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Idées, débats... - Page 407

  • Une Victoire de 1918 au goût amer pour les royalistes ?

    Les ruines ... 

    Par Jean-Philippe Chauvin

    C'est là le troisième de plusieurs articles de Jean-Philippe Chauvin, rédigés pour ce centenaire de la victoire de 1918. Nous les publions au fil des jours. Ils nous parlent d'hier mais avec de fortes implications pour aujourd'hui.  LFAR

     

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    Pleuvait-il il y a cent ans comme il pleut aujourd'hui sur la région parisienne ? Je n'en sais rien mais cette grisaille extérieure incite à la lecture plus qu'à la promenade, et mon livre du jour, usé d'avoir été trop lu et relu, commémore, à sa façon, la fin de la guerre : c'est le recueil des notices nécrologiques que Charles Maurras avait écrites au fil des tristes nouvelles venues du front, et qui constitue, sous le titre explicite de Tombeaux, une sorte de « cimetière » des royalistes d'Action Française et, sans doute, du « jeune royalisme » né dans les années 1890 autour d'Eugène Godefroy et de la « Jeunesse Royaliste », et poursuivi, d'une certaine manière, plus « intellectuelle et violente », par les Camelots du Roi de Maxime Real del Sarte et les étudiants monarchistes d'Henri Lagrange. Je ne suis pas certain que l'AF se soit jamais remise de ce choc de 14-18, si son histoire et sa « nécessité » peuvent, elles, se poursuivre au-delà de la guerre : les situations et conditions des lendemains de la guerre n'ont plus grand-chose à voir avec le monde d'avant-1914, et la Victoire de 1918 apparaît, malgré le sacrifice de dizaines de milliers de monarchistes, comme le triomphe sanglant de la République, comme le souligne la plupart des livres et articles parus à l'occasion du centenaire du 11 novembre 1918. A lire les dernières lignes de Tombeaux, j'ai la certitude que Maurras lui-même a saisi cette dimension particulière de la Victoire, et qu'il cache son amertume derrière une colère qui, elle, n'est pas feinte. 

    19624058011.jpgCes pages ultimes de l'ouvrage évoquent l'inhumation définitive dans l'hiver 1921 du jeune Pierre Villard dont l'important héritage financier permettra la naissance et la publication durant un quart de siècle de La Revue Universelle fondée et dirigée par Jacques Bainville. Elles forment une sorte de déambulation entre paysages des territoires de la guerre et souvenirs des espérances des débuts de l'Action Française, quand Maurras parcourt en train la distance qui sépare Paris de Verdun. Il y a une mélancolie certaine de Maurras, teintée d'une amertume qui se transforme en colère, cette sorte de « furia francese » dont Maurras, jadis polémiste de conquête, deviendra coutumier, non sans certaines raisons, et que le général de Gaulle, « ce maurrassien pressé d'agir » comme le nommera un rédacteur de la revue étudiante Insurrection en 1993, résumera par une formule bien trouvée : « Il a eu tellement raison qu'il en est devenu fou ! ». 

    C'est la remémoration qui semble accaparer une grande part du papier sur lequel court la plume de Maurras, et une leçon d'histoire nationale éminemment politique, mais qui sonne aussi comme un regret, ou comme une nostalgie, selon les lignes, mais sûrement pas comme un abandon : « Des esprits irréfléchis avaient beau jeu à accuser la légèreté française et à se tourner contre le génie et l'âme de la patrie. Mais la critique la plus aiguë d'un Pierre Villard n'avait pas à se charger de cette impiété. La France est exonérée dès que l'étude du régime a su faire apparaître les lacunes, les contradictions, les misères du gouvernement des partis. On gère mal l’État quand on change plus de soixante fois de ministère en moins de cinquante ans. On ne prépare ni la paix ni la guerre quand l'autorité et l'unité manquent à la direction politique. Un gouvernement de valeur moyenne et qui dure vaut mieux que trente-six gouvernements tapageurs dont les contradictions successives font tomber leur ensemble au-dessous de zéro.

    « (…) Comment ces vérités indispensables à l'avenir étaient-elles cantonnées dans un monde relativement limité ? Comment toute l'élite morale et sociale ne mettait-elle pas en commun ses ressources en vue de la restauration de la Monarchie ? C'était le scandale de la jeunesse de Pierre Villard. Ainsi et ainsi seulement, pensait-il avec raison, l'on pourrait aboutir. » Mais la guerre a brisé l'élan monarchiste et la boue des tranchées a enterré plus sûrement la contestation royaliste que tous les arguments, défaits par les faits, de la République... Est-ce vraiment un hasard si, sur les quinze secrétaires généraux des étudiants d'Action Française d'avant-1914, treize trouveront la mort dans cette Grande Guerre, privant le mouvement royaliste des énergies les plus vives et les moins stériles ? 

    achille-patrocle-fuseli.jpgMaurras doit désormais se contenter d'établir un bilan et de rappeler l'histoire sans les moyens humains de la faire, ou de l'orienter différemment de la République : « Nos rois n'aimaient pas la guerre, mais ils savaient la préparer, la conduire, la terminer, l'utiliser : nous l'avons vu depuis la mort de Pierre Villard, notre paix démocratique, cette prétendue paix des peuples dictée par un consortium de banquiers à nos armes victorieuses, ne vaut pas non plus la paix de nos rois. » Effectivement, la suite lui donnera raison, malheureusement (et Maurras sera le premier à le regretter pour l'avoir tant annoncé et dénoncé) et douloureusement, et la guerre, la défaite, l'occupation, l'infamie même, seront au bout de cette paix des banquiers ! 

    La colère de Maurras va croissante au fur et à mesure de l'article, comme si la main se crispait un peu plus à chaque phrase et à chaque minute, devant ce temps présent de 1921 qui prouvait un peu plus la malfaisance de cette République-là, pourtant dirigée alors par les conservateurs du « Bloc national » de la « Chambre bleu-horizon » et animée par les éclats de voix de son ami Léon Daudet, député royaliste d'Action Française depuis les élections de 1919. Une colère qui devient bientôt fureur quand il rapporte sa visite sur les bords de la Meuse, à Verdun : « Autour de nous, à perte de vue, s'étendait un paysage de pans de murs fauchés à hauteur d'homme, de maisons décoiffées ou bien rasées de haut en bas. Seule, neuve, presque riante, refaite de pied en cap, ailes et toiture, une grande boîte de brique, de pierre et d'ardoise carrait et étalait l'orgueil d'une renaissance égoïste qui, jusque dans cette demi-ombre, offensait.

    « Je demandais qui était cette Nouvelle Riche.

    Le guide répondit : - La Banque. »

    Et Maurras d'exploser : « Ce n'était pas pour établir la sale royauté de l'or ou du papier que sont tombés tant de héros pleins d'intelligence et de vie. Devant la dictature financière que prépare la République, le souvenir des morts, royalistes ou non, ordonne d'en finir au plus tôt avec ce régime. » 

    Il est dommage que, au soir d'un « centenaire » si médiatisé, personne n'ait pensé à reprendre cette réflexion de Maurras, ce « nationaliste intégral » si amoureux de la vie, inconsolable et furieux de « la mort des meilleurs » : sa condamnation de la « sale royauté de l'or », qu'il fait au nom de la Royauté historique et nationale qu'il appelle de ses vœux, et qui termine ce Tombeaux oublié des historiens, n'est pas, elle, passéiste mais bien actuelle, au-delà de son année d'écriture et elle mérite répétition, diffusion et, surtout, exécution !   ■  

    Le blog de Jean-Philippe Chauvin

    A lire dans Lafauteousseau ...
    Tombeaux
    Jacques Bainville, ce royaliste qui annonça la guerre suivante, un matin de novembre 1918...
  • Jacques Bainville, ce royaliste qui annonça la guerre suivante, un matin de novembre 1918...

    Les négociateurs du Traité de Versailles 

    Par Jean-Philippe Chauvin

    C'est là le deuxième de plusieurs articles de Jean-Philippe Chauvin, rédigés pour ce centenaire de la victoire de 1918. Nous les publions au fil des jours. Ils nous parlent d'hier mais avec de fortes implications pour aujourd'hui.  LFAR

     

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    Quand on s’intéresse à l’histoire et, dans le cadre de la commémoration de l’Armistice, à la fin de la guerre de 1914-18 et aux traités de paix qui ont suivi, Jacques Bainville peut être un guide utile, même s'il n'est pas forcément le bienvenu dans l'école républicaine, celle qui l'a tant ignoré, lui l'historien « amateur » qui, pourtant,  a mieux vu que beaucoup d'universitaires professionnels la suite des événements et compris le « sens » de l'histoire (non pas la direction mais l'ontologie de l'histoire, et les raisons de celle-ci, de ses « suites logiques »). Bien sûr, il y a son livre constamment réédité depuis la chute du Mur de Berlin, Les conséquences politiques de la paix, et qui annonce dès 1920, en fait et alors dans l'indifférence quasi-générale, la triste suite des années 30 (Bainville ne verra pas tout se dérouler, victime d'un cancer en février 1936, avant la tragédie guerrière de 1939), avec une prescience qui n'est rien d'autre que l'application d'un empirisme que Maurras, à la suite de Sainte-Beuve, qualifiait d'organisateur... 

    Bainville était aussi un journaliste du quotidien mais qui voyait loin, dans une optique capétienne, et ses articles dans L'Action française mériteraient une relecture attentive et une réédition générale, avec un bon appareil critique (pourquoi pas dans la Pléiade ?) pour les remettre en contexte et les expliquer aux lecteurs de notre temps. 

    bainville-jacques-bouquins.jpgJustement, l'un de ses articles a été republié dans le recueil intitulé La monarchie des lettres, dans la collection Bouquins de Robert Laffont, et apparaît comme malheureusement visionnaire, comme celui d'une Cassandre que l'Opinion et les élites de la République n'entendent pas, ne veulent pas entendre, engoncées dans leurs certitudes et aveuglées d'illusions. Cet article c'est celui du... 14 novembre 1918, dans l'A.F. monarchiste qui sort exsangue d'une guerre qui l'a privée de sa jeunesse saignée dans la Somme ou à Verdun. Son titre : Demain ?. Il faudrait le citer en entier, même si, en définitive, sa lecture est éprouvante, presque désespérante lorsque l'on connaît la suite et que l'on constate que les avertissements de Bainville n'ont servi à rien : comme le général de Gaulle, grand lecteur de Bainville, on peut n'en éprouver que plus de mépris pour cette IIIe République imbécile et assassine par son aveuglement, sa lâcheté aussi face au pangermanisme et au nazisme des années 30, cette République qui se réfugiera dans les bras d'un vieux maréchal qu'elle ira chercher à son ambassade de Madrid avant de disparaître dans la catastrophe de mai-juin 1940... 

