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Actualité Monde - Page 117

  • Frédéric Pons • Avion russe abattu : « une nouvelle provocation de la Turquie »

    Recep Tayyip Erdoğan, le président turc, s'oppose à l'intervention des Russes en Syrie. AFP

     

    Après l'attaque de la Turquie qui a abattu un avion militaire russe, Frédéric Pons, rédacteur en chef Monde à Valeurs Actuelles, décrypte les enjeux de cette provocation. Son analyse nous semble rejoindre le propos d'Aymeric Chauprade.   

  • Alain de Benoist : « La paix est une chose fragile, et ne sera jamais l’état naturel d’une société… »

     

    Un entretien, sur Boulevard Voltaire, où, une fois encore, Alain de Benoist rappelle une vérité élémentaire ...

    Il y note que la guerre est une constante de l'Histoire, qu'elle n'est naturellement pas abolie parce qu'il est impossible d'en faire disparaître les causes; qu'enfin - ce que Maurras expliquait déjà en termes presque identiques - « l’abolition de l’État-nation n’y changerait rien : au sein d’un "État mondial", les guerres étrangères seraient seulement remplacées par des guerres civiles. »   LFAR  

     

    1530443371.jpg« Cette fois, c’est la guerre », titrait Le Parisien au lendemain des attentats du 13 novembre. « Nous sommes en guerre », a, lui aussi, déclaré Manuel Valls. C’est votre avis ?

    Bien sûr. Mais pourquoi le dire si c’est évident ? Toute la question est là : nous sommes en guerre, mais beaucoup de Français ne le comprennent pas. Aux attentats du 13 novembre qui, à la différence de ceux de janvier dernier, ne visaient personne en particulier, mais tout le monde indistinctement, ils répondent en des termes convenus qui ressortissent principalement au registre humanitaire (« tristesse, horreur »), lacrymal (« ayons une pensée pour les victimes ») et maternel (« protégez-nous des méchants »). Ils observent des minutes de silence et allument des bougies comme ils le feraient à l’occasion d’une tuerie perpétrée par un fou dans une école, d’une catastrophe aérienne ou d’un tremblement de terre meurtrier. Ils proclament « même pas peur », quitte à détaler comme des lapins à la moindre fausse alerte. Peur, insécurité, psychose. En fin de compte, les attentats se ramènent à un déchaînement de violence incompréhensible dont sont responsables « ceux qui aiment la mort » et dont sont les victimes « ceux qui aiment la vie ». Ce vocabulaire, cette attitude, ces réactions ne sont pas ceux de gens qui ont compris ce qu’est la guerre. Les attentats ont frappé des hommes et des femmes qui n’avaient pas le sentiment d’être en guerre ou d’en vivre une.

    Il n’est jusqu’au terme de « kamikazes » qu’on voit maintenant employé partout, alors qu’il est totalement inapproprié. Les pilotes kamikazes (« vent divin ») étaient des soldats japonais qui sacrifiaient leur vie en allant frapper des objectifs militaires, pas des fanatiques qui allaient se faire exploser pour tuer des civils !

    Comment expliquer cette incompréhension ?

    D’abord parce que cette guerre est d’un genre particulier, puisqu’elle combine guerre conventionnelle sur le terrain et terrorisme, et que l’ennemi se recrute en partie chez nous. Ensuite, parce qu’on n’a jamais vraiment expliqué aux Français pourquoi nous avons choisi de nous y engager. Devions-nous prendre part aux côtés des Américains au conflit qui, à l’heure actuelle, oppose les sunnites et les chiites ? Et pourquoi nous acharnons-nous à refuser toute collaboration avec la Syrie et l’Iran, qui combattent Daech les armes à la main, tout en continuant à faire la cour aux dictatures pétrolières du Golfe, qui soutiennent directement ou indirectement les djihadistes ? Un tel manque de clarté ne favorise pas la compréhension.

    La vraie raison, cependant, est ailleurs. En dehors des guerres liées à la décolonisation (Indochine, Algérie), la France est en paix depuis 70 ans. Cela veut dire, non seulement que les jeunes générations n’ont jamais connu la guerre, mais – cas unique depuis des siècles – que leurs parents ne l’ont pas connue non plus. Dans l’imaginaire collectif de la majorité des Européens, la guerre, c’est fini. Ou plus exactement, c’est fini chez nous.

    En dépit des événements qui ont ravagé l’ex-Yougoslavie, et de ce qui se passe actuellement en Ukraine, ils ont le sentiment qu’en Europe, la guerre est devenue impossible. Ils s’imaginent que la construction européenne a créé un état de paix qui ne peut que durer (en réalité, c’est l’inverse : l’Europe n’a pas empêché la guerre, c’est la fin de la guerre qui a permis de créer l’Europe). Bien sûr, ils savent que l’armée française poursuit des « opérations » dans certains pays, comme le Mali, mais tout cela leur apparaît comme quelque chose qui ne les concerne pas, d’autant que les théâtres d’opérations sont lointains.

    C’est aussi la raison pour laquelle ils parlent de « scènes d’apocalypse » pour désigner des attentats qui ont fait 130 morts. Quels mots emploieraient-ils pour désigner ces périodes de la Première Guerre mondiale où les combats faisaient plus de 20.000 morts par jour ? Il leur reste à apprendre que la paix est une chose fragile, et qu’elle ne sera jamais l’état naturel d’une société. Y compris en Europe.

    Le vieux rêve de « faire disparaître la guerre » n’en reste pas moins présent dans les esprits… même s’il n’y a jamais eu autant de guerres dans le monde que depuis que la guerre a été officiellement abolie !

    Surtout dans l’esprit des pacifistes qui veulent « faire la guerre à la guerre », sans même s’apercevoir du caractère contradictoire de ce slogan. Mais le pacifisme n’est pas la paix, c’est même le contraire. Lorsqu’en 1795, Emmanuel Kant publie son Projet de paix perpétuelle, qui s’inscrit dans le sillage de l’abbé de Saint-Pierre (Projet pour rendre la paix perpétuelle en Europe, 1712-1713), il se contente de faire de la « paix perpétuelle » une exigence de la raison pratique : « La raison moralement pratique énonce en nous son veto irrévocable : il ne doit pas y avoir de guerre. » On voit par là qu’il s’agit d’un vœu pieux, car s’il était possible de réaliser en pratique ce qui ne peut relever que du domaine de la raison pure, la distinction entre l’empirique et le métaphysique n’aurait plus de raison d’être. Le projet kantien postule en réalité la domination du droit par la métaphysique et la morale, et l’affirmation de la souveraineté de la métaphysique sur la pratique.

    La paix ne se conçoit pas sans la guerre, et le contraire est également vrai. La guerre restera toujours une possibilité, parce qu’on ne pourra jamais faire disparaître ce qui la provoque, à savoir la diversité virtuellement antagoniste des aspirations et des valeurs, des intérêts et des projets. L’abolition de l’État-nation n’y changerait rien : au sein d’un « État mondial », les guerres étrangères seraient seulement remplacées par des guerres civiles. On ne fait pas disparaître un ennemi en se déclarant « pour la paix », mais en se montrant plus fort que lui. 

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    Entretien réalisé par Nicolas Gauthier - Boulevard Voltaire

     

  • Une sage & juste maxime à l'usage des gouvernants ...

     

    Grande conférence de presse annuelle [20.11.2015]

  • LIVRES & ACTUALITE • Un regard inédit sur Hassan II

     

    Par Péroncel-Hugoz

     

    Peroncel-Hugoz a lu le tout nouvel ouvrage de l’ancien ministre français Philippe de Villiers, qui connut feu le roi Hassan II (1929-1999) et à qui il consacre tout un chapitre bien « pimenté ».

     

    peroncel-hugoz 2.jpgAyant renoncé à toute carrière politique, après avoir servi la France aussi bien sous le président Mitterrand que sous le président Chirac, l’ex-élu vendéen et européen, Philippe de Villiers, homme politique atypique, ne cachant pas ses fidélités capétienne* et chrétienne, se consacre maintenant à ses mémoires. Et aussi à gérer les grands spectacles historiques du Puy-du-Fou (Vendée), succès mondial que même les Etats-Uniens, d’habitude peu enclins à décerner des lauriers à des réussites françaises, ont plébiscité … la Russie de Vladimir Poutine également, et désormais Villiers est mandaté par le président russe pour installer deux grandes manifestations historiques pérennes sur la Terre des Romanoff, ce qui fait grimacer les hiérarques socialistes de Paris, spécialistes des coups bas contre le « nouveau tsar Poutine », même quand il est un bon client du savoir-faire français … 

    Mais ce qui nous intéresse aujourd’hui, ce sont les notations inédites de Villiers sur Hassan II, avec qui il entretint des rapports directs à partir du moment où l’élu franco-européen s’impliqua dans des projets de co-développement au Maroc. Extraits donc du chapitre XVI du nouveau livre de Villiers, chapitre intitulé « Hassan II le visionnaire ». Déjà tout un programme… 

    « 9 juin 1992, à Rabat, Alexandre de Marenches, ancien patron des Services secrets français [et proche d’Hassan II] me dit : Sa Majesté chérifienne vous attend … Pressez-vous ! 

