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Actualité Monde - Page 114

  • Les droits de l’homme au service du terrorisme

     

    par François Reloujac

     

    Les attentats qui ont fait tant de morts en France, en 2015, ont ému jusqu’à nos gouvernants qui ont aussitôt pris une mesure importante : interdire tout paiement en espèces de plus de 1000 euros, comme si c’était la mesure la plus appropriée et la plus urgente. Ils ont aussi suspendu nombre de libertés individuelles en décidant l’état d’urgence. Pour montrer l’efficacité de notre système de sécurité, on a médiatisé à outrance les premiers succès de l’enquête. Mais aujourd’hui, on constate que l’enquête piétine.

    Quelques jours après l’affreuse tuerie de Paris, un couple de « musulmans radicalisés » déclenchaient une fusillade à San Bernadino en Californie, provoquant la mort de quatorze personnes. Depuis, l’enquête du FBI, qui recherche les complices des tueurs, semble ne pas avancer.

    Dans les deux cas, les enquêteurs prétendent, à tort ou à raison peu importe, que la principale difficulté à laquelle ils se heurtent est le fait que le point commun entre tous ces « terroristes » est l’utilisation pour préparer leurs actes, d’un iPhone. Dans les deux cas, ils demandent donc à la société Apple de déverrouiller leurs appareils ou, du moins, de leur donner accès au système de chiffrement des données. L’enjeu de la mesure, en ce qui concerne la sécurité des citoyens, dans tous les pays du monde est grand tant le géant informatique domine les communications téléphoniques mobiles.

    La firme américaine refuse de coopérer avec les autorités judiciaires prétextant que l’inviolabilité de leur système de cryptage fait la force de leur système et qu’il est nécessaire pour garder la confiance des consommateurs… et donc son chiffre d’affaires. L’intérêt financier du géant américain est donc, aux yeux de ses dirigeants, plus important que la sécurité des citoyens.

    Le 4 mars 2016, le Haut-Commissaire de l’ONU aux droits de l’homme, Zeid Ra’ad Al Hussein, a apporté son soutien à la firme de Cupertino en déclarant que forcer Apple à se plier à une injonction judiciaire pour aider le FBI à lutter contre le terrorisme serait risquer d’ouvrir une boîte de Pandore aux « conséquences négatives ». Et pour justifier sa position, il a ajouté que ces outils de chiffrement étaient largement utilisés dans le monde, notamment par les journalistes et les « lanceurs d’alerte » (en français courant : les cafardeurs, les délateurs). Ainsi, la vie des citoyens et leur intégrité physique passent après la circulation de l’information et la dénonciation, par les membres de leur personnel, des entreprises qui ne respectent pas les règles de « déontologie » !

    En France, le député du Cher, Yann Galut, a aussitôt déposé un amendement pour « contraindre les géants de l’informatique, notamment Apple et Google, à collaborer avec la justice », comme si notre arsenal juridique ne suffisait pas. Et pour faire bonne mesure, il a proposé de leur infliger une amende d’un million d’euro en cas de refus de coopérer. Il est inutile d’insister sur le caractère ridicule de la somme dont il menace les entreprises dont la capitalisation boursière est supérieure aux 500 milliards d’euros.

    Mais, contrairement à ce que dit le député pour justifier sa mesure, nous ne sommes pas en présence d’un vide juridique. Il existe dans le droit pénal français la notion de complicité. Or, comme l’a encore rappelé la chambre criminelle de la Cour de cassation le 7 janvier 2014, la complicité par fourniture de moyen ne requiert pas que l’auteur du crime ait été en relation directe avec le fournisseur du moyen, il suffit que « la fourniture du moyen ait contribué à la commission de celui-ci ». En l’occurrence, il apparaît bien que l’iPhone, grâce à son système de chiffrement des données, a permis aux auteurs des attentats de préparer leur crime et de se coordonner lors de son exécution. On peut donc bien poursuivre pour complicité devant les juridictions pénales toute personne qui, au sein d’Apple, refuse de collaborer avec la justice dans le cadre des enquêtes ouvertes pour retrouver les auteurs d’attentats terroristes et tous leurs complices, et, bien sûr, son président.

    N’en déplaise au Haut-Commissaire de l’ONU aux droits de l’homme, la sécurité physique de tous les citoyens est plus importante que les bénéfices des géants de l’informatique, les scoops des journalistes et l’impunité des délateurs. 

  • Qabous 1er, monarque arabo-musulman exemplaire

     

    Par Péroncel-Hugoz 

    Au lieu de son habituel « coup de dent », Péroncel-Hugoz soulève cette semaine son chapeau, en hommage au sultan d’Oman. Avec preuves à l’appui.

     

    peroncel-hugoz 2.jpgMes reportages pour « Le Monde », jadis et naguère, me permirent, entre autres, de découvrir le plus secret, le moins connu des pays arabes : le Sultanat d’Oman. La dynastie des Bou-Saïd qui y règne depuis 1793, s’entendit presque aussitôt avec les Anglais pour sauvegarder son indépendance tout en leur laissant les mains libres dans le reste du Sinus Persicus, que nous nommerons ici « Golfe arabo-persique », pour essayer de contenter tous les riverains… En 1970, l’émir Qabous, né en 1940, força son père, le sultan régnant, à abdiquer, et il eut désormais les coudées franches pour faire bénéficier ses sujets des revenus pétroliers, issus des découvertes d’hydrocarbures de 1967. 

    Lors de mes séjours en Oman, libre de circuler jusque dans les régions les plus reculées du Sultanat, notamment cette curiosité naturelle que sont les oasis de montagne, je pus constater à loisir le véritable art avec lequel Qabous 1er a modernisé son pays sans léser son âme arabo-musulmane traditionnelle. Et en revenant aux sources mêmes de l’Islam, Coran et Sunna, en donnant le plus souvent le dernier mot à l’esprit des textes plutôt qu’à leur lettre. Est-ce dû au fait que la dynastie nationale appartient à une version de l’Islam ultraminoritaire, l’ibadisme ? Ou avant tout à l’intelligence politique, à la culture universelle de Qabous ? Je pencherai plutôt pour la seconde hypothèse. Rappelons que l’ibadisme est aussi l’Islam de la Pentapole du Mzab, au Sahara algérien, de l’île tunisienne de Djerba et de l’île de Zanzibar, ancienne colonie omanaise. Si, théologiquement, les ibadites passent pour être un peu plus près du chiisme que du sunnisme, au quotidien, ils se sentent humainement plus proches des sunnites que des chiites. En tout cas, Oman est de nos jours un modèle de cohabitation interreligieuse, chrétiens et hindous compris, bien que ces derniers ne soient pas « Gens du Livre ». 

    Je ne vais pas dresser ici une liste de toutes les réalisations qaboussiennes mais, à l’heure où les nouvelles de la santé de ce monarque, longtemps soigné en Allemagne, ne sont pas fameuses, je voudrais m’attarder seulement sur un point particulier, important à mes yeux : le traitement réservé aux animaux. Un point sur lequel les musulmans ont en général, il faut bien le reconnaître, pas très bonne réputation. Qabous 1er, au lieu de nier cette réalité, a travaillé et fait travailler ses théologiens sur ce que disent de ce thème, trop négligé par les Arabes, le Coran et la Sunna. 

    Et, en se basant sur ces deux textes sacrés, sans les triturer, le sultan en a fait passer l’essentiel dans l’enseignement scolaire, tout en multipliant les hommages à la beauté animale, sans toutefois cette zoolâtrie débile constatée de nos jours en Occident, notamment en Anglo-Américanie. Ces hommages omanais se sont traduits notamment en statues de gazelles ou de chevaux, innovation absolue en terre d’Islam arabe, sauf dans le Maroc de la fin du XXe siècle où le ministre hippophile Driss Basri fit élever, en sa bonne ville de Settat, une haute colonne surmontée d’une caracolante statue équine. 

    Mais revenons à Oman et regardons les sourates ou les hadiths, relatifs aux bêtes, enseignés depuis que règne Qabous 1er, aux écoliers du Sultanat : 

    CORAN :

    « Au même titre que les anges, les animaux se prosternent devant Dieu » (S16.V51.).

    « Les bêtes forment une communauté pareille à nous, les humains » (S6.V38).

    « Toutes les créatures seront rassemblées un jour, animaux compris ».« Celui qui traite bien son cheval, sera protégé de la pauvreté ». (Cette sourate est applicable aussi aux ânes. S99.V7 et 8). 

    SUNNA :

    « Une femme ira en Enfer parce qu’elle a laissé mourir de faim une chatte » (Bokhari)

    « Ne faites pas de mal (à qui ne vous a rien fait) et ne rendez pas le mal pour le mal » (hadith n° 32, parmi les 40 sûrs d’El Nawawi et, selon l’enseignement omanais, s’appliquant aux animaux).

    « Il est défendu de frapper les bêtes au visage ».

    « Le Prophète de l’Islam essuyait avec son vêtement la face de son cheval ».

    « Il faut jeter des pierres à ceux qui chevauchent à trois une monture ».

