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Idées, débats... - Page 403

  • Société & Littérature • L’éclairage de Houellebecq

     
    Noël à Strasbourg

    par Gérard Leclerc 

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    Étonnante coïncidence 

    Houellebecq, son nouveau roman, paru hier, son génie littéraire et au-delà, proprement balzacien, évoqués, commentés le dernier jour de l'année qui vient de finir.... Nous aurons à y revenir.

    En ce dernier jour de l’année et juste avant les vœux présidentiels, nous vivons dans un drôle de climat, très éloigné des réjouissances habituelles.

    Que va-t-il se passer sur les Champs Élysées dans la soirée et la nuit de la nouvelle année ? Et puis, que sera cette année 2019 ? La révolte va-t-elle se ranimer ? L’autorité de l’État résistera-t-elle à une nouvelle épreuve ?

    16764359.jpgÉtonnante coïncidence : dans quelques jours paraîtra un roman de Michel Houellebecq intitulé Sérotonine, dont tout annonce qu’il sera un énorme succès de librairie. Et cela d’autant plus que l’écrivain est un prodigieux capteur de l’ambiance d’une époque. Et que son génie proprement balzacien, loin de permettre à ses lecteurs de s’évader dans un autre monde, va leur restituer leur monde présent avec une acuité remarquable.

    La critique rappelle le précédent de Soumission, paru le 7 janvier 2015, jour du massacre de Charlie Hebdo et qui se rapportait au défi de l’islam en France. Un confrère, qui ne manque pas d’humour, explique que le romancier, qui était promis au goudron et aux plumes infligés aux importuns, s’était trouvé épargné du fait du coup de poing de l’actualité. Dans le cas de Sérotonine, c’est aussi saisissant. Bien sûr, Houellebecq ne parle pas des gilets jaunes, mais il met en scène une violente fronde paysanne en Normandie, qui offre exactement les mêmes caractéristiques. Le président de la République, dans sa retraite tropézienne, aura-t-il pris le temps de lire Houellebecq, avant de rédiger son message de ce soir ? On le souhaiterait presque, car il importe avant tout aux responsables politiques de bien comprendre la nature exacte de cette révolte qui a bouleversé le pays et déstabilisé le sommet de l’État. Aucun rapport d’expert ne saurait remplacer le diagnostic d’un écrivain qui comprend la société actuelle comme personne et qui établit même une analyse politique et économique, dont les professionnels auraient bien tort de se priver.

    Faut-il rappeler qu’une des victimes de Charlie Hebdo, Bernard Maris, professeur d’économie, avait écrit, en 2014, tout un essai intitulé Houellebecq économiste, où il montrait la pertinence du romancier dans un domaine dont il n’était pas le spécialiste. Oui, on a tout intérêt à prêter attention à l’expertise originale de Michel Houellebecq.   ■ 

    Gérard Leclerc
    Chronique diffusée sur Radio Notre-Dame le 31 décembre 2018.
  • Cinéma • Le retour de Mary Poppins

     Par Guilhem de Tarlé 

    A l’affiche : Le retour de Mary Poppins, réalisé par Rob Marshall, avec Emily Blunt (Mary Poppins), Meryl Streep (sa cousine Topsy), Ben Wishaw et Emily Mortimer (Michael et Jane Banks), Lin-Manuel Miranda (Jack, l’allumeur de réverbères), adapté de l’œuvre de Pamela Lyndon Travers.

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    Décidément, pas de chance ! 

    Décidément, je n’ai pas de chance avec Emily Blunt, déjà croisée cette année dans Sans bruit, un film d’épouvante que j’aurais pu ne pas voir…

    Je n’ai pas de chance non plus avec ces films pour enfant de cette fin d’année… Ce n’est peut-être plus de mon âge… mais quand même 2H10… n’est-ce pas un trop long-métrage, surtout pour, précisément, des enfants… et encore, heureusement, la fin et ce ballet de ballons dans le ciel m’ont-ils paru plus enchanteurs que le début dont les mélodies n’étaient ni jolies ni entraînantes. 

    Mauvaise pioche donc pour ce dernier spectacle de l’année, mais c’est vrai, aussi, que, contrairement à mon épouse – qui a également été déçue -, Mary Poppins n’entre pas dans mon inculture.

    Ce n’est donc pas dans ce répertoire que je fêterai le « Bon bout d’an » et « l’an que vèn » que je souhaite, à chacun, le plus heureux et joyeux possible.    

    PS : vous pouvez retrouver ce « commentaire » et plusieurs dizaines d’autres sur mon blog Je ciné mate.

  • Mais à qui profite donc l'antisémitisme imputé à Charles Maurras ?

     

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    On aurait bien du mal à dénombrer tout ce qui s'est dit et écrit sur l'antisémitisme de Charles Maurras en l’année de son cent-cinquantenaire. Et de façon trop systématique pour être pensé et véridique.

    Il a été beaucoup moins question de sa philosophie, sa politique, son esthétique, son œuvre littéraire, sa poésie. Et de cette soif d'enracinement qui anime les révoltes d'aujourd'hui et fut à l'origine de son entrée en politique. Au fond, malveillance, ignorance et paresse d'esprit se sont conjuguées pour qu'il en soit ainsi. A la surface des opinions l'antisémitisme a prévalu. 

    On ne sache pas que jamais Maurras ni aucun de ses disciples, ni aucun des membres de l'Action française, hier et aujourd’hui, aient eu quelque jour l'intention de faire le moindre mal physique ou autre à un quelconque Juif, justement parce qu'il eût été juif. 

    Ce que l'on nomme l'antisémitisme de Maurras, que l'on met bien à tort et tout à fait abusivement, au centre de sa vie, de sa pensée et de sa politique, s'apparente en fait à son anti-protestantisme, à son anti-romantisme, à son anti-germanisme, etc. Cet antisémitisme philosophique et politique est parfaitement étranger et parfaitement innocent du sort tragique fait aux Juifs dans les années 30 et 40, par de tout autres acteurs de l'Histoire. Que Maurras et l'Action française avaient du reste toujours combattus.  

    Pour quelles raisons profondes Maurras s'opposait-il au romantisme, ou plutôt à un certain romantisme, au germanisme, au protestantisme, au sémitisme, liés, selon lui, par un fond commun contraire au génie national ? C'est là une suite de grands sujets qui mériteraient des études sérieusement menées et qui ne peuvent l'être qu'à partir d'un ensemble de solides connaissances philosophiques, littéraires et historiques et dans une absolue liberté d'esprit. Notre propos ici est plus modeste. Il n'est que de pointer une injustice et d'en dire les ressorts.  

    De fait, les événements dramatiques des années 30 et 40 ont investi le vieil « antisémitisme » fin XIXe - début XXe siècle d'une résonance nouvelle et d'un sens inédit éminemment tragiques qui, sans-doute, rendent le terme inemployable aujourd'hui, sans pour autant le disqualifier en soi-même. Car est-il ou non permis de critiquer une tradition politique, littéraire, philosophique ou religieuse, que l'on estime contraire ou simplement étrangère à la tradition à laquelle soi-même on appartient et que l'on considère menacée ? Ceux - fût-ce la communauté juive - qui prétendraient imposer un tel interdit, une telle restriction â la liberté de discussion et de pensée, feraient preuve, selon l'expression employée naguère par le président Mitterrand en de  pareilles circonstances, d'une prétention excessive. Et ceux qui s'y soumettraient abdiqueraient tout simplement leur  liberté de penser, discuter, controverser. 

    Antisémite autour des années 1900, au sens que le mot avait alors, Maurras ne fut jamais privé de solides amitiés juives, ni de la liberté de discussion, de controverse ou de polémique, ni des plus cordiales relations, dans le monde et dans la vie intellectuelle française, avec les Juifs les plus illustres de son temps. Proust, Kessel, Halévy*, par exemple. Ils ne prétendaient pas alors à cette sorte de sacralisation ou de sanctuarisation de leurs personnes et de leur cause qu'ils considèrent leur être due aujourd'hui et qui de facto leur est en quelque sorte reconnue.  C'était avant les drames des années 30 et 40 et bien avant le nouvel antisémitisme actuel, agressif et violent, qui ne se loge plus guère que dans les milieux islamistes et d'ultragauche. Maurras pratiquait la polémique en termes qui furent parfois violents, selon le style du temps. Aujourd'hui, on agresse, on torture et on tue. 