    Le roi m’attend, debout dans la salle du trône et après quelques propos sur la formation de techniciens marocains pour la gestion des ressources en eau, il attaque un tout autre sujet : 

    - Pourquoi n’aimez-vous pas Lyautey ?

    - Sire, j’aime Lyautey !

    - Pas vous, mais les élites françaises …

    - C’est à cause du colonialisme …

    - Mais Lyautey, ce n’est pas le colonialisme ! C’est la colonisation ! Le maréchal fut un colonisateur tombé amoureux du colonisé. Nous, les Marocains, nous aimons Lyautey. Quand il mourut en 1934, mon père pleura et tint à aller à Thorey**, en Lorraine, s’incliner devant sa dépouille. Lyautey était l’ami de la dynastie alaouite. Il avait de la grandeur. Ce fut un seigneur. »

    REPENTANCE  FRANCAISE

    Lyautey.jpg- « Hassan II : Les Français ont perdu le fil de leur Histoire. Pour aimer un pays, il faut sentir qu’il a un passé. Ce n’est plus votre cas. Vous dépensez tant de temps à battre votre coulpe sur la poitrine de vos propres ancêtres.

    - Villiers : Cela inquiète Votre Majesté ?

    - Le roi : Oui, pour la marche du monde. Vous êtes tout à votre noirceur, vous apprenez à vos enfants à se détester. Vous avez quand même des motifs de fierté. Il faudrait que vos compatriotes apprennent à aimer la France comme nous, nous aimons le Maroc »

    NON A MAESTRICHT ! 

    - « Villiers : Sire, vous vous intéressez au traité de Maestricht ? Au référendum ?

    - Le roi : Oh que oui ! Je suis votre campagne pour le non avec Pasqua et Seguin***. Vous parlez juste.

    - Nous ne sommes qu’une poignée.

    - Vous serez plus nombreux si vous faites comprendre aux Français que ce traité va déclasser la France et perdre l’Europe. C’est une mauvaise action pour vous mais aussi pour le Maroc, car le centre de gravité de l’Europe va se déplacer vers le monde anglo-saxon, et finalement vers l’Amérique. La dérive nordique éloignera la France de son Histoire originelle, de sa parenté affective :  La Méditerranée … » 

     

    Sans commentaires, car à mon sens on ne saurait mieux dire, surtout au vu de ce qui s’est passé depuis cette rencontre Hassan II-Villiers. Le traité de Maestricht fut adopté le 20 septembre 1992, jour fatidique, avec une faible avance : 51%. Depuis lors la France n’a cessé de s’affaiblir et l’Europe de  Bruxelles, de plus en plus soumise aux intérêts anglo-américains, va de crise en crise : financière, industrielle, psychologique, identitaire, etc. Le roi visionnaire, le monarque aux cent barrages, le récupérateur pacifique du Sahara n’est plus là pour constater qu’hélas il ne s’était pas trompé …   

    *La dynastie capétienne a régné sur la France, à travers plusieurs branches, de l’an 987 à la Révolution de 1848, à l’exception des années républicaines ou impériales courant de 1792 à 1814. 

    ** Aujourd’hui officiellement appelé Thorey-Lyautey, et où l’ancienne résidence du maréchal abrite un musée-fondation. 

    *** Deux hommes politiques gaullistes hostiles au traité de Maestricht, comme Villiers, car ce texte laminait la souveraineté française. 

    LIRE : Philippe de Villiers, « Le moment est venu de dire ce que j’ai vu », Albin Michel, Paris, 2015, 345p,  22 € 

    Peroncel-Hugoz - Le 360

     

  • Une femme face à Daech

     

    Par Péroncel-Hugoz

     

    peroncel-hugoz 2.jpgOn ne se bouscule pas au portillon, tant en Occident qu’à travers la Oumma, pour formuler des critiques charpentées à l’encontre du ravageur « Califat de Raqqa ». Pourtant, des femmes arabes ont relevé le gant sans se faire trop prier. Projecteur sur l’une d’entre elles.

    Je ne m’en suis jamais caché, je ne suis pas très enthousiaste pour le « féminisme », surtout quand il est défiguré par des pitreries indécentes façon Femens, qui m’ont remis en mémoire ce mot de Napoléon 1er (1769-1821) : « Rien n’est pire qu’une femme sans pudeur ! ». Cependant, quand il s’agit d’une affaire capitale comme Daech, je guette sans relâche les critiques visant ces bourreaux des confins syro-irakiens, d’où qu’elles viennent. 

    C’est ainsi qu’à la fin de l’été 2015, j’ai noté que les phrases les plus sensées, les plus réalistes à ce sujet venaient de deux femmes arabes en vue, l’eurodéputée Rachida Dati et la reine Rania de Jordanie. Toutes deux, séparément, ont estimé dans des termes quasi similaires que « les musulmans devaient régler entre eux les graves problèmes qui les assaillent  !» L’épouse d'Abdallah II a ajouté, pour sa part : « Les musulmans modérés, à travers le monde, ne font pas assez pour gagner la lutte idéologique qui est au cœur de cette bataille. Si nous échouons face à ces extrémistes, la région proche-orientale sera dévastée avec des répercussions mondiales.». 

    Depuis lors, en cet automne, une troisième femme arabe, moins connue sauf dans les milieux universitaires, est venue apporter sa contribution à cette « lutte idéologique » : Lina Murr-Nehmé, professeur d’histoire à l’Université libanaise et riche d’une vingtaine d’ouvrages en plusieurs langues sur les civilisations d’hier et d’aujourd’hui; elle a publié récemment : « Fatwas et caricatures. La stratégie de l’islamisme », un ouvrage d’accès facile mais extraordinairement bien documenté, sans compter les photos tragiques qui appuient les textes. 

    Mme Murr-Nehmé, parfaite arabophone, a épluché à la loupe fatwas, sermons, livres, tracts, films, journaux en ligne, etc., mettant à nu les motivations d’Al-Qaïda, Daech, Boko-Haram et autres engeances de cet acabit. Elle a non seulement décortiqué, expliqué, mis à la portée du lecteur non spécialiste les justifications des tueurs de Montauban, Bruxelles, Paris, Casablanca, Madrid et ailleurs, mais elle a mis en lumière l’enseignement-propagande mortifère dispensé à de jeunes musulmans à la barbe (si j’ose dire !) des autorités nationales en France, Allemagne, Belgique, Amérique du Nord, etc. 

    Bien renseignée sur ce qui se passe au sein du « Califat » pour les gens ordinaires, ou dans des pays où les forces islamistes, sans être au pouvoir, gouvernent en fait la population, tout ou en partie (en Algérie, par exemple, ou au Nigeria), l’historienne du temps récent, nous fait pénétrer dans des mondes interdits. 

    Des preuves, des arguments, des faits ou des fatwas occultés jaillissent également au fil du travail de la prof libanaise, à la satisfaction de ceux qui cherchent des arguments en faveur de l’éradication morale et physique du jihadisme daechiste. Edité à Paris, pour sa version francophone, « Fatwas et caricatures » a suscité quelques remous au Liban mais il a finalement pu être diffusé et débattu au tout récent Salon « Libres Livres » de Beyrouth. Attendons maintenant les réactions lors de la parution en arabe de ce véritable manuel anti-Daech. Que Lalla Lina renforce alors sa sécurité ! … 

    * Lina Murr-Nehmé, « Fatwas et caricatures. La stratégie de l’islamisme ». Ed. Salvator, Paris - www.editions-salvator.com - 212 pages illustrées noir et blanc et couleurs. 22 €

    Péroncel-Hugoz

     

  • ECOLOGIE • Le climat tue

     

    par Ph. Delelis

    Le changement climatique n’en finit plus de faire des victimes. Notamment chez les journalistes. Il y a eu d’abord le cas de Eric Holthaus qui, lisant le 5e rapport du GIEC dans l’avion, le 27 septembre 2013, a pleuré, immédiatement tweeté son chagrin et décidé de ne plus remettre les pieds à bord d’un aéronef.

    Depuis, il mesure l’impact positif de sa décision sur la planète. Franchement, l’épisode laisse sans voix. D’abord lire un rapport du GIEC plutôt que toute autre publication, comme le magazine de la compagnie aérienne par exemple, c’est plus que de la conscience professionnelle : une abnégation, puisque, de l’avis de ceux qui s’y sont risqués, on n’y comprend rien.

    Tous les 6 ans – ce qui est un délai raisonnable quand on travaille sur des données relatives à des milliers d’années (surtout quand on n’oublie pas celles qui faisaient du Groenland, mot à mot, un pays vert) – le GIEC publie des rapports de plusieurs milliers de page réunis en trois forts volumes (éléments scientifiques, impacts et adaptation, atténuation du changement climatique), chacun accompagnés d’un « résumé à l’intention des décideurs ».

    Mais, même ces textes sont abscons. Selon le Centre for Climate Change Economics and Policy de l’Université de Leeds « Les décideurs politiques doivent avoir l’équivalent d’un doctorat en science du climat pour commencer à saisir pleinement le sens des rapports ». Et ces chercheurs, qui ne sont pas nés de la dernière pluie, ajoutent que « même des textes d’Albert Einstein » sont plus limpides. On pourrait trouver là une autre explication des larmes de M. Holthaus : l’incompréhension, le regret de ne pas avoir terminé un doctorat en climatologie au MIT ?