    «  Il ne faut pas séparer une bête de ses petits ; ni mettre le feu sans raison à un nid de fourmis ».

    « Il est défendu de tuer des oiseaux sans raison, en particulier pour s’amuser ». (Sounnan d’El Nasaï, t.VII).

    « Le couteau des sacrifices d’animaux doit être bien aiguisé et cela hors de la vue de la victime ; on n’égorge pas une bête en présence d’une autre et celui qui observera cet usage sera récompensé dans l’Au-delà (Moslim ; El Nawawi).

    « Il est défendu de charger une bête au-delà de ses forces. Le calife Omar frappait lui-même les gens qui chargeaient trop les bêtes de somme ; il soignait lui-même les plaies des dromadaires blessés par le bât ».

    « Un imam décida de se consacrer à Allah seul, ayant vu un chat nourrissant un de ses congénères aveugle », etc. etc. 

    J’arrête là ces listes que certains trouveront peut-être par trop « édifiantes »… En tout cas, quiconque séjourne en Oman pourra y constater que les animaux y sont mieux traités, notamment par les jeunes gens, que dans la plupart des autres sociétés arabo-musulmanes.   

    Lire : Georges-Henri Bousquet, « Des animaux et de leur traitement selon le judaïsme, le christianisme et l’islam », « Studia Islamica », n° IX, 1958, Paris ; Ahmed-Hamoud El Maâniny, « Omani Sultans in Zanzibar (1832-1964) » (en anglais), Ed Kumar, La Nouvelle-Delhi, Inde, 1988.

    Péroncel-Hugoz

    Repris du journal en ligne marocain le 360 du 04.03.2016

  • Le crime de Kamel Daoud

     

    par Louis-Joseph Delanglade

     

    Médias et politiques occidentaux se sont fourvoyés en voulant voir dans les « printemps arabes » les prémices d’un bouleversement démocratique : ils avaient méconnu les pesanteurs culturelles et politiques propres aux sociétés arabo-musulmanes. Aujourd’hui, l’intelligentsia française, dans un accès de dogmatisme inconditionnel, refuse d’admettre ce qui a pu se passer réellement le 31 décembre 2015 à Cologne : on ne peut condamner des migrants « musulmans », même si des violences sexuelles à l’encontre de femmes allemandes sont avérées. 

    Ils sont dix-neuf, dix-huit universitaires « chercheurs » et un journaliste, qui se sont érigés, derrière la dénomination bien commode de « collectif », en tribunal stalinien. Ces inquisiteurs de la pensée unique ont, à ce titre, jugé et excommunié (faute sans doute de pouvoir le faire fusiller ou, à tout le moins, envoyer au goulag) l’écrivain algérien francophone Kamel Daoud. Leur sentence (« Kamel Daoud recycle les clichés orientalistes les plus éculés » - Le Monde, 11 février) est irrévocable car le crime de M. Daoud est impardonnable : avoir publié (Le Monde, 31 janvier) une tribune intitulée « Cologne, lieu de fantasmes » dans laquelle il n’applique pas aux événements leur grille de lecture, forcément canonique, osant faire en conséquence un lien entre la culture religieuse des agresseurs et la nature des faits. 

    La tribune de M. Daoud est pourtant plutôt équilibrée puisqu’il refuse par principe les deux positions extrêmes face à l’immigration musulmane - angélisme et xénophobie. Que dit M. Daoud ? Sur les Européens : « L’accueil du réfugié […] pèche en Occident par une surdose de naïveté : on voit, dans le réfugié, son statut, pas sa culture ». Sur les femmes en terre d’islam : « La femme est niée, refusée, tuée, voilée, enfermée ou possédée ». Sur les islamistes : « L’islamiste n’aime pas la vie. Pour lui, il s’agit d’une perte de temps avant l’éternité […]. La vie est le produit d’une désobéissance et cette désobéissance est le produit d’une femme. » 

    Pour le « collectif », les réfugiés musulmans et agresseurs de Cologne ne sont que des hommes, des hommes dont aucun substrat culturel ne saurait expliquer le comportement : des hommes « hors sol » en quelque sorte, qu’il faut accueillir sans prétendre voir en eux ce que nous croyons qu’ils sont. Quant aux femmes, leur sort en Europe n’a au fond rien de bien enviable et nous n’avons, dans ce domaine, aucune leçon de comportement à donner. L’approche de M. Daoud serait « asociologique », car fondée sur l’essentialisme, et psychologisante faisant des musulmans des « déviants » qui relèveraient donc d’un « un projet disciplinaire » : on n’échappe ni à la pédanterie ni à la suffisance propres à toute analyse universitaire mais cette analyse ne tient pas devant des faits, devant les faits. 

    Jugé et condamné par des gens qu’il considérait peut-être comme ses pairs, M. Daoud a décidé de renoncer au journalisme. L’affaire en serait restée là si la romancière franco-tunisienne Fawzia Zouari, en prenant la défense de son confrère dans Jeune Afrique, Libération et France Inter, ne lui avait donné une dimension politique. Mme Zouari approuve M. Daoud sur les viols de Cologne, « conséquence logique d'une tradition » et d’« une psychologie de la foule arabe »; elle dénonce la « fatwa laïque » dont il est victime; elle reproche à la gauche française d'instaurer « une sorte d'honorabilité de l'islamisme en France »; elle affirme enfin et surtout « qu’il y a un problème posé par l’Islam de France ». 

    Rien de moins. Quoi que pensent ou puissent penser par ailleurs M. Daoud et Mme Zouari, ils auront eu le mérite de poser le vrai problème. 

  • Vidéo • « La diplomatie française : tradition et rupture », entretien du Cercle Henri Lagrange avec Roland Dumas

     

    Un entretien en tous points remarquable du Cercle Henri Lagrange* avec Roland Dumas, avocat, ministre des Relations extérieures de 1984 à 1986 et des Affaires étrangères de 1988 à 1993, président du Conseil constitutionnel de 1995 à 2000. Un document exceptionnel qui traite - sous les divers angles de la géopolitique mondiale - des intérêts majeurs de la France et de la diplomatie qu'il conviendrait de conduire pour les servir.  LFAR

     

    54 minutes

    Source : Action française

    Les entretiens du Cercle Henri Lagrange

  • Disparition de Boutros Boutros-Ghali : un scribe égyptien qui incarna le rêve français

     

    Ancien membre du cabinet de l'Egyptien Boutros Boutros-Ghali, Paul-Marie Coûteaux* rend hommage à l'intellectuel francophile que fut cet ancien secrétaire général de l'ONU, dans une intéressante tribune pour Figarovox.[26.02]. On pourra en discuter certains points et, sans-doute, en apprécier le fond.  LFAR

     

    imagesIFB2VAG7.jpgAprès tant et tant de voyages, de combats et d'épreuves, Boutros Boutros-Ghali eut l'ultime consolation de mourir au Caire, dans son pays, parmi les siens ; malgré les atteintes de l'âge, il était toujours, à 94 ans, débordant d'esprit, de cœur et d'un goût insatiable pour le travail, qui firent de ce grand scribe d'apparence frêle et d'une impeccable élégance, une personnalité connue et respectée dans le monde entier, en particulier dans l'univers francophone, en France et bien entendu en Egypte.

    Copte (ce mot, désignant les Chrétiens d'Egypte veut dire en fait Egyptien - en grec Aeguptios), il eut pour grand père un Premier ministre (Pacha) qui, seul de ses coreligionnaires à occuper de si hautes fonctions, se signala par sa francophilie, introduisant notamment des pans entiers du code civil français dans la législation égyptienne avant d'être assassiné par un fanatique musulman ; son père, Youssef, élevé chez les dominicains de Sorèze, appartenait à cette génération où, en signe d'indépendance, on s'adressait au mandataire anglais en français. Boutros fit des études de droit, en bonne partie à Paris, avant de devenir professeur d'université puis ministre d'Etat aux Affaires étrangères sous la présidence d'Anouar El Sadate qu'il aida à mener une politique de paix avec Israël, enfin vice-Premier ministre. En 1991, le soutien des pays non alignés qui appréciaient qu'il se soit fait, de conférences internationales en colloques de juristes, le chantre d'un monde bipolaire, celui de la plupart des pays d'Afrique et de la France lui valurent d'être élu Secrétaire général des Nations Unies ; ceci à la barbe des Anglo-Saxons, pris par surprise grâce à l'habilité d'une diplomatie française plus vigilante qu'on ne croit - et notamment à l'action de l'ambassadeur de France Alain Dejammet. Après un mandat ambitieux mais tumultueux au cours duquel, profitant de la fin de la guerre froide qui l'avait longtemps bloquée, il tenta de donner à l'Organisation universelle un rôle conforme à sa Charte, et après s'être heurté à de multiples reprises à la politique de Washington et son intraitable ambassadrice Madeleine Albright, il fut le seul Secrétaire général auquel un second mandat fut refusé : en 1996, alors que 14 des 15 membres du Conseil de Sécurité votèrent pour sa réélection, un contestable véto états-unien en décida ainsi.

