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Actualité Monde - Page 120

  • HISTOIRE & ACTUALITE • Le Maroc dans la Grande Guerre

     

    Par Péroncel-Hugoz

     

    peroncel-hugoz 2.jpgDurant le récent Ramadan, j’ai eu l’occasion de rencontrer un ancien haut fonctionnaire marocain, installé à Nice. Prié à son ftour, je fus surpris de l'austérité de sa table, et je crus bon d’en féliciter mon hôte, en évoquant les buffets pantagruéliques de ftours auxquels je participais naguère...

    Durant le récent Ramadan, j’ai eu l’occasion de rencontrer un ancien haut fonctionnaire marocain, installé à Nice, pays de son épouse. Prié à son ftour, rupture vespérale du jeûne, je fus surpris de la relative austérité de sa table, et je crus bon d’en féliciter mon hôte, en évoquant les buffets pantagruéliques d’autres ftours auxquels je participai naguère. Ce qui m’attira la réponse suivante de ce musulman pratiquant : «Mais, monsieur, je suis simplement fidèle à nos propres traditions et je ne suis pas de ces Arabes ayant transposé chez eux les avalanches de plats, de sucreries, de cadeaux de vos fêtes de Noël qui du coup n’ont plus grand-chose de chrétien… ». Et toc ! Impossible de le contredire. Je voulus aussi savoir ce qui, en Ramadan, changeait dans les pratiques intellectuelles de ce sage : « Ne croyez pas que je me plonge chaque soir dans nos textes sacrés, non je les ai assez pratiqués dans mon jeune temps, je les connais, je m’y réfère parfois mais je ne les ressasse pas. Tenez, regardez ce que je suis en train de lire », et il me tendit quelques feuillets intitulés, à ma surprise, « Le Maroc dans la Première Guerre mondiale ». L’auteur ? L’historienne Bahija Simou, par ailleurs directrice des Archives royales à Rabat. La lecture de Ramadan de notre Marocain était une communication énoncée par Lalla Bahija, en juin 2015, à Paris, devant l’Académie des sciences d’outre-mer dont l’intervenante est le seul membre marocain actuel. Cette institution, fondée en 1922, est un peu le pendant exotique de l’Académie française même si elle est bien moins connue, étant plus studieuse que mondaine… 

    Parmi les fondateurs ou les membres fameux de cette ASOM, on compte aussi bien Lyautey que les frères Tharaud, Léopold Senghor, Félix Houphouët-Boigny, deux rois des Belges, un ex-président portugais, etc. 

    Ma curiosité étant piquée, dès le lendemain du ftour, je me procurai la communication de Mme Simou sur cette période cruciale si peu étudiée sous son angle spécifiquement marocain. Mon « coup de chapeau » va bien sûr à l’historienne et mon « coup de dent » à ces chercheurs marocains penchés sur des sujets encombrés et «historiquement corrects » : naissance de l’Istiqlâl ; révolte de l’émir Abdelkrim ; rôle de Ben-Barka dans le mouvement tiers-mondiste, etc. La geste des guerriers arabo-berbères lancés dans la Grande Guerre en Europe suscite peu de curiosité au XXIe siècle (avec quelques exceptions comme ce groupe d’élèves du Lycée Lyautey, à Casablanca, ayant travaillé à un album sur le rôle de ces preux de jadis). Ecoutons donc quelques-unes des découvertes de Lalla Bahija : 

    - En 1912, l’Armée chérifienne ne comptait plus que 1.400 soldats en état de combattre. 

    - Le sultan Moulay-Youssef, le 20 août 1914, durant la Nuit sacrée de Ramadan, incita ceux de ses sujets volontaires pour aller se battre en Europe, à se manifester. Avec l’accord des oulémas, le monarque décréta une amnistie en faveur des déserteurs ou réfractaires qui s’engageraient. L’Empire chérifien allait bientôt disposer de 40. 000 combattants dont 33. 000 furent dirigés vers le front franco-germanique. 

    - Dès l’été 1914, la bataille de Penchard, près de Meaux, fut gagnée au corps à corps par des Marocains novices contre les forces aguerries de l’Empire allemand. Le futur maréchal Juin écrivit : « Jamais les Marocains ne m’ont semblé plus confiants qu’à la veille de la grande bataille de la Marne où ils stoppèrent l’avance allemande ». A quel prix ! 1.150 victimes marocaines autour de Meaux. L’état-major français décrivit alors les fantassins de Chérifie comme « intelligents, manœuvriers, courageux, passionnément guerriers, résistants, sobres et bons marcheurs. Ils sont meilleurs tireurs que les Algériens, etc. ». 

    - Des spahis marocains furent envoyés dans l’Armée d’Orient du général Sarrail, contre l’Empire ottoman : en Macédonie, Bulgarie, Serbie et Albanie ; ces spahis eurent 140 tués. 

    - Lyautey, résident général de France à Rabat de 1912 à 1925, voulut plus tard faire participer le Maroc en tant qu’Etat à la Conférence de la Paix mais le gouvernement français refusa de peur que les autres protectorats dans sa mouvance (Tunisie, Annam, Tonkin, Cambodge, Laos) ne réclament plus d’autonomie. Lyautey obtint seulement la création de l’Ecole militaire de Dar-Beïda à Meknès, qui allait être « le Saint-Cyr marocain » et d’où sortiraient, après l’indépendance, les Forces armées royales qui s’illustreraient notamment en Syrie, en Afrique noire ou au Sahara marocain.  

     

    Péroncel-Hugoz - Le 360

     

  • LITTERATURE & ACTUALITE • Affaires sans fin

     

    Par Ludovic Greiling

    Voici une petite bombe presque passée inaperçue. Dans un livre paru en 2014, on redécouvre que le régime mis en place au Gabon avec l’aide de l’Elysée détourne la richesse du pays et en reverse une partie… à certains de nos politiciens !

    pean-301x480-2.jpgPierre Péan est des grands journalistes. De ceux qui reçoivent les confidences de hauts dignitaires et qui mettent la main sur des documents importants. De ceux qui savent lire les livres-témoignages qui comptent. L’homme, qui avait publié Affaires africaines en 1983, complète son propos avec Nouvelles affaires africaines, paru en 2014.

     Où l’on apprend que plusieurs régimes mis en place dans les anciennes colonies sont des créations de Jacques Foccart, le « monsieur Afrique » du président Charles de Gaulle, à une époque où il fallait contrer l’influence de grands Etats voisins parfois pro-américains et anti-français.

     Des socialistes et des UMPistes financés par le Gabon

     Où l’on redécouvre qu’au Gabon, le gros de la manne pétrolière et de la dette de l’Etat ont servi à financer le clan Bongo au pouvoir, dont la fortune est estimée à plusieurs milliards d’euros.

     Le fils Ali, qui a pris le pouvoir après la mort de son père adoptif grâce au soutien de Nicolas Sarkozy, et ce en dépit d’un relatif sentiment anti-français, est aussi attiré par les pratiques vaudous que par la jet-set occidentale.

     Dans l’enquête de Pierre Péan, on découvre enfin que la fortune détournée du Gabon a aussi servi à financer les deux grands partis politiques « traditionnels » de la France jusque récemment, ainsi que plusieurs de nos ministres.

    Les liens entre les pouvoirs français et gabonais sont facilités par la franc-maçonnerie, Ali Bongo et son éminence grise Maixent Acrombessi étant responsables de la Grande Loge du Gabon, elle-même dépendante de la Grande Loge Nationale Française.

     Avec ce livre, on se doute un peu mieux de l’ampleur des financements illicites et des dépendantes financières au sein de la République. Et ça donne le tournis. 