    Mais on ne comprend toujours pas sa décision de ne plus prendre l’avion puisque, avec ou sans lui, le trafic aérien enregistre un doublement du nombre de passagers tous les 15 ans. En 2013, trois milliards d’inconscients ont préféré le magazine de la compagnie aérienne aux rapports du GIEC. Franchement, c’est à n’y rien comprendre.

    Autre victime récente parmi les journalistes, Philippe Verdier, présentateur de la météo sur le petit écran, auteur de « Climat Investigation » (Ed. Ring), licencié pour avoir, sans mettre de distance entre son employeur et lui, non pas nié le changement climatique mais seulement, émis des doutes sur la fabrication du consensus politique et dénoncé son caractère impératif. Aucun doctorat ne paraît nécessaire pour aborder son ouvrage, ce qui indéniablement, l’a desservi dans le procès en sorcellerie dont il a été victime.

    Il est vrai qu’auparavant d’autres scientifiques avaient été conduits au bûcher : Claude Allègre et Vincent Courtillot, notamment. Quant à Emmanuel Le Roy Ladurie, il va dans dire que personne, parmi les procureurs de la pluie et du beau temps, n’a lu son Histoire du Climat depuis l’an mil (Flammarion, 1967).

    Bien évidemment, on ne se prononcera pas sur le fond (ou la fonte) de ce sujet grave, mais on ne peut manquer d’être frappé de la violence avec laquelle le moindre doute est traqué, dénoncé, vilipendé, réprimé. 2015 est une sale année pour Voltaire : je ne suis pas d’accord avec ce que vous dites, mais je vous battrai à mort pour que vous ne puissiez le dire…  

  • SPORT & SOCIETE • Rugby : Contes et légendes de la Coupe du monde

     

    « Le jeu est moins important que ce qu’il y a autour »

    Le point de vue de Régis de Castelnau

    Nous ne sommes pas certains d'être toujours - ni même souvent - d'accord avec Régis de Castelnau, mais nous avons aimé cet article qui parle de sport - sujet convenable, paraît-il, pour un dimanche - du rugby et de ses traditions et de ce qu'il y a autour dont Régis de Castelnau donne une évocation si vivante et si sympathique que l'on se prend de l'envie d'y participer. On y retrouve les princes anglais, Land of my father, la faible considération du rugby pour le football, Cardiff et l'Angel Hotel... De la victoire de la Nouvelle Zélande lors de la Coupe du monde de Rugby, Régis de Castelnau tire même une leçon politique : « La seule solution que je peux proposer pour rendre compte de la place de ce jeu est de dire que la Nouvelle-Zélande est une équipe de rugby qui a un État. » Leçon majeure. Ce n'est pas nous qui lui donnerons tort.  Lafautearousseau

      

    castelnau.jpgLa Coupe du monde de rugby s’est donc achevée sur la victoire prévisible de la Nouvelle-Zélande.

    Même s’il a fallu supporter les commentateurs ineptes de TF1, ce fut un joyeux tournoi où il y eut de jolies choses. J’en ai retenu deux. D’abord un des plus beaux twits de l’histoire, celui qui accompagnait la photo des deux petits-fils d’Élisabeth II assistant à Twickenham à la victoire du Pays de Galles sur l’Angleterre. William l’héritier du trône, Prince de Galles, portant le maillot rouge au poireau accompagné de sa princesse, et reprenant avec elle à pleins poumons le « Land of my father ». Harry le rouquin portant le maillot blanc à la rose. La photo les montre à la fin du match perdu par l’Angleterre, William hilare tenant par l’épaule son épouse radieuse, et son frère renfrogné faisant manifestement la gueule. Adressé à Harry, le twit disait : « ce moment où tu vois que c’est ton frère qui a chopé la fille, que c’est lui qui sera roi, qu’il n’est pas roux, et qu’en plus il est gallois ».

    Autre manifestation de l’exaspérante supériorité britannique, ce match joué sur un stade aimablement et temporairement prêté par un club de football. Un joueur irlandais à terre vaguement secoué par un plaquage irrégulier, simule et se tortille un peu trop. L’arbitre gallois Nigel Owens lui demande de s’approcher et lui dit : « si vous voulez jouer au football, il faut venir la semaine prochaine. Aujourd’hui on joue au rugby. » Les arbitres étant désormais équipés d’un micro, des millions de téléspectateurs l’ont clairement entendu. Notre jeune irlandais risque de la traîner longtemps, celle-là. Et j’imagine les ricanements saluant cette saillie dans les bars de Bayonne ou de Mont-de-Marsan.

    Et le jeu, me dira-t-on ? Le rugby a ceci de particulier que le jeu, y est moins important que ce qu’il y a autour. C’est ce rapport à la culture qui en fait la spécificité. Par exemple, on aime les grands joueurs quand ils jouent, et on les vénère quand ils ne jouent plus. Plusieurs d’entre eux ayant annoncé leur retraite à la fin du tournoi, chacun va pouvoir étoffer son panthéon personnel. Pour moi ce sera Victor Matfield, magnifique deuxième ligne sud-africain qui a promené son allure de seigneur sur tous les terrains de la planète. Pierre Berbizier m’a dit qu’il était assez filou, et Boudjellal qu’il avait plus transpiré dans les boîtes de nuit que sur le terrain lors de son bref passage à Toulon. Voilà de vrais compliments Monsieur Matfield. Dans mon panthéon, il y a aussi un fantôme, Keith Murdoch, le pilier disparu. Dont il faut rappeler l’histoire.

    Ceux qui ont eu la chance de parcourir la Nouvelle-Zélande, immense pâturage habité de loin en loin par des paysans rougeauds, savent que ce n’est pas un pays. Il y pleut tout le temps, donnant parfois à cette contrée de faux airs de Bretagne. Mais sans le granit et les calvaires, ce qui change tout. Ce n’est pas non plus vraiment une nation. C’est plus compliqué que cela. L’alliance des Blancs et des Maoris pour faire un peuple, c’est une légende. Les danses guerrières qu’on met à toutes les sauces, du folklore. Il n’y a qu’un seul Haka : celui de l’armée noire avant ses matchs internationaux. Alors le rugby ? La référence à la religion est une facilité. La seule solution que je peux proposer pour rendre compte de la place de ce jeu est de dire que la Nouvelle-Zélande est une équipe de rugby qui a un État.

    En 1972 la sélection néo-zélandaise fut envoyée en Europe pour une interminable tournée. Elle arriva au pays de Galles. En ce temps-là, les Gallois dominaient le rugby de l’hémisphère nord. Le pays des mines fournissait à son équipe de terribles piliers tout droit sortis des puits pour l’occasion. Pour le match de Cardiff, les Blacks alignèrent Keith Murdoch en première ligne. Non seulement il tint la dragée haute aux mineurs à maillot rouge, mais c’est lui qui marqua l’essai qui permit à la Nouvelle-Zélande de l’emporter.

    Les joueurs Blacks résidaient dans l’Angel Hotel juste à côté du stade. La soirée y fut longue et probablement très arrosée. Murdoch souhaitant la prolonger voulut aller chercher du ravitaillement aux cuisines. Un vigile eut l’idée saugrenue d’essayer de l’en empêcher, pour se retrouver instantanément par terre et à l’horizontale, l’œil affublé d’un joli coquard. On parvint à envoyer Murdoch au lit et tout le monde pensait que malgré l’incident, en rien original, on en resterait là. Les Gallois sont gens rudes, la chose n’était pas de nature à les contrarier. Mais c’était compter sans la presse londonienne. Les Anglais ayant inventé le fair-play considèrent en être dispensés, mais sont en revanche très exigeants avec les autres. L’équipe de la Rose devait jouer les All blacks quelques jours plus tard, alors pourquoi ne pas essayer de les déstabiliser ? Devant la bronca médiatique, les dirigeants de la tournée, durent la mort dans l’âme, exclure Keith Murdoch, et le renvoyer séance tenante au pays. Ce qui ne s’était jamais produit en 100 ans et ne s’est jamais reproduit depuis. L’accompagnant à l’aéroport, ils le virent monter dans l’avion qui devait le ramener à Auckland.

    Où il n’arriva jamais. Personne n’a revu le natif de Dunedin, 686e néo-zélandais à avoir porté la tunique noire, disparu à jamais. Que s’est-il passé dans son esprit pendant ces longues heures de vol ? Quels ont été ses sentiments, la honte, le chagrin ou l’orgueil ? Peut-être les trois qui l’ont poussé à s’arrêter quelque part, nul ne sait où. Et à se retirer pour toujours. Pour ne pas affronter le regard des autres, quitter un monde où une bagarre d’après boire, vaut au héros la pire des proscriptions ? Essayer d’oublier la souffrance de savoir que l’on entendra plus le bruit des crampons sur le ciment du couloir qui mène à la pelouse, que l’on ne sentira plus cette odeur, mélange d’herbe mouillée et d’embrocation. Et qu’on ne vivra plus ce moment silencieux dans le vestiaire, où l’on vous remet le maillot à la fougère d’argent, quelques instants avant la minute prescrite pour l’assaut. Et peut-être surtout, pour ne rien garder qui puisse rappeler qu’un jour on a été humilié.

