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Actualité Monde - Page 116

  • La guerre monétaire se renforce

     

    par Ludovic Greiling

    En incluant le yuan dans son panier de référence, le Fonds monétaire international a consacré une devise qui n’est pas issue de la sphère américaine. Une grande première en soixante-dix ans, dont les conséquences pourraient être aussi importantes qu’inattendues pour notre finance et notre économie.

    La situation monétaire de la planète est en train de changer. Pour la première fois depuis la création du Fonds monétaire international (FMI) et de la Banque mondiale en 1945, une devise qui n’est pas issue de la zone d’influence américaine a reçu une consécration mondiale.

    Ainsi le FMI a-t-il décidé fin novembre d’inclure le yuan chinois dans ses opérations. Jusqu’ici, seuls le dollar américain, l’euro (auparavant, le mark et le franc), la livre sterling et le yen japonais servaient de référence au Droit de tirage spécial – DTS – la devise particulière émise par l’institution basée à New-York. Au 1er octobre 2016, le yuan fera partie du lot, et pas qu’un peu : il sera inclus dans le panier utilisé par le FMI à hauteur de 11 %, contre 8 % chacun pour le yen et pour la livre. Seuls l’euro (31 %) et le dollar américain (42 %) sont considérés comme plus importants que la monnaie chinoise dans les transactions mondiales. Une vraie consécration que Pékin a pourtant appréciée avec discrétion tant ses espoirs étaient importants.

    Yuan-dollar, la guerre en coulisses

    Qu’est-ce qu’un Droit de tirage spécial du FMI ? « C’est la monnaie mondiale émise par le FMI, et qu’il distribue à ses pays membres [en cas de demande de prêts]. C’est simplement un autre type de monnaie, comme le dollar ou l’euro, qui n’est adossée à rien. La seule petite différence, c’est que les DTS ne peuvent être utilisés que par des pays, et non des particuliers. Mais les pays peuvent échanger leurs DTS contre des dollars ou des euros (au sein du FMI, via un mécanisme de transactions secret) », explique l’analyste spécialisé Jim Rickards dans sa lettre financière Intelligence stratégique. Le panier de monnaies dans lequel va être intégré le DTS ne constitue qu’une simple base de calcul pour estimer la valeur de la devise du Fonds monétaire international. Le DTS n’est pas adossé à un panier de devises, mais seulement calculé par rapport aux cours du dollar, de l’euro, du yen, de la livre et l’an prochain du yuan, selon les pondérations décrites plus haut. A quoi sert le FMI ? L’organisme a longtemps prêté à ses pays-membres en dollars seulement. Il a donc participé à la domination du billet vert à travers la planète, car cette monnaie ne peut in fine qu’être réinvestie dans la finance états-unienne. Mais la contestation de ce système – notamment par le général de Gaulle – a poussé le FMI à créer sa propre devise en 1969. En général peu utilisée (le FMI est d’abord prompt à prêter en dollars), elle a néanmoins connu des pics de demande lors des grandes crises de liquidité de 1972, 1980 et 2009. « L’élite au pouvoir ne les fait intervenir [les DTS] que lorsqu’il lui semble que le système monétaire international s’effondre », analyse Jim Rickards.

    L’entrée du yuan dans le panier du Fonds monétaire international destiné au calcul du DTS est donc avant tout symbolique. Elle n’obligera pas dans l’immédiat des banques centrales à acquérir de la devise chinoise. « Elle ne change pas immédiatement notre système actuel de taux de change », a souligné le vice-gouverneur de la Banque centrale de Chine. Mais elle pourrait inciter à terme les gérants internationaux à utiliser davantage le yuan dans leurs transactions. Déjà, la devise chinoise est la première monnaie utilisée dans le commerce de la zone Asie-Pacifique, remarquait l’agence de notation Fitch le mois dernier. « Le renminbi [autre nom du yuan] est toujours en course pour devenir une monnaie mondiale majeure, mais cela dépend de la détermination des autorités dans l’ouverture du marché », souligne l’analyste Robert Koepp de l’entreprise Economist Corporate Network.

    Le FMI va-t-il perdre la main ?

    Les gérants de fonds ne seront définitivement preneurs de la devise chinoise que quand ils pourront l’échanger plus facilement contre des actifs libellés dans cette monnaie. Ce sont donc des actifs chinois qu’ils recherchent en premier lieu. C’est pourquoi le pays a entamé ces deux dernières années une certaine libéralisation de son marché des capitaux pour faciliter l’entrée d’argent étranger. Ainsi Pékin a-t-il donné la possibilité aux entreprises étrangères d’emprunter en yuans sur la place offshore de Hong Kong ou a-t-il lancé un contrat à terme libellé en yuans sur le pétrole. « Le duel monétaire entre la Chine et les états-Unis est un sujet absolument majeur, et il est scruté à la loupe par les agents financiers », souligne l’ancien consultant de la banque Lazard, Antoine Brunet, selon qui les discussions acharnées au FMI ont provoqué une guerre commerciale depuis cet été (voir encadré).

    Dans son combat, Pékin est bien aidé par la Russie, qui a déclaré ouvertement la guerre au dollar américain depuis la mise en place de sanctions financières par Washington en 2014. En exhortant les pays du monde à ne plus utiliser le billet vert dans leurs transactions lors du G20 de Brisbane, en affirmant ouvertement qu’il serait prêt à émettre des obligations d’état libellé en yuans en juin dernier, le Kremlin a donné un sérieux coup de pouce à la devise chinoise.

    La décision récente du Fonds monétaire international, défavorable au dollar, pourrait donc étonner. Mais certains observateurs avancent qu’il cherche ainsi à ne pas être pris de court par deux établissements concurrents récemment lancés : la Banque des pays émergents poussée par la Russie, qui est en train de finaliser son capital de départ, et la Banque asiatique d’infrastructures et de développement créée par Pékin en 2014. Cette dernière a attiré plusieurs pays européens – dont la France – à son tour de table, et elle a annoncé qu’elle effectuerait prochainement son premier prêt … en yuans. 

     

  • Alain de Benoist : « Il ne sert à rien de supprimer Daech si l’on ne sait pas par quoi le remplacer ! »

     

    Nous reprenons ces excellentes - et pertinentes - réflexions d'Alain de Benoist qui visent, au fond, à mettre en garde contre une politique étrangère perpétuellement moralisante, idéologique et sans vision ni projet de long terme. Celle que nous avons, nous aussi, toujours dénoncée ici. Qui fut à la base des tragiques erreurs irakiennes, libyennes, afghanes et autres, dont nous avons aujourd'hui les conséquences dramatiques jusque sur notre sol. LFAR 

     

    1251985609.2.jpgFrançois Hollande a promis aux Invalides de « tout faire pour détruire les fanatiques de l’armée de Daech ». On en prend le chemin ?

    C’est de la gesticulation. Après s’être refusé à bombarder les positions de l’État islamique pendant plus d’un an pour se concentrer sur l’aide apportée aux opposants à Bachar el-Assad, le chef de l’État a seulement décidé d’intensifier nos frappes. Mais des attaques aériennes n’ont jamais permis de gagner une guerre, surtout réalisée par des chasseurs-bombardiers qui ont le plus grand mal à atteindre les cibles mobiles et des ennemis particulièrement aptes à la dispersion et à l’imbrication avec les populations (ne soyons pas naïfs au point de croire que nos frappes ne touchent que des djihadistes !). On compte à l’heure actuelle de vingt à trente frappes par jour sur un territoire grand comme la Grande-Bretagne, soit environ 8.300 frappes depuis le début des bombardements. Les frappes réalisées par nos avions de combat ne représentent que 4 % de ce total. Elles ont, au mieux, permis de détruire 1 % du total des effectifs armés de Daech. On est loin du compte.

    Qui dit guerre dit effort de guerre. Or, depuis des années, les budgets militaires sont les parents pauvres de la dépense publique. Passés désormais au-dessous du seuil de suffisance, ils ne permettent plus d’assurer nos missions régaliennes dans un monde qui devient pourtant toujours plus dangereux. Parallèlement, des milliers de militaires qui pourraient être mieux employés ailleurs ont été transformés en vigiles de rue (les opérations Vigipirate et Sentinelle mobilisent l’équivalent de deux brigades, alors que nous n’en avons que douze). Comme l’a dit le colonel Michel Goya, « il est toujours délicat de jouer les gros bras quand on n’a plus de bras ».

    Que faudrait-il faire ?

    Chacun sait bien qu’on ne pourra pas faire éternellement l’économie d’un envoi de troupes au sol. Mais personne ne s’y résout pour l’instant. Citons encore le colonel Goya : « Il n’y a combat dit asymétrique et résistance souvent victorieuse du “petit” sur le “fort” que tant que ce dernier craint de venir combattre sur le terrain du premier […] Quand on ne veut pas de pertes, on ne lance pas d’opérations militaires. »

    S’assurer de l’étanchéité de la frontière avec la Turquie, aujourd’hui inexistante, serait l’un des premiers objectifs à atteindre. La Turquie joue, en effet, un jeu irresponsable. Tout ce qui l’intéresse est de nuire à Bachar el-Assad et d’empêcher la naissance d’un État kurde indépendant. Elle aide directement ou indirectement Daech, et elle le finance en lui achetant son pétrole. Elle n’a pas hésité à abattre un avion russe parce que celui-ci bombardait des convois pétroliers, et les États-Unis lui ont apporté leur soutien dans cette agression d’une gravité inouïe au seul motif que les Turcs sont membres de l’OTAN.

    Cela pose la question de nos rapports avec l’OTAN, dont le général Vincent Desportes n’hésite pas à dire qu’elle est devenue une « menace sur la sécurité des Européens » et un « outil de déresponsabilisation stratégique » qui « nous prive des moyens de gagner des guerres et constitue le meilleur obstacle à l’édification d’une défense commune européenne indépendante ». À l’inverse, cela devrait nous amener à collaborer sans arrière-pensées avec tous les ennemis de nos ennemis, à commencer par la Russie, la Syrie et l’Iran. Mais soyons sans illusions : tous les spécialistes savent que cette guerre ne peut être qu’une entreprise de longue haleine, qui va durer au moins dix ou vingt ans.

    À supposer que les Occidentaux – ce terme est employé à dessein – aient la capacité technologique de gagner la guerre contre le terrorisme, comment ensuite gagner une paix durable ?

    Parler de « guerre contre le terrorisme » (ou « contre le fanatisme »), comme le font les Américains, n’est qu’une façon détournée de ne pas nommer l’ennemi. Notre ennemi n’est pas le terrorisme. Notre ennemi, ce sont ceux qui utilisent le terrorisme contre nous – et qui nous ont à ce jour plus terrorisé que nous ne les avons terrorisés nous-mêmes. On a tendance, aujourd’hui, à présenter les interventions militaires comme des « opérations de police ». C’est oublier qu’il y a une différence essentielle entre les unes et les autres, car la guerre aspire à la paix par la victoire, tandis que la police poursuit une mission sans fin (on ne fait pas la paix avec les délinquants). Refuser le statut d’ennemis à ceux que l’on combat, c’est s’engager dans des hostilités qui n’en finiront jamais.