    Que dit Bainville, en ce jour du 14 novembre 1918, quelques dizaines d’heures après l’arrêt des combats ? Lisons : « Devant quoi la France, au sortir de la grande joie de sa victoire, risque-t-elle de se réveiller ? Devant une République allemande, une république sociale-nationale supérieurement organisée et qui, de toute façon, sera deux fois plus peuplée que notre pays. Cette république (si l'Allemagne reste une république, ce qui n'est pas encore assuré) ne sera pas, comme dirait M. Roosevelt, « du type flasque ». Elle sera productrice et expansionniste. Elle aura une politique étrangère et économique. Cette république des Allemands-Unis, qui aura achevé l'unité allemande, continuera l'empire. C'est contre elle, à un contre deux, que nous aurons à défendre notre industrie d'abord, et bientôt les provinces que nous lui auront reprises et auxquelles elle n'aura renoncé qu'en grinçant des dents. » Une république sociale-nationale : le nazisme sera l’abréviation des deux termes, national et social(isme)… L’empire sera ce IIIe Reich que le chancelier Hitler déclarera être l’achèvement de l’unité allemande et le totalitarisme nazi, pangermaniste, ce régime « supérieurement organisé » (n’est-ce pas la caractéristique affichée d’un système totalitaire ?) dira réunir tous les « Allemands », y compris au-delà des frontières officielles de l’Allemagne… 

    Relisez ce texte, relisez-le, et rappelez-vous qu'il a été écrit alors même que les canons de la Grande guerre viennent à peine de se taire, et que la France et ses alliés espèrent et affirment que la tragédie guerrière qui s'achève au bout de quatre longues années est « la Der des Der » !achille.jpg 

    Le 14 novembre 1918, Jacques Bainville, ce « Vergennes » de L'Action française méconnu de la République (pas totalement, en fait...), alarme la France sur les périls qui la menacent si elle ne gagne pas la paix : mais Bainville crie dans le désert d'une République amnésique et qui subira, pour le plus grand malheur de la France, la montée des périls sans pouvoir (sans vouloir ?) l'arrêter... 

    Dès 1918, c'est 1940 qui se prépare... « La République n'a pas de politique étrangère », disait Anatole France en haussant les épaules : c'est le moindre de ses défauts, diraient certains ; c'est le pire, au regard de l'Europe et du monde qui, eux, ont besoin, malgré la République et en attendant mieux, de la France !   ■  

    Le blog de Jean-Philippe Chauvin

    A lire dans Lafauteousseau ...
    Tombeaux
  • Tombeaux

     
    Par Jean-Philippe Chauvin

    C'est là le premier de plusieurs articles de Jean-Philippe Chauvin, rédigés pour ce centenaire de la victoire de 1918. Nous les publions au fil des prochains jours. Ils nous parlent d'hier mais avec de fortes implications pour aujourd'hui.  LFAR

     

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    Chaque 11 novembre depuis une dizaine d'années, je relis quelques pages de Tombeaux, recueil d'articles nécrologiques écrits par Charles Maurras et qui présente quelques figures d'une génération royaliste disparue dans la fournaise de la guerre de 1914-1918. Des noms aujourd'hui oubliés par le plus grand nombre, y compris dans les milieux monarchistes: Henri Lagrange, « le prince de la jeunesse » royaliste du Quartier Latin entre 1911 et 1914 ; Léon de Montesquiou, véritable théoricien de la raison d'Etat et l'un des plus brillants intellectuels de l'Action française ; Henry Cellerier, auteur d'un livre passionnant mais aux nombreuses pages censurées lors de sa publication en 1916, La Politique fédéraliste ; Jean-Marc Bernard, poète dauphinois auteur d'un des plus beaux poèmes, un des plus poignants aussi, sur les tranchées dans lesquelles, d'ailleurs, il trouvera la mort ; etc. Quel cimetière de jeunes intelligences ! 

    Tombeaux-Livre-ancien-875877253_L.jpgCette guerre terrible est, à nos yeux de contemporains, absurde. Mais elle a mobilisé 65 millions de personnes sur tous les champs de batailles (9 millions, je crois, de Français) sans vraiment de révoltes ni de mutineries, à quelques exceptions près. « Quand la guerre est là, qu'il y a danger aux portes de la Cité, il n'y a plus qu'à la faire, et à la gagner », expliquaient alors les monarchistes, pourtant méfiants à l'égard de la IIIème République qui gouvernait alors le pays. Les générations d'après-40 reprocheront beaucoup à ceux de 1940 de n'avoir pas su la faire, et la gagner... L'Occupation montra, avec toutes les horreurs liées à l'application de l'idéologie nazie, que la défaite ou la soumission (même au nom du pacifisme), est la pire des catastrophes pour les « occupés ». Cela permet aussi de mieux comprendre l'acharnement des soldats de 1914-1918 « à ne pas céder », malgré l'horreur de cette première « guerre industrielle ». 

    Mais lorsque retentit le clairon de l'armistice, les combattants espèrent que leur souffrance, le sacrifice de leurs compagnons et de leurs ennemis, n'ont pas été vains. Malheureusement, la Paix des traités de 1919-1920 était déjà grosse des guerres suivantes, de celles de 1939-1945 et des Balkans dans les années 1991-1999, comme le soulignait dès 1920 dans son ouvrage Les conséquences politiques de la paix l'historien Jacques Bainville, le spécialiste des affaires étrangères de l'Action française. 

    Aujourd'hui, la guerre a pris d'autres formes et, si elle s'est apparemment « absentée » du continent européen, elle reste un risque, y compris pour nos vieilles nations désormais amies, confrontées à des périls qu'elles n'arrivent pas encore à exactement cerner. Aussi ne faut-il pas baisser la garde et maintenir notre défense à un niveau d'excellence qui lui permette de dissuader toute agression extérieure. La paix est un bien trop précieux pour que l'on néglige de la préserver.   

    Le blog de Jean-Philippe Chauvin

  • Patrimoine cinématographique • La grande illusion

    Pierre Fresnay et Erich von Stroheim

    Par Pierre Builly

    La grande illusion de Jean Renoir (1937)

    20525593_1529036520490493_4184281983923317414_n.jpgSi pacifiste que ça ?

    la-gran-ilusion-aka-la-grande-ilusion-erich-von-stroheim-trasero-frente-de-izquierda-pierre-fresnay-jean-gabin-1937-e5m7ph.jpgAprès une bonne dizaine de visionnages, anciens et récents, de ce chef d’œuvre de Jean Renoir, j'en suis toujours à me demander ce qui lui vaut sa réputation d’œuvre pacifiste, de brûlot subversif, qui lui a - ou lui aurait - valu interdictions diverses et mises sous le boisseau. Ou alors - et c'est plutôt même sans doute là qu'il faut chercher - parce qu'en 1937, date de sortie du film, les lourdes machines des propagandes se sont mises à accélérer et ne tolèrent plus, pour la commodité de leur fonctionnement, qu'il y ait nuances, ambiguïtés, subtilités dans la mise en scène des réalités. 

    Les réalités, il me semble qu'elles sont doubles ou triples, mais suffisamment intelligentes pour n'être pas révolutionnaires ! Et si nous débarrassons aujourd'hui un film qui se passe pendant la Grande guerre d'une partie des aspects conjoncturels de l'époque de son tournage, sur quelles réalités, précisément, tombons-nous ? 

    koenigsbourg1.jpgQu'il existe une sorte d'Internationale « des gens bien élevés », qui transcende les appartenances nationales ? 

    Que la guerre peut se faire « sans haine » entre adversaires qui s'estiment ? 

    Que le désir, l'attirance physique, certaines frustrations peuvent entraîner des gens qui se comprennent à peine à engager une jolie (et provisoire) histoire ? 

    La belle affaire ! Tout cela est de l'ordre des rassurantes évidences ! 

    125874.jpgJe ne vois pas, en tout cas, chez Renoir un appel à la désobéissance, une remise en question du rôle de chacun ; bien au contraire, les combattants combattent dans un respect mutuel (mais il ne faut pas méconnaître que nos combattants sont des aviateurs, des aristocrates de la bagarre, qu'ils ne sont pas soumis à la promiscuité dégradante de la tranchée !) ; chacun fait son devoir, sans détestation de l'autre (c'est généralement seulement dans les guerres civiles qu'on déteste le type d'en face, parce qu'on sait pourquoi on le hait) ; chacun joue son rôle : les prisonniers cherchent à s'évader, les geôliers à les en empêcher. Et si Rauffenstein (quel rôle aura plus fait pour la légende d'Erich von Stroheim ?) se résout à tirer sur Boeldieu (même remarque pour Pierre Fresnay), ce n'est évidemment pas de gaieté de cœur, mais parce que c'est l'ordre des choses. 

    18477275.jpgEn fait, chacun fait son Devoir, sans fanatisme ou joie mauvaise ; mais il n'y a pas non plus d'aspect niais et grandiloquent, comme dans le J'accuse d'Abel Gance où les morts sortent des tranchées pour demander des comptes, et moins encore de côté « lendemains qui chantent » comme dans La vie est à nous, délicieux film de propagande communiste du même Jean Renoir. 

    Qui pourrait dire qu'il y a de la révolte, de l'esprit « crosse-en-l'air », de la mutinerie, dans la silhouette de Maréchal (Jean Gabin) et de Rosenthal (admirable Marcel Dallio) qui gagnent la Suisse dans la neige, après avoir quitté la ferme d'Elsa (Dita Parlo) ? 

    Je gage même qu'après une permission de convalescence, Maréchal et Rosenthal reprendront le combat...  ■

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    DVD disponible autour de 10€ 

    Retrouvez l'ensemble des chroniques hebdomadaires de Pierre Builly sur notre patrimoine cinématographique, publiées en principe le dimanche, dans notre catégorie Culture et Civilisation.
  • POÉSIE • « L’ART POÉTIQUE DE CHARLES MAURRAS » [2]

     

    PAR LUC-OLIVIER D’ALGANGE

    Une remarquable réflexion sur l'art poétique - et politique - de Charles Maurras ... 

    « Le Dieu t’encoche à l’arc de la mer » – Charles Maurras 

    Luc-Olivier-d’Algange-@TV-Liberté.jpgLes confusions et les malheurs du temps ...