    La légende s’est emparée du fantôme, beaucoup l’ont cherché, prétendu l’avoir trouvé. Ou l’avoir vu, en Australie du côté de Darwin, sur une plate-forme pétrolière de la mer de Tasmanie, ou au sud de l’île du Sud. Dans beaucoup d’autres endroits encore. Autant de mensonges, d’inventions et de rêves. Certains amis d’Hugo Pratt allèrent jusqu’à dire qu’il avait rejoint Corto Maltese à la lagune des beaux songes.

    À chaque fois qu’une équipe néo-zélandaise vient à Cardiff, quelques joueurs se rendent à l’Angel Hotel pour y boire un coup. Ils n’y ont pas manqué cette fois encore. Les ignorants prétendent que c’est pour s’excuser du « manquement » de Keith Murdoch. Peut-on mieux ne rien comprendre ? Ils viennent boire à la santé et à la mémoire du fantôme, leur frère. Pour lui dire qu’ils ne l’oublieront jamais.

    Il m’a été donné d’aller voir quelques matchs à Cardiff. À chaque fois, j’ai sacrifié au rite et fait le pèlerinage. Évidemment, car ce sont les Anglais qui ont raison et c’est pour cela qu’on les déteste. Happiness is Rugby. 

    Régis de Castelnau (Causeur)
    avocat

  • Migrants : ce que dit (vraiment) le Pape

       Photo: Sipa 

    Une analyse de Frédéric Rouvillois 

    Frédéric Rouvillois analyse ici - pour Causeur -  l'actuel problème des migrants du point de vue de la logique et de la spiritualité chrétiennes. Lesquelles n'ignorent ni la charité que l'on doit aux autres ni celle qu'on se doit à soi-même et à la communauté politique à laquelle on appartient. Cette analyse conduit à proposer en quelque sorte une ligne de crête, conciliant l'une et l'autre exigence, fussent-elles ou sembler être contradictoires. Les lignes de crête, on le sait, ne sont pas de celles que l'on tient le plus aisément. Peut-être même ne sont-elles compréhensibles et tenables que par quelques uns. Nous ne les critiquerons pas. Toutefois, comme nous limitons notre réflexion au domaine politique, nous ne manquerons pas de signaler que les gestes, paroles ou écrits de l'Eglise et du Pape dans l'interprétation qui en sera inévitablement donnée par notre Système politico-médiatique, constituent pour la France et l'Europe un risque supplémentaire considérable dont ces autorités pourraient sans-doute avoir un plus grand souci. Dont elles pourraient traiter avec davantage de prudence. D'un point de vue politique, notre position inchangée est qu'un accueil massif de migrants - s'ajoutant au très grand nombre de ceux que nous avons déjà reçus depuis des décennies - met à l'évidence en péril les sociétés européennes. Dont celle qui nous concerne le plus, la nôtre. Lafautearousseau    

     

    frederic-rouvillois.jpgLe Pape François qui, le 6 septembre 2015, du balcon de Saint-Pierre, demandait à chaque paroisse catholique d’accueillir une famille de réfugiés et suppliait l’Occident d’ouvrir ses portes à la masse des migrants, ne serait-il qu’un doux illuminé ? Un utopiste prêt à tout sacrifier, et notamment les frontières, les Etats et les peuples, au rêve d’une improbable fraternité universelle ? C’est évidemment ce que certains voudraient faire croire, soit pour le lui reprocher, soit pour l’en applaudir. Et c’est en effet ce que ses interventions, astucieusement sorties de leur contexte, semblent parfois laisser croire.

    Pourtant, si François peut être considéré comme révolutionnaire, il ne l’est pas plus que le christianisme lui-même, ni que la sainteté. Et pas plus que le christianisme, il n’entend répudier le « réalisme politique », dont il s’est même explicitement réclamé dans son encyclique Laudato si'*. Réalisme politique qui le conduit à des positions moins stéréotypées, moins simplistes et surtout moins émotionnelles que celles que l’on présente, la réalité ainsi prise en compte n’étant jamais toute d’une pièce, mais constituée d’éléments complexes.

    Et c’est justement ce que l’on constate à propos du problème des migrants, le Pape, et l’Église, s’efforçant de concilier deux impératifs apparemment incompatibles dans le creuset d’un même réalisme évangélique.

    Le première impératif, aime ton prochain comme toi-même, conduit à ouvrir les bras à l’autre. Et en l’occurrence, à refuser l’engrenage de la terreur qui conduit des millions de personnes, créatures de Dieu et faites à son image, à quitter leurs maisons et à demander l’hospitalité. Ceux-là, en tant que chrétien, je ne puis les laisser à la porte, sauf à ressembler au mauvais riche que son égoïsme condamne irrémédiablement au tourment éternel. À l’égard de mes frères souffrants, un devoir s’impose sans discussion, celui que le Pape rappelait à Rome le 6 septembre : « être le plus prochain des plus petits et des plus abandonnés ». Concrètement, ce précepte justifie une pratique de l’accueil qui ne distingue pas entre une migration politique et une migration économique – distinction  moralement contestable, celui qui s’enfuit avec sa famille pour ne pas mourir de faim n’ayant pas moins le droit d’être accueilli que celui qui émigre parce qu’il estime que sa liberté d’expression ou son droit de vote étaient violés dans son pays d’origine. En somme, l’opposition à  la « culture de mort » suggère une politique d’ouverture et de charité.

    Mais à ce premier impératif s’en ajoute un second, qui commande de s’aimer soi-même en tant que l’on est une créature de Dieu, et que l’on a par là-même des devoirs envers soi. Benoît XVI soulignait à ce propos que « l’homme aussi possède une nature qu’il doit respecter »**. Or sa nature est d’être un animal social, qui va constituer avec ses proches un groupe particulier, une société dotée de certaines caractéristiques dont procèdera sa propre identité.

    On ne saurait en effet confondre le Peuple de Dieu, composé de tous les hommes en tant qu’ils sont frères, puisqu’issus du même Père céleste, et les peuples humains, qui s’y découpent comme les pièces dans un puzzle, chacune d’entre elles étant dotée de sa propre forme, de sa couleur et de sa place. Tout homme, appartenant au Peuple de Dieu, appartient aussi, simultanément, à un peuple particulier, à une patrie où généralement il est né, à une culture qui l’a modelé, à une terre et à une histoire où il s’enracine.

    Cette réalité, les papes contemporains en ont souligné l’importance dans la construction de l’homme : sans elle, expliquent-ils, l’homme est déraciné, perdu, privé de ce qui le constitue, un être sans ombre et sans épaisseur, victime idéale des nouveaux marchands d’esclaves.

    Or, ce second impératif s’oppose, lui, à ce que les portes soient ouvertes de façon inconsidérée à des masses de plus en plus considérables. Si les identités sont indispensables, on ne peut en effet accepter un processus qui conduit de façon certaine des millions de personnes, séduites par le miroir aux alouettes du consumérisme, à rompre avec leurs racines, et des millions d’autres à subir ce qu’ils ressentent comme une invasion, une dilution de leur identité et une mise à mal de leur culture.

    Mais comment concilier ces deux impératifs ? Le christianisme distingue à cet égard quatre vertus cardinales, la prudence, la tempérance, le courage et la justice : toutes les quatre sont à l’œuvre pour résoudre cette difficulté.

    La justice, qui vise à donner à chacun le sien, pousse à aider ceux qui ont tout perdu et à leur rendre une dignité, celle qui leur appartient en tant que créatures de Dieu ; mais sans pour autant léser ceux qui, ici, souffrent également de la pauvreté sous toutes ses formes.

    La prudence consiste à peser le pour et le contre. Et à constater qu’il faut bien entendu recueillir, au moment présent, ceux qui se noient à quelques encablures des côtes européennes. Il faut les recueillir, tout en faisant comprendre aux autres, à tous les autres, qu’il s’agit d’un cas d’exception, d’un moment transitoire. Bref, qu’il n’y a pas de place ici pour les dizaines de millions qui, un jour peut-être, seraient tentés de venir s’installer en Europe. Pas de place, parce qu’un afflux excessif, à la libanaise, entraînerait à coup sûr un surcroît de misère et, à terme, de violence, voire de guerre civile, les envahis ne pouvant accepter indéfiniment l’injustice de leur propre situation. Même Saint Martin ne donna au pauvre que la moitié de son manteau. La prudence consiste donc, du côté des décideurs, à refermer progressivement mais fermement les frontières, tout en agissant dans les pays d’origine de telle sorte que le flux migratoire finisse par se tarir. Bref, à agir en véritables politiques, qui savent que leur rôle est de traiter les causes du mal, pas simplement ses symptômes les plus visibles.

    La tempérance, elle, consiste accepter de restreindre notre train de vie afin d’aider, là-bas, des populations si misérables que sans cette aide, elles seraient tentées de tout quitter pour venir chez nous. Elle enseigne qu’en perdant un peu en confort matériel, nous pouvons espérer sauver l’essentiel : notre identité spirituelle, et peut-être notre vie.