    Lutter contre l’État islamique implique de s’attaquer aux causes premières de sa force, lesquelles ne sont pas militaires, ni même religieuses, mais fondamentalement politiques. Il ne sert à rien de supprimer l’État islamique si l’on ne sait pas par quoi le remplacer. S’imaginer que les choses reprendront leur cours normal une fois qu’on aura fait disparaître les « fanatiques » et les « psychopathes », c’est rêver debout. Cela exige une intense activité diplomatique, à la fois nationale et surtout régionale. Au bout du compte, une grande conférence internationale sera nécessaire, qui devra sans doute envisager un remodelage des frontières. Mais dans l’immédiat, il faudrait déjà en savoir plus sur l’État islamique, et se demander – la question a été posée récemment par Xavier Raufer – comment il se fait que ses principaux dirigeants ne sont justement pas des islamistes, mais le plus souvent des anciens cadres de l’armée de Saddam Hussein.  •

    Entretien réalisé par Nicolas Gauthier

    Boulevard Voltaire

     

     
  • Que faire face à l’État islamique ?

     

    par Georges-Henri Soutou

    Les attentats du 13 novembre ont ouvert les yeux de ceux qui refusaient encore de le voir : la France est engagée dans une guerre, à la fois intérieure et extérieure, contre l’État islamique. Reste une question : que faire ?

    Les attentats du 13 novembre à Paris l’ont démontré : la France est désormais totalement impliquée dans la crise géopolitique provoquée par l’État islamique (EI). Plus encore, du fait de la présence d’une considérable population d’origine musulmane sur notre territoire, la paix civile et les structures mêmes de notre pays sont directement visées par cette forme nouvelle de terrorisme international.

    L’EI n’est sans doute qu’un proto-état, mais il administre un territoire. Et il contrôle des terroristes à l’extérieur de ses frontières : comme l’affirme un rapport émanant des services du procureur général de la Confédération helvétique, récemment publié dans la presse suisse, certains des auteurs des attaques contre Paris venaient de Syrie. Ses moyens financiers, considérables, lui viennent du racket local, de la vente du pétrole, du trafic d’œuvres d’art. Son stock d’armes, d’origine irakienne, n’a rien à envier à celui des états voisins et le risque serait qu’il puisse un jour se doter d’armes chimiques. Le but de l’EI est d’établir un « califat », d’abord sur le Moyen-Orient puis élargi à l’ensemble des pays musulmans.

    Certes, ses troupes ont subi récemment des revers sur le terrain, face aux forces kurdes et irakiennes en particulier. Mais il poursuit de toute évidence une double stratégie. Une stratégie offensive d’expansion territoriale, qui s’exerce actuellement en direction de la Libye et qui, à terme, vise l’Arabie saoudite, fragile et à la position ambiguë. Et une stratégie défensive, destinée à empêcher toute intervention extérieure sur son territoire. Cette dernière s’est d’abord traduite par une guerre « asymétrique », à l’origine de l’État islamique, menée par d’anciens militaires irakiens sunnites entrés en révolte après l’occupation américaine et britannique. Guerre victorieuse puisqu’elle a largement réussi à faire échouer les projets de Washington en Irak, la quasi-totalité des troupes américaines quittant le pays avant sa stabilisation politique.

    Un terrorisme multiforme

    Le terrorisme international est ensuite devenu l’autre forme de cette guerre « asymétrique ». L’attentat à la gare d’Atocha (190 morts), à Madrid, en 2004, a précipité la défaite électorale du conservateur Aznar… et le retrait des troupes espagnoles d’Irak. Quant aux attentats du 13 novembre à Paris, ils ont isolé la France au sein d’une Union européenne où beaucoup pensent que Paris aurait été mieux inspiré de ne pas aller bombarder les positions de l’EI. C’est précisément l’objectif recherché : faire pression sur Paris pour qu’il renonce à intervenir. à cela s’ajoute le fait que l’EI ne peut que tirer profit d’une sidération de l’Europe face à la crise des migrants et à la radicalisation de certains jeunes musulmans européens qui vont grossir les bataillons de Daech.
    Ce terrorisme est donc multiforme : autochtone, il puise ses forces vives dans nos banlieues ; international, il pratique avec Daech un terrorisme d’« État flou » qui consiste à isoler les dirigeants des pays visés en terrorisant leurs opinions publiques, à dialectiser les différentes composantes de l’adversaire et à provoquer, par le cycle attentats-répression, des réactions de solidarité de certaines populations avec les terroristes.

    Que faire ?

    Face à l’État islamique, deux priorités doivent guider l’action de la France : la sécurité chez nous et la stabilisation du Proche-Orient, mais aussi de l’Afrique du Nord et du Sahel. Car c’est bien l’immense monde sunnite qui est en jeu et qu’il faut considérer dans son ensemble. La situation s’est tellement aggravée que l’attitude d’abstention prônée par certain – qui était sans doute la bonne en Irak en 2003 et l’eût été sans aucun doute en Libye en 2011 –, n’est plus suffisante face à l’EI.

    Il s’agit donc de concentrer ses forces et de diviser celles des adversaires. Du point de vue français, l’urgence est à la recherche d’alliés. Force est de constater qu’actuellement nos intérêts stratégiques convergent avec ceux de la Russie et de l’égypte mais sont opposés à ceux de l’Arabie saoudite et de la Turquie et différents de ceux des États-Unis qui considèrent toujours que leurs adversaires principaux dans la région sont les Russes et les Iraniens.

    Au Sahel, la France ne peut pas faire l’impasse sur une coopération avec l’Algérie, même si les relations sont complexes. Le danger serait de refaire l’erreur de la guerre froide en subsumant tout sous le conflit contre l’EI. Il y a des oppositions locales à exploiter, entre sunnites, ou à propos des Kurdes. La situation doit s’apprécier de façon rigoureusement objective.

    Action extérieure et action intérieure

    La nouveauté du conflit implique une coordination précise entre action extérieure et action intérieure. à l’extérieur, il faut se concentrer sur l’adversaire principal – qui n’est pas Assad ! – et diviser les autres. Premièrement : viser les ressources vulnérables de l’État islamique (transports de pétrole, trafics d’œuvres d’art, flux financiers internationaux). Deuxièmement : s’appuyer sur les éléments chiites de la région pour le refouler sur le terrain car les Kurdes refuseront d’intervenir au-delà des limites de leur territoire. De plus, ces derniers compliquent encore les relations de l’Occident avec la Turquie, puissance sunnite et de plus en plus « ottomane ».

    A l’intérieur, une politique antiterroriste, dure mais chirurgicale, s’impose : elle doit éviter de solidariser les musulmans avec les extrémistes tout en intégrant les deux directions stratégiques, intérieure et extérieure. Dans l’immédiat, Paris peut agir sur des problèmes particuliers : cesser l’opposition systématique à Assad (discrètement, nous avons déjà commencé) ou réexaminer la question touarégue qui préexiste au problème islamiste au Mali.

    Une politique d’équilibre

    A plus long terme, quelle pourrait être l’évolution de la situation ? On sait la volonté des Etats-Unis et de leurs alliés, en particulier l’Arabie saoudite, de créer un grand ensemble sunnite. En face, l’Iran, allié à la Russie, l’Irak et des groupes chiites comme le Hezbollah libanais, entendent constituer un ensemble chiite, géographiquement d’ailleurs beaucoup moins étendu que celui de leurs rivaux. En effet, les ambitions iraniennes sont régionales alors que le sunnisme s’étend de l’Atlantique à l’Asie centrale.

    Viser à l’équilibre entre ces deux grands groupes est l’intérêt de la France, même si, comme c’est probable, les frontières héritées de la Première Guerre mondiale et de la fin de l’Empire ottoman ne survivent pas à la crise actuelle. En outre, avec l’aide de la Russie et de l’Égypte, le deuxième volet de cette stratégie différenciée viserait à permettre aux minorités religieuses – notamment chrétiennes, druzes, alaouites – de se maintenir le long de la Méditerranée, à portée d’intervention aéronavale, dans des états, comme le Liban ou la Syrie, encouragés à leur faire un sort correct. Quant aux États-Unis, ils continueront à garantir en dernier recours la sécurité d’Israël. Mais tant que Jérusalem n’aura pas accepté une solution étatique à la question palestinienne, toute tentative de reconstruction et de stabilisation du Moyen-Orient échouera tôt ou tard.

    En ce qui concerne la menace déjà actuelle sur la Libye, qui grandit de jour en jour, la solution pour notre pays est la même qu’au Sahel : coopérer avec l’Égypte et les pays d’Afrique du Nord dont les dirigeants sont directement concernés par la menace islamiste. Le chemin sera long et difficile. Il implique de plus de revoir notre organisation de défense et de sécurité. En admettant enfin la notion si discutée d’un continuum sécurité-défense. 

    de l'Institut. Historien

  • Bouteflika veut livrer l’Algérie aux islamistes

     

    par Frédéric Pons

    L'on sait que nous suivons avec attention les remarquables analyses géopolitiques de Frédéric Pons dans Valeurs actuelles : parce qu'elles procèdent d'une parfaite connaissance des dossiers et d'une approche des grandes questions toujours réaliste et d'un rare bon sens. D'autre part, la situation de l'Algérie et ses possibles évolutions nous paraît devoir être pour la France un grave et constant objet de préoccupation. Non en soi-même, mais parce que, de fait, l'Algérie reste, en un sens, que nous le voulions ou non, indissolublement liée à la France. Alger est à six- cents kilomètres de Marseille, plusieurs millions d'immigrés algériens ou d'origine algérienne vivent en France, enfin la France conserve certains intérêts en / ou avec l'Algérie. Que ce pays entre en convulsion, qu'il soit submergé par l'islamisme le regarde. mais malheureusement, nous regarde aussi si l'on songe aux très graves conséquences, en France et hors de France, que pourrait avoir pour nous une brusque dégradation de la situation en Algérie. C'est aussi - c'est surtout - en ce sens que l'article qui suit nous intéresse. LFAR

     

    frederic_pons_2.jpgLe récent séjour médical d’Abdelaziz Bouteflika à Grenoble et la vague de limogeages qui affecte l’appareil sécuritaire algérien confirment l’accélération du processus de transition à Alger, dont devraient profiter les “néo-islamistes” algériens. Réélu pour un quatrième mandat, en avril 2014, Bouteflika ne gouverne plus que sous le contrôle de son frère Saïd et du clan présidentiel. L’armée est déjà à leur botte. Ils sont en train de casser le redoutable DRS (Département du renseignement et de la sécurité), la seule structure encore capable de s’opposer à eux. Réputé inamovible depuis vingt-cinq ans, son chef, le mystérieux général Mohamed Lamine Mediène, “Toufik”, vient d’être brutalement débarqué, comme le patron de l’antiterrorisme, le chef de la garde présidentielle et une quarantaine d’autres généraux ou officiers, écartés ou emprisonnés pour d’obscures raisons. “Toufik” ne veut pas se laisser étouffer. Il vient de dénoncer « une injustice » à l’égard de ses anciens subordonnés, appelant à « laver l’honneur des hommes qui se sont entièrement dévoués à la défense de l’Algérie ».

