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Actualité Monde - Page 118

  • Qui les États-Unis visent-ils en Irak et en Syrie ?

     

    par Louis Vick 

    Nous publions le témoignage éloquent d’un expatrié français présent dans la partie kurde de l’Irak. La vidéo qui accompagne le témoignage fait actuellement fureur en Irak et en Syrie. Elle pourrait éclairer d’un jour nouveau l’inhabituelle discrétion des Américains quant à leur intervention militaire au Moyen-Orient.

    « (…) Je vais manger un kebab et faire des courses au supermarché. Sur le retour, je vois dans une petite rue adjacente des vieux armés de kalachnikovs. Ce sont d’anciens peshmergas qui font maintenant office de policiers gardant un bâtiment. Je les salue, ils me font signe de venir et on boit un thé assis sur des chaises dans la rue.

    L’un d’entre eux bredouille quelques mots d’anglais mais la discussion tourne vite en rond quand le sujet vient sur l’Etat Islamique. Je dis « peshmerga very good » mimant les combattants kurdes tirant sur Daech. Puis on fait le tour des pays… Je mime un avion russe en Syrie assorti d’un « very good », parole accueillie avec approbation.
    Turquie : mine de dégoût de mes interlocuteurs, « no good ». Nous mimons tous l’argent et les armes donnés par la Turquie à l’EI. Même chose pour l’Arabie saoudite.

    Puis l’un d’entre eux me demande : « America ? » Je fais la même imitation, ce qu’approuve l’un de mes petits vieux armés. Et là, il me mime un truc que j’ai immédiatement compris (comme quoi ça sert de connaître les nouvelles géopolitiques) : il place un sucre par terre et dit « Daech », puis sa main (« America ») représente un avion US qui balance quelque chose, puis Daech qui va fouiller. Ca a fait tilt immédiatement dans ma tête !

    Il faut savoir qu’il y a en ce moment une vidéo sur les réseaux sociaux irakiens, et qui est passée à la télé, que tout le monde commente. J’ai aussi réussi à la trouver sur youtube :

     

     

    C’est un commandant de l’armée irakienne qui a repris à l’EI une raffinerie. On le voit montrer des affaires par terre : « ça, c’est un parachute américain, ça aussi, là aussi, regardez ». Autrement dit, au lieu de balancer des bombes sur l’EI, la coalition américaine leur parachuterait des armes et des vivres.

    Vrai ou faux, je ne saurais dire… C’est en tout cas quelque chose qui est présent à l’esprit des Irakiens en ce moment : ils n’ont aucune confiance en les Américains et appellent de leurs voeux les Russes qui, eux, ne jouent pas double jeu ». • 

     - Politique magazine

  • Trois leçons d’économie du pape François

     

    par François Reloujac

    Le discours prononcé par le pape François à la tribune des Nations Unies le 25 septembre a donné lieu à de nombreux commentaires. Entre ceux qui se sont réjouis d’entendre le pape donner un satisfecit à l’ONU et ceux qui regrettent que le discours fut trop « moraliste » et pas assez « politique », beaucoup a été dit. Mais peu de commentateurs se sont penchés sur les trois leçons d’économie que contenait ce discours fort riche. Ces trois leçons ont trait au fonctionnement des organismes financiers internationaux, à la façon de mesurer les performances économiques et au rôle des États.

    Le fonctionnement des Organismes financiers internationaux

    Il est nécessaire, a dit le pape, d’accorder à tous les peuples de participer aux décisions des « corps dotés d’une capacité d’exécution effective, comme c’est le cas (…) des Organismes Financiers et des groupes ou mécanismes spécialement créés pour affronter les crises économiques ». Si l’on peut d’abord penser au Fonds Monétaire International (FMI), on ne peut pas écarter le cas de la Banque Centrale Européenne (BCE) ni celui du Mécanisme Européen de Stabilité (MES). Aucun de ces organismes, selon ce que nous dit le pape ne peut donc « imposer » à un État quel qu’il soit une décision que celui-ci ne pourrait pas accepter. Le pape a ajouté que « les Organismes Financiers internationaux doivent veiller au développement durable des pays, à ce qu’ils ne soient pas soumis, de façon asphyxiante, à des systèmes de crédits qui, loin de promouvoir le progrès, assujettissent les populations à des mécanismes de plus grande pauvreté, d’exclusion et de dépendance ». Certes, en prononçant cette phrase, le pape avait surtout à l’esprit le cas des « pays en voie de développement ». Mais, comment un Européen peut-il entendre cette recommandation sans penser en premier lieu à la Grèce et au diktat qui lui a été imposé par la « troïka » (FMI, Union européenne, BCE) ?

    La mesure des performances économiques

    Sur ce point, le pape commence par reconnaître que « la multiplicité et la complexité des problèmes exigent de compter sur des instruments techniques de mesure ». Ces instruments ne sont donc pas simplement utiles, ils sont nécessaires. Mais le pape ajoute que leur usage, à force de banalisation, peut conduire à deux dérives graves : une priorité absolue donnée au « travail bureaucratique » qui conduit à multiplier les normes, les processus et les contrôles au détriment de l’action proprement dite ; une confiance aveugle dans les constructions théoriques et a priori qui conduisent à se couper du réel. Car, nous rappelle le pape, une action économique n’est efficace que « lorsqu’on l’entend comme une activité prudentielle, guidée par un concept immuable de justice, et qui ne perd de vue, à aucun moment, qu’avant et au-delà des plans comme des programmes, il y a des femmes et des hommes concrets… ».

    Le rôle de l’État en matière économique

    Les gouvernants, nous dit le pape, « doivent faire tout le possible » pour permettre à chacun de vivre décemment. Et le minimum qu’ils doivent donner pour cela s’articule autour de trois besoins qu’il est impératif de combler : donner un « logement personnel » ; donner un « travail digne et convenablement rémunéré » ; donner accès à une « alimentation adéquate » et à une « eau potable ».

    Il convient ici de ne faire aucun contre-sens. Les pouvoirs publics n’ont pas à mettre en œuvre des politiques de faux-semblants, comme ils savent si bien le faire. Donner à chacun l’accès à un logement personnel ne signifie pas obligatoirement qu’il faille accorder une « aide à la pierre », ni venir au secours du secteur du bâtiment. Le choix des mesures à prendre est affaire de circonstance et telle mesure qui paraît opportune à un moment peut fort bien ne plus l’être ultérieurement. Les questions économiques relèvent du domaine prudentiel et les mesures circonstancielles doivent toujours être adaptées aux situations concrètes. Celles qui ne sont plus adaptées doivent donc toujours être rapportées. Mais il ne faut pas non plus se tromper sur le but premier poursuivi et, en l’occurrence nous dit le pape, les pouvoirs publics doivent veiller à ce que chacun puisse bénéficier d’un logement personnel où il puisse accueillir sa famille.

    Deuxième priorité : tous doivent pouvoir avoir accès à un « travail digne et convenablement rémunéré ». Dans son encyclique Laudato Si’, le pape avait rappelé de façon très concrète que « la création de postes de travail [par toute entreprise] est une partie incontournable de son service du bien commun » (§ 129). Mais créer un poste de travail n’est pas suffisant ; celui-ci doit être « digne », c’est-à-dire ne pas faire courir, même indirectement, à la personne qui l’occupe un danger moral, psychologique ou spirituel autant que physique. De plus, il doit être convenablement rémunéré, c’est-à-dire qu’il doit permettre à celui qui l’occupe de vivre normalement avec sa famille, selon son état. Si cela ne conduit à aucune course à l’échalote, cela suppose aussi que la famille ne doit pas être condamnée, pour vivre normalement, à suppléer le manque de rémunération par un crédit à la consommation. Mais être convenablement rémunéré ne signifie pas non plus que tout le monde soit en droit d’exiger de son employeur une rémunération qui lui permette de satisfaire tous les désirs artificiels entretenus et développés par une publicité agressive qui ne peut conduire qu’au surendettement.