    A 75 ans, cet infatigable travailleur que les distractions ne distrayaient guère, ne posa pas pour autant son sac : élu en octobre 1997 Secrétaire général de l'Organisation de la Francophonie, organisation trop mal connue qui pourrait jouer un grand rôle si seulement la France la prenait (et se prenait elle-même) au sérieux, il s'attacha à en faire un ensemble politique capable de faire entendre sur la scène internationale, en une autre langue, une autre voix. C'était le prolongement naturel et l'on pourrait dire familial d'une des missions qu'il se donna à l'ONU qu'il voulut arracher à l'unilinguisme - pour avoir eu l'honneur d'être sa plume à New-York, où il s'appliquait, à la différence de biens des officiels français, à parler « dans l'autre langue de travail » aussi souvent qu'il le put, je témoigne que cet engagement faisait plus que grincer les dents locales… Sur l'enjeu de la bataille linguistique dont j'ai alors vu chaque jour l'acuité, l'Egyptien avait dit l'essentiel à l'écrivain Peroncel-Hugoz : « Le français est la langue du non-alignement ».

    Il est regrettable que la France, déplorablement peu représentée à ses obsèques le 18 février, ne se soit pas davantage associée au touchant hommage que lui rendit une Egypte arrachée à la dictature islamiste soutenue par les Etats-Unis et actuellement remise sur sa voie nationale par le général Sissi. Car c'est sans nul doute la grandeur d'un personnage que tout, l'héritage familial, la stature de grand juriste international et la culture très parisienne prédisposaient à incarner une troisième voie, celle du « tout politique » opposée à la fois au « tout religieux » et au « tout marché » dont les excès conjugués mettent le feu à la terre entière - troisième voie qui est aujourd'hui tout l'enjeu de la francophonie et serait, si elle le voulait encore, la mission de la France dans le monde. Copte, il éprouva très tôt le fanatisme religieux, que seuls contiennent la raison, la démocratie et le droit. Juriste, fait professeur honoris causa par 18 universités sur quatre continents (aucune aux Etats-Unis), il crut au droit pour régler les relations entre les nations. Dans un mémorable discours prononcé non sans audace au Québec en 1992, il affirma que les souverainetés nationales (protégées, mais aussi coordonnées, pour ce qui dépasse leurs marges d'action, par une Organisation universelle, et par ce qu'il nommait « les ententes régionales », sujet de sa thèse) demeuraient la pierre angulaire d'un monde en ordre, et autant que possible en paix : on le vit dans le grave épisode de l'établissement de relations diplomatiques avec Israël, qu'il relate dans un de ses livres, « Le Chemin de Jérusalem » où l'on voit sa confiance, que nous avons bien tort d'avoir perdue, en une solution politique au conflit israëlo-arabe, contre les divers faucons et les fondamentalismes, deux fanatismes qui ne sont qu'apparemment des adversaires. Penseur, mais aussi artisan infatigable de l'équilibre mondial qui le porta à défendre sur toutes les scènes le droit des peuples à disposer d'eux-mêmes, sans peur d'affronter droit dans les yeux la super-puissance, il fut une sorte de gaulliste mondial. Sur cet immense et multiforme effort pour humaniser le monde, lisons la très complète biographie que lui a consacrée l'an dernier Alain Dejammet (éd. Alain Bonnier), et saluons la mémoire d'un vieux scribe égyptien qui fut l'une des plus belles incarnations du rêve français. 

    Paul-Marie Coûteaux           

    Paul-Marie Coûteaux est directeur des Cahiers de l'Indépendance. Il fut le conseiller de Boutros Boutros-Ghali de 1991 à 1993. 

  • Boualem Sansal : « Un scénario syrien est possible en Algérie »

    La nouvelle grande mosquée d'Alger, Djamaa El Djazaïr en construction 

     

    C'est un entretien d'un très grand intérêt avec Boualem Sansal qu'Alexandre Devecchio a publié dans Figarovox, le 23.02. Ce n'est pas que nous fassions totale confiance à Boualem Sansal. Publier les réflexions d'un auteur, d'un intellectuel, ce n'est ni faire son éloge, ni, nécessairement prendre son propos pour parole d'Evangile. Nous savons, en outre que Sansal est une personnalité ambiguë. Et qu'il ne cesse pas d'être une énigme, même pour de fins connaisseurs des pays d'Afrique du Nord. Mais il s'agit ici du devenir de l'Algérie, bombe à retardement, inquiétante à plus d'un titre. Et au premier chef pour la France qu'une explosion du système algérien menacerait de façon sans doute gravissime. Nous avons dit, ici, à plusieurs reprises, notre inquiétude face à cette menace à laquelle il paraît assez clair que la France ni l'Europe ne se préparent. C'est ce dont Sansal traite ici et nous conseillons de le lire, certes avec esprit critique, mais aussi avec une véritable attention.  Lafautearousseau   


    XVM570e4212-da34-11e5-94e2-a58df5601745.jpgDans son roman d'anticipation 2084, le grand écrivain algérien imaginait un monde dominé par l'islam radical. Il se montre tout aussi pessi­miste pour l'avenir de l'Algérie.

    LE FIGARO - Alors que le président Bouteflika reste très affaibli, l'Algérie est confrontée à un début de crise économique…

    Boualem SANSAL - Bouteflika, pendant ses seize années de règne, a acheté la paix sociale en faisant vivre les Algériens au-dessus de leurs moyens sans même avoir besoin de travailler. Cette gestion financière et psychologique catastrophique pourrait déboucher sur une crise multidimensionnelle à la fois économique, politique et religieuse. Les journaux n'en parlent pas, mais il faut savoir qu'il y a des émeutes quotidiennes en Algérie. La seule réponse du pouvoir est d'« arroser » la population. Pour l'instant, celle-ci en profite. Mais la manne n'est pas infinie. Que se passera-t-il lorsque celle-ci sera épuisée ?

    En cas d'aggravation de la crise, comment le pouvoir peut-il réagir ?

    Ma conviction est que le pouvoir est indestructible. Il résistera à tout parce qu'il n'hésitera pas à réprimer avec violence comme le fait Bachar el-Assad en Syrie. S'il se sent débordé, il fera tirer sur la population. Si cela ne suffit pas, il internationalisera l'affaire en y mêlant les islamistes. Le problème politique sera transformé en problème religieux et exporté hors des frontières algériennes jusqu'en Europe, et singulièrement en France. Le scénario d'une escalade de la terreur sur le modèle syrien me paraît tout à fait crédible.

    L'Algérie peut-elle être également menacée par Daech ?

    Les islamistes étrangers, ceux de Daech ou d'al-Qaida, sont en embuscade. Mais il faut aussi compter avec les islamistes algériens. Ces derniers ont fait un deal avec le pouvoir. Ils partagent avec l'État la rente pétrolière et sont introduits dans les rouages de l'administration: certains islamistes sont députés ou ministres. En parallèle, ils investissent le domaine culturel et social. Le terrain économique leur permet également de « faire beaucoup d'argent»  avec l'Arabie saoudite, Dubaï ou la Turquie. Cela participe à l'internationale islamiste comme à la reconstitution de leurs forces en Algérie. Bouteflika leur a cédé la « gestion » du peuple. Dans les petites villes et les villages, ils sont maîtres du jeu et font régner leurs règles théocratiques terrifiantes. Ces seize dernières années, il s'est construit plus de mosquées dans le pays que durant tout le siècle dernier.

    Justement, que pensez-vous de la construction de la nouvelle grande mosquée d'Alger, Djamaa El Djazaïr ?

    D'abord, cela traduit la stratégie d'équilibre des pouvoirs de Bouteflika. Pour ne pas être totalement dépendant des militaires, il a ouvert la porte aux islamistes. La future grande mosquée d'Alger est un gage donné à ces derniers. Le gigantisme du projet traduit également la mégalomanie de Bouteflika. C'est pour lui, une manière de marquer l'Histoire, quitte à livrer le pays aux fondamentalistes.

    La guerre civile algérienne peut-elle faire son retour ?

    Le chaos est presque inéluctable. Bouteflika a fait le vide politique autour de lui et beaucoup vont prétendre à sa succession. Les islamistes voudront gouverner au nom de l'islam. Les militaires, humiliés durant son règne, voudront prendre leur revanche. Il y a aussi une oligarchie économique et financière avide et insatiable qui gouverne par le truchement de Saïd Bouteflika, frère cadet du chef de l'État. Ce contexte d'éclatement général ouvre la porte à toutes les aventures. La Kabylie, qui est marginalisée et persécutée, pourrait être tentée par une proclamation d'indépendance. Le Sud est dans une situation explosive, avec des tensions séparatistes notamment chez les Touaregs. Et, en ce moment même, la région du Mzab est le théâtre de guerres tribales. Enfin, la question de la jeunesse est préoccupante. Les jeunes représentent 35 à 40 % de la population et ne sont la clientèle ni des uns, ni des autres. Quel sera le comportement de ces électrons libres dans une situation où tous les grands verrous vont sauter ? Si tous ces mouvements coagulent, il y aura un printemps algérien sur fond de vengeance et de ressentiment. Celui-ci sera suivi d'un hiver islamiste.