    Nouvelles affaires africaines, de Pierre Péan (éd. Fayard, 18 euros)

     

  • Zemmour : La Turquie d'Erdogan et les mirages du Califat ... L'Histoire joue à l'éternel retour

     

    Eric Zemmour sur RTL : "Le Président Turc Erdogan se rêve en calife". Mais il n'est pas le seul au Proche-Orient à se vouloir Calife. Et les prétendants au Califat se multiplient. 

    Le président turc a perdu la majorité absolue qu'il détenait depuis treize ans au Parlement. Malgré cette déconvenue, il n'a rien perdu et tentera de se relever et de poursuivre son projet de restauration ottomane.

    Zemmour énumère les différents points du globe où l'Histoire fait ainsi de tels retours.

    Avis à ceux qui croient que l'Histoire se construit sur du neuf. Ou croient à la fin de l'Histoire. Il n'en ont pas fini avec les déconvenues !   •

     

     

     

  • Chine, la puissance inquiète ... Il n’y a pas que la Grèce, dans le monde…*

     

    Cet article - de Jean-Luc Gréau, dans Causeur - nous a vivement intéressés. Il ouvre notre regard et notre réflexion non seulement à l'existant mais aussi à des possibles futurs, fussent-ils inquiétants et en contradiction avec ce que, jusqu'à présent, il a été convenu de penser. Ainsi de la Chine, comme puissance, ou même hyperpuissance de demain. De façon naturellement inélectable. Il suffit de prolonger les courbes, n'est-ce pas ?  

    Mais ici, nous n'avons jamais cru à la théorie de la fin de l'Histoire, ni au primat de l'Economie, ni que la mondialisation, réalité d'aujourd'hui, soit nécessairement le fait devant donner forme au monde de demain, ni qu'elle doive supprimer les peuples, les nations, leurs rivalités et leurs différences, ni qu'elle doive apporter à tous égale prospérité, niveaux comparables de développement et la paix universelle. Peut-être même est-ce tout le contraire.

    Le grain de sable grec a grippé pour longtemps - peut-être définitivement - la machinerie européenne. Qu'en sera-t-il si, démentant le conformisme des prévisionnistes, le géant chinois devait entrer en crise ? Economiquement, on peut l'imaginer. Mais d'autres domaines qui y sont corrélés, devraient appeler l'attention. Par exemple le surarmement dans lequel se sont lancées les puissances asiatiques (Chine, Inde et aujourd'hui Japon). Nous ignorons si Jean-Luc Gréau nous suivrait dans de telles considérations extra-économiques. Qu'il veuille bien nous en excuser. En tout cas, son analyse - qui plus est fort bien écrite - nous a amenés à y réfléchir.  LFAR  

     

    « La Chine m’inquiète » disait la duchesse de Guermantes dans Du côté de chez Swann. Le propos, dérisoire mais divertissant, a fini par devenir vrai quand la Chine a atteint récemment le statut de premier producteur mondial aux côtés et au grand dam des Etats-Unis, après avoir trente cinq années durant élargi et renforcé sa capacité économique.

    En juin cependant, tandis que l’imbroglio grec faisait perdre leur latin aux Européens, les bourses de Shanghai et de Pékin ont offert le spectacle d’un krach qui n’était attendu par aucun des économistes spécialisés. L’effondrement des cotes, de plus d’un tiers en deux semaines, a touché toutes les valeurs et la peur s’est emparée des entreprises qui étaient cotées ou voulaient se faire introduire en bourse.

    Il y avait deux façons d’aborder l’évènement. La première consistait à prendre le mouvement comme une profonde correction survenant après cinq mois de folie qui avaient vu, depuis janvier, les cotes s’élever de 55% environ. Il aurait fallu alors attendre la stabilisation spontanée du marché revenu à plus de réalisme. La seconde consistait à s’alarmer des répercussions du mouvement qui ont eu lieu dans sa foulée : report de toutes les introductions en bourse, report de toutes les augmentations de capital, à commencer par celles envisagées par les entreprises surendettées pour renforcer leur solvabilité. C’est ainsi qu’ont réagi les autorités de Pékin.

    D’abord, en injectant de la monnaie directement vers les brokers à partir des guichets de la banque centrale, ensuite en faisant intervenir un organisme public de marché, le Chinese Finance Securities Corp, ensuite encore en mettant en action les banques commerciales d’Etat, pour un montant de plus de 200 milliards de dollars, enfin en interdisant toute vente durant six mois aux détenteurs d’au moins 5% des actions. Le caractère massif de l’intervention en dit long sur l’inquiétude du pouvoir de Pékin.

    Un mois après la baisse initiale, la perplexité s’est installée. Personne ne sait si la hausse de la cote obtenue grâce aux mesures publiques de soutien du marché va déboucher sur une stabilisation durable. Nous pouvons dire cependant que cette stabilisation sera considérée comme acquise si le mouvement d’introductions et d’augmentations de capital reprend.

    A la faveur de l’épisode, la Chine a cessé de produire l’image d’une puissance orgueilleuse, dominatrice et sûre d’elle-même. Paraphrasant la duchesse de Guermantes, on dira « La Chine s’inquiète ». Elle s’enracine sans doute dans le fait central du surendettement qui touche d’innombrables entreprises liées aux secteurs du logement et des infrastructures. Entre 2008 et 2014, l’endettement global des Chinois a rejoint des niveaux « occidentaux », passant de 140% à 250% du PIB. L’endettement nouveau s’est concentré dans les entreprises et les collectivités locales.

    L’énoncé du problème économique chinois est désormais le suivant : ou bien les autorités de Pékin parviennent à réduire graduellement la croissance, sans la casser, pour contenir la dette des entreprises ; ou bien ils acceptent une fuite en avant consistant à doper sans cesse l’économie du pays, pour repousser l’échéance d’un « crash landing » dont le krach boursier de juin n’aurait été qu’un signal précurseur.

    Il n’y a pas que la Grèce dans le monde, il y a aussi la Chine. 

     

    Jean-Luc Gréau - Causeur

    *Photo : Zhengyi Xie/REX Shutter/SIPA/Rex_Stocks_Soar_China_4900402B//1507101258

  • Chers Djihadistes, craignez le courroux de l'homme en bermuda

     

    Nous conseillons la lecture intégrale du très beau texte qui suit, en un sens prophétique, de Philippe Muray, publié en janvier 2002.

    Vincent Trémolet de Villers en a fait hier matin la trame d'un important article du Figaro en réaction aux propos de Manuel Valls qui, après les attentats sanglants de vendredi, a évoqué « une guerre de civilisation ». 

    Le texte de Philippe Muray a été lu intégralement dans la revue de presse de France Inter et cité par tous les médias. Ce texte pose avec force la question de notre civilisation, ou du moins, de ce qu'elle est concrètement devenue aujourd'hui, en contradiction avec tout ce qu'elle fut, fondamentalement, que Vincent Trémolet de Villers évoque dans son propre article.

    On peut juger très pessimiste la conclusion de Philippe Muray qui paraphrase une absurde prédiction de victoire du chef du gouvernement français peu de temps avant que la France de 1940 ne s'effondre face à l'ennemi. Sans-doute, nous ne sommes pas morts, mais nous y tendons non moins sûrement si nous ne savons pas retrouver les sources profondes de la civilisation dont nous sommes héritiers et n'a pas grand chose à voir avec cet « Occident » décadent que fustige Philippe Muray, à fort juste et exacte raison.  

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  • Et si l’Islam était « insoluble » ? par Louis-Joseph Delanglade

     

    M. Valls souhaite, après tant dautres, avoir un interlocuteur représentant de « lislam de France », de façon à pouvoir organiser les rapports que lEtat doit entretenir avec ce dernier. Mais ce nest pas si simple. Certains évoquent à ce sujet deux précédents : celui de Napoléon qui, en 1806, a pu établir, grâce à la création du Consistoire, un nouveau modus vivendi avec le judaïsme; et celui, plus connu, de la loi de séparation des Eglises et de lEtat de M. Briand, un siècle plus tard. Mais lislam, en France, nest pas le judaïsme, religion très minoritaire et présente depuis toujours dans diverses provinces. Il est encore moins le christianisme dont il na pas la légitimité historique et culturelle. 