    Troisième priorité : l’accès à une « alimentation adéquate » et à l’« eau potable ». Là encore, le pape fait clairement référence à son encyclique Laudato Si’. Sans entrer dans le détail, il convient de remarquer qu’une « alimentation adéquate » est celle qui correspond aux besoins physiologiques de chacun et qui varie donc en fonction de l’âge de la personne, de la nature de ses activités et du climat de son pays (de la saison). Si une « alimentation adéquate » sous-entend une certaine diversité, elle ne signifie pas que certains peuvent s’arroger le droit de manger de tout en toute saison, en faisant venir à grands frais (et en gaspillant de l’énergie fossile) des produits qui pourraient manquer à ceux qui les produisent ou les conduire à produire des produits inutiles ou nocifs – pavot par exemple – destinés à l’exportation en lieu et place de cultures vivrières indispensables à l’échelon local.

    Dans son discours à la tribune des Nations Unies, le pape n’a pas développé ces analyses qui, d’ailleurs, n’épuisent pas le sujet. Il s’est contenté de rappeler « le minimum absolu » auquel chacun doit avoir accès pour exercer sa dignité, « comme pour fonder et entretenir une famille qui est la base de tout développement social. Ce minimum absolu a, sur le plan matériel, trois noms : toit, travail et terre ; et un nom sur le plan spirituel : la liberté de penser, qui comprend la liberté religieuse, le droit à l’éducation et tous les autres droits civiques ». Il a donc mis chacun en garde contre toute « mauvaise gestion irresponsable de l’économie mondiale, guidée seulement par l’ambition du profit et du pouvoir ».   

     

  • SOCIETE • Questions sur le prix Nobel d’économie

     

    par Ph. Delelis

    Le Prix de la Banque de Suède en Sciences Economiques, plus connu sous le nom de Prix Nobel d’Economie, vient d’être attribué à Angus Deaton, professeur à Princeton, pour ses travaux sur la consommation, la pauvreté et le bien-être. Chaque année à la même époque, on peut s’interroger sur l’utilité des études menées par ces brillants esprits pour les politiques économiques, en tout cas en France. La logique conduit à se poser deux questions : est-ce que, en France, quelqu’un les lit et en tire des conclusions opérationnelles ? ou, si c’est le cas, compte tenu des résultats, est-ce que l’on attribue ce prix à des imposteurs ?

    Première question, donc : en dehors de la petite communauté des professeurs d’économie, quelqu’un, en charge à un titre ou à un autre, de la politique économique française, a-t-il lu les travaux des Nobel d’économie ? Pas sûr. D’abord, ils ne sont pas tous traduits et on connaît le niveau des Français en anglais. Ensuite, l’inertie de l’enseignement est telle que les résultats de la recherche y sont introduits avec retard. Ceci explique par exemple que les vieilles recettes de Papa Keynes continuent à être appliquées à la lettre par des décideurs qui n’ont guère entendu parler que de lui, de ses bons mots (« A long terme nous serons tous morts ») et de ses équations de niveau CM2 sur les bancs de Sciences Po. Enfin, quand les plus doués d’entre eux se rendent intelligibles – tels Jean Tirole l’année dernière – ils disent des horreurs sur la nécessaire déréglementation du marché du travail, les ravages de la politique du logement et les bienfaits de la concurrence. Bref, en France au moins, les Prix Nobel d’Economie ne servent à rien.

    D’où la seconde question, fort légitime dans un pays fier de sa rationalité depuis Descartes : n’a-t-on pas affaire à des imposteurs ? Une réponse positive à cette question justifierait bien sûr que l’on ignore superbement leurs travaux. Déjà M. Tirole avait dû faire face à un procès en orgueil et sorcellerie après s’en être pris à la création d’une deuxième section d’économie dans les universités, fondée sur les sciences sociales et politiques, autrement dit de la littérature engagée. Aujourd’hui, on ne manquera pas de souligner que M. Deaton est parvenu à démontrer que la malnutrition était la conséquence de la pauvreté et non l’inverse, ce qui pouvait sans doute être déduit sans y passer trop de temps par un élève de CM2 (qu’est-ce qu’on apprend après, franchement ?). On relèvera aussi qu’il a établi que le bien être individuel ne s’accroissait pas significativement au-delà de 75 000 dollars de revenus annuels, théorie qui serait vilipendée par les propriétaires d’une Ferrari s’ils la connaissaient. Mais on oubliera sans doute aussi vite qu’il est l’auteur de modèles de consommation très utilisés par les départements marketing des entreprises et les institutions financières internationales pour leurs politiques de développement. En effet, il n’échappera à personne que, dans ce pays, les procès en imposture sont toujours intentés par de vrais spécialistes du genre. Comme le disait plus simplement ce grand économiste qu’était Michel Audiard, injustement ignoré en son temps par la Banque de Suède : « On est gouverné par des lascars qui fixent le prix de la betterave et qui ne sauraient pas faire pousser des radis ». 

  • Syrie : Quand la République idéologique tue ses propres enfants...

     

    Par Academos 

     

    academos.jpgSyrie : Six djihadistes Français de plastique tués par les frappes des Rafales ? Ou : quand la République idéologique tue ses propres enfants...

    Jacques Chirac, Premier ministre du Président Giscard d'Estaing, est à l'origine des suicidaires et scélérats décrets de 1975 sur le regroupement familial. Il n'a jamais voulu reconnaître sa faute, ni qu'il avait touché la France au coeur, si l'on peut dire, c'est-à-dire dans la constitution même du peuple de France : car ses décrets, accordant automatiquement la nationalité française par le jeu incontrôlé du droit du sol, ont abouti tout simplement à changer le peuple. Pas encore complètement, certes, mais à introduire au coeur même du vieux pays des masses de Français de plastique, des français « légaux », mais qui, pour reprendre les termes du Père de Foucauld, n'ont ni le coeur ni l'esprit français; et, pire, qui ne souhaitent acquérir ni l'un ni l'autre mais, bien au contraire, ne rêvent que d'une chose : nous imposer leur coeur et leur esprit : l'Islam. Merci, Chirac !

    Dans son aveuglement, Chirac était même allé, devenu Président, jusqu'à déclarer que ces jeunes des cités, qui haïssent tout de nous, de nos racines, de notre Être profond, étaient « les enfants de la République ». Enfants de la République idéologique, peut-être; enfants de la France, certainement pas ! Chirac a peut-être cru, ce jour-là, réussir une belle (!) envolée lyrique, il n'a réussi qu'à mériter le fameux « errare humanum est, perseverare diabolicum ».

    Et voilà qu'aujourd'hui on apprend que nos Rafales ont détruit un camp d'entraînement de terroristes islamistes qui, en Syrie, préparaient leurs sales coups, leurs attentats, leurs assassinats; et que, dans le tas des tués (bon paradis d'Allah, les gars !) il y avait (il y aurait) six Français.

    Valls refuse de confirmer, mais, quoi qu'il en soit, une seule chose est sûre : il n'y avait aucun Français parmi ces assassins en puissance. Il n'y avait que des ennemis de notre peuple, de notre culture, de nos traditions, de nos héritages culturels et religieux. Ils sont morts là-bas, s'étant enfermés dans la logique mortifère qu'ils ont librement choisie et qu'ils ont suivie en toute liberté : mieux vaut cela que de les avoir laissés venir ici se faire exploser au milieu d'innocents qui n'ont rien demandé...

    Mathias Léridon s'est permis de dire - et il a mille fois raison - qu'on n'est pas Africain parce qu'on naît en Afrique, mais parce que l'Afrique bat dans votre coeur.