    Alors pourquoi cette réduction pavlovienne de Maurras à son antisémitisme,  abusivement confondu avec celui qui prévalut au cœur des années noires ? Alors que sa pensée couvre tant d'autres sujets et domaines essentiels ? Et que la question juive n'y est pas centrale ? Peut-être tout simplement comme utile et commode bouc-émissaire, comme l'antisémite expiatoire à qui l'on fait endosser, porter le chapeau d'un antisémitisme qui fut en réalité celui de toute une époque, toute une société et d'une multitude de personnalités de droite, de gauche ou d'extrême-gauche dont il serait aisé mais gênant pour les intéressés ou leurs successeurs de dresser la liste innombrable. Maurras pour occulter leurs écrits et leurs paroles ? Conjurer leurs hontes et plus encore leur crainte qu'un certain passé collectif, le leur, ne remonte à la surface de la mémoire publique ? Maurras seul responsable, seul désigné pour endosser, prendre sur lui, et occulter cette réalité ? Chargé de tous les péchés d'Israël pour en dédouaner tant et tant d'autres ?  

    Ce n'est pas là qu'une hypothèse. C'est le fait. Ne soyons pas dupes. Et sachons que nous n'avons aucune raison de rougir des maîtres que nous nous sommes choisis ni de plier leur héritage aux impératifs catégoriques de la doxa. Si ces lignes ont une raison d’être, dans le contexte actuel si différent de celui évoqué ici,  c’est pour cette conclusion.   ■ 

    _______________________________________________________________________________

     Daniel Halévy.jpg* Le cas Daniel Halévy est exemplaire.

    Héritier d'une lignée de grands intellectuels français juifs - son père, Ludovic Halévy avait été académicien français, son frère ainé Élie fut un philosophe célèbre en son temps - Daniel Halèvy avait pour Maurras une amitié et une admiration qui ne se démentirent jamais. Dans Un siècle une vie, Jean Guitton en a dit ceci : « Il avait un culte pour Charles Maurras, qui était pour lui le type de l'athlète portant le poids d'un univers en décadence. ». Halévy qui est l'auteur d'ouvrages majeurs (La fin des notables, Essai sur l'accélération de l'Histoire, etc.) mourut en 1962, dix ans après Maurras, dans des dispositions d'esprit et de cœur inchangées à son endroit. Ajoutons au titre biographique que la mère de Daniel Halévy était une Breguet (les horlogers et avionneurs) et que ni son maurrassisme profond ni sa fidélité à la personne de Pétain ne l'écartèrent des élites dominantes de son temps. Il fut le beau-père de Louis Joxe, résistant et ministre du général De Gaulle, et le grand-père de Pierre Joxe, le président du Conseil Constitutionnel.   

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  • Rétrospective : 2018 année Maurras [5]

    Par Rémi Hugues

    saint_augustin visuel.jpgAu moment où s'achève l'année du cent-cinquantenaire de Charles Maurras, Rémi Hugues nous a proposé une série d'articles - qui se termine aujourd'hui : « Rétrospective : 2018 année Maurras »Notre collaborateur et confrère y évoque différents aspects ou moments importants de la vie et de l'oeuvre de Charles Maurras à travers les écrits fort contestables de Michel Winock, l'un des historiens organiques de la République française du XXIe siècle, « une figure dʼautorité. » Bonne lecture !  LFAR    

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    In Winock veritas ?

    Le principe commun entre le cosmopolitisme et le communisme est en particulier lʼaspiration à la disparition des frontières nationales, projet aujourdʼhui en voie de finalisation – quoique puissamment contrecarré ces temps-ci -  et qui relie le maître à penser des pères de la IIIème République, Emmanuel Kant, à Karl Marx, le chef de file intellectuel de Lénine et des autres bolcheviks qui, suite à la Révolution dʼOctobre, instaurèrent en lieu et place de lʼimmémoriale Russie des tsars et des popes, lʼUnion Soviétique, véritable enfer sur terre qui proclamait urbi et orbi quʼil était un paradis plus glorieux encore que lʼÉden des temps reculés. 

    721.jpgAprès que la Première Guerre mondiale permit au communisme de prendre racine sur le sol glacial du peuple slave, lʼon peut remarquer, en revenant en France, que le P.C.F. réalisa le meilleur score de son histoire dans lʼimmédiate après-guerre. Il obtient 28 % des voix aux élections législatives de novembre 1946, devenant le premier parti de France. 

    Maurras avait ainsi parfaitement raison de dénoncer ce danger, quelque temps avant la grande boucherie de 1939-1945. De vouloir empêcher quʼadvienne le pire ; la guerre, ce monstrueux bain de sang, est le pire de tout : cʼest la sagesse politique même. Apparemment pas pour Winock, qui condamne le discernement de Maurras dont le leitmotiv à la fin des années 1930 était « dʼabord pas la guerre ! », mais qui lui reproche en même temps dʼêtre un haineux, un violent. Logique aristotélicienne, où diable es-tu passée ?     

    La ligne définie par Maurras était strictement défensive : prévenir une agression venue de lʼextérieur en augmentant massivement le budget militaire. Il en appelait à la fin de la République et à sa substitution par un régime « capable dʼarmer », de protéger la France face à la menace hitlérienne. 

    Ce que Winock interprète spécieusement comme de lʼanti-patriotisme. Il accuse carrément  la pensée de Maurras dʼêtre « nuisible à la cause nationale quʼelle est censée défendre ». Voir dans le régime de Vichy mis en place par Pétain une « divine surprise » relèverait pour lʼhistorien de lʼacte de haute trahison. Maurras, pourtant affublé du titre de « germanophobe » par Winock, aurait-il fait preuve de couardise en se soumettant censément à lʼAllemagne victorieuse ? Lui au moins a accepté de vivre lʼhumiliation de près. Il est resté dans sa patrie défaite. Quand de Gaulle est parti pour Londres. 

    Qui, honnêtement, est le plus courageux des deux ? Lʼacte le plus courageux nʼétait-il pas de vivre à lʼintérieur de son pays, en dépit de lʼOccupation ? Ne consistait-il pas à se ranger du côté de ce régime nouveau qui sʼefforçait de maintenir la grandeur de la France ? En réalité Maurras fit preuve de bravoure patriotique. Il aurait pu se réfugier à lʼétranger. 

    Cependant pour Winock lʼÉtat français du Maréchal Pétain est à vouer aux gémonies car il manifestait une hostilité sans pareille contre « les Juifs, les francs-maçons, les communistes et les gaullistes ». Lʼhostilité en soi nʼest pas un crime, comme en attestent les campagnes actuelles qui sʼen prennent aux supposés « conspirationnistes », accusés de « semer la haine » sur internet. 

    blog -pacte gernano-sovietique-Staline-Ribentrop-23 aout 1939.jpgLes communistes avaient bien pactisé avec lʼAllemagne nazie, lors du pacte Ribbentrop-Molotov, qui fut approuvé par le P.C.F. en septembre 1939. Au sujet des Juifs, Winock a-t-il oublié que Pétain avait parmi ses conseillers Emmanuel Berl, lʼinventeur de la célèbre formule « La terre ne ment pas », qui était de confession juive ? Enfin, reprocher à Vichy d’être dirigé contre les gaullistes relève pour le moins dʼune appréciation téléologique. Cʼest faire de lʼhistoire « rétrospective ». À lʼépoque nul ne pouvait présager de lʼimportance à venir de la personne du Général de Gaulle. Il était combattu en tant que sous-fifre des Britanniques. Pour Pétain et les ronds-de-cuir de lʼÉtat français siégeant à Vichy, il nʼétait quʼun point de détail, un pion au sein de lʼappareil militaire du Royaume-Uni, un officier parmi dʼautres de Sa Majesté. Rien de plus. 