    Une « instance de dialogue avec lislam de France » réunit donc, sous la houlette de M. Cazeneuve, les prétendus représentants des cinq millions (?) de membres de la « deuxième communauté confessionnelle » du pays. On y parle de tout ce qui peut caresser ladite communauté dans le sens du poil - comme la construction projetée de trois cents (!) mosquées. Et pour se garder de toute « stigmatisation », on ne parle pas, surtout pas, de ce qui pourrait la fâcher (radicalisation, provocations, attentats). Interrogé à ce sujet, le ministère répond benoîtement : « Nous avons estimé que ce serait un mauvais message adressé aux Français et à la communauté musulmane ».  

    A celle-ci, peut-être; à ceux-là, certainement pas. En effet, que MM. Valls et tous les politiciens et idéologues de ce pays le veuillent ou pas, lislam est ressenti par une majorité de « Gaulois » comme un corps étranger, inquiétant et dangereux - son émergence massive sur le territoire métropolitain étant trop récente, trop brutale, trop liée à des problèmes de désordre, dinsécurité, de terrorisme.  

     

    Mais la faute de M. Valls est dabord de partir dun a priori idéologique : la France laïque doit porter le « message » en Europe et dans le monde d'un islam « compatible avec la démocratie et la République ». Quelle naïveté ! il est douteux que lislam se renie au point daccepter que la religion, en loccurrence musulmane, ne soit considérée que comme une simple affaire individuelle de conscience. 

     

    M. Godard, haut fonctionnaire au ministère de lIntérieur jusquen 2014, montre, dans La question musulmane en France, que l'islam est devenu « un régulateur social sur notre territoire ». M. de Montbrial dénonce, preuves à lappui, dans Le sursaut ou le chaos « l’état de communautarisation avancé de notre société » qui fragilise la cohésion nationale, la radicalisation de milliers de jeunes Français partis ou en partance pour le jihad et, surtout, le « risque réel » de guerre civile dont nous menacent ces ennemis de leur propre pays. 

    Ce sont moins les individus qui sont en cause que la revendication de lappartenance à une communauté dont les « valeurs » et les finalités ne sont pas tout à fait compatibles avec celles de la France. 

  • Traité transatlantique : le dessous des cartes

     

    L'analyse de Jean-Michel Quatrepoint 

     

    Pour Jean-Michel Quatrepoint, ce traité sert les intérêts des « empires » allemand et américain, qui veulent contenir la Chine, dans la « guerre économique mondialisée ». Et la France dans tout ça ? C'est la question qui est posée. (Retrouvez la première partie de la réflexion de Jean-Michel Quatrepoint, sur les « empires » publiée hier, ici-même). 

     

    PHO1159e20e-cc52-11e3-a4f2-b373f3cdeec9-150x100.jpgLe traité transatlantique qui est négocié actuellement par la Commission européenne pourrait consacrer la domination économique des États-Unis sur l'Europe. Pourquoi l'Union européenne n'arrive-t-elle pas à s'imposer face au modèle américain ?

    La construction européenne a commencé à changer de nature avec l'entrée de la Grande-Bretagne, puis avec l'élargissement. On a privilégié la vision libre-échangiste. Libre circulation des capitaux, des marchandises et des hommes. Plus de frontières. Mais en même temps on n'a pas uniformisé les règles fiscales, sociales, etc. Ce fut la course au dumping à l'intérieur même de l'espace européen. C'est ce que les dirigeants français n'ont pas compris. Dès lors qu'on s'élargissait sans cesse, le projet européen a complètement changé de nature. Ce qui n'était pas pour déplaire aux Américains qui n'ont jamais voulu que l'Europe émerge comme une puissance, comme un empire qui puisse les concurrencer. L'Europe réduite à une simple zone de libre-échange, qui se garde bien de défendre des champions industriels européens, les satisfait. Un Airbus leur suffit. Les Américains défendent leurs intérêts, il faut comprendre leur jeu. Ils ont une vision messianique de leur rôle, celle d'apporter la démocratie au monde, notamment à travers les principes du libre-échange.

    Selon vous, le traité transatlantique est aussi pour les États-Unis un moyen d'isoler la Chine. Pouvez-vous nous expliquer la stratégie américaine ?

    La force des États-Unis, c'est d'abord un dynamisme, un optimisme qui leur donne une capacité de rebond extraordinaire. C'est une jeune nation. Ils se sont endormis sur leurs lauriers d'hyperpuissance dans les années 1990 et ont commencé à rencontrer des résistances. Il y a eu le choc du 11 Septembre. Mais Bush s'est focalisé sur l'ennemi islamiste, sans voir que la Chine était pendant ce temps-là en train de monter en puissance. Cette dernière est entrée dans l'OMC quelques jours après le 11 Septembre alors que tout le monde était focalisé sur al-Qaida. Mais quand on analyse les courbes du commerce mondial, c'est édifiant : tout commence à déraper en 2002. Les excédents chinois (et aussi allemands) et les déficits des autres puissances. La Chine est entrée dans l'OMC, car c'était à l'époque l'intérêt des multinationales américaines qui se sont imaginé qu'à terme elles pourraient prendre le marché chinois. Pari perdu : celui-ci est pour l'essentiel réservé aux entreprises chinoises.

    Un protectionnisme qui a fait s'écrouler le rêve d'une Chinamérique…

    La Chinamérique était chimérique, c'était un marché de dupes. Dans ce G2 les Américains voulaient être numéro un. Les Chinois aussi. Les Américains s'en sont rendu compte en 2006, lorsque les Chinois ont rendu public un plan baptisé « National medium and long term program for science and technology development » dans lequel ils affichaient leur ambition d'être à l'horizon 2020 autonomes en matière d'innovation, et en 2050 de devenir le leader mondial : non plus l'usine mais le laboratoire du monde ! Là, les Américains ont commencé à s'inquiéter, car la force de l'Amérique c'est l'innovation, la recherche, l'armée et le dollar. Si vous vous attaquez à la recherche, que vous mettez en place une armée et une marine puissantes et que vous développez une monnaie pour concurrencer le dollar, là vous devenez dangereux. Lorsque les Chinois ont affiché leur volonté de faire du yuan l'autre monnaie internationale pour pouvoir se passer du dollar, notamment dans leurs accords commerciaux bilatéraux, cela a été la goutte d'eau de trop.

    Toute attaque sur le dollar est un casus belli. Lorsqu'ils ont créé l'euro, les Européens ont fait très attention à ne pas en faire une monnaie concurrente du dollar, même si les Français le souhaitaient au fond d'eux-mêmes. Les Américains ont laissé l'Europe se développer à condition qu'elle reste à sa place, c'est-à-dire un cran en dessous, qu'elle reste une Europe atlantiste. Avec une monnaie surévaluée par rapport au dollar. Cela tombe bien puisque l'économie allemande est bâtie autour d'une monnaie forte. Hier le mark, aujourd'hui l'euro.

    Le traité transatlantique peut-il néanmoins être profitable à l'Europe ?

    Les principaux bénéficiaires de ce traité seront les multinationales américaines et l'industrie allemande, notamment automobile. L'Amérique se veut plus que jamais un empire, qui règne à la fois par le commerce, la technologie et la monnaie, mais aussi par l'idéologie.