    Cette sortie sans précédent — “Toufik” ne s’était jamais exprimé publiquement — confirme les fortes tensions au sommet de l’État. « Le couteau a atteint l’os » (la situation est grave), dit Khalida Toumi, ex-ministre de la Culture, membre du “groupe des 19”, des cadres de la nomenklatura algérienne qui demandent à être reçus par Bouteflika. « Le président est pris en otage par son entourage direct », estime Lakhdar Bouregaâ, ancien commandant de la wilaya IV (Algérois), membre de ce groupe. Tous redoutent l’arrivée au pouvoir des islamistes que Bouteflika a amnistiés de façon très généreuse depuis 1999 puis insérés au plus haut niveau de l’économie algérienne. Proches de l’AKP turc, ces “islamo-conservateurs” avaient un dernier obstacle à lever : la menace latente du DRS, aux ordres des généraux “éradicateurs” qui les avaient vaincus entre 1992 et 1999. Leur élimination ouvre aux barbus algériens les portes du pouvoir.

    Bouteflika leur laissera un beau cadeau : la plus grande mosquée d’Afrique, Djamaâ El Djazaïr, dotée d’un minaret de 270 mètres dominant la baie d’Alger. Ce projet pharaonique — la “mosquée Bouteflika” — devrait coûter 1 milliard d’euros. 

    Frédéric Pons

  • Coup de poker ?

     

    par Louis-Joseph Delanglade

     

    Naissance, donc, à Ryad d’une grande « coalition islamique antiterroriste » : dénomination qui a le mérite de la clarté mais qui ne peut manquer de susciter certaines interrogations, tant la situation est embrouillée. Trente-quatre pays musulmans réputés sunnites - ce point est important - parmi lesquels des poids-lourds régionaux comme la Turquie et l’Egypte seraient donc d’accord pour « combattre le terrorisme militairement et idéologiquement ». Il est toujours possible qu’à moyen terme cette coalition finisse par engager réellement des troupes au sol contre l’Etat islamique. Cela pourrait d’ailleurs constituer, au moins dans un premier temps, une aubaine pour des pays « occidentaux » dont l’engagement, fondé pour l’essentiel sur des frappes aériennes, montre ses limites. 

    Ce qui est sûr, c’est que la manoeuvre séoudienne répond à un triple objectif au plan international. D’abord se dédouaner de la légitime suspicion qui pèse sur les relations troubles qu’entretiennent le wahhabisme séoudien et la mouvance salafiste jihadiste : si l’Etat séoudien lui-même n’est pas directement partie prenante, ce sont bien une école de pensée et des financements venus du royaume qui sont en cause. Ensuite réaffirmer ses propres prétentions à la conduite de l’ « Umma » (ensemble de la communauté musulmane) que lui conteste de fait l’instauration du califat d’Abou Bakr Al-Baghdadi. Enfin, affaiblir le parti chiite conduit par l’ennemi irréductible, l’Iran, pour l’instant en pointe contre l’Etat islamique : Ryad cherche donc à instrumentaliser la lutte contre l’E.I. pour mieux contourner le croissant chiite. 

    Cependant, en voulant sortir de l’ambiguïté, se poser en chef de file de l’islam sunnite et s’impliquer davantage au niveau régional, le gouvernement séoudien pourrait bien, sur le plan intérieur, bouleverser l’équilibre fondateur du régime entre wahhabisme et famille royale. Jusqu’où pourrait-il aller dans cette voie ? Qui peut dire jusqu’où se propagerait l’onde de choc que provoquerait une déstabilisation de la monarchie ? L’Arabie Séoudite ferait ainsi courir à tous le risque d’un embrasement général du Proche-Orient dont les conflits localisés (Syrie-Irak et Yemen) n’auraient été que les prémices. 

    Pour les béats (France Inter, encore et toujours) cet engagement séoudien, « sortant d’un silence qui finissait par passer pour une connivence », est la preuve que l’islam n’a rien à voir avec le terrorisme, les soldats de l’E.I. devenant de facto des « hérétiques » (sic). On nous permettra d’être sceptique, d’accord en cela, une fois n’est pas coutume, avec la plupart des commentateurs - « coup de pub », « coup de com »,   « jeu de dupes », etc. On attend de connaître la position du gouvernement. On se rappelle les propos de M. Valls sur le Qatar et l’Arabie Séoudite, peu après les attentats de novembre (« Je n'ai pas de raison de douter de l'engagement de ces deux gouvernements »). On ose espérer qu’au delà d’une déclaration de circonstance, M. Valls n’est pas assez naïf pour ne pas douter et que la politique proche-orientale de la France ne reposera pas sur un acte de foi. 

     

  • Société • Y en a marre de la camelote chinoise !

    © Copyright : DR

    par Péroncel-Hugoz 

    L’économie chinoise vient d’entrer en crise. Pas étonnant, estime Peroncel-Hugoz, qui a testé personnellement ce qu’il nomme « la qualité inférieure » des produits Made in China, vendus notamment au Maroc, où il réside habituellement. Ajoutons seulement que y en a marre de la camelote chinoise en France aussi !

     

    peroncel-hugoz 2.jpgAh! Certes les produits importés de Chine et sous lesquels croulent littéralement les kissarias* et souks marocains, ne sont pas chers mais ce « bon marché » est fallacieux car, à la longue, on débourse beaucoup pour compenser les défectuosités des articles achetés.

    Et encore je m’en tiendrai à mon expérience personnelle et à celle de mon entourage, depuis deux ou trois ans. Des exemples de mes déceptions, j’en ai à revendre. Citons en vrac, sans hiérarchie, quelques uns de ces tests décevants :

    Les ciseaux à papier qui déchirent au lieu de couper

    • Les clés cassantes

     • Les jouets coupants

    • Les aiguilles à coudre dont le chas est bouché

     • Les parapluies qui se tordent ou se retournent au premier petit coup de vent

    • Les sécateurs, pinces et pioches qui se déglinguent aux premières utilisations et sont « inremontables » même par le plus habile artisan local

    • Les agrafeuses qui se détraquent très vite quand elles ne vous agrafent pas un doigt (bon là, j’exagère un tantinet, mais vraiment à peine …)

    • Le papier collant et la colle qui ne … collent pas

    • Les sous-vêtements (en pur coton, il est vrai, mais il n’a pas la tenue de celui d’Egypte) dont les élastiques se distendent après deux ou trois lavages.

    • Les vélos dont les pneus crèvent à la première sortie (cela s’est passé en France, laquelle, pauvre naïve, s’est, elle aussi, laissée envahir sans méfiance par les importations chinoises) et s’avèrent, comme les sécateurs, irréparables. Eh bien sûr, aucun de ces produits n’est garanti ! Pas bête la Chine …

    • Les clous qui se cassent ou les punaises qui se plient et nous blessent (là, je n’exagère pas, ça m’est positivement arrivé au Maroc et en France)

    • Et pire que tout, les alarmes d’auto, hypersensibles et qui se mettent à hurler à répétition en pleine nuit suite au passage d’un chat sous le véhicule ou bien, m’a affirmé un mécanicien de Casablanca, suite aux simples évolutions d’une seule mouche ou d’une guêpe restées enfermées dans la voiture …

    Enfin l’inimaginable, l’intolérable : des babouches jaunes citron, théoriquement spécificité marocaine et qu’un ministre du gouvernement Benkirane a eu la très désagréable surprise de trouver dans le souk de Marrakech: en simili cuir et, bien sûr, collées au lieu d’être cousues. Et en plus tamponnées made in China ! Sans vergogne. Halte là ! Pour leur propre réputation, industrie et artisanat du royaume, ont tout intérêt à faire pression sur les autorités publiques afin qu’un contrôle technique rigoureux soit imposé aux articles exportés de Chine vers le Maroc.

    Précision : non, je ne suis pas le moins du monde sinophobe ! En reportage en Chine, naguère, j’y fus au contraire séduit d’emblée par la conscience professionnelle des artisans du cru, par la finition de leurs objets, par leur amour du travail. Notamment dans le domaine des tissages. Mais ces produits de qualité ne sont apparemment pas exportés. Jadis, ce fut pareil au Japon; bons articles au pays, qualité inférieure à l’export. Nul doute que les Chinois sont capables de suivre la voie nipponne de la qualité. En attendant, faites gaffe à vos achats ! 


    * Survivance, dans le parler arabe marocain du XXIe siècle du « Césareum », le forum ou place centrale des cités berbéro-romaines du futur Maroc. 

    Péroncel-Hugoz

    Repris du journal en ligne marocain le 360 du 04.12.2015

  • Et si Toumliline avait continué ?...

    Le futur Hassan II pique-niquant avec des chrétiens à Toumliline en 1957 © Copyright : DR

    par Péroncel-Hugoz

    A l’heure où le fossé se creuse entre Islam* et Chrétienté, Péroncel-Hugoz revient sur une expérience oubliée de rapprochement interreligieux qui se déroula jadis au Maroc. Nos lecteurs apprécieront cette remarquable évocation.

     

    peroncel-hugoz 2.jpgLe dialogue islamo-chrétien est au plus bas, en lambeaux même. D’un côté acrimonie et ressentiment, de l’autre méfiance et soupçons. Le climat est lourd. Il n’en a pas toujours été ainsi, notamment au Maroc de 1952 à 1965, pourtant à une époque de grandes turbulences entre Arabo-berbères et Européens, entre République française et Empire chérifien puis Royaume du Maroc. Une remarquable exposition rbatie, très concrète, très parlante, peu visitée hélas, démontre sans conteste possible, avec documents rares ou inédits à l’appui, en particulier les précieuses photos en noir et blanc de Belin, qu’en Chérifie, le fameux « dialogue islamo-chrétien » a connu une décennie en or au mitan du XXe siècle. Une expérience prometteuse qui a tourné court pour d’obscures raisons, alors qu’elle aurait peut-être pu, sur sa lancée marocaine, gagner d’autres espaces géopolitiques et promouvoir ainsi cet « Islam du Juste Milieu » qui reste une spécificité du Royaume alaouite, défendue avec discrétion mais constance depuis le règne de Moulay-Youssef (1912-1927) et sous ses trois successeurs, par le Makhzen politique et diplomatique ; spécificité qui, à notre époque, fait rêver quelques mosquées françaises, belges ou hollandaises ainsi que des courants mahométans raisonnables à Dakar, Bamako, Niamey, Abidjan ou Moroni. 

