l'apprentissage et de l'emploi. Ce sont des causes structurantes de la désaffection aussi bien d'un grand nombre d'enfants d'immigrés que d'enfants de paysans ou d'ouvriers dits de souche envers ce qu'ils appellent « le système». La superficialité du débat présidentiel s'explique par l'explosion du clivage droite/gauche et l'émergence d'un clivage système/antisystème. C'est une recomposition très profonde dans notre paysage politique derrière laquelle se profile la fracture. 

     
    XVM3e9f2b06-10b6-11e7-9ba8-d43cdbef99cb-120x154.jpgProfesseur à l'Institut d'études politiques de Paris, spécialiste internationalement reconnu du monde arabe et de l'islam, l'auteur de Terreur dans l'Hexagone (Gallimard, 2015) et de La Fracture (Gallimard, 2016) est aussi l'un des meilleurs connaisseurs des banlieues françaises, qu'il a arpentées durant de longues années. En 2010, avec une équipe de chercheurs, Gilles Kepel s'installe à Clichy-Montfermeil où sont nées les émeutes urbaines qui ont embrasé la France cinq ans plus tôt. Il en tire deux livres prophétiques, Banlieue de la République et Quatre-vingt-treize (Gallimard 2012), dans lesquels il montre la montée en puissance de l'islam politique dans les cités difficiles.
     
     
    Alexandre Devecchio           

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    Al.exandre Devecchio est journaliste au Figaro, en charge du FigaroVox. Il vient de publier Les Nouveaux enfants du siècle, enquête sur une génération fracturée (éd. du Cerf, 2016) et est coauteur de Bienvenue dans le pire des mondes (éd. Plon, 2016)