    Quelles peuvent être les conséquences d'une explosion sur l'Europe ?

    L'Occident a perdu son influence et n'a plus de politique à l'égard du monde arabe. Sur la défensive, il ne peut que subir. S'il y a une explosion de l'Algérie, le Maroc et la Tunisie seront déstabilisés. L'Europe sera confrontée à un mouvement migratoire de masse qu'elle ne pourra pas maîtriser. Le problème de Calais apparaîtra bien minuscule en comparaison.

    Dans 2084, vous allez jusqu'à décrire un empire islamiste mondial…

    Depuis les indépendances, la religion musulmane ne cesse de s'affirmer. La seule force profondément installée dans la société arabo-musulmane est la religion. Le mouvement islamiste au sens large occupe l'espace et empêche l'émergence de toute autre idéologie. Il y a, certes, une compétition entre islam salafiste et islam traditionnel, entre chiites et sunnites. Cependant, on constate aujourd'hui que les différences s'estompent à l'intérieur du monde sunnite tandis que la confrontation a lieu entre chiites et sunnites. Mais, là aussi, des alliances stratégiques se nouent. Peu à peu, le monde musulman se reconstruit et retrouve ses ambitions premières et sa volonté hégémonique. La frontière avec l'Occident commence à être abolie puisque maintenant l'islam politique s'ouvre des espaces à Londres, à Paris et à Bruxelles. On peut imaginer que dans trente ans l'islam gouvernera l'ensemble du monde musulman qu'il aura unifié. Dans soixante ans, il partira à la conquête de la civilisation occidentale.

     

    picture-2540921-61yhv5dr.jpgEntretien par

    Journaliste au Figaro et responsable du FigaroVox. Twitter : @AlexDevecchio

  • Syrie : « En se retirant, Obama rend service au monde », Éric Zemmour

     

    C'est une remarquable leçon de géopolitique mondiale que donne Zemmour dans sa dernière chronique mise en ligne sur RTL [18.02]. Sur le cynisme américain, via Obama, sur le paradoxe de cette grande nation, à la fois conservatrice et révolutionnaire, sur son relatif désengagement européen et moyen-oriental, sa complicité avec Poutine, son regard désormais porté vers l'Asie, enfin sur l'impuissance européenne, Zemmour dit et montre l'essentiel. Depuis la diffusion de ce billet, on a appris - sans surprise en ce qui nous concerne - que Russes et Américains se sont mis d'accord pour un cessez le feu en Syrie, dont ils ont décidé et annoncé en commun la date et les modalités et à l'heure où nous écrivons, on annonce que la Belgique vient de rétablir sa frontière avec la France... Où est « l'Europe » ? Il y a gros à parier qu'il n'en restera pas grand chose dans dix ans. Subsisteront ses nations qui demeurent sa seule base politique solide.   •  LFAR 

     

     

      

    Le résumé de RTL*

    "Barack Obama a les oreilles qui sifflent. Partout, on ne parle que de lui. Et pas en bien", décrypte Éric Zemmour. "Obama manque de leadership, Obama est naïf, Obama se fait rouler par Poutine, Obama est pacifiste, Obama est indécis, Obama a abandonné l’Irak, Obama a abandonné l’Europe : l'Occident est un grand bureau des pleurs et Obama est devenu le mur des lamentations", poursuit le journaliste. Il constate que "depuis qu'elle n’envoie plus ses boys aux quatre coins de la planète, l’Amérique a retrouvé la prospérité".

    Il explique que le locataire de la Maison Blanche a "renversé cette diagonale du fou qui veut que celui qui a le plus gros marteau a les moyens de taper sur tous les clous". Soulignant le "grand paradoxe" américain (une nation "à la fois conservatrice et révolutionnaire"), Éric Zemmour explique qu'en se retirant, "Obama rend service au monde en général et à l’Occident en particulier : il permet aux autres de vivre". Et de conclure : "Mais les Européens veulent-ils vivre ?"

    * par Loïc Farge

  • VERS UNE RÉVOLUTION CULTURELLE ?

     

    par François Marcilhac 

    L’actualité politique a été évidemment marquée, ces derniers jours, par le remaniement ministériel, a minima, qui, toutefois, a moins fait gloser que le départ bouffon de Taubira, qui l’a précédé de quelque jours. 

     

    500021990.jpgIl est vrai, que dire du retour de Ayrault en remplacement du catastrophique Fabius promu à la présidence du Conseil constitutionnel, de l’arrivée de trois ministres écologistes, d’un retour au respect strict de la parité dans l’équipe ministérielle ou de la création de secrétariats d’Etat à l’intitulé démagogique — on croyait avoir tout vu, en 1981, avec le ministère du temps libre ? C’était sans compter des équipes de communicants pouvant vendre n’importe quoi à un François Hollande, voire à un Manuel Valls qu’on pensait plus lucide, totalement dépourvus du sens du ridicule. Croient-ils que les Français, confrontés, sur leur sol, au terrorisme islamiste, au déferlement migratoire et à l’aggravation de la crise économique, n’aient d’autre attente que la création d’un très stalinien secrétariat d’Etat à l’égalité réelle (sic), d’un autre, lacrymal, à l’aide aux victimes ou, d’un troisième, très politiquement correct, aux relations internationales sur le climat et à la biodiversité ? Alors qu’en temps de crise une équipe resserrée s’impose pour garantir la cohérence de l’action, Hollande, en homme de la IVe, a fait le choix inverse : satisfaire tous ceux qui pourront, pense-t-il, l’aider à gagner en 2017, des radicaux de gauche, avec le retour de leur président, Baylet, ancien ministre, ancien député, ancien sénateur, et présentement puissant homme de presse, qui jappait d’impatience depuis le début du quinquennat, aux deux tendances écologistes : EELV par la personne d’Emmanuelle Cosse, et la dissidence. Non sans que cette promotion d’arrivistes notoires n’achève une mouvance qui, depuis sa création, n’a jamais su donner que le pire des spectacles politiciens, ce qui est assez naturel pour un parti dépourvu de tout sens de la cité : il est alors condamné à n’être que sa propre caricature, l’ambition personnelle ne pouvant prendre le masque de la recherche du Bien commun.

    Hollande pense-t-il ainsi neutraliser les écologistes comme Mitterrand l’avait fait des communistes ? Si oui, un référendum sur Notre-Dame-des-Landes n’est pas, à ses yeux, trop cher payé. Outre sa légalité incertaine, celui-ci montre surtout combien notre chef d’Etat se défausse lâchement sur une fraction du pays réel — laquelle ? —, de la poursuite, ou non, d’un projet insensé qui n’a pour lui que d’être soutenu par les potentats locaux du pays légal, droite et gauche confondues, au mépris de l’intérêt général. Hollande pense certainement avoir manœuvré en génial tacticien — quand on lui demande simplement d’être un bon artisan du Bien commun. Peut-être ne réussira-t-il qu’à s’enferrer dans cette nouvelle idée grandiose comme il se trouve déjà pris à son propre piège dans la question de la déchéance de nationalité, dont le feuilleton laisse désormais indifférents les Français. Si le projet de loi constitutionnelle a été adopté à l’Assemblée, il doit l’être dans les mêmes termes par le Sénat pour pouvoir être présenté devant le Congrès. Or rien n’est moins sûr, les sénateurs ayant annoncé qu’ils détricoteraient le texte gouvernemental. La réforme constitutionnelle sera-t-elle le sparadrap dont n’arrivera pas à se défaire notre capitaine de pédalos ? Le capitaine Haddock a lui, au moins, le mérite d’être drôle.

    Moins comique, en revanche : le fait que, pendant ce temps, le Gouvernement confirme avec cynisme son choix délibéré de sacrifier l’agriculture française sur l’autel libre-échangiste bruxellois. Chaque jour apporte une nouvelle preuve non seulement de son indifférence aux drames vécus par les paysans français mais également d’une destruction préméditée de ce qui est toujours, mais pour combien de temps encore, la première puissance agricole européenne et la quatrième mondiale, d’autant que nos exportations reculent fortement depuis 1995, et singulièrement depuis 2007, la droite, puis la gauche, ayant systématiquement sacrifié notre agriculture à l’occasion de la réforme de la politique agricole commune, au profit de l’agriculture allemande et est-européenne. La servilité envers le maître allemand se paie et ce ne sont pas les rodomontades de nos ministres aux conseils européens, comme celui de ce lundi 15 février, qui changeront quoi que ce soit : elles n’ont d’autre objet que de calmer la colère des agriculteurs, ce qui n’est pas gagné d’avance, car une part grandissante d’entre eux n’a plus rien à perdre. Ils ont aujourd’hui l’énergie du désespoir. Mais qu’importe au pays légal ? Leur poids électoral a baissé avec la fermeture des exploitations et la promotion d’un modèle à l’américaine ou à l’allemande, plus libéral que familial et indifférent à l’impact environnemental.