    Les confusions et les malheurs du temps proviennent, pour Charles Maurras, de la dissociation de la beauté et de la vérité. Aristotélicien par son recours à Saint-Thomas d’Aquin et à l’empirisme organisateur d’Auguste Comte, Maurras est platonicien dans sa poétique et les raisons d’être qu’il accorde à l’Idée. Les adeptes d’un Maurras « tout d’une pièce » n’ont peut-être pas assez médité le jeu de cette contradiction créatrice. Au voisinage d’Homère et de Platon, Maurras entretient une conversation soutenue avec le limpide mystère des Idées et des Dieux, alors qu’aussitôt paraît-il s’accorder au Dogme et à l’Eglise que son argumentation se fait pragmatique. Sans doute ne voit-il dans le Dogme qu’une limite opportune à la confusion, alors son âme frémit à l’incandescente proximité des Idées.

    Vz4kzcfFlhtALzfBCXhdtnwTXPA.jpgHôte du Banquet en compagnie de Diotime, Maurras entrevoit la métaphysique dont il se défia, au contraire de Léon Daudet, lorsqu’elle lui advint par l’entremise des œuvres de René Guénon ; alors qu’apologiste du Dogme, la métaphysique et le Mystère semblent céder la place à des considérations organisatrices. S’il est, pour Maurras, un Mystère vécu, un Mystère éprouvé, ce n’est point le Mystère christique de l’Eucharistie et de la Résurrection des corps, mais, ainsi que le nomme son poème, Le Mystère d’Ulysse:

    « Guide et maître de ceux qui n’eurent point de maître
    Ou, plus infortuné, que leur guide trompa,
    Donne-leur d’inventer ce qu’ils n’apprirent pas,
    Ulysse, autre Pallas, autre fertile Homère,
    Qui planta sur l’écueil l’étoile de lumière
    Et redoubla les feux de notre firmament ! »

    « La beauté parfaite, écrit Maurras, est tel un signe de la vérité qu’il devient presque superflu de se demander si la poésie d’Horace est sincère ».

    N’étant guère enclin à nous faire procureurs en poésie ou en métaphysique, les postulants à ces titres douteux ne manquant pas, nous nous contenterons de percevoir, à travers les incertitudes maurrassiennes, dissimulées sous un ton péremptoire, le beau signe de la vérité qui nous est ainsi adressé. Cette vérité est la connaissance de nos limites. Le paradoxe de cette connaissance est d’être à la fois humble et orgueilleuse. Elle est humble, car elle présume que nous sommes essentiellement redevables de ce que nous sommes à notre tradition, à notre Pays et à notre langue. Ecrivain, moins que tout autre je ne peux oublier que ma pensée circule comme une sève dans le grand arbre héraldique et étymologique de la langue française et que ma liberté est constituée par celle de mes prédécesseurs. Chaque mot dont s’empare notre pensée s’irise de ses usages révolus. Notre orgueil n’est alors que la juste mesure de notre humilité : il nous hausse, par la reconnaissance que nous éprouvons, à la dignité d’intercesseurs. Maurras ne cesse de nous redire que notre legs est à la fois fragile et précieux. Si Maurras se fourvoie quelquefois lorsqu’il tente de définir ce qui menace, il discerne bien ce qui est menacé.

    « On est bon démocrate, écrit Maurras, on se montre bon serviteur de la démocratie, dès que l’on apporte aux citoyens des raisons nouvelles de quitter la mémoire de leurs pères et de se haïr fermement. »  Maurras ne voit pas seulement que la démocratie « servira les factions, les intérêts, la ploutocratie, enfin cette cacocratie devenue maîtresse de tout », il comprend aussi qu’exaltée en démagogie, la démocratie prépare un totalitarisme indiscernable à ceux qui le subissent : « La démagogie, c’est la démocratie lorsque la canaille a la fièvre ; mais quand la canaille est sans fièvre, qu’au lieu d’être exaltée, elle est somnolente, torpide, son gouvernement n’est guère meilleur. Un peu moins violent peut-être ? Oui, mais plus vil, plus routinier et plus borné. » 

    La décomposition du Pays en factions rivales présage cette grande uniformisation qui sera le triomphe de l’informe, du confus et du vulgaire, le mépris de la mémoire et l’obscurcissement de l’entendement humain dans une goujaterie généralisée. Maurras ne nous induit pas en erreur lorsqu’il voit dans la perpétuité dynastique un remède à la guerre de tous contre tous et une chance de subordonner le pouvoir à l’Autorité. Si nous dégageons l’œuvre de la gangue des préjugés de son temps, il nous est même permis d’y choisir ce qui n’est point frappé d’obsolescence: « Vivre proprement c’est choisir ; et l’activité intellectuelle est, de toutes les activités permises à l’homme, celle qui renferme la plus grande somme de choix, et de choix de la qualité la plus raffinée. »

    Les civilisations ne sont pas plus issues du seul hasard que de la seule nécessité. Elles sont, selon la formule de Henry Montaigu, « des dispositions providentielles » que soutient l’effort humain. Cet effort est moral, esthétique et métaphysique et la moindre défaillance menace de réduire ses œuvres à néant. La civilité est un savoir qui distingue. « L’individu qui vient au monde dans une civilisation trouve incomparablement plus qu’il n’apporte. » Lorsque le sentiment contraire l’emporte, la civilisation est déchue.

    Charles Maurras, s’il lui est arrivé de la pressentir, n’a pas connu l’extension planétaire de la démocratie totalitaire, avec son infatuation et sa pruderie, sa brutalité et ses leurres publicitaires. Face à ce « libéralisme » culminant en une société de contrôle secondée par l’informatique et la génétique, face à cette barbarie technologique, accordée à la soumission, peut-être eût-t-il renoncé à ses anciennes inimitiés pour nous inviter à d’autres formes de résistance. J’en vois la preuve dans ce qu’il écrivait le 8 août 1927 dans les colonnes de l’Action française, à propos de l’exécution des anarchistes Sacco et Vanzetti, après sept ans d’emprisonnement dans les geôles américaines : « L’aventure présente montre que cette race sensible et même sentimentale, profondément élégiaque, a du chemin à faire, it is a long way, oui, une longue route, pour devenir un peuple classique. Ni le progrès matériel représenté par le perfectionnement illimité du water-closed, ni la traduction puritaine de The Holy Bible dans toutes les langues du monde n’ont encore créé, là-bas, cette haute et subtile discipline du sourire et des larmes qui entre dans la définition du génie latin. »

    Harry_Clarke_The_Colloquy_of_Monos_and_Una.jpgCette « haute et subtile discipline du sourire et des larmes », certes, nous la reconnaissons également chez Novalis, Hölderlin, Nietzsche ou Heine, mais nous n’oublions pas davantage que cette reconnaissance, nous la disons en français. De même que Léon Daudet rendit un magnifique hommage à Shakespeare, Maurras sut prolonger dans son œuvre les résonnances du Colloque entre Monos et Una d’Edgar Poe (Image). Pourquoi être français plutôt qu’autre chose ? La réponse est dans le Colloque qui se poursuit entre les vivants et les morts, entre les prochains et les lointains. Que ce Colloque se poursuive, d’âme en âme, c’est là toute la raison d’être de la tradition, et de la traduction, dont surent si bien s’entretenir Pierre Boutang et Georges Steiner.

    Que retenir de l’œuvre de Charles Maurras ?

    mur-des-fastes-martigues.jpgPeut-être cette obstination à défendre les limites où l’universel se recueille. « Ai-je découvert plusieurs choses ? Je ne suis sûr que d’une, mais de conséquence assez grave : car de ce long Colloque avec tous les esprits du regret, du désir et de l’espérance qui forment le Chœur de nos Morts, il ressortait avec clarté que l’humaine aventure ramenait indéfiniment sous mes yeux la même vérité sous les formes les plus diverses. » Cette vérité, pour Charles Maurras, fut celle des « métamorphoses de l’amitié et de l’amour » de ses Maîtres platoniciens. La véritable leçon de ces Maîtres, à qui sait les entendre, n’est point dans l’abstraction, mais dans la métamorphose. La phrase, ou, plus exactement, le phrasé maurrassien, dans ses périodes les mieux inspirées, s’entrelace à ce mouvement d’inépuisable diversité. Ce sont « de rapides alternances de lune et de soleil, or liquide, argent vif, qui me réchauffaient le cœur, me déliaient l’esprit, et, d’un seul coup, m’ouvraient la conscience et la mémoire toutes grandes. »  L’espace à défendre est celui où cette extase est possible, où ni la conscience, ni la mémoire ne sont obscurcies ou avilies. (FIN) 

    Luc-Olivier d’Algange

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  • Histoire & Actualité • Un siècle après la fin de la Grande Guerre Zemmour décrypte les non-dits du 11 novembre 2018

     

    blue-wallpaper-continuing-background-wallpapers-bigest-images - Copie.jpgÉric Zemmour dénonce ici les non-dits du 11 novembre 2018. Qui ne sont, en vérité, ni à l'honneur d'Emmanuel Macron et des semble-élites de notre pays, ni utiles à la nécessaire réconciliation franco-allemande qui ne peut se fonder sur la soumission et l'abaissement de la France. Encore moins sur le déni du sacrifice des Français et sur le mépris de nos gloires militaires. Les Allemands ont d'ailleurs les leurs et il ne serait pas plus convenable de les leur dénier. C'est ce qu'explique ici Éric Zemmour avec qui nous sommes d'accord. [Figaro magazine du vendredi 9 novembre]  LFAR 

      

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    « C'était une demande de Berlin » L'aveu vient de l'Elysée. Surtout pas de parade ni de défilé en ce 11 novembre. On se souviendra de la boucherie, mais surtout pas de la victoire.

    Les poilus français n'étaient que des « civils qu'on avait armés » et non des soldats, héritiers des vertus militaires séculaires de leur peuple, défendant leur patrie et leur sol contre l'envahisseur. Ils se battaient pour « plus jamais ça » et pas du tout contre les Boches. Pourtant, en 2005, les Anglais n'ont pas demandé l'autorisation à Paris de célébrer Trafalgar. Et, en 2015, toute l'Europe a fêté avec faste Waterloo sans se soucier des susceptibilités françaises.

    Ce sont les dirigeants français qui, de Chirac à Macron, ont des pudeurs de jeune vierge dès qu'il faut évoquer les triomphes militaires français, d'Austerlitz à la Grande Guerre. Le prétexte est de ne pas gâcher la réconciliation franco-allemande. Fragile réconciliation qui ne supporte pas la vérité ! Vérité d'autant plus cruelle qu'elle fut longtemps niée par les Allemands, qui s'accrochèrent à la thèse du « coup de couteau dans le dos » qu'auraient donné les révolutionnaires communistes à une armée allemande invaincue. Thèse qui fit le lit de la propagande nazie.

