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Actualité Monde - Page 118

  • Syrie : Quand la République idéologique tue ses propres enfants...

     

    Par Academos 

     

    academos.jpgSyrie : Six djihadistes Français de plastique tués par les frappes des Rafales ? Ou : quand la République idéologique tue ses propres enfants...

    Jacques Chirac, Premier ministre du Président Giscard d'Estaing, est à l'origine des suicidaires et scélérats décrets de 1975 sur le regroupement familial. Il n'a jamais voulu reconnaître sa faute, ni qu'il avait touché la France au coeur, si l'on peut dire, c'est-à-dire dans la constitution même du peuple de France : car ses décrets, accordant automatiquement la nationalité française par le jeu incontrôlé du droit du sol, ont abouti tout simplement à changer le peuple. Pas encore complètement, certes, mais à introduire au coeur même du vieux pays des masses de Français de plastique, des français « légaux », mais qui, pour reprendre les termes du Père de Foucauld, n'ont ni le coeur ni l'esprit français; et, pire, qui ne souhaitent acquérir ni l'un ni l'autre mais, bien au contraire, ne rêvent que d'une chose : nous imposer leur coeur et leur esprit : l'Islam. Merci, Chirac !

    Dans son aveuglement, Chirac était même allé, devenu Président, jusqu'à déclarer que ces jeunes des cités, qui haïssent tout de nous, de nos racines, de notre Être profond, étaient « les enfants de la République ». Enfants de la République idéologique, peut-être; enfants de la France, certainement pas ! Chirac a peut-être cru, ce jour-là, réussir une belle (!) envolée lyrique, il n'a réussi qu'à mériter le fameux « errare humanum est, perseverare diabolicum ».

    Et voilà qu'aujourd'hui on apprend que nos Rafales ont détruit un camp d'entraînement de terroristes islamistes qui, en Syrie, préparaient leurs sales coups, leurs attentats, leurs assassinats; et que, dans le tas des tués (bon paradis d'Allah, les gars !) il y avait (il y aurait) six Français.

    Valls refuse de confirmer, mais, quoi qu'il en soit, une seule chose est sûre : il n'y avait aucun Français parmi ces assassins en puissance. Il n'y avait que des ennemis de notre peuple, de notre culture, de nos traditions, de nos héritages culturels et religieux. Ils sont morts là-bas, s'étant enfermés dans la logique mortifère qu'ils ont librement choisie et qu'ils ont suivie en toute liberté : mieux vaut cela que de les avoir laissés venir ici se faire exploser au milieu d'innocents qui n'ont rien demandé...

    Mathias Léridon s'est permis de dire - et il a mille fois raison - qu'on n'est pas Africain parce qu'on naît en Afrique, mais parce que l'Afrique bat dans votre coeur.

    Eh bien, ce que l'on permet de dire à Mathias Léridon, ils serait piquant que l'on nous interdît de le dire, à nous, accommodé à la réalité française : on n'est pas Français parce que l'on naît en France ou parce qu'un Système haineux de notre Histoire et de notre passé, de notre culture et de nos traditions vous a - follement - donné un petit rectangle de plastique. On est Français, si l'on est naturalisé, parce que la France bat dans votre coeur. 

    Et, sinon, non ! 

    * On n'est pas Africain parce qu'on naît en Afrique, mais parce que l'Afrique bat dans votre coeur.

  • La machine infernale ?

     

    par Louis-Joseph Delanglade

     

    « Craignez-vous que le conflit syrien dégénère en 3e Guerre mondiale ? », cest la question, pertinente au regard de la mécanique du déclenchement des deux premiers conflits mondiaux, posée par Le Figaro aux lecteurs de son édition électronique.

     

    On se rappelle M. Hollande à la tribune de lONU : « Assad est à l'origine du problème, il ne peut pas faire partie de la solution » - niant ainsi que la lecture « démocratique » de lembrasement du Proche-Orient ait fait long feu. Aveuglés par le fantasme ridicule du « printemps arabe », MM. Juppé et Fabius ont fourvoyé la diplomatie française dans un soutien stupide à une prétendue opposition « libre » au régime de Damas. Or, les « groupes rebelles affiliés à lArmée syrienne libre » (Le Monde) sont devenus, de facto, au sein dune « Armée de la Conquête » les alliés objectifs des djihadistes salafistes dAl-Nosra et Ahrar Al-Sham, ouvertement financés par les monarchies sunnites du Golfe et en partie aidés par la Turquie, elle aussi sunnite.

     

    Tous les ennemis de M. Assad sont donc sunnites, à commencer bien entendu par les combattants de lEtat islamique. Il ne faut pas sen étonner. En effet, quels que soient les excès de son régime (mais lequel, dans la région - et ailleurs -, peut se targuer d’être « innocent » ?), M. Assad a maintenu une forme de coexistence fondée sur la protection des minorités et trouvé un soutien indéfectible dans lIran chiite. Le conflit actuel ressemble donc furieusement à un affrontement de type religieux entre les frères ennemis et irréconciliables de lIslam.

     

    Lintervention brutale mais efficace de la Russie a dabord le mérite de donner indirectement raison à tous les politiques qui, en France même, pensent que M. Assad fait partie de la solution. Par exemple à M. Védrine, lequel dénonce dans toute approche exclusivement morale lorigine de « l’échec de la stratégie occidentale » et prône une alliance pragmatique avec Damas contre « Daesh ». Ou encore à M. Chevènement, plus radical dans ses propos :  « L'élimination dAssad ouvrirait les portes de Damas à Daech ». Cela dit, lengagement russe pourrait bien nous impliquer dans une conflagration apocalyptique par le simple jeu de lengrenage des alliances.

     

    Signe inquiétant en effet : la sur-réaction de la Turquie et de lOTAN aux formes prises par les frappes russes. En fait, la Turquie (et, derrière elle, laxe sunnite tout entier) voit dun très mauvais oeil s’éloigner la perspective pourtant promise dun renversement de M. Assad et pourrait pousser ses alliés à une sorte de surenchère démagogique. Il est donc urgent de signifier que notre seul ennemi dans la région est lEtat islamique (à qui dautre pourrait sadresser lallusion de M. Hollande à la légitime défense ?) et que MM. Poutine et Assad - dont les autres objectifs ne constituent pas une menace pour la France, ni même pour ses alliés - doivent être considérés comme des partenaires. Sinon… 

     

  • Svetlana Alexievitch, Nobel de littérature : la position d'Hélène Richard-Favre

     

    A la suite de l'attribution du Nobel de littérature 2015 à Svetlana Alexievitch, Hélène Richard-Favre, auteur spécialiste du monde russe, a tenu à nous faire part de sa position - que nous relayons bien volontiers. Ajoutant à son message le commentaire suivant : « Dans mon sujet, je n’ai évoqué que le HuffingtonPost mais c’est la quasi totalité des médias qui ont repris les propos que je cite et qu’elle a tenus en conférence de presse. Ma prise de position a été saluée et appréciée de nombre de personnes, russes ou non, toutes conscientes de la gravité de tels dires, surtout venant de la part d’un écrivain qui déclare faire du mensonge le fer de lance de son combat. »  

     

    479082707.jpgLe Nobel de littérature a été attribué.

    Il couronne Svetlana Alexievitch, écrivain et journaliste biélorusse.

    A lire l'article que lui consacre le Huffingtonpost, on comprend tout à fait que les idées politiques de cette écrivain rejoignent la plupart des standards occidentaux et bien leur en prenne, des goûts et des couleurs, on ne discutera pas ici.

    Mais quand on lit de cette Nobel de littérature que, je la cite, cette Russie en arrive à 86% à se réjouir quand des gens meurent dans le Donbass, non, là, c'est plus que de l'indécence ou de l'insulte. C'est un outrage lancé à la Russie et surtout à la mémoire de milliers de victimes qui n'ont jamais demandé à l'être.