    Le courage, enfin, est ce qui peut nous conduire, d’une part à ne pas baisser les bras, et de l’autre à ne pas craindre d’intervenir – en prenant une part active à l’éradication des causes du problème. « L’espérance chrétienne est combative », déclarait encore le pape François le 6 septembre. Le christianisme n’est pas une religion de la passivité, et il y a des moments où, au nom de la justice et même de la prudence, le courage commande d’agir. Avant qu’il ne soit trop tard.

    Et les catholiques de France, dans tout ça ? Il leur revient, pour rester fidèles à ce réalisme évangélique, de tenir fermement les deux bouts de la corde sans sacrifier l’un à l’autre – le devoir d’amour d’un côté, qui leur commande d’ouvrir les bras et, de l’autre, le devoir de maintenir la cité conditionnant la réalisation de cet amour, qui les pousse à la vigilance. Ni oublier que tous deux constituent des formes complémentaires de la charité.   

    Frédéric Rouvillois

     

  • Libye, Syrie, Ukraine : le Waterloo de la diplomatie française

    La bataille de Waterloo, 18 juin 1815 - Clément-Auguste Andrieux

     

    L'analyse de Jean-Michel Quatrepoint

    Alors que Nicolas Sarkozy vient de rendre visite à Vladimir Poutine, Jean-Michel Quatrepoint compare, pour Le Figaro deux diplomaties, la française et la russe. Il déplore l'absence de vision de la France sur le dossier syrien. Son analyse, comme toujours parfaitement renseignée, éclaire et corrobore la position qui est la nôtre sur ces sujets, en effet compliqués, comme l'est l'Orient, mais où les intérêts de la France ne sont plus défendus. LFAR. 

     

    PHO1159e20e-cc52-11e3-a4f2-b373f3cdeec9-150x100.jpgNicolas Sarkozy a rendu visite à Vladimir Poutine dans sa datcha proche de Moscou, jeudi 29 octobre, et a prôné le dialogue entre la France et la Russie. Ce virage de celui qui a fait rentrer la France dans le commandement intégré de l'OTAN en 2007 vous surprend-elle ? 

    L'ancien président de la République devrait commencer par reconnaître ses deux erreurs. La première est la guerre de Libye : il est responsable de sa déstabilisation. Deuxièmement, c'est sous son quinquennat que son ministre des Affaires étrangères, Alain Juppé, et le Quai d'Orsay, ont tout fait pour faire partir Bachar el-Assad. Par la suite, François Hollande, Laurent Fabius et le Quai ont aggravé cet échec diplomatique. Ceci dit, Nicolas Sarkozy peut se féliciter de ses relations anciennes avec Vladimir Poutine. Lors de la crise géorgienne, il avait su maintenir le contact avec celui qui était alors Premier ministre, n'hésitant pas, déjà, à se rendre à Moscou. 

    Comment qualifier l'attitude de la France en Syrie ? 

    C'est le Waterloo de la diplomatie française. Nous avons été exclus des dernières négociations. Les autres puissances se moquent de la voix de la France. Nous disposons, au même titre que l'Union européenne, l'Allemagne et l'Italie, d'un strapontin à la conférence de Vienne sur la Syrie ce vendredi. Les vrais décideurs sont en réalité la Russie et les Etats-Unis. Avec la réinsertion de cet Iran que la diplomatie française a tant ostracisé. Car le problème est bien plus complexe que la désignation des bons et des méchants. Si Assad est un dirigeant peu fréquentable, il est loin d'être le seul… 

    D'autres pays avec lesquels la France entretient d'excellentes relations sont également dirigés par des « infréquentables ». Dans cet Orient compliqué, prendre parti unilatéralement avec des idées simplistes comme nous l'avons fait était une erreur. Toute la diplomatie française s'est retrouvée en porte-à-faux ; sa tradition était de parler avec tout le monde et d'être un entre-deux, un médiateur qui facilite la résolution des problèmes de façon équitable. Là, nous avons choisi le camp le plus extrême qui soit puisque nous avons choisi comme alliés l'Arabie saoudite et le Qatar. On a adopté sans nuances la cause qatarie et saoudienne contre l'Iran et la Syrie. Aujourd'hui, l'Arabie saoudite, réaliste, s'asseoit à la même table que les Iraniens et discute avec les gens de Bachar. Nous sommes les dindons de cette farce tragique. 

    Quel bilan dresser de l'action diplomatique de Laurent Fabius, ministre des Affaires étrangères ? 

    Laurent Fabius a tout fait pour faire échouer les négociations sur le nucléaire iranien. Il a une part de responsabilité dans la crise ukrainienne. Il n'a pas veillé à ce que l'accord signé à Maïdan entre les Russes et les Ukrainiens soit respecté. On peut critiquer Fabius, mais la responsabilité incombe largement au Quai d'Orsay. La diplomatie gaullo-mitterandienne a connu son chant du cygne, en 2003, avec Dominique de Villepin. Beaucoup des diplomates du Quai, largement imprégnés par le courant néo-conservateur américain, n'ont pas apprécié le discours du Premier ministre à l'ONU sur la guerre d'Irak. En ce moment, ceux qui sont à la manœuvre sont les néo-conservateurs, qui ont dépassé leurs modèles américains! À vouloir imiter et servir les Américains et les Saoudiens, ils ne se font jamais respecter. 

    Il est par ailleurs absurde de privilégier une relation avec un pays aussi petit sur le plan démographique et culturel que le Qatar, au détriment d'un pays de 80 millions d'habitants tel que l'Iran. Le développement économique de l'Iran comparé à celui du Qatar est sans commune mesure. 

    Il se murmure que Laurent Fabius pourrait être nommé président du Conseil constitutionnel. Ségolène Royal est pressentie pour le remplacer. Ce choix paraît-il approprié ? 

    Mais il y a aujourd'hui un autre candidat pour le Conseil constitutionnel, Lionel Jospin. Et des négociations sont en cours en ce moment entre François Hollande et Jean-Louis Debré. Ségolène Royal était à Moscou en même temps que Nicolas Sarkozy, même si elle n'a pas été reçue par Vladimir Poutine à qui elle portait une invitation pour la Cop21… 

    En réalité, le problème n'est pas le ministre des Affaires étrangères, mais l'administration qui le soutient et le président de la République. C'est ce dernier qui donne l'impulsion diplomatique. Il a choisi de nommer un ambassadeur à Moscou qui, bien que membre de la promotion Voltaire à l'ENA, n'est ni russophone ni russophile. 

    La politique étrangère française se réduit-elle aujourd'hui à la diplomatie du climat ? 

    On a abandonné la diplomatie des droits de l'Homme puisque on a bien vu que tous les pays auxquels nous avons tenté d'apporter la démocratie ont été ravagés (Libye, Syrie…). Et qu'en Egypte, le maréchal Sissi a sauvé le pays des Frères musulmans en faisant peu de cas des droits de l'homme. Il a tout simplement appliqué le principe : pas de liberté pour les ennemis de la liberté. On a l'impression qu'après les droits de l'homme on s'est rabattu sur la diplomatie du développement durable. Il s'agit certes d'un enjeu important, mais on ne saurait limiter notre diplomatie à ce seul aspect des choses. Quant à la politique énergétique, on ferait mieux de valoriser ce qui reste un de nos points forts : le nucléaire. Et de relancer les recherches sur les futures générations de centrales. 

    Quelle est la stratégie de la Russie en Syrie ? 

    La diplomatie russe emmenée par Sergueï Lavrov est réelle, réaliste et réfléchie. Après la crise ukrainienne qui les a mis en difficulté, les Russes ont réussi à se repositionner avec habileté sur la Syrie. 

    À la fin du printemps, les Russes se sont rendu compte que l'armée d'Assad était exsangue. Des 300 000 soldats du départ, il n'en restait plus que 150 000. Cette armée a été minée par les désertions des sunnites, passés dans les rangs de Daech, al Nosra ou de l'Armée syrienne libre, et les morts. Les 250 000 morts dont on nous parle sont dans tous les camps : l'armée régulière, les groupes djihadistes et les civils. Le flux migratoire que l'on connaît en Europe s'est accéléré à partir de juin 2015. Une partie des Syriens favorable au régime craignant alors que Bachar el-Assad soit défait, a choisi de s'exiler. 

    Les Russes ont choisi de ne pas lâcher Assad pour plusieurs raisons. Dans les rangs de Daech, il y a 5 000 Tchétchènes, peuple musulman qui vit au Sud-Ouest de la Russie aux tendances séparatistes et islamistes. Si l'État islamique installe son califat, il y un risque majeur de déstabilisation de tout le Caucase. Ensuite, les Russes perdraient la base navale de Tartous qui leur est essentielle pour assurer leur présence en Méditerranée. Tout comme il était vital pour eux d'avoir une large ouverture sur la mer Noire. L'annexion de la Crimée visait d'abord à récupérer la base navale de Sébastopol. 