    Un site à la beauté sauvage dans l’Atlas 

    Donc, à la veille du millésime 1950, le pape Pie XII nomma vicaire apostolique à Rabat (l’archevêché ne date que de 1955) Mgr Lefèvre (un quasi homonyme de Mgr Lefebvre, cet archevêque de Dakar qui devait créer en Suisse romande une célèbre dissidence « intégriste » de l’Eglise catholique). Ce vicaire apostolique favorisa une entreprise spirituelle inédite au Maroc, et très réfléchie, de rencontres intellectuelles entre musulmans et chrétiens, plus quelques israélites. La base matérielle de ce projet fut installée non loin d’Azrou, dans le site atlassique à la sauvage beauté de Toumliline (écrit aussi parfois Tioumliline) où fut construit un monastère, en accord avec le Palais et la Résidence, pour une vingtaine de religieux bénédictins, membres d’un ordre vieux de 1500 ans, fondé par l’Italien saint Benoît de Nursie (480-547) et mis à jour en 1952 par Pie XII. Le mot d’ordre de Mgr Lefèvre fut d’emblée : « Respecter la religion musulmane et faire tomber les barrières ! ». Cependant, il semble que la politique politicienne et des jalousies personnelles s’en mêlèrent, faisant d’un lieu voué à la spiritualité des deux principales fois révélées, une aire de discussions politiques entre libéraux français et nationalistes marocains, dont Mehdi Ben-Barka. L’engagement idéologique de certains moines fut tel qu’en 1956 on vit flotter sur Toumliline l’emblème du Front algérien de libération nationale… 

    Néanmoins d’actifs échanges culturels et spirituels, moins politisés, se développèrent quand même à « Toum », avec la bénédiction affichée du Palais, surtout après le recouvrement de sa souveraineté par Rabat en 1956. On vit défiler chez les bénédictins de larges échantillons de l’univers islamo-chrétien, et jusqu’au prince héritier, le futur Hassan II, et également la plus énergique de ses sœurs Lalla-Aïcha. Reçu à Rabat en 1957 par le sultan-roi Mohamed V, l’omniprésent prieur de « Toum », Dom Denis Martin, poussa sa sympathie pour la dynastie alaouite jusqu’à baiser** publiquement la main de Sa Majesté chérifienne, comme le fit aussi Henryane de Chaponay, descendante directe de Louis-Philippe 1er, roi des Français (1830-1848) et alors agricultrice à Sidi-Bouknadel, au nord de Rabat. 

    En ces années bénies, « Toum » reçut étudiants et savants, religieux et laïcs, hommes et femmes, le cheikh Ben-Larbi Alaoui, l’orientaliste Louis Massignon, le journaliste Moulay-Ahmed Alaoui, etc. sans compter penseurs ou curieux d’une douzaine de nations, du Japon à l’Ibérie via les Indes. Août 1957 connut l’apogée de cette période faste avec un discours œcuménique in situ du futur Hassan II, lequel se restaura assis par terre avec des chrétiens tandis que Driss M’hamedi, ministre de l’Intérieur, jouait du tambourin et que Mahjoubi Aherdane, gouverneur de Rabat, esquissait une danse berbère… 

    Une palme d’or à Cannes 

    Régnait alors un climat non seulement fraternel et chaleureux mais aussi et surtout confiant et égalitaire, et donc propice à cette intercompréhension d’où aurait pu sortir un durable rapprochement entre chrétiens et musulmans. Hélas le bouillonnement culturel de « Toum » ne plaisait pas à tout le monde, notamment, dit-on, à certains membres de l’Istiqlâl. En 1965, le monastère ferma ses portes, ne revivant qu’à notre époque, le temps que le Français Xavier Beauvois y tourne le film de haute volée « Des hommes et des dieux » (2010), palme d’or à Cannes, inspiré par la tuerie des moines de Tibarine, en Algérie (1996). A ce sujet, notons que le dernier rescapé de ce massacre est venu se réfugier à Midelt, dans l’unique congrégation monastique contemplative de tout le Maghreb, Notre-Dame-de-l’Atlas, où certains croyants des deux bords voient parfois un potentiel second Toumliline, pour que puisse enfin s’accomplir le vœu de Mohamed V, exprimé en août 1956, à Rabat, de voir le Maroc devenir « un lien entre civilisations d’Orient et d’Occident ». Inchallah…   

    * Rappelons qu’en français Islam prend une majuscule quand il désigne la civilisation, la communauté humaine (comme Chrétienté, Occident, etc.) et une minuscule lorsqu’il concerne la religion (comme on dit le shintoïsme, le catholicisme, etc.). 

    ** En principe ce ne serait plus possible sous Mohamed VI lequel, en tournée africaine, a fait savoir que seuls ses sujets (musulmans ou juifs) avaient la possibilité, s’ils le désiraient, de pratiquer le baisemain royal.                                                            

    A voir

    « Toumliline 1956-1957 », exposition de textes et photos inédits à la galerie des Archives du Maroc, près Bab-Rouah, Rabat. Jusqu’au 31 décembre 2015. Catalogue illustré bien conçu. 

    A lire

     Elisabeth des Allues, « Toumliline. A la recherche de Dieu au service de l’Afrique ». Ed. du Cerf, Paris, 1961.

     Y. Knibiehler, G. Emmery, F. Leguay, « Des Français au Maroc », Denoël, Paris, 1992.

    Jamaâ Baïda et Vincent Féroldi, « Présence chrétienne au Maroc. XIXe-XXe siècles », préface de Brahim Boutaleb, Ed. Bouregreg, Rabat, 2005.

    Péroncel-Hugoz

    Repris du journal en ligne marocain le 360 du 12.12.2015

  • Regard sur « le monde en état de panique » ou le rêve universaliste fracassé

     

    Nous n'ajouterons pas un commentaire superflu à ce qu'on peut, à la fois, lire ou écouter ici de la part d'un clerc de la doxa européo-mondialiste. L'essentiel est dit dans notre titre.

    Nous avons entendu, lundi, Jean-Pierre Raffarin pleurer sur la République à la dérive. Hier matin, sur France Inter, Bernard Guetta a fait le constat exact d'un état du monde qui brise le rêve mondialiste, pacifiste, démocratique, multi-culturaliste, multiethnique, etc. Les idéologues et les marchands n'y triomphent pas. L'Histoire ne finit pas ...

    Plaignons nos élites : elles ont, en ces temps difficiles, intra et extra muros, de redoutables remises en cause à opérer. La faillite de leurs idées - mais il ne fallait pas se faire tant d'illusions ! - leur est sans-doute douloureuse. Pas à nous.  LFAR 

      


    Laissons la France. Laissons le reste de l’Europe où les nouvelles extrêmes-droites connaissent le même essor que le Front national et regardons ailleurs. Candidat aux primaires républicaines, candidat à la présidence des Etats-Unis, M.Trump vient de faire un nouveau coup d’éclat en proposant d’interdire aux musulmans, à tous les musulmans, l’accès du territoire américain.

    S’il l’a fait, c’est qu’il pense pouvoir ainsi plaire à suffisamment d’électeurs républicains pour remporter les primaires et il n’a pas tort car la peur, celle d’un monde devenu aussi incertain qu’incompréhensible, est aussi forte aux Etats-Unis qu’en Europe… et ailleurs.

    Repassons l’Atlantique, allons jusqu’à Moscou. Sur quoi s’appuie M.Poutine pour faire durer sa popularité ? Sur la reconquête de la Crimée, sur l’Eglise orthodoxe russe, sur la Russie de toujours et les forces de sécurité dont il s’est fait l’incarnation depuis qu’il a accédé au Kremlin. Poussons au sud, jusqu’en Turquie, et le tableau est le même. M.Erdogan y a reconquis sa majorité en rallumant les tensions avec la minorité kurde, exaltant la nation et flattant les plus conservateurs des électeurs par ses constantes références aux traditions religieuses et patriarcales.

    Le Proche-Orient, n’en parlons pas. Il éclate et se déchire entre communautés ethniques ou religieuses, chiites contre sunnites, Arabes contre Perses, Kurdes contre tout le monde ou l’inverse. Chacun veut son Etat, ses frontières, sa zone d’influence. L’Inde se cimente dans l’hindouisme et, si l’on revient en Europe, il n’y a pas que la montée des extrêmes-droites. Il y a aussi les Catalans qui voudraient sortir d’Espagne et les Ecossais de Grande-Bretagne, la renaissance des régionalismes et ce divorce, surtout, toujours plus grand, entre les Européens et l’Europe, entre l’ambition d’unité et le repli national.  

    La peur, une peur qui se répand, fracture le monde. Chacun veut se replier sur le monde qui est le sien car il y a soudain, c’est un fait, trop de changements et, donc, d’inconnues dans le grand monde. Depuis la chute du mur de Berlin, nous ne sommes pas seulement sortis de la stabilité de la Guerre froide. En vingt-cinq ans, nous avons vu de nouvelles puissances apparaître, le monde arabo-musulman se réveiller dans un indescriptible chaos, les emplois occidentaux détruits par l’automatisation et les délocalisations vers les pays émergents, les Etats-Unis se tourner vers le Pacifique, se désintéresser de l’Europe et la laisser sans Défense, le terrorisme djihadiste frapper les cinq continents et les grandes forces politiques occidentales s’essouffler, et échouer, à préparer leurs militants, leurs électeurs, leurs pays à des changements d’une telle ampleur.

    Alors, oui  tout le monde craint tout et tout le monde et l’urgence, en Europe, est au remodelage de nos échiquiers politiques, à la formation de grands partis du mouvement, de partis assez solidement majoritaires pour rejeter la folle tentation de la fuite en arrière et construire l’avenir, loin de cette suicidaire panique.  

     

  • L’allié toxique

     

    par Louis-Joseph Delanglade 

     

    Voici donc l’Union européenne - donc la France - liée par un accord rien de moins que léonin avec la Turquie de M. Erdogan. Incapable de se protéger elle-même, l’Union sous-traite en effet la surveillance des migrants en provenance de Syrie. Coût de l’opération, sans garantie de réussite : trois milliards d’euros et relance du processus d’adhésion de la Turquie à l’U.E. Passons sur cette adhésion à laquelle plus personne ne semble croire vraiment et qui manifestement n’est rappelée que pour complaire à un pouvoir turc dont elle sert grandement la communication intérieure. Restent ces trois milliards, somme bien importante tout de même pour obtenir d’un prétendu « allié » de l’OTAN qu’il veuille bien respecter les conventions internationales (comme la France le fait à Calais) et dont M. Giuliani, président de la Fondation Robert-Schuman, fait remarquer qu’elle s’ajoute au milliard annuel versé au titre d’aide à la pré-adhésion. 

    Concernant notre pays, il faut bien voir dans cet épisode la manifestation d’une diplomatie tantôt erratique tantôt idéologique, bref impuissante. Certes, il n’aurait fallu participer à rien de ce qui a contribué à plonger dans le chaos le monde arabo-musulman, région déjà fortement traumatisée par la création de l’Etat d’Israël en 1948 : ni se battre contre Saddam Hussein en 1991, ni faire tomber le régime de Kadhafi en 2011, etc. Un certain interventionnisme, qui peut nous paraître légitime dans le « pré carré » africain, tourne vite au fiasco dans cette région si compliquée. Et MM. Onfray et de Benoist peuvent à juste titre se retrouver, chacun a sa façon, dans la formulation lapidaire de M. Jamet : « nous ne pouvons faire la guerre au loin et avoir la paix chez nous ».  