    En arriver à exprimer de tels propos alors qu'on vient de se voir récompensé du prix le plus prestigieux qui soit, est inqualifiable. 

    http://www.huffingtonpost.fr/2015/10/08/svetlana-alexievi...

    Voix - le blog d'Hélène Richard-Favre

  • Où Hubert Védrine distingue entre les régimes résignés au multiculturalisme et ceux qui n'en veulent pas ...

     

    « Les sociétés d’Europe de l’Ouest sont favorables aux sociétés multiculturelles, ou s’y sont adaptées, ou s’y sont résignées, appelons-ça comme on veut. En Europe de l’Est, pas du tout. Ils pensent que les sociétés multiculturelles sont un échec flagrant, spectaculaire, ils n’en veulent pas. Donc ils ne veulent pas, sous couvert de la nécessité de donner l’asile à des gens vraiment persécutés entrer dans cet engrenage. Ce n’est pas de la xénophobie dans le sens où ils sont contre un groupe ethnique en particulier, ils ne veulent pas de l’évolution multiculturelle. Il ne faut pas s’en prendre qu’à la Hongrie. Il y a six, sept ou huit pays qui pensent comme ça. Il ne faut pas avoir peur d’en parler. »

     

    Hubert Védrine

    France Inter, La Matinale, le 28 septembre 2015

     

  • M.Fabius a mangé son chapeau …

    Les présidents Sarkozy et al-Assad à Paris en 2008  © Copyright : DR

     

    Par Péroncel-Hugoz

    Péroncel-Hugoz s’en prend cette semaine aux palinodies de la France dans l’affaire syrienne, et pour cela il remonte loin en arrière.

    peroncel-hugoz 2.jpgLa cruauté des gros plans télévisés sur les traits des politiciens en difficultés a parfois quelque chose d’insoutenable: il fallait voir en cette fin septembre la terrible mine plus que grise, funèbre même de Laurent Fabius, ministre français des Affaires étrangères, pendant que le président Hollande annonçait à la Terre entière que l’armée de l’air française avait commencé ses «frappes» (on ne dit plus « bombardements», mot qui effraie les opinions publiques occidentales, pauvres chéries trop sensibles…) sur Daech en Syrie. 

    Le temps n’est pas si lointain où M.Fabius, qui paraissait alors avoir mangé du lion, tonnait Urbi et Orbi contre « Bachar» (maintenant il l’appelle de nouveau Monsieur Bachar al-Assad …) qui, selon l’hôte du Quai d’Orsay, «n’en avait plus que pour quelques mois» … A l’époque, MM. Hollande et Fabius, tous deux alors très va-t’-en-guerre, voulaient même « bombarder» (là on employait carrément ce mot …) les lieux du pouvoir syrien, et impliquer dans ce projet très guerrier les Etats-Unis d’Amérique, lesquels se débinèrent, laissant les deux dirigeants français tout penauds, seuls au milieu du gué .

    Le résultat de ces pas-de-clercs (pas brillant, pour de vieux routiers de la politique comme Hollande et Fabius), de ces erreurs graves, ce fut le visage ravagé de Laurent Fabius offert par toutes les télévisions de la planète en ce début d’automne. Naguère, en France, quand un ministre était à ce point désavoué par les faits, il démissionnait ou était «démissionné». Ce n’est apparemment plus le cas. M. Fabius a donc mangé son chapeau, comme on dit vulgairement. Espérons qu’il le digèrera !

    En marge de toute légalité internationale- que ne dirait-on pas si un Etat arabe venait se mêler militairement d’un problème européen ?!-, la France bombarde donc maintenant la partie syrienne de l’entité daechiste. Elle a déjà jeté 215 tapis de bombes, ces derniers mois, sur de présumées installations militaires relevant en Irak du «calife de Raqqa et Mossoul», actes de guerre qui ne semblent pas avoir fait reculer d’un pouce, territorialement ou diplomatiquement, les islamistes armés, lesquels sont en train benoîtement d’émettre leur propre monnaie et ont reçu allégeance de consistants groupes jihadistes du Caucase au Nigéria via la Libye … 

    Non seulement les « frappes» françaises sur la Syrie ont peu de chance d’entraîner des reculs importants de Daech sur le terrain mais elles risquent fort de raviver des drames historiques, oubliés dans une France autruche qui n’apprend plus l’histoire de ses aventures outre-mer, histoire restant en revanche à fleur de mémoire dans un pays hypernationaliste comme la Syrie. Je l’appris d’ailleurs à mes dépens, sous la dictature de Hafez al-Assad, père de Bachar, lorsque je publiai la liste des sévices pratiqués dans les prisons du régime baassiste . Je fus interdit de séjour à Damas, comme journaliste français « ayant oublié les horreurs du colonialisme français en Syrie » … 

    Paris, en effet, entre 1920 et 1945, exerça un « mandat » de la Société des Nations (l’ONU de l’époque) sur la Syrie et le Liban, anciennes provinces ottomanes que la France devait « préparer à l’indépendance ». Cette préparation fut ardue, ponctuée  déjà de révoltes et bombardements. Et cela ne va pas tarder sans doute à être rappelé vertement à la France actuelle, surtout si des populations civiles sont victimes de « dommages collatéraux », causés par des avions français: il y a tout de même six ou sept millions de personnes vivant à présent sous l’autorité de Daech ! 

    Je tiens à préciser que, malgré mes démêlés journalistiques avec al-Assad père, j’ai toujours estimé qu’al-Assad fils, tout dictateur qu’il est, constitue actuellement un moindre mal et pour son pays et pour le reste du Proche-Orient. 

    Ce que personne sans doute ne dira, de peur de remuer encore le couteau dans la plaie d’amour-propre de M.Fabius, c’est que ce soutien indirect mais soutien tout de même, que Paris apporte désormais au régime damascène, n’est au fond qu’un retour vers le passé  pour la famille al-Assad et Paris. Retour bien plus en arrière encore que l’invitation acceptée du président Sarkozy à son homologue Bachar al-Assad à assister, le 14 juillet 2008, au grand défilé militaire national de Paris. Dans les années 1930, le grand-père de Bachar fut le chouchou des autorités mandataires françaises en Syrie, un peu, comme à la fin de la période protectorale au Maroc, le Glaoui fut « l’homme de la France » à Marrakech. Cet aïeul syrien, en compagnie d’autres notables locaux, demanda avec insistance à Paris de rester au Levant, de peur qu’en cas d’indépendance de la Syrie, la majorité sunnite n’exerce des représailles sur la minorité noçairie (dite aussi « alaouite » à cause de son attachement au calife Ali, gendre du prophète Mohamed). Cette minorité, plus ou moins chiite, il est vrai longtemps défavorisée, fut mise en selle par des officiers français des Affaires indigènes syriennes. Un « Etat autonome » du Djebel-Alaouite fut même installé durant quelques années par les Français autour de Lattaquié pour rassurer les Noçairis. Tout cela aboutit, en 1970, à la prise du pouvoir à Damas par le clan Assad. Verra-t-on de nouveau un jour un al-Assad « ami de la France ? » Pas impossible ! Si l’Histoire ne se répète pas, elle ne peut s’effacer. 

    Péroncel-Hugoz - Le 360

  • Syrie : les dessous de l’intervention russe

    Photo: Sipa

    Entretien avec Fabrice Balanche

    L'entretien qui suit avec Fabrice Balanche - entretien paru dans Causeur - prolonge très utilement la chronique de Péroncel-Hugoz qui précède.  

    Spécialiste de la Syrie, notamment de la région côtière alaouite, Fabrice Balanche est directeur du Groupe de Recherches et d’Etudes sur la Méditerranée et le Moyen-Orient à l’université de Lyon-2. Il analyse les raisons de l’intervention russe en Syrie et décrypte le grand jeu à l’œuvre dans ce pays… dont la France est exclue.

    Daoud Boughezala. Depuis son déclenchement la semaine dernière, la campagne de bombardements russes en Syrie a provoqué une escalade de tensions avec la Turquie et l’ensemble de l’OTAN. Que cherche Poutine en bombardant les groupes d’opposition armés syriens ?