    Mais Moscou venait de resigner une concession de trente ans avec l'Ukraine pour sa base navale… 

    Oui, mais les Russes n'avaient plus confiance. L'évolution en Ukraine, le jeu trouble des États-Unis et de certains États européens leur ont donné à penser que cet accord pouvait être rompu du jour au lendemain. Ils ont donc préféré se servir avant d'être éventuellement mis à la porte. Par cet accès à la mer Noire, les Russes conservent une ouverture sur la mer Méditerranée. Il y a également une explication religieuse au soutien affiché à Assad. Bachar et son père ont protégé les minorités religieuses chrétiennes, orthodoxes, comme Saddam Hussein en Irak. Hussein, qui était sunnite - une minorité sunnite dirigeait d'une main de fer l'Irak, à majorité chiite - a préservé le million de chrétiens irakiens. Son ministre des Affaires étrangères, Tarek Aziz était précisément un chrétien. A contrario en Syrie, une minorité alaouite, variante du chiisme, gouverne, avec l'appui des chrétiens (5% de la population), une majorité de sunnites. Mais les Assad, comme Sadam Hussein, venaient du parti Baas, où les influences socialistes et les liens avec l'URSS étaient importants. La Russie de Poutine ne veut pas être exclue d'un Proche-Orient où l'URSS avait des alliés, au premier rang desquels la Syrie. 

    Comment les Russes ont-ils procédé ? 

    La prise de Palmyre par Daech en mai a accéléré le cours des choses ; même si cette prise est d'une importance stratégique secondaire, le poids symbolique s'est lourdement fait sentir. Le mouvement diplomatique opéré par le Kremlin a consisté à traiter avec les Saoudiens, avec le discret appui de Washington, et à les amener à rediscuter avec le régime syrien. Le 18 juin dernier, Poutine a reçu à Moscou le prince Mohammed ben Salmane, ministre de la Défense et vice-Premier ministre saoudien. Ils se sont mis d'accord sur une reprise du dialogue avec la Syrie. Les Saoudiens ont posé comme condition que la rencontre avec les Syriens se déroule à Riyad. Ces derniers ont accepté et envoyé leur numéro deux, le patron des services de renseignement, Ali Mamlouk, pour rencontrer Ben Salmane à Riyad. Chacun a vidé son sac. Les Syriens ont reproché aux Saoudiens de ne plus privilégier un comportement collectif — comme au temps où Egypte, Syrie et Arabie saoudite étaient les meneurs de la diplomatie du monde arabe -, d'armer leurs opposants et de briser ce lien qui les unissait en leur préférant les Qataris. Les Saoudiens, de leur côté, ont reproché aux Syriens leur proximité avec le régime iranien. Mais ils s'étaient reparlés ce qui était l'essentiel. 

    Les Russes ont ensuite préparé conjointement une habile stratégie diplomatique, pour se garantir un maximum d'alliés, et une offensive militaire dans la région. Leur but était de dégager l'étau qui enserrait Assad. Par conséquent, ils ont frappé d'abord ceux qui étaient directement à son contact, en l'espèce al Qaïda et al Nosra, et non Daech. Il est logique qu'ils aient frappé en premier lieu ceux qui menaçaient directement le régime syrien. Puis dans un deuxième temps, ils se sont plus largement attaqués à Daech. 

    Les Russes ont-ils une solution de rechange s'ils ne parviennent pas à maintenir Assad au pouvoir ? 

    Effectivement, leur idée initiale est de former un bloc uni - États-Unis, Turquie, Arabie saoudite, régime syrien, Iran - contre Daech. À l'évidence, ils ont expliqué à Assad, lors de sa récente visite à Moscou, qu'à terme il devrait quitter le pouvoir, si c'était la condition d'un accord politique, du maintien de l'intégrité du pays et d'un front uni contre Daech. Mais si ce plan A échoue, leur plan B consiste en une création d'un réduit alaouite sur la bordure méditerranéenne, autour de Lattaquié et Tartous, dont ils protègeraient les frontières contre l'EI. Les Russes soutiendraient le réduit alaouite comme les Américains ont soutenu Israël. 

    Ce qu'il faut souligner c'est que les Russes, bien que touchés par la crise économique, sont encore capables de déployer une stratégie diplomatique de grande ampleur. La Russie compte peu économiquement, c'est l'échec de Poutine ; il n'a pas réussi à reconvertir une économie de rente pétrolière et minière en une économie moderne. Mais diplomatiquement, elle a complètement repris pied sur le champ diplomatique depuis la fin de l'URSS.  •

    Jean-Michel Quatrepoint est journaliste économiste. Il a travaillé entre autres au Monde, à La Tribune et au Nouvel Economiste. Il a écrit de nombreux ouvrages, dont La crise globale en 2008 qui annonçait la crise financière à venir.

    Dans son livre, Le Choc des empires .Etats-Unis, Chine, Allemagne: qui dominera l'économie-monde ? (Le Débat, Gallimard, 2014), il analyse la guerre économique que se livrent les trois grands empires qui règnent en maîtres sur la mondialisation.  

    Entretien réalisé par Eléonore de Vulpillières et Alexandre Devecchio

  • RELIGIONS & SOCIETE • Vandalisme à La Mecque ?

    Les nouveaux gratte-ciel de La Mecque  © Copyright : DR

     

    Par Péroncel-Hugoz

    Sans aucun lien avec les récents événements tragiques, Péroncel-Hugoz a découvert - sur documents - des destructions stupéfiantes dans la Ville sainte de l'Islam. Sa connaissance exceptionnelle du monde arabo-musulman nous renseigne sur des sujets peu connus de nous et, par exemple, nous apprend que les talibans ou Deach ne sont pas les seuls à avoir démoli des souvenirs historiques de portée universelle ...

     

    peroncel-hugoz 2.jpgJe suis conscient que parler de faits survenus dans une cité où mon statut de non-musulman m’empêche d’aller, va encore me valoir des reproches du type : « Cela ne vous regarde pas ! » Néanmoins, je persiste car mes sources sont fiables ; car il s’agit aussi d’une question historico-culturelle interessant le monde entier ! Certes, La Mecque est avant tout une ville sainte de l’Islam mais elle appartient également au patrimoine archéologique universel comme d’autres cités sacrées : Rome, Lhassa, Bénarés, Jérusalem, Fatima, Moulay-Idriss, etc.

    Je m’empresse d’ajouter que, contrairement à certains Occidentaux, je n’ai jamais réclamé au nom de Dieu sait quelle égalité ou plutôt égalitarisme, que le Haram-el-Chérif, en Arabie, soit ouvert aux non-mahométans au moins en dehors du grand pèlerinage annuel. Pourquoi ? Parce que j’ai vécu douloureusement la foire touristique, bruyante, vulgaire et parfois indécente qui a largement désacralisé le Saint-Sépulcre (tombeau) de Jésus à Jérusalem ou les mosquées de Kairouan, grandes ouvertes aux hordes touristiques. 

    Voici donc la liste, pas forcément complète, des principaux bâtiments ou lieux historiques de La Mecque, détruits ou endommagés au XXIe siècle (Voir notamment le plan paru dans le quotidien parisien « Le Monde » des 27-28 septembre 2015) :

    • Arasement de la colline d’où parla le patriarche Ibrahim (Abraham)
    Destruction de la maison d’Aboubaker, premier des quatre califes « bien guidés » et père d’Aïcha, l’une des principales épouses de Mahomet.
    Remplacement de la demeure présumée de Khadija, première épouse de Mahomet*, par des latrines publiques.
    Démolition de la maison natale de Mahomet, prophète de l’Islam.
    Destruction de la première école coranique, sous prétexte d’agrandir la Grande Mosquée de La Mecque.
    Mise à bas des quartiers abbassides et ottomans, près de la Grande Mosquée de La Mecque, etc. 

    J’ajoute à cette liste de dégâts un petit souvenir personnel rapporté d’Arabie, à Djeddah, hors du périmètre interdit aux non-musulmans, donc, et qui concerne la disparition du long tumulus qualifié par la tradition populaire depuis un temps immémorial, de « tombeau d’Eve », Haoua en arabe, mère de toute l’Humanité, non-mahométans compris. Ce tumulus était très long car la compagne d’Adam aurait été, comme son époux, géante. Je vis donc ce tumulus à travers une grille l’entourant, sous le règne du roi Fayçal, à la fin du XXe siècle, et puis, quelques années plus tard, des voyageurs dignes de foi, musulmans ou non, m’assurèrent que ce simple mausolée de terre, pourtant conforme au strict dépouillement ouahabite, avait été arasé par ordre du gouvernement de Ryad car des croyants venaient y prier ou se recueillir, en invoquant les mânes de Lalla Haoua …

    Ces diverses démolitions, opérées sans tambours ni trompettes, sont comparées en privé par des membres de l’UNESCO, y compris arabes, aux dynamitages à grand spectacle d’antiquités, organisés par des djihadistes en Afghanistan ou en Syrie. Sans remonter au vandalisme des révolutionnaires français athées sous le régime de la Terreur (1792-1795).