    Cependant, malgré les répercussions trop prévisibles sur le territoire national, il paraît désormais difficile de ne rien faire contre l’Etat islamique. Mais il semble quelque peu incohérent de se rapprocher un peu plus d’une Turquie dont le pouvoir baigne dans l’idéologie des Frères musulmans et dont l’intérêt est, plutôt que d’y remédier, de profiter de la situation qui prévaut en Syrie. On ne saurait bien sûr reprocher à la Turquie de M. Erdogan sa nostalgie ottomane et son auto-promotion régionale : la Turquie joue son jeu, et c’est bien naturel. On peut en revanche s’étonner de la naïveté des Européens, des Français en l’occurrence, à l’égard de celui qu’on nous a successivement présenté comme un « islamo-conservateur » puis comme un « islamiste modéré ». Il faut comprendre que ce qui obsède le pouvoir nationaliste d’Ankara, c’est le problème kurde. Cela seul suffit à expliquer sa stratégie dans un conflit syrien qui constitue pour lui une belle opportunité, l’Etat islamique étant pour l’instant un allié objectif avec lequel il collabore sans vergogne dans le domaine pétrolier et auquel il est fortement suspecté de faire passer des armes sous couvert d’aide humanitaire. 

    « La Turquie est un allié incontournable et en même temps c’est un allié toxique » (M. Servent, France 5). Incontournable sans doute du fait que la France reste inféodée à l’OTAN; toxique certainement du fait que la Turquie sait ce qu’elle veut contrairement à nous.

     

  • Peut-on en finir avec la « bédouinisation » de l’islam ?

     

    par Pierre de La Coste

     

    3328214605.jpg« Il faut en finir avec la bédouinisation de l’islam. » Ce barbarisme merveilleux émane de Tareq Oubrou, imam de la Grande Mosquée de Bordeaux (Paris Match, 24 novembre). Il touche une vérité essentielle : le problème de l’islam d’aujourd’hui, c’est qu’il tente d’imposer au monde moderne la religion des bédouins du VIIe siècle, leurs croyances, leurs mœurs, leurs coutumes, et jusqu’à leur habillement.

    Parvenir à émanciper un véritable « islam de France » de cet héritage encombrant serait sans aucun doute un immense progrès, qui nous immuniserait contre tout risque d’attentats et de djihad. Mais l’imam va plus loin encore. Chevauchant hardiment un dogme fondamental de l’islam sunnite, il va jusqu’à dire que « tout n’est pas absolu dans le Coran ». Sans employer le mot, il suggère que le Coran n’est pas « incréé », qu’il n’est pas Dieu lui-même. Qu’il n’existe pas de toute éternité « en langue arabe parfaite » dans le sein de Dieu. Bref, il avoue que le Coran, quoique inspiré par Dieu, est une œuvre humaine. On en a décapité pour moins que ça.

    Tareq Obrou n’ignore pas le sort de toutes les réformes de l’islam depuis les origines, étouffées dans l’œuf par les califes, détenteurs du pouvoir politico-spirituel. La plus célèbre de ces réformes avortées est celles des « mutazilites » rationalistes qui prétendaient interpréter le Coran au Xe siècle. Un moment soutenus par les abbassides, ils furent impitoyablement rejetés par la même dynastie. Mais on pourrait aussi citer l’exemple d’Averroès, le grand « Commentateur » d’Aristote, dont les livres furent brûlés par les fanatiques Almohades, dans l’Andalousie du XIIe siècle.

    Depuis lors, toute tentative de créer un « islam des Lumières » est vouée à l’échec. Pourquoi donc l’imam Oubrou réussirait là où tout le monde a échoué avant lui ? En fait, les raisons qu’il invoque pour expliquer pourquoi l’islam n’a jamais su se réformer nous indiquent surtout pourquoi lui-même n’y parviendra pas mieux. Les causes de cet immobilisme ? Ce sont, dit-il, les invasions, les croisades, la colonisation… Autrement dit, c’est de la faute des autres. Les musulmans sont toujours victimes, jamais responsables de leur histoire. Pourtant, ils n’ont pas toujours été envahis et colonisés. Ils ont aussi été victorieux et dominants. Pourquoi n’en ont-ils pas profité pour se « réformer » ? La tentative de l’imam de Bordeaux est, à l’avance et par lui-même, vouée à l’échec. On ne manque pas, déjà, d’expliquer que c’est à cause du chômage, de la crise, du racisme… Le prétexte est trouvé avant même que l’effort ne soit entrepris.

    Le problème de l’islam est en lui-même depuis les origines. Sa « bédouinisation » est native. L’islam est une religion universelle, mais qui tend à faire de tous les hommes des Arabes. Dieu ne parle que la langue des bédouins du VIIe siècle, tous les garçons doivent être circoncis, toutes les femmes voilées, la viande de porc interdite… et ce, sous toutes les latitudes, loin du désert qui a vu naître ces préceptes.

    C’est le bédouin Mahomet lui-même qui, devenant chef politique à Médine, a définitivement « bédouinisé » l’islam. Alors que le message universel du Christ, affranchi de la loi juive, prononcé en araméen, mais écrit en grec, puis en latin, puis dans toutes les langues, s’adresse à tous les humains. L’islam, c’est la Pentecôte à l’envers. 

    - Boulevard Voltaire [01.XII.2015)

    Essayiste, cadre du secteur du numérique

  • Vu du Québec : Vive le drapeau français !

     

    Une tribune de Mathieu Bock-Côté

    Alors que François Hollande a appelé les Français à pavoiser lors de la journée  d'hommage national aux victimes des attentats du 13 novembre, Mathieu Bock-Côté estime, dans une tribune du Figaro du même jour (27.XI.2015)  que cette agression a fait rejaillir un patriotisme refoulé depuis des années. Refoulé, d'ailleurs, par qui et pourquoi ? Nous retiendrons, sinon tous les détails, mais surtout le fond de cette réflexion où abondent remarques ou critiques justes et essentielles : « En fait, une crise comme celle provoquée par les attentats de 2015 nous force à sortir d'une théorie superficielle qui croyait pouvoir effacer les nations simplement en décrétant leur caractère périmé ou leur inutilité globale. » Pour ce qui est de pavoiser, et du drapeau, nous ajouterons, pour conclure, pour partie seulement  en forme de boutade, que le drapeau du Québec nous paraît porteur d'un symbole - quatre fois répété - qui nous parle de nos racines les plus profondes, les plus anciennes et les plus vraies.  Lafautearousseau 

     

    Mathieu Bock-Coté.jpgÀ la grande surprise d'un système médiatique qui a mis du temps à le comprendre, et qui n'hésite pas à confesser de temps en temps sa perplexité, les Français, suite aux attentats du vendredi 13 novembre se tournent vers leur drapeau et le brandissent bien haut. Pire encore, ils chantent la Marseillaise sans même s'en excuser. François Hollande en a rajouté en invitant à pavoiser le pays alors que la gauche française, depuis un bon moment, déjà, confessait son grand malaise devant les symboles nationaux, qu'elle peinait à associer positivement à l'avenir de la France. Le propre d'un sursaut national, c'est d'emporter ceux qui, la veille encore, parlaient de leur pays avec désinvolture.

    Certains journalistes ont sondé les Français pour savoir ce que le drapeau tricolore représente pour eux ? Cette question en masque une autre, moins aisément avouable : comment osent-ils renouer avec ces symboles associés depuis une trentaine d'années à « l'extrême-droite » - faut-il préciser qu'on lui avait aisément concédé son monopole ? Pire encore, ces symboles ne sont-ils pas pour cela définitivement souillés ? Le mot est pourtant simple : le retour aux symboles nationaux est une manifestation pure et simple de patriotisme. L'appel au drapeau témoigne pourtant du lien absolument intime entre un homme et son pays, et plus encore, la part existentielle du lien politique.

    En un mot, l'élan vers le drapeau témoigne d'un patriotisme spontané, qui se dérobe aux constructions philosophiques sophistiquées ou à son enrobage universaliste. On parle ici simplement d'une revendication d'appartenance clairement revendiquée. La philosophie politique contemporaine lorsqu'elle en reconnaît l'existence, réduit ce patriotisme à une forme de d'attachement primitif et à une communauté historique dégénérant presque inévitablement en xénophobie. Le progressisme a voulu amincir au possible la communauté politique en la réduisant à un pur système de droit exclusivement régulé par des valeurs universelles. Il s'agissait à terme de rendre toutes les sociétés interchangeables pour avancer vers une société mondiale.

    Comment, dès lors, cultiver un lien presque sacré avec le pays qui est le sien, lorsqu'on le réduit à une surface plane où peuvent se déployer librement des flux mondialisés ? Car il y a bien de telles choses que des liens sacrés, au nom desquels, au fil de l'histoire, des hommes ont donné leur vie. Il semble pourtant que l'appartenance nationale soit bien plus forte que ne le croyaient certains sociologues qui n'y voyaient qu'une construction sociale assez récente et terriblement friable. En fait, une crise comme celle provoquée par les attentats de 2015 nous force à sortir d'une théorie superficielle qui croyait pouvoir effacer les nations simplement en décrétant leur caractère périmé ou leur inutilité globale.

    On dissertait depuis un bon moment sur le retour du tragique. Mais il faut probablement qu'une société fasse l'expérience brutale de l'agression et de la mort violente pour en prendre vraiment conscience. L'agression fait rejaillir le refoulé patriotique, et plus largement, tout ce qui, dans la communauté politique, l'enracinait dans des couches de réalité imperceptibles pour ceux qui ne veulent voir le monde qu'à travers une citoyenneté limitée au statut de simple artifice juridique. Même si les citoyens n'ont plus les mots pour traduire cette appartenance, ils ont un drapeau à brandir pour l'afficher. C'est ainsi qu'on comprendra l'augmentation massive de l'enrôlement sous les drapeaux de jeunes Français qui découvrent la part sacrée de l'identité collective, qui réhabilitent, par ce fait même, la possibilité du sacrifice patriotique.

    Mais un patriotisme vivant doit être éduqué, transmis et entretenu, sans quoi le sursaut n'aura qu'un temps. Car si le patriotisme est une pulsion vitale, il doit, pour irriguer vraiment les institutions, être inscrit au cœur de la culture, et non plus refoulé dans les marges sociales et idéologiques. Comment la nation a-t-elle pu, pendant un quart de siècle, être concédée à des formations protestataires ? On aime rappeler la fonction civique de l'enseignement de l'histoire. Paradoxalement, l'enseignement de l'histoire a servi, depuis plusieurs années déjà, à déconstruire le sentiment national et à disqualifier le patriotisme. On favorisait une pédagogie de la pénitence et de la repentance. Apprendre l'histoire, c'était apprendre à désaimer son pays. La fidélité aux grands ancêtres était remplacée par ce que Michel de Jaeghere nomme justement la haine des pères. Comment faire en sorte qu'elle redevienne source de vitalité identitaire ?

    Les grands ancêtres sont pourtant plus nécessaires que jamais pour comprendre le bon usage du patriotisme. De Gaulle comme Churchill, au moment de la deuxième guerre mondiale, se firent les défenseurs admirables des libertés civiles et de la démocratie. Mais ils le firent au nom de la grandeur de la France, dans le premier cas, et de la civilisation occidentale et chrétienne, dans le second. En un mot, la démocratie ne fonctionne pas en lévitation, elle ne survit pas de manière stratosphérique, et doit s'alimenter de sentiments humains fondamentaux sans lesquels elle est condamnée à l'assèchement. La démocratie, sans la nation, est impuissante. Le patriotisme ouvre à une forme de transcendance qu'il faut reconnaître comme telle et savoir réinvestir. 