    Eh bien, ce que l'on permet de dire à Mathias Léridon, ils serait piquant que l'on nous interdît de le dire, à nous, accommodé à la réalité française : on n'est pas Français parce que l'on naît en France ou parce qu'un Système haineux de notre Histoire et de notre passé, de notre culture et de nos traditions vous a - follement - donné un petit rectangle de plastique. On est Français, si l'on est naturalisé, parce que la France bat dans votre coeur. 

    Et, sinon, non ! 

    * On n'est pas Africain parce qu'on naît en Afrique, mais parce que l'Afrique bat dans votre coeur.

  • La machine infernale ?

     

    par Louis-Joseph Delanglade

     

    « Craignez-vous que le conflit syrien dégénère en 3e Guerre mondiale ? », cest la question, pertinente au regard de la mécanique du déclenchement des deux premiers conflits mondiaux, posée par Le Figaro aux lecteurs de son édition électronique.

     

    On se rappelle M. Hollande à la tribune de lONU : « Assad est à l'origine du problème, il ne peut pas faire partie de la solution » - niant ainsi que la lecture « démocratique » de lembrasement du Proche-Orient ait fait long feu. Aveuglés par le fantasme ridicule du « printemps arabe », MM. Juppé et Fabius ont fourvoyé la diplomatie française dans un soutien stupide à une prétendue opposition « libre » au régime de Damas. Or, les « groupes rebelles affiliés à lArmée syrienne libre » (Le Monde) sont devenus, de facto, au sein dune « Armée de la Conquête » les alliés objectifs des djihadistes salafistes dAl-Nosra et Ahrar Al-Sham, ouvertement financés par les monarchies sunnites du Golfe et en partie aidés par la Turquie, elle aussi sunnite.

     

    Tous les ennemis de M. Assad sont donc sunnites, à commencer bien entendu par les combattants de lEtat islamique. Il ne faut pas sen étonner. En effet, quels que soient les excès de son régime (mais lequel, dans la région - et ailleurs -, peut se targuer d’être « innocent » ?), M. Assad a maintenu une forme de coexistence fondée sur la protection des minorités et trouvé un soutien indéfectible dans lIran chiite. Le conflit actuel ressemble donc furieusement à un affrontement de type religieux entre les frères ennemis et irréconciliables de lIslam.

     

    Lintervention brutale mais efficace de la Russie a dabord le mérite de donner indirectement raison à tous les politiques qui, en France même, pensent que M. Assad fait partie de la solution. Par exemple à M. Védrine, lequel dénonce dans toute approche exclusivement morale lorigine de « l’échec de la stratégie occidentale » et prône une alliance pragmatique avec Damas contre « Daesh ». Ou encore à M. Chevènement, plus radical dans ses propos :  « L'élimination dAssad ouvrirait les portes de Damas à Daech ». Cela dit, lengagement russe pourrait bien nous impliquer dans une conflagration apocalyptique par le simple jeu de lengrenage des alliances.

     

    Signe inquiétant en effet : la sur-réaction de la Turquie et de lOTAN aux formes prises par les frappes russes. En fait, la Turquie (et, derrière elle, laxe sunnite tout entier) voit dun très mauvais oeil s’éloigner la perspective pourtant promise dun renversement de M. Assad et pourrait pousser ses alliés à une sorte de surenchère démagogique. Il est donc urgent de signifier que notre seul ennemi dans la région est lEtat islamique (à qui dautre pourrait sadresser lallusion de M. Hollande à la légitime défense ?) et que MM. Poutine et Assad - dont les autres objectifs ne constituent pas une menace pour la France, ni même pour ses alliés - doivent être considérés comme des partenaires. Sinon… 

     

  • Svetlana Alexievitch, Nobel de littérature : la position d'Hélène Richard-Favre

     

    A la suite de l'attribution du Nobel de littérature 2015 à Svetlana Alexievitch, Hélène Richard-Favre, auteur spécialiste du monde russe, a tenu à nous faire part de sa position - que nous relayons bien volontiers. Ajoutant à son message le commentaire suivant : « Dans mon sujet, je n’ai évoqué que le HuffingtonPost mais c’est la quasi totalité des médias qui ont repris les propos que je cite et qu’elle a tenus en conférence de presse. Ma prise de position a été saluée et appréciée de nombre de personnes, russes ou non, toutes conscientes de la gravité de tels dires, surtout venant de la part d’un écrivain qui déclare faire du mensonge le fer de lance de son combat. »  

     

    479082707.jpgLe Nobel de littérature a été attribué.

    Il couronne Svetlana Alexievitch, écrivain et journaliste biélorusse.

    A lire l'article que lui consacre le Huffingtonpost, on comprend tout à fait que les idées politiques de cette écrivain rejoignent la plupart des standards occidentaux et bien leur en prenne, des goûts et des couleurs, on ne discutera pas ici.

    Mais quand on lit de cette Nobel de littérature que, je la cite, cette Russie en arrive à 86% à se réjouir quand des gens meurent dans le Donbass, non, là, c'est plus que de l'indécence ou de l'insulte. C'est un outrage lancé à la Russie et surtout à la mémoire de milliers de victimes qui n'ont jamais demandé à l'être.

    En arriver à exprimer de tels propos alors qu'on vient de se voir récompensé du prix le plus prestigieux qui soit, est inqualifiable. 

    http://www.huffingtonpost.fr/2015/10/08/svetlana-alexievi...

    Voix - le blog d'Hélène Richard-Favre

  • Où Hubert Védrine distingue entre les régimes résignés au multiculturalisme et ceux qui n'en veulent pas ...

     

    « Les sociétés d’Europe de l’Ouest sont favorables aux sociétés multiculturelles, ou s’y sont adaptées, ou s’y sont résignées, appelons-ça comme on veut. En Europe de l’Est, pas du tout. Ils pensent que les sociétés multiculturelles sont un échec flagrant, spectaculaire, ils n’en veulent pas. Donc ils ne veulent pas, sous couvert de la nécessité de donner l’asile à des gens vraiment persécutés entrer dans cet engrenage. Ce n’est pas de la xénophobie dans le sens où ils sont contre un groupe ethnique en particulier, ils ne veulent pas de l’évolution multiculturelle. Il ne faut pas s’en prendre qu’à la Hongrie. Il y a six, sept ou huit pays qui pensent comme ça. Il ne faut pas avoir peur d’en parler. »

     

    Hubert Védrine

    France Inter, La Matinale, le 28 septembre 2015

     

  • M.Fabius a mangé son chapeau …

    Les présidents Sarkozy et al-Assad à Paris en 2008  © Copyright : DR

     

    Par Péroncel-Hugoz

    Péroncel-Hugoz s’en prend cette semaine aux palinodies de la France dans l’affaire syrienne, et pour cela il remonte loin en arrière.

    peroncel-hugoz 2.jpgLa cruauté des gros plans télévisés sur les traits des politiciens en difficultés a parfois quelque chose d’insoutenable: il fallait voir en cette fin septembre la terrible mine plus que grise, funèbre même de Laurent Fabius, ministre français des Affaires étrangères, pendant que le président Hollande annonçait à la Terre entière que l’armée de l’air française avait commencé ses «frappes» (on ne dit plus « bombardements», mot qui effraie les opinions publiques occidentales, pauvres chéries trop sensibles…) sur Daech en Syrie. 

    Le temps n’est pas si lointain où M.Fabius, qui paraissait alors avoir mangé du lion, tonnait Urbi et Orbi contre « Bachar» (maintenant il l’appelle de nouveau Monsieur Bachar al-Assad …) qui, selon l’hôte du Quai d’Orsay, «n’en avait plus que pour quelques mois» … A l’époque, MM. Hollande et Fabius, tous deux alors très va-t’-en-guerre, voulaient même « bombarder» (là on employait carrément ce mot …) les lieux du pouvoir syrien, et impliquer dans ce projet très guerrier les Etats-Unis d’Amérique, lesquels se débinèrent, laissant les deux dirigeants français tout penauds, seuls au milieu du gué .