    Les solutions se trouvent dans des décisions nationales fortes, tournant le dos, notamment, à un prétendu libre marché reposant sur une concurrence déloyale et donc faussée. Un autre modèle que le modèle productiviste, voulu par l’Europe, doit être également promu, favorisant la qualité, ce qui ne pourrait se faire qu’avec le soutien volontariste de l’Etat, chose impensable pour nos politiciens soumis aux règlements bruxellois, et pour une FNSEA dont le double jeu n’est un secret pour personne. Car les agriculteurs, du moins les plus conscients d’entre eux, veulent promouvoir une agriculture humaine, leur permettant de vivre non pas de subventions mais des fruits de leur labeur. Il n’est pas certain toutefois qu’ils aient tous compris que, là aussi, l’Europe, et un syndicalisme pro-bruxellois favorisant la dilution de leur secteur dans le mondialisme sont le problème et non la solution , alors qu’ils se trouvent enchaînés pieds et poings liés à un modèle qui les tue. Se dégager de telles entraves demanderait de la part d’un Etat redevenu national une révolution juridique et, de leur part, une révolution culturelle — la même que celle que les Français devront engager pour ne plus voter, comme des moutons de Panurge, pour les représentants d’une système qui, pour craquer de partout, ne les conduit pas moins à la catastrophe sur tous les plans : agricole, industriel, économique, bien sûr, mais aussi, plus essentiellement encore, civilisationnel.

    Justement : « Le processus d’intégration européenne, initié après des siècles de conflits sanglants, a été accueilli par beaucoup avec espérance, comme un gage de paix et de sécurité. Cependant, nous mettons en garde contre une intégration qui ne serait pas respectueuse des identités religieuses.  » Ces sages propos sont tirés de la déclaration commune du pape François et du patriarche russe Kirill, publiée à l’issue de leur entrevue le 12 février à Cuba. On ne saurait évidemment trop saluer cette rencontre — une première près de mille ans après le grand schisme —, ni cette lucidité. Sous l’influence du réalisme orthodoxe russe, le discours catholique officiel tournerait-il enfin le dos aux niaises illusions démocrates-chrétiennes voyant dans l’Union européenne une résurgence de la Chrétienté ? Le patriarche russe ne pouvant être soupçonné d’être un partisan d’une « intégration » à la bruxelloise, ces propos doivent être lus, à terme, comme le certificat de décès de la notion même d’intégration européenne. Maurras aimait à rappeler que l’Eglise est la seule internationale qui tienne — européenne ou mondiale, jamais impériale. Des nations pérennes demeurent les réalités premières. Nous attendons désormais du pape François qu’il le rappelle aussi fermement que saint Jean-Paul II, pour lequel les nations étaient « les grandes institutrices des peuples ». 

    L’Action Française 2000  [Editorial]

  • Civilisation & Société • Les grands cimetières sous le hamburger

     

    La réussite de Mc Donald's dans l'Hexagone rappelle que la France, qui pleure sur ses paysans et son art de vivre, est aujourd'hui la terre d'élection du fast-food et de la grande distribution. Dans cette chronique du Figaro [20.02], Natache Polony a bien raison de flétrir cette société décivilisée où nous sommes entrés, qu'elle décrit avec force et finesse et qu'elle nomme, dans une formule fort appropriée qui devrait donner à réfléchir, le camp de consommation, stade ultime de la modernité.  LFAR

     

    XVMbd3235a0-219b-11e5-93d6-2261d4e29204 - Copie.jpgJoie, gastronomie et croissance ! La France accueille désormais sur les Champs-Élysées le plus grand « restaurant » McDonald's du monde. Un exemple de réussite puisque le géant du sandwich atteint en France la quintessence de son art, au moment même où ses résultats reculent aux États-Unis. Là-bas, c'est une blogueuse qui a sonné la révolte contre la nourriture grasse et sucrée, déclenchant un mouvement de défiance contre le modèle jusque-là triomphant. Heureusement pour McDonald's, il reste la France, ce paradis ! La direction américaine, jusque-là sceptique, est même venue en délégation au printemps 2015 prendre des cours auprès de son entité française.

    Le secret de cette réussite ? L'adaptation, l'art de faire couleur locale. Des baguettes, un coin café, des salades et des fruits pour rassurer les mamans consciencieuses… Et puis surtout, en cette période de crise agricole, on affiche la solidarité avec les paysans français. La viande, les pommes de terre, le blé du pain… du produit français. Et le consommateur est content. Il a bonne conscience. Et c'est important, pour bien digérer, d'avoir bonne conscience. Il ne tue pas ses agriculteurs puisqu'il se nourrit dans un « restaurant » où l'on achète français. Certes, pas seulement français, mais peu importe, l'éthique est sauve. D'ailleurs, le consommateur est ravi, quand il arrive au Salon de l'agriculture, où il est autorisé, une semaine par an, à se souvenir que la France fut une nation paysanne, de voir trôner au milieu des vaches le stand orné d'un M géant, ce M qui incarne les millions de tonnes de viande et de pommes de terre écoulées chaque année par nos agriculteurs.

    Il faudrait avoir sacrément mauvais esprit pour y trouver à redire. Comment oserait-on remettre en cause ce beau modèle ? Faire valoir que l'instrumentalisation des discours nutritionnels à base de « cinq fruits et légumes par jour » n'effacera jamais la déshumanisation de l'acte alimentaire à travers la généralisation du sucre et du gras, du « mou-doux », rien à mâcher, rien à croquer, rien à comprendre ? Ce serait chercher des noises. Alors, on évitera de culpabiliser les consommateurs (il ne faut jamais culpabiliser les consommateurs, pas plus que les parents qui collent les enfants devant la télévision pour avoir la paix mais déplorent que l'école ne transmette plus l'amour des livres). On évitera de signaler combien l'uniformisation du goût, dès le plus jeune âge, prépare à l'absorption passive d'aliments prémâchés, payés le moins cher possible pour pouvoir consacrer les maigres revenus du foyer à d'autres postes plus utiles comme les produits de l'industrie culturelle ou des loisirs.

    Quelques concessions apparentes aux préoccupations d'ordre nutritionnel suffiraient donc à faire oublier la réduction des individus au rang d'avaleurs de calories vides, privés, avec leur consentement, de la plus intime des libertés, celle de goûter, de savourer, et de jouir, loin des sensations standardisées et des pulsions commandées par la publicité. Faut-il rappeler que la France, qui aime à se souvenir qu'elle fut un phare de civilisation, est aujourd'hui la terre d'élection du fast-food et de la grande distribution? La France qui pleure sur ses paysans, mais aussi sur sa culture, ses belles lettres et son art de vivre, plébiscite un mode de vie qui tue les uns et les autres en s'habituant à la facilité à bas prix. Et après tout, diront certains, si c'est le choix du consommateur ? Vous ne voudriez pas interdire, crypto-communiste que vous êtes !

    On répondra que la liberté ne vaut pas sans la capacité à l'exercer, c'est-à-dire sans le libre arbitre. Et que le système que nous avons créé produit ce que l'on désigne d'un concept marxiste aujourd'hui désuet : de l'aliénation. Le contraire de la citoyenneté. Le contraire de la capacité pour l'être humain à décider de son destin, à jouir de sa liberté en la goûtant pleinement et en nommant les sensations qui produisent son plaisir. Une « école » qui prive des mots et de leur complexité, une « nourriture » qui prive des goûts et de leur richesse, une « démocratie » qui prive de la souveraineté et de la capacité à penser un modèle alternatif… mais tout cela en préservant les apparences, à travers des travaux interdisciplinaires ronflants (et des panneaux publicitaires flamboyants), un programme nutrition-santé et des étiquettes « 100 % viande française » ou des élections en bonne et due forme (n'étaient les 50 % d'abstention, mais justement, ça ne compte pas…). Nos agriculteurs peuvent poursuivre leur descente aux enfers, comme nos professeurs, comme tous ceux que broie cette transformation du citoyen en consommateur, de l'être humain en sous-produit industriel rangé dans son box à consommer des burgers, comme les vaches qu'il avale furent rangées dans leur box sans voir jamais un brin d'herbe. Le camp de consommation, stade ultime de la modernité. 

    Natacha Polony

  • Religions & Géopolitique • François, Cyrille, Vladimir et le « Filioque »

     

    Par Camille Pascal*

    Une réflexion intéressante et documentée - dont nous souhaitons que la suite des événements vienne confirmer l'optimisme - qui resitue dans la double perspective historique et géopolitique qui nous paraît convenir, la rencontre historique qui s'est tenue à La Havane, entre le pape François et le patriarche de Moscou, Cyrille. Cette chronique complète l'article de Jean-Baptiste Noé « Rencontre pape-patriarche à Cuba : le mur de Dioclétien va tomber » que nous avons publié le 9 février dernier, à la veille de la rencontre. Les deux analyses vont dans le même sens. LFAR

     

    Camille%20Pascal_22222222222222.pngAprès mille ans d’anathèmes, Rome et Moscou se parlent de nouveau, pour le plus grand profit des chrétientés orientale et romaine.