    5.jpgOn a presque, en outre, lʼimpression que pour Winock Hitler et Pétain sont interchangeables. Ce quʼil est capital de rappeler, cʼest que ce dernier reçut son pouvoir non dʼHitler mais de la chambre des députés élue en 1936 – celle du Front populaire (photo) –. Le Maréchal dut assumer un rapport de force qui lui avait été imposé. Il nʼétait pas le responsable de la défaite. En aucun cas il nʼétait le thuriféraire dʼHitler. De même que Maurras, il percevait la défaite comme une terrible humiliation. Mais ce nʼest pas pour autant quʼil envisagea de partir au loin afin dʼéchapper aux épreuves auxquelles faisait face sa chère nation. Pétain comme Maurras ont agi en patriotes. 

    XVM8a31eda0-c178-11e8-ad1e-60c1e544ba7a-300x200.jpgCe quʼil y a, pour finir, de plus surprenant dans lʼarticle de Michel Winock, cʼest quʼil accuse Maurras de faire preuve de pacifisme. Empêtré par un discours qui fleure bon lʼanti-maurrassisme primaire, Winock se révèle en creux « polémophile », littéralement qui aime la guerre, cʼest-à-dire apologète de la guerre en tant que telle. Oui, Maurras eut raison de mettre en une de son journal Action française, après les accords de Munich (photo), « à bas la guerre ». Oui, la guerre, lʼacte politique le plus extrême et radical, est un fléau, l’ultima ratio, que lʼon ait à combattre Staline, Hitler, Nasser, Bachar al-Assad, Daech ou le roi dʼAngleterre. 

    Paradoxalement, Winock, en justifiant quʼon puisse trouver de bonnes raisons de faire la guerre (en se référant à 1939 il légitime la moins justifiable des guerres, la guerre offensive), se positionne sur la même ligne que Hitler, qui, sʼappuyant sur les théorèmes méphistophéliques du darwinisme social, lʼexaltait. À force de se vouloir lʼopposant diamétral de Maurras, Winock en à arrive à épouser le bellicisme hitlérien, nous priant de croire avec lui quʼil y aurait dans une guerre que l’on avait toutes chances de perdre quelque vertu. 

    Et lʼingénu de se dire distraitement quʼil est décisif de savoir prendre sa retraite au moment opportun, une fois carrière accomplie. Car un historien nʼest pas comme le vin, il ne se bonifie pas forcément avec lʼâge. (FIN)  

    A lire de Rémi Hugues Mai 68 contre lui-même ...
    (Cliquer sur l'image)

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  • Rétrospective : 2018 année Maurras [4]

    1914, l'Union Sacrée

    Par Rémi Hugues

    saint_augustin visuel.jpgAu moment où s'achève l'année du cent-cinquantenaire de Charles Maurras, Rémi Hugues nous propose une série de quatre articles - à venir les jours suivants, « Rétrospective : 2018 année Maurras »Notre collaborateur et confrère y évoque différents aspects ou moments importants de la vie et l'oeuvre de Charles Maurras à travers les écrits fort contestables de Michel Winock, l'un des historiens organiques de la République française du XXIe siècle, « une figure dʼautorité. » Bonne lecture !  LFAR    

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    In Winock veritas ?

    Concernant la pensée de Charles Maurras il sʼagirait plutôt de la qualifier de « judéocritique », ou si lʼon veut être « winockien » dʼanti-judaïque, cʼest-à-dire que sa pensée sʼefforce de réfuter rationnellement un système de valeurs ; quʼelle repose sur des considérations dʼordre théologico-politique au lieu dʼêtre fondée sur le racial ; quʼelle réfute non lʼessence des Juifs mais la conscience juive, bien quʼil existât des nuances à lʼintérieur de celle-ci, il suffit de se rappeler les confrontations violentes qui opposèrent, dans lʼEurope centrale et orientale des XVIe et XVIIe siècles, les sabbato-franckistes (qui donnèrent par la suite naissance aux Haskalah) au rabbinat régissant les shttetel du Yiddishland et les kehalim de lʼEmpire russe. 

    On retrouve ce primat accordé au prisme racial chez lʼhistorien libéral Augustin Thierry, qui voyait dans la Révolution française une revanche de la race gallo-romaine sur la race franque qui lʼaurait asservie à partir du baptême de Clovis. 

    Indéniablement, en réduisant la personne de Maurras en un chantre coupable de lʼantisémitisme dʼÉtat que connut lʼEurope à partir du deuxième tiers du XXe siècle, Michel Winock fait état de ses obsessions. Ça crève les yeux : il éprouve une passion pour la Seconde Guerre mondiale. Il le fait ressentir pratiquement à chaque ligne. Il se sert de cette période pour tenter de convaincre son lecteur quʼil est un devoir sacré dʼêtre anti-Maurras. Car le vrai anti-Maurras, ce nʼest pas de Gaulle, cʼest Winock. 

    Lʼhistorien cherche à le pousser dans ses retranchements. Pourquoi pas ? Cʼest de bonne guerre. Cʼest même ce quʼil y a de plus sain. Rien nʼest plus légitime que dʼessayer de mettre Maurras devant ses contradictions. Même dans les rangs de lʼAction Française il nʼest point lʼobjet dʼidolâtrie. Critiquer Maurras ne relève en rien du blasphème, du crime de lèse-majesté. 

    Le plus affligeant cʼest que Winock, aveuglé par ses passions, nʼest pas en mesure de disposer de suffisamment de facultés cognitives pour élaborer une critique pertinente de Maurras, une critique « interne », dans le sens où seule une critique interne est performative car elle sʼappuie non pas sur un jugement de valeurs mais sur la mise en évidence dʼun dysfonctionnement de la logique interne dʼun raisonnement. La critique, « externe », développée par Winock contre Maurras reste par conséquent inefficace, superficielle, et finalement vaine. 

    CCQn2bRWAAE78_w.jpgCar il est évidemment possible de dire que chez Maurras il y eut des erreurs qui ont été commises, par exemple en sʼattachant à évaluer lʼadéquation entre ses intentions et ses actes. Lui lʼanti-républicain rabique nʼa-t-il pas rallié la République ? Ne lʼa-t-il pas rejointe durant lʼété 1914 ? Nʼa-t-il pas fait partie de lʼUnion Sacrée, cette vaste coalition de partis politiques majoritairement républicains, qui en appela à la mobilisation générale pour le salut de la Patrie républicaine, face à une Allemagne ambitieuse et conquérante ? Au nom du « compromis nationaliste » nʼa-t-il pas trahi ses convictions les plus profondes ? Nʼa-t-il pas pactisé avec lʼennemi républicain, nʼa-t-il pas légitimé que fussent envoyés au casse-pipe ces paysans, ces ouvriers, ces artisans, ces commerçants, cette force vive de la Nation France ? Ce sont des questions qui méritent étude et réponses. 

    Mais comme Winock estime que seule la Deuxième Guerre mondiale est digne dʼintérêt, il se cantonne à celle-ci, au détriment de la « Grande Guerre », qui pourtant fut dʼune importance déterminante. Quand on substitue à la raison la morale, lʼon risque dʼaccroître lʼindigence de son propos[1]. 

