M.Fabius a mangé son chapeau …
Les présidents Sarkozy et al-Assad à Paris en 2008 © Copyright : DR
Par Péroncel-Hugoz
Péroncel-Hugoz s’en prend cette semaine aux palinodies de la France dans l’affaire syrienne, et pour cela il remonte loin en arrière.
La cruauté des gros plans télévisés sur les traits des politiciens en difficultés a parfois quelque chose d’insoutenable: il fallait voir en cette fin septembre la terrible mine plus que grise, funèbre même de Laurent Fabius, ministre français des Affaires étrangères, pendant que le président Hollande annonçait à la Terre entière que l’armée de l’air française avait commencé ses «frappes» (on ne dit plus « bombardements», mot qui effraie les opinions publiques occidentales, pauvres chéries trop sensibles…) sur Daech en Syrie.
Le temps n’est pas si lointain où M.Fabius, qui paraissait alors avoir mangé du lion, tonnait Urbi et Orbi contre « Bachar» (maintenant il l’appelle de nouveau Monsieur Bachar al-Assad …) qui, selon l’hôte du Quai d’Orsay, «n’en avait plus que pour quelques mois» … A l’époque, MM. Hollande et Fabius, tous deux alors très va-t’-en-guerre, voulaient même « bombarder» (là on employait carrément ce mot …) les lieux du pouvoir syrien, et impliquer dans ce projet très guerrier les Etats-Unis d’Amérique, lesquels se débinèrent, laissant les deux dirigeants français tout penauds, seuls au milieu du gué .
Le résultat de ces pas-de-clercs (pas brillant, pour de vieux routiers de la politique comme Hollande et Fabius), de ces erreurs graves, ce fut le visage ravagé de Laurent Fabius offert par toutes les télévisions de la planète en ce début d’automne. Naguère, en France, quand un ministre était à ce point désavoué par les faits, il démissionnait ou était «démissionné». Ce n’est apparemment plus le cas. M. Fabius a donc mangé son chapeau, comme on dit vulgairement. Espérons qu’il le digèrera !
En marge de toute légalité internationale- que ne dirait-on pas si un Etat arabe venait se mêler militairement d’un problème européen ?!-, la France bombarde donc maintenant la partie syrienne de l’entité daechiste. Elle a déjà jeté 215 tapis de bombes, ces derniers mois, sur de présumées installations militaires relevant en Irak du «calife de Raqqa et Mossoul», actes de guerre qui ne semblent pas avoir fait reculer d’un pouce, territorialement ou diplomatiquement, les islamistes armés, lesquels sont en train benoîtement d’émettre leur propre monnaie et ont reçu allégeance de consistants groupes jihadistes du Caucase au Nigéria via la Libye …
Non seulement les « frappes» françaises sur la Syrie ont peu de chance d’entraîner des reculs importants de Daech sur le terrain mais elles risquent fort de raviver des drames historiques, oubliés dans une France autruche qui n’apprend plus l’histoire de ses aventures outre-mer, histoire restant en revanche à fleur de mémoire dans un pays hypernationaliste comme la Syrie. Je l’appris d’ailleurs à mes dépens, sous la dictature de Hafez al-Assad, père de Bachar, lorsque je publiai la liste des sévices pratiqués dans les prisons du régime baassiste . Je fus interdit de séjour à Damas, comme journaliste français « ayant oublié les horreurs du colonialisme français en Syrie » …
Paris, en effet, entre 1920 et 1945, exerça un « mandat » de la Société des Nations (l’ONU de l’époque) sur la Syrie et le Liban, anciennes provinces ottomanes que la France devait « préparer à l’indépendance ». Cette préparation fut ardue, ponctuée déjà de révoltes et bombardements. Et cela ne va pas tarder sans doute à être rappelé vertement à la France actuelle, surtout si des populations civiles sont victimes de « dommages collatéraux », causés par des avions français: il y a tout de même six ou sept millions de personnes vivant à présent sous l’autorité de Daech !
Je tiens à préciser que, malgré mes démêlés journalistiques avec al-Assad père, j’ai toujours estimé qu’al-Assad fils, tout dictateur qu’il est, constitue actuellement un moindre mal et pour son pays et pour le reste du Proche-Orient.