    D'où les traités transpacifiques et transatlantiques initiés par Hillary Clinton. Celle-ci vise la présidence en 2016. Elle est à la manœuvre depuis 2010 dans une stratégie de containment vis-à-vis de la Chine, mais aussi de la Russie. L'idée est de fédérer les voisins de la Chine et de la Russie, dans une zone de libre-échange et de faire en sorte que les multinationales américaines y trouvent leur compte afin que progressivement le modèle américain s'impose et que les États-Unis redeviennent le centre du monde. C'est pourquoi les États-Unis ont empêché le Japon de se rapprocher de la Chine, la querelle entre les deux pays sur les îles Diaoyu-Senkaku ayant opportunément surgi pour casser toute velléité de rapprochement. Le Japon avec le nouveau premier ministre conservateur Abe est revenu dans le giron de Washington.

    Le principal levier de pression de cette stratégie élaborée par Hillary Clinton est l'énergie. Grâce au gaz et au pétrole de schiste, l'objectif des Américains est de ne plus dépendre des importations pétrolières (et donc de se détacher du bourbier oriental), de donner un avantage compétitif aux entreprises américaines, de rapatrier la pétrochimie sur le sol américain. Les industriels américains ont désormais une énergie beaucoup moins chère que les industriels européens, notamment allemands. L'objectif est de devenir non seulement indépendant, mais aussi exportateur d'hydrocarbures, pour faire en sorte notamment que l'Europe ne soit plus dépendante du gaz russe.

    L'énergie est la clé pour comprendre le traité transatlantique. On donne aux Allemands ce qu'ils veulent, c'est-à-dire la possibilité non seulement de développer leur industrie automobile aux États-Unis, mais aussi d'avoir les mêmes normes des deux côtés de l'Atlantique. Ils pourront produire en zone dollar avec des coûts salariaux inférieurs, des modèles qu'ils pourront vendre en zone euro, voire dans le Pacifique. Cette uniformisation des normes profitera également aux multinationales américaines. Elles sont directement à la manœuvre et participent aux négociations. Leurs objectifs : uniformiser les règles, les normes en les alignant si possible sur le niveau le moins contraignant. Notamment dans la santé, l'agriculture, les industries dites culturelles. Faire en sorte que les Etats ne puissent pas remettre en cause ces normes. Ces traités délèguent en fait une part des souverainetés populaires aux multinationales. Si les Européens acceptent cette sorte de mise sous tutelle, alors les Américains condescendront à nous exporter du gaz et surtout du pétrole de schiste à bon prix. Merkel a un plan : passer de la dépendance au gaz russe à la dépendance au charbon et au gaz américain, tout en ne froissant pas les Russes, qui restent avant tout des clients. À l'opposé de Schröder, elle est américanophile et russophobe.

    Et la France dans tout ça ? Comment peut-elle tirer son épingle du jeu ?

    La France n'a rien à gagner à ce traité transatlantique. On nous explique que ce traité va générer 0,5 point de croissance, mais ces pourcentages ne veulent rien dire. Le problème de la France c'est : comment et où allons-nous créer de l'emploi ? Et pas seulement des emplois de service bas de gamme. Notre seule chance aujourd'hui est de créer des emplois à valeur ajoutée dans le domaine de l'économie numérique, ce que j'appelle « Iconomie », c'est-à-dire la mise en réseau de toutes les activités. L'Allemagne traditionnellement est moins portée sur ces secteurs où la France est relativement en pointe. La France crée beaucoup de start-up, mais dès qu'elles grossissent un peu, elles partent aux États-Unis ou sont rachetées par des multinationales. Il faut que l'on développe nos propres normes. La France doit s'engager dans la révolution numérique. Je suis partisan de doter tous les enfants d'une tablette, ça ne coûte pas plus cher que les livres scolaires, et si on les faisait fabriquer en France (11 millions de tablettes, renouvelées tous les trois ans), cela créerait de l'emploi. Et dans le sillage des tablettes, d'innombrables applications pourraient naitre et se vendre sur le marché mondial.

    Il n'y a pas de raisons de laisser Google et autres Amazon en situation de monopole. La visite de l'Opéra Garnier en live numérique, c'est Google qui l'a faite ! La France avait tout à fait les moyens de le faire ! Si nous n'y prenons pas garde, la France va se faire « googeliser » !

    Il y a un absent dans votre livre: la Russie. Celle-ci, avec Vladimir Poutine, semble pourtant avoir renoué avec le chemin de la puissance…

    Les Américains avaient un plan, il y a 20 ans : démanteler totalement l'URSS, la réduire en de multiples confettis, pour contrôler la Russie et ses matières premières, avec pour ambition de donner l'exploitation des matières premières russes en concession aux multinationales. Si Khodokovski a été victime de la répression poutinienne, c'est bien parce qu'il allait vendre le groupe pétrolier Ioukos aux Anglo-Saxons pour 25 milliards de dollars. Et qu'il pensait s'acheter la présidence de la Russie avec cet argent. Poutine est alors intervenu. À sa manière. Brutalement. Un peu comme en Géorgie hier et en Ukraine aujourd'hui. On peut le comprendre. Il défend ce qu'il considère être les intérêts de son pays. Mais il faut aussi lui faire comprendre qu'il y a des lignes à ne pas franchir.

    Ce pourrait-il qu'elle devienne un quatrième empire ?

    Pour le moment non. Le sous-titre de mon livre c'est: qui dominera l'économie monde? La Russie est un pétro-État, c'est sa force et sa faiblesse. Poutine n'a pas réussi pour le moment à diversifier l'économie russe: c'est la malédiction des pays pétroliers, qui n'arrivent pas à transformer la manne pétrolière en industrie dynamique.  

     

    Jean-Michel Quatrepoint est journaliste économiste. il a travaillé entre autres au Monde, à la Tribune et au Nouvel Economiste. Il a écrit de nombreux ouvrages, dont La crise globale en 2008 qui annonçait la crise financière à venir. Dans son dernier livre, Le Choc des empires. Etats-Unis, Chine, Allemagne: qui dominera l'économie-monde ? (Le Débat, Gallimard, 2014), il analyse la guerre économique que se livrent les trois grands empires qui règnent en maitres sur la mondialisation : les Etats-Unis, la Chine et l'Allemagne. 

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    Entretien réalisé par Eugénie Bastié et Alexandre Devecchio

     

  • Laïcité : le renoncement des Québécois ...

     

    Un projet de loi visant à renoncer à l'interdiction du port de signes religieux du secteur public vient d'être déposé au Québec. Pour Mathieu Bock-Côté*, reléguer l'identité nationale dans le domaine privé et réduire la citoyenneté à ses droits relève de l'illusion. On remarquera son coup d'épingle final aux valeurs universalistes ou aux valeurs républicaines, comme on dit en France.  LFAR

     

    834753111.jpgDepuis 2006, avec la crise des accommodements raisonnables, la question du multiculturalisme s'est invitée au cœur de la politique québécoise et cela, de nombreuses manières. À travers elle, on se demande de quelle manière assurer la meilleure intégration possible des immigrés. La société d'accueil est-elle en droit d'imposer ses références historiques et identitaires à la manière d'une culture de convergence? Encore doit-elle, pour cela, assumer cette identité et ne pas la réduire à un catalogue de valeurs universelles. Ou doit-elle plutôt considérer l'identité de la nation d'accueil comme une identité parmi d'autres, pour éviter de discriminer celle des immigrés ?

    Le précédent gouvernement, celui du Parti Québécois (2012-2014) était de la première école et entendait, avec son projet de Charte des valeurs québécoises, définir un cadre d'intégration reposant sur la valorisation de la laïcité. Mais il ne s'agissait pas d'une laïcité abstraite, désincarnée. À travers sa défense de l'égalité entre les hommes et les femmes, elle s'accompagnait d'une défense des mœurs de la société d'accueil et cherchait, avec plus ou moins de succès, à traduire politiquement le principe suivant: à Rome, fais comme les Romains. Elle reconnaissait aussi le patrimoine historique et religieux particulier du Québec, marqué en profondeur par le catholicisme. La laïcité était considérée comme un outil pour favoriser l'intégration des immigrés à l'identité québécoise.