    Mathieu Bock-Côté            

    Mathieu Bock-Côté est docteur en sociologue et chargé de cours aux HEC à Montréal. Ses travaux portent principalement sur le multiculturalisme, les mutations de la démocratie contemporaine et la question nationale québécoise. Il est l'auteur d'Exercices politiques (VLB éditeur, 2013), de Fin de cycle: aux origines du malaise politique québécois (Boréal, 2012) et de La dénationalisation tranquille: mémoire, identité et multiculturalisme dans le Québec post-référendaire (Boréal, 2007). Mathieu Bock-Côté est aussi chroniqueur au Journal de Montréal et à Radio-Canada.

  • Alain de Benoist : « Nous faisons la guerre chez eux, ils font la guerre chez nous »

     

    Nous voici de nouveau d'accord avec Alain de Benoist. D'accord avec les fines et pertinentes réflexions qu'il expose dans Boulevard Voltaire. (Entretien du 28.11.2015). Comme Michel Onfray - au moins en partie - Alain de Benoist se montre critique à l'égard de l'interventionnisme des « Occidentaux » dans l'ensemble du monde musulman. Sans doute faut-il y voir surtout une remise en cause des guerres inconséquentes que nous y menons depuis des décennies. Et nous en avons, en effet, les résultats tragiques aujourd'hui. Nous retiendrons aussi de cet entretien les deux derniers paragraphes de conclusion où il y a une forte critique tout à fait justifiée de ce leitmotiv sans cesse mis en avant depuis le 13 novembre selon lequel la société française se composerait de citoyens consommateurs et festifs, seulement voués à se « distraire ». Sur l'indéniable décadence de l'Occident, sur le rôle irremplaçable de la Nation, sur les méfaits mortels du déracinement français et européen, Alain de Benoist rappelle ici des vérités essentielles. Lafautearousseau 

         

    1530443371.jpgAprès les attentats commis à Paris en janvier dernier, des millions de gens avaient défilé dans les grandes villes en hurlant « Je suis Charlie ». Dans les jours qui ont suivi les attentats du 13 novembre, on a seulement vu quelques rassemblements sporadiques, auxquels s’est ajouté l’« hommage national » présidé par François Hollande dans la cour d’honneur des Invalides. Pourquoi cette différence ?

    Les attentats de janvier et ceux de novembre sont très différents. En janvier dernier, les terroristes islamistes avaient massacré des journalistes auxquels ils reprochaient d’avoir « blasphémé » contre Mahomet, puis ils avaient tué des juifs au seul motif qu’ils étaient juifs. Il était alors facile pour les manifestants, qui dans leur grande majorité n’étaient ni juifs ni journalistes, de se dire solidaires de « Charlie » ! Le 13 novembre, au contraire, les terroristes n’ont pas visé de cibles particulières. Au Bataclan, ils n’ont pas demandé aux spectateurs de décliner leur origine ou leur religion. Ils ont massacré tous ceux qui étaient là sans distinction d’âge, de sexe, de croyance, d’appartenance ou de profession. On a ainsi compris que tout le monde est devenu une cible potentielle. L’équivalent d’une douche froide.

    Même si dans les deux cas les auteurs des attaques étaient les mêmes (de jeunes délinquants « radicalisés »), les motifs étaient également différents. L’attaque contre Charlie Hebdo était de nature « religieuse », celle contre le Bataclan de nature politique. Le 13 novembre, les terroristes voulaient sanctionner notre engagement militaire en Syrie : c’est la politique étrangère française qui était visée. Hollande l’a bien compris, puisqu’il a immédiatement ordonné à l’aviation française d’intensifier ses frappes, tandis qu’il s’engageait lui-même dans une vaste tournée diplomatique. Comme l’a écrit Dominique Jamet, « nous ne pouvons faire la guerre au loin et avoir la paix chez nous ». Nous faisons la guerre chez eux, ils font la guerre chez nous. C’est aussi simple que cela.

    Plusieurs familles de victimes ont refusé de participer à la cérémonie des Invalides, parce qu’elles considèrent le gouvernement actuel comme le premier responsable des attentats. Une réaction exagérée ?

    Pas vraiment. Le 13 novembre, il a fallu plusieurs heures, durant lesquelles des dizaines de spectateurs du Bataclan ont été tirés comme des lapins, avant que l’on voie arriver les hommes de la BRI. Cela pose déjà un problème. Mais ce sont avant tout les failles du système français de renseignement qui doivent être montrées du doigt. Sur le plan intérieur, le « renseignement territorial » (recueil et analyse des données) est en effet vital, les plans Vigipirate ou Sentinelle, qui font patrouiller dans les rues des soldats réduits à l’état de vigiles, se bornant à créer une présence visible qui a pour seul but de rassurer la population sans vraiment la protéger.

    La Direction générale de la sécurité intérieure (DGSI) a succédé, l’an dernier, à la DCRI, née en 2008, sous la présidence de Nicolas Sarkozy, de la fusion de la Surveillance du territoire (DST) – service à vocation avant tout judiciaire et opérationnelle – et des Renseignements généraux (RG) – service d’information sans aucune attribution judiciaire. Cet organisme hybride, qui a cumulé les défauts de ses deux composantes, a rapidement accumulé les échecs et les erreurs (voir le rapport Verchère-Urvoas de 2013). Plus douée pour espionner les journalistes que pour lutter contre le djihadisme, la DGSI dispose de beaucoup de renseignements sur des milliers d’individus dangereux mais, par manque de formation criminologique sérieuse, elle peine à trouver les moyens d’identifier ceux qui sont véritablement prêts à passer à l’acte. Elle n’a, en outre, toujours pas compris que les terroristes ne sont plus aujourd’hui des Ben Laden mais des jeunes bandits des « quartiers ». Les attentats de ces dernières années en sont le résultat. En Tunisie, après l’attentat du musée du Prado, tous les responsables du renseignement ont été démis de leurs fonctions. On peut regretter qu’il n’en soit pas allé de même en France.

    L’État islamique ne se cache pas de mépriser une civilisation occidentale qu’il estime « décadente et dépravée ». Que lui répondre ?

    Que l’Occident soit aujourd’hui décadent est un fait – et c’est également un fait que les interventions occidentales au Proche-Orient n’ont abouti, depuis 1990, qu’à généraliser la guerre civile et le chaos. Mais la pire des réponses serait de se faire gloire de nos tares. C’est, au contraire, la décadence qui nous rend incapables de faire vraiment face au djihadisme, dans la mesure où elle est toujours le prélude à une dissolution. Après les attentats de janvier, François Hollande exhortait à se remettre à « consommer ». Ces jours-ci, il appelait à continuer à « se distraire ». La cérémonie des Invalides donnait elle-même envie de pleurer, pas de se battre. Ce n’est pourtant pas avec des chansons de variétés que l’on stimule le courage et la volonté, ou que l’on recrée les conditions d’une amitié nationale. Comme l’écrit Olivier Zajec, « ce sont les nations, et non la consommation ou la morale, qui redonnent forme et sens au monde ».

    La guerre est une forme de rapport à l’autre qui implique aussi un rapport à soi. Cela signifie que, « pour savoir ce que sont nos intérêts, il nous faut d’abord savoir qui nous sommes » (Hubert Védrine). Dans L’Enracinement, Simone Weil constatait que « des êtres déracinés n’ont que deux comportements possibles : ou ils tombent dans une inertie de l’âme presque équivalente à la mort, ou ils se jettent dans une activité tendant à déraciner toujours plus, souvent par les méthodes les plus violentes, ceux qui ne le sont pas encore ou qui ne le sont qu’en partie ». Face à l’universalisme qui conduit au déracinement, l’Europe n’a d’autre alternative que d’affirmer ce qui la constitue en propre. 

     

    Entretien réalisé par Nicolas Gauthier - Boulevard Voltaire

  • Rémi Brague : « La législation d'origine divine constitue le centre de l'islam »

     

    C'est un entretien très important que Rémi Brague vient d'accorder au Figaro, qui l'a publié sur FigaroVox vendredi dernier, 27 novembre. Membre de l'Institut, spécialiste de la philosophie grecque et de la philosophie médiévale arabe et juive, Rémi Brague* y décrypte, selon Le Figaro, « la doctrine de la religion musulmane. » Et il ne manque pas d'en traiter dans son rapport avec l'actualité française et européenne. On le sent dans un certain désaccord avec les analyses de « son vieil ami Pierre » - Pierre Manent - qui, en effet, ont paru porteuses de grands risques à nombre de lecteurs - dont nous-mêmes. Sur la capacité de la République à affronter l'Islamisme, Rémi Brague a une formule qui mérite réflexion : « Quelle République peut s'imaginer faire le poids contre Dieu ? ». En tout cas, pas la nôtre, nous semble-t-il. Et c'est une grande question. Il n'hésite même pas à mettre en doute que le Pape ait jamais lu le Coran, lorsque le Figaro le questionne : « le Pape a dit que le Coran s'oppose à la violence ... » Enfin, Rémi Brague sait de quoi il parle, il n'avance rien sans référence. Et cela tranche singulièrement avec tant de débats oiseux, qui nous ont été servis ad nauseam, depuis un certain temps, par les médias. Bonne lecture ! Lafautearousseau

    Les djihadistes qui ont mené les attentats de janvier et du 13 novembre en appellent à Allah. Ont-ils quelque chose à voir avec l'Islam ?

    De quel droit mettrais-je en doute la sincérité de leur islam, ni même le reproche qu'ils adressent aux « modérés » d'être tièdes. Rien à voir avec l'islam ? Si cela veut dire que les djihadistes ne forment qu'une minorité parmi les musulmans, c'est clair. Dans quelle mesure ont-ils la sympathie, ou du moins la compréhension, des autres ? J'aimerais avoir là-dessus des statistiques précises, au lieu qu'on me serine « écrasante majorité » sans me donner des chiffres.

    Les djihadistes invoquent eux-mêmes Mahomet, le « bel exemple » (Coran, XXXIII, 21). Ils expliquent qu'avec des moyens plus rudimentaires qu'aujourd'hui, il a fait la même chose qu'eux : faire assassiner ses adversaires, faire torturer le trésorier d'une tribu vaincue pour lui faire cracher où est le magot, etc. Ils vont chercher dans sa biographie l'histoire d'un jeune guerrier, Umayr Ben al-Humam, qui se jette sur des ennemis supérieurs en nombre pour entrer au paradis promis. Il n'avait pas de ceinture d'explosifs, mais son attitude ressemble fort à celle des kamikazes d'aujourd'hui.

    Les imbéciles objectent souvent : « Oui, mais Hitler était chrétien. » Ce à quoi il faut dire que: 1) non seulement il avait abandonné la foi dans laquelle il avait été baptisé, mais il haïssait le christianisme. Les Églises, catholique et protestantes, étaient sur son cahier des charges et devaient, après la victoire, subir le même sort que les Juifs ; 2) à ma connaissance, Hitler n'a jamais été donné en exemple aux chrétiens.