Ce que personne sans doute ne dira, de peur de remuer encore le couteau dans la plaie d’amour-propre de M.Fabius, c’est que ce soutien indirect mais soutien tout de même, que Paris apporte désormais au régime damascène, n’est au fond qu’un retour vers le passé pour la famille al-Assad et Paris. Retour bien plus en arrière encore que l’invitation acceptée du président Sarkozy à son homologue Bachar al-Assad à assister, le 14 juillet 2008, au grand défilé militaire national de Paris. Dans les années 1930, le grand-père de Bachar fut le chouchou des autorités mandataires françaises en Syrie, un peu, comme à la fin de la période protectorale au Maroc, le Glaoui fut « l’homme de la France » à Marrakech. Cet aïeul syrien, en compagnie d’autres notables locaux, demanda avec insistance à Paris de rester au Levant, de peur qu’en cas d’indépendance de la Syrie, la majorité sunnite n’exerce des représailles sur la minorité noçairie (dite aussi « alaouite » à cause de son attachement au calife Ali, gendre du prophète Mohamed). Cette minorité, plus ou moins chiite, il est vrai longtemps défavorisée, fut mise en selle par des officiers français des Affaires indigènes syriennes. Un « Etat autonome » du Djebel-Alaouite fut même installé durant quelques années par les Français autour de Lattaquié pour rassurer les Noçairis. Tout cela aboutit, en 1970, à la prise du pouvoir à Damas par le clan Assad. Verra-t-on de nouveau un jour un al-Assad « ami de la France ? » Pas impossible ! Si l’Histoire ne se répète pas, elle ne peut s’effacer. •
Péroncel-Hugoz - Le 360
De Gaulle en ses Mémoires : « Vers l'Orient compliqué, je m'envolai avec des idées simples.» Mieux valent des idées simples que pas d'idées du tout. C'est ce vide quasiment abyssal qui semble régner sur la politique étrangère de la France, et ce, depuis quelques années. Sarkozy voulut se débarrasser de Kadhafi au nom de la liberté et des droits de l'homme, ce qui était tout à fait légitime, mais ce faisant, il a complètement ignoré le fait qu'une dictature peut en cacher une autre, pire encore. Kadhafi était une brute sanguinaire que gouvernements de gauche et de droite reçurent en grande pompe, puisque le pétrole reste l'horizon indépassable de notre temps européen. L'on se rappelle les vivats médiatiques, les poèmes lyriques et les autocongratulations euphoriques qui accueillirent la chute du tyran. Résultat des courses : la voie des grandes migrations fut ouverte avec fracas et, dans leur candeur naïve, nos protagonistes ne songeaient même pas, les choses méditerranéennes étant ce qu'elles sont, qu'aux serments de Tobrouk allaient succéder les décapitations de Syrte.
Le 14 septembre 2015, un coup de tonnerre a retenti dans le ciel serein des certitudes démocratiques européo centrées quand le Conseil suprême des tribus de Libye désigna Seif al-Islam Kadhafi comme son représentant légal. Désormais, voilà donc un fils du défunt colonel seul habilité à parler au nom des vraies forces vives de Libye...

Il n’y a pas une semaine durant laquelle la presse n’évoque un nouveau drame environnemental, mais sans que cela ne suscite autre chose qu’une sorte de fatalisme bien-pensant ou moult déclarations désolées et lénifiantes, malgré quelques tentatives de réaction, vite étouffées par l’oligarchie médiatique ou, simplement, par l’oubli des informations de la veille. Ainsi, la sixième extinction animale et végétale, puis la vidange accélérée des océans, n’ont occupé quelques colonnes de journaux et quelques minutes d’écran que le temps d’une journée vite achevée, et ces informations reviendront l’année prochaine, entre une déploration sur le réchauffement climatique et une lamentation sur la bétonisation des campagnes, désormais véritables marronniers télévisuels et imprimés…
En Algérie, les récents limogeages opérés à la tête de l'armée et des services spéciaux ont une explication: le pays n'est plus gouverné par le président Abdelaziz Bouteflika, mais par Saïd, son frère.