    La rencontre entre le pape François et le patriarche de Moscou est un événement d’une portée historique, religieuse et géopolitique majeure. C’est la raison pour laquelle il a été traité de façon parfaitement anecdotique par les médias français. Il est vrai qu’évoquer, aujourd’hui, la querelle du Filioque devant un public qui n’a pas la moindre idée de ce qu’est le Credo est à peu près aussi facile que d’enseigner le latin à des analphabètes.

    Rappelons qu’après la déposition, par Odoacre, du dernier empereur romain d’Occident, en 476, le pape de Rome resta seul face à des rois barbares, mal christianisés et adeptes de l’arianisme, alors qu’à Constantinople, le patriarche, lui, se trouvait entièrement soumis à l’empereur devant lequel il devait même se prosterner le jour de son avènement.

    Très vite, la papauté prit ses distances avec le basileus et son patriarche, trouva des alliés chez les rois francs et permit à Charlemagne de ressusciter l’empire d’Occident alors même que le bassin méditerranéen passait sous le contrôle des disciples du prophète Mahomet. Cette séparation politique avec l’empire d’Orient fut immédiatement suivie d’un divorce théologique, car Charlemagne obtint, malgré les réticences du pape, d’introduire le Filioque dans le Symbole de Nicée-Constantinople. Ainsi le Saint-Esprit ne procédait-il plus simplement du Père mais aussi du Fils. C’était pour les Occidentaux le moyen d’en finir définitivement avec l’hérésie arienne, qui avait tenté d’établir une hiérarchie au sein de la Trinité, et un moyen pour l’empereur Charlemagne de se montrer plus trinitaire que l’empereur Constantin lui-même.

    Les Byzantins ne l’entendirent évidemment pas de cette oreille et refusèrent catégoriquement cette innovation, au point qu’en 1054, les légats du pape, à bout d’arguments, finirent par excommunier le patriarche. La rupture était consommée et, même assiégée par les Turcs, jamais l’Église d’Orient n’accepta de se soumettre à l’autorité politique et théologique de Rome. Après la chute de Constantinople, en 1453, le prince moscovite Ivan III, en épousant la nièce de Constantin XI Paléologue, le dernier empereur de Byzance tombé sous les coups des Turcs, relevait le titre impérial et avec lui l’autorité sur toute l’Église d’Orient. Moscou devenait la troisième Rome, ses patriarches ne reconnurent jamais l’autorité des papes et l’Église russe assura la défense de la plus stricte orthodoxie.

    La rencontre de La Havane est donc d’une force symbolique et d’une portée historique hors norme, car non seulement elle met fin à un divorce millénaire, mais elle permet à la Russie de Vladimir Poutine — il est inenvisageable que le patriarche de Moscou ait accepté cette rencontre sans l’aval du nouveau tsar — de briser son isolement diplomatique et de se poser en bras armé de la chrétienté orientale face à la renaissance du califat. Quant au pape, isolé au milieu d’une Europe divisée, impuissante et déchristianisée, tout progressiste et argentin qu’il soit, il fait comme ses lointains prédécesseurs, il tente de faire l’unité des chrétiens et de trouver le « prince » — fût-il orthodoxe — capable de protéger la catholicité. 

    Camille Pascal

    * Valeurs actuelles du 19.02.2016 

    A lire : Rencontre pape-patriarche à Cuba : le mur de Dioclétien va tomber

  • Algérie : Un drôle du curé pied-noir ...

     

    Par Péroncel-Hugoz 

    Poursuivant sa petite fresque sur l’Algérie d’antan, Péroncel-Hugoz fait revivre ici une figure oubliée de l’Algérie coloniale puis indépendante, victime et de la justice française et de la dictature algérienne… Vétéran des grands-reporters du « Monde », Péroncel-Hugoz a travaillé dans plusieurs pays arabes avec une longue halte en Algérie où il eut sérieusement maille à partir plusieurs fois avec les autorités. Il poursuit une série de chroniques consacrées à ses « années algériennes ». Elles nous disent aussi quelque chose de l'Algérie d'aujourd'hui.

     

    Quand j’arrivai à Alger, en 1965, l’abbé Alfred Bérenguer, curé de Remchi-Montagnac, en Oranie et député de cette région, était célèbre car il avait seul – avec un élu de Tiaret, Kaïd Ahmed, hiérarque du parti unique mais homme de cœur – osé protester urbi et orbi contre une loi de l’Assemblée constituante algérienne établissant une citoyenneté à étages dans la nouvelle république : la citoyenneté des musulmans, « irrévocable », et celle des non-musulmans, donc les pieds-noirs et quelques israélites indigènes, « révocable » … Ni Bérenguer ni son collègue mahométan ne furent entendus par un régime qui – hélas ! – dès le début, avait montré, sous l’influence de ses protecteurs soviétiques, une tendance grandissante à l’autocratisme. 

    Le prêtre-député, écœuré, se retira de la politique pour se consacrer à ses paroissiens oranais et à ses Mémoires*. Mais, de même que durant la guerre d’Algérie (1954-1962), il avait reçu nuitamment, à la barbe des Français, dans sa cure de Montagnac le futur colonel-président Boumedienne, et donné des remèdes à ses moudjahidines, il continua, après son départ de l’Assemblée, à recevoir des décideurs locaux ou étrangers et, bien sûr, des journalistes friands de ses analyses caustiques et de son humour ravageur… L’instauration, dès 1965, d’un régime militaire à Alger par, justement, l’ex-visiteur nocturne Boumedienne, ne changea rien en apparence au sort du Père Alfred resté libre d’aller et venir et de recevoir qui il voulait, mais la police secrète (voir à ce sujet mon précédent « coup de dent ») n’eut pas la même retenue envers les visiteurs du curé d’Oran. Ayant été de ceux-là, en 1988**, dans le chef-lieu de l’Ouest algérien, après les sanglantes émeutes de la jeunesse urbaine, je fus littéralement enlevé dans mon hôtel oranais par trois ou quatre « gorilles » muets qui me réexpédièrent aussi sec, par avion, à Alger où, après, j’eus ma voiture de location fracturée et ma chambre à l’hôtel Saint-Georges grossièrement fouillée. Je repartis donc de moi-même pour Paris où je publiai dans « Le Monde » mes reportages brûlants pour lesquels Bérenguer et des relations locales à lui m’avaient pas mal aidé. 

    La trop fameuse Sécurité militaire (SM) était certainement au courant des « incartades » de l’ « abbé-fellaga » mais, à cause même de ce surnom il était intouchable : durant la guerre d’indépendance, forcé de quitter l’Algérie française à cause de ses contacts avec les maquisards indépendantistes, il avait été condamné par contumace à dix ans de prison pour « atteinte à la sûreté de l’Etat français en Algérie », et cela en dépit de sa croix de guerre obtenue dans la gehenne du Mont-Cassin. Bérenguer, sans adhérer stricto sensu au Front de libération nationale algérien accepta donc, en 1959, une tournée humanitaire en Amérique du Sud, au nom du Croissant-Rouge algérien mis en place par les nationalistes. A Cuba, un petit « sommet Castro-Bérenguer » inquiéta tellement le général de Gaulle, alors président de la France, qu’il envoya en contrefeu à La Havane rien moins que le ministre-écrivain André Malraux … 

    D’abord retiré à Tlemcen, à partir de 1990, l’ex-curé pied-noir de Montagnac puis Oran mourut en 1996, plus qu’octogénaire, à Aix-en-Provence mais il voulut être inhumé dans sa terre natale oranaise. Comme le rappela alors son double compatriote, le journaliste Slimane Zeghidour, Bérenguer, « cet Algérien à part entière », refusa toujours toute pension ou autre avantage de la part de l’Algérie indépendante où le discriminatoire Code de la nationalité, qui avait tant encoléré le brave curé, est toujours en vigueur en 2016 … 

    Péroncel-Hugoz 

    Prochain et dernier article de cette série : « Assassinat d’un poète.» 

    * «Un curé d’Algérie en Amérique latine, 1959-1960», Société nationale algérienne d’édition et de diffusion, 1966. Lire aussi « Entretiens d’Alfred Bérenguer avec Geneviève Dermendjian », le Centurion, Paris, 1994. 

    ** Non plus comme correspondant du  jounal «Le Monde» en Algérie que j’avais quittée en 1973 pour l’Egypte, mais en tant qu’envoyé spécial de ce même journal.

    Repris du journal en ligne marocain le 360 du 12.02.2016

     

  • Éric Zemmour : « La guerre de Syrie est bel et bien notre guerre d’Espagne »

     1936 - 1939 La guerre d'Espagne

     

    Dans sa dernière chronique sur RTL [9.02], Éric Zemmour établit  une comparaison en effet parlante - un parallèle de fait saisissant - entre la guerre de Syrie et la guerre d’Espagne dont on commémorera le 18 juillet 2016 le 80ème anniversaire. Le « soulèvement national » qui marqua son déclenchement est du 18 juillet 1936, la victoire franquiste du 1er septembre 1939 et le début de la 2ème guerre mondiale du 1er septembre de la même année.

    frontiere_syro_turque2.jpgCertes, les rapprochements n'ont pas valeur absolue car rien ne se répète à l'identique en Histoire. Ils ne sont pas non plus à ignorer car rien n'y est radicalement nouveau. A l'esprit d'analyse et de finesse, au devoir de réalisme et d'observation de faire leur travail ... Le moins que l'on puisse dire c'est que la diplomatie française a singulièrement manqué de ces qualités élémentaires ces dernières années. •  LFAR 

     

     

    Le résumé de RTL 

    L'offensive de l’armée syrienne appuyée par l’aviation russe porte ses fruits. Pour le journaliste, c'est un tournant dans la guerre.