    Fabrice Balanche. Vladimir Poutine a deux objectifs en Syrie. D’une part, installer durablement les troupes russes dans la région alaouite, sur la côte méditerranéenne. D’autre part, renforcer Bachar Al-Assad en vue de futures négociations sur l’avenir du pays. Les groupes d’opposition armés, des dernières brigades de l’Armée syrienne libre à Daech, sont frappés par Moscou non pas en fonction de leur idéologie, mais de la menace qu’ils représentent pour accomplir ces objectifs. C’est pour cette raison que l’aviation russe a, jusqu’à présent, peu ciblé Daech, dont le territoire se situe à l’Est de la Syrie, mais davantage, Al-Nosra et les groupes alliés de la branche syrienne d’Al-Qaïda, ce qui représente en nombre plus de 80% des rebelles. Les 20% restants se trouvent surtout dans le sud de la Syrie, où le soutien américain les oblige à demeurer « fréquentables » sur le plan idéologique.

    Les vives protestations de l’OTAN signifient-elles que l’Occident, France en tête, soutient tacitement les groupes d’opposition armée à Assad autres que l’Etat islamique, fussent-ils alliés ou affiliés à Al-Qaïda ?

    François Hollande a demandé à Vladimir Poutine de ne frapper que Daech, comme le fait la coalition occidentale. Hormis quelques bombardements en juillet 2014 sur Al-Nosra et Ahrar es-Sham, les Etats-Unis évitent de s’en prendre aux deux piliers de «  l’Armée de la conquête », une coalition islamiste financée par l’Arabie Saoudite, le Qatar et la Turquie en vue de faire tomber Bachar Al-Assad. Cette coalition a enregistré d’importants succès au printemps dernier en s’emparant de la province d’Idleb et en menaçant Lattaquié, dans la région alaouite. Les Occidentaux espéraient que cela amènerait Bachar Al-Assad à négocier en position de faiblesse et à abandonner le pouvoir, comme le réclame François Hollande. L’intervention russe met fin à leurs espoirs. L’Occident pensait naïvement qu’il suffirait d’entretenir un conflit de basse intensité en Syrie pour affaiblir l’armée syrienne. C’était sans compter le désastre humanitaire et ses conséquences en termes de migrations pour l’Europe, les attaques terroristes qui se multiplient et le déploiement de troupes russes et iraniennes en Syrie. Car il était évident que les deux alliés de Bachar Al-Assad que sont la Russie et l’Iran allaient finir par intervenir directement.

    En ce cas, pourquoi la Russie a-t-elle tant tardé à s’engager militairement sur le terrain syrien ?

    La Russie attendait que le moment soit favorable sur le plan géopolitique. Les Etats-Unis sont en position de faiblesse à l’extérieur car ils entrent en campagne électorale. Barack Obama a tout fait pour désengager les Etats-Unis d’Irak et d’Afghanistan, ce n’est pas pour se lancer dans une aventure militaire en Syrie. Quant aux Européens, ils sont tétanisés par le flux de réfugiés et le risque terroriste. Ils souhaitent que le conflit s’arrête quelle que soit l’issue, y compris le maintien au pouvoir de Bachar Al-Assad, pour une période de transition politique, qui est évidemment appelée à durer. L’accord sur le nucléaire iranien a été entériné, ce qui laisse plus de marge de manœuvre à Téhéran pour également intervenir en Syrie et en Irak, comme en témoigne l’annonce d’une coordination du entre Téhéran, Bagdad, Damas et Moscou contre Daech, prélude à une coalition concurrente de celle mise en place par les Etats-Unis.

    Sur le plan intérieur, le gouvernement syrien est fragilisé, son armée fatiguée est réduite par des pertes qu’elle ne parvient pas à compenser par les recrutements. Et au niveau local, la menace d’une attaque des rebelles sur Lattaquié, au nord de la côte méditerranéenne où précisément la Russie veut installer ses bases militaires, a obligé Vladimir Poutine à réagir. Il fallait aussi que Bachar Al-Assad soit en position de faiblesse pour qu’il accepte les conditions russes, car jusqu’à présent, même s’il était dépendant de la Russie pour son approvisionnement militaire, il refusait l’installation des troupes russes sur son territoire : question de fierté.

    Paradoxalement, à mesure qu’il se recroqueville sur son pré carré territorial (la fameuse “Syrie utile” de Damas à Lattaquié), le régime syrien semble regagner en respectabilité internationale. Néanmoins, les différentes conférences de la paix entre Damas et l’opposition  pacifique ont-elles une chance d’aboutir à une pacification sur le terrain ?

    L’opposition pacifique syrienne vit dans un monde virtuel, complètement déconnecté de la réalité du terrain, sans aucun levier sur les groupes militaires. Pourquoi Damas négocierait-il avec ces groupes ? Ceux-ci sont soutenus à bout de bras par les Occidentaux, la Turquie et les pétromonarchies qui ont besoin de conserver une opposition politique pour d’éventuelles négociations. Devant l’impossibilité de trouver une alternative politique à Bachar Al-Assad et face à la menace djihadiste, le principe de réalité s’impose à beaucoup de pays, tel l’Allemagne, en première ligne de la vague migratoire venue de Syrie. Désormais, l’Occident veut préserver les institutions syriennes et ramener le calme dans le pays. Le maintien d’un conflit de basse intensité, comme le souhaite la France, est devenu beaucoup trop coûteux pour l’Union Européenne, car c’est cette dernière qui accueille les réfugiés syriens et non les pétromonarchies du Golfe qui financent la rébellion. Mais pour pouvoir traiter avec Bachar Al-Assad, il faut redorer son image, il en va de la crédibilité des dirigeants, qui après l’avoir conspué, vont devoir renouer officiellement avec lui.

    Rétrospectivement, les anathèmes d’Assad contre ses opposants, qu’il a assimilés à des “terroristes” dès le début de la crise au printemps 2011, se sont révélées être des prophéties autoréalisatrices : grâce à l’expansion de l’État islamique, le pouvoir syrien se pose en ultime recours. Laurent Fabius n’a-t-il pas raison de faire de Daech et de Damas des alliés objectifs ?

    La politique de Laurent Fabius sur la Syrie est un échec total. Il a eu tort sur toute la ligne. C’est pour cette raison qu’il a été quelque peu dessaisi du dossier par le Président de la République début septembre. Notre ministre des Affaires étrangère réécrit l’histoire de la crise syrienne pour justifier ses positions. Il affirme ainsi  que si nous avions bombardé Damas en septembre 2013, les rebelles modérés auraient pris le pouvoir et Daech n’aurait jamais existé. Hubert Védrine dans une excellente tribune dans Libération a répondu que rien n’était moins sûr. Je partage tout à fait son avis : nous aurions tout simplement eu Daech à Damas. Le communautarisme et le salafisme radical ne sont pas nés en 2011, sous l’impulsion d’un régime machiavélique. Ils sont constitutifs de la société syrienne et ne demandaient qu’à s’exprimer au grand jour. Certes, Bachar Al-Assad a joué avec ce qui lui permettait de fragmenter l’opposition. Mais si Damas et Daech sont des alliés objectifs, dans ce cas Israël et le Hamas le sont également, sans oublier les Etats-Unis et la Russie, et en son temps François Mitterrand et Jean-Marie Le Pen. Ce genre de raccourci est indigne d’un ministre des Affaires étrangères. Cependant, après avoir affirmé pendant deux ans que Bachar Al-Assad avait créé Daech, prétendre aujourd’hui qu’ils ne seraient plus que des alliés objectifs témoigne d’une certaine inflexion de la diplomatie française ! 

    Entretien par Daoud Boughezala, rédacteur en chef de Causeur.