    640_louis-ferdinand_celinegettyimages-109885482.jpgLe raisonnement de Winock ressemble plus à celui dʼun « prêtre rouge » quʼà un clerc guidé par les seules lumières de la science. Un prêtre qui, contrairement au curé exhortant ses fidèles à pratiquer lʼamour plutôt que la guerre, tend à justifier le bellicisme. Il reproche ainsi à Maurras dʼavoir voulu éviter à tout prix la guerre lorsquʼil écrit que « Maurras et les siens sʼemploient à expliquer quʼil faut éviter la guerre, parce que ce sont les Juifs et les communistes qui la veulent, pour prendre le pouvoir ». Cʼest peu ou prou une thèse partagée par Louis-Ferdinand Céline dans sa satire, publiée dans les années 1930, Bagatelles pour un massacre. Thèse condamnable sʼil en est pour les beaux esprits de la « rien-pensance ». 

    ob_9f4941_donald-trump-and-jerusalem-888658.jpgUn dynamisme dialectique caractérise les effets des deux Guerres mondiales : triomphe du cosmopolitisme, dʼune part, avec la création de la Société des Nations après la 1ère, puis lʼOrganisation des Nations unies après la 2ème et cristallisation politique du sionisme dʼautre part, avec la déclaration Balfour (1917) et la naissance de lʼÉtat dʼIsraël (1948). Cosmopolitisme et sionisme vont de pair : ils signifient, en bout de course, lʼavènement de Jérusalem comme capitale dʼun monde réuni autour dʼun gouvernement unique. Jérusalem, Sion, comme « cosmo-polis », « ville-monde ». (A suivre)  

    [1]  Comme le souligne le marxiste « orthodoxe » Karl Kautsky, dans Éthique et conception matérialiste de lʼhistoire (1906), « dans la science, lʼidéal moral devient une source dʼerreurs, sʼil se permet de lui prescrire ses fins », cité par Lucien Goldmann, Recherches dialectiques, Paris, Gallimard, 1959, p. 286.
    A lire de Rémi Hugues Mai 68 contre lui-même ...
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  • Rétrospective : 2018 année Maurras [3]

    Dédicace de Charles de Gaulle à Charles Marras pour son livre La discorde chez l'ennemi

    Par Rémi Hugues

    saint_augustin visuel.jpgAu moment où s'achève l'année du cent-cinquantenaire de Charles Maurras, Rémi Hugues nous propose une série de quatre articles - à venir les jours suivants, « Rétrospective : 2018 année Maurras »Notre collaborateur et confrère y évoque différents aspects ou moments importants de la vie et l'oeuvre de Charles Maurras à travers les écrits fort contestables de Michel Winock, l'un des historiens organiques de la République française du XXIe siècle, « une figure dʼautorité. » Bonne lecture !  LFAR    

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    In Winock veritas ?

    De la subtilité, Winock en manque cruellement lorsquʼil va jusquʼà défendre la position selon laquelle de Gaulle était lʼ « anti-Maurras », quʼil était « aux antipodes de Maurras ». Il est indiscutable que lʼidiosyncrasie gaullienne était imprégnée de lʼesprit de Maurras. Il faudrait que Winock réécoute sa conférence de presse du 27 novembre 1967, largement consacrée à lʼactualité internationale, aux États-Unis et à Israël notamment. Certes, de Gaulle était un maurrassien critique, de raison, pas un maurrassien béat. 

    En vérité lʼ « intelloʼ de Martigues » avait imprimé sa marque dans lʼâme jeune du natif de Lille. La socialisation politique primaire de De Gaulle sʼétait faite sous le signe de Maurras : son père, « Henri, lisait LʼAction française […]. Il était royaliste de cœur, et le jeune Charles a été éduqué dans un milieu habité par la nostalgie de la royauté. » 

    hqdefault.jpgEt pour preuve : de Gaulle a parfaitement retenu la leçon de son maître à penser à propos des quatre états confédérés quand il dit à Alain Peyrfefitte que la franc-maçonnerie fait office de quatrième colonne, un parti de lʼétranger, inféodé à la perfide Albion : « Sénat, Club Jean-Moulin, francs-maçons, tout se tient. Ces gens-là cherchent à me mettre des sabots aux pieds. On mʼassure que la moitié des sénateurs, de la gauche à la droite, sont franc-maçons. On mʼen dit autant des magistrats, quʼils soient du siège ou du parquet. Ça expliquerait bien des choses. Ces gens-là nʼaiment pas la France, ils préfèrent les Anglo-Saxons. »[1] On dirait du Maurras dans le texte. 

    Négateur du réel, Winock préfère voir en de Gaulle un épigone de Charles Péguy, un grand littérateur nʼayant en revanche jamais développé une doctrine politique cohérente sʼarticulant autour de concepts originaux, structurants et fondamentaux, à la différence de la pensée de Maurras, dont la dichotomie pays légal / pays réel, par exemple, est encore utilisée aujourdʼhui, notamment par les publicistes de la presse écrite ou même de la radio et de la télévision. Est-il quelquʼun qui a retenu une quelconque doctrine politique de Péguy, lui qui commença socialiste avant de se tourner vers le catholicisme ? Péguy ne s’est jamais voulu et nʼa jamais été à la tête dʼune organisation politique. 

    2784291594.jpgLʼanalyse de Winock révèle ici ses limites : il montre quʼil nʼa guère compris que le politique est dʼabord une somme dʼinteractions sociales, de relations humaines (quʼelles soient dʼamitié ou dʼinimitié[2]), soit quelque chose de bassement concret, avant dʼêtre des idées abstraites empilées dans des livres. Faire de De Gaulle lʼépigone de Péguy (photo) pour l’opposer à Maurras, quelle ineptie ! Plus énorme encore est celle dʼériger de Gaulle en anti-Maurras ; par ce truchement Winock réhabilite la formule maurrassienne très controversée dʼ « anti-France ». Sʼil est valide du point de vue épistémologique de se servir du préfixe « anti » pour exprimer une opposition radicale, pourquoi le serait-il pour Maurras et ne le serait-il pas pour la France ? 

    Ce manque de rigueur sémantique est le trait marquant de lʼarticle de Winock. Il utilise, si lʼon peut dire, des mots sans en mesurer le poids. Jetant aux orties Aristote qui signale que si « on ne posait de limite et quʼon prétendît quʼil y eût une infinité de significations, il est manifeste quʼil ne pourrait y avoir aucun logos. En effet, ne pas signifier une chose unique, cʼest ne rien signifier du tout », il sʼaffranchit du respect du sens strict des mots. 

    Prenons celui dʼantisémitisme. Maurras est victime de la présomption de culpabilité dʼen être un. Pour Winock, cʼest un fait avéré. On est dans lʼordre du préjugé : nul besoin de chercher à le démontrer. Lʼhistoire a tranché : Maurras est à bannir car il a rejoint le rang des antisémites notoires. 

    17639964-22082748.jpgOr cʼest mal connaître la généalogie de la question juive. Lʼantisémitisme présuppose lʼexistence de races distinctes, ce qui dans la modernité, comme le souligne Hannah Arendt (photo) dans le passage qui suit, a été introduit par des Juifs. 

    « Cʼest alors que, sans aucune intervention extérieure, les Juifs commencèrent à penser que ʽʽce qui séparait les Juifs des nations nʼétait pas fondamentalement une divergence en matière de croyance et de foi, mais une différence de nature profondeʼʼ, et que lʼancienne dichotomie entre Juifs et non-Juifs était ʽʽplus probablement dʼorigine raciale que doctrinaleʼʼ. Ce changement dʼoptique, cette vision nouvelle du caractère étranger du peuple juif, qui devait se généraliser chez les non-Juifs que beaucoup plus tard, à lʼépoque des Lumières, apparaît clairement comme la condition sine qua non de lʼapparition de lʼantisémitisme. Il est important de noter que cette notion sʼest formée dʼabord dans la réflexion des Juifs sur eux-mêmes, et à peu près au moment où la Chrétienté européenne éclata en groupes ethniques qui accéderont plus tard à lʼexistence politique dans le système des États-nations modernes. »[3] 

    Augustine_Confessiones.jpgSe situant à extrême distance de ces Juifs qui théorisèrent la diversité raciale du genre humain, du racialisme en somme qui, dʼaprès Hannah Arendt est une invention juive, Maurras, ce fidèle de lʼÉglise de Rome en vertu non de la foi mais de la raison, entendait rester fidèle à lʼesprit de lʼépître aux Galates de saint Paul qui continuait la parabole christique du Bon Samaritain. 