    La proposition péquiste recevait un appui majoritaire de la population, mais s'est vue sévèrement attaquée par la presque totalité des commentateurs, ralliée à une version ou une autre de l'idéologie multiculturaliste, et convaincue qu'on ne saurait s'en éloigner sans heurter et transgresser les droits de l'homme. Il ne serait plus légitime, dans une société pluraliste et évoluée, d'imposer quelque norme substantielle que ce soit. Si un gouvernement s'y engage néanmoins, on pourra l'accuser de pratiquer la tyrannie de la majorité et de nous faire régresser vers les heures les plus sombres de l'histoire. La démocratie contemporaine reposerait en fait sur la neutralisation de la nation et la déconstruction de tous ses privilèges illégitimes.

    Le gouvernement libéral de Philippe Couillard, élu en avril 2014, est ouvertement partisan du multiculturalisme et entend trouver la solution la moins contraignante possible à la crise de l'intégration. Faut-il permettre aux employés de l'État de porter le tchador? C'est à cette question qu'a cru devoir répondre positivement le gouvernement québécois cette semaine en présentant un projet de loi visant à encadrer de la manière la plus minimaliste qui soit les accommodements raisonnables et autres revendications ethnoreligieuses provenant plus souvent qu'autrement des communautés issues de l'immigration. Le premier ministre Couillard l'a dit: pour peu que les services publics soient offerts et demandés à visage découvert, il sera satisfait. On ne dira certainement plus qu'à Rome, on fait comme les Romains, mais qu'ici, tout est permis.

    Mais une société peut-elle n'être qu'un rassemblement d'individus atomisés seulement reliés par les droits qu'ils se reconnaissent entre eux? Une des grandes illusions de la philosophie libérale consiste à croire que la question du sens, dans le monde moderne, est appelée à se résoudre d'elle-même, en se privatisant. Tout comme la religion a été progressivement reléguée dans le domaine privé, l'identité nationale serait aussi appelée à l'être dans les décennies à venir, et les pouvoirs publics auraient simplement pour vocation d'encadrer le «vivre-ensemble» en balisant les libertés de chacun. Il n'y aurait plus de culture commune, seulement des règles partagées que les tribunaux devront faire respecter.

    Mais le libéralisme ne parvient jamais vraiment à assécher définitivement les passions politiques et à convaincre l'individu d'évoluer seulement dans le domaine privé. Car ce dernier ressent un besoin intime d'appartenance à sa collectivité. L'anthropologie des Anciens nous apprend ici une leçon qui échappe aux modernes: l'homme est un animal politique et désire s'inscrire dans la cité autrement que par un simple lien formel, administratif. Le cœur de l'homme est bouillant et il veut s'identifier existentiellement au monde dans lequel il évolue. Une cité n'est pas une construction purement artificielle, elle s'ancre dans l'histoire, elle est investie de sentiments fondamentaux inscrits dans la nature humaine et qu'elle doit canaliser politiquement.

    Lorsqu'on censure cette part de l'homme, inévitablement, elle finit par resurgir. C'est vrai dans toutes les sociétés occidentales. On aura beau vouloir dépolitiser l'identité collective et se contenter d'une forme de citoyenneté strictement réduite aux droits qu'elle offre et garantit à chacun, un pays n'est pas une page blanche non plus qu'un territoire sans profondeur historique. Et on ne saurait non plus réduire le politique au droit. L'immigration massive qui bouleverse les sociétés occidentales les force à redécouvrir leur propre identité historique et à sortir de l'illusion moderniste qui les poussait à se définir seulement par des valeurs universalistes - ou des valeurs républicaines, comme on dit en France. 

    * Mathieu Bock-Côté est sociologue. Il est chargé de cours à HEC Montréal et chroniqueur au Journal de Montréal ainsi qu'à la radio de Radio-Canada. Il est l'auteur de plusieurs livres, parmi lesquels « Exercices politiques » (VLB, 2013), « Fin de cycle: aux origines du malaise politique québécois » (Boréal, 2012) et «L a dénationalisation tranquille: mémoire, identité et multiculturalisme dans le Québec post-référendaire » (Boréal, 2007).

     

    Mathieu Bock-Côté FIGAROVOX

     

  • GRECE : L’oiseau de Minerve a les ailes lourdes, par Par Alain Pélops*

     

    Excellent synthèse de la question grecque, traitée avec bon sens ce qui est rarement le cas.

      La chouette, emblème de la capitale grecque, perchée sur l’épaule de Minerve, figure sur le tétra drachme et sur la pièce frappée par l’État grec depuis son entrée dans la zone euro ; trois mille ans les séparent.

    Capable de voir dans l’obscurité, elle symbolise la sagesse. Hegel rappelle cependant qu’elle prend son envol au crépuscule, quand le soleil se couche, que les passions s’apaisent et qu’il est trop tard pour agir.

    Que comprendre de la crise qui fait la première page des journaux ? Et quelle attitude adopter avant qu’il ne soit trop tard ?

    De fait, un hebdomadaire britannique (réputé pour son sérieux) caricature en couverture le divorce entre l’Union européenne et la Grèce, représentant Madame Merkel et Monsieur Tsipras debout côte à côte au bord du gouffre.

    Concomitamment, le gouverneur de la Banque Centrale de Grèce exprime la crainte que, dut-elle sortir de la zone Euro, la Grèce redevienne « un petit pays pauvre du sud de l’Europe ». Or cela elle est, a été, et risque de rester. L’erreur, partagée par les Européens et les Grecs, a été de la prendre pour autre chose. L’illusion n’a tenu que le temps des crédits.

    On s’efforce de poser la Grèce en pays capable de se comporter comme l’Allemagne (en adulte, demande Madame Lagarde, directrice générale du Fonds monétaire international), or la Grèce n’a rien à voir avec l’Allemagne ; c’est un petit pays pauvre du sud de l’Europe du Sud et la crise n’a rien arrangé.

    Faute de lucidité, de sang-froid, de générosité, de sagesse en un mot, l’Union européenne n’est-elle pas sur le point de manquer une occasion de légitimer son existence?

    Quel est le constat ? Les Grecs n’ont pas les moyens de rembourser leur dette. Dette d’ailleurs transférée au cours des années à la Banque centrale Européenne ou au Fonds monétaire international, mieux à même de supporter un défaut. L’euro, monnaie forte, n’est pas adaptée à l’économie du pays. Le régime d’austérité a abaissé de 15% le coût de la main d’œuvre mais n’a pas ramené la compétitivité. Le chômage de masse qui en a résulté est en train de détruire la société. Le produit intérieur brut continue de se dégrader tandis que l’activité économique repart dans les autres pays de la zone euro. Pourtant les Grecs restent en majorité attachés à la sécurité qu’elle semble offrir.

    Plutôt que de représenter Madame Merkel et Monsieur Tsipras côte à côte, comme un couple de tailles égales, il faut cesser de supposer à la Grèce des moyens qu’elle n’a pas. Admettre que si elle a eu tort de vouloir entrer dans la zone euro, d’autres ont eu tort d’accepter, les uns par orgueil (les Grecs), les autres par légèreté ou intérêt (les pays du nord du l’Europe). Monsieur Varoufakis, ministre des finances grec et professeur d’économie à Londres, rappelle sans ménagement que les dettes des uns sont les créances des autres qui se trouvent être également les exportateurs à l’origine des déficits. Il demande que les pertes soient partagées.

    La Grèce sert aussi de repoussoir aux pays de la zone Euro qui auraient des velléités de sortie, une solution adaptée à son cas risquant d’être réclamée par d’autres.

    Les Grecs retirent leurs dépôts des banques locales. Les armateurs, principaux industriels de la région, ont compris depuis longtemps le terme « off shore ».