     

  • Politique & Religion • La leçon politique du pape

     

    par François Reloujac

    Le 24 septembre, le pape François a rencontré les élus du Congrès américain. Les médias ont d’une part souligné qu’il s’était adressé aux représentants du peuple américain (exclusivement ?) et d’autre part insisté sur certains points particuliers comme la peine de mort, l’écologie ou la lutte contre la pauvreté. Nul n’a oublié de dire qu’il avait cité Martin Luther King mais bien peu ont déclaré qu’il avait aussi cité Thomas Merton. Il est vrai que le monde connaît le pasteur baptiste noir américain, mais qui a réellement entendu parler du moine cistercien ?

    Ceci étant, en en restant là, c’est un message terriblement tronqué que les médias nous ont présenté. Certes, le pape, en bon jésuite, part toujours des situations concrètes et s’élève à partir d’elles à une dimension beaucoup plus générale qu’il ne faut pas occulter sous peine de passer à côté de l’essentiel. La leçon du pape a une portée beaucoup plus universelle et il faut une certaine myopie intellectuelle pour considérer, par exemple, que l’appel aux « membres du Congrès » ne concernerait qu’eux et n’intéresserait pas les Parlementaires des autres pays.

    En fait, le pape a donné deux leçons principales à tous les Parlementaires du monde, à travers les Représentants du Congrès américain, avant de prononcer quelques aphorismes dont il a le secret.

    La nature du travail parlementaire

    Le pape a donc dit aux Représentants du Congrès américain que la responsabilité de tout Parlementaire est de permettre à son pays, à travers son activité législative, « de prospérer en tant que nation ». En tant que représentants du peuple, en tant que visage de ce peuple, tous les Parlementaires sont appelés à « défendre et préserver la dignité » de leurs concitoyens, « dans la recherche inlassable et exigeante du bien commun, car c’est le principal objectif de toute politique ». En système démocratique, ce n’est pas quelque chose de facultatif ni qui relève de la seule fantaisie de chacun car, « l’activité législative est toujours fondée sur la protection du peuple. C’est à cela que vous avez été invités, appelés et convoqués par ceux qui vous ont élus ». Il s’agit d’une véritable mission dont le modèle est donné dans la Bible en la personne de Moïse : « D’une part, le patriarche et législateur du peuple d’Israël symbolise le besoin des peuples de maintenir vivant leur sens d’unité au moyen d’une juste législation. D’autre part, la figure de Moïse nous conduit directement à Dieu et ainsi à la dignité transcendante de l’être humain ». C’est pourquoi, le pape demande aux Parlementaires de calquer leur démarche sur celle de Moïse : « vous êtes chargés de protéger, à travers la loi, l’image et la ressemblance de Dieu façonnées en chaque visage humain ».

    La méthode du travail parlementaire

    Faisant semblant de s’adresser ensuite, au peuple tout entier à travers leurs représentants, le pape, en fait, donne ce que l’on pourrait appeler une leçon de méthodologie. Les parlementaires sont ainsi appelés à ne pas voir dans les hommes et les femmes « qui s’efforcent chaque jour d’accomplir un honnête travail » des personnes qui seraient « simplement concernées par le paiement de leurs impôts ». Ces personnes sont en fait les forces vives de la nation, celles qui « individuellement, de façon discrète, soutiennent la vie de la société ». Ce sont elles qui sont à la base de toutes les actions de solidarité que les parlementaires sont donc invités à respecter. Comme ils doivent prendre en compte les activités bénévoles des retraités et permettre aux jeunes de travailler « pour réaliser leurs grandes et nobles aspirations ».

    Quelques aphorismes

    « Bâtir un avenir de liberté demande l’amour du bien commun et la coopération dans un esprit de subsidiarité et de solidarité ».

     « Toute activité politique doit servir et promouvoir le bien de la personne humaine et être fondée sur le respect de sa dignité ».

    « Il est difficile de juger le passé avec les critères du présent ».

     « Bâtir une nation nous demande de reconnaître que nous devons constamment nous mettre en relation avec les autres, en rejetant l’esprit d’hostilité en vue d’adopter un esprit de subsidiarité réciproque ».

     « Un bon dirigeant politique est quelqu’un qui, ayant à l’esprit les intérêts de tous, saisit le moment dans un esprit d’ouverture et de pragmatisme ».

    « Un bon dirigeant politique choisit toujours d’initier des processus plutôt que d’occuper des espaces ».

    Et pour terminer, ce passage qui figurait dans le texte écrit mais que le pape n’a pas prononcé dans son intégralité : « Si la politique doit vraiment être au service de la personne humaine, il en découle qu’elle ne peut pas être asservie à l’économie et aux finances. La politique est, en effet, une expression de notre impérieux besoin de vivre unis, en vue de bâtir comme un tout le plus grand bien commun : celui de la communauté qui sacrifie les intérêts particuliers afin de partager, dans la justice et dans la paix, ses biens, ses intérêts, sa vie sociale ». 

  • Pendant que Poutine joue aux échecs, Hollande joue à la belote

    L'opinion d'André Bercoff    

    Pour André Bercoff, François Hollande a commis une erreur stratégique en refusant trop longtemps de dialoguer avec le président syrien Bachar el-Assad. Comme avec Vladimir Poutine, d'ailleurs, qui est désormais au centre du jeu diplomatique. Etat de fait qui est, après tout, compte tenu de la qualité de nos dirigeants, ce qui peut aujourd'hui arriver de mieux au groupe de nations qui partagent notre civilisation, ou ce qu'il en reste. Et dont la Russie fait partie. Sur le fond, l'analyse d'André Bercoff nous paraît fort juste. Et puis, il y a la forme, dont nous avons déjà parlé : Quand le bon sens, le style, la verve et la truculence, le franc parler se combinent cela donne un billet d'André Bercoff et quand il décide de peindre et moquer les hommes du Système, cela fait mouche.  LFAR 

     

    photo.jpgDe Gaulle en ses Mémoires : « Vers l'Orient compliqué, je m'envolai avec des idées simples.» Mieux valent des idées simples que pas d'idées du tout. C'est ce vide quasiment abyssal qui semble régner sur la politique étrangère de la France, et ce, depuis quelques années. Sarkozy voulut se débarrasser de Kadhafi au nom de la liberté et des droits de l'homme, ce qui était tout à fait légitime, mais ce faisant, il a complètement ignoré le fait qu'une dictature peut en cacher une autre, pire encore. Kadhafi était une brute sanguinaire que gouvernements de gauche et de droite reçurent en grande pompe, puisque le pétrole reste l'horizon indépassable de notre temps européen. L'on se rappelle les vivats médiatiques, les poèmes lyriques et les autocongratulations euphoriques qui accueillirent la chute du tyran. Résultat des courses : la voie des grandes migrations fut ouverte avec fracas et, dans leur candeur naïve, nos protagonistes ne songeaient même pas, les choses méditerranéennes étant ce qu'elles sont, qu'aux serments de Tobrouk allaient succéder les décapitations de Syrte.

    Plus spectaculaire encore, dans le déni de réalité, fut la position française vis-à-vis de la Syrie. Que Bachar El Assad fût prêt, comme son père le fit à Hama il y a plus de trente ans, à sacrifier des dizaines de milliers de personnes, nul n'en doutait. Donc, en 2012, pour Obama comme pour Hollande, il s'agissait de se débarrasser au plus vite du massacreur syrien : l'on se rappelle la série prolongée des mâles résolutions de Laurent Fabius. Malheureusement, on avait encore une fois oublié cette triste réalité d'évidence: à savoir que, depuis des années et pour quelque temps encore, le choix n'est pas entre [le mal absolu ] et un Printemps Arabe qui a duré ce que durent les roses, et qui aurait débouché sur la victoire d'une démocratie qui allie enfin la liberté d'expression, le droit des femmes, la laïcité et évidemment le droit de vote. Le choix, dramatique mais incontournable, oppose les dictatures militaires à l'enrégimentation de l'islamisme radical, dont l'ambition est précisément et irréversiblement la mainmise implacable, policière et punitive sur la totalité de la vie quotidienne. Les bonnes âmes nous parlent sans cesse du manque de différence entre peste et choléra. Ne pas oublier, cependant, que les dictatures peuvent disparaître alors que la soumission institutionnalisée, actée de la naissance à la mort, appliquée d'une main de fer du lever au coucher, est beaucoup plus difficile à combattre par nos « valeurs de la République » de plus en plus soumises, elles, au souci primordial de ne vivre sa vie que sous principe de précaution.