    Maurras n’entend pas remettre en cause lʼuniversalité, lʼunité radicale de lʼhumanité, telle quʼexprimée par saint Augustin de la manière suivante : « Quel que soit lʼendroit où naît un homme, cʼest-à-dire un être raisonnable et mortel, sʼil possède un corps étrange pour nos sens, par sa forme, sa couleur, ses mouvements, sa voix, quels que soient la force, les éléments et les qualités de sa nature, aucun fidèle ne doit douter quʼil tire son origine du seul premier homme[4] ». (A suivre)  

    [1]  Alain Peyrefitte, Cʼétait de Gaulle, II, Éditions de Fallois / Fayard, 1997, p. 111.
    [2]  Carl Schmitt, dans La notion de politique, avance que la syzygie, autrement dit lʼappariement du couple dʼopposés ami / ennemi est au politique ce que les dichotomies vrai / faux, bien / mal, beau / laid et utile / nuisible sont respectivement à la science, à la morale, à lʼart, et à lʼéconomie.
    [3]  Hannah Arendt, Sur lʼantisémitisme. Les origines du totalitarisme, Paris, Gallimard, 2002, p. 8-9.
    [4]  Saint Augustin, La Cité de Dieu,  II, Paris, Gallimard, 2000, p. 661. 
    A lire de Rémi Hugues Mai 68 contre lui-même ...
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  • Lettres & Philo • « Pour Boutang, Les Fables de La Fontaine proposent une sagesse de la limite »

    Une Lecture de Bérénice Levet

    blue-wallpaper-continuing-background-wallpapers-bigest-images - Copie.jpgLa Fontaine politique, de Pierre Boutang vient récemment d'être réédité. Bérénice Levet salue un ouvrage qui décèle dans les Fables une profondeur philosophique digne d'Aristote [FigaroVox, 26.12]. Penseur assumé d'une condition humaine noble parce que limitée, La Fontaine peut être un maître pour notre temps, souffle, en philosophe, Bérénice Levet. D'ailleurs, elle fait bien plus que saluer l'ouvrage réédité de Pierre Boutang. Elle le prolonge de sa propre méditation. Ouvrage difficile dont on sent qu'elle l'a lu avec passion, sympathie, gourmandise, et, en un sens, avec affection, ou à tout le moins, empathie pour son auteur, dont nous n'oublions pas, ici, qu'il est l'un de nos maîtres. Il faut en rendre grâce à Bérénice Levet.  Lafautearousseau. 

     

    6792525lpw-6792702-sommaire-jpg_4039695.jpgQuasiment disparu de l'école républicaine depuis les années 1970 - si vous en doutez, interrogez vos enfants, et si vous êtes quarantenaires, interrogez-vous vous-mêmes ! -, La Fontaine connaît depuis plusieurs années un regain d'intérêt et de faveur. À la fin des années 1990, le comédien Fabrice Luchini inscrit Les Fables au programme de ses représentations. La gourmandise, la délectation, la jubilation avec lesquelles il les récite provoquent un effet d'entraînement qui dure depuis lors. En juin dernier, dans le cadre de l'opération « un livre pour les vacances », le ministre de l'éducation nationale, Jean-Michel Blanquer offrait à 800 000 élèves sortant de classe de CM2, un recueil des œuvres du poète. Ce printemps, Le Monde et Le Figaro consacraient chacun un numéro spécial au fabuliste, Le Point, L'Obs, Lire lui réservaient leur couverture. Sans être dupe des motifs purement mercantiles qui président à ce retour en force et en grâce - l'industrie culturelle, avide de produits toujours neufs, toujours frais se plaît à puiser et à épuiser les ressources spirituelles du passé -, ce phénomène dit quelque chose de notre présent. Comme si nous pressentions que rouvrir La Fontaine ne nous serait peut-être pas inutile, comme si nous devinions que cette œuvre avait encore bien des choses à nous dire, bref qu'il était, pour user d'une formule vermoulue, un poète pour notre temps.

    arton771.jpgPour Pierre Boutang, ce n'est pas qu'un pressentiment, c'est une conviction, qu'il déploie dans cet ouvrage que « Les provinciales » ont l'heureuse idée de rééditer aujourd'hui, La Fontaine politique.

    Le titre est hasardeux, et Boutang le sait. « Prenons garde, écrit-il, se souvenant de Sainte-Beuve qui recommandait de toujours s'imaginer l'auteur auquel on se voue assis à nos côtés, tendant l'oreille, prenons garde donc, que La fontaine ne s'enfuie par le fond du jardin, s'il entend notre dessein de lui attribuer une politique ». Mais précisément Boutang ne se brise pas sur cet écueil, il n'attribue pas une politique au fabuliste, il ne transforme pas Les Fables en programme électoral ni en petit livre rouge. Mais il célèbre en La Fontaine le penseur de la condition politique des hommes, c'est-à-dire de l'homme comme « animal politique ». On y aura reconnu l'empreinte d'Aristote. « Animal politique » désignant l'homme comme être d'emblée pris dans le faisceau des relations humaines. Politique renvoie donc d'abord à une essentielle sociabilité de l'homme, consubstantielle au don du logos, du langage et de la raison intrinsèquement mêlés, qui le distingue d'entre toutes les espèces vivantes (et fonde, soit dit en passant, sa responsabilité à leur égard). C'est parmi et avec ses semblables que l'homme accomplit son humanité. L'atome des modernes est une fiction. « Politique, définit Boutang, veut dire que ni bête ni dieu, l'homme se revêt de son image dans le regard et les projets de ses frères humains incertains et bigarrés ». Anthropologie pré-moderne avec laquelle Boutang n'est pas seul à renouer, songeons à Hannah Arendt ou à Léo Strauss, par exemple.

    Les Fables sont donc politiques parce qu'elles n'ont pas d'autre objet que cette chétive créature avec ses passions, ses grandeurs et ses faiblesses, aux prises avec des questions qui ne se résolvent pas à la façon d'une équation mathématique ou d'un problème technique et financier. Comment vivre, comment rendre le monde plus habitable, la vie un peu plus douce, le commerce avec nos semblables un peu moins âpre ? La réponse n'est écrite nulle part. À nous, hommes, de nous débrouiller, de nous bricoler, de nous composer un art de vivre. En dehors de tout système, de tout dogme, La Fontaine nous est une béquille: « La Fontaine n'enseigne pas, dit si justement Boutang, il montre, […] il aide à faire naître la douce habitude ». Et l'on peut dire de La Fontaine ce que Pascal disait du christianisme, il a bien connu l'homme, « il montre tout, sa paideia va au meilleur et au pire ».

    Mais Les Fables sont politiques aussi, et c'est peut-être la leçon première que nous devons retenir de ce livre, parce qu'elles nous donnent la langue, et qu'il n'est pas d'autre force politique que la possession, la maîtrise de cette langue : « La seule réelle force politique [est] la perfection d'une langue […] et d'abord sa transmission religieuse aux enfants de chaque patrie. […] Je ne dis plus seulement que ma patrie c'est la langue française, mais que c'est l'enseignement et la tradition de cette langue dans son intégrité. Tous les autres biens passent effectivement par celui-là ; c'est en lui que l'intérêt et les intérêts deviennent par une métamorphose quotidienne, le bien commun national ». La langue est le ciment d'un peuple : « Chaque fois qu'un enfant apprend sa langue, il imite et prolonge l'aventure capétienne du rassemblement d'une terre dans l'unité de sa parole maîtresse ». À un moment où non seulement les « gilets jaunes », mais la classe politique tout entière et le Président de la République lui-même peinent tant à formuler le discours salutaire et réaliste dont nous avons besoin - nous comprenons que c'est cet apaisement que notre langue nationale est capable de produire en traduisant dans sa perfection et avec sa franchise singulière la réconciliation des intérêts dans le bien commun national, que tout un peuple espère. Apprendre sa langue dans La Fontaine, c'est acquérir un vocabulaire de la sensibilité et de l'intelligence d'une extrême richesse. Boutang est parfaitement accordé à La Fontaine, à l'anthropologie de la transmission qui est la sienne : relisons sa préface aux Fables : Une des grandes « utilités » de son ouvrage, indique-t-il d'emblée, est d'escorter les enfants, de les accompagner : « ces derniers sont nouveaux venus dans le monde, ils n'en connaissent pas encore les habitants ; ils ne se connaissent pas eux-mêmes. On ne les doit laisser dans cette ignorance que le moins qu'on peut ».