    41cUT53RYYL__SX302_BO1,204,203,200_ (1).jpgLe but des terroristes semble être de déclencher en Europe une guerre civile entre les communautés musulmanes et le reste de la population. Comment éviter que la communauté musulmane soit identifiée au terrorisme ?

    Effectivement, il est prudent de dire ce que ce but semble être. Nous le devinons à partir de cas précédents comme les Brigades rouges italiennes: créer des conditions dans lesquelles la répression atteindra, même sans les viser, l'ensemble des musulmans, afin de créer chez eux un réflexe de solidarité avec les terroristes. Je ne sais d'ailleurs pas si cela a jamais marché…

    Il y a là-derrière un problème de logique : tous les musulmans ne sont pas islamistes, mais tous les islamistes sont musulmans. Donc être musulman est une condition nécessaire pour être islamiste, mais elle n'est pas suffisante. Pour tout musulman, être islamiste est une possibilité mais, heureusement, ce n'est pas une nécessité. Il est stupide de prêter a priori de noirs desseins à tous les musulmans. On a donc raison de ne pas les mettre tous dans le même panier. Les gens qui peignent des slogans hostiles sur les mosquées sont des crétins malfaisants qui font le jeu des islamistes de la façon que je viens de dire.

    Il serait bon que l'effort pour éviter le fameux «amalgame» soit clair des deux côtés. Et que les musulmans trouvent un moyen de faire comprendre haut et fort, par la parole comme par le comportement, qu'ils désapprouvent le terrorisme. Le problème est que personne n'a autorité pour les représenter. Nous aimons mieux les « modérés ». Mais les intellectuels médiatiques qui parlent en leur nom représentent-ils d'autres qu'eux-mêmes ?

    Comment expliquer que la religion musulmane apparaisse plus focalisée sur la forme (vêtements, nourriture…) que sur le fond et qu'elle rechigne à accepter les lois de la République ?

    Ce qui nous semble à nous purement formel dans une religion peut apparaître à ceux qui la professent comme central. Pensez au turban des sikhs. Dans l'islam, la mystique est permise, pas toujours bien vue, mais en tout cas seulement facultative. En revanche, les règles de la vie quotidienne sont obligatoires pour tous. Les lois sur lesquelles la nation musulmane se règle ont été, selon elle, dictées par Dieu en personne et littéralement. Quelle République peut s'imaginer faire le poids contre Dieu ?

    Un islam éclairé a existé au Moyen Âge. Peut-il servir de référence aux musulmans d'aujourd'hui ?

    Il faut distinguer la religion et la civilisation. La conquête arabe avait unifié deux mondes qui se faisaient la guerre, à savoir la partie orientale de l'Empire de Constantinople et l'Empire persan. Avec le Proche-Orient, il avait ramassé dans son escarcelle la partie intellectuellement féconde de l'Empire byzantin. Regardez d'où viennent les grands intellectuels de l'Antiquité gréco-romaine : l'Égypte, la Mésopotamie, l'Anatolie, bien plus que Rome ou même la Grèce. Tout cela passa à la civilisation arabe à travers les écoles du monde syriaque. L'islam comme religion a connu des tentatives qui ressemblent beaucoup à la façon dont l'Occident a réfléchi de manière critique sur sa propre tradition, par exemple chez les mutazilites. Mais cela fait mille ans qu'ils ont été vaincus…

    Le Pape a dit que le Coran s'oppose à la violence. Partagez-vous ce point de vue ?

    A-t-il jamais lu le Coran ? Sa lecture ne fait pas partie de la formation habituelle d'un jésuite, ou même d'un théologien.

    Ce qui est vrai, c'est que l'on trouve dans le Coran des versets pacifiques, appelant à la discussion courtoise, etc. Non sans bien des restrictions. Ainsi, le fameux verset rappelant, après le Talmud (bSanhedrin, 37a), que tuer un homme, c'est comme tuer l'humanité entière (V, 32) ajoute en incise que cela ne vaut pas pour « ceux qui répandent la corruption (fasād) sur la terre ». Or, comment comprendre cette faute ? Et qui va décider de qui s'en est rendu coupable ?

    Les versets pacifiques datent de la première période de la mission de Mahomet qui, prêchant à La Mecque devant un auditoire indifférent ou même hostile, devait composer avec les autres groupes religieux. Une fois à Médine, devenu chef d'une armée, le ton change. L'avertisseur est devenu chef politique et militaire. Il s'agira désormais de combattre, de soumettre l'adversaire, et de lui faire payer l'impôt. Et l'ennui est que, selon la dogmatique islamique, les versets descendus à Médine « abrogent » les versets antérieurs. On continue à les réciter, mais leur contenu normatif n'est plus valable et est remplacé par d'autres, postérieurs.

    Afin de ne pas être repérés, certains terroristes n'hésitent pas à boire de l'alcool, à s'afficher avec des femmes et à ne pas fréquenter les mosquées. S'agit-il de cette ruse qu'on appelle la « taqîya » ? Sur quoi repose cette notion ?

    Il est en effet probable qu'il s'agisse d'une dissimulation par stratagème.

    Le conseil de pratiquer la dissimulation dans certains cas se tire de deux versets du Coran : « Que les croyants ne prennent pas pour amis des incrédules de préférence aux croyants […] à moins que vous ne vous protégiez d'eux » (III, 28) et « Celui qui renie Dieu après avoir cru - non pas celui qui subit une contrainte et dont le cœur reste paisible dans la foi — […], la colère de Dieu est sur lui […] » (XVI, 106). Un autre verset demande aux musulmans de ne pas demander la paix quand ils sont les plus forts (XLVII, 35). Et des hadiths font prononcer au Prophète l'éloge de la ruse, identifiée à la guerre.

    Historiquement parlant, cette dissimulation a surtout été pratiquée par les chiites, tout simplement parce que, minoritaires, ils en avaient besoin. Mais ceux-ci ne sont nullement les seuls à l'autoriser, voire à la recommander.

    Comment le Coran envisage-t-il les rôles de l'homme et de la femme ? Est-ce compatible avec l'égalité occidentale ?

    Notre égalité est encore imparfaite dans les faits. Mais elle est depuis longtemps dans les textes du Nouveau Testament, puis plus tard dans nos législations. Le Coran accorde à la femme la valeur de la moitié d'un homme : il faut deux femmes pour contrebalancer le témoignage d'un seul homme (II, 282), et une fille reçoit en héritage la moitié de la part d'un garçon (IV, 11). On entend souvent que l'islam aurait représenté un progrès dans la situation de la femme. Mais progrès aux yeux de qui ? Dans ma Loi de Dieu, je cite un passage du grand écrivain Gahiz (mort en 869) qui se félicite de ce que l'islam ait mis fin à la licence d'autrefois en interdisant aux filles de parler aux garçons.

    L'obligation de porter un voile est-elle inscrite dans les textes du Coran ?

    Elle repose sur deux versets où Dieu s'adresse à Mahomet : « Dis aux croyantes […] de rabattre leurs voiles (himār) sur leurs poitrines » (XXIV, 31) et « […] Dis à tes épouses, à tes filles et aux femmes des croyants de se couvrir de leurs voiles (ğilbāb) […] » (XXXIII, 59). Saint Paul dit quelque chose de voisin (1 Corinthiens, 11, 5). Seulement, Paul de Tarse était une créature vivant à une certaine époque, dans une civilisation où sortir sans voile était pour une femme une honte. On peut donc remonter de la lettre à l'intention, à savoir s'habiller décemment selon les climats et les modes. Pour le Coran, ce n'est pas possible. En effet, son auteur est censé être Dieu, qui est éternel et qui sait tout, et qui peut donc prévoir la totalité des circonstances. Si Dieu dit « voilez-vous », il s'agira donc d'un voile bien concret, d'un tissu totalement matériel. La seule latitude qui reste sera celle de s'interroger sur le sens très précis des mots qui le désignent et d'en déduire si ce voile voulu par Dieu sera long ou court, opaque ou transparent. C'est souvent à des choses de ce genre que pensent ceux qui disent « interpréter » le Coran.

    Plutôt que de communautarisme islamique on parle de plus en plus souvent d'une montée du fait religieux. Peut-on faire l'amalgame entre la religion catholique, la religion juive et l'islam ?

    Il est vrai que le christianisme, surtout mais pas seulement dans sa variante «évangélique», connaît actuellement un bouillonnement. Ou que l'hindouisme se raidit, ou que le bouddhisme attire de plus en plus de monde. Ce qui est vrai en tout cas, c'est que l'idée d'un effacement inexorable de la religion devant « la science » en a pris un sacré coup.

    On répète « padamalgam ! » comme une sorte de mantra ; d'ailleurs, cela sonne sanscrit… Cette règle doit s'appliquer aussi aux religions. Au lieu de dire que « les religions » sont ou font ceci ou cela, en les mettant dans le même sac, distinguons, traitons au cas par cas. Une religion est nationale ou universelle, naturelle ou révélée, etc.

    Au fond, le mot même de « religion » est trompeur. Il recouvre des phénomènes incomparables. Il est d'origine occidentale et a été fait sur les mesures du christianisme. En conséquence, nous nous imaginons qu'une religion doit être une sorte de christianisme avec quelque chose en plus ou en moins. D'où notre mal à penser le bouddhisme, qui se passe de révélation, voire de l'idée de Dieu. Et notre mal à comprendre que l'idée d'une législation d'origine divine n'est pas accessoire dans l'islam, mais en constitue le centre.

    Êtes-vous d'accord avec Pierre Manent lorsqu'il dit que l'islam peut paradoxalement aider l'Europe à retrouver ses racines chrétiennes ?

    Il est de fait que l'exemple de la piété au quotidien des musulmans marocains a aidé des gens comme Charles de Foucauld ou Louis Massignon à retrouver la foi chrétienne. Mais attention : la dévotion, le scrupule dans l'accomplissement des rites ne sont pas la foi comme la comprend le christianisme. En matière de plaisanterie, je dirais que l'islam est au christianisme ce que mon visage est à son image dans un miroir. Rien ne me ressemble plus, mais tout y est renversé. Le défi de l'islam peut aider à reprendre conscience de l'importance du christianisme pour la civilisation occidentale. Je dirais donc, avec mon vieil ami Pierre, que l'Europe peut s'aider de l'islam pour mieux se voir et mieux comprendre ce qu'elle est. 

    * Professeur émérite de philosophie à la Sorbonne et à l'université de Munich.

    Entretien par Marie-Laetitia Bonavita             

     

  • Jean-Michel Quatrepoint : « Voilà des années que l'Europe n'a pas voulu se défendre »

     

    Nous suivons toujours attentivement les analyses de Jean-Michel Quatrepoint, notamment dans le cadre des entretiens qu'il donne au Figaro, parce qu'elles sont à la fois extrêmement lucides, réalistes, fondées sur une profonde connaissance des sujets traités, et que les positions qu'elles expriment sont presque en tous points les nôtres. Ainsi, au lendemain des attentats de Paris, Jean-Michel Quatrepoint en détaille, toujours pour Le Figaro, les conséquences économiques et les solutions possibles, notamment sur le plan militaire.  LFAR

     

    PHO1159e20e-cc52-11e3-a4f2-b373f3cdeec9-150x100.jpgA l'approche des fêtes, les rues sont désertes. Quelles peuvent être les conséquences économiques des attentats ?