    Le résultat de ces pas-de-clercs (pas brillant, pour de vieux routiers de la politique comme Hollande et Fabius), de ces erreurs graves, ce fut le visage ravagé de Laurent Fabius offert par toutes les télévisions de la planète en ce début d’automne. Naguère, en France, quand un ministre était à ce point désavoué par les faits, il démissionnait ou était «démissionné». Ce n’est apparemment plus le cas. M. Fabius a donc mangé son chapeau, comme on dit vulgairement. Espérons qu’il le digèrera !

    En marge de toute légalité internationale- que ne dirait-on pas si un Etat arabe venait se mêler militairement d’un problème européen ?!-, la France bombarde donc maintenant la partie syrienne de l’entité daechiste. Elle a déjà jeté 215 tapis de bombes, ces derniers mois, sur de présumées installations militaires relevant en Irak du «calife de Raqqa et Mossoul», actes de guerre qui ne semblent pas avoir fait reculer d’un pouce, territorialement ou diplomatiquement, les islamistes armés, lesquels sont en train benoîtement d’émettre leur propre monnaie et ont reçu allégeance de consistants groupes jihadistes du Caucase au Nigéria via la Libye … 

    Non seulement les « frappes» françaises sur la Syrie ont peu de chance d’entraîner des reculs importants de Daech sur le terrain mais elles risquent fort de raviver des drames historiques, oubliés dans une France autruche qui n’apprend plus l’histoire de ses aventures outre-mer, histoire restant en revanche à fleur de mémoire dans un pays hypernationaliste comme la Syrie. Je l’appris d’ailleurs à mes dépens, sous la dictature de Hafez al-Assad, père de Bachar, lorsque je publiai la liste des sévices pratiqués dans les prisons du régime baassiste . Je fus interdit de séjour à Damas, comme journaliste français « ayant oublié les horreurs du colonialisme français en Syrie » … 

    Paris, en effet, entre 1920 et 1945, exerça un « mandat » de la Société des Nations (l’ONU de l’époque) sur la Syrie et le Liban, anciennes provinces ottomanes que la France devait « préparer à l’indépendance ». Cette préparation fut ardue, ponctuée  déjà de révoltes et bombardements. Et cela ne va pas tarder sans doute à être rappelé vertement à la France actuelle, surtout si des populations civiles sont victimes de « dommages collatéraux », causés par des avions français: il y a tout de même six ou sept millions de personnes vivant à présent sous l’autorité de Daech ! 

    Je tiens à préciser que, malgré mes démêlés journalistiques avec al-Assad père, j’ai toujours estimé qu’al-Assad fils, tout dictateur qu’il est, constitue actuellement un moindre mal et pour son pays et pour le reste du Proche-Orient. 

    Ce que personne sans doute ne dira, de peur de remuer encore le couteau dans la plaie d’amour-propre de M.Fabius, c’est que ce soutien indirect mais soutien tout de même, que Paris apporte désormais au régime damascène, n’est au fond qu’un retour vers le passé  pour la famille al-Assad et Paris. Retour bien plus en arrière encore que l’invitation acceptée du président Sarkozy à son homologue Bachar al-Assad à assister, le 14 juillet 2008, au grand défilé militaire national de Paris. Dans les années 1930, le grand-père de Bachar fut le chouchou des autorités mandataires françaises en Syrie, un peu, comme à la fin de la période protectorale au Maroc, le Glaoui fut « l’homme de la France » à Marrakech. Cet aïeul syrien, en compagnie d’autres notables locaux, demanda avec insistance à Paris de rester au Levant, de peur qu’en cas d’indépendance de la Syrie, la majorité sunnite n’exerce des représailles sur la minorité noçairie (dite aussi « alaouite » à cause de son attachement au calife Ali, gendre du prophète Mohamed). Cette minorité, plus ou moins chiite, il est vrai longtemps défavorisée, fut mise en selle par des officiers français des Affaires indigènes syriennes. Un « Etat autonome » du Djebel-Alaouite fut même installé durant quelques années par les Français autour de Lattaquié pour rassurer les Noçairis. Tout cela aboutit, en 1970, à la prise du pouvoir à Damas par le clan Assad. Verra-t-on de nouveau un jour un al-Assad « ami de la France ? » Pas impossible ! Si l’Histoire ne se répète pas, elle ne peut s’effacer. 

    Péroncel-Hugoz - Le 360

  • Syrie : les dessous de l’intervention russe

    Photo: Sipa

    Entretien avec Fabrice Balanche

    L'entretien qui suit avec Fabrice Balanche - entretien paru dans Causeur - prolonge très utilement la chronique de Péroncel-Hugoz qui précède.  

    Spécialiste de la Syrie, notamment de la région côtière alaouite, Fabrice Balanche est directeur du Groupe de Recherches et d’Etudes sur la Méditerranée et le Moyen-Orient à l’université de Lyon-2. Il analyse les raisons de l’intervention russe en Syrie et décrypte le grand jeu à l’œuvre dans ce pays… dont la France est exclue.

    Daoud Boughezala. Depuis son déclenchement la semaine dernière, la campagne de bombardements russes en Syrie a provoqué une escalade de tensions avec la Turquie et l’ensemble de l’OTAN. Que cherche Poutine en bombardant les groupes d’opposition armés syriens ?

    Fabrice Balanche. Vladimir Poutine a deux objectifs en Syrie. D’une part, installer durablement les troupes russes dans la région alaouite, sur la côte méditerranéenne. D’autre part, renforcer Bachar Al-Assad en vue de futures négociations sur l’avenir du pays. Les groupes d’opposition armés, des dernières brigades de l’Armée syrienne libre à Daech, sont frappés par Moscou non pas en fonction de leur idéologie, mais de la menace qu’ils représentent pour accomplir ces objectifs. C’est pour cette raison que l’aviation russe a, jusqu’à présent, peu ciblé Daech, dont le territoire se situe à l’Est de la Syrie, mais davantage, Al-Nosra et les groupes alliés de la branche syrienne d’Al-Qaïda, ce qui représente en nombre plus de 80% des rebelles. Les 20% restants se trouvent surtout dans le sud de la Syrie, où le soutien américain les oblige à demeurer « fréquentables » sur le plan idéologique.

    Les vives protestations de l’OTAN signifient-elles que l’Occident, France en tête, soutient tacitement les groupes d’opposition armée à Assad autres que l’Etat islamique, fussent-ils alliés ou affiliés à Al-Qaïda ?

    François Hollande a demandé à Vladimir Poutine de ne frapper que Daech, comme le fait la coalition occidentale. Hormis quelques bombardements en juillet 2014 sur Al-Nosra et Ahrar es-Sham, les Etats-Unis évitent de s’en prendre aux deux piliers de «  l’Armée de la conquête », une coalition islamiste financée par l’Arabie Saoudite, le Qatar et la Turquie en vue de faire tomber Bachar Al-Assad. Cette coalition a enregistré d’importants succès au printemps dernier en s’emparant de la province d’Idleb et en menaçant Lattaquié, dans la région alaouite. Les Occidentaux espéraient que cela amènerait Bachar Al-Assad à négocier en position de faiblesse et à abandonner le pouvoir, comme le réclame François Hollande. L’intervention russe met fin à leurs espoirs. L’Occident pensait naïvement qu’il suffirait d’entretenir un conflit de basse intensité en Syrie pour affaiblir l’armée syrienne. C’était sans compter le désastre humanitaire et ses conséquences en termes de migrations pour l’Europe, les attaques terroristes qui se multiplient et le déploiement de troupes russes et iraniennes en Syrie. Car il était évident que les deux alliés de Bachar Al-Assad que sont la Russie et l’Iran allaient finir par intervenir directement.