    "C’est une nouvelle et terrible leçon pour les donneurs de leçons. Une claque sur la joue déjà rougie des droits-de-l'hommistes, pacifistes, utopistes. Un camouflet de plus pour les rois nus des conférences internationales, des hôtes à vie du Lac Léman, des seigneurs vains du quai d’Orsay et de l’ONU", déclame Éric Zemmour, qui cible "les anti-Poutine, les anti-Assad, tous les BHL sur papier glacé et grand écran, qui ont rêvé de transformer la Syrie en une seconde Libye".

    "Des bombardements, des destructions, des massacres, des enfants qui meurent, des civils qui fuient : partout, cela s’appelle la guerre", poursuit-il. "La guerre civile qui devient guerre régionale, et la guerre régionale qui devient guerre internationale, selon le schéma de la guerre d’Espagne pendant les années 30", décrypte-t-il. "Car cette guerre de Syrie est bel et bien notre guerre d’Espagne", analyse Éric Zemmour. "C'est toute la région qui est à redessiner", assure-t-il. "Cela mériterait sans aucun doute une belle conférence internationale. A Genève, bien sûr. Le lac Léman est beau en toutes saisons", conclut Zemmour. 

  • Rencontre pape-patriarche à Cuba : le mur de Dioclétien va tomber

     

    C'est un événement, d'un point de vue historique et géopolitique, d'une importance majeure qu'évoque ici Jean-Baptiste Noé. Et l'analyse qu'il en donne nous semble d'un grand intérêt. D'un point de vue religieux, tout autant. Mais ce n'est pas celui où nous nous plaçons ici. Vendredi prochain, le pape François et le patriarche orthodoxe Kirill se rencontreront à La Havane et les implications géopolitiques de leur rencontre, telles qu'on peut les envisager, sont analysées ici remarquablement, nous semble-t-il, par Jean-Baptiste Noé [Figaro du 05.02.2016]. Nous en conseillons une lecture attentive.  LFAR  

     

    À Cuba, le mur de Dioclétien va tomber

    Les rues de Rome étaient parcourues par la rumeur depuis quelques jours : on espérait une rencontre entre François et Kirill lors du voyage du pape au Mexique. Moscou avait démenti, mais personne ne croyait vraiment cette dénégation. Quand la salle de presse du Saint-Siège convoqua pour 12h les journalistes pour communiquer une nouvelle importante, on comprit que Moscou pouvait passer par Rome. La rencontre qui se tiendra le 12 février prochain à La Havane est un entrechoque de l'histoire et de la géopolitique ; un événement historique majeur.

    Catholiques et orthodoxes : les Latins et les Grecs

    La fracture qui sépare les catholiques et les orthodoxes est d'abord culturelle et politique. La foi y a été conviée pour donner une justification théologique qui désormais n'a plus lieu d'être. La question du filioque est réglée, et les fidèles catholiques peuvent communier lors des messes orthodoxes, sous certaines conditions. La rupture entre Rome et Constantinople est d'abord d'ordre géopolitique. C'est la fracture entre la partie grecque et la partie latine du même Empire romain. C'est la fracture entre deux capitales, Rome et Byzance, qui ont lutté pendant des siècles pour affirmer leur primauté. C'est l'empereur Dioclétien qui, en créant la Tétrarchie, a officialisé la rupture politique et administrative de l'Empire entre l'Occident et l'Orient. Quand le christianisme se développe, il hérite d'une situation complexe où les Grecs méprisent les Latins, qui souffrent d'un complexe d'infériorité par rapport à leurs frères aînés dans la culture. Tous les conciles œcuméniques du premier millénaire se tiennent en Orient. La théologie chrétienne s'approfondit à Nicée, Antioche, Alexandrie, Constantinople. Saint Jérôme vient à Jérusalem pour traduire la Bible en latin, et saint Augustin regrette de ne pas parler le grec.

    En Occident, l'Empire disparaît et les structures se dissolvent. En Orient, l'Empire romain demeure. L'empereur qui siège à Constantinople est l'héritier des César. Charlemagne et les empereurs allemands jalousent celui qui porte la véritable pourpre.

    Au tournant de l'an mil la rupture est consommée, mais celle-ci était vivace depuis plusieurs siècles. Avec la chute de Constantinople en 1453 c'est Moscou qui reprend l'héritage de l'orthodoxie ; c'est elle la troisième Rome.

    Prémisses d'une réconciliation

    Il faut lire Taras Boulba de Gogol pour prendre la mesure du degré de haine qui a pu exister entre catholiques et orthodoxes, surtout en terres orientales où la foi recouvre les disparités ethniques. Polonais et Russes, Croates et Serbes ont longtemps été en conflit, revivant la fracture des Latins et des Grecs, actualisant le traumatisme du sac de Constantinople par les Vénitiens en 1204.

    C'est Léon XIII (1878-1903) qui comprend l'intérêt du rapprochement de Rome et de Moscou. Il opère une modernisation de la vision géopolitique du Saint-Siège. Le premier, il comprend que dans ce siècle de positivisme et de haine de la foi ,la fracture n'est plus entre Grecs et Latins, mais entre ceux qui se rattachent à Dieu et ceux qui dénient son existence. Nous sommes là au cœur des enjeux de la modernité actuelle. Entre Rome et Saint-Pétersbourg, les relations se réchauffent, le tsar invite même le pape à participer à des conférences internationales, ce que refuse l'Italie. La révolution bolchévique empêche le rapprochement, et l'espoir renaît en 1991.

    Benoît XVI a beaucoup fait pour la réunification des deux poumons de l'Église. Il a rencontré plusieurs fois Kirill avant que celui-ci ne devienne patriarche de Moscou si bien que, lors de la messe d'installation de François comme Pape, son bras droit était présent à Rome. C'était déjà une première. Le mur virtuel de Dioclétien séparant l'Empire entre Orient et Occident est en train de s'effriter.

    Cuba, épicentre de la géopolitique du Saint-Siège

    Que cette rencontre ait lieu à Cuba ne manque pas de surprendre. Il fallait un lieu neutre, le pape s'y arrêtera en allant au Mexique, et Kirill y sera présent pour une visite dans l'île. On peut supposer que la concordance des voyages n'est pas le fruit du hasard.

    Cuba, le lieu de l'affrontement terrible ente Kennedy et Khrouchtchev où le monde a failli basculer dans la guerre nucléaire. Cuba où a eu lieu une des révolutions communistes les plus sanglantes. Cuba, où la diplomatie pontificale s'est actionnée durant tout le siècle : Jean XXIII pour réconcilier États-Unis et URSS, Jean-Paul II pour une première visite historique, Benoît XVI pour asseoir la réconciliation, et François pour faire lever l'embargo. À La Havane en 2016, l'événement sera aussi important qu'à Berlin en 1989. Raul Castro, père et acteur d'une des révolutions communistes les plus sanglantes du XXe siècle, est aujourd'hui l'acteur de la plus grande révolution œcuménique de l'histoire. Voilà ce dictateur sanguinaire repenti qui scelle la rencontre de l'Orient et de l'Occident séparés depuis 1 000 ans. Quel retournement de l'histoire ! La terre du communisme athée, l'espérance des générations de mai 68 qui ont vu dans le Che et dans Castro leur salut, qui retourne à la foi et qui accueille les vicaires du Christ. Au moment de la crise des missiles, quel fou aurait pu espérer cela?

    L'Orient en sort changé

    La rencontre des Tropiques va changer le visage de l'Orient. Alors que l'Europe occidentale se coupe de la Russie et refuse de voir en Poutine un allié, la réconciliation de Moscou et de Rome va contraindre les chancelleries à revoir leur stratégie diplomatique, si elles ont une vision réaliste des relations internationales. Fin juin se tiendra en Crète un concile de toutes les églises orthodoxes. C'est la première fois que ce type de concile aura lieu. Seront notamment présents les patriarches de Moscou et de Constantinople. La question romaine sera un des sujets centraux de cette rencontre. La chute du mur du schisme à Cuba va faire circuler les grands vents de l'Orient. 

    Jean-Baptiste Noé

    Jean-Baptiste Noé est historien, auteur de Géopolitique du Vatican, PUF, 2015.

  • Algérie : une police politique omniprésente…

    Constantine en Algérie 

    Par Péroncel-Hugoz 

    Sur la lancée algérienne de sa précédente chronique, Peroncel-Hugoz passe cette semaine de la culture à la politique, et donne son coup de dent à ce qui est, selon lui, depuis ses débuts, l’un des travers majeurs du régime d’Alger : l’espionnite … Vétéran des grands-reporters du « Monde », Péroncel-Hugoz a travaillé dans plusieurs pays arabes avec une longue halte en Algérie où il eut sérieusement maille à partir plusieurs fois avec les autorités. Il poursuit une série de chroniques consacrées à ses « années algériennes ». Elles nous diront aussi quelque chose de l'Algérie d'aujourd'hui.