    Depuis le XXe siècle, l’Arabie a été reconnue universellement comme gardienne des Lieux saints de l’Islam mais elle n’a pas pour autant reçu mandat de quiconque pour supprimer des souvenirs historiques matériels des Villes saintes dont elle a la responsabilité. Surtout si c’est pour construire à la place une sorte de « Mahomet Parc », expression utilisée par l’hebdo français « Valeurs actuelles », « Parc » centré autour d’un gratte-ciel stalino-américain de 600 m de haut qui écrase le périmètre à échelle humaine de la Kaâba.   

    * Mahomet est la graphie française, spécifique et neutre, fixée millénairement, du nom du prophète de l’Islam, Mohamed. Dans l’espace francophone, le mot « Mahomet » n’a aucune connotation dépréciative et désigne d’emblée le personnage historique et religieux, tandis que « Mohamed » n’évoque que les millions de musulmans portant ce prénom. La demande de certains croyants islamiques de remplacer en français « Mahomet » par « Mohamed » est donc aussi absurde et irrecevable que si les francophones exigeaient des arabophones qu’ils appellent « Jésus » le personnage sacré nommé par eux « Aïssa » ou « Sidna Aïssa ». A chaque langue ses caractéristiques ! C’est ce qui fait leur saveur. 

    Péroncel-Hugoz - Le 360 

  • Irreal politik

     

    D'utiles réflexions de Bertrand Renouvin

     

    Renouvin.jpgReal politik : être contre. Tel est l’un des principaux critères du bien-penser. Il s’accompagne d’ordinaire de la condamnation de la politique gaullienne. Par une fine dialectique, le refus hautain de la real politik se fit au nom de la réalité qui convenait à la classe dirigeante : celle d’une France toute petite, qui avait vécu « au-dessus de ses moyens ».

    Valéry Giscard d’Estaing lança cette thématique ; elle fut reprise par une gauche qui voulait recycler son internationalisme et son pacifisme dans l’Europe des traités. La gent socialiste  broda sur « l’Etat modeste », les droits de l’homme, le droit d’ingérence humanitaire contre « l’égoïsme national » – sans oublier « l’Europe qui doit parler d’une seule voix ». C’est cet assemblage de sous-produits idéologiques qui tient lieu de doctrine dans les relations avec l’étranger. L’oligarchie française s’est imprégnée de la religiosité étatsunienne, de la « guerre morale » du Bien contre le Mal, en vue de la démocratie par l’économie de marché. L’échec est total : les conséquences de l’irreal politik ont été cent fois pires que les froids compromis de la real politik.

    Après l’opposition à la croisade américaine en Irak clairement exprimée par Jacques Chirac et Dominique de Villepin en 2003, les gouvernements français n’ont plus rien empêché et ont fini par tout admettre. Le dénigrement de la Russie est une activité officielle.  Après avoir stupidement participé à la « guerre morale » pour le Kosovo, la France n’a plus eu de politique dans les Balkans livrés aux potentats locaux, aux proconsuls occidentaux et à la corruption endémique. Nous venons d’abandonner l’Afghanistan à son épouvantable sort.  Avec l’Arabie saoudite et le Qatar, les principes moraux et démocratiques ont été sacrifiés sans l’ombre d’un scrupule à des accords commerciaux rentables et à des pactes infâmes dont les historiens nous livreront le détail. En Syrie, François Hollande et Laurent Fabius ont levé l’étendard de la lutte contre le despotisme et fourni des armes au Front al-Nosra, succursale d’Al-Qaida, contre le dictateur de Damas. Lorsque le projet de frappes sur Damas a été bloqué par le vote du Congrès des Etats-Unis, des interrogations majeures auraient dû surgir. Tel n’a pas été le cas. L’aviation française bombarde Daech en Irak de manière supplétive et sans effets marquants. Nous décidons de bombardements en Syrie, au mépris du droit international, tout en continuant de militer pour le départ de Bachar el-Assad ; François Hollande ne voit pas que les Etats-Unis vont s’entendre avec la Russie et s’accommoder du régime syrien faute de solution alternative.

    Si la France veut retrouver son rang dans le monde, les gouvernements à venir devront abandonner le mélange de discours moralisateurs, d’affairisme cynique, de corruption manifeste et pour finir de reddition humiliante aux diktats étatsuniens ou allemands. Il faut en revenir aux principes qui orientaient, en ses meilleurs moments, la diplomatie française.

    Les Etats donnent la priorité à leurs intérêts nationaux sur les affinités idéologiques et les solidarités religieuses. Les rois de France et de Castille eurent un projet d’alliance contre les Ottomans avec Tamerlan ; les rois de France se sont alliés avec la Sublime Porte contre Vienne ; les Etats-Unis, la Grande-Bretagne et la France combattante se sont alliés avec l’Union soviétique contre l’Allemagne.

    Les Etats nouent des relations avec les Etats, non avec des régimes politiques. Ce sont les constantes et les évolutions géopolitiques qui priment sur les sympathies et les antipathies, dans la recherche de compromis assurant le retour ou le maintien de la paix.

    La France n’a pas d’amis. Elle choisit des alliances qui peuvent changer. L’Allemagne de l’Ouest servit de glacis à la France pendant la Guerre froide. Il s’agit aujourd’hui d’en finir avec la domination allemande. En Europe continentale, l’alliance avec la Russie s’impose et le recul de l’influence étatsunienne est hautement souhaitable. Au Proche-Orient, une solution politique de très long terme doit être trouvée en concertation avec les Russes, les Iraniens et les Etats qui subsistent dans la région – en évitant que les Etats-Unis soient maîtres du jeu.

    La France ne retrouvera sa puissance que si elle développe ses capacités militaires, ses échanges économiques et ses échanges culturels. Pas de puissance retrouvée sans souveraineté réaffirmée. 

    Bertrand RENOUVIN

  • Qui les États-Unis visent-ils en Irak et en Syrie ?

     

    par Louis Vick 

    Nous publions le témoignage éloquent d’un expatrié français présent dans la partie kurde de l’Irak. La vidéo qui accompagne le témoignage fait actuellement fureur en Irak et en Syrie. Elle pourrait éclairer d’un jour nouveau l’inhabituelle discrétion des Américains quant à leur intervention militaire au Moyen-Orient.

    « (…) Je vais manger un kebab et faire des courses au supermarché. Sur le retour, je vois dans une petite rue adjacente des vieux armés de kalachnikovs. Ce sont d’anciens peshmergas qui font maintenant office de policiers gardant un bâtiment. Je les salue, ils me font signe de venir et on boit un thé assis sur des chaises dans la rue.

    L’un d’entre eux bredouille quelques mots d’anglais mais la discussion tourne vite en rond quand le sujet vient sur l’Etat Islamique. Je dis « peshmerga very good » mimant les combattants kurdes tirant sur Daech. Puis on fait le tour des pays… Je mime un avion russe en Syrie assorti d’un « very good », parole accueillie avec approbation.
    Turquie : mine de dégoût de mes interlocuteurs, « no good ». Nous mimons tous l’argent et les armes donnés par la Turquie à l’EI. Même chose pour l’Arabie saoudite.

    Puis l’un d’entre eux me demande : « America ? » Je fais la même imitation, ce qu’approuve l’un de mes petits vieux armés. Et là, il me mime un truc que j’ai immédiatement compris (comme quoi ça sert de connaître les nouvelles géopolitiques) : il place un sucre par terre et dit « Daech », puis sa main (« America ») représente un avion US qui balance quelque chose, puis Daech qui va fouiller. Ca a fait tilt immédiatement dans ma tête !

    Il faut savoir qu’il y a en ce moment une vidéo sur les réseaux sociaux irakiens, et qui est passée à la télé, que tout le monde commente. J’ai aussi réussi à la trouver sur youtube :

     

     

    C’est un commandant de l’armée irakienne qui a repris à l’EI une raffinerie. On le voit montrer des affaires par terre : « ça, c’est un parachute américain, ça aussi, là aussi, regardez ». Autrement dit, au lieu de balancer des bombes sur l’EI, la coalition américaine leur parachuterait des armes et des vivres.

    Vrai ou faux, je ne saurais dire… C’est en tout cas quelque chose qui est présent à l’esprit des Irakiens en ce moment : ils n’ont aucune confiance en les Américains et appellent de leurs voeux les Russes qui, eux, ne jouent pas double jeu ». • 

     - Politique magazine

  • Trois leçons d’économie du pape François

     

    par François Reloujac

    Le discours prononcé par le pape François à la tribune des Nations Unies le 25 septembre a donné lieu à de nombreux commentaires. Entre ceux qui se sont réjouis d’entendre le pape donner un satisfecit à l’ONU et ceux qui regrettent que le discours fut trop « moraliste » et pas assez « politique », beaucoup a été dit. Mais peu de commentateurs se sont penchés sur les trois leçons d’économie que contenait ce discours fort riche. Ces trois leçons ont trait au fonctionnement des organismes financiers internationaux, à la façon de mesurer les performances économiques et au rôle des États.