    IMG.jpgIl est vrai que les populations allemandes n'avaient pas vu un soldat français sur leur territoire. Cette décision de ne pas « entrer dans Berlin » fut prise par Clemenceau et Foch, sous pression des alliés anglais et américains, qui souhaitaient avant tout éviter le retour de l'hégémonie française sur le continent. Et voilà comment la France de Clemenceau - le héros de Macron ! - perdit la paix après avoir gagne guerre ! Mais cette version de l'histoire est aujourd'hui occultée par l'historiographie française. Celle-ci, mettant ses pas dans ceux de l'économiste anglais (et francophobe) Keynes, ne veut voir dans le traité de Versailles que le « diktat » qui, humiliant les Allemands, aurait alimenté leur volonté de revanche.

    A l'époque, pourtant, le président de la République Poincaré et d'autres généraux comme Pétain et Mangin, s'étaient opposés au choix de Clemenceau et Foch.

    Mais Poincaré, l'homme de la « revanche », et surtout Pétain, l'homme de Vichy, sont aujourd'hui persona non grata de notre histoire officielle. Macron n'assistera même pas à l'hommage militaire des Invalides, de peur de devoir prononcer le nom maudit de Pétain !

    Le général de Gaulle, lui, n'hésitait à célébrer le vainqueur de Verdun, tout en rappelant son hostilité à Vichy. Il fut l'artisan de la réconciliation avec l'Allemagne sans cesser de rappeler aux nouvelles générations la gloire militaire de leurs ancêtres Pour de Gaulle, la France devait être le « jockey » du « cheval » allemand, tandis que nos élites d'aujourd'hui, dont Macron est la quintessence, veulent noyer l'identité et la souveraineté françaises dans un ensemble européen. D'où les projets de partager avec l'Allemagne notre siège à l'ONU, voire notre arme nucléaire. C'est toute la perversité du projet macronien : tout en prétendant « revivifier le roman national », il le dévitalise et achève sa destruction de l'intérieur.  

  • Histoire & Action Française • Centenaire de l’armistice : Iranien, poilu et camelot du roi

     

    Par Michel Franceschetti

     

    1622212_10202664155678592_457993015_n.jpgExactement un mois avant l’armistice, le 11 octobre 1918, en l’Hôtel de Ville de Marseille, était célébré le mariage d’André Iskaria et de Henriette Anastay. la cérémonie religieuse ayant lieu le 12 à l’église St-Cassien, chemin du Vallon de l’Oriol.

    Évoquer cet événement concernant des personnes inconnues permet, à partir d’un cas particulier, de rendre hommage aux soldats qui combattirent en 14-18. C’est aussi un moyen de comparer cette époque avec la nôtre, et aussi de rappeler un moment de l’histoire de l’Action Française en Provence.

    André Iskaria était un Iranien, un Persan disait-on alors, de la communauté catholique assyro-chaldéenne du nord-ouest de la Perse, à la limite de la Turquie et de la Syrie actuelles. Né à Mawana, il entra au séminaire d’Ourmia tenu par les lazaristes français qui lui donnèrent l’amour de la France et de sa culture. Il dut fuir les persécutions des Kurdes et, en passant par la Russie, finit par débarquer à Dunkerque en 1912.

    André légionnaire 2.jpgEn sortant du bateau, il ne se précipita pas pour demander des aides sociales, qui d’ailleurs n’existaient pas, mais pour s’engager dans la Légion Étrangère. André participa aux opérations de pacification du Maroc. En 1915, il fut envoyé aux Dardanelles puis en Serbie où il fut blessé.

    Pendant sa convalescence à Marseille, il fit la connaissance d’Henriette, fille de Henri Anastay qui possédait une des plus importantes pharmacies de Marseille, rue de l’Arbre (actuelle rue Vincent Scotto).

    Comme Henri, membre de la haute bourgeoisie marseillaise, s’opposait à ce que sa fille s’unisse à un basané sans le sou, même s’il était chrétien, il fallut attendre son décès. Après le temps de deuil habituel à l’époque, le mariage put avoir lieu le 11 octobre 1918.

    André et la médaille coloniale.jpgAvec l’armistice qui suivit quelques semaines plus tard, Henriette et André Iskaria purent envisager un avenir heureux. Ils eurent cinq enfants et quittèrent le Vallon de l’Oriol pour le Roucas-Blanc. Surtout, l’ancien légionnaire blessé au combat obtient la nationalité française en 1920, permettant à son épouse de retrouver la sienne. En effet, à l’époque, le mariage avec un étranger faisait perdre la qualité de citoyen français. Quel gouvernement oserait rétablir une telle loi de nos jours ?

    AF 1931.pngPeut-être fut-ce par crainte de la dénaturation de la victoire par les mesquines luttes politiciennes qu’André Iskaria, l’Iranien dont le sang avait coulé pour la France, adhéra au nationalisme intégral de l’AF et devint un ardent camelot du roi de la section marseillaise jusqu’à sa mort,  des suites d’un accident, en 1940.

    On retrouve souvent son nom dans les colonnes du quotidien royaliste au titre des donateurs de la section de Marseille.

    menu Maurras.jpgLa famille Iskaria avait un grand respect pour le prétendant au trône et une grande admiration pour Charles Maurras.

    Ses descendants conservent toujours un autographe de Maurras inscrit sur le menu du banquet organisé en avril 1931, à l’occasion du troisième congrès de la Fédération Provençale des sections d’Action Française.

    Cet Iranien, catholique, patriote, royaliste, n’a-t-il pas autant sinon mieux mérité de la patrie que certains ?   ■ 

  • POÉSIE • « L’ART POÉTIQUE DE CHARLES MAURRAS » [1]

     

    PAR LUC-OLIVIER D’ALGANGE

    Une remarquable réflexion sur l'art poétique - et politique - de Charles Maurras ... 

    « Le Dieu t’encoche à l’arc de la mer » – Charles Maurras 

    Luc-Olivier-d’Algange-@TV-Liberté.jpgCharles Maurras est un illustre méconnu.

    On retient de son œuvre   des idées générales, transmises par des historiens hostiles ou des vulgarisateurs. Quelques formules suffisent à l’intellectuel qui se targue de culture générale. Il parlera d’empirisme organisateur, de nationalisme intégral, de germanophobie et d’antisémitisme, et la démonstration lui semblera faite de la désuétude et de l’inanité de l’œuvre. Ces méthodes expéditives, que l’on applique également à Gobineau et qui trahissent l’inculture croissante de nos contemporains, n’expliquent rien de l’influence profonde que l’œuvre de Maurras exerça sur des hommes aussi divers que Maurice Blanchot, Jean Paulhan, Paul Valéry, Marcel Proust, Robert Brasillach, Daniel Halévy, Pierre Boutang ou Georges Bernanos, – auquel nous devons aussi la critique la plus forte, sinon féroce,  de l’Action française.

    La lecture est un art qui diffère presque insensiblement de l’art d’écrire. Autant dire que nos censeurs modernes ne lisent plus : ils compulsent, classent, étiquettent, en se fiant le plus souvent à des lectures secondaires, le recours à l’original étant considéré comme une perte de temps.  On oublie trop que le droit à la critique dépend de la fréquentation des oeuvres et non seulement de compte-rendu ou de fiches de police plus ou moins sommaires. Dans l’histoire de la philosophie politique et de la littéraire, la place de Charles Maurras, n’en déplaise à certains, est irrécusable.

    56269650_32026557.jpgDans la mouvance de l’Action française, il est permis, certes, de lui préférer le « libre réactionnaire » Léon Daudet, auteur de l’admirable Voyage de Shakespeare ou Jacques Bainville dont la pertinence historiographique n’a cessé d’être corroborée par les événements qui suivirent sa disparition prématurée, mais ni l’un ni l’autre n’eussent trouvé le centre de gravitation de leur pensée sans l’influence de Charles Maurras. Il est certes légitime d’être accablé par l’immense masse de ses éditoriaux quotidiens souvent répétitifs, et parfois fallacieux, dont on ne peut se défendre de penser qu’ils dissipèrent son talent et défavorisèrent son cheminement de poète et de philosophe, mais dans cette masse, les incidentes lumineuses ne manquent pas et la langue française y trouve un de ses beaux élans combatifs .

    A celui qui aborde l’œuvre de Charles Maurras sans préventions excessives, maintes richesses sont offertes, à commencer par celles du style, beaucoup moins froid et sec qu’on ne le prétend, chargé d’images, de saveurs et de lumières provençales, mais aussi de nuits vaincues, de ferveurs musiciennes. Le poète Charles Maurras n’est pas moins présent dans sa prose que dans ses prosodies. Son écriture n’est pas seulement le procès-verbal d’une pensée figée, elle poursuit sa propre aventure à la fois résolue et inspirée. Maurras, et c’est là toute sa philosophie politique, ne croit pas au sujet insolite, à l’individu interchangeable. Sa politique provient de la poésie du Chœur tragique : « Suivis avec art et science, écrit Maurras,les beaux mystères de la langue des poètes ont la vertu fréquente d’ajouter aux idées d’un rimeur isolé le chœur universel de l’expérience de tous ; les moindres paroles y gagnent on ne sait quel accent de solidité séculaire ; l’antique esprit qu’elles se sont incorporé multiplie saveur, résonance et portée d’ensorcellement… » 

    Si Maurras fut un grand raisonneur, avec la nuance légèrement péjorative qui s’attache à ce mot, il fut aussi poète et c’est ne rien entendre à ses écrits, c’est ignorer la nature même  de ses raisons que de s’en tenir à une seule lecture rationaliste ou « empirique ». La raison, que Maurras vénère, compose selon les mêmes mesures que la poésie. Pour cet esprit guerrier, et même belliqueux, et dont les Principes valent sans doute mieux que les stratégies, il importe d’abord de vaincre « l’informe et le bâclé, le vague et le diffus ».