    Voilà pourquoi Poutine est aujourd'hui au centre du jeu : il joue aux échecs en calculant à six coups d'avance, alors que nous jouons à la belote en brandissant bruyamment nos sains principes. Un examen à peu près lucide du paysage moyen-oriental, entre chiites et sunnites, Califat irako-syrien et Egypte de Sissi, Israël et Palestine, aurait montré à nos gouvernants que le rapport de force modèle plus que jamais les situations et qu'entre deux maux, il faut continuer de choisir le moindre. Sinon, on se retrouve en coulisses, en salle d'attente, à regarder les vrais joueurs s'affronter. Hollande et Fabius découvrent soudain l'intervention en Syrie et les bombardements ciblés : il n'est jamais trop tard pour bien faire. Mais le temps perdu signe la condition sympathique et pérenne des seconds rôles.  •  

    André Bercoff             

    André Bercoff est journaliste et écrivain. Son dernier livre Bernard Tapie, Marine Le Pen, la France et Moi est paru le 9 octobre 2014 chez First.     

  • Bernard Lugan : Un fils du colonel Kadhafi sera t-il le futur chef de l'Etat libyen ?

     
     
    Le 24 septembre dernier, Bernard Lugan a publié sur son blog la très intéressante analyse qui suit. Analyse remarquablement documentée, comme toujours, mais analyse qui, d'autre part, évoque ce qui pourrait être un avenir libyen, en tout cas moins chaotique que l'actuelle situation. Laquelle nous est évidemment préjudiciable à maints égards. Voilà qui concerne par conséquent notre propre avenir. A suivre !
     
    lugan.jpgLe 14 septembre 2015, un coup de tonnerre a retenti dans le ciel serein des certitudes démocratiques européo centrées quand le Conseil suprême des tribus de Libye désigna Seif al-Islam Kadhafi comme son représentant légal. Désormais, voilà donc un fils du défunt colonel seul habilité à parler au nom des vraies forces vives de Libye...
     
    Les abonnés à l'Afrique Réelle et les lecteurs de ce blog ne seront pas surpris par cette nouvelle puisque, depuis 2012, je ne cesse d'écrire :
     
    1. Que la pacification de la Libye ne pourra se faire qu'à partir des réalités tribales.
     
    2. Que le seul à pouvoir reconstituer l'alchimie tribale pulvérisée par l'intervention militaire de 2011, est Seif al-Islam que son père, le colonel Kadhafi, avait pressenti pour lui succéder, et qui est actuellement "détenu" par les milices de Zenten.
     
    Mes analyses ne procédaient pas du fantasme, mais du seul réel qui est que :
     
    1. En Libye, la grande constante historique est la faiblesse du pouvoir par rapport aux tribus. Au nombre de plusieurs dizaines, si toutefois nous ne comptons que les principales, mais de plusieurs centaines si nous  prenons en compte toutes leurs subdivisions, ces tribus sont groupées en çoff (alliances ou confédérations).
     
    2. L'allégeance des tribus au pouvoir central n'est jamais acquise.
     
    3. Les bases démographiques des groupes tribaux ont glissé vers les villes, mais les liens tribaux ne se sont pas distendus pour autant.
     
    Le colonel Kadhafi fonda son pouvoir sur l'équilibre entre les trois grands çoff libyens, à savoir la confédération Sa'adi de Cyrénaïque, la confédération Saff al-Bahar  du nord de la Tripolitaine et la confédération Awlad Sulayman de Tripolitaine orientale et du Fezzan à laquelle appartiennent les Kadhafda, sa tribu.De plus, à travers sa personne, étaient associées par le sang la confédération Sa'adi et celle des Awlad Sulayman car il avait épousé une Firkèche, un sous clan de la tribu royale des Barassa. Son fils Seif al-Islam se rattachant donc à la fois aux Awlad Sulayman par son père et aux Sa'adi par sa mère, il peut donc, à travers sa personne, reconstituer l'ordre institutionnel libyen démantelé par la guerre franco-otanienne. Mais pour comprendre cela, encore faut-il se rattacher à la Tradition lyautéenne des "Affaires indigènes" et répudier l'approche universaliste des "cerveaux à noeud" du quai d'Orsay.
     
    Aujourd’hui, les alliances tribales constituées par le colonel Kadhafi ont explosé; là est l’explication principale de la situation chaotique que connaît le pays. En conséquence de quoi, soit l'anarchie actuelle perdure et les islamistes prendront le pouvoir en Libye, soit les trois confédérations renouent des liens entre elles. Or, c'est ce qu'elles viennent de faire en tentant de faire comprendre à la "communauté internationale" que la solution passe par les tribus... Certes, mais la Turquie et le Qatar veulent la constitution d'un Etat islamique et la justice internationale a émis un mandat d’arrêt contre Seif al-Islam...
     
    Le 12 octobre, avec son habituel sens de la clairvoyance, sa célèbre hauteur de vue et son immense connaissance du dossier, BHL expliquera certainement cette évolution de la situation libyenne aux auditeurs de l'IHEDN (Institut des Hautes Etudes de la Défense nationale) devant lesquels il doit prononcer une conférence de "géopolitique". Il est en effet bon que les plus hauts cadres civils et militaires sélectionnés pour intégrer cet institut prestigieux, puissent écouter les analyses des experts les plus qualifiés... 
     
    Au début du mois de novembre, aux éditions de l'Afrique Réelle, sortira mon livre intitulé "Histoire et géopolitique de la Libye des origines à nos jours" dans lequel, sur la longue durée, est mise en perspective la marqueterie tribale libyenne, clé de compréhension de la situation libyenne actuelle. Ce blog en rendra compte.
     
     

  • Vidéo : Où l'ambassadeur de Russie développe les bases d'une poltique réaliste au Moyen-Orient

     

    Alexandre Orlov est ambassadeur de Russie à Paris. Il était, vendredi dernier, 25 septembre, l'invité de Jean-Jacques Bourdin sur BFMTV et RMC. C'est la vidéo de cette émission (18') que nous vous proposons de regarder.

    Jean-Jacques Bourdin n'a guère eu matière ou prétexte à contredire son invité, sans-doute parce que le discours de cet ambassadeur - au demeurant parfaitement francophone - est exempt de contenu idéologique, voire expansionniste, et se fonde sur une vision pragmatique des réalités. C'est de Real Politik dont on traite avec lui. Et appliquée à la situation au Proche-Orient, la politique russe vise à détruire Daech, combattre le terrorisme, restaurer l'ordre dans la région, où le chaos s'est installé. Ou plus exactement l'a été.