    On n’était pas sûr que les banques ouvrent après le week-end.

    Il faut se montrer solidaires des Européens que sont les Grecs, avoir à leur endroit l’attitude de l’Allemagne vis-à-vis de ses concitoyens de l’Est. Ou faire le constat que la zone euro n’est viable que pour les semblables de l’Allemagne, c’est-à-dire pas grand monde, et en tirer les conséquences. 

      - Politique magazine

     

  • L’Algérie, ça reste un beau pays ? par Louis-Joseph Delanglade

    François Hollande et son homologue algérien Abdelaziz Bouteflika saluent la foule massée dans le centre d'Alger pour l'arrivée du chef d'État de l'ex-puissance coloniale, le 19 décembre 2012. PHOTO PHILIPPE WOJAZER, AFP

     

    Les relations économiques et politiques entre la France et lAlgérie seraient excellentes. A preuve, le nombre très élevé (7000) dentreprises françaises qui travaillent avec lAlgérie ou la coopération bien réelle dans le traitement de la lutte anti-islamiste en Afrique (sub)saharienne. Le quotidien El Watan se plaît dailleurs à citer les propos de M. Émié, Haut représentant de la République française en Algérie, lequel fait état dune grande « proximité historique et humaine » entre deux pays dont les « relations politiques [] nont jamais été aussi bonnes ». Ce qui est sûr, cest que le voyage de M. Hollande aura eu le mérite dafficher clairement quexiste bel et bien une certaine relation entre lAlgérie et la France. Pour le reste

     

    A la tonalité quasi béate des propos du chef de lEtat à Alger répond le sombre tableau de lAlgérie brossé par M. Lugan (L.F.A.R. du 16 juin). On peut difficilement nier la triste réalité : une jeunesse nombreuse et désoeuvrée, un peuple pauvre dans un pays riche, une économie fondée sur les seules ressources gazo-pétrolières, un islam-isme qui pénètre toute la société, un système opaque tenu par militaires et oligarques, etc. Et, comme le prédit, sans risque aucun de se tromper, M. Zemmour sur les ondes de R.T.L., « la cocotte minute explosera ». Et ce jour-là, la France risque de payer - encore - non seulement ses reculades et atermoiements continuels mais surtout son acoquinement conjoncturel avec un régime honni, là où il aurait fallu traiter uniquement dEtat à Etat, sans introduire de considérations idéologiques ou partisanes, comme le fait continuellement la gauche française.

     

    Le problème pour nous, Français, est que rien de ce qui touche lAlgérie ne peut, par la force des choses, nous être indifférent. Sur le plan intérieur dabord. On ne peut faire comme si nexistait pas en France même une très (trop?) nombreuse « communauté » de personnes qui se reconnaissent dans lAlgérie. Algériens, Franco-Algériens, Français par droit du sol, combien sont-ils, sur le territoire français, toujours prêts, dans leur majorité, à se mobiliser autour de tout ce qui, de près ou de loin (un match de football, une élection, des événements sanglants,  etc.), touche « leur » mère-patrie ? Peut-on  raisonnablement penser que les tensions voire les affrontements trop prévisibles doutre-méditerranée nauront pas, chez nous, des répercussions violentes ?

     

    On ne peut, par ailleurs, faire comme si lHistoire navait pas existé et si la position géographique de lAlgérie pouvait nous être indifférente. Le coeur peut-être, la raison sûrement nous commande(nt) de nouer des liens solides. Dailleurs, lAlgérie elle-même aurait beaucoup à (re)gagner à sentendre profondément et durablement avec la France. Comme ses voisins du Maghreb, elle est dores-et-déjà soumise à une formidable pression islamiste, toujours susceptible de dégénérer en islamo-terrorisme. Comme ses voisins du Maghreb, elle sera forcément victime de lexplosion démographique des pays dAfrique Noire via les flux migratoires du XXIe siècle.

     

    Si, comme le dit la chanson (Serge Lama, 1977), « lAlgérie [] ça reste un beau pays », il faudra sans doute encore beaucoup de temps pour quelle devienne au moins un partenaire crédible, au mieux un allié fiable. 

     

  • François Hollande en Algérie : entre realpolitik et auto humiliation : L'analyse de Bernard Lugan

    A la veille du déplacement de François Hollande à Alger, Bernard Lugan a publié le communiqué qui suit. Chacun sait qu'il est actuellement l'un des meilleurs connaisseurs de l'Afrique. Son analyse documentée rejoint notre souci s'agissant de la situation en Algérie et de ses évolutions prévisibles. Toute explosion politique et sociale en Algérie aurait en effet pour La France, au plan intérieur comme extérieur, de gravissimes et incalculables conséquences. LFAR 

    46878456-jpeg_preview_large.jpgLundi  15 juin, durant quelques heures, François Hollande sera en Algérie, pays en état de pré-faillite, "dirigé" par un président moribond et gouverné par l'« alliance des baïonnettes et des coffres-forts »[1].

     
    L'Algérie est en effet au bord du précipice économique, politique, social et moral. Elle est dévastée par des avalanches successives  de scandales comme ceux des détournements de fonds du programme de l'autoroute trans-algérienne (5 milliards de dollars de dessous de table pour un chantier de 17 milliards...), de la Sonatrach ou encore de la banque Khalifa; or, il ne s'agit là que des plus médiatisés.
     
    L’équilibre politique algérien repose sur un modus vivendi entre plusieurs clans régionaux et politiques qui se partagent les fruits du pouvoir au sein des deux piliers de l’Etat qui sont l’ANP (Armée nationale populaire) et la DRS (Département du renseignement et de la sécurité). Quant à l'ordre social national, il résulte d'un singulier consensus :
     
    • à l'intérieur, les dirigeants  qui vivent de la corruption et des trafics en tous genres achètent le silence d'une population qui n'ignore rien de leurs agissements, par de multiples subventions,
     
    • à l'extérieur, ils entretiennent des mercenaires, journalistes et hommes politiques stipendiés, qui font fonctionner d'efficaces réseaux de communication permettant de donner une image rassurante du pays.
     
    Or, ce système qui fonctionnait grâce à la rente pétrogazière est aujourd'hui bloqué par l'effondrement des cours du pétrole. En un an, le prix du Sahara blend algérien est ainsi passé de 110 dollars le baril  à moins de 60; or, selon le FMI (mai 2015), dans l'état actuel de l'économie de l'Algérie, le prix d'équilibre budgétaire de son pétrole devrait être de 111 dollars le baril.
     
    Résultat: au premier trimestre 2015, les recettes cumulées du budget de l'Etat  ont baissé de 13% par rapport à la même période de 2014; quant aux recettes de la fiscalité pétrolière, leur recul fut de 28%. Dans ces conditions, les 200 milliards de dollars de réserves de change dont disposait l'Algérie avant la chute des cours du pétrole fondent comme neige au soleil et  le Fonds de régulation des recettes (FRR) alimenté par les ventes des hydrocarbures et dans lequel l'Etat puise pour tenter de prolonger la paix sociale n'est plus alimenté.
     
    La situation est donc gravissime[2]. D'autant plus que les parts de marché de la Sonatrach en Europe  vont baisser en raison de la concurrence de Gazprom qui fournit le gaz russe entre 10 à 15% moins cher que celui produit par l'Algérie. Sans compter que depuis 2014, devenu autonome grâce à ses gisements non conventionnels, le client américain qui représentait  entre 30 et 35% des recettes de la Sonatrach a disparu...
     
    Autre phénomène angoissant pour les autorités algériennes, le prix du gaz naturel liquéfié lié au prix du pétrole et des produits raffinés va de plus en plus être aligné sur le prix du gaz naturel américain, ce qui, selon les experts devrait mettre le GNL algérien entre 30 et 40% de ses prix antérieurs. L'Algérie est donc bien au bord du précipice.
     