    En ce cas, pourquoi la Russie a-t-elle tant tardé à s’engager militairement sur le terrain syrien ?

    La Russie attendait que le moment soit favorable sur le plan géopolitique. Les Etats-Unis sont en position de faiblesse à l’extérieur car ils entrent en campagne électorale. Barack Obama a tout fait pour désengager les Etats-Unis d’Irak et d’Afghanistan, ce n’est pas pour se lancer dans une aventure militaire en Syrie. Quant aux Européens, ils sont tétanisés par le flux de réfugiés et le risque terroriste. Ils souhaitent que le conflit s’arrête quelle que soit l’issue, y compris le maintien au pouvoir de Bachar Al-Assad, pour une période de transition politique, qui est évidemment appelée à durer. L’accord sur le nucléaire iranien a été entériné, ce qui laisse plus de marge de manœuvre à Téhéran pour également intervenir en Syrie et en Irak, comme en témoigne l’annonce d’une coordination du entre Téhéran, Bagdad, Damas et Moscou contre Daech, prélude à une coalition concurrente de celle mise en place par les Etats-Unis.

    Sur le plan intérieur, le gouvernement syrien est fragilisé, son armée fatiguée est réduite par des pertes qu’elle ne parvient pas à compenser par les recrutements. Et au niveau local, la menace d’une attaque des rebelles sur Lattaquié, au nord de la côte méditerranéenne où précisément la Russie veut installer ses bases militaires, a obligé Vladimir Poutine à réagir. Il fallait aussi que Bachar Al-Assad soit en position de faiblesse pour qu’il accepte les conditions russes, car jusqu’à présent, même s’il était dépendant de la Russie pour son approvisionnement militaire, il refusait l’installation des troupes russes sur son territoire : question de fierté.

    Paradoxalement, à mesure qu’il se recroqueville sur son pré carré territorial (la fameuse “Syrie utile” de Damas à Lattaquié), le régime syrien semble regagner en respectabilité internationale. Néanmoins, les différentes conférences de la paix entre Damas et l’opposition  pacifique ont-elles une chance d’aboutir à une pacification sur le terrain ?

    L’opposition pacifique syrienne vit dans un monde virtuel, complètement déconnecté de la réalité du terrain, sans aucun levier sur les groupes militaires. Pourquoi Damas négocierait-il avec ces groupes ? Ceux-ci sont soutenus à bout de bras par les Occidentaux, la Turquie et les pétromonarchies qui ont besoin de conserver une opposition politique pour d’éventuelles négociations. Devant l’impossibilité de trouver une alternative politique à Bachar Al-Assad et face à la menace djihadiste, le principe de réalité s’impose à beaucoup de pays, tel l’Allemagne, en première ligne de la vague migratoire venue de Syrie. Désormais, l’Occident veut préserver les institutions syriennes et ramener le calme dans le pays. Le maintien d’un conflit de basse intensité, comme le souhaite la France, est devenu beaucoup trop coûteux pour l’Union Européenne, car c’est cette dernière qui accueille les réfugiés syriens et non les pétromonarchies du Golfe qui financent la rébellion. Mais pour pouvoir traiter avec Bachar Al-Assad, il faut redorer son image, il en va de la crédibilité des dirigeants, qui après l’avoir conspué, vont devoir renouer officiellement avec lui.

    Rétrospectivement, les anathèmes d’Assad contre ses opposants, qu’il a assimilés à des “terroristes” dès le début de la crise au printemps 2011, se sont révélées être des prophéties autoréalisatrices : grâce à l’expansion de l’État islamique, le pouvoir syrien se pose en ultime recours. Laurent Fabius n’a-t-il pas raison de faire de Daech et de Damas des alliés objectifs ?

    La politique de Laurent Fabius sur la Syrie est un échec total. Il a eu tort sur toute la ligne. C’est pour cette raison qu’il a été quelque peu dessaisi du dossier par le Président de la République début septembre. Notre ministre des Affaires étrangère réécrit l’histoire de la crise syrienne pour justifier ses positions. Il affirme ainsi  que si nous avions bombardé Damas en septembre 2013, les rebelles modérés auraient pris le pouvoir et Daech n’aurait jamais existé. Hubert Védrine dans une excellente tribune dans Libération a répondu que rien n’était moins sûr. Je partage tout à fait son avis : nous aurions tout simplement eu Daech à Damas. Le communautarisme et le salafisme radical ne sont pas nés en 2011, sous l’impulsion d’un régime machiavélique. Ils sont constitutifs de la société syrienne et ne demandaient qu’à s’exprimer au grand jour. Certes, Bachar Al-Assad a joué avec ce qui lui permettait de fragmenter l’opposition. Mais si Damas et Daech sont des alliés objectifs, dans ce cas Israël et le Hamas le sont également, sans oublier les Etats-Unis et la Russie, et en son temps François Mitterrand et Jean-Marie Le Pen. Ce genre de raccourci est indigne d’un ministre des Affaires étrangères. Cependant, après avoir affirmé pendant deux ans que Bachar Al-Assad avait créé Daech, prétendre aujourd’hui qu’ils ne seraient plus que des alliés objectifs témoigne d’une certaine inflexion de la diplomatie française ! 

    Entretien par Daoud Boughezala, rédacteur en chef de Causeur.

     

  • Politique & Religion • La leçon politique du pape

     

    par François Reloujac

    Le 24 septembre, le pape François a rencontré les élus du Congrès américain. Les médias ont d’une part souligné qu’il s’était adressé aux représentants du peuple américain (exclusivement ?) et d’autre part insisté sur certains points particuliers comme la peine de mort, l’écologie ou la lutte contre la pauvreté. Nul n’a oublié de dire qu’il avait cité Martin Luther King mais bien peu ont déclaré qu’il avait aussi cité Thomas Merton. Il est vrai que le monde connaît le pasteur baptiste noir américain, mais qui a réellement entendu parler du moine cistercien ?

    Ceci étant, en en restant là, c’est un message terriblement tronqué que les médias nous ont présenté. Certes, le pape, en bon jésuite, part toujours des situations concrètes et s’élève à partir d’elles à une dimension beaucoup plus générale qu’il ne faut pas occulter sous peine de passer à côté de l’essentiel. La leçon du pape a une portée beaucoup plus universelle et il faut une certaine myopie intellectuelle pour considérer, par exemple, que l’appel aux « membres du Congrès » ne concernerait qu’eux et n’intéresserait pas les Parlementaires des autres pays.

    En fait, le pape a donné deux leçons principales à tous les Parlementaires du monde, à travers les Représentants du Congrès américain, avant de prononcer quelques aphorismes dont il a le secret.

    La nature du travail parlementaire

    Le pape a donc dit aux Représentants du Congrès américain que la responsabilité de tout Parlementaire est de permettre à son pays, à travers son activité législative, « de prospérer en tant que nation ». En tant que représentants du peuple, en tant que visage de ce peuple, tous les Parlementaires sont appelés à « défendre et préserver la dignité » de leurs concitoyens, « dans la recherche inlassable et exigeante du bien commun, car c’est le principal objectif de toute politique ». En système démocratique, ce n’est pas quelque chose de facultatif ni qui relève de la seule fantaisie de chacun car, « l’activité législative est toujours fondée sur la protection du peuple. C’est à cela que vous avez été invités, appelés et convoqués par ceux qui vous ont élus ». Il s’agit d’une véritable mission dont le modèle est donné dans la Bible en la personne de Moïse : « D’une part, le patriarche et législateur du peuple d’Israël symbolise le besoin des peuples de maintenir vivant leur sens d’unité au moyen d’une juste législation. D’autre part, la figure de Moïse nous conduit directement à Dieu et ainsi à la dignité transcendante de l’être humain ». C’est pourquoi, le pape demande aux Parlementaires de calquer leur démarche sur celle de Moïse : « vous êtes chargés de protéger, à travers la loi, l’image et la ressemblance de Dieu façonnées en chaque visage humain ».