    En l'occurrence, la part que va y prendre la Russie peut être déterminante. Et dans la situation où nous nous sommes mis (terrorisme, migrants, expansion du califat islamique ...), il devient difficile de la négliger ou, pire, de la rejeter, pour d'obscurs motifs. A vrai dire, l'intérêt français (et européen) ne fait pas de doute. Sauf inconscience, le choix d'accepter ou refuser de coopérer avec la Russie dans cette affaire ne nous est pas donné. C'est pour cela que le vent tourne à Washington, Londres et Berlin. Et même à Paris où, malheureusement, les politiques aux affaires seront sans-doute les derniers à comprendre l'erreur dans laquelle ils se sont enfermés ces dernières années. Avec les conséquences d'extrême gravité que l'on sait. Sur tous ces sujets, nous-mêmes, parce que notre guide est l'intérêt français, n'avons jamais changé d'avis.  Lafautearousseau    

     

     

  • La stratégie de Poutine au Moyen-Orient

    Au lendemain de la rencontre de Vladimir Poutine avec le Premier ministre israélien Benyamin Nétanyahou, Hadrien Desuin* analyse pour le Figaro - avec pertinence selon nous - les enjeux  de la guerre en Syrie. Un nouvel équilibre des forces au Moyen-Orient se met en place. Lequel, soit dit en passant, relativise et renvoie au passé, les violentes critiques portées par les Etats-Unis, l'Union Européenne, la diplomatie française et maints observateurs, à l'encontre de la Russie et de Vladimir Poutine. Les échecs qu'on lui prédisait, ainsi d'ailleurs que la chute d'Assad annoncée comme imminente il y a trois ou quatre ans, ne se sont pas produits. Et cette politique nous a fait perdre ces mêmes trois ou quatre années, au cours desquelles Daech s'est considérablement renforcé, où le chaos s'est répandu à travers le Moyen-Orient tout entier, avec, pour nous, Français et Européens, les conséquences que l'on sait. Cette politique, nous l'avons toujours dénoncée, ici. Et sans-doute avions-nous raison.  LFAR 

     

    LE FIGARO - Le président russe Vladimir Poutine a rencontré lundi à Moscou le Premier ministre israélien Nétanyahou au sujet de la guerre en Syrie. Selon Haaretz, cette visite semble refléter « le manque de foi [de ce dernier] dans la capacité et la volonté des Etats-Unis à protéger les intérêts sécuritaires israéliens. » La Russie est-elle un nouvel acteur majeur dans la région ? 

    Hadrien DESUIN - Les derniers renforcements russes en Syrie frappent l'imaginaire collectif. Pour la première fois depuis la fin de la guerre froide et l'intervention soviétique en Afghanistan, l'armée russe s'apprête à intervenir au Moyen-Orient. Les Russes avaient conservé leur base de Tartous et fournissaient en armes l'armée syrienne mais Poutine a changé de braquet: désormais c'est l'armée russe qui frappe. Il s'agit d'un événement majeur qui va marquer l'histoire des relations internationales: un nouvel équilibre des forces au Moyen-Orient se met en place. Il faut se souvenir que les interventions américaines dans le Golfe ont été rendues possible par la chute de l'URSS. Mais progressivement la Russie poutinienne restaure les positions soviétiques au Moyen-Orient, ce que n'aurait pas déplu à Evgueni Primakov qui vient de disparaître. 

    Il faut toutefois nuancer. La stratégie russe n'est pas une logique de guerre froide et d'opposition aux armées occidentales mais plutôt d'aiguillon. L'idée est de participer à la coalition anti-Daech en s'appuyant sur l'armée syrienne et non les «rebelles». Rebelles qu'à l'exception de quelques idéologues, on peine à distinguer des groupes djihadistes proches d'Al-Qaïda. La Russie ne veut pas apparaître comme un trublion mondial. Au contraire, elle souhaite jouer un rôle dans le nouveau monde multipolaire qui s'ouvre après la fin de l'hégémonie américaine post-URSS. 

    Côté israélien, il y a une vraie déception vis-à-vis des Etats-Unis et un certain pragmatisme. Marqué par le conflit contre le Hezbollah au Liban-sud, le chef du Likoud a d'abord misé sur la chute de Bachar Al-Assad. Le premier ministre israélien a dès lors voulu jouer le Capitole contre la Maison-Blanche ; mal lui en a pris. Ses réseaux dans le parti républicain n'ont pas suffit. Même les électeurs juifs démocrates n'ont pas suivi son obsession anti-iranienne. Peut-être aussi que la droite nationaliste israélienne voit d'un bon oeil l'émergence de Daech, qui peut cyniquement diviser le camp djihadiste, notamment le Hamas. 

    Par dépit, Netanyahou se tourne vers Moscou qui pourtant applique une politique pro-iranienne dans la région. Il s'agit sans doute d'une simple coordination technique entre les états-majors aériens. Netanyahou en profite aussi pour marquer sa désapprobation vis-à vis de l'administration Obama. Avec l'idée que le grand retour de la Russie au Moyen-Orient ne manquera pas d'être exploité par les républicains qui pointent la prudence excessive de Barack Obama. 

    Comment expliquer ce basculement alors que la Russie était la cible de violentes critiques de la part des EU et de l'UE ? 

    Le principe de réalité finit toujours par prendre le dessus sur les émotions morales. La stratégie occidentale est en échec en Syrie depuis quatre ans. Le groupe des amis de la Syrie qui avait exclu les positions iranienne et russe n'a jamais pu apporter la preuve de la crédibilité de l'armée syrienne libre (ASL) et sa branche politique, le conseil national syrien. La Russie, de son côté, a toujours proposé ses bons offices diplomatiques pour dénouer le nœud syrien et trouver une solution interne au régime des Assad.

    Pour l'opinion occidentale, les crimes de Daech sont désormais nettement plus insupportables que les tentatives de Bachar Al-Assad de rester au pouvoir. C'est donc la position russe qui apparaît la plus juste mais aussi la plus réaliste. On joue sur les mots mais plus personne en haut lieu n'appelle à un changement de régime à Damas. Mutatis mutandis, les occidentaux s'alignent sur la position russe. C'est-à-dire la priorité donnée à la lutte contre le terrorisme islamiste. 

    La Russie semble être le pays le plus déterminé à attaquer Daech . Comment expliquer la lenteur des pays européens et des Etats-Unis à s'allier avec Moscou ? 

    On disait l'économie russe à genoux, le pouvoir politique de Poutine vacillant, isolé sur la scène internationale. Il n'en n'est rien. Comme disait Bismarck, «la Russie n'est jamais aussi forte ni aussi faible qu'il n'y paraît.» Largement surestimée au cours de la guerre froide, la Russie a, depuis 25 ans, été négligée au Moyen-Orient. Mais l'image d'une armée russe en déliquescence dans les années 90 n'est plus d'actualité. Poutine et ses généraux se sentent suffisamment forts désormais pour se projeter au Moyen-Orient et déployer le meilleur de leur technologie. 

    Comme à son habitude, Vladimir Poutine a manœuvré en discrétion pendant tout le mois de septembre jusqu'à ce que son appui à l'armée syrienne ne puisse plus être contesté. Comme en Crimée et en Géorgie, Poutine ne veut pas provoquer mais les Occidentaux sont mis en douceur devant le fait accompli, sans déclaration tonitruante ni fanfaronnade. Les rôles s'inversent puisque jusqu'à présent ce sont les Occidentaux qui mettaient bruyamment la Russie devant le fait accompli. 

    Pour autant, les puissances occidentales, échaudées par leurs échecs successifs dans la région réalisent au fur et à mesure que Poutine et Lavrov peuvent poursuivre le rôle positif qu'ils ont joué dans les négociations avec l'Iran. 

    Laurent Fabius s'est montré hostile à la visite de parlementaires français en Crimée, et opposé à la vente des Mistral à Moscou. La France est sous embargo alimentaire russe depuis 2014 après les sanctions économiques prises à l'encontre de la Russie… Comment analysez-vous l'attitude de la diplomatie française envers la Russie? La France est-elle en train de manquer une rapprochement de poids avec Moscou ? 

    La position de Laurent Fabius reste arc-boutée sur le départ de Bachar Al-Assad comme s'il vivait encore dans le mirage des printemps arabes. Mais Daech a pris de plus en plus d'importance jusqu'à la prise de Mossoul. Les Occidentaux ont alors été contraints de prendre la défense de Bagdad et les militaires ont fait pression pour élargir les opérations à la Syrie. Jean-Yves Le Drian en France, John Kerry et Ashton Carter [actuel secrétaire d'Etat américain à la Défense, ndlr] aux Etats-Unis ont été les premiers à pousser à reprendre le dialogue avec Damas. C'est eux qui tirent François Hollande et Barack Obama à se rapprocher de la position russe. 