    La Fontaine nous est précieux, parce qu'il nous donne les mots, parce qu'il nous donne les histoires pour être rapatriés sur terre, dans le monde des hommes, ce monde humain trop humain. Un politique qui ne donne audience qu'à la raison technicienne, technocratique, calculante, est comme condamné à méconnaître et à sacrifier la réalité humaine, qui crie parfois pathétiquement pour être reconnue et entendue, sans même pouvoir trouver les mots. « Nous avions cessé de regarder le hibou et les souris (cf XI, 9) mais la figure de meurtre et de servitude qui y était contenue, associée cette fois, hors nature, avec la raison calculatrice et technicienne, est revenue sur nous. Qu'est-ce qu'un camp d'extermination, ou un goulag, avec leur finalité industrielle ? Ne reconnaissons-nous pas le hibou et les souris aux visages d'homme ? »

    Prenons l'exemple d'une question politique majeure aujourd'hui, la question écologique, la question de notre rapport à la nature. Avant toute mesure, avant toute interdiction, c'est d'une autre philosophie que celle de l'individu et de ses droits que nous avons besoin. Et à cet égard, le détour par La Fontaine lu par Boutang ne serait peut-être pas vain. « La Fontaine devrait être le saint patron des ‘'écologistes'' authentiques ». Rien que de très convenu, dira-t-on : La Fontaine, la nature, les animaux … Mais le propos de Boutang est autrement hardi et fécond. Lisons avec lui, L'homme et la couleuvre. Si La Fontaine mériterait d'être érigé en saint patron de l'écologie, ce n'est pas seulement parce qu'il rend une âme aux bêtes et même aux végétaux (et particulièrement dans cette fable, aux arbres), mais parce qu'il se fait le poète d'une disposition sans laquelle il ne saurait y avoir de véritable sauvetage de la nature : la gratitude, la capacité à remercier, à se tenir pour les obligés de ce dont nous ne sommes pas les auteurs, à voir un don dans ce qui nous est donné, dans ce que nous recevons. Il faut lire les pages très inspirées qu'il consacre à la vertu de gratitude. « La Création n'est confiée à l'homme qu'aux conditions de l'Alliance », disposition qui, au-delà de l'écologie elle-même, devrait être considérée comme le critère et le principe de toute vie politique.

    font-couvR.jpgAvant d'aller plus avant, prévenons un malentendu. On conçoit que résumé ainsi, l'objet de ce livre puisse rebuter et ce n'est plus seulement La Fontaine qui risque de prendre ses jambes à son cou mais non moins l'éventuel lecteur de Boutang, redoutant de voir le fabuliste enseveli sous des considérations abstraites, dépossédé de son charme, de sa grâce, de sa légèreté, de son « sourire ». Il n'en est rien. Pierre Boutang ne cède à ce péché (familier à ses semblables) d'abaisser la fable au statut de servante de la philosophie, et le fabuliste à celui de simple illustrateur de thèses et de concepts.

    Car précisément, par-delà La Fontaine, un des enjeux majeurs de cet ouvrage est de rendre leurs lettres de noblesse aux œuvres de fiction en tant qu'œuvres de fiction, d'exalter, de faire rayonner la puissance de vérité et de signification du mythe, de la fable, des histoires. La condition humaine ne se laisse pas dire dans la langue de la science ou du concept, non plus, soit dit en passant, dans la langue de carton des technocrates, des politiques et des médias. Et c'est bien pourquoi nous avons tant besoin des poètes, de leurs mots, de leurs fables. « Grâce à l'art, disait Soljenitsyne, il nous arrive d'avoir des révélations, même vagues, mêmes brèves, qu'aucun raisonnement si serré soit-il, ne pourrait faire naître ». L'art est en effet le lieu de l'épiphanie de la vérité, d'une vérité humaine, toute humaine.

    Le projet de ce La Fontaine politique, qui paraît pour la première fois en 1981, remontait à loin, au début des années 1950, Boutang devait surseoir à son exécution mais sans jamais y avoir vraiment renoncé. La rencontre avec l'œuvre du philosophe Giambattista Vico fut l'étincelle qui ralluma la mèche, en quelque sorte. La scienza nuova lui donna la clef des Fables … « J'y découvrais, se souvient-il, une philosophie de l'être et de l'homme » et une philosophie qui donnait à la fable, au mythe, leurs fondements anthropologiques. D'où vient que les hommes, depuis l'aube de l'humanité, racontent des histoires ? D'où vient ce que La Fontaine lui-même appelle le « pouvoir des fables », pouvoir irrésistible, sans rival: « Et moi-même, confesse le fabuliste, au moment que je fais cette moralité, /Si peau d'âne m'était conté, j'y prendrais un plaisir extrême » (VIII, IV) ? Vico est en effet ce philosophe qui, contre Descartes, pour dire les choses rapidement, réhabilite l'imagination, le vraisemblable, le mythe, refuse d'abandonner à la rationalité scientifique et à ses critères, le monopole de la vérité. Souvenons-nous de Flaubert: « Pécuchet voulut faire lire [à Bouvard] Vico. Comment admettre, objectait Bouvard, que des fables soient plus vraies que les vérités des historiens ?''» - , échos d'une époque où, notons-le au passage, grâce à Michelet qui s'en faisait le traducteur, l'auteur de la Scienza Nuova était redécouvert.

    Giovan_Battista_Vico.jpgBoutang puisa chez « le grand, le sublime Vico » (photo) différents outils conceptuels, et tout particulièrement, la notion d' « universaux fantastiques ». Que désigne cette expression peu amène à l'oreille, qui sent son jargon philosophique ? « Fantastique» s'entend en son sens grec étymologique, produit par la « fantasia », par l'imagination mais une imagination qui n'est pas la folle du logis, mais l' « ouvrière d'universaux », c'est-à-dire de généralités, de vérités qui mordent sur la condition humaine, qui mettent en forme les invariants de l'humaine condition. Des universaux, et c'est là leur spécificité par rapport aux universaux produits par les sciences ou la philosophie, sans abstraction, qui procèdent du particulier, qui se donnent sous la forme colorée, chatoyante, concrète d'histoires singulières, de récits. Et Boutang se propose d'établir une sorte de table des universaux, des catégories d'intelligibilité, du vocabulaire de la sensibilité et de l'intelligence que recèlent Les Fables de La Fontaine.

    Aristote est l'autre grande figure philosophique invoquée, sollicitée par Boutang. Et là encore le détour se révèle fécond et nullement forcé. Car il ne s'agit pas d' « éclairer » La Fontaine par Aristote mais de faire apparaître qu'il y a chez le fabuliste une pensée de la condition politique et morale des hommes aussi consistante, aussi puissante que chez le philosophe. Chacune des « vertus » requises par et pour l'action, les qualités qui font le citoyen, dont Aristote fait en quelque sorte l'inventaire dans L'Éthique à Nicomaque, ont trouvé en La Fontaine leur poète, leur conteur. Phronesis, kairos, c‘est-à-dire repérage du moment opportun, rôle de l'opinion, du conflit des opinions dans la prise de décision, La Fontaine met en scène ces notions, leur donne un contenu narratif et opère à l'avance la critique radicale des complaisances électoralistes dont la totalité de notre personnel politique ne sait plus comment se dépêtrer. C'est ainsi que Boutang propose une lecture extrêmement stimulante du Meunier, son fils et l'âne.

    Et l'épreuve de la mise en regard se révèle âpre pour le philosophe : comment rivaliser avec la saveur d'une fable, avec « la langue des dieux telle que La Fontaine en use » et grâce à laquelle il fait droit à cet excès de sens que recèle l'expérience vivante, concrète ? C'est elle que charriaient les proverbes et que le poète restitue à sa manière pour constituer le vrai socle de l'antique sagesse populaire et la transmettre à nos riches autant qu'aux pauvres auxquels elle manque si cruellement.

    Le corbeau, la gazelle, la tortue, et le rat.jpgLe thème de l'amitié en offre une belle illustration. Aristote est le philosophe par excellence de cette vertu, mais les deux livres de l'Éthique à Nicomaque qu'il lui consacre pâlissent face à ce « chef d'œuvre absolu » qu'est « Le Corbeau, la Gazelle, le rat, la tortue » (XII, 15): cet «universal fantastique complexe, [cette] délicate machine de l'imaginaire ne contredit point aux chapitres d'Aristote mais combien plus elle parle à tout homme encore capable de devenir pareil à des enfants'' » , « à quelle profondeur elle pénètre dans nos vies » ?