    Poésie et politique s’accordent en ce dessein formateur. L’Art politique, n’est plus alors que l’expression d’un Art poétique: « Emporter dans sa tête un certain nombre de ses ébauches, d’abord informes, aspiration confuse à un conglomérat de sonorités et de rêves tendus vers un beau plutôt pressenti que pensé; puis, quand les mots élus abondent, en éprouver la densité et la vitesse au ballet des syllabes que presse la pointe du chant; en essayer, autant que le nombre matériel, le rayon lumineux et l’influx magnétique; voir ainsi, peu à peu s’ouvrir et se fermer la gerbe idéale des voix; élargir de degrés en degrés l’ombelle odorante; lui imposer la hiérarchie des idées qui sont des principes de vie; lever en cheminant les yeux vers le ciel nu, ou garni de pâles étoiles, pour y goûter le sentiment de la légèreté du monde et de la puissance du cœur… »

    Pour Maurras, la clarté, la certitude, la forme ne sont point les adversaires des « mots élus » ni de « la gerbe idéale des voix ». L’ordre classique qu’il entrevoit n’est pas une représentation préalable à la création, une administration vétilleuse du langage, un purisme dépourvu de sève, mais « une ombelle odorante ». L’art poétique de Maurras nous redonne à penser que la nature même du classicisme naît de « la densité et de la vitesse », de « l’influx magnétique ».  La perfection des rapports et des proportions que chante le poète roman n’est pas schématique mais éprouvée, elle n’est point l’abstraite vérité détachée de l’aventure poétique, mais la « pointe du chant » ! Le sentiment précède l’harmonie prosodique et intellectuelle ; il n’est pas seulement un effet de l’art, mais son origine. La différence majeure entre Maurras et, par exemple, André Breton (dont la prose « Grand Siècle », et fortement ordonnancée était, au demeurant, fort loin de respecter les préceptes d’automatisme et d’anarchie qu’elle énonçait) tient à ce que, pour Maurras, l’origine n’est jamais belle en soi, qu’elle ne brille de la platonicienne splendeur du vrai qu’au terme de son accomplissement dans la précision de l’intellect.

    haut_maurras_1895.pngL’écriture de Charles Maurras, plastique, surprenante, saisie d’incessantes variations de vitesse et d’humeur est bien loin d’avoir livré tous ses secrets. Cet auteur qui, jeune homme, fut mallarméen, pythagoricien et proudhonien porte dans son style une puissance libertaire sans cesse contrariée et renaissante. Sa fougue exigeait d’être jugulée pour mieux se dire. Quelque profond sentiment d’effroi n’est pas à exclure, dont ses premières œuvres gardent la trace, – contre lequel il éprouva le besoin d’armer son intelligence. Peut-être eût-t-il trop d’ardeur à contenir le vertige de l’étoile dansante du chaos dont parle Nietzsche ? Mais qui peut s’en faire juge ?

    Serviteur des Muses et de l’Idée, « chanteur et songeur » selon la formule de Pierre Boutang, Maurras poursuivit toute sa vie une méditation sur les limites de la raison et de la poésie. La limite idéale n’est pas une limite prescrite, imposée de l’extérieur mais une limite inscrite par le heurt et par la rencontre nuptiale de la poésie et de la raison.

    maurras-la-destinee-et-l-oeuvre.jpgMaurras n’oppose point à l’infini romantique un plat réalisme mais une pensée de la forme nécessaire et salvatrice.  Ainsi, la France sera pour lui une forme, au sens grec, une Idée: « N’être point un profane, entendre le mystère de conciliation que suppose une chose belle, sentir avec justesse le mot du vieux pacte conclu entre la savante fille du ciel et le tendre enfant de l’écume, enfin de rendre compte que ce parfait accord ait été proprement la Merveille du Monde et le point d’accomplissement du genre humain, c’est toute la sagesse qu’ont révélée successivement à leurs hôtes la Grèce dans l’Europe, l’Attique dans la Grèce, Athènes dans l’Attique, et, pour Athènes, le rocher où s’élève ce qui subsiste de son cœur. »

    Le dessein poétique de Maurras, dont découle sa volonté politique,  étant de « rétablir la belle notion du fini », la Merveille est ce qui précise et se précise. Le propre du poème sera d’être « ce rocher où s’élève ce qui subsiste » et qui rend perceptible et le ciel et l’écume. Dans la forme, qui consacre la finitude, la raison et la poésie s’accordent. Toute l’œuvre de Maurras consistera à décliner ces accords et à en sauvegarder les nuances et les gradations: « Il est bien de sentir qu’une belle colonne dorique, c’est le beau parfait. Il est meilleur de le sentir et de savoir la raison de son sentiment ». (A suivre)   

    Luc-Olivier d’Algange

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  • Cinéma • Un amour impossible

     

    Par Guilhem de Tarlé 

    A l’affiche : Un amour impossible, un drame de Catherine Corsini, avec Virginie Efira (Rachel), Niels Schneider (Philippe), Estelle Lescure et Camille Berthomier (Chantal), adapté du roman éponyme de Christine Angot, autobiographie ou autofiction de l’auteur.


    GT Champagne !.JPG« Mon père et ma mère se sont rencontrés à Châteauroux, (…) »

    Ces premiers mots de l’excellente bande annonce ne pouvaient que propulser les Berrichons que nous sommes à la première séance de ce film. 

    « C’est l’histoire d’un amour (…) c’est l’histoire d’un amour éternel et banal (…) »

    Eh bien non… cet amour n’a rien de banal quand Rachel continue d’aimer et de se donner,  jusqu’à être enceinte,  à cette ordure de Philippe qui lui répète qu’il ne l’épousera pas : « je te l’ai toujours dit – évidemment si t’avais été riche c’aurait été différent ». 

    1169866-un-amour-impossible.jpgPour la première fois je suis sorti de ce film beaucoup plus emballé que mon épouse qui « aurait pu ne pas le voir »…

    J’ai aimé ce jeu d’acteurs remarquable, alors que Virginie Efira ne m’avait pas convaincu dans Un homme à la hauteur, Elle ou Victoria ; et je n’avais pas identifié Niels Schneider dans Gemma Bovery, Dalida ou Un peuple et son Roi.

    J’ai été pris par ce film atroce, pour public averti, cette histoire d’abord stupide puis sordide, avec un Philippe pervers, « sûr de lui et dominateur » face à Rachel !

    J’ai apprécié enfin son relent politiquement « incorrect », quand Chantal s’énerve contre sa mère : « Deux personnes dans une maison, c’est pas une famille »… vérité qui est sans doute à rapprocher de la prise de position officielle de Christine Angot, en 2014, contre la GPA. 

    Peut-être, toute socialiste qu’elle est, devrais-je essayer de lire un de ses livres ?    

    PS : vous pouvez retrouver ce « commentaire » et plusieurs dizaines d’autres sur mon blog Je ciné mate.

  • Patrimoine cinématographique • Extension du domaine de la lutte

     

    Par Pierre Builly

    Extension du domaine de la lutte de Philippe Harel (1999)

    20525593_1529036520490493_4184281983923317414_n.jpgLa vie au Prozac

    Extension du domaine de la lutte est le premier roman de Michel Houellebecq et sinon le plus structuré, du moins le plus évidemment théorique, le plus porteur de sens, celui dans quoi il théorise le mieux la misère sociale, l'effacement des relations humaines, l'uniformisation du monde, le sentiment double et parallèle de la satiété et de l'écœurement, la montée du chaos... 

    ext lutte.jpgEt le désespoir sexuel. Je suis toujours stupéfait de voir traiter Houellebecq de pornographe et d'obsédé, alors que toute son œuvre (comme celle de Kubrick ; voir les images orgiaques et glacées de Eyes wide shut) montre une réticence devant le tranquille hédonisme que 1968 a voulu imposer. 

    Car le discours de Houellebecq est profondément réactionnaire, ce qui s'agissant d'une réaction contre une dérive du Monde, est évidemment un compliment. 

    Donc, que dit-il ? C'est qu'à partir du moment où la fonction sociale et perpétuatrice de la sexualité, celle qui permettait la constitution de familles stables et le renouvellement croissant des générations a été déconnectée du plaisir sexuel, qui était en quelque sorte, pour la plupart, donné de surcroît, comme une sorte de récompense, à partir de ce moment-là, donc, le sexe est devenu une sorte d'obligation ; une pulsion impérieuse, certes, et même quelquefois obsédante, mais souvent ressentie, par ceux qui sont out, à la fois comme dégradante et ennuyeuse. 

    Les protagonistes d'Extension sont, précisément des gens out, flous et fatigués, débordés par l'ennui, vivant dans une société prospère, mais épuisée par son propre cheminement, attaquée par les revendications identitaires (femmes, homosexuels, minorités dites visibles) qui ne laisse plus d'espérance de Vivre ensemble et confine chacun dans sa solitude. 

    Lorsque le désespérant Tisserant (José Garcia) avoue au Narrateur (Philippe Harel lui-même, au long visage d'épagneul accablé) ''Des fois, j'ai l'impression d'être une cuisse de poulet sous cellophane dans un supermarché'', comment ne pas voir, au delà de l'outrance de la formule, la froideur d'un monde lui aussi sous cellophane où, dans des hôtels de chaîne tous semblables, de type Ibis ou Campanile, de médiocres vies s'entassent et se croisent sans se rencontrer, avec la fausse convivialité de règle, en plus. 

    Et le film, alors ? Il me semble qu'Harel, réalisateur et interprète, donc, a tiré du texte très théorisé du roman une adaptation fort honnête ; il est, lui, absolument parfait dans le rôle et filme avec un sens très sûr du médiocre et du parcimonieux aussi bien  les zones hôtelières de l'entrée des villes de province que les immeubles glacés où des cadres très moyens et célibataires passent des week-ends alcoolisés et masturbatoires. Les tonalités verdâtres souvent employées sont réfrigérantes au possible, la musique, désespérante, et il ne manque aucun tube de Lexomil, aucun gobelet plastique devant la machine à café... 

    ext lutte 3.jpgUn bémol, toutefois : José Garcia, qui joue ce Tisserant qui répugne aux femmes à un point tel que toutes ses tentatives se brisent sur l'évidence, qu'il sera à deux doigts d'assassiner un petit couple mixte qui est allé faire l'amour sur la plage, et qui s'enverra dans le décor, en voiture, sans plus guère laisser de trace que l'eau d'une  mare qui se referme sur un caillou... Eh bien José Garcia, qui a un jeu très fin, une très grande ductilité de visage, un réel talent pour se ridiculiser par des tenues qui le confinent dans sa destinée d’extérieur au jeu, José Garcia a, dans certains de ses sourires, trop de charme et d'intérêt pour être parfaitement crédible... Mais la gageure était difficile ; choisir un acteur réellement très laid (un Daniel Emilfork contemporain, par exemple) aurait été lourdement démonstratif et caricatural. 

    C'est difficile, d'adapter Houellebecq ! Je n'avais été qu'à demi convaincu par l'honnêteté des Particules élémentaires réalisées par Oskar Roehler ; je crois que l'écrivain est en train de terminer la mise en scène de son dernier ouvrage, La possibilité d'une île ; mais tout ça n'est pas destiné à égayer nos écrans...   