    Dans ces conditions, face au double phénomène de baisse de la production et de baisse des cours, l'Etat-providence algérien est condamné à prendre des mesures impopulaires: suspension des recrutements de fonctionnaires, abandon de projets sociaux indispensables, de projets transport comme de nouvelles lignes de tramway ou la réfection de voies ferrées. Il est également condamné à  rétablir les licences d'importation afin de limiter les achats à l'étranger, ce qui va encore amplifier les trafics. Le coût des produits importés n'est en effet plus supportable; d'autant que, même les productions traditionnelles (dattes, oranges, semoule pour le couscous) étant insuffisantes, leur volume d'importation est toujours en augmentation. Pour ce qui est des seuls  biens de consommation, la facture est ainsi passée de 10 milliards de dollars en 2000 à une prévision de plus de 65 milliards de dollars pour 2015. Quant aux subventions et aux transferts sociaux, ils atteignent 70 milliards de dollars par an, soit environ 30% du PIB.
     
    L'Algérie va donc devoir procéder à des choix économiquement vitaux mais politiquement explosifs. Le matelas de 80 milliards de dollars de son fonds de régulation (FFR) et ses réserves de change  qui étaient tombées à un peu plus de 180 milliards de dollars au mois de janvier 2015, ne lui permettront en effet de faire face que durant deux années puisque les dépenses inscrites au budget 2015 sont de 100 milliards de dollars...
     
    L'Algérie est donc dans la nasse car, elle qui ne produit rien est pourtant condamnée à continuer d'importer afin de nourrir, soigner et habiller sa population. Comme dans les années 1980, l'explosion sociale semble donc inévitable. Avec en toile de fond les incertitudes liées à la succession du président Bouteflika.
     
    C'est donc dans un pays en faillite dans lequel les islamistes sont en embuscade et dont l'équilibre est vital pour notre sécurité, que se rend François Hollande, porteur d'un singulier message rédigé par des associations dont la représentativité prêterait à sourire si elles ne constituaient pas le noyau dur de l'actuel régime français. Pour l'Association des anciens appelés en Algérie et leurs amis contre la guerre (4ACG), pour l'Association nationale des pieds-noirs progressistes et leurs amis (ANPNPA) et pour l'Association des réfractaires non violents (ARNV) " le moment est venu pour la France de reconnaître, du plus haut niveau politique (...) les crimes et les horreurs commis pendant les 132 ans que dura la colonisation de l'Algérie".
     
    Au mois de décembre 2012, lors de son précédent voyage à Alger, François Hollande était déjà allé à Canossa mais, comme les Bourgeois de Calais, il avait tout de même gardé sa chemise. La conservera-t-il aujourd'hui alors que, candidat aux prochaines élections présidentielles, il est prêt à tout afin de tenter de regagner les précieux suffrages des électeurs franco-algériens qui s'étaient détournés de lui avec le « mariage pour tous » ?
      
    NB : Les rentiers de l'indépendance qui forment le noyau dur du régime prélèvent, à travers le ministère des anciens combattants, 6% du budget de l'Etat algérien, soit plus que ceux des ministères de l'Agriculture (5%) et de la Justice (2%)... 
     
    Bernard Lugan
    14.06.2015
     
  • Bien commun et idéologie partisane par Jean-Baptiste d'Albaret

     

    Où s’arrêtera la progression de Daesh ? En s’emparant de l’oasis de Palmyre, situé sur un axe reliant ses conquêtes syriennes à ses fiefs en Irak, l’État islamique (EI), que l’on disait affaibli, déploie encore un peu plus son rêve millénariste de califat sur le théâtre proche-oriental. Avec la prise de ce joyau antique dont la destruction semble programmée, l’EI est désormais maître de la moitié du territoire de la Syrie. Il contrôle l’ensemble des champs pétroliers et gaziers du pays et la route vers Damas. Damas qui serait sans doute déjà tombée sans l’aide de ses alliés chiites du Hezbollah et de l’Iran.

    Affaibli par quatre années de guerre, le régime al-Assad n’en est pas moins en train de se replier sur ses derniers bastions. Il lui faut se résoudre à une partition de facto du pays en limitant ses ambitions à la « Syrie utile ». Dans ces zones côtières ouvertes sur la Méditerranée, il doit en plus faire face aux insurgés regroupés dans une nouvelle coalition dominée par les jihadistes du front al-Nosra, la branche locale d’al-Qaida.

    Triste réalité du Proche-Orient où rien ne semble pouvoir résister aux forces de destruction qui éliminent tout ce qui ne leur ressemble pas. Il y a quelque chose de navrant à voir les Occidentaux, si prompts à délivrer des leçons de morale, incapables de s’opposer à cette tragédie humaine qui se double d’un désastre architectural. Seule, la campagne aérienne menée par les Etats-Unis et ses alliés – plus de 3 000 raids en Irak et en Syrie depuis un an – se révèle insuffisante pour enrayer la progression des hordes sauvages du calife auto-proclamé Abu Bakr al-Baghdadi.

    Mais, sans engagement de troupes au sol, ce qui ne serait pas forcément la solution, quelle stratégie pourraient-ils mettre en œuvre ? Partout dans le monde arabe, la dite « communauté internationale » paie le prix de ses interventions irréfléchies. Motivée par un pseudo-humanitarisme manichéen, la diplomatie des droits de l’homme, qui consiste à plaquer le « modèle » démocratique occidental dans des pays sans culture étatique, vire à la loi du plus fort et à la catastrophe humanitaire. En Syrie, à seule fin de faire tomber le « dictateur » Bachar al-Assad – un Assad qui ne demandait pourtant qu’à normaliser ses relations avec les capitales occidentales –, les dirigeants américains et leurs alliés ont financé et armé des groupes islamistes radicaux qui se sont empressés de mettre en pièces les forces rebelles « modérées » avant de se déverser sur l’Irak pour mettre le pays à feu et à sang. Les Américains savent pourtant mieux que personne que la créature islamiste finit toujours par échapper à ses maîtres ! Ils l’ont vécu en Iran, en Afghanistan, en Irak… et maintenant en Syrie.

    Quant à la France, qui avait l’occasion de se rapprocher de la Russie dans la recherche d’une solution diplomatique crédible, elle a préféré surjouer, même par rapport au jeu de Washington, sans retenir la leçon de la Libye où son interventionnisme stupide a abouti à la division du pays en factions irréconciliables. Et ouvert la voie aux flots ininterrompus de migrants qui viennent s’échouer sur les côtes méridionales de l’Europe.

    Pendant ce temps, les volontaires français partis faire le djihad en Syrie et en Irak – ils seraient actuellement 1500 à 2000 – reviennent aguerris dans notre pays. Situation explosive qu’une loi sur le renseignement est censée prévenir. Encore faudrait-il, comme on le lira dans notre dossier, que le gouvernement cesse de confondre bien commun et idéologie partisane. Est-ce trop lui demander ?

    Politique magazine

  • Jean-Michel Quatrepoint : « Un super État islamique aux portes de l'Europe est possible »

     

    ENTRETIEN - L'effondrement du régime d'Assad est désormais une hypothèse plausible pour le journaliste Jean-Michel Quatrepoint, vice-président du Comité Orwell. De même qu'un Etat islamique durablement installé aux portes de l'Europe. Dans cet entretien réalisé par Alexandre Devecchio pour Le Figaro, Jean-Michel Quatrepoint développe des analyses réalistes à l'opposé de la diplomatie idéologique conduite aujourd'hui par les Etats dits « occidentaux ». Nous n'avons jamais rien dit d'autre dans Lafautearousseau.  

                 

    4163199303.jpgLe 21 mai dernier, la cité antique de Palmyre tombait aux mains de l'État islamique. Cela a-t-il marqué un tournant géopolitique? Bachar el-Assad est-il menacé ? 