    Aristote, La Fontaine, Vico: ces trois-là partagent une même sagesse des limites, une même attention à la condition humaine dans sa finitude qu'ils respectent et nous apprennent à aimer. Ils consentent à l'essentielle ambiguïté des hommes et du monde, ils ignorent tout de l'hubrys de ceux qui entendent régénérer l'humanité, « changer les mentalités » avec des taux de croissance, les seules prouesses de la technique et des lois toujours plus dispendieuses. Ils sont résolument du côté de Philinte. La Fontaine , écrit Boutang, « ne prétend pas abolir l'amour-propre, ni le traquer en ses secrets replis »: « quelques politesses que le fabuliste ait faites à [La Rochefoucauld], ajoute-il magnifiquement, il n'a jamais pu croire que sa chasse impitoyable, et presque délirante, au moi trop humain pût s'ouvrir sur autre chose que le désespoir ».

    En plaçant ainsi son étude sur La Fontaine sous le signe d'Aristote et de Vico, Boutang inscrit La Fontaine dans une famille de pensée, une tradition cachée (dont l'histoire reste à écrire) dont la figure tutélaire est en effet Aristote et se poursuit avec Vico, en passant par Montaigne, Molière, conduisant jusqu'à Albert Camus, Hannah Arendt et qu'il nous appartient de maintenir vivante aujourd'hui. Il y aura toujours deux familles de penseurs, ceux qui consentent à la finitude humaine et ceux qui mènent la rébellion contre cette limitation, et s'engagent dans des politiques d'ingénierie sociale, culturelle et anthropologique désastreuses. L'histoire, de la Terreur de 1793 au léninisme et au stalinisme du XXe siècle, est là pour nous instruire du prix humain auquel se paie cette impossible réconciliation avec l'homme.

    22726814168.jpg« La tâche terminée, écrit Boutang au moment de clore son La Fontaine politique, j'avoue qu'elle m'a été joyeuse, et continûment ». Nous n'en doutons pas un instant. Boutang a le goût, le sens des mots, sa verve interprétative est souvent inspirée, son enjouement, communicatif - même si, et on ne le dissimulera pas, la lecture de cet ouvrage n'est guère aisée, elle demande de la patience, des efforts. Mais on aurait tort de se priver de cette extraordinaire occasion de revisiter ou de visiter ce continent que sont Les Fables - « musarder dans les fables », dit joliment Boutang, mais il fait plus qu'y musarder, il s'y promène avec une agilité, une souplesse, tout à fait vertigineuse (est-il une seule fable qui ne soit pas convoquée par le philosophe ?) L'effet le plus assuré de ce livre, et qui à soi seul en justifie la lecture, est de conduire à La Fontaine…Et de prendre exemple sur Boutang, de lire le poète de telle sorte que l'on vive avec ses histoires, avec ses mots. Que La Fontaine nous devienne réellement compagnon de vie et de pensée.  

    Bérénice Levet est docteur en philosophie et professeur de philosophie au Centre Sèvres. Elle vient de faire paraître Libérons-nous du féminisme !  aux éditions de l'Observatoire.
  • Histoire & Action Française • Rétrospective : 2018 année Maurras [2]

    Par Rémi Hugues

    saint_augustin visuel.jpgAu moment où s'achève l'année du cent-cinquantenaire de Charles Maurras, Rémi Hugues nous propose une série de quatre articles - à venir les jours suivants, « Rétrospective : 2018 année Maurras »Notre collaborateur et confrère y évoque différents aspects ou moments importants de la vie et l'oeuvre de Charles Maurras à travers les écrits fort contestables de Michel Winock, l'un des historiens organiques de la République française du XXIe siècle, « une figure dʼautorité. » Bonne lecture !  LFAR    

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    In Winock veritas ?

    Dans le milieu des historiens organiques de la République française du XXIe siècle, Michel Winock est une figure dʼautorité[1]. Fort de son statut de conseiller auprès de la rédaction du mensuel LʼHistoire, il sʼest donné la peine dans le numéro de juin 2018 dʼexprimer son point de vue expert à la piétaille qui nʼy comprend rien – nous les gueux sans doctorat ni agrégation – sur le cas Charles Maurras, qui depuis quelque temps a reçu un nouveau sobriquet : « M le Maudit ». 

    41qLB-P4F4L._AC_US218_.jpgIl est vrai que Michel Winock (photo) sʼest spécialisé dans lʼétude des figures « réactionnaires » (pour reprendre le vocable du libéral Benjamin Constant[2], vocable si cher aux socialo-communistes) de lʼhistoire littéraire de notre pays, comme Léon Bloy. Visiblement, Winock est attiré par les plumes talentueuses ! Confondant analyse historique et jugement moral, il se plaît dans le rôle de parangon de vertu républicaine, livrant les bons et les mauvais points. Untel a bien agi en 1789, un autre sʼest très mal comporté pendant la Commune, lʼattitude de celui-là fut indigne dans les années 1930 et 1940, heures les plus sombres de la doxa médiatique. 

    Il se garde bien en revanche dʼinsister sur le génocide de 1793-1794 commis par les révolutionnaires en Vendée, contribuant à lʼindigne « mémoricide » perpétré par lʼÉcole républicaine. Quelle horreur ce serait de salir lʼimage de Marianne : le professeur Winock profite des prébendes depuis tant dʼannées ! Quoi de plus ignoble que de blâmer la République !       

    En synthétisant la bien-pensance contemporaine relative à la représentation des faits historiques, Winock joue le rôle de guide des âmes en peine qui pourraient être troublées par les sirènes du populisme, du chauvinisme ou du passéisme, les pires maux de ce siècle à en croire la caste « ripoublicaine » qui nous gouverne. 

    Degradation_alfred_dreyfus.jpgComme le suggèrent le titre de lʼarticle puis son contenu, ce qui obnubile Winock chez Maurras cʼest son rapport à la question juive et à Adolf Hitler. En choisissant « La revanche de Dreyfus ? » comme titre, il fait un clin d’œil à la saillie que prononça Maurras en apprenant sa condamnation à l’indignité nationale et à la détention à vie pour intelligence avec lʼennemi en 1945 : « cʼest la revanche de Dreyfus ! » 

    Winock se fourvoie dans le réflexe pavlovien, en vogue chez les penseurs stipendiés, de la reductio ad hitlerum. Une autre historien, lʼAméricain dʼorigine russe Yuri Slezkine, commente cet état de fait en ces termes : à partir des années 1970 « lʼHolocauste devint tout à la fois lʼépisode central de lʼhistoire juive et de celle de lʼhumanité et un concept religieux transcendant concernant un événement réputé incomparable, incompréhensible et irreprésentable. »[3] Et Adolf Hitler de représenter le Mal pris comme un principe transcendant. « La conséquence la plus profonde de la Seconde Guerre mondiale a été la naissance dʼun nouvel absolu moral, celui du nazisme comme mal universel. »[4] 

    Du haut de sa science Winock édicte une fatwa, dʼoù Maurras sort plutôt sacrilège quʼen odeur de sainteté. Cʼest le moins que lʼon puisse dire. Mais à délaisser la raison au profit de la morale, lʼon risque de se commettre en imprécisions, inexactitudes, inepties. 

    Commençons par ce qui est dʼordre factuel. Winock écrit que Maurras aurait « défrayé la chronique au mois dʼavril 2018 ». Or cʼest quelques mois plus tôt, en janvier, que la polémique a éclaté lorsque le ministère de la Culture de Madame Nyssen a publié le cahier des commémorations officielles de lʼannée 2018, où le nom de « M le maudit » apparaissait, avant de le retirer, sous la pression des Valls et consorts. Mis à part les intimidations de la gauche contre les organisateurs dʼun colloque qui sʼest tenu à Marseille le 21 avril[5] – affaire relayée par quelques titres de presse comme La Provence ou La Croix –, rien dʼautre de retentissant ne sʼest passé au sujet de Maurras en avril. 