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    Le DVD, édité chez Canal + est malheureusement épuisé ; on ne le trouve que contre environ 40€ en occasion. 

    Retrouvez l'ensemble des chroniques hebdomadaires de Pierre Builly sur notre patrimoine cinématographique, publiées en principe le dimanche, dans notre catégorie Culture et Civilisation.
  • Cinéma • Yéti & compagnie

     

    Par Guilhem de Tarlé 

    A l’affiche : Yéti & compagnie, un film d’animation américain de Karey Kirkpatrick.


    GT Champagne !.JPG« J’aurais pu ne pas le voir »…. Evidemment puisque c’est un film pour enfants…

    Eh bien Non ! Précisément, puisque c’est un film pour enfants, j’aurais pu passer, à tout le moins, une bonne soirée, m’amusant d’entendre s’esclaffer deux de mes abominables yétis-enfants, pardon, charmants petits enfants, âgés de 8 et bientôt 6 ans, que j’y avais emmenés.

    smallfoot-2-photo6-2000x940.jpgCertes, ils ont ri deux ou trois fois, certes la salle a pu rigoler devant tel ou tel gag, et moi-même j’ai pu sourire… mais la récolte est quand même bien maigre avec ce scénario compliqué à loisir, qui inclut comédie musicale, chanteur déjanté et rap, inaudibles, pour raconter l’histoire bien simple d’un yéti qui découvre l’existence du « petit-pied », l’homme.

    Oui, mes petits-enfants m’ont dit « avoir aimé…, sans plus » précise le plus jeune… Mais je ne les ai pas entendus en parler sur la route du retour, sauf ma petite-fille qui s’est plainte, à juste titre, d’une musique trop forte qui lui a donné mal à la tête. 

    sans-titre.pngIl manque à ce réalisateur d’être comme un enfant, aussi naïf et innocent qu’un enfant… Une innocence qu’il prend d’ailleurs en otage quand, sous prétexte de les faire rire, il diffuse des messages non seulement politiquement corrects, comme le « vivre ensemble » - on a peur de l’être différent parce qu’on ne le connaît pas -, mais aussi un discours plus radicalement révolutionnaire contre « ce qui est gravé dans la pierre », et donc le refus de tout dogme.

    On notera par surcroît - féminisme oblige - que le premier yéti qui s’oppose au « gardien de la pierre » est une première…   

    PS : vous pouvez retrouver ce « commentaire » et plusieurs dizaines d’autres sur mon blog Je ciné mate.

  • Le prince Jean de France sur France 2 en conclusion du dernier Secrets d'Histoire ...

     

    Le blog La Couronne indique que cette émission a été regardée par plus de  1 775 000 téléspectateurs.

    Elle a été conclue par une courte interview de S.A.R. le prince Jean de France sous la coupole de la chapelle royale de Dreux.

    Vous pouvez voir ou revoir cette intervention du Prince dans la vidéo qui suit.   

     
    Secret d'Histoire sur « Louis-Philippe et Marie-Amélie, notre dernier couple royal », visite de la Chapelle Royale de Dreux avec intervention de S.A.R. le prince Jean de France duc de Vendôme dans l'émission du 30.10.2018

    La Couronne

  • Destins français ...

    Charles Mauras et Stephen Miller, l'Américain 

     

    580234331.2.jpgOn a beau avoir voulu étouffer la pensée de Maurras sous des reproches d'infamie, avoir cru s'en être débarrassé en le réputant coupable d'une vilaine affaire de trahison à quoi personne n'a pu croire, sa pensée, comme une source dont on voudrait arrêter de force le jaillissement, ne cesse de se répandre, d'exercer, comme jadis, son influence sur les esprits les plus lucides, les mieux informés, les plus agiles et, finalement  les plus influents du moment parmi ceux qui refusent la perspective d'un dépérissement français définitif.   

    Il arrive même que l'impact des idées maurrassiennes atteigne les plus hautes sphères de l'appareil d'État, le sommet des rouages de la République, comme cela fut le cas sous la présidence de Nicolas Sarkozy, lorsque Patrick buisson fut son principal conseiller, en tout cas le plus écouté. En vain, mais la filiation maurrassienne de Patrick Buisson, pour qui l'a lu et a lu Maurras, est des plus évidentes. On sait que même Outre-Atlantique, de grands lecteurs de Maurras, Steeve Banon, Steffen Miller, ont entouré le président Trump, écrit ses discours ...

    Ce n'est pas un hasard si ces penseurs ou ces praticiens de la chose politique prennent les doctrines de Maurras pour l'une de leurs références. Ces gens-là ne sont pas issus des vieilles fidélités maurrassiennes qui, de toute façon, ont déjà quitté ou sont en train de quitter la scène du monde. C'est parce que ces doctrines sont une des clefs de lecture du monde actuel tel qu'il est réellement et non pas fantasmé. L'une des plus fécondes, des plus efficaces pour comprendre nombre de situations et de phénomènes contemporains.

    De sorte que se reconnaître héritiers de la pensée de Maurras, comme nous-mêmes, ce n'est pas se raccrocher au passé, à une pensée d'un temps stupidement dit révolu, c'est parler de l'actualité. Et dans l'actualité.

    Cw4dB_kXEAASYVP.jpgLes trois auteurs de livres politiques de très loin les plus lus, ceux qui font les plus grands tirages, les succès les plus spectaculaires, sont aujourd'hui Philippe de Villiers, Patrick Buisson et Éric Zemmour. Tous trois - quoique très différemment - pétris de culture et d'influences maurrassiennes et bainvilliennes. A en faire frémir d'horreur Raphaël Glucksmann et susciter ses larmes faciles. Lacrimae rerum .. ?

    Éric Zemmour, dans ses textes aussi bien que dans les innombrables débats auxquels il est invité parce qu'il est gage d'audience, ne cesse de se référer à l'Action française, au grand Bainville, à Maurras, reprenant ses analyses, ses expressions, implicitement ou explicitement. Il a même le courage de le défendre jusque dans ses aspects les plus contestés. Courage intellectuel et compétence historique qui manquent à beaucoup et jusque dans les rangs de l'Action française stricto sensu.

    destin-francais-1118916-264-432 - Copie.jpgDans Destin français,  cette présence « Action Française » a aussi ému Laurent Joffrin qui s'est offert le luxe (il est né dedans, dit-on) de publier dans Libération, le 16 octobre, un article intitulé Charles Zemmour et Eric Maurras, reprenant ainsi une formule qu'il doit trouver spirituelle puisqu'il l'avait déjà utilisée en février de cette année. De cet article, la dernière phrase dit tout : « le livre s'appelle Destin français. Il y avait un meilleur titre : Action française. » Une obsession, décidément. Mais oui, pourtant, action française c'est très bien.   

    En somme, si nous parlions moins ou pas du tout de Maurras, comme on nous y invite parfois, nous finirions par être les seuls ... Qu'y gagnerions-nous ? Ni la bienveillance de nos adversaires, ni celle des médias, ni la considération de quiconque. Pas même la nôtre propre.

    Ignorer Maurras, ce pourrait être, après tout, une tactique. On aura compris que ce n'est pas celle que nous retenons.  

    Retrouvez l'ensemble des chroniques En deux mots (101 à ce jour) en cliquant sur le lien suivant ... 

    En deux mots, réflexion sur l'actualité

  • « Charles Zemmour - Eric Maurras » et ... Laurent Joffrin. Y a pas photo !

    Entre Maurras et Joffrin, la différence est entre un maître de la pensée et un comique-troupier 
    Par Laurent Joffrin
    Libération, 1

    blue-wallpaper-continuing-background-wallpapers-bigest-images - Copie.jpgLibération étant plutôt en perdition - à vendre au premier milliardaire de passage - on est plus habitué à voir Laurent Joffrin sur les plateaux de télévision qu'à le lire dans son journal. Il y donne toujours l'impression de se payer la tête de son voisin, prend l'air supérieur, goguenard, dispensateur de leçons, définisseur du Bien et du Mal, distribue les bons et les mauvais points avec une autorité détachée des choses mineures et parle la langue de bois universelle des bobos friqués de la gauche fraternelle.  

    Nous ne commenterons pas cet article, archétype de polémique langagière et de mauvaise foi. Il faut le lire pour se faire une idée de la chose. Le lecteur appréciera, rectifiera ! Lafautearousseau

     

    logo-LIBERATION.jpgCharles Zemmour et Eric Maurras

    Le livre du polémiste favori de l’extrême droite se présente comme une contre-histoire. Il ressuscite en fait un récit nationaliste et autoritaire, remplaçant la haine des Juifs par la dénonciation de l’islam. 

    652850-france-media-nouvel-observateur-jofrin.jpgCette fois la pensée de droite a franchi la ligne rouge. On le pressentait depuis que l’obsession de l’identité - que certains, hélas, encouragent à l’extrême gauche - a conduit au procès oblique de « l’idéologie des droits humains ». Avec Zemmour c’est chose faite. Son Destin Français, dernier opus du publiciste favori de l’extrême-droite, ne livre qu’un seul message : les libertés publiques sont désormais un obstacle au salut de la nation. Une phrase résume le livre (p. 191) : « Ignorant les leçons du passé et oubliant les vertus de son histoire, la France saborde son État au nom des droits de l’homme et l’unité de son peuple au nom de l’universalisme. » La liberté : voilà l’ennemie.

    Après une introduction personnelle, plutôt bien troussée, Zemmour livre un essai chronologique, de Clovis à nos jours. Le livre se présente comme une contre-histoire qui dégonfle les mythes officiels - ce qui se conçoit. Il déterre en fait l’histoire monarchiste nationaliste telle qu’elle fut diffusée par Maurras, Bainville et quelques autres entre les deux guerres. Une histoire cursive, soigneusement écrite, mais une histoire à œillères, outrageusement partisane.

    Pour Zemmour, l’histoire de France commence avec Clovis. Choix significatif. Bien sûr, le roi franc a étendu par la guerre son petit fief de Belgique à un territoire qui évoque l’actuel hexagone, il a choisi Paris pour capitale et, surtout, il s’est converti au christianisme. Pour le reste, le choix est arbitraire : Clovis n’a rien de français (il s’appelle Chlodowig et parle une langue à consonance germanique) et n’a aucunement l’idée d’un pays qui pourrait s’appeler la France. A sa mort, son royaume se désunit et il faut attendre deux siècles pour que Charles Martel reconstitue une entité hexagonale, elle-même englobée dans l’empire de Charlemagne - Karl der Grosse pour les Allemands, qui le revendiquent tout autant - puis de nouveau divisée après le traité de Verdun de 843. A vrai dire, les historiens s’accordent pour dater de Bouvines, ou de la guerre de Cent Ans, l’apparition d’un royaume qui annonce la future France, avec un début de sentiment patriotique. Le choix de Clovis n’a qu’une seule origine : la volonté de célébrer « les racines chrétiennes » du pays.