    La méthode du travail parlementaire

    Faisant semblant de s’adresser ensuite, au peuple tout entier à travers leurs représentants, le pape, en fait, donne ce que l’on pourrait appeler une leçon de méthodologie. Les parlementaires sont ainsi appelés à ne pas voir dans les hommes et les femmes « qui s’efforcent chaque jour d’accomplir un honnête travail » des personnes qui seraient « simplement concernées par le paiement de leurs impôts ». Ces personnes sont en fait les forces vives de la nation, celles qui « individuellement, de façon discrète, soutiennent la vie de la société ». Ce sont elles qui sont à la base de toutes les actions de solidarité que les parlementaires sont donc invités à respecter. Comme ils doivent prendre en compte les activités bénévoles des retraités et permettre aux jeunes de travailler « pour réaliser leurs grandes et nobles aspirations ».

    Quelques aphorismes

    « Bâtir un avenir de liberté demande l’amour du bien commun et la coopération dans un esprit de subsidiarité et de solidarité ».

     « Toute activité politique doit servir et promouvoir le bien de la personne humaine et être fondée sur le respect de sa dignité ».

    « Il est difficile de juger le passé avec les critères du présent ».

     « Bâtir une nation nous demande de reconnaître que nous devons constamment nous mettre en relation avec les autres, en rejetant l’esprit d’hostilité en vue d’adopter un esprit de subsidiarité réciproque ».

     « Un bon dirigeant politique est quelqu’un qui, ayant à l’esprit les intérêts de tous, saisit le moment dans un esprit d’ouverture et de pragmatisme ».

    « Un bon dirigeant politique choisit toujours d’initier des processus plutôt que d’occuper des espaces ».

    Et pour terminer, ce passage qui figurait dans le texte écrit mais que le pape n’a pas prononcé dans son intégralité : « Si la politique doit vraiment être au service de la personne humaine, il en découle qu’elle ne peut pas être asservie à l’économie et aux finances. La politique est, en effet, une expression de notre impérieux besoin de vivre unis, en vue de bâtir comme un tout le plus grand bien commun : celui de la communauté qui sacrifie les intérêts particuliers afin de partager, dans la justice et dans la paix, ses biens, ses intérêts, sa vie sociale ». 

  • Pendant que Poutine joue aux échecs, Hollande joue à la belote

    L'opinion d'André Bercoff    

    Pour André Bercoff, François Hollande a commis une erreur stratégique en refusant trop longtemps de dialoguer avec le président syrien Bachar el-Assad. Comme avec Vladimir Poutine, d'ailleurs, qui est désormais au centre du jeu diplomatique. Etat de fait qui est, après tout, compte tenu de la qualité de nos dirigeants, ce qui peut aujourd'hui arriver de mieux au groupe de nations qui partagent notre civilisation, ou ce qu'il en reste. Et dont la Russie fait partie. Sur le fond, l'analyse d'André Bercoff nous paraît fort juste. Et puis, il y a la forme, dont nous avons déjà parlé : Quand le bon sens, le style, la verve et la truculence, le franc parler se combinent cela donne un billet d'André Bercoff et quand il décide de peindre et moquer les hommes du Système, cela fait mouche.  LFAR 

     

    photo.jpgDe Gaulle en ses Mémoires : « Vers l'Orient compliqué, je m'envolai avec des idées simples.» Mieux valent des idées simples que pas d'idées du tout. C'est ce vide quasiment abyssal qui semble régner sur la politique étrangère de la France, et ce, depuis quelques années. Sarkozy voulut se débarrasser de Kadhafi au nom de la liberté et des droits de l'homme, ce qui était tout à fait légitime, mais ce faisant, il a complètement ignoré le fait qu'une dictature peut en cacher une autre, pire encore. Kadhafi était une brute sanguinaire que gouvernements de gauche et de droite reçurent en grande pompe, puisque le pétrole reste l'horizon indépassable de notre temps européen. L'on se rappelle les vivats médiatiques, les poèmes lyriques et les autocongratulations euphoriques qui accueillirent la chute du tyran. Résultat des courses : la voie des grandes migrations fut ouverte avec fracas et, dans leur candeur naïve, nos protagonistes ne songeaient même pas, les choses méditerranéennes étant ce qu'elles sont, qu'aux serments de Tobrouk allaient succéder les décapitations de Syrte.

    Plus spectaculaire encore, dans le déni de réalité, fut la position française vis-à-vis de la Syrie. Que Bachar El Assad fût prêt, comme son père le fit à Hama il y a plus de trente ans, à sacrifier des dizaines de milliers de personnes, nul n'en doutait. Donc, en 2012, pour Obama comme pour Hollande, il s'agissait de se débarrasser au plus vite du massacreur syrien : l'on se rappelle la série prolongée des mâles résolutions de Laurent Fabius. Malheureusement, on avait encore une fois oublié cette triste réalité d'évidence: à savoir que, depuis des années et pour quelque temps encore, le choix n'est pas entre [le mal absolu ] et un Printemps Arabe qui a duré ce que durent les roses, et qui aurait débouché sur la victoire d'une démocratie qui allie enfin la liberté d'expression, le droit des femmes, la laïcité et évidemment le droit de vote. Le choix, dramatique mais incontournable, oppose les dictatures militaires à l'enrégimentation de l'islamisme radical, dont l'ambition est précisément et irréversiblement la mainmise implacable, policière et punitive sur la totalité de la vie quotidienne. Les bonnes âmes nous parlent sans cesse du manque de différence entre peste et choléra. Ne pas oublier, cependant, que les dictatures peuvent disparaître alors que la soumission institutionnalisée, actée de la naissance à la mort, appliquée d'une main de fer du lever au coucher, est beaucoup plus difficile à combattre par nos « valeurs de la République » de plus en plus soumises, elles, au souci primordial de ne vivre sa vie que sous principe de précaution.

    Voilà pourquoi Poutine est aujourd'hui au centre du jeu : il joue aux échecs en calculant à six coups d'avance, alors que nous jouons à la belote en brandissant bruyamment nos sains principes. Un examen à peu près lucide du paysage moyen-oriental, entre chiites et sunnites, Califat irako-syrien et Egypte de Sissi, Israël et Palestine, aurait montré à nos gouvernants que le rapport de force modèle plus que jamais les situations et qu'entre deux maux, il faut continuer de choisir le moindre. Sinon, on se retrouve en coulisses, en salle d'attente, à regarder les vrais joueurs s'affronter. Hollande et Fabius découvrent soudain l'intervention en Syrie et les bombardements ciblés : il n'est jamais trop tard pour bien faire. Mais le temps perdu signe la condition sympathique et pérenne des seconds rôles.  •  

    André Bercoff             

    André Bercoff est journaliste et écrivain. Son dernier livre Bernard Tapie, Marine Le Pen, la France et Moi est paru le 9 octobre 2014 chez First.     

  • Bernard Lugan : Un fils du colonel Kadhafi sera t-il le futur chef de l'Etat libyen ?

     
     
    Le 24 septembre dernier, Bernard Lugan a publié sur son blog la très intéressante analyse qui suit. Analyse remarquablement documentée, comme toujours, mais analyse qui, d'autre part, évoque ce qui pourrait être un avenir libyen, en tout cas moins chaotique que l'actuelle situation. Laquelle nous est évidemment préjudiciable à maints égards. Voilà qui concerne par conséquent notre propre avenir. A suivre !
     
    lugan.jpgLe 14 septembre 2015, un coup de tonnerre a retenti dans le ciel serein des certitudes démocratiques européo centrées quand le Conseil suprême des tribus de Libye désigna Seif al-Islam Kadhafi comme son représentant légal. Désormais, voilà donc un fils du défunt colonel seul habilité à parler au nom des vraies forces vives de Libye...
     