    Laurent Fabius, toujours en retard d'une guerre, semble encore penser le monde des années 90. Depuis trois ans, il réclame le départ préalable de Bachar Al-Assad sans tenir compte de la position russe. Dans un entretien paru aujourd'hui dans Le Figaro, il trouve pour la première fois absurde de demander des excuses à Assad avant toute discussion. Mais si on négocie avec un chef d'État, c'est reconnaître sa légitimité et sa capacité dans l'avenir à mettre en place l'accord. Ce qui n'est pas compatible avec une exigence de départ à court ou moyen terme. 

    Sur les questions de sécurité, Laurent Fabius qui se comporte en Vice-président, accumule les revers. Ses rapports avec la Russie ont semblé en opposition avec le ministère de la Défense dont l'approche est nettement plus réaliste. Engoncé dans un discours moralisateur, Laurent Fabius est en décalage avec les événements et semble avoir perdu tout crédit pour diriger la diplomatie française. Son départ en décembre, à la faveur du remaniement post-élections régionales pourrait permettre de renouer les liens traditionnels avec la Russie et redonner des marges de manœuvre à François Hollande. 

    * Ancien élève de l'École spéciale militaire de St-Cyr puis de l'École des officiers de la Gendarmerie nationale, Hadrien Desuin est titulaire d'un master II en relations internationales et stratégie sur la question des Chrétiens d'Orient, de leurs diasporas et la géopolitique de l'Égypte, réalisé au Centre d'Études et de Documentation Économique Juridique et social (CNRS/MAE) au Caire en 2005. Il a dirigé le site Les Conversations françaises de 2010 à 2012. Aujourd'hui il collabore à Causeur et Conflits où il suit l'actualité de la diplomatie française dans le monde. 

    Entretien réalisé par Eléonore de Vulpillières  

     

  • Réfugiés et pays sous-peuplés …

     Les gratte-ciel à moitié vides de Doha © Copyright : DR

     

    Par Péroncel-Hugoz  

    Ayant acquis l’assurance que de richissimes Etats pétroliers ne veulent pas de réfugiés arabes, Péroncel-Hugoz  mord …

     

    peroncel-hugoz 2.jpg

    L’Italie, l’Espagne, la France n’ont pas la chance allemande de jouir actuellement d’une économie florissante mais, au contraire, ces pays ploient sous le triple poids du chômage, de l’endettement et de la dépression économique. Or, ce qu’il est convenu d’appeler la « communauté internationale » — mélange de l’ONU, de l’Union européenne, de diverses autorités morales, de médias bien-pensants, etc. — ne s’est pas privée, néanmoins, de tarabuster ces nations latines pour l’hospitalité « insuffisante » qu’elles offrent aux « migrants » proche et moyen-orientaux fuyant bombes, tyrannie et désintégration économique.

    En revanche, et assez curieusement, on n’a capté de ladite «  communauté internationale » aucun appel pressant aux « pays-frères » arabo-musulmans, très bien pourvus en hydrocarbures et devises mais pauvres en populations. L’Emirat de Qatar, les sept Emirats-Arabes-Unis, par exemple, sont traditionnellement obligés, par leur démographie déficiente, de faire venir bras et cerveaux d’un peu partout, y compris de terres lointaines comme les Philippines avec lesquelles ils n’ont pratiquement pas d’affinités. Pourquoi ne se sont-ils pas ouverts, au moins un peu, à leurs malchanceux cousins syriens ou irakiens, arabophones et musulmans comme eux ? Un père de famille damascène bien accueilli, avec les siens, depuis juin 2014, près de Mayence en Allemagne, a déclaré au « Monde » du 10 septembre 2015 : « Si on avait eu le choix, on aurait préféré aller dans un pays islamique ».

    Des blogueurs,  libres d’esprit, nous expliquent depuis les rives du Golfe arabo-persique, que cet « égoïsme d’Etat » vient de la crainte que, parmi les réfugiés, ne se cachent «  futurs djihadistes et terroristes » … Ah ! bon ? Ces blogueurs, s’ils étaient en Europe occidentale, risqueraient, en émettant une telle hypothèse, de tomber sous le coup du nouveau délit inventé par le Vieux Continent : l’ « islamophobie »…

    D’ailleurs, il n y a pas que les pétro-Etats arabes du Golfe qui pourraient accueillir, au moins jusqu’à la fin des hostilités au Levant, des Syro-irakiens. Qui ? Eh ! bien la prospère Algérie, par exemple, très sous-peuplée par rapport à son territoire national et qui aurait là l’occasion de mettre en pratique cette fameuse « fraternité » arabo-musulmane, que ses dirigeants aiment invoquer dans leurs discours … Les héritiers des nationalistes algériens semblent avoir oublié que leurs pères, lors de la guerre d’indépendance algérienne (1954-1962), bénéficièrent largement de cette fraternité en Tunisie, au Maroc et en Libye. Alger a même instauré un visa pour les Syriens … Hélas ! hélas, le Maroc a pris récemment la même décision. Que ces malheureux Syriens aillent donc se faire voir en Europe ! 

    Notre impitoyable consœur tunisienne de « Jeune Afrique », Faouzia Zouari, n’y pas allée par quatre chemins : « Nous n’oublierons pas l’immobilisme honteux des Arabes : celui d’Emirats repus qui ferment les yeux devant le drame [syro-irakien], l’immobilisme d’Etats musulmans qui regardent, imperturbables, des Etats chrétiens recueillir les victimes d’un islamisme avec lequel ils composent, eux … » 

    Un Marocain marié à une Russe musulmane auquel je lisais tout ce qui précède m’a rétorqué : « Et pourquoi Moscou n’ouvrirait pas aussi ses frontières aux réfugiés orientaux ? L’immensité eurasiatique de la Russie est extrêmement sous-peuplée et je vous assure que les musulmans russes, quoique non arabophones, seraient contents de manifester leur solidarité aux Syriens ou Irakiens ». L’Islam de Russie compte en 2015 environ 20 millions de fidèles autochtones. 

  • La croissance dangereuse ?

     

    Par Jean-Philippe Chauvin*

    En matière d'écologie, comme sur d'autres sujets, notamment celui du régime, Jean-Philippe Chauvin poursuit une réflexion qui nous intéresse et intéressera nos lecteurs. Tel le pertinent article qui suit. 

     

    arton8470-7b8cd.jpgIl n’y a pas une semaine durant laquelle la presse n’évoque un nouveau drame environnemental, mais sans que cela ne suscite autre chose qu’une sorte de fatalisme bien-pensant ou moult déclarations désolées et lénifiantes, malgré quelques tentatives de réaction, vite étouffées par l’oligarchie médiatique ou, simplement, par l’oubli des informations de la veille. Ainsi, la sixième extinction animale et végétale, puis la vidange accélérée des océans, n’ont occupé quelques colonnes de journaux et quelques minutes d’écran que le temps d’une journée vite achevée, et ces informations reviendront l’année prochaine, entre une déploration sur le réchauffement climatique et une lamentation sur la bétonisation des campagnes, désormais véritables marronniers télévisuels et imprimés…

    Et pourtant ! Ces questions sont bien urgentes et nécessiteraient une vaste mobilisation des Etats et des consciences, et les personnalités politiques qui veulent s’inscrire dans le temps long ne peuvent faire l’économie de réponses à réfléchir, à apporter, à envisager au regard des enjeux écologiques qui engagent toute la planète et ceux qui la peuplent. Mais il y a une grande difficulté qui tient à la nature même du système idéologique qui prévaut dans nos sociétés contemporaines, un système qui a plusieurs têtes comme l’hydre et qui semble inaltérable et obligatoire, système en définitive globalitaire et qui se pare de vertus qui n’en sont pas forcément…

    Benjamin Franklin, celui-là même qui porte un beau prénom mais s’avéra un cruel individualiste au service de ce que jadis l’on nommait « Veau d’or », a résumé, en une formule célèbre, cette véritable révolution du temps, du sens de la nature humaine et de son inscription, de son action dans ce que les catholiques nomment « création », révolution qui s’est faite au détriment de cette dernière, en définitive : « le temps, c’est de l’argent ». Formule aux conséquences incalculables qui fait basculer le monde (si on la suit aveuglément) dans une logique « utilitariste » et matérialiste qui oublie tout ce qui fait, en définitive, le sel de la vie et la particularité humaine : quelle place, dans le monde franklinien, pour la beauté d’un coucher de soleil, éternellement renouvelée et éminemment gratuite, ou pour le plaisir d’une flânerie, d’une conversation ou pour la transmission de ces légendes, de ces traditions qui font les couleurs du monde ? 