    Les terroristes de Daech poursuivent un double objectif : nous terroriser et asphyxier nos économies. C'est la même stratégie qu'ils ont adoptée en Tunisie et en Égypte. Leurs attentats dans ces pays ont un impact direct sur les recettes touristiques. Toutes proportions gardées, c'est le risque qui nous guette. D'ores et déjà, le chiffre d'affaires du commerce a plongé de 15 % à 30 % selon les secteurs. Les touristes annulent en masse leurs voyages. Or, la période du 15 novembre au 31 décembre est cruciale pour l'activité commerciale. Au niveau macro-économique et budgétaire, ce sont des recettes de TVA en moins, ce qui va creuser le déficit budgétaire. Sans parler de l'impact sur la balance commerciale de la baisse du tourisme.

    Une des erreurs commises ces dernières années est d'avoir cru qu'un grand pays comme la France pouvait faire reposer son économie sur le tourisme et les services, à la place de l'industrie. Les exportations de biens industriels sont beaucoup moins sensibles aux attentats que le tourisme. Pour redonner confiance à une population traumatisée, ainsi qu'aux touristes, il va falloir faire un effort considérable en matière de sécurité. Tout ceci va prendre du temps et coûter fort cher. Il y a une contradiction entre déclarer que l'on est en guerre et ne pas se doter des moyens d'une économie de guerre. Certes, il s'agit d'une guerre d'un type nouveau, asymétrique, mais il s'agit bien d'une agression pilotée de l'extérieur, avec des gens qui ont une volonté de conquête et qui s'appuient sur des alliés à l'intérieur de nos frontières, ce qu'on appelait autrefois la cinquième colonne.

    Comment lutter contre ce double front ?

    Il faut distinguer l'action extérieure et l'action à l'intérieur. À l'extérieur, nous devons concentrer nos faibles moyens sur le Sahel, le Mali. Parce que dans cette région du monde, c'est la France qui a le plus de capacités et de connaissance du terrain. En revanche, il ne faut pas se laisser entraîner dans des opérations au sol en Syrie ou en Irak. Un appui aérien, oui. Mais il appartient aux acteurs locaux de régler le problème Daech. Tout dépend de la Turquie et de son jeu, pour le moins trouble, notamment à l'égard des Kurdes, qui sont les opposants les plus déterminés contre Daech. Mettre tout le monde d'accord va prendre du temps, tant les arrière-pensées des uns et des autres sont grandes. Ce que nous pouvons faire en revanche assez vite, c'est d'asphyxier à notre tour financièrement Daech. En s'attaquant à ses principales sources de revenus: pétrole, trafic d'antiquités, trafic des migrants.

    Avons-nous les moyens de mener cette guerre ?

    Ces actions extérieures ont d'ores et déjà un coût. On tablait sur un budget de 1,2 milliard, cette année. Il sera largement dépassé. Sur le plan intérieur, l'opération Sentinelle mise en place après les attentats contre Charlie Hebdo a épuisé les troupes, policiers comme militaires. Avant le 13 novembre, les mises en garde des syndicats et de la hiérarchie se multipliaient : on ne pouvait pas continuer sur le même rythme. Or, il faut maintenant, bien au contraire, renforcer Sentinelle. Dès lors, se pose le problème des moyens en hommes et en argent. François Hollande a annoncé le recrutement d'ici à fin 2017 de 11 200 fonctionnaires supplémentaires pour la Justice, l'Intérieur et les Douanes. Cela représente un coût de 1 milliard par an. Pour l'armée stricto sensu, on a décidé de suspendre une partie des suppressions de poste prévues dans la loi de programmation militaire. Tout ceci n'est cependant pas à la hauteur des enjeux.

    Mais alors que faut-il faire ?

    Le moment est venu de prendre deux grandes décisions. La première est d'inverser la mécanique de laminage du budget de la Défense qui a été divisé par deux en 30 ans. Il faudrait faire passer en cinq ans de 1,6 % du PIB à 2,6 % du PIB. Pour mémoire, les États-Unis consacrent 3,5 % à leur Défense (plus de 600 milliards de dollars). Et la Russie 4,5 %. Sans parler de l'Arabie saoudite, dont le budget à lui seul est plus du double de celui de la France. Une telle augmentation se traduirait par un budget supplémentaire annuel de 4 milliards d'euros environ, pour l'année 2016. Et de 8 milliards pour l'année 2017. Des montants qui intègrent, bien sûr, les OPEX.

    Ces investissements supplémentaires seront consacrés d'abord au maintien des effectifs - il faut revoir la Loi de programmation - ensuite à leur augmentation. Puis à la mise en place progressive d'un service national civique obligatoire, de quatre ou six mois. Tous les jeunes âgés de 18 ans étant appelés progressivement à y participer. Ils y recevraient une formation militaire de base (l'équivalent des deux mois de classes d'autrefois), une formation au secourisme, ainsi qu'à l'assistance aux populations lors de catastrophes naturelles (inondations, etc.) Pour encadrer ce service national, il faudra recruter en priorité chez les anciens militaires. Tout ceci coûte, mais en même temps cela génère de l'activité sur l'ensemble du territoire. C'est un moyen de réanimer des villes moyennes. Idem pour les équipements. Dans l'armée comme dans la police. Les forces de sécurité doivent avoir des matériels de qualité ce qui n'est plus le cas. Le sous-investissement, notamment en véhicules est chronique. Là aussi, il y a un coût, mais cela génère de l'activité économique. Idem pour les technologies, le numérique. Nos industries de Défense doivent être soutenues. On ne peut pas toujours s'en remettre aux autres, en l'occurrence aux Américains, pour la cyberguerre. Les dépenses militaires , notamment les innovations technologiques irriguent l'ensemble du tissu industriel. Il y a longtemps que les Américains ont compris cela sans parler des Israéliens et des Russes. Nous et les Européens, l'avons oublié depuis vingt ans. J'ai régulièrement écrit dans mes derniers ouvrages, qu'il n y avait pas d'exemple dans l'histoire de territoires riches non défendus qui ne fassent pas l'objet d'une prédation.

    Tout cela va nous faire exploser les déficits ?

    À court terme, oui, mais il faut savoir ce que l'on veut. S'imaginer que l'on peut mener une telle guerre tout en respectant des règles comptables établies à une époque où nous n'étions pas confrontés à de telles agressions et où la croissance était structurellement supérieure de un à deux points est absurde. Vouloir compenser l'augmentation des dépenses de sécurité et de défense par des économies ailleurs est tout aussi irréaliste à court terme. Certes, il va falloir dans le temps mener de profondes réformes, revoir nos systèmes de protection sociale, mais en attendant, il faut accepter une augmentation du déficit. J'ajoute que ces dépenses de sécurité, la mise en place du service national vont avoir un impact positif sur l'emploi.

    Et que dire à Bruxelles ?

    À quelque chose malheur est bon. Le moment est venu d'expliquer à nos partenaires et aux services de la Commission que le premier impératif d'un gouvernement est d'assurer la protection des biens et des personnes qui vivent sur son territoire. Voilà des années que l'Europe n'a pas voulu se défendre. Voilà des années que les pays du Nord et de la Mitteleuropa ont préféré aviver les tensions avec la Russie, plutôt que de faire face à la montée croissante du terrorisme islamiste. Nous sommes en première ligne, comme les Belges et les pays riverains de la Méditerranée. Il s'agit désormais d'une question vitale pour nous. Il faut donc expliquer, gentiment mais fermement, à Bruxelles et aux autres, que c'est ainsi et pas autrement. Il y a un moyen très simple pour que nous respections la lettre des traités budgétaires: sortir les dépenses de Défense des critères de Maastricht. C'est le moment ou jamais de l'exiger. 

    Jean-Michel Quatrepoint est journaliste économiste. Il a travaillé entre autres au Monde, à La Tribune et au Nouvel Economiste. Il a écrit de nombreux ouvrages, dont La crise globale en 2008 qui annonçait la crise financière à venir. Il est membre du Comité Orwell.

    Dans son livre, Le Choc des empires. Etats-Unis, Chine, Allemagne: qui dominera l'économie-monde? (Le Débat, Gallimard, 2014), il analyse la guerre économique que se livrent les trois grands empires qui règnent en maîtres sur la mondialisation.

    Son dernier livre, Alstom, scandale d'Etat - dernière liquidation de l'industrie française, est paru en septembre 2015 aux éditions Fayard.

    Entretien par Alexandre Devecchio             

  • Chauprade : Ankara, soutien sans faille au terrorisme islamiste

     

    Après le tir turc contre un avion russe abattu sur le sol syrien, Aymeric Chauprade, député français au Parlement européen, a publié le communiqué qu'on va lire. La position qu'il adopte nous semble parfaitement justifiée. Elle se situe d'ailleurs sur la même ligne que l'analyse de Frédéric Pons (Valeurs actuelles), dans la vidéo que reprend notre prochaine note. « Nous ne ferons pas la guerre à la Turquie », a-t-on assuré à Moscou, où l'on est nettement plus raisonnable qu'on le dit. Mais il nous semble évident que la Turquie est un sérieux obstacle à la lutte contre Daech. Il est une autre évidence qui ne date pas d'hier et qu'il est à peine utile de rappeler : c'est que la Turquie n'a pas sa place en Europe. LFAR    

     

    aymeric_chauprade.jpgEn abattant un Su-24 russe volant en Syrie à la frontière avec la Turquie, Ankara a clairement montré son soutien sans faille au terrorisme islamiste de Daech comme d’Al-Nosra.

    Déjà obsédé par le danger irrédentiste kurde, le Président Erdogan n’a eu de cesse d’aider l’Etat islamique à liquider la résistance des Pershmergas, en fermant sa frontière aux blessés, en acceptant la vente du pétrole de l’État islamique sur son territoire, en servant de plaque tournante au recrutement des combattants étrangers venus s’enrôler sous la bannière de Daech et en distribuant aux financiers de Daech l’argent collecté dans le monde entier.

    Le MIT, le service de renseignement turc, joue également au même jeu dangereux avec l’Etat islamique que l’ISIS pakistanaise joue avec les talibans.

    Cette politique turque à tous les niveaux – politique, militaire, financière et logistique – n’est pas nouvelle ni même étonnante : MM. Erdogan et Davutoglu sont le reflet de l’idéologie des Frères musulmans.

    Jouant le pire en Syrie et en Irak, la Turquie pratique également ce jeu trouble en Libye armant les factions islamistes ralliées à l’Etat islamique. Islamiste, soutien actif du terrorisme islamiste, mauvais allié de l’OTAN et éternel plaignant contre l’Europe, pratiquant le chantage à tous les niveaux, sur tous les sujets et systématiquement, la Turquie n’a décidemment rien à faire dans l’Union européenne ; sa politique doit être activement combattue. 

    Le blog d’Aymeric Chauprade