    Les abonnés à l'Afrique Réelle et les lecteurs de ce blog ne seront pas surpris par cette nouvelle puisque, depuis 2012, je ne cesse d'écrire :
     
    1. Que la pacification de la Libye ne pourra se faire qu'à partir des réalités tribales.
     
    2. Que le seul à pouvoir reconstituer l'alchimie tribale pulvérisée par l'intervention militaire de 2011, est Seif al-Islam que son père, le colonel Kadhafi, avait pressenti pour lui succéder, et qui est actuellement "détenu" par les milices de Zenten.
     
    Mes analyses ne procédaient pas du fantasme, mais du seul réel qui est que :
     
    1. En Libye, la grande constante historique est la faiblesse du pouvoir par rapport aux tribus. Au nombre de plusieurs dizaines, si toutefois nous ne comptons que les principales, mais de plusieurs centaines si nous  prenons en compte toutes leurs subdivisions, ces tribus sont groupées en çoff (alliances ou confédérations).
     
    2. L'allégeance des tribus au pouvoir central n'est jamais acquise.
     
    3. Les bases démographiques des groupes tribaux ont glissé vers les villes, mais les liens tribaux ne se sont pas distendus pour autant.
     
    Le colonel Kadhafi fonda son pouvoir sur l'équilibre entre les trois grands çoff libyens, à savoir la confédération Sa'adi de Cyrénaïque, la confédération Saff al-Bahar  du nord de la Tripolitaine et la confédération Awlad Sulayman de Tripolitaine orientale et du Fezzan à laquelle appartiennent les Kadhafda, sa tribu.De plus, à travers sa personne, étaient associées par le sang la confédération Sa'adi et celle des Awlad Sulayman car il avait épousé une Firkèche, un sous clan de la tribu royale des Barassa. Son fils Seif al-Islam se rattachant donc à la fois aux Awlad Sulayman par son père et aux Sa'adi par sa mère, il peut donc, à travers sa personne, reconstituer l'ordre institutionnel libyen démantelé par la guerre franco-otanienne. Mais pour comprendre cela, encore faut-il se rattacher à la Tradition lyautéenne des "Affaires indigènes" et répudier l'approche universaliste des "cerveaux à noeud" du quai d'Orsay.
     
    Aujourd’hui, les alliances tribales constituées par le colonel Kadhafi ont explosé; là est l’explication principale de la situation chaotique que connaît le pays. En conséquence de quoi, soit l'anarchie actuelle perdure et les islamistes prendront le pouvoir en Libye, soit les trois confédérations renouent des liens entre elles. Or, c'est ce qu'elles viennent de faire en tentant de faire comprendre à la "communauté internationale" que la solution passe par les tribus... Certes, mais la Turquie et le Qatar veulent la constitution d'un Etat islamique et la justice internationale a émis un mandat d’arrêt contre Seif al-Islam...
     
    Le 12 octobre, avec son habituel sens de la clairvoyance, sa célèbre hauteur de vue et son immense connaissance du dossier, BHL expliquera certainement cette évolution de la situation libyenne aux auditeurs de l'IHEDN (Institut des Hautes Etudes de la Défense nationale) devant lesquels il doit prononcer une conférence de "géopolitique". Il est en effet bon que les plus hauts cadres civils et militaires sélectionnés pour intégrer cet institut prestigieux, puissent écouter les analyses des experts les plus qualifiés... 
     
    Au début du mois de novembre, aux éditions de l'Afrique Réelle, sortira mon livre intitulé "Histoire et géopolitique de la Libye des origines à nos jours" dans lequel, sur la longue durée, est mise en perspective la marqueterie tribale libyenne, clé de compréhension de la situation libyenne actuelle. Ce blog en rendra compte.
     
     

  • Vidéo : Où l'ambassadeur de Russie développe les bases d'une poltique réaliste au Moyen-Orient

     

    Alexandre Orlov est ambassadeur de Russie à Paris. Il était, vendredi dernier, 25 septembre, l'invité de Jean-Jacques Bourdin sur BFMTV et RMC. C'est la vidéo de cette émission (18') que nous vous proposons de regarder.

    Jean-Jacques Bourdin n'a guère eu matière ou prétexte à contredire son invité, sans-doute parce que le discours de cet ambassadeur - au demeurant parfaitement francophone - est exempt de contenu idéologique, voire expansionniste, et se fonde sur une vision pragmatique des réalités. C'est de Real Politik dont on traite avec lui. Et appliquée à la situation au Proche-Orient, la politique russe vise à détruire Daech, combattre le terrorisme, restaurer l'ordre dans la région, où le chaos s'est installé. Ou plus exactement l'a été.

    En l'occurrence, la part que va y prendre la Russie peut être déterminante. Et dans la situation où nous nous sommes mis (terrorisme, migrants, expansion du califat islamique ...), il devient difficile de la négliger ou, pire, de la rejeter, pour d'obscurs motifs. A vrai dire, l'intérêt français (et européen) ne fait pas de doute. Sauf inconscience, le choix d'accepter ou refuser de coopérer avec la Russie dans cette affaire ne nous est pas donné. C'est pour cela que le vent tourne à Washington, Londres et Berlin. Et même à Paris où, malheureusement, les politiques aux affaires seront sans-doute les derniers à comprendre l'erreur dans laquelle ils se sont enfermés ces dernières années. Avec les conséquences d'extrême gravité que l'on sait. Sur tous ces sujets, nous-mêmes, parce que notre guide est l'intérêt français, n'avons jamais changé d'avis.  Lafautearousseau    

     

     

  • La stratégie de Poutine au Moyen-Orient

    Au lendemain de la rencontre de Vladimir Poutine avec le Premier ministre israélien Benyamin Nétanyahou, Hadrien Desuin* analyse pour le Figaro - avec pertinence selon nous - les enjeux  de la guerre en Syrie. Un nouvel équilibre des forces au Moyen-Orient se met en place. Lequel, soit dit en passant, relativise et renvoie au passé, les violentes critiques portées par les Etats-Unis, l'Union Européenne, la diplomatie française et maints observateurs, à l'encontre de la Russie et de Vladimir Poutine. Les échecs qu'on lui prédisait, ainsi d'ailleurs que la chute d'Assad annoncée comme imminente il y a trois ou quatre ans, ne se sont pas produits. Et cette politique nous a fait perdre ces mêmes trois ou quatre années, au cours desquelles Daech s'est considérablement renforcé, où le chaos s'est répandu à travers le Moyen-Orient tout entier, avec, pour nous, Français et Européens, les conséquences que l'on sait. Cette politique, nous l'avons toujours dénoncée, ici. Et sans-doute avions-nous raison.  LFAR 

     

    LE FIGARO - Le président russe Vladimir Poutine a rencontré lundi à Moscou le Premier ministre israélien Nétanyahou au sujet de la guerre en Syrie. Selon Haaretz, cette visite semble refléter « le manque de foi [de ce dernier] dans la capacité et la volonté des Etats-Unis à protéger les intérêts sécuritaires israéliens. » La Russie est-elle un nouvel acteur majeur dans la région ? 