    « Pour moi, l'histoire de France commence avec Clovis choisi comme roi de France par la tribu des Francs qui donnèrent leur nom à la France...» 

    Charles de Gaulle, 1965

    Tout est à l’avenant : on met en scène un peuple catholique par nature patriote, opposé à des élites cosmopolites. Jeanne d’Arc mobilise le camp armagnac, plus conservateur, contre les Bourguignons alliés aux Anglais, pourtant tout aussi « français » que leurs adversaires. Louis XIII et Richelieu ont cent fois raison de réprimer les protestants, accusés de séparatisme ; Catherine de Médicis tente la réconciliation pendant les guerres de religion, mais bascule du côté des catholiques avec la Saint-Barthélémy que Zemmour justifie à mots couverts pour approuver ensuite l’instauration de l’absolutisme - éloge ému de Bossuet -, régime régressif qui a pour seul mérite d’unifier la future nation. Louis XIV, autre héros zemmourien, expulse les protestants, œuvre pie. Il a pourtant ruiné son peuple et mené des guerres incessantes et vaines. Pas un mot sur le Code noir et l’essor de l’esclavage organisé par Colbert au nom du Roi-Soleil.

    Louis XIV, des guerres incessantes et vaines ?

    Relire Louis Bertrand ! Et tous les historiens honnêtes … Le Roussillon, l’Artois, la Franche-Comté, l’Alsace … et surtout un prince français sur le trône d’Espagne. Louis XIV a reconnu avoir trop aimé la guerre mais les guerres qu'il a menées n'ont pas été « vaines » ...

    Les Lumières inoculent à la vieille France l’illusion universaliste qui corrompt l’identité française. Le chapitre sur Voltaire (qui avait certes des défauts) n’est qu’une démolition systématique ressuscitant le vieux réquisitoire réactionnaire contre le philosophe et son « hideux sourire ». Robespierre bénéficie d’un éloge paradoxal pour avoir incarné une République impérieuse et nationale. Sans craindre la contradiction, Zemmour porte aux nues l’insurrection vendéenne (classique de la littérature monarchiste) alors qu’elle fut massacrée sans retenue sous l’égide du même Robespierre. Bonaparte est célébré pour avoir mis fin à la Révolution et étendu sur l’Europe une tyrannie dont Zemmour passe sous silence les tares les plus évidentes. Les Anglais puis les Américains sont fustigés comme agents de la mondialisation sans âme. Le Front populaire disparaît, comme sont effacées du récit les conquêtes du mouvement ouvrier. Pétain est réévalué (réhabilité ?) parce qu’il a opposé aux Allemands son « bouclier » complémentaire du « glaive » de la France libre, vieille thèse maréchaliste qui revient à jeter aux orties le travail des historiens contemporains. La théorie du « bouclier » s’effondre d’elle-même quand on remarque que Pétain a poursuivi la collaboration jusqu’au bout pour finir à Sigmaringen après avoir prêté la main à la déportation des Juifs. Drôle de bouclier…

    Pétain a été emmené de force par les Allemands à Sigmaringen. Il y était prisonnier ...

    Bref, Zemmour ressuscite la vieille histoire maurrassienne, autoritaire, traditionaliste et antisémite, se contentant de remplacer la haine des Juifs par la dénonciation de l’islam. Le livre s’appelle Destin français. Il y avait un meilleur titre : « Action française ».   

    Destin français, Eric Zemmour  Albin Michel, 576 pp., 24,50 €

  • Mini-dossier : Le militantisme végan, un nouveau terrorisme ?

     

    Par Philippe Granarolo
     

    4e64ba1f939c6823d708fbf5bae82f44_400x400.jpgComment nier l’indignation qu’ont suscitée les vidéos publiées par le collectif L214 sur les réseaux sociaux, vidéos mettant en évidence l’intolérable violence faite aux animaux dans certains abattoirs ? Y a-t-il cependant le moindre lien logique entre cette émotion légitime et ce qu’on dénomme aujourd’hui « animalisme », autrement dit cet ensemble d’hypothèses selon lequel les humains devraient cesser de se considérer comme des animaux particuliers ? 

    Y a-t-il le moindre lien logique entre l’émotion suscitée par les violences marginales commises dans quelques abattoirs et le fait que des boucheries soient régulièrement attaquées par des militants végan ? Que les professionnels de la viande aient récemment lancé un appel aux autorités pour les protéger peut-il être accepté dans notre démocratie ? Nous allons démontrer qu’il n’en est rien et que le lien supposé est irréel. 

    D’inquiétantes dérives intellectuelles caractérisent tous les courants animalistes, et si des excès doivent bien sûr être dénoncés dans les traitements infligés parfois aux animaux, les excès aussi inquiétants de l’idéologie animaliste doivent l’être avec la même vigueur. 

    Le véganisme : une idéologie inquiétante 

    L’animalisme (1) présente toutes les caractéristiques des idéologies qui ont fait tant de ravages au cours du XXe siècle. En premier lieu, les animalistes constituent une infime minorité de la population, comme ce fut le cas pour les « avant-gardes » idéologiques qui les ont précédés. D’après toutes les études dont nous pouvons disposer, les végétariens déclarés représentent environ 1.4 % de la population française, la part des végétaliens et des véganiens étant proche du 0 %. Or ces minorités, qui ont bien entendu le droit absolu de se nourrir comme elles l’entendent, veulent imposer à tous leur régime alimentaire. Quant à l’hypothèse selon laquelle, en dépit de ces pourcentages ridicules, une forte demande sociale existerait dans la population pour exiger les mesures recommandées par les animalistes, rien ne permet de la défendre. Ce fut précisément le propre des idéologies les plus nauséabondes que de prétendre être la voix de la majorité silencieuse. 

    En second lieu, animalistes et véganiens disposent d’une incontestable caisse de résonance médiatique. D’abord parce qu’ils savent jouer à merveille du « politiquement correct » qui nous submerge. Depuis une trentaine d’années, un brouillage généralisé des différences entre les sexes, entre les civilisations, entre les générations, s’est imposé comme la seule forme de pensée respectable. L’Europe est colonisée par une mode américaine, par cet hyperrelativisme né dans les campus des États-Unis qui, après avoir nié la dualité des sexes (par le biais des fameuses gender studies), s’attaque aujourd’hui aux différences entre l’homme et les animaux (on parle à présent des animal studies sur le modèle précédent). Cet hyperrelativisme qu’a si bien dénoncé le regretté Jean-François Mattei dans ses principaux ouvrages (2) a ceci de redoutable qu’il frappe d’anathème quiconque n’y souscrit pas, nouvelle déclinaison de la vieille stratégie totalitaire invitant à qualifier de « fascistes » tous ceux qui s’opposaient de près ou de loin à l’idéologie communiste. 

    En troisième lieu, on notera que la puissance médiatique de l’hyperrelativisme est d’autant plus grande que nous vivons dans la contestation des compétences et que la parole, à propos de n’importe quel sujet, de tout individu ayant acquis une reconnaissance médiatique (généralement télévisuelle) est considérée comme aussi pertinente et digne d’intérêt que celle d’un spécialiste ayant passé sa vie à explorer le domaine en question. Nier cette équivalence serait faire preuve d’un monstrueux élitisme et d’une atteinte insupportable à l’égalité républicaine. 

    caca.jpgViolents et hypermédiatisés alors qu’ils ne représentent qu’une portion infinitésimale de la société, animalistes et véganiens affichent toutes les caractéristiques des idéologues fascistes.

    Énoncée aussi brutalement, la thèse paraîtra peut-être d’un simplisme grossier. Comment, va-t-on m’objecter, des convictions refusant la violence faite aux animaux pourraient-elles avoir quoi que ce soit de commun avec les idéologies mortifères qui ont ensanglanté le siècle dernier ? Avant d’argumenter, je me contenterai de rappeler que la compassion envers les animaux n’a jamais garanti le respect dû aux êtres humains. Ainsi que le signale avec pertinence Jean-Pierre Digard dans L’animalisme est un anti-humanisme, il faut garder en mémoire « qu’Hitler était végétarien et qu’aucun régime politique n’eut une législation plus favorable aux animaux que le IIIe Reich » (3). 

    Animaux de compagnie et anthropomorphisme 

    La première cause historique de l’animalisme est sans doute l’explosion du nombre des animaux de compagnie qui a débuté au Moyen Âge et qui s’est accentué à partir du milieu du XXe siècle. Les populations contemporaines, très majoritairement citadines, ne connaissent guère le monde animal qu’à travers les animaux de compagnie dont le nombre a augmenté de façon exponentielle. En France, leur nombre a plus que doublé en un demi-siècle, passant de 30 millions en 1960 à 62 millions en 2014 : ils sont presque aussi nombreux que les humains peuplant notre territoire. 

    L’une des conséquences de cette évolution est l’aveuglement à l’égard de la violence faite aux animaux de compagnie. Victimes d’un anthropomorphisme outrancier, quantité de ces animaux de compagnie subissent une violence au moins aussi choquante que les violences dénoncées dans les abattoirs par le collectif L214. Au lieu de cibler systématiquement les éleveurs professionnels, les militants animalistes ne devraient-ils pas s’inquiéter d’abord de la terrifiante maltraitance que subissent dans notre société tant d’animaux de compagnie ? Combien de chiens, pour ne citer que ce seul exemple, servant de substituts aux enfants absents du foyer, présentent des troubles comportementaux gravissimes qui exigent le recours à un vétérinaire comportementaliste ? Combien d’animaux sauvages pris comme animaux de compagnie (amphibiens, reptiles, iguanes, serpents, etc.) meurent-ils d’être enfermés dans des espaces réduits ? 

    Humanisant leur animal de compagnie, à quelque espèce qu’il appartienne, nos contemporains, même très éloignés des convictions animalistes, sont tout près de sombrer dans un dualisme naïf proche de celui professé par les militants animalistes les plus radicaux. Il n’y aurait sur la planète que deux types de vivants, l’Homme et l’Animal. Alors qu’il existe des millions d’espèces animales toutes différentes, avec chacune ses spécificités, son mode de vie, son écosystème, l’animaliste fonde en effet son discours sur la notion aberrante de l’« Animal ». 