    Bachar el-Assad tente d'organiser une zone de défense dans le réduit alaouite sur le littoral. Mais Daech progresse inéluctablement. Au sein du régime d'Assad, c'est un début de sauve-qui-peut. L'armée est épuisée. Les hauts dignitaires se disent qu'il vaut mieux partir trop tôt que trop tard. Les Russes commencent à évacuer leur personnel, ce qui n'est pas bon signe. L'affaiblissement du régime ne renforce pas les opposants dits démocratiques, qui ne représentent pas grand-chose, mais bien la seule force offensive de la région qu'est Daech. 

    Lorsqu'il y a des mouvements révolutionnaires, ce sont toujours les extrêmes qui l'emportent dans un premier temps: la terreur jacobine contre les modérés girondins, les bolcheviks contre les mencheviks. On ne peut plus exclure aujourd'hui que Daech prenne, dans les semaines ou les mois qui viennent, le contrôle quasi-total de la Syrie. L'État islamique aura ainsi un territoire qui s'étendra sur la Syrie et la moitié de l'Irak. Le Liban, mosaïque ô combien fragile, va également être totalement déstabilisé. Enfin, Israël a joué avec le feu en appuyant la chute de Saddam Hussein et peut-être bientôt celle de Bachar el-Assad, et en faisant de l'Iran et des chiites ses principaux adversaires. Les combattants du Hezbollah ou du Hamas sont des enfants de chœur à côté des djihadistes de Daech. Les Occidentaux vont regretter Bachar el-Assad comme ils regrettent Saddam Hussein ou Kadhafi. Le regard des Européens est encore tourné vers la Russie alors que la véritable menace se trouve de l'autre côté de la Méditerranée avec Daech. Il faut bien comprendre que l'État islamique est messianique et a pour but de nous islamiser. C'est toute la différence entre chiisme et sunnisme. Les chiites ne sont pas messianiques, hors de la sphère musulmane. L'Iran n'a pas de volonté de conquête. La vraie ambition des sunnites fondamentalistes est au contraire d'aller toujours plus loin. 

    Le Maghreb pourrait-il à son tour être affecté ? 

    La Tunisie est une poudrière. En Algérie, la gérontocratie au pouvoir est en bout de course malgré le souvenir de la guerre civile qui fait que la population algérienne reste très hostile aux islamistes. Au Maroc, le roi commandeur des croyants a encore une légitimité auprès de sa population. Mais en profondeur l'islamisme radical gagne du terrain partout. À terme, toutes les frontières de la région pourraient exploser et laisser place à un super État islamique aux portes de l'Europe. 

    Pendant ce temps-là, nous débattons pour savoir si être islamophobe, c'est être fasciste. Le problème n'est pas là. À l'intérieur de l'islam, il y a désormais une faction qui recrute massivement et qui a décidé d'imposer sa propre vision du monde et de la société. Le fascisme d'aujourd'hui, c'est le djihadisme. Et il est à nos portes. La communauté musulmane doit en être consciente et prendre ses responsabilités. Elle se trouve, toutes proportions gardées, dans la même situation que les Allemands à la veille de l'arrivée au pouvoir d'Hitler. 

    L'avancée de Daech au Moyen-Orient est-elle inéluctable? Qui pourrait s'y opposer ? 

    Apparemment personne. Les frappes de la coalition, plus de quatre mille, ont été non seulement inefficaces, mais aussi contre-productives. Les djihadistes ont appris à se camoufler. À chaque dégât collatéral, les populations sunnites se rangent du côté de Daech. Les Kurdes sont les seuls jusqu'à maintenant à avoir pu réellement s'opposer à Daech et à avoir reconquis un petit territoire à Kobané. Mais il serait suicidaire pour eux d'aller affronter Daech hors du territoire kurde. Ils tiennent leur territoire et n'iront pas au-delà. L'Iran, bloquée par la Turquie, ne peut pas faire passer de troupes. Ce ne sont pas les Saoudiens ou les Turcs qui vont lutter contre Daech. L'ambiguïté turque et saoudienne demeure très importante. Le jour où adviendra un super État islamique, on peut être certain que la Turquie et l'Arabie saoudite continueront de composer, voire au-delà, avec eux. Daech est en train d'asphyxier tous ses adversaires. 

    Une intervention militaire au sol n'est-elle pas envisageable ? 

    Personne ne veut ou ne peut intervenir au sol. Barack Obama ne souhaite pas se mettre à dos son opinion publique et désire réduire le budget militaire. La défense européenne est entièrement soumise à l'Otan qui n'a aujourd'hui qu'un ennemi potentiel, la Russie. Quant à l'armée française, elle est exsangue et ne peut pas multiplier les opérations. Nous sommes au Mali et avons quelques forces spéciales ailleurs. Mais cela fait vingt ans que les gouvernements successifs réduisent le budget de la défense. Nous en payons le prix aujourd'hui. Les frappes de la coalition sont entièrement pilotées par les États-Unis. Les Américains manipulent les drones avec leurs opérateurs. Les autres membres de la coalition, dont l'Union européenne, ont seulement le droit à un petit bureau avec un poste de travail et deux écrans. Leur rôle se limite à un travail de présence et de surveillance. 

    L'instabilité de la région conduit les migrants à fuir en masse d'autant plus que la Libye est également en plein chaos. Comment résoudre le problème ? 

    Les opérations conjointes des marines européennes pour bloquer les flots de migrants sont une aimable plaisanterie. Les réseaux de trafiquants n'affrètent plus de gros bateaux, mais de petites embarcations. Ils ne mettent plus leurs hommes aux manettes, mais nomment un chef de groupe parmi les migrants qui sait vaguement conduire le bateau. Ils lui donnent le numéro d'urgence des gardes-côtes et au milieu de la Méditerranée, ces derniers viennent les sauver pour les ramener en Europe. Les trafiquants sont tranquilles et empochent des sommes considérables sans prendre de risque. 

    Deux solutions complexes sont avancées par les professionnels. La première est d'effectuer des frappes ciblées ou des raids par des commandos des forces spéciales pour détruire les navires au repos avant l'embarcation des passagers. Des problèmes risquent néanmoins de se poser: celui du cadre juridique -autorisation des dirigeants libyens, résolution de l'ONU- et celui des dégâts collatéraux. Est-ce que les médias et les opinions publiques européennes sont prêts à accepter des victimes innocentes parmi les migrants et dans les villages libyens? On peut se poser la question, mais on ne fait pas de politique avec des bons sentiments et une mentalité de bisounours. 

    La deuxième solution complémentaire est de tarir les flux à la source. Les réfugiés empruntent des pistes qui passent par le Mali, le Niger, le Tchad puis la Libye. Ils sont convoyés par des passeurs: les mafias, mais aussi l'État islamique, qui joue un rôle de plus en plus important. Les Européens doivent faire pression sur les pays africains, qu'ils aident, pour mettre de l'ordre. Si ces derniers n'en sont pas capables, ce sera à nous le faire. À long terme, il faudra également enfin mettre en place une vraie politique de développement en Afrique. Malheureusement pour le moment, les Européens se contentent d'accueillir toute la misère du monde et de faire pleurer dans les chaumières. Cela ne résout rien.    

    Jean-Michel Quatrepoint est journaliste économiste. Il a travaillé entre autres au Monde, à la Tribune et au Nouvel Economiste. Il a écrit de nombreux ouvrages, dont La crise globale en 2008 qui annonçait la crise financière à venir.

    Dans son dernier livre, Le Choc des empires. Etats-Unis, Chine, Allemagne: qui dominera l'économie-monde ? (Le Débat, Gallimard, 2014), il analyse la guerre économique que se livrent les trois grands empires qui règnent en maitres sur la mondialisation : les Etats-Unis, la Chine et l'Allemagne.

    Alexandre Devecchio - Le Figaro