    Hadrien DESUIN - Les derniers renforcements russes en Syrie frappent l'imaginaire collectif. Pour la première fois depuis la fin de la guerre froide et l'intervention soviétique en Afghanistan, l'armée russe s'apprête à intervenir au Moyen-Orient. Les Russes avaient conservé leur base de Tartous et fournissaient en armes l'armée syrienne mais Poutine a changé de braquet: désormais c'est l'armée russe qui frappe. Il s'agit d'un événement majeur qui va marquer l'histoire des relations internationales: un nouvel équilibre des forces au Moyen-Orient se met en place. Il faut se souvenir que les interventions américaines dans le Golfe ont été rendues possible par la chute de l'URSS. Mais progressivement la Russie poutinienne restaure les positions soviétiques au Moyen-Orient, ce que n'aurait pas déplu à Evgueni Primakov qui vient de disparaître. 

    Il faut toutefois nuancer. La stratégie russe n'est pas une logique de guerre froide et d'opposition aux armées occidentales mais plutôt d'aiguillon. L'idée est de participer à la coalition anti-Daech en s'appuyant sur l'armée syrienne et non les «rebelles». Rebelles qu'à l'exception de quelques idéologues, on peine à distinguer des groupes djihadistes proches d'Al-Qaïda. La Russie ne veut pas apparaître comme un trublion mondial. Au contraire, elle souhaite jouer un rôle dans le nouveau monde multipolaire qui s'ouvre après la fin de l'hégémonie américaine post-URSS. 

    Côté israélien, il y a une vraie déception vis-à-vis des Etats-Unis et un certain pragmatisme. Marqué par le conflit contre le Hezbollah au Liban-sud, le chef du Likoud a d'abord misé sur la chute de Bachar Al-Assad. Le premier ministre israélien a dès lors voulu jouer le Capitole contre la Maison-Blanche ; mal lui en a pris. Ses réseaux dans le parti républicain n'ont pas suffit. Même les électeurs juifs démocrates n'ont pas suivi son obsession anti-iranienne. Peut-être aussi que la droite nationaliste israélienne voit d'un bon oeil l'émergence de Daech, qui peut cyniquement diviser le camp djihadiste, notamment le Hamas. 

    Par dépit, Netanyahou se tourne vers Moscou qui pourtant applique une politique pro-iranienne dans la région. Il s'agit sans doute d'une simple coordination technique entre les états-majors aériens. Netanyahou en profite aussi pour marquer sa désapprobation vis-à vis de l'administration Obama. Avec l'idée que le grand retour de la Russie au Moyen-Orient ne manquera pas d'être exploité par les républicains qui pointent la prudence excessive de Barack Obama. 

    Comment expliquer ce basculement alors que la Russie était la cible de violentes critiques de la part des EU et de l'UE ? 

    Le principe de réalité finit toujours par prendre le dessus sur les émotions morales. La stratégie occidentale est en échec en Syrie depuis quatre ans. Le groupe des amis de la Syrie qui avait exclu les positions iranienne et russe n'a jamais pu apporter la preuve de la crédibilité de l'armée syrienne libre (ASL) et sa branche politique, le conseil national syrien. La Russie, de son côté, a toujours proposé ses bons offices diplomatiques pour dénouer le nœud syrien et trouver une solution interne au régime des Assad.

    Pour l'opinion occidentale, les crimes de Daech sont désormais nettement plus insupportables que les tentatives de Bachar Al-Assad de rester au pouvoir. C'est donc la position russe qui apparaît la plus juste mais aussi la plus réaliste. On joue sur les mots mais plus personne en haut lieu n'appelle à un changement de régime à Damas. Mutatis mutandis, les occidentaux s'alignent sur la position russe. C'est-à-dire la priorité donnée à la lutte contre le terrorisme islamiste. 

    La Russie semble être le pays le plus déterminé à attaquer Daech . Comment expliquer la lenteur des pays européens et des Etats-Unis à s'allier avec Moscou ? 

    On disait l'économie russe à genoux, le pouvoir politique de Poutine vacillant, isolé sur la scène internationale. Il n'en n'est rien. Comme disait Bismarck, «la Russie n'est jamais aussi forte ni aussi faible qu'il n'y paraît.» Largement surestimée au cours de la guerre froide, la Russie a, depuis 25 ans, été négligée au Moyen-Orient. Mais l'image d'une armée russe en déliquescence dans les années 90 n'est plus d'actualité. Poutine et ses généraux se sentent suffisamment forts désormais pour se projeter au Moyen-Orient et déployer le meilleur de leur technologie. 

    Comme à son habitude, Vladimir Poutine a manœuvré en discrétion pendant tout le mois de septembre jusqu'à ce que son appui à l'armée syrienne ne puisse plus être contesté. Comme en Crimée et en Géorgie, Poutine ne veut pas provoquer mais les Occidentaux sont mis en douceur devant le fait accompli, sans déclaration tonitruante ni fanfaronnade. Les rôles s'inversent puisque jusqu'à présent ce sont les Occidentaux qui mettaient bruyamment la Russie devant le fait accompli. 

    Pour autant, les puissances occidentales, échaudées par leurs échecs successifs dans la région réalisent au fur et à mesure que Poutine et Lavrov peuvent poursuivre le rôle positif qu'ils ont joué dans les négociations avec l'Iran. 

    Laurent Fabius s'est montré hostile à la visite de parlementaires français en Crimée, et opposé à la vente des Mistral à Moscou. La France est sous embargo alimentaire russe depuis 2014 après les sanctions économiques prises à l'encontre de la Russie… Comment analysez-vous l'attitude de la diplomatie française envers la Russie? La France est-elle en train de manquer une rapprochement de poids avec Moscou ? 

    La position de Laurent Fabius reste arc-boutée sur le départ de Bachar Al-Assad comme s'il vivait encore dans le mirage des printemps arabes. Mais Daech a pris de plus en plus d'importance jusqu'à la prise de Mossoul. Les Occidentaux ont alors été contraints de prendre la défense de Bagdad et les militaires ont fait pression pour élargir les opérations à la Syrie. Jean-Yves Le Drian en France, John Kerry et Ashton Carter [actuel secrétaire d'Etat américain à la Défense, ndlr] aux Etats-Unis ont été les premiers à pousser à reprendre le dialogue avec Damas. C'est eux qui tirent François Hollande et Barack Obama à se rapprocher de la position russe. 

    Laurent Fabius, toujours en retard d'une guerre, semble encore penser le monde des années 90. Depuis trois ans, il réclame le départ préalable de Bachar Al-Assad sans tenir compte de la position russe. Dans un entretien paru aujourd'hui dans Le Figaro, il trouve pour la première fois absurde de demander des excuses à Assad avant toute discussion. Mais si on négocie avec un chef d'État, c'est reconnaître sa légitimité et sa capacité dans l'avenir à mettre en place l'accord. Ce qui n'est pas compatible avec une exigence de départ à court ou moyen terme. 

    Sur les questions de sécurité, Laurent Fabius qui se comporte en Vice-président, accumule les revers. Ses rapports avec la Russie ont semblé en opposition avec le ministère de la Défense dont l'approche est nettement plus réaliste. Engoncé dans un discours moralisateur, Laurent Fabius est en décalage avec les événements et semble avoir perdu tout crédit pour diriger la diplomatie française. Son départ en décembre, à la faveur du remaniement post-élections régionales pourrait permettre de renouer les liens traditionnels avec la Russie et redonner des marges de manœuvre à François Hollande. 

    * Ancien élève de l'École spéciale militaire de St-Cyr puis de l'École des officiers de la Gendarmerie nationale, Hadrien Desuin est titulaire d'un master II en relations internationales et stratégie sur la question des Chrétiens d'Orient, de leurs diasporas et la géopolitique de l'Égypte, réalisé au Centre d'Études et de Documentation Économique Juridique et social (CNRS/MAE) au Caire en 2005. Il a dirigé le site Les Conversations françaises de 2010 à 2012. Aujourd'hui il collabore à Causeur et Conflits où il suit l'actualité de la diplomatie française dans le monde. 

    Entretien réalisé par Eléonore de Vulpillières