    Ceux qui voudraient rapprocher antiracisme et animalisme oublient un « détail » : le racisme est absurde parce que rien ne justifie scientifiquement l’idée de « races » au sein de l’espèce humaine, tandis que les espèces animales sont une réalité indiscutable. L’argument majeur en faveur de cette réalité des espèces est l’impossibilité pour celles-ci de copuler, et si elles le font, d’avoir une descendance qui soit le fruit des deux géniteurs. Tandis que deux humains, à quelque ethnie qu’ils appartiennent, peuvent avoir une descendance, ce qui apparemment n’a guère troublé les esclavagistes qui ont si souvent engrossé des femmes supposées d’une race inférieure à la leur. 

    Évoquer un droit des animaux relève du même anthropomorphisme, car la notion de droits, ainsi que l’ont démontré nos meilleurs philosophes, ne saurait se concevoir sans celle de devoirs. Les humains, dotés d’une conscience morale, ont des devoirs envers les animaux : avant toute chose le devoir de les traiter en respectant leurs particularités, en prenant en compte les caractères de l’espèce à laquelle ils appartiennent. On ne doit pas traiter un chien comme un chat, une vache comme un cheval. Encore faut-il connaître les espèces, et non pas l’« Animal » qui n’existe pas. Et reconnaître l’ineffaçable frontière entre les humains et les animaux, à propos de laquelle la remarque ironique du philosophe Fabrice Hadjadj vaut les démonstrations les plus abouties : « Avouons-le, nous ne rendrons jamais un lion végétarien » (4). 

    L’ignorance de la domestication et de l’élevage 

    Ne connaissant du monde animal que leurs animaux domestiques, nos contemporains ne s’intéressent guère à l’histoire de la domestication. Sans doute nos paysans ne possédaient-ils eux non plus aucune connaissance scientifique de cette histoire. Mais d’une part leur ignorance ne se prenait jamais pour un savoir, et la proximité dans laquelle ils vivaient avec les animaux de la ferme tenait lieu de substitut partiel au savoir qu’ils ne possédaient pas. Rien de tel avec nos animalistes, qui croient connaître l’« Animal » à l’aune de leur chien ou de leur chat. 

    Tout démontre que nos animaux domestiques ont d’une certaine manière participé activement à leur domestication, ce que savaient intuitivement nos paysans qui partageaient leur vie avec leurs vaches, leurs cochons et leurs poules. En spécialiste incontesté de la question, Jean-Pierre Digard nous apprend que « si la domestication a pu être réalisée, c’est que les animaux concernés y ont, en quelque sorte, consenti et même participé. Eux aussi partisans du moindre effort, bovins, ovicapridés, porcins et équidés ont vite perçu qu’en échange de leur liberté, ils s’assuraient nourriture régulière et protection contre les prédateurs : c’est ainsi que l’espérance de vie d’un cheval domestique (une vingtaine d’années) est le double de celle d’un cheval sauvage ». Il ajoute que « le cheval aurait probablement disparu s’il n’avait pas été domestiqué ». 

    Réclamer la « libération » d’animaux vivant en symbiose avec les humains depuis au moins dix millénaires relève sinon de l’ignorance, du moins d’un manque évident d’empathie véritable avec les espèces en question. Ayant passé toutes les vacances de mon enfance à proximité de fermes savoyardes, ayant côtoyé plusieurs mois par an les fermiers de Savoie et partagé leur quotidien, je peux témoigner de l’immense tendresse qu’ils éprouvaient à l’égard de leurs animaux. Ainsi chaque vache du troupeau avait un prénom auquel elle répondait. Pour ces fermiers non seulement l’« Animal » n’existait pas, mais même la « Vache » n’avait pas la moindre réalité, et ils avaient le cœur déchiré quand il fallait se séparer de l’une de leurs bêtes. S’il m’arrivait un jour de croire en la réincarnation, je préférerais mille fois renaître dans le corps d’une vache savoyarde achevant son existence à l’abattoir, que dans celui d’une gazelle africaine fuyant toute sa vie les prédateurs pour finir déchiquetée par une lionne ! 

    Une même ignorance pèse sur le monde de l’élevage. Quiconque a fréquenté ce monde a pu se rendre compte de la passion que les éleveurs ont pour leurs animaux. Et il convient de rappeler que la profession d’éleveur connaît un taux de suicide anormalement élevé découlant de la terrible pression que subissent des professionnels se sentant désignés à la vindicte populaire. Les éleveurs mériteraient de la part des animalistes la même compassion que celle qu’ils prétendent témoigner à l’égard des animaux d’élevage. 

    Les principaux mensonges des véganiens 

    Comme toute idéologie, l’animalisme construit son édifice en opérant un subtil mélange de vérités et de mensonges. Les véganiens voudraient nous interdire toute consommation carnée sous prétexte que les animaux subissent dans de rares abattoirs des violences intolérables. C’est un peu comme si l’on voulait nous interdire de circuler en voiture sous prétexte qu’il y a parfois des accidents, nous interdire l’avion au lendemain d’une catastrophe aérienne, supprimer tous les ponts de la planète après l’effondrement du viaduc de Gênes. Les véganiens en particulier justifient leur violence en sélectionnant, dans l’immense ensemble des élevages, des abattoirs, des transports d’animaux, les quelques faits révoltants qu’ils mettent en exergue. Dénoncer, précisément parce que nous sommes des humains dotés de conscience, les violences injustifiées faites ici ou là, est une chose. Imposer par la violence un régime végan à toute la population en est une autre ! 

    Un autre mensonge est l’affirmation selon laquelle une alimentation végétalienne ou végan serait sans danger. Notre espèce, omnivore depuis plus de deux millions d’années, trouve dans les produits animaux plus de la moitié des protéines nécessaires à son équilibre. Il suffit au demeurant de parcourir les sites de ceux qui prétendent nous interdire la consommation de viande pour découvrir qu’ils recommandent presque tous l’ingestion de compléments alimentaires comblant les carences d’un régime non carné.

    Troisième mensonge : nous serions des consommateurs frénétiques de viande, et cette hyperconsommation expliquerait pour une large part les maltraitances subies par des animaux victimes de notre hubris. Or la consommation de viande dans tous les pays développés n’a cessé de régresser. En France, par exemple, la consommation de viande est tombée de 100 kg par personne et par an à environ 60 kg par personne et par an aujourd’hui. Seule l’explosion démographique est responsable d’une hausse en valeur absolue de la consommation de viande : mais il faudrait alors dénoncer toutes les consommations qui augmentent du fait de l’augmentation de la population. 

    Véganisme et holocauste 

    Terminons notre propos par un raisonnement par l’absurde. Si nous cédions aux exigences des véganiens, quel sort devrions-nous réserver aux dizaines de millions d’animaux d’élevage de la planète ? Faudrait-il les éliminer et pratiquer un holocauste animalier digne des heures les plus sombres du nazisme ? Faudrait-il simplement les stériliser et les laisser vivre sans se reproduire, autre technique chère aux nazis ? Faudrait-il imaginer des maisons de retraite pour bovidés et ovins ? Faudrait-il les relâcher dans une nature sauvage qui n’existe pratiquement plus, et laisser vaches et moutons se faire dévorer par des prédateurs peu sensibles à la compassion ? 

    Le premier de tous les droits pour quelque vivant que ce soit est le droit à l’existence. Imposer à l’humanité entière de renoncer à manger de la viande, c’est retirer à tous les animaux domestiqués le droit à l’existence. Ceci bien entendu au nom de l’amour qu’animalistes et véganiens prétendent leur porter. Laissons une dernière fois la parole à Jean-Pierre Digard : « Ignorant à peu près tout de la réalité des animaux […] les animalistes ne les aiment pas vraiment ; sinon, ils commenceraient par se demander ce que deviendraient les milliards d’animaux domestiques dans le monde ». 

    Le tabou de la viande hallal 

    Les mouvements animalistes, en concurrence les uns avec les autres, se livrent à une incessante surenchère. Ils s’inscrivent par-là dans une tendance caractéristique de notre temps : la tendance à la radicalisation qui pousse les militants de certaines causes à juger insupportable que d’autres puissent avoir des idées ou des pratiques différentes des leurs. Les États-Unis ont classé le terrorisme de type écologiste au deuxième rang des menaces les plus grandes auxquelles le pays est confronté juste après l’islamisme radical. Cette proximité dans les menaces terroristes qui pèsent sur les pays développés serait-elle une simple coïncidence ? 

    Comparables aux islamistes radicaux qui ne veulent que notre bonheur en nous égorgeant, nous épargnant ainsi la monstruosité de la mécréance, les animalistes prétendent incarner une « avant- garde » éclairée agissant pour notre bien. N’y aurait-il pas une certaine connivence des islamo-fascistes et des végano-fascistes ? Comment comprendre autrement le fait que l’abattage hallal, de tous les modes d’abattage le plus barbare et le moins respectueux du bien-être de l’animal, ne soit jamais dénoncé par les militants véganiens ? À chacun de s’interroger …  

    1. Dans cette chronique, nous utiliserons indifféremment les mots « véganisme » et « animalisme », considérant le véganisme comme une forme radicale de l’animalisme. Cet usage sera peut-être jugé contestable : si nous avons fait ce choix, c’est seulement pour éviter de nous lancer dans des subtilités sémantiques qui auraient alourdi notre propos.
    2. Jean-François Mattei a magistralement dénoncé l’hyperrelativisme dans la plupart de ses ouvrages, les pages les plus convaincantes me semblant être celles qu’on peut lire dans La barbarie intérieure (Paris, P.U.F., 2004, p. 241-247) et dans Le regard vide(Paris, Flammarion, 2007, p. 273-275).
    3. L’ouvrage récent de Jean-Pierre Digard L’animalisme est un anti-humanisme (Paris, C.N.R.S. Editions, 2018) est l’étude la plus rigoureuse publiée sur ce sujet ces dernières années. Je recommande la lecture de cet essai auquel ma chronique doit beaucoup.
    4. L’homme est-il un animal comme un autre ? Figaro Littéraire, 23 octobre 2014.
    5. L’animalisme est un anti-humanisme, op. cit., p. 68-69.
    6. Ibidem 96.  
    Docteur d’Etat ès Lettres et agrégé en philosophie, Philippe Granarolo est professeur honoraire de Khâgne au lycée Dumont d’Urville de Toulon et membre de l’Académie du Var. Spécialiste de Nietzsche, il est l’auteur de plusieurs ouvrages, notamment Nietzsche : cinq scénarios pour le futur (Les Belles Lettres, 2014), Le manifeste des esprits libres (L’Harmattan, 2017) et dernièrement Les carnets méditerranéens de Friedrich Nietzsche. Nous vous conseillons son site internet. Suivre surTwitter : @PGranarolo
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