    Le fonctionnement des Organismes financiers internationaux

    Il est nécessaire, a dit le pape, d’accorder à tous les peuples de participer aux décisions des « corps dotés d’une capacité d’exécution effective, comme c’est le cas (…) des Organismes Financiers et des groupes ou mécanismes spécialement créés pour affronter les crises économiques ». Si l’on peut d’abord penser au Fonds Monétaire International (FMI), on ne peut pas écarter le cas de la Banque Centrale Européenne (BCE) ni celui du Mécanisme Européen de Stabilité (MES). Aucun de ces organismes, selon ce que nous dit le pape ne peut donc « imposer » à un État quel qu’il soit une décision que celui-ci ne pourrait pas accepter. Le pape a ajouté que « les Organismes Financiers internationaux doivent veiller au développement durable des pays, à ce qu’ils ne soient pas soumis, de façon asphyxiante, à des systèmes de crédits qui, loin de promouvoir le progrès, assujettissent les populations à des mécanismes de plus grande pauvreté, d’exclusion et de dépendance ». Certes, en prononçant cette phrase, le pape avait surtout à l’esprit le cas des « pays en voie de développement ». Mais, comment un Européen peut-il entendre cette recommandation sans penser en premier lieu à la Grèce et au diktat qui lui a été imposé par la « troïka » (FMI, Union européenne, BCE) ?

    La mesure des performances économiques

    Sur ce point, le pape commence par reconnaître que « la multiplicité et la complexité des problèmes exigent de compter sur des instruments techniques de mesure ». Ces instruments ne sont donc pas simplement utiles, ils sont nécessaires. Mais le pape ajoute que leur usage, à force de banalisation, peut conduire à deux dérives graves : une priorité absolue donnée au « travail bureaucratique » qui conduit à multiplier les normes, les processus et les contrôles au détriment de l’action proprement dite ; une confiance aveugle dans les constructions théoriques et a priori qui conduisent à se couper du réel. Car, nous rappelle le pape, une action économique n’est efficace que « lorsqu’on l’entend comme une activité prudentielle, guidée par un concept immuable de justice, et qui ne perd de vue, à aucun moment, qu’avant et au-delà des plans comme des programmes, il y a des femmes et des hommes concrets… ».

    Le rôle de l’État en matière économique

    Les gouvernants, nous dit le pape, « doivent faire tout le possible » pour permettre à chacun de vivre décemment. Et le minimum qu’ils doivent donner pour cela s’articule autour de trois besoins qu’il est impératif de combler : donner un « logement personnel » ; donner un « travail digne et convenablement rémunéré » ; donner accès à une « alimentation adéquate » et à une « eau potable ».

    Il convient ici de ne faire aucun contre-sens. Les pouvoirs publics n’ont pas à mettre en œuvre des politiques de faux-semblants, comme ils savent si bien le faire. Donner à chacun l’accès à un logement personnel ne signifie pas obligatoirement qu’il faille accorder une « aide à la pierre », ni venir au secours du secteur du bâtiment. Le choix des mesures à prendre est affaire de circonstance et telle mesure qui paraît opportune à un moment peut fort bien ne plus l’être ultérieurement. Les questions économiques relèvent du domaine prudentiel et les mesures circonstancielles doivent toujours être adaptées aux situations concrètes. Celles qui ne sont plus adaptées doivent donc toujours être rapportées. Mais il ne faut pas non plus se tromper sur le but premier poursuivi et, en l’occurrence nous dit le pape, les pouvoirs publics doivent veiller à ce que chacun puisse bénéficier d’un logement personnel où il puisse accueillir sa famille.

    Deuxième priorité : tous doivent pouvoir avoir accès à un « travail digne et convenablement rémunéré ». Dans son encyclique Laudato Si’, le pape avait rappelé de façon très concrète que « la création de postes de travail [par toute entreprise] est une partie incontournable de son service du bien commun » (§ 129). Mais créer un poste de travail n’est pas suffisant ; celui-ci doit être « digne », c’est-à-dire ne pas faire courir, même indirectement, à la personne qui l’occupe un danger moral, psychologique ou spirituel autant que physique. De plus, il doit être convenablement rémunéré, c’est-à-dire qu’il doit permettre à celui qui l’occupe de vivre normalement avec sa famille, selon son état. Si cela ne conduit à aucune course à l’échalote, cela suppose aussi que la famille ne doit pas être condamnée, pour vivre normalement, à suppléer le manque de rémunération par un crédit à la consommation. Mais être convenablement rémunéré ne signifie pas non plus que tout le monde soit en droit d’exiger de son employeur une rémunération qui lui permette de satisfaire tous les désirs artificiels entretenus et développés par une publicité agressive qui ne peut conduire qu’au surendettement.

    Troisième priorité : l’accès à une « alimentation adéquate » et à l’« eau potable ». Là encore, le pape fait clairement référence à son encyclique Laudato Si’. Sans entrer dans le détail, il convient de remarquer qu’une « alimentation adéquate » est celle qui correspond aux besoins physiologiques de chacun et qui varie donc en fonction de l’âge de la personne, de la nature de ses activités et du climat de son pays (de la saison). Si une « alimentation adéquate » sous-entend une certaine diversité, elle ne signifie pas que certains peuvent s’arroger le droit de manger de tout en toute saison, en faisant venir à grands frais (et en gaspillant de l’énergie fossile) des produits qui pourraient manquer à ceux qui les produisent ou les conduire à produire des produits inutiles ou nocifs – pavot par exemple – destinés à l’exportation en lieu et place de cultures vivrières indispensables à l’échelon local.

    Dans son discours à la tribune des Nations Unies, le pape n’a pas développé ces analyses qui, d’ailleurs, n’épuisent pas le sujet. Il s’est contenté de rappeler « le minimum absolu » auquel chacun doit avoir accès pour exercer sa dignité, « comme pour fonder et entretenir une famille qui est la base de tout développement social. Ce minimum absolu a, sur le plan matériel, trois noms : toit, travail et terre ; et un nom sur le plan spirituel : la liberté de penser, qui comprend la liberté religieuse, le droit à l’éducation et tous les autres droits civiques ». Il a donc mis chacun en garde contre toute « mauvaise gestion irresponsable de l’économie mondiale, guidée seulement par l’ambition du profit et du pouvoir ».   

     

  • SOCIETE • Questions sur le prix Nobel d’économie

     

    par Ph. Delelis

    Le Prix de la Banque de Suède en Sciences Economiques, plus connu sous le nom de Prix Nobel d’Economie, vient d’être attribué à Angus Deaton, professeur à Princeton, pour ses travaux sur la consommation, la pauvreté et le bien-être. Chaque année à la même époque, on peut s’interroger sur l’utilité des études menées par ces brillants esprits pour les politiques économiques, en tout cas en France. La logique conduit à se poser deux questions : est-ce que, en France, quelqu’un les lit et en tire des conclusions opérationnelles ? ou, si c’est le cas, compte tenu des résultats, est-ce que l’on attribue ce prix à des imposteurs ?

    Première question, donc : en dehors de la petite communauté des professeurs d’économie, quelqu’un, en charge à un titre ou à un autre, de la politique économique française, a-t-il lu les travaux des Nobel d’économie ? Pas sûr. D’abord, ils ne sont pas tous traduits et on connaît le niveau des Français en anglais. Ensuite, l’inertie de l’enseignement est telle que les résultats de la recherche y sont introduits avec retard. Ceci explique par exemple que les vieilles recettes de Papa Keynes continuent à être appliquées à la lettre par des décideurs qui n’ont guère entendu parler que de lui, de ses bons mots (« A long terme nous serons tous morts ») et de ses équations de niveau CM2 sur les bancs de Sciences Po. Enfin, quand les plus doués d’entre eux se rendent intelligibles – tels Jean Tirole l’année dernière – ils disent des horreurs sur la nécessaire déréglementation du marché du travail, les ravages de la politique du logement et les bienfaits de la concurrence. Bref, en France au moins, les Prix Nobel d’Economie ne servent à rien.

    D’où la seconde question, fort légitime dans un pays fier de sa rationalité depuis Descartes : n’a-t-on pas affaire à des imposteurs ? Une réponse positive à cette question justifierait bien sûr que l’on ignore superbement leurs travaux. Déjà M. Tirole avait dû faire face à un procès en orgueil et sorcellerie après s’en être pris à la création d’une deuxième section d’économie dans les universités, fondée sur les sciences sociales et politiques, autrement dit de la littérature engagée. Aujourd’hui, on ne manquera pas de souligner que M. Deaton est parvenu à démontrer que la malnutrition était la conséquence de la pauvreté et non l’inverse, ce qui pouvait sans doute être déduit sans y passer trop de temps par un élève de CM2 (qu’est-ce qu’on apprend après, franchement ?). On relèvera aussi qu’il a établi que le bien être individuel ne s’accroissait pas significativement au-delà de 75 000 dollars de revenus annuels, théorie qui serait vilipendée par les propriétaires d’une Ferrari s’ils la connaissaient. Mais on oubliera sans doute aussi vite qu’il est l’auteur de modèles de consommation très utilisés par les départements marketing des entreprises et les institutions financières internationales pour leurs politiques de développement. En effet, il n’échappera à personne que, dans ce pays, les procès en imposture sont toujours intentés par de vrais spécialistes du genre. Comme le disait plus simplement ce grand économiste qu’était Michel Audiard, injustement ignoré en son temps par la Banque de Suède : « On est gouverné par des lascars qui fixent le prix de la betterave et qui ne sauraient pas faire pousser des radis ».