    Outre sʼemmêler les pinceaux dans les dates – un comble pour un historien –, Winock sʼembrouille quant aux notions « nationalisme », « nationalisme intégral » et « conservatisme ». Il se montre incapable de définir rigoureusement ces termes. Pour lui ils sont équivalents. Alors que le nationalisme, concept originellement de gauche, peut être aussi bien progressiste que traditionaliste, renvoyer tant au jacobinisme des Robespierre, Thorez, Chevènement ou Mélenchon (ce dernier a axé sa campagne présidentielle de 2017 autour de la défense de la souveraineté française contre les diktats de lʼUnion européenne) quʼau catholicisme des Barruel, Barrès, de Villiers ou Jean-Marie Le Pen. Cʼest pourquoi Maurras insistait pour que le nationalisme soit intégral, c’est-à-dire monarchique : un nationalisme conséquent ne pouvant à ses yeux que vouloir perpétuer lʼhéritage glorieux de la France, dʼessence catholique et royale, eu égard à sa fondation par un roi converti au christianisme et à son attribut, dont elle sʼenorgueillit jusquʼen 1789, de « fille aînée de lʼÉglise ». 

    Mariage-gay-Taubira-enflamme-l-Assemblee.jpgEn outre, cʼest une erreur dʼidentifier le nationalisme intégral de Maurras à un conservatisme, idéologie qui vient dʼAngleterre (des Tories) et qui est donc étrangère à notre culture politique. Même si, aujourd’hui, un certain courant intellectuel plutôt traditionaliste et largement  antimoderne,  lui donne un sens nouveau, en France et ailleurs. Comment est-il possible de sʼattacher à vouloir conserver des mœurs et un droit positif qui, du fait du changement social, évoluent constamment ? En 2010 si je suis conservateur je suis contre le mariage pour les homosexuels. En 2018 en tant que conservateur je suis favorable au maintien de lʼexistant, au statut quo, donc à la loi Taubira qui accorde aux homosexuels le droit de sa marier. 

    Pour Winock toutes ces idéologies sont anathèmes, il nʼy a donc pas lieu dʼen saisir les subtilités. (A suivre)  

     
     [1]  Michel Winock a écrit notamment La Belle Époque et 1789, Lʼannée sans pareille, publiés chez Perrin. Il a également contribué à la rédaction, sous la direction de Serge Berstein, de lʼouvrage collectif Les cultures politiques en France, paru au Seuil. En 2008, son livre La fièvre hexagonale était au programme du concours dʼentrée à lʼInstitut dʼétudes politiques de Grenoble. Régulièrement invité sur les plateaux de télévision et dans les studios des stations de radio, il est incontestablement membre de cet aréopage dʼexperts du régime quʼil est de coutume dʼappeler fonctionnaires de la technocratie. 
    [2]  En 1797 Benjamin Constant publie le volume Des réactions politiques, où pour la première fois est utilisé cet adjectif de « réactionnaire » promis à un bel avenir. Le plus surprenant cʼest quʼaujourdʼhui il est tout particulièrement prisé par les « antilibéraux », trotskystes, P.C.F. et France insoumise.
    [3]  Le siècle juif, Paris, La Découverte, 2009, p. 388.
    [4]  Ibid., p. 389.
    [5]  Organisé par le blog « Lafautearousseau », son lieu initial, occupé par un ordre monastique, dut être changé à la dernière minute sous la pression dʼune poignée dʼhurluberlus allant du parti socialiste à un fantasque « front unitaire antifasciste ». Ces derniers ayant menacé de mettre à sac le couvent, la police prit les choses très au sérieux, avertissant les religieux quʼil serait plus sage de tout annuler. Une salle de conférence sise dans un hôtel fut trouvée en hâte pour que le colloque, célébrant le cent-cinquantième anniversaire de la naissance de Charles Maurras et visant à présenter sa pensée à une jeune génération attirée par le nationalisme mais connaissant de façon imprécise la doctrine du « nationalisme intégral », puisse bien avoir lieu. 
     
    A lire de Rémi Hugues Mai 68 contre lui-même ...
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  • Société • Bock-Côté : « La cité est périssable, mais c'est la grandeur de l'homme de vouloir faire durer le monde qui est le sien »

    Par Mathieu Bock-Côté 

    blue-wallpaper-continuing-background-wallpapers-bigest-images - Copie.jpgLe « conservatisme » ainsi défini, nous l'acceptons. Il est nôtre, même si nous n'avons jamais beaucoup aimé le mot s'il signifie « conservation molle de l'existant ». C'est à dire de la modernité y compris en ce qu'elle a de plus détestable. Si on lit cet article, qui est important, on verra que ce n'est pas du tout le sens que Mathieu Bock-Côté donne à conservatisme et encore moins le fond de sa riche pensée. Lafautearousseau reprend ces réflexions parce qu'elles comptent et qu'elles doivent être connues des royalistes. Notamment de nos lecteurs. [Le Figaro, 29.12]LFAR

     

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    On a beaucoup glosé ces dernières années sur le conservatisme, dont la renaissance intellectuelle est indéniable.

    Si tous les intellectuels qu'on y associe ne revendiquent pas nécessairement cette étiquette, ils s'inscrivent néanmoins dans la perspective d'une modernité sceptique, que ce soit en critiquant l'immigration massive, le féminisme pudibond, le bougisme qui arrache l'homme à sa demeure ou le manichéisme historique qui réduit l'aventure des nations à un affrontement bête et stérile entre les gentils et les méchants.

    Ces dernières années, le système médiatique en est même venu à parler, devant ce mouvement, d'un renversement d'hégémonie, en s'alarmant de la montée en puissance des « réacs » qu'il ne serait plus possible de ne pas entendre, ce qui serait apparemment embêtant. La formule était pourtant exagérée et reposait sur une double illusion. La gauche a été si longtemps dominante qu'il lui suffit d'être critiquée pour se croire assiégée. Inversement, la droite a été si longtemps silencieuse, et même humiliée, qu'il lui suffit d'être entendue pour se croire dominante. Dans la réalité, la mouvance conservatrice demeure médiatiquement et intellectuellement très minoritaire, et chacune de ses audaces se paie normalement du prix d'un scandale.

    Qu'est-ce que les conservateurs veulent conserver ? Ce n'est pas d'hier qu'on se le demande, souvent avec un brin de moquerie. Ne sont-ils pas que les héritiers mélancoliques d'un monde déjà perdu, qu'ils enchantent rétrospectivement par la magie du souvenir ? Ce procès est injuste, d'autant qu'il y a une grandeur certaine dans le fait de défendre après la défaite le souvenir de ce qui n'aurait pas dû tomber. Dans Rue Corneille, un beau livre de 2009, Denis Tillinac présentait avec tendresse Régis Debray comme un « gardien des ruines de la civilisation occidentale », un titre qu'il pourrait revendiquer aussi et qui n'a rien de déshonorant.

    Le sentiment de la fin d'un monde hante notre temps et il inspire souvent une posture résignée ou apocalyptique. Les adeptes de la première pleurent un monde perdu mais se font une raison en méditant sur l'œuvre du temps qui use toutes les civilisations, et contre lequel il serait vain de combattre. Les adeptes de la seconde maudissent cette décomposition qui les transforme en exilés de l'intérieur. Mais s'ils ne s'interdisent pas de rompre des lances contre l'époque qui vient, c'est généralement sur le mode du baroud d'honneur, à la manière de la dernière charge héroïque des vaincus.

    Ce sont là les deux pièges psychologiques qui guettent les conservateurs qui ont intériorisé trop intimement le mythe du progrès et qui poussent les hommes à la démission mentale. La modernité tend à dissoudre les sociétés dans le culte du mouvement perpétuel : elle fait déchoir tous les héritages en arrangements temporaires qu'il devient nécessaire de dépasser. Tout ce qui semblait devoir durer sera un jour périmé. Dès lors, quiconque refuse de suivre le rythme de la modernité sera un jour décrété conservateur, puis réactionnaire. Pour éviter la mauvaise réputation, plusieurs préfèrent alors la soumission. Car la modernité ne veut pas seulement qu'on l'accepte mais qu'on l'encense.

    Une nouvelle tentation totalitaire traverse l'Occident: celle d'un monde absolument transparent délivré de ses contradictions, purement malléable et soumis à toutes les formes d'ingénierie sociale, culturelle ou biotechnologique. Elle se réclame de l'émancipation totale du genre humain. C'est en son nom qu'on décrète que les peuples sont des constructions artificielles à dissoudre dans une diversité rédemptrice ou qu'on veut conjuguer la pédagogie avec l'esprit de