     

    peroncel-hugoz 2.jpgParmi mes manies figure l’ordre, y compris quand je ne suis que de passage dans une chambre d’hôtel. « L’air de rien, l’ordre et la méthode ont fait la force de la Vieille Europe », devait me dire un jour le président-poète sénégalais Léopold Senghor, sans doute pour me décomplexer.

    En tout cas à mon niveau, ce trait m’a toujours simplifié la vie, notamment dans mon métier de journaliste. 

    Tout ça afin de vous dire qu’au fil de ma tournée pour le premier recensement industriel de l’Algérie indépendante avec une dizaine de jeunes enquêteurs algériens, en 1965-1966, je me rendis compte à plusieurs reprises d’un désordre inexpliqué parmi mes affaires, notamment dans un hôtel de Constantine ou, deux jours de suite, après une absence de plusieurs heures, je trouvai mes affaires déplacées voire mélangées, notamment mes livres et papiers. Je me rassurai un moment en pensant que ça devait être dû au tout jeune garçon d’étage assez rustaud, affecté au service. 

    Le bruit circulait alors en Algérie que les autorités surveillaient de près des allogènes venus dans l’intention de convertir des indigènes au christianisme, mais il s’agissait de missionnaires évangéliques états-uniens et je n’ai rien, vraiment rien de commun avec ces gens-là… En outre, à l’époque, on m’aurait plutôt soupçonné d’être passé à l’islam car pour tester la résistance du corps humain au jeûne de Ramadan, durant lequel on se trouvait, je m’étais mis à jeûner … J’ai déjà raconté cette expérience personnelle sur ce blog le 11 juillet 2014. 

    Nouveau en Algérie, connaissant encore mal les pratiques policières du pouvoir local, je me rendis naturellement et chez le consul de France dans le chef-lieu de l’Est algérien et chez Mgr Pinier, alors évêque de Constantine et d’Hippone pour les informer et leur demander conseil. Tout deux, séparément, bondirent sur leur fauteuil : « Mais que vous êtes naïf, M. Péroncel-Hugoz, tout étranger est suspect aux yeux de ce régime soupçonneux et pratiquement tout visiteur se voit mis au moins un temps sous surveillance et ses bagages ont droit à une ou plusieurs fouilles quant il s’absente de sa chambre … Chacun sait cela ici ». Je me  le tins pour dit. 

    Comme je n’avais aucunement l’intention de renverser le gouvernement algérien et que j’estimais n’avoir rien à me reprocher vis-à-vis du pays, je continuai mes activités sans plus me soucier de fouilles ou filatures, abandonnant ces messieurs à leurs soupçonnite et espionnite maladives … J’avais mon enquête nationale à conduire de Tizi-Ouzou à Tamanrasset, de La Calle à Zouj-Beghal. J’avais aussi à terminer un mémoire pour l’Université de Genève sur « la politique du Royaume arabe de Napoléon III en Algérie », mémoire pour lequel j’avais bénéficié d’une bourse de la Confédération suisse. 

    Les bonnes manières de Si Mahmoud Bouayed, directeur de la Bibliothèque nationale d’Alger, me firent vite oublier les tripotages de la terrible « SM » dans mon innocente valise. Cela dit, j’avais compris la vraie nature de la « République algérienne démocratique et populaire », résumée en ces deux initiales, « SM », qui ne furent bientôt plus prononcées qu’à voix basse par l’Algérien moyen ; SM = Sécurité militaire, alors principal instrument de surveillance de la population, allogènes compris, par le régime opaque vers lequel avait bifurqué la jeune Algérie, à son corps défendant, par la faute de quelques « flics » algériens formés à la soviétique en Allemagne de l’Est ou en Tchécoslovaquie et qui, par leurs manœuvres sans scrupules, avaient vite mis la main sur le noyau décideur du gouvernement d’Alger. Et cela, autant que je sache, dure encore en 2016.

    Peroncel-Hugoz

    Repris du journal en ligne marocain le 360 du 05.02.2016

  • L’Algérie en guerre contre ses binationaux ?

     

    par Gabriel Robin

    En lisant cette intéressante note de Gabriel Robin [Boulevard Voltaire, 4.02.2016], on ne peut s'empêcher de conclure que, sur la question de la bi-nationalité s'agissant de leurs ressortissants, ce sont les autorités algériennes qui ont raison. Raison contre nos intellectuels, juristes, politiciens et gens de médias. Certes, la mémoire des origines, l'attachement à une patrie de provenance en termes de culture, peuvent être légitimes pourvu qu'ils ne prévalent pas sur les devoirs que l'on a contractés envers le pays dont on a acquis la nationalité. Celle-ci n'est pas faite, en effet, que de mémoire et de culture, domaines où la multi-nationalité est possible. Elle est aussi faite d'intérêts, parfois de leur choc, choc dans certains cas, entre des intérêts vitaux. C'est pourquoi la bi-nationalité exigerait au moins un choix explicite de prévalence. En fait, au sens plein, incluant le culturel mais aussi le politique, l'on peut considérer la bi-nationalité comme impossible. L'individualisme postmoderne peut-il seulement comprendre et admettre que la citoyenneté ne se partage pas et qu'en définitive l'appartenance à un Etat ne peut être qu'à un seul ? Les autorités algériennes, plus frustes, le savent. Les Français l'ont oublié et, par la force des choses, devront le réapprendre. Il se pourrait que ce soit tout simplement la déchéance de la bi-nationalité qu'il convient de décider. Débat ouvert ! Lafautearousseau  

     

    Gabriel Robin.jpegDimanche, l’Algérie votera sa nouvelle Constitution. Dernière œuvre politique majeure du président Abdelaziz Bouteflika, la révision de la Constitution a été approuvée le 11 janvier dernier en Conseil des ministres. Si certaines mesures ont été saluées par l’opinion publique, comme la reconnaissance officielle de la langue amazighe, d’autres agacent quelques opposants. C’est le cas de l’article 51 qui restreint fortement les droits des binationaux.

    Les fonctions politiques seront désormais réservées aux seuls nationaux algériens qui ne possèdent pas une autre nationalité. Idem pour la plupart des hautes responsabilités de l’État (gouverneur de la banque centrale, directeur général de la sûreté nationale ou président de la Cour suprême). Par ailleurs, l’accès à la fonction de président de la République ne sera rendu possible qu’aux candidats strictement algériens capables de prouver dix ans de résidence en Algérie. Cet article 51 dérange.

    Chafia Mentalecheta, députée binationale franco-algérienne, a ainsi poussé un coup de gueule sur les réseaux sociaux : « Au nom de la communauté nationale établie à l’étranger, composée de millions de binationaux attachés à l’Algérie comme peu savent le faire, jaloux de leur algérianité comme peu peuvent le comprendre, liés à la nation algérienne par le sang et par l’Histoire, je refuse que l’Algérie se mette au diapason constitutionnel de la France en instituant une variante de la déchéance de la nationalité. » Les deux réformes n’ont strictement rien à voir mais qu’importe l’exactitude quand critiquer la France est un véritable sport national.

    Les protestations contre l’article 51 se multiplient dans les pays à forte diaspora algérienne. C’est évidemment en France que la réforme suscite les réactions les plus passionnées. Chafia Mentalecheta a même lancé une pétition expliquant l’amour qu’elle porte à sa nationalité d’origine. Dans un élan lyrique, la députée parle amoureusement des « bi, tri et quadrinationaux », à l’identique de Jack Lang sur Canal+ récemment.

    La binationalité ne devrait être qu’une exception. Il est difficile d’avoir deux patries comme il est difficile d’avoir deux mères. L’Algérie dénonce cette hypocrisie et appelle les Algériens possédant une autre nationalité à choisir. Si ces derniers veulent être des acteurs politiques dans leur pays d’origine, ils doivent faire un choix clair pour la nationalité algérienne et non pas simplement en profiter des avantages.

    Ahmed Ouyahia, directeur de cabinet de la présidence de la République, le dit clairement : « Ceux qui voudraient servir ou représenter l’Algérie à de très hauts niveaux de responsabilités ne doivent avoir de loyauté qu’envers elle et doivent être dégagés de tout lien avec une puissance étrangère. » Un discours de bon sens que je fais mien.

    Sous couvert d’anonymat, un ancien haut fonctionnaire déclarait : « Mes enfants, nés en Europe, qui sont rentrés avec moi, n’ont donc pas le droit de servir leur pays ? De quel droit ? » Ils en ont le droit mais ils doivent faire un choix. Les binationaux franco-algériens ont plus souvent des comportements de patriotes algériens lorsqu’ils vivent en France. Les événements de la dernière Coupe du monde de football en témoignent. Abdelaziz Bouteflika les enjoint désormais à traduire leurs déclarations en actes. Si l’Algérie est dans leur cœur, ils doivent renoncer à la nationalité française.   

    Juriste