    La notion de croissance est un élément de ce système et qu’il est parfois difficile de mettre en cause dans la dégradation de la planète : non qu’elle n’en soit pas responsable, comme le fameux « développement » théorisé par Rostow dans les années de l’après-guerre ou le « développement durable », oxymore qui connaît une grande gloire depuis le Sommet de Rio de 1992. Mais nos contemporains n’en veulent retenir que la définition purement économique quand elle est beaucoup plus que cela : c’est aussi une idéologie, celle du « toujours plus », celle du « désir infini dans un monde fini », et cette logique est infernale car elle épuise inéluctablement la planète comme le prouvent à l’envi (et jusqu’au plus profond dépit) les drames environnementaux et les études qui se penchent sur ceux-ci. 

    Pourtant, il en est qui ne veulent rien voir ni rien entendre aux souffrances de notre bonne vieille Terre d’accueil, et qui dénoncent sans retenue ni discernement tous ceux qui osent prôner une forme ou une autre de décroissance : ainsi Augustin de Romanet, dans le dernier numéro de la revue Commentaire, s’en prend-il à ceux-ci avec des arguments plus simplistes que ceux des « décroissants » qu’il moque, réduisant la question à une petite affaire d’arithmétique électorale en arguant que les listes portant nommément cette idée ont fait des scores dérisoires. Je suis bien placé pour savoir que notre système de représentation démocratique, s’il n’est pas forcément inutile, n’est pas le plus juste ni le plus légitime quand il s’agit d’évoquer les grands problèmes, et qu’il est surtout le moyen de « tenir le politique » beaucoup plus que de le fortifier face aux féodalités économiques et financières… Qui n’a pas d’argent peut difficilement se faire entendre, si ce n’est en cassant des vitres ou en faisant scandale, ce qui, parfois, brouille le sens du message porté par ces mouvements minoritaires condamnés à le rester longtemps, et cela quelles que soient la pertinence de leurs idées et propositions : le piège démocratique, diraient certains, mais qui participe à cette « fatigue civique » que les observateurs pointent depuis un bon bout de temps… 

    Mais Romanet a tort : si la croissance apparaît si peu contestée, ce qui d’ailleurs mériterait confirmation plus crédible que celle qu’il avance, elle n’en est pas moins dangereuse parce qu’elle ne sait pas se limiter d’elle-même quand la nécessité appellerait ce sens de la mesure, cet esprit de reconnaissance des limites naturelles et humaines qui permettent aux sociétés humaines de durer. Et le pape, par sa récente encyclique Laudate si’, a donné au concept de décroissance de belles lettres de noblesse, à la grande rage des « croissancistes » qui voient leur idéologie réduite à ce qu’elle est, c’est-à-dire une construction théorique qui s’émancipe du réel pour ne s’intéresser qu’aux chiffres et à « l’avoir » statistique en négligeant les contextes et les perspectives environnementales comme sociales.

    Cette décroissance évoquée par le pape ne signifie pas qu’il faut en revenir à un âge des cavernes qui méconnaîtrait les savoirs techniques et leurs applications, qui ne sont pas forcément inutiles ou maudites, mais qu’il faut en revenir à l’essentiel sans négliger autrui, et les paysages, les fleurs ou les animaux qui les peuplent, sont ces autres qu’il ne faut pas oublier, ni mépriser, comme saint François d’Assise nous l’a enseigné en son temps en quelques leçons qu’il nous faut encore et toujours méditer et appliquer… 

    Le blog de Jean-Philippe Chauvin

     

  • Algérie : « Monsieur Frère » et l'Odjak des janissaires [1]

     

    Une analyse de Bernard Lugan

    La stabilité de l'Algérie est-elle compromise ? Quiconque se soucie de l'avenir de la France, de sa propre stabilité, ne peut manquer de se poser, dans toute son ampleur, cette inquiétante question. Elle nous concerne directement pour toutes sortes de raisons qu'il est sans-doute inutile de rappeler ici. On en pressent de façon très immédiate toute la gravité. Samedi 19 septembre, Bernard Lugan, grand spécialiste de l'Afrique, a publié sur son blog une note qui traite de la question du pouvoir en Algérie, de la succession de Bouteflika, des manœuvres qui sans-doute la préparent, des incertitudes qu'elle réserve. On lira cette note avec attention en attendant la suite que Bernard Lugan a annoncée. Malgré les apparences, nous ne nous sommes peut-être éloignés de la question des migrants que par anticipation. LFAR

     

    46878456-jpeg_preview_large.jpgEn Algérie, les récents limogeages opérés à la tête de l'armée et des services spéciaux ont une explication: le pays n'est plus gouverné par le président Abdelaziz Bouteflika, mais par Saïd, son frère.

    Enseveli sous de très graves affaires de corruption, ce dernier sait qu'il ira dormir en prison au lendemain de la mort clinique de son aîné s'il ne s'est pas auparavant taillé un pouvoir à sa main. Or le temps presse puisque, depuis sa réélection le 17 avril 2015, Abdelaziz Bouteflika n'a assisté à aucune  cérémonie officielle en raison de son état de santé...
     
    Voilà pourquoi le général "Toufik" Mediene qui avait osé dénoncer les trafics de "Monsieur frère" vient d'être remplacé à la tête de la DRS (le contre-espionnage) par le général Bachir Tartag. Quand des nominations officielles à des postes importants sont décidées, elles sont normalement annoncées par l'APS (Algérie Presse Service), l'agence de presse officielle; dans le cas présent, ce fut par d'obscurs canaux...remontant directement à Saïd Bouteflika.
     
    Ce remplacement intervient après plusieurs autres, dont ceux du général M'Henna Djebbar, chef de la direction de la sécurité de l'Armée, du général Rachid Laalali, chef de la DSE (Direction de la sécurité extérieure), du général Ahmed Bousteila, chef de la gendarmerie etc. Tous au profit du général Ahmed Gaïd Salah, chef d'Etat-major et vice-ministre de la Défense, né en 1940.
     
    L'alliance avec l'Etat-major a donc permis à Saïd Bouteflika d'écarter le très puissant général Mediene. Est-elle pour autant un gage de survie? Il est permis d'en douter.
    Si parmi les hauts cadres de l'Odjak, ceux qui ont des comptes à rendre à la Justice devraient lui rester fidèles, la loyauté des autres est incertaine. Lesquels parmi les généraux, notamment chez les nouvellement promus, voudront en effet apparaître liés aux profiteurs du régime quand la rue grondera dans un dramatique contexte économique et social aggravé par l'effondrement du prix des hydrocarbures[2]?
     
    Dans la course contre la montre engagée par Saïd Bouteflika, trois grandes hypothèses se dégagent:
     
    1. Saïd Bouteflika et l'Etat-major s'entendent pour installer un homme de paille au pouvoir.
     
    2. L'Odjak se refait une "vertu" à bon compte en donnant la tête de Saïd Bouteflika au peuple avant de placer l'un des siens aux commandes.
     
    3. Prenant tout le monde de vitesse, "Monsieur frère" s'empare directement du pouvoir...
     
    Une situation à suivre, mais qui interdit de fonder une politique sécuritaire régionale sur l'Algérie. 
     
    Le blog de Bernard Lugan