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Actualité Monde - Page 110

  • Rémi Brague : Le Pape ne peut pas renvoyer dos à dos islam et christianisme

     

    Par Rémi Brague    

    Le pape a déclaré que s' « il devait parler de violence islamique, alors il devait (aussi) parler de violence catholique ». Le philosophe Rémi Brague rappelle que les textes sacrés des deux religions ne justifient pas la violence de la même manière. FigaroVox a publié cette tribune de Rémi Brague le 24 mai dernier. Philosophe, professeur émérite à la Sorbonne, Rémi Brague était alors « perplexe » quand le pape relevait une similitude dans l'esprit de conquête de l'islam et du christianisme. Une perplexité qui se confirme après les propos tenus ce dimanche par le pape Français sur violence islamique et violence catholique. Figarovox a donc repris cette intéressante tribune le 3.08. On y décèle inquiétude et réprobation des récentes déclarations du Pape François sur Islam et Christianisme. On sait cette réprobation partagée par nombre d'intellectuels catholiques, spécialistes de l'Islam et / ou des Chrétiens d'Orient.  LFAR 

     

    Les déclarations publiques du pape François suscitent toujours l'intérêt. L'entretien accordé par le Souverain Pontife à deux journalistes de La Croix, publié dans ledit quotidien le 17 mai, contient ainsi une quantité de choses excellentes, et même réjouissantes. Par exemple, sa conception du rôle que le christianisme pourrait et devrait jouer envers les cultures, dont l'européenne, ou encore ses réflexions sur les causes de la crise migratoire et son traitement possible, enfin son amusante dénonciation du cléricalisme. Il y a là-dedans de quoi provoquer une réflexion approfondie, et l'on souhaite que nos décideurs en prennent de la graine.

    D'autres points sont affaire de goût, et le mien ne coïncide pas toujours avec celui du Pape. Ainsi, nommer sur le même plan Maurice Blondel et Jean Guitton, et plus encore les deux jésuites Henri de Lubac et Michel de Certeau, me fait personnellement un peu sourire. Mais rien ne prouve que ce soit mon goût qui soit le bon…

    En revanche, un passage suscite en moi une perplexité certaine, et c'est celui sur l'islam. Là aussi, il contient d'ailleurs de très bonnes choses, par exemple sur l'imprudence arrogante avec laquelle l'Occident a essayé d'imposer son régime politique à des régions mal préparées. Il est juste aussi de dire que la coexistence entre chrétiens et musulmans est possible, même si les exemples de l'Argentine, avec son 1,5% de musulmans, et surtout du Liban, doivent être pris avec prudence. Tant qu'il s'agit de faire vivre ensemble des personnes, qu'il est déjà maladroit de réduire à leur seule affiliation religieuse, on a le droit d'espérer et le devoir d'agir en ce sens.

    L'entreprise devient plus difficile là où l'on compare non plus des personnes, mais des systèmes religieux considérés dans leurs documents normatifs. De ce point de vue, un passage des propos du pape François attire l'œil : « L'idée de conquête est inhérente à l'âme de l'islam, il est vrai. Mais on pourrait interpréter avec la même idée de conquête la fin de l'Évangile de Matthieu, où Jésus envoie ses disciples dans toutes les nations ». Voici le passage évoqué : « Allez donc, faites des disciples (“mathèteuein”, en grec) de toutes les nations, baptisant les gens (…), leur enseignant (“didaskein”) à observer tout ce que je vous ai commandé (Matthieu, 28, 19) ».

    On peut appeler « conquête » la tâche de prêcher, d'enseigner et de baptiser. Il s'agit bien d'une mission universelle, proposant la foi à tout homme, à la différence de religions nationales comme le shintô. Le christianisme ressemble par là à l'islam, dont le prophète a été envoyé « aux rouges comme aux noirs ». Mais son but est la conversion des cœurs, par enseignement, non la prise du pouvoir. Les tentatives d'imposer la foi par la force, comme Charlemagne avec les Saxons, sont de monstrueuses perversions, moins interprétation que pur et simple contresens.

    Le Coran ne contient pas d'équivalent de l'envoi en mission des disciples. Il se peut que les exhortations à tuer qu'on y lit n'aient qu'une portée circonstancielle, et l'on ignore les causes de l'expansion arabe du VIIe siècle. Reste que le mot de conquête n'est plus alors une métaphore et prend un sens plus concret, carrément militaire. Les deux recueils les plus autorisés (sahīh) attribuent à Mahomet cette déclaration (hadith), constamment citée depuis : « J'ai reçu l'ordre de combattre (qātala) les gens (nās) jusqu'à ce qu'ils attestent “Il n'y a de dieu qu'Allah et Muhammad est l'envoyé d'Allah”, accomplissent la prière et versent l'aumône (zakāt). S'ils le font, leur sang et leurs biens sont à l'abri de moi, sauf selon le droit de l'islam (bi-haqqi 'l-islām), et leur compte revient à Allah (hisābu-hum ‘alā ‘Llah) (Bukhari, Foi, 17 (25) ; Muslim, Foi, 8, [124] 32-[129] 36) ». J'ai reproduit l'arabe de passages obscurs. Pour le dernier, la récente traduction de Harkat Ahmed explique : «Quant à leur for intérieur, leur compte n'incombera qu'à Dieu (p. 62) ».

    Indication précieuse : il s'agit d'obtenir la confession verbale, les gestes de la prière et le versement de l'impôt. Non pas une conversion des cœurs, mais une soumission, sens du mot « islam » dans bien des récits sur la vie de Mahomet. L'adhésion sincère pourra et devra venir, mais elle n'est pas première. Nul ne peut la forcer, car « il n'y a pas de contrainte en religion (Coran, II, 256) ». Elle viendra quand la loi islamique sera en vigueur. Il sera alors dans l'intérêt des conquis de passer à la religion des conquérants. On voit que le mot « conquête » a un tout autre sens que pour le verset de Matthieu.

    Pourquoi insister sur ces différences ? Un vaste examen de conscience est à l'œuvre chez bien des musulmans, en réaction aux horreurs de l'État islamique. Ce n'est pas en entretenant la confusion intellectuelle qu'on les aidera à se mettre au clair sur les sources textuelles et les origines historiques de leur religion. 

    Rémi Brague          

    Rémi Brague est un philosophe français, spécialiste de la philosophie médiévale arabe et juive. Membre de l'Institut de France, il est professeur émérite de l'Université Panthéon-Sorbonne. Auteur de nombreux ouvrages, notamment Europe, la voie romaine (éd. Criterion, 1992, rééd. NRF, 1999), il a dernièrement publié Le Règne de l'homme: Genèse et échec du projet moderne (éd. Gallimard, 2015) et Où va l'histoire? Entretiens avec Giulio Brotti (éd. Salvator, 2016).  

  • Général Pinatel : contre l'islamisme, s'allier à la Russie et faire disparaître l'OTAN

     

    Par Alexis Feertchak

    Après le coup d'Etat manqué en Turquie, Erdogan se rapproche de Poutine tandis que Moscou et Washington semblent avoir trouvé un équilibre en Syrie. Le général Pinatel considère [Entretien sur Figarovox le 29.07] que les Etats européens devraient tenir compte de cette nouvelle donne et, contre l'islamisme, s'allier à la Russie et faire disparaître l'OTAN. Une politique qui devrait être, selon nous, celle de la France. Quant à être aussi celle des Européens, voire de l'Europe [?], comme s'il s'agissait d'un bloc unitaire, cela nous paraît être une autre histoire, beaucoup plus improbable et fort aléatoire.  LFAR 

     

    maxresdefault.jpgRecep Erdogan devrait rencontrer Vladimir Poutine en août dans la capitale russe. La Turquie est historiquement la base avancée du Sud de l'Alliance atlantique. Dans quelle mesure la nouvelle alliance entre Moscou et Ankara pourrait perturber l'OTAN ?

    L'OTAN est une organisation issue de la Guerre froide entre l'URSS et l'Occident démocratique. Son maintien et son extension aux anciens pays de la CEI procède de la volonté des Etats-Unis de conserver ouvert le fossé entre l'Europe et la Russie. En effet si l'Europe et la Russie étaient alliées, elles leur contesteraient la primauté mondiale qu'ils ont acquise en 1990 à l'effondrement de l'URSS et qu'ils veulent conserver à tout prix. Mais la menace islamique a changé la donne. Cette menace, présente en Russie depuis les années 1990, s'est étendue à l'Europe en juin 2014 avec la proclamation du Califat par l'irakien Al Bagghadi puis récemment en Turquie quand Erdogan a dû fermer sa frontière à Daech après les attentats commis en France et les pressions que les américains ont du faire sur Ankara pour ne pas perdre le soutien de l'opinion européenne.

    Dans ce contexte d'actes terroristes meurtriers, la déstabilisation du régime syrien et son remplacement par un régime plus favorable aux intérêts américains, européens, saoudiens et qataris passe au second plan face à l'urgence de maîtriser ce nouveau Califat qui menace la stabilité du Moyen-Orient et favorise la montée en puissance des partis nationalistes anti-atlantistes en Europe. Par ailleurs, l'intervention massive et victorieuse de la Russie en septembre 2015 pour soutenir son allié syrien contraste avec les hésitations ou le double jeu des Etats-Unis qui essaient de ménager tout le monde. Ils se condamnent ainsi à une faible efficacité opérationnelle qui, finalement, inquiète leurs alliés traditionnels et les poussent à ménager la Russie. Enfin les liens et les enjeux économiques entre la Russie et la Turquie sont très importants malgré une opposition géopolitique historique .

    Plus que le rapprochement entre Moscou et Ankara, ce qui fragilise cette organisation, ce sont ces récents événements. Ils font la démonstration éclatante aux yeux des Français et des Européens que l'OTAN ne sert à rien face à la menace islamique. En revanche, la guerre efficace que même la Russie contre l'Etat islamique fait penser à de plus en plus de Français et d'hommes politiques que la Russie est notre meilleur allié. Et cette évidence, acquise dans la douleur de nos 234 morts et de nos 671 blessés depuis 2012, devrait non seulement perturber l'Otan mais conduire à sa disparition ou à son européanisation complète car son maintien en l'état ne sert que des intérêts qui ne sont pas ceux de la France.

    Que se passe-t-il aujourd'hui en Syrie ? Russes et Américains semblent se rapprocher ou à tout le moins se coordonner davantage, notamment sur la question du Front Al-Nosra, très présent près d'Alep. Un nouvel équilibre dans la région est-il en train de se constituer ?

    Dès leur intervention en septembre 2015 sur le théâtre syrien, les Russes ont proposé aux Américains de coordonner leurs frappes contre Daech et Al Nostra. Mais les Américains ont refusé car au niveau politique, Obama voulait maintenir la fiction qu'il existait encore un potentiel de forces modérées sur le territoire syrien qui n'avaient pas été absorbées ou qui ne s'étaient pas alliées à Al-Nostra et qui ainsi pourraient prétendre, un jour, à être partie prenante à la table de négociation. C'est clairement une fiction contestée non seulement par la Russie, mais par d'autres voix y compris aux Etats-Unis. Ces experts affirment que les unités qui existent encore en Syrie servent d'interface avec Al Nostra à qui elles revendent les armes qu'elles reçoivent via la CIA. C'est le bombardement d'une de ces bases en Syrie par la Russie, qui a eu l'habileté de prévenir les américains à l'avance pour qu'ils puissent retirer en urgence les agents de la CIA présents, qui a permis ce rapprochement opérationnel. Il est clair qu'un nouvel équilibre est en voie de se constituer au Moyen-Orient. La Russie qui y a été historiquement présente est de retour en force. La Chine, et c'est une nouveauté, y pointe plus que son nez et la France qui y avait une position privilégiée de médiation, l'a perdue par suivisme des Etats-Unis.

    Quelle pourrait être la place de l'Europe dans les relations avec ces deux grands pays que sont la Russie et la Turquie ? Peut-on imaginer un nouvel équilibre sécuritaire aux marches de l'Europe ?

    C'est vrai, nos portes orientales sont verrouillées par la Russie et la Turquie.

    Avec la Russie nos intérêts économiques et stratégiques sont totalement complémentaires. La France a une longue histoire d'amitié avec la Russie que symbolise à Paris le pont Alexandre III et plus récemment l'épopée de l'escadrille Normandie Niemen que le Général de Gaulle avait tenu à envoyer en Russie pour matérialiser notre alliance contre le nazisme. Je rappelle aussi que c'est parce que l'armée allemande était épuisée par trois ans de guerre contre la Russie et la mort de 13 millions de soldats russes et de 5 millions d'allemands que le débarquement de juin 1944 a pu avoir lieu. Ce rappel ne veut en aucun cas minimiser le rôle des Etats-Unis et le sacrifice des 185 924 soldats américains morts sur le sol européen. Mais la volonté des Etats-Unis de restaurer un climat de Guerre froide en Europe qui se développe notamment au travers de l'OTAN ne sert que leurs intérêts et ceux des dirigeants européens qui sont soit des corrompus soit des incapables.

    Avec la Turquie, c'est l'Allemagne qui a des relations historiques comparables aux nôtres avec la Russie. La Turquie et l'Allemagne étaient des alliés au cours des deux guerres mondiales car les Allemands espéraient avec leur aide couper la route du pétrole aux alliés. Les Turcs de leur côté espéraient ainsi récupérer le contrôle du Moyen-Orient et notamment celui de l'Irak et de la Syrie.

    Ce rappel historique met en évidence l'importance du couple franco-allemand pour définir une politique européenne commune face à ces deux puissances et éviter de revenir à des jeux du passé comme a semblé le faire récemment Angela Merkel avec l'affaire des réfugiés en négociant directement avec Erdogan sans se concerter avec ses partenaires européens. 

    Le général (2S) Jean-Bernard Pinatel est expert en géostratégie et en intelligence économique. Il tient le blog Géopolitique - Géostratégie. Il est aussi l'auteur de nombreux ouvrages, dont Carnets de guerres et de crises aux Éditions Lavauzelle en 2014.

    Alexis Feertchak           

  • Tant d’amour et de paix, ça laisse muet… Mon antiprofession de foi

     

    Par Jean-Paul Brighelli

    Le talent de Brighelli, sa plume, son esprit, son sens des formules et son intelligence lui font souvent rédiger de petits chefs d'œuvres. Nous ne partageons pas toutes ses idées, mais nous aimons ses chroniques. En voici une avec laquelle nous sommes d'accord; sur un sujet grave, traité avec humour. LFAR 

     

    2918084506.jpgJe ne parlerai pas des martyrs de Charlie. Car je risquerais de parler de l’islam, et l’islam est une religion de paix et d’amour.

    Je ne disserterai pas sur les massacres du Bataclan et d’ailleurs. Car je risquerais de parler de l’islam, et l’islam est une religion de paix et d’amour.

    Je n’évoquerai pas les tueries de Boko Haram, de l’AQMI, d’Al-Qaïda, d’Al-Nosra et d’une foule d’autres groupes d’assassins organisés, en Syrie et ailleurs, au nom du Prophète, sur lui la paix et la lumière. Car je risquerais de parler de l’islam, et l’islam est une religion de paix et d’amour.

    Je ne dirai rien des près de 300 morts tués dans un attentat à Bagdad le 3 juillet, ni des 15 autres tués dans la même ville le 25, ni… Car je risquerais de parler de l’islam, et l’islam est une religion de paix et d’amour.

    Et j’ai eu tort de parler ici-même des infidèles tués au musée du Bardo l’année dernière. Car j’ai pris le risque de parler de l’islam, et l’islam est une religion de paix et d’amour.

    Je ne rappellerai pas, pas même pour mémoire, les centaines de viols perpétrés à Cologne, entre autres, au dernier jour de l’An — bonne année ! Car je risquerais de parler de l’islam, et l’islam est une religion de paix et d’amour.

    Je ne gloserai pas sur les attentats commis en Arabie saoudite, au Yemen, en Syrie, en Irak, en Turquie. Car je risquerais de parler de l’islam, et l’islam est une religion de paix et d’amour.

    Ni même ne comptabiliserai-je les 80 morts de Kaboul de samedi dernier — les derniers dans une très longue liste. Car je risquerais de parler de l’islam, et l’islam est une religion de paix et d’amour.

     

    Ne comptez pas sur moi pour condamner les attentats à la hache, à la machette, et autres procédés ingénieux perpétrés en Allemagne ces derniers jours. Car je risquerais de parler de l’islam, et l’islam est une religion de paix et d’amour.

    De même ne commenterai-je pas l’utilisation d’acide au Pakistan pour défigurer les jeunes filles « impudiques » — la dernière a été étranglée par son frère. Car je risquerais de parler de l’islam, et l’islam est une religion de paix et d’amour.

    Je ne dirai rien, oh non, sur le prêtre octogénaire égorgé ce mardi 26 juillet dans une église normande pendant la messe par deux courageux « soldats » de Daech — tout comme d’autres valeureux combattants de Daech avaient fixé au sommet d’une colonne romaine le corps décapité du conservateur octogénaire de Palmyre — ce sont des hommes qui aiment les vieillards, et ils ont prouvé à Nice qu’ils aiment aussi les enfants. Car je risquerais de parler de l’islam, et l’islam est une religion de paix et d’amour.

    (Parenthèse. Si un vieil imam avait été tué dans une mosquée par deux connards — ce qui serait difficile vu que les mosquées sont le plus souvent protégées, comme les synagogues, le président de la République et le Premier ministre, si prompts à condamner et à combattre le terrorisme, appelleraient déjà à une manifestation monstre contre la montée des périls d’extrême droite, et envisageraient peut-être de dissoudre tel ou tel groupuscule. Et sans doute auraient-ils raison. Mais ils n’envisagent pas, semble-t-il, de dissoudre l’islam, ni de prendre de vraies mesures contre les milliers de terroristes islamistes potentiels français — ou qui se sont invités en France. Car l’islam est une religion de paix et d’amour. Fin de parenthèse)

    Et je ne citerai pas les sourates qui appellent au meurtre des infidèles, par le fer et par le feu. Car l’islam est une religion de paix et d’amour, et seules de méchantes langues propagent ce genre d’information.

    Et si jamais demain je me fais égorger par un illuminé, mes amis, ne mettez pas en cause l’islam. Car l’islam est une religion de paix et d’amour. 

    Jean-Paul Brighelli
    anime le blog Bonnet d'âne hébergé par Causeur.

  • Et revoilà la guerre froide !

     

    par Gilles Varange

    Les Américains viennent de terminer la construction d’une première base à Deveslu, en Roumanie, la seconde devant être achevée en Pologne d’ici à 2018 : le climat de tension avec la Russie entretenu par Washington place les Européens en première ligne.

     

    2867209962.jpgLes 2 et 3 décembre 1989, trois semaines après la chute du mur de Berlin, les présidents George Herbert Bush (le père) et Mikhaïl Gorbatchev, accompagnés de leurs ministres des Affaires étrangères, se rencontraient au large de l’île de Malte, à bord du croiseur soviétique Maxim Gorki. Durant ces deux journées historiques, les dirigeants des deux superpuissances de l’époque allaient s’efforcer d’éviter que le profond ébranlement subi par le bloc soviétique ne se transforme en une situation incontrôlable susceptible de déboucher sur un conflit planétaire. Le chef du Kremlin, hanté par la menace d’un naufrage économique et déjà résigné à la perte de son glacis est-européen, n’avait plus que deux objectifs en tête : sauver ce qu’il restait de l’Empire et arracher la promesse d’une aide financière massive des pays occidentaux.

    Aussi fit-il d’emblée une concession que son homologue américain n’avait peut-être jamais espérée : il se dit disposé à rapatrier les centaines de milliers d’hommes de l’Armée rouge stationnés chez les satellites européens de l’URSS, quelles qu’en fussent les conséquences politiques, à une unique mais impérative condition. Il exigea du président américain la promesse solennelle que les états-Unis ne mettraient à aucun moment ce retrait à profit pour avancer leurs propres troupes en direction des frontières soviétiques ou pour accepter l’entrée d’anciens pays membres du pacte de Varsovie dans l’OTAN.

    Le secrétaire d’Etat américain et homme de confiance de Bush, James Baker, se serait exclamé alors sur le ton de la plus parfaite sincérité : « Soyez-en certain, nous n’avancerons jamais d’un pouce. Pas d’un pouce ! » De l’aide financière attendue, le pauvre Gorbatchev ne vit jamais un seul dollar. Mais les concessions faites sur le Maxim Gorki, rapidement connues des organes de sécurité soviétiques, lui valurent la défection immédiate des derniers éléments de l’armée et du KGB qui lui étaient restés fidèles. C’est à ce moment-là que le dernier président de l’Union Soviétique signa son arrêt de mort politique.

    Agitation militaire

    Un demi-siècle plus tard, tous les anciens pays membres du Pacte de Varsovie ont adhéré à l’OTAN et – choix hautement symbolique ! – c’est dans cette dernière capitale que Barak Obama a décidé de rassembler l’ensemble de ses féaux européens à l’occasion du sommet annuel de l’Alliance atlantique qui s’ouvrira le 8 juillet. Objectif principal de cette réunion selon le chef de la diplomatie polonaise, Witold Waszczykowski : convaincre les principaux partenaires des états-Unis de la nécessité d’augmenter sensiblement leurs budgets de la Défense de manière à faire face « à la menace croissante d’une invasion russe ». Rien n’a d’ailleurs été négligé, depuis quelques mois, pour accréditer la thèse d’une offensive russe imminente : exercice Cold Response en Norvège du 19 février au 22 mars, avec la participation de 15 000 soldats et d’un énorme matériel.

    Manœuvres communes des armées américaine et finlandaise en mars. Enfin, au début de juin, sur les territoires de la Pologne et des trois états baltes, ex-Républiques soviétiques, organisation des manœuvres dites Anaconda, les plus spectaculaires menées par l’Otan depuis 1989 : 30 000 hommes des unités d’élite de 18 pays, 3000 véhicules, 105 avions et 15 navires patrouillant dans les eaux de la Baltique. Tout ce remue-ménage pour être en mesure de déclarer « opérationnelle », à l’ouverture du sommet de Varsovie, la nouvelle force Fer de Lance à haute réactivité, tournée exclusivement vers l’Est, dont la création avait été annoncée en 2014, au plus fort de la crise ukrainienne.

    Barak Obama avait donné le ton, dès sa rencontre du 25 avril dernier à Hanovre avec les principaux dirigeants européens, en appelant Angela Merkel – traitée tout au long de l’entrevue avec la considération due au chef naturel de l’Europe – à déployer une partie de l’armée allemande en Pologne et dans les pays Baltes ! Il se murmure d’ailleurs que François Hollande a été profondément humilié lors de ces entretiens par l’attitude condescendante affichée à son endroit par le chef de la Maison-Blanche dont il s’est pourtant employé à satisfaire toutes les exigences depuis son accession à l’Elysée.

    Dans une quasi-clandestinité, n’est-il pas allé jusqu’à faire adopter par le Conseil des ministres du 4 janvier 2016, puis par les quelques députés présents dans l’hémicycle du Palais-Bourbon, le 7 avril suivant, un projet de loi permettant la ré-adhésion de la France au protocole de 1952 fixant « le cadre juridique du stationnement des quartiers généraux de l’OTAN et de leurs personnels » ? En fait, ce texte rend à nouveau possible à l’avenir la réinstallation de bases américaines sur le territoire français.

    Dangereuse stratégie

    Cette soumission des Européens à la stratégie de la tension avec la Russie voulue par Washington sera illustrée de manière encore plus éclatante, lors du sommet de Varsovie, par l’annonce du passage sous responsabilité de l’OTAN du « bouclier antimissile » dont les Américains viennent de terminer la construction de la première base à Deveslu, en Roumanie, la seconde devant être achevée en Pologne d’ici à 2018. Le Wall Street Journal a révélé, il y a quelques semaines, combien le transfert des états-Unis à l’OTAN de ce prétendu système antimissile – en lequel Vladimir Poutine voit une menace directe pour la sécurité de son pays – provoquait l’inquiétude de nombreux hauts fonctionnaires français de la Défense qui ont multiplié les avertissements en direction de l’élysée. Pour ces derniers, il ne fait aucun doute que le contrôle effectif de ce « bouclier » de l’OTAN restera exclusivement entre les mains des hommes du Pentagone.

    Les états-Unis œuvrent-ils alors sciemment au déclenchement d’une guerre avec la Russie sur le continent européen que, selon la quasi-totalité des experts, les forces de l’OTAN seraient assurées de perdre en moins de quarante-huit heures ? L’hypothèse apparaît tellement folle que chacun cherche des motifs cachés aux propos bellicistes de Washington : volonté de ressusciter l’ancienne menace soviétique pour restaurer la cohésion d’une Alliance atlantique n’ayant plus vraiment de raisons d’être ?

    Désir de s’assurer le maintien de la servilité des principaux dirigeants européens ? Ou piège tendu au Kremlin pour l’amener à se lancer dans une nouvelle course aux armements au détriment d’une économie russe déjà gravement touchée par les sanctions occidentales et par la chute des prix du pétrole ? En attendant, force est de constater les ravages provoqués par une politique américaine aveugle et sourde aux réalités du monde : tandis qu’un climat de guerre froide se répand à nouveau en Europe, Moscou et Pékin se rapprochent de plus en plus étroitement dans une alliance de fait contre Washington. On a connu des diplomaties plus habiles… 

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  • Défense d'Erdogan

    Erdogan posant dans son nouveau palais d'Ankara

     

    Par Péroncel-Hugoz

    Moins par esprit de contradiction que par goût de la logique, notre confrère risque un petit coup de dent contre les détracteurs systématiques du président Erdogan de Turquie. Cette position peut surprendre ou agacer, mais elle a sa logique. La détestation d'Erdogan par les Systèmes politico-médiatiques bien-pensants occidentaux ne tiendrait-elle pas simplement au fait que son régime est autoritaire, nationaliste et identitaire ? Après tout, sa politique intérieure est son affaire, pas la nôtre. L'analyser suffit à démontrer que la Turquie n'a pas sa place en Europe. Mais avons-nous à la morigéner parce qu'elle entend suivre sa voie propre souverainement ? LFAR     

     

    peroncel-hugoz 2.jpgOutre Daech, ennemi bien réel, l’Occident s’est trouvé deux autres adversaires de taille, peu ou prou fantasmés, eux : le « tsar » Poutine et le « sultan » Erdogan. Laissons le premier, que nous avons déjà défendu ici et attardons-nous quelques instants sur le second particulièrement, criblé de balles médiatiques depuis la tentative de putsch turque de mi-juillet. 
     
    Nombre de mes confrères euro-américains croient insulter Erdogan en le traitant de « sultan » ou en l’accusant d’« ottomanisme », ce en quoi ils tombent à plat chaque fois car le Sultanat ottoman (XVIe-XXe siècles) a été et reste le plus grand moment de gloire, civilisation et rayonnement de l’Histoire turque. Et il est patent que l’immense majorité des Turcs, y compris les républicains, majoritaires depuis Ataturk (au pouvoir à Ankara de 1922 à 1938), sont fiers des siècles ottomans que les écoliers turcs ne sont pas incités à dénigrer, tout au contraire. 
     
    Quant à l’époque actuelle, le régime établi par le parti politique légal d’Erdogan, est régulier par rapport aux impératifs démocratiques. Oui, vous diront des tas d’Occidentaux, mais Erdogan est « autoritaire » … Oh ! le vilain mot ! Faudrait-il que la démocratie turque, que le président Erdogan, soient « mous » ou « faibles » pour plaire aux commentateurs de Bruxelles, Washington, Londres ou Paris ? …  
     
    Même l’opposant intellectuel Nedim Gürsel, dont les romans en français sont lus à travers la Francophonie, a volontiers reconnu sur France-Inter, au lendemain du récent putsch raté, que la grande majorité des Turcs soutenaient  le président Erdogan, y compris son projet de rétablir éventuellement la peine capitale, abolie en 2004, par une décision souveraine d’Ankara. Et la patronne de la diplomatie bruxelloise, la signora Mogherini, a beau tempêter contre ce projet, la Turquie est pleinement souveraine et elle fera ce que décideront son président, son gouvernement et son parlement.  Les 27 Etats-membres de l’Union européenne n’ont plus, eux, cette liberté depuis qu’ils ont abdiqué une bonne part de leurs droits souverains entre les mains de l’obscure, non-élue et toute-puissante « Commission européenne » … 
     
    Ajoutons à ce tableau que la Turquie en est à 6% de croissance annuelle, que ses exportations ne cessent d’augmenter, que son armée est une des meilleures du monde, etc, etc. J’y ajouterai encore l’aura dont jouit la Turquie erdoganienne à travers nombre de pays d’Islam. Chaque fois que je suis pris pour un Turc à Rabat ou Casa, dans un train, un taxi ou un café, avant même que j’ai eu le temps de démentir, je suis couvert d’éloges et de félicitations pour Erdogan et sa politique de dragée haute à l’endroit des Etats-Unis d’Amérique, d’Israël ou de l’Union européenne. Les nombreux Marocains visitant ces temps-ci la Turquie, qui ne leur demande pas de visa, reviennent en général éblouis par la civilisation ottomane, et aussi frappés par l’ambiance de travail, de sérieux, de dignité, de sérénité émanant du peuple turc. Tout cela ne date pas d’Erdogan bien sûr, mais cet homme d’Etat volontariste et nationaliste, a su s’appuyer sur ces qualités populaires pour installer son pouvoir. « Les chiens aboient, la caravane passe … » Ce proverbe est aussi turc. 

    Péroncel-Hugoz

    Repris du journal en ligne marocain le 360 du 29.07.2016

  • Guerre totale

     

    par Louis-Joseph Delanglade

    Publié le 14.03.2016, après l'attaque surprise des combattants de l’Etat islamique contre la petite ville tunisienne de Ben Guerdane, dont ils prirent, pour un temps, le contrôle. Repris le 28.07.2016 [Extraits]

    Ce qui s’est passé à Ben Guerdane pourrait bien se produire (en France) directement. Des gens connaissant les lieux, des armes de guerre, des individus « radicalisés », des complicités jusque dans l’armée et la police (où, si l’on en croit certaines notes pourtant étiquetées « confidentielles », le fondamentalisme progresse) : il n’est peut-être pas si lointain le jour où le drapeau noir flottera, même pour quelques heures, sur une « cité » ou un « quartier ». Ce jour-là on regrettera peut-être le traitement socio-psychologique que les bonnes âmes « humanistes » appliquent à l’engagement islamiste. Déradicaliser, même en jouant sur les mots, n’est pas éradiquer : il faudra bien finir par admettre que tout(e) « Français(e) » (quels que soient son âge et son « origine ») qui, de près ou de loin, collabore ou cherche à collaborer avec l’ennemi est un ennemi et le traiter en conséquence, c’est-à-dire d’abord l’empêcher de nuire (…). 

    Ne comptons pas pour cela sur l’Union européenne. Schengen est un fiasco et Mme Merkel, son accord avec le « Grand Turc » le prouve, ne cherche qu’à sous-traiter au prix fort un mode de fonctionnement plus « convenable » dans la gestion de la migration-invasion qui accable et islamise l’Europe.  

    Encore et toujours, le salut sera d’abord national. 

    Pour lire cet article intégralement ...

    Guerre totale

  • Ran Halevi : « Trump, par-delà la démagogie, l'expression d'une aspiration politique »

     

    Par Ran Halevi

    L'élection de Donald Trump comme candidat du Parti Républicain à l'élection présidentielle américaine est un événement politique de première importance.  Par ce qu'elle révèle de l'actuelle aspiration politique des peuples. Laquelle ? Ce que Régis Debray appelle « un ressourcement identitaire »*. Nous ne disons pas, ici, autre chose. [Cet article est paru sur Figarovox le 24.07]  LFAR

     

    C'est une première dans l'histoire de la démocratie américaine. Le Parti républicain vient d'introniser comme candidat à l'élection présidentielle de novembre un homme dépourvu de toute expérience politique, qui n'avait jamais figuré dans ses rangs, ne partageait pas son credo conservateur, le désavouait même publiquement pour en faire le ressort de son succès : il a tourné les électeurs républicains contre leurs élus, emporté 37 primaires et rallié 14 millions de voix, un record, en dégommant ses 16 concurrents et en ébranlant au passage les fondations du parti qui aujourd'hui le couronne.

    La nomination de Donald Trump est un événement politique de première importance, par ce qu'elle révèle des procédés, des passions, mais aussi des défaillances qui affectent aujourd'hui la marche de nos démocraties. Elle consacre le populisme d'un type nouveau, très mobilisateur et… passablement dépolitisé, où l'ignorance politique semble constituer un atout électoral. Voici un cas d'école sur l'efficacité des rhétoriques incendiaires, de l'aplomb démagogique, des outrances verbales, des mystifications et des promesses extravagantes, acclamées non parce qu'on les croit réalisables mais parce qu'on se plaît à les entendre exprimer.

    M. Trump ne s'embarrasse pas d'exhiber son ignorance encyclopédique, y compris de la Constitution des États-Unis, que, dans l'hypothèse de sa victoire, il prêtera serment de « préserver, protéger et défendre ». Le rapport très libre qu'il entretient avec la vérité, désormais abondamment documenté, est facilité par son indifférence assumée aux frontières qui séparent le vrai du faux - on ne compte plus les entreprises, au cours de sa longue carrière, qui n'aient entraîné des inculpations en raison d'engagements piétinés, de combinaisons frauduleuses, de manquements et de dérobades.

    La convention qui vient de s'achever à Cleveland aura été bien à son image. Improvisations, chahuts, fronde d'une minorité de délégués vite étouffée, huées à l'adresse des orateurs rétifs à clamer publiquement leur soutien, dissentiments sur des questions essentielles entre le candidatet son colistier… - le tout rythmé par une parade continue de narcissisme. Cette kermesse, boudée par deux anciens présidents, des ex-candidats à la Maison-Blanche et une brochette de gouverneurs, de sénateurs, de représentants, a vu, faute de mieux, défiler à la tribune ceux de la tribu Trump susceptibles de prononcer un discours. Celui de l'épouse ayant révélé quelques surprenantes similitudes avec l'allocution de Mme Obama à la convention démocrate de 2008, le conseiller en chef de M. Trump criait au complot, aussitôt attribué à… Hillary Clinton.

    Le prodigieux exploit de Donald Trump représente un défi vivant à la science politique. À sa devise conquérante - « rétablir la grandeur de l'Amérique » - répond en écho le tableau apocalyptique d'un pays cassé, sapé par l'immigration, rongé par le crime et assiégé de périls. L'Amérique d'aujourd'hui est plus prospère et paisible qu'elle n'a jamais été : la Bourse bat des records, le chômage baisse, les violences urbaines reculent même si elles restent spectaculaires, les salaires modestes commencent à décoller… Pourtant, les Américains sont comme happés par une morosité nationale - le pressentiment d'une perte de repères, d'une dérive des institutions, de menaces imminentes, qu'entretient et aggrave une polarisation politique endémique.

    Ce malaise, qui ne se limite pas à la seule Amérique, renvoie, on le sait, aux sentiments de précarité économique et de dépossession identitaire produits par la mondialisation et les mouvements migratoires incontrôlés. Mais il s'alimente à d'autres sources encore. Nos démocraties sont devenues le théâtre d'un vent insurrectionnel, démultiplié par les réseaux sociaux, contre les autorités traditionnelles. L'usure et le discrédit des « élites » tendent à exacerber une forme de nihilisme politique, fait de rage, de frustrations, de peurs, dont M. Trump est à la fois le symptôme et le bénéficiaire.

    Le vrai ressort de cette insurrection est un puissant besoin de nation, si obstinément nié, tenu en suspicion, ringardisé - cette idée, pourtant triviale, longtemps abandonnée aux tribuns populistes, qu'une communauté nationale a le droit, et le devoir,de mettre en avant les intérêts et les valeurs des siens et de préserver l'intégrité culturelle de son être ensemble.

    Donald Trump l'avait compris avec un instinct infaillible. « Les gens veulent apercevoir des frontières », a-t-il récemment déclaré. Toute sa campagne, aussi incohérente qu'elle ait été par ailleurs, exploitait sans vergogne la question nationale, pendant que les caciques du Parti républicain continuaient à dénoncer l'« obamacare », le trop d'État, la protection sociale, en voyant les primaires leur échapper régulièrement. Ils paient aujourd'hui le prix des chimères idéologiques que leur propre électorat a congédié dans les urnes. Les voici contraints soit à soutenir cet encombrant intrus soit à le désavouer, deux manières d'attester le naufrage d'un parti aujourd'hui fracturé et exsangue.

    La seule chose qui lie M. Trump à l'establishment républicain est une hostilité partagée envers Hillary Clinton. Ce n'est pas, certes, un programme électoral, mais les sondages les plus récents les portent, à défaut de s'entendre, à tout miser sur cette cible : la cote de Mme Clinton continue de baisser et l'avance qu'elle conserve sur son adversaire républicain est trop ténue pour autoriser un pronostic.

    Quant à savoir ce que peut donner l'accession d'un Donald Trumpà la magistrature suprême du plus puissant État de la planète, personne ne peut prétendre en avoir une idée claire, à commencer par l'intéressé. 

    Ran Halevi

    Ran Halevi est directeur de recherche au CNRS et professeur au Centre de recherches politiques Raymond-Aron.

    * A voir dans Lafautearousseau ...

       Régis Debray est il réactionnaire ? Débat avec Alain Finkielkraut

  • Dédié aux gens qui croient que les choses vont toujours dans le même sens ...

     

    ... Et Atlantico précise : « D'après une étude publiée par le Journal of Democracy (voir ici), 72% des Américains nés avant la Seconde Guerre Mondiale jugent essentiel de vivre dans une démocratie. Chez les millenials (nés entre les années 1980 et 2000), ce chiffre tombe à 30%. Comment expliquer cette perte d'attachement à la démocratie en quelques décennies ? S'agit-il réellement d'une défiance vis-à-vis de la démocratie elle-même, ou est-ce plutôt la conséquence d'un sentiment d'uniformisation, de standardisation de l'offre politique ? » A méditer, n'est-ce pas ?  •

  • Un débat en Occident qui ne sent pas très bon ...

    Un débat absurde venu d’Amérique © Copyright : dr

     

    Par Péroncel-Hugoz

    Notre confrère Péroncel-Hugoz, qui séjourne actuellement en Europe, y a recueilli quelques échos d’un débat surréaliste agitant les milieux branchés …  Défense de rire !

     

    peroncel-hugoz 2.jpgLes Etats-Unis d’Amérique se déchirent entre les trompettants partisans de Trump d’un côté, et les partisans pas très hilarants d’Hillary de l’autre côté ; l’Europe occidentale, elle, est en pleine confusion avec le tour que les Britanniques viennent de lui jouer. Ajoutons que partout, à Bruxelles, Francfort, Marseille, Milan, Boston, Vancouver, etc. On s’attend, en toute impuissance, à de nouveaux carnages djihadistes. 

    Et savez-vous de quoi s’occupent, par ces temps d’anxiété généralisée, des «élites» politiques et intellectuelles de l’Occident ? Du statut des cabinets publics, des toilettes bref les WC … Les «transgenres», variété sexuelle nouvelle, surgie au grand jour à la fin du XXe siècle en Amérique du Nord et en Europe occidentale, devront-ils satisfaire leurs besoins naturels chez les hommes ou chez les femmes ? Ou bien faudra-t-il que les Etats créent des lieux d’aisance du troisième type pour que les «transgenres» puissent se soulager en toute bonne conscience, et en tout confort ? ... 

    Il paraît que cette gravissime question a même été agitée début juillet lors de la réception par le président François Hollande, de représentants des «minorités sexuelles» françaises. On s’attend même que le chef de l’Etat français, connu sous le surnom de «Monsieur Petites-Blagues», en forge une, bien salée, sur cet important problème marquant la dernière année de son quinquennat … On croit rêver mais on en est là. 

    Aux Etats-Unis, au moins, la question devrait être résolue puisque les deux candidats à la Maison-Blanche, Mme Hillary et M. Donald, sont pour une fois d’accord : « Il faut laisser les trans se soulager là où ils veulent ». Mais qu’en pensent vrais hommes et vraies femmes, peu soucieux, peut-être, de devoir côtoyer, en de tels lieux, des créatures indéterminées … On n’a encore vu sortir aucun sondage à ce sujet. N’ayons crainte, ça va venir ! Les sondages, ça rapporte… 

    En attendant, malgré la désapprobation du président Obama, qui a fait savoir sa sacro-sainte opposition à toute forme de « discrimination », la ville états-unienne de Charlotte, en Caroline-du-Nord a décrété que les trans devraient se comporter  «en toutes circonstances» en fonction du sexe qui leur est « attribué par leur carte nationale d’identité et non selon leur choix personnel » … 

    Aussitôt, protestations, pétitions de bonnes âmes, un peu partout aux Etats-Unis puis en Europe, continent jamais en retard pour imiter les tendances les plus absurdes venues d’Outre-Atlantique. La polémique s’est même emparée à présent des établissements scolaires où, selon certaines associations, chaque élève «doit pouvoir choisir son sexe lui-même et donc son lieu d’aisance » ! Même des enfants sont ainsi embarqués dans ce tourbillon ridicule. 

    Au moins au Maroc on est à l’abri de faux débats de ce type ! Ouf !  •

    Peroncel-Hugoz

    Repris du journal en ligne marocain le 360 du 15.07.2016

  • Société • Pokémon Go : quand l'Empire du Rien contre-attaque

     

    Par François-Xavier Ajavon     

    Le lancement du nouveau jeu géolocalisé de Nintendo connaît une ampleur planétaire. Pour François-Xavier Ajavon [Figarovox, 13.07], quand des multitudes se mettent à chasser frénétiquement des Pokémon virtuels, une réalité s'impose : le Rien a triomphé. Un rien démocratique ? LFAR 

        

    ajavon.jpgA quelques encablures du chassé-croisé des juilletistes et des aoûtiens, en pleine torpeur estivale, tandis que les Français dilapident leurs congés payés sur des plages surpeuplées pleines de touristes allemands en short, alors qu'un ennui palpable gagne toutes les rédactions, une information de premier plan est tombée sur les téléscripteurs du monde entier : l'humain vient enfin d'accéder à un plein accomplissement intellectuel grâce à un jeu : Pokémon Go. A l'heure où j'écris ces lignes seuls le Pape François, Elvis Presley et Michel Rocard ne se sont pas encore exprimés sur cette révolution dans la mutation de l'humain, créature animale déjà élaborée, vers encore plus de sophistication. La plupart de ceux qui ont une certaine mémoire des choses de la vie se souviennent de la précédente vague de Pokémon-mania qui avait envahi les cours de récréation hexagonale ; cette résurgence ne peut que nous rappeler les heures les plus sombres de notre Histoire. Alors de quoi s'agit-il ? D'une application ludique développée par Nintendo pour les Smartphones, exploitant leurs capacités de géolocalisation et leurs caméras intégrées, permettant d'incruster les Pokémons dans l'environnement des joueurs. Le but est, comme à l'époque de leur lancement il y a 20 ans, sous Alain Juppé, de les capturer et de les dresser. Au fil de leurs déambulations dans la ville, téléphones en mains, les joueurs se livrent donc à une « chasse » aux Pokémons virtuels. Il n'en fallait pas moins pour que des titres terrifiants surgissent dans la presse, avec des mots du type : « engouement planétaire », « folie », « buzz », « fureur », « frénésie », l'action Nintendo « s'envole » et bien entendu l'imparable « phénomène de société »… On a demandé leur avis à des psychologues, des sociologues, des experts de toute sorte. Hollywood songe à faire un film sur le sujet. Et naturellement on a tiré le signal d'alarme sur les périls auxquels s'exposent les joueurs, on a fait jouer le principe de précaution… A l'instar de la pratique de la perche à selfies, la chasse aux Pokémon n'est pas sans risque : elle peut en effet entraîner les participants le long de routes ou de voies ferrées, et la presse américaine signale déjà des cas de blessés. La radio-télévision belge a solennellement mis en garde la population du royaume au sujet des risques que présente la traque des Pokémons en voiture. Les autorités françaises n'ont pas tardé à se saisir officiellement du dossier ; face au risque de bousculade, de mouvement de foule, d'émeute, de Nuit debout ou de tout autre débordement, un rassemblement qui devait regrouper plus de 3000 personnes au Jardin du Luxembourg a été interdit par la Préfecture de Police de Paris. Et comme le moderne vit dans une société sans Histoire, plusieurs points de rencontre de chasseurs de Pokémons se sont trouvés dans le mémorial de l'Holocauste, à Washington. « Il est inapproprié de jouer à Pokémon GO dans ce musée, qui est un mémorial aux victimes du nazisme », a déclaré l'un des responsables des lieux. Des zombies, portables en mains, arpentent - le regard hébété - musées, lieux de culte, et hôpitaux. On sait encore peu de choses de leur vie intérieure. On ne sait pas vraiment s'ils sont heureux. L'histoire dira s'ils finiront eux-mêmes par devenir aussi virtuels que le monde qu'ils adulent. Ils auront, quoi qu'il en soit, occupé leur temps. Un bel exercice pour l'examen d'entrée à l'ENA serait de faire écrire aux futurs élèves une note expliquant ce prodigieux progrès de l'humanité - l'un des plus décisifs après le moteur à explosion et le Gin tonic - au Préfet Poubelle par exemple, ou à un quelconque type né au XIXème siècle.

    Résumons la situation : la fin de l'Euro de football a laissé un tel vide que l'actualité s'en trouve ainsi dominée par Emmanuel Macron, Jean-Marc Morandini, le coiffeur de François Hollande et les Pokémons. (Quatre noms désignant d'ailleurs la même chose : le grand Rien). C'est triste. Vivement le siècle prochain. 

    François-Xavier Ajavon 

    François-Xavier Ajavon est docteur en philosophie, chroniqueur dans Causeur        

  • Jean-François Colosimo : « La Turquie a fait un pas de plus vers la dictature islamiste »

     

    Par Alexandre Devecchio

    Il manquait, nous semble-t-il, une analyse de fond de la crise turque. Jean-François Colosimo la donne dans cet entretien paru sur Figarovox [18.07] : Erdogan n'a pas hésité à lancer la foule contre les tanks pour empêcher un coup d'Etat militaire dont l'échec renforce aujourd'hui encore davantage la mainmise du président turc sur un pays islamisé, mais fragile, selon Jean-François Colosimo.  LFAR 

     

    3916724602.jpgLe président turc Erdogan a maté une tentative de coup d'Etat militaire. Que s'est-il passé ? Cela a-t-il un lien avec l'attentat d'Istanbul, il y a un quinzaine de jours ?

    La Turquie d'Erdogan est un pays a la dérive qui voit resurgir les fantômes de son passé irrésolu, refuse de faire face à sa faille constitutive et pratique la fuite en avant quant à son ancrage définitif entre l'Europe sécularisée et l'Orient islamisé. Trois mesures de temps sont nécessaires pour appréhender ce coup d'état avorté. Le premier, de long terme, tient à l'affrontement constant sous l'Empire ottoman entre le sabre et le turban, l'armée et le clergé, dont la fin des janissaires est exemplaire: cette puissante élite militaire et administative issue de chrétiens convertis de force et demeurée religieusement minoritaire puisque liée aux Bektachis, Alévis et autres confréries soufies, est exterminée en 1826 à l'occasion d'un déchaînement populaire fomenté par le Sultan Mahmoud II au nom de Mahomet et relayé par les oulémas sunnites ; déjà il s'agit d'éradiquer un “État dans l'État ” jugé de surcroît hétérodoxe. Second moment, de moyen terme, le mouvement se reproduit tout en s'inversant avec les Jeunes-Turcs puis Mustapha Kemal et les chefs militaires de la guerre de révolution nationale qui, au nom cette fois de la laïcité, briment l'islam institutionnel non sans précisément tolérer les Bektachis pour des raisons de convergence idéologique quant à l'impératif de la modernisation: l'armée, qui se veut garante de ce républicanisme émancipateur, interrompt ce qu'elle conçoit comme des “dérives démocratiques” en 1960, 1971 et 1980 en instaurant la dictature et en considérant le putsch comme un moindre mal au regard de forces considérées là encore comme centrifuges et destructrices d'une impossible unité hors la violence étatique. Le troisième moment, auquel nous assistons, relève d'une sorte de volonté de synthèse en forme d'impasse. Au nom du califat, cette expression suprême et politico-religieuse du sunnisme orthodoxe qui serait hypothétiquement restauré en sa propre personne dès lors qu'il réussirait à imposer une présidence dotée des pleins pouvoirs, Erdogan se bat sur les deux fronts: d'un côté, ce qu'il reste de l'armée kémaliste, laïciste et anti-religieuse ; d'autre part, la puissante confrérie de Fettulah Gulen issue du mouvement religieux et revivaliste nordjou, lequel ambitionne d'unir fondamentalisme et modernisme à travers le maillage de la société et la pénétration de l'appareil d'État (Éducation, Justice, Police, Armée, etc.). Les gulenistes ont été décisifs comme levier dans la conquête du pouvoir menée par Ergogan à la tête de l'AKP, le parti “islamo-conservateur”. Mais l'alliance est rompue depuis 2013 et la dénonciation par Gulen, qui vit aux États Unis, de la corruption organisée par les cercles gouvernementaux et plus encore par les proches et parents de l'actuel président. Erdogan, qui avait jusque là mené une traque sourde à l'encontre des kémalistes a alors systématisé la chasse aux gulenistes. Il veut incarner à la fois le sabre et le turban, quitte à devoir lutter contre ceux qui traditionnellement les représentent. Que les mutins appartiennent à l'une ou l'autre tendance importe peu au regard de la logique de purge qui préside à l'ensemble de sa quête autocratique. Or c'est par cette logique, jusqu'ici réversible, désormais totale, que la Turquie n'a cessé de se survivre afin d'échapper à son vide fondateur ainsi qu'à sa construction artificielle reposant sur l' élimination des minorités et des dissidences, ou plus largement de toute différence, au profit d'une identité imaginaire. Ainsi, plus Ergogan entend fusionner les pouvoirs, plus menace l'implosion dont ce putsch n'est jamais que l'un des nombreux signes.

    Le gouvernement « islamo-conservateur » semblait être réconcilié avec l'armée ? Comment expliquez-vous ce revirement ? Lors des précédents putschs en Turquie, l'armée était unie. Est-ce toujours le cas aujourd'hui ?

    En recourant dans un premier temps , afin d'asseoir sa conquête du pouvoir, à un processus de démocratisation qui faisait la part belle aux autres communautés brimées par le kémalisme - et ce, pour d'autant mieux instituer le retour sinon inassimilable de l'islam politique -, Erdogan a neutralisé le rôle traditionnel de l'armée comme gardienne d'un républicanisme intransigeant.

    S'en est ensuivie une période de surveillance mutuelle où chaque camp guettait la faute de son rival. Erdogan a su cependant absorber l'hostilité des militaires d'une part en la neutralisant par le maintien d'Ankara dans l'OTAN, d'autre part en la détournant au profit de son projet diplomatique de puissance régionale, d'inspiration néo-ottomane, qui aurait vu les Turcs recouvrer leur hégémonie perdue, depuis la dislocation de l'Empire, sur le Proche-Orient. Parallèlement, il a mené à l'intérieur une guerre secrète pour décapiter l'armée de sa direction idéologique, instrumentalisant à cette fin les autorités parlementaires, policières ou judiciaires: l'affaire Ergenekon conclue par le procès - fleuve du même nom entre 2007 et 2009, censée mettre à bas un complot laïciste mené par des officiers félon, a marqué de ce point de vue un tournant. Les observateurs abusés ont voulu considérer qu'il y allait d'un combat inévitable, au prix d'une purge certes brutale mais juste, contre « l'Etat profond », cette nébuleuse rassemblant hauts gradés, maîtres espions, ultra-droitiers, affairistes et maffieux, qui est le coeur traditionnel du pouvoir turc. En fait, par une telle mesure d'intimidation, en frappant seulement le noyau dur de ses adversaires, Erdogan s'est acquis le ralliement définitif de « l'Etat profond », plus soucieux de préserver ses intérêts immédiats que de s'opposer à l'islamisation croissante de la société. Cette construction de rassurance n'a pas résisté à l'épreuve du réel: le néo-ottomanisme s'est défait ; la corruption s'est multipliée ; les Alévis se sont révoltés ; les gulénistes se sont opposés ; la complicité objective avec Da'ech s'est retournée ; la question Kurde s'est réveillée... C'est un Erdogan s'excusant auprès de Poutine, ayant échoué en Irak et Syrie, renouant avec Israël, tributaire des scandales frappant sa famille, obligé de purger son propre parti, impuissant face aux attentats, rouvrant la guerre civile dans le Sud-Est, qui a eu à faire face à une armée à nouveau rebelle, mais devenue elle-même, signe d'une détérioration plus profonde des équilibres anciens, incapable de réussir son putsch.

    Pourquoi l'armée a-t-elle tirée sur la foule ? Comment expliquez-vous cette erreur stratégique ?

    C'est la fonction même du mythe moderne de la révolution nationale que de faire de l'armée, qui a gagné l'Indépendance au prix du sang et qui est l'ultime garante de l'unité du peuple, une avant-garde absolue, hors du droit commun et fondée en ce sens à lutter contre l'ennemi intérieur aussi bien qu'extérieur.

    Erdogan est, lui, un postmoderne, sachant allier avancée fondamentaliste et revendication démocratique, n'hésitant pas à jeter les foules contre les tanks pour s'assurer d'un plébiscite victimaire. En réduisant hâtivement la légitimité du pouvoir exécutif à la légalité de la représentation électorale, Washington, Berlin et Paris ont ainsi confirmé un apprenti-dictateur dans la conscience que sa stratégie du loup dans la bergerie est gagnante.

    Erdogan est-il renforcé par ce coup d'Etat ? Son projet de système présidentiel fort a-t-il une chance d'aboutir? A l'inverse, l'armée peut-elle encore jouer le rôle de contre-pouvoir ?

    Tout comme il n'a cessé récemment de chercher un répit sur la scène internationale en se reniant, Erdogan a obtenu un sursis qui ne lui était pas acquis avant cet ersatz de mutinerie. Pour gagner, l'armée devait obtenir le consentement des classes éclairées, de l'opposition de gauche et de la mouvance kurde, lesquelles ne pouvaient que le lui refuser de par le fait qu'elles avaient été les grandes perdantes des précédentes dictatures militaires. Significativement, les partis kémaliste et kurde se sont immédiatement déclarés loyalistes au regard du gouvernement en place.

    La prime ainsi accordée à Erdogan, auto-couronné homme providentiel de la liberté, est indéniable. Elle ne peut qu'accélérer sa course au pouvoir autoritaire qu'il entend instaurer depuis son arrivée aux affaires. Mais là encore pèse la responsabilité des Occidentaux qui ont accepté, de leur côté, qu'il joue au maître-chanteur sur la question des migrants et devienne ainsi un interlocuteur incontournable. L'armée, à nouveau purgée, ne saurait plus être un contre-pouvoir. L'autoritarisme illimité qui pointe devrait conduire à des formes redoublées de résistance violentes et insurrectionnelles, voire terroristes, kurdes ou islamistes, sur fond de graves instabilité sociale.

    Plus largement, est-ce le triomphe de l'islam politique ? Le «modèle turc» est-il exportable ?

    C'est bien parce que, à la suite de Byzance, la Turquie est un Orient/Occident que nous sommes illusionnés sur la réussite de son «islam politique». Celui-ci a été précisément contre-balancé jusqu'ici par une nette européanisation des moeurs et des intelligences, d'ailleurs antérieure au kémalisme qui en a freiné les pires excès et la pente para-totalitaire. Le temps allant, ce modèle mixte est en train de s'éroder sous l'effet d'une lente mais sûre raréfaction des forces vitales et contestataires de la société civile, dont les intellectuels exilés et les journalistes embastillés. Paradoxalement, en réprimant ce psychodrame de putsch, la Turquie a fait un pas de plus vers la dictature. Et vers l'isolement. Toujours plus étrangère au Vieux Continent, elle ne saurait exporter son modèle à ses limes arabes, historiquement réfractaires à l'emprise turque, culturellement moins enclines à l'hybridation et d'ores et déjà sujettes à des modèles autrement plus radicaux - donc jugés sur place, en vertu de ce renversement de perspectives propre au fondamentalisme, plus « avancé s».

    Quelles sont les conséquences pour l'Europe ? La victoire des militaires laïques aurait-elle été préférable ?

    Soumises à la politique gribouille de Merkel, prise entre angélisme moral, souci démographique et calcul politicien, Bruxelles a remis les clés de l'Europe à Erdogan: acquitter son racket sur les migrants est un leurre car, la levée des visas aidant, il lui suffira de les naturaliser massivement pour qu'ils accèdent à une libre circulation qu'il était présumé limiter. Il y a tout lieu également, de s'inquiéter de la solidité future de l'OTAN si l'alliance dite « atlantique » devait compter dans ses rangs une armée turque dorénavant islamisée à rebours de sa tradition première. Mais il y a plus grave: c'est démoraliser les élites qui, contre l'islamisme, font le choix de l'universel que de les trahir en donnant un brevet renouvelé de démocratie à Erdogan. Il semble que ni Obama, ni Hollande n'aient retiré un quelconque enseignement de leurs erreurs récentes sur l'Égypte ou présentes sur l'Arabie Saoudite. Notre attentisme est criminel: au lieu de résoudre le chaos croissant là-bas, il en sème des prodromes ici. Dans tous les cas, ce sont les peuples qui, partout, paient la note de cet aveuglement volontaire. 

    Jean-François Colosimo est écrivain et essayiste. Président du Centre national du livre de 2010 à 2013, il dirige désormais les éditions du Cerf. Son dernier livre, Les Hommes en trop, la malédiction des chrétiens d'Orient, est paru en septembre 2014 aux éditions Fayard. Il a également publié chez Fayard Dieu est américain en 2006 et L'Apocalypse russe en 2008. 

    picture-2540921-61yhv5dr.jpgEntretien par Alexandre Devecchio 

    Journaliste au Figaro et responsable du FigaroVox. Twitter : @AlexDevecchio

  • 1936-2016 : Retour avec paroles & images sur le 80e anniversaire de la Guerre d'Espagne

     

    Nous avons rappelé lundi dernier, 18 juillet, le 80ème anniversaire du Soulèvement National du 18 juillet 1936 qui marque le début de la guerre d'Espagne.

    Nous complétons aujourd'hui cette évocation par la mise en ligne suivante :

    Un discours de guerre du général Franco (1892-1975) prononcé en avril 1937 à Salamanque qui a été dans les premiers temps des combats capitale de l'Espagne nationaliste. Nous avons trouvé préférable d'en donner le texte espagnol, plutôt qu'une traduction qui l'aurait affadi. Comprenne qui pourra !

    Et les deux grands hymnes de la guerre dans le camp nationaliste : Le Cara al Sol, chant de la phalange de José Antonio Primo de Rivera (1903-1936), et l'Oriamendi, hymne traditionnel des requetes, remontant aux guerres carlistes. 

     

    Franco à Salamanca, le 19 avril 1937

    Los hombres más heroicos del mundo, los más grandes de Europa, son los hijos de España.

    Cuando se lucha en las trincheras, como se lucha, cuando se muere en el frente como se muere, cuando se defiende a España como la defienden Falangistas, requetés y soldados, hay una raza y hay un pueblo.

    A esta lucha, a esta sangre generosa, a este heroísmo, tiene que corresponder la retaguardia vibrando, animando al centinela, animando al comhatiente, llevándoles ánimos de España para acabar pronto con la paz y con el triunfo de la justicia en nuestro pueblo, con los ideales que están grabados en el corazón de todos los Españoles de justicia, fraternidad, de amor a España, de grandeza de la Patria; qué este Movimiento ? Todo grandeza y por ello la unión ha de ser sagrada, un abrazo de todos, porque hemos de recorrer juntos un glorioso camino, llevando sobre hombros españoles el Imperio legendario y tradicional que la juventud española forjará, y la forjarà porque lo está fraguando con su sangre pródiga que está vertiendo en los campos de España y porque está en el corazón de todos los españoles que gritan :
    ¡ ARRIBA ESPAÑA ! ¡ VIVA ESPAÑA !

     

     Cara al Sol, l'hymne de la Phalange

    Oriamendi, l'hymne Carliste

     

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    Par Maxime Tandonnet

    L'entrée de José Manuel Barroso chez Goldman Sachs a déclenché une vaste polémique. Maxime Tandonnet montre comment cette nomination va renforcer le sentiment de défiance des peuples européens vis à vis de l'UE [Figarovox 11.07]. Mais, bien plus, il en conclut : « Aujourd'hui, rien ne permet de penser que l'Union européenne y survivra. » Point de vue partagé par Lafautearousseau.    

      

    1955827291.jpg« José Manuel Barroso va apporter une analyse et une expérience immense à Goldman Sachs ». Le recrutement de l'ancien président de la Commission européenne par la banque d'affaires américaine et son communiqué dithyrambique, illustrent le drame de la vie publique sur le vieux continent. Il symbolise la coupure et l'incommunicabilité entre deux mondes, celui des élites dirigeantes et celui des peuples. La banque d'affaires et M. Barroso donnent le sentiment d'avoir concocté leur accord sans la moindre idée de son effet dévastateur sur les opinions publiques. L'Europe officielle ne cesse de fustiger le « populisme » croissant des peuples du vieux continent. Pourtant, ce pacte ne fait que le nourrir et l'amplifier. L'embauche de l'ex-président de la Commission paraît destinée à conforter le reproche permanent qui est fait aux institutions de l'Europe : celui de leur connivence avec la finance mondiale. Elle fournit du pain béni aux formations qualifiées de populistes, de droite comme de gauche, qui triomphent en ce moment dans les sondages et pensent tenir aujourd'hui la preuve de leur accusation : « l'Union européenne, vulgaire succursale de la pieuvre financière ». L'arrivée de M. Barroso au poste de « directeur non exécutif » de Goldman Sachs donne le sentiment de tomber à point pour justifier l'accusation de complicité entre Bruxelles et l'Argent. Le symbole est dévastateur. Il donne une image d'arrogance de l'Europe d'en haut envers l'Europe d'en bas.

    Les années Barroso, de 2004 à 2014,ont été particulièrement sombres pour le projet européen. Elles ont été marquées par le rejet franc et massif par les peuples français et hollandais d'une Constitution européenne jugée bureaucratique et anti-démocratique. Ces années ont été celles d'une épouvantable crise financière et économique, qui s'est traduite par l'explosion du chômage dans toute l'Europe de 2008 à 2011, dont le secteur bancaire est tenu pour le premier responsable. Elles ont vu la Grèce plonger dans la misère, l'humiliation, la dépendance financière et une profonde fracture se creuser entre l'Europe du Nord et l'Europe du Sud. Puis, la crise des migrants s'est déclenchée en 2011 à la suite des « printemps arabes » et de la déstabilisation de la rive Sud de Méditerranée, ne cessant de s'amplifier jusqu'à son paroxysme de 2015, dans l'impuissance absolue d'une Union européenne engluée dans ses dogmes et son incapacité à développer une volonté politique commune pour frapper les passeurs esclavagistes.

    La banque d'affaire prête à l'ex-président de la Commission « une profonde compréhension de l'Europe ». Ces mots, au regard du bilan des années Barroso, exhalent un parfum d'ironie. D'ailleurs, l'hypocrisie suinte de ce pantouflage au sommet, que le nouveau « directeur non exécutif » justifie par l'engagement de Goldman Sachs en faveur des « plus hauts principes éthiques ».

    La nouvelle du recrutement de M. Barroso par la banque d'affaire américaine intervient à un moment dramatique pour l'Europe, ébranlée par le Brexit. Aujourd'hui, rien ne permet de penser que l'Union européenne y survivra. Les années Barroso ont précipité le basculement de l'Europe en une zone d'influence prépondérante de l'Allemagne, sur le plan économique et politique, comme l'a souligné l'emprise de la chancelière Merkel sur la gestion de la crise des migrants. Le projet européen, fondé sur une « union toujours plus étroite entre les peuples » et « l'égalité des Etats devant les traités » (article 4) a été frappé au coeur. 61% des Français, 48 % des Britanniques, Allemands, Espagnols ont désormais une image négative de l'Union (Pew research center juin 2016). L'Europe est-elle concevable à terme dans le rejet de ses peuples ? Pour reprendre la formule de Jean Monnet, le recrutement de M. Barroso par la Goldman Sachs constitue un « petit pas » supplémentaire dans la destruction de l'idéal européen.   

     Maxime Tandonnet décrypte chaque semaine l'exercice de l'État pour FigaroVox. Il est l'auteur de nombreux ouvrages, dont Histoire des présidents de la République, Perrin, 2013. Son dernier livre Au coeur du Volcan, carnet de l'Élysée est paru en août 2014. Découvrez également ses chroniques sur son blog.

    Maxime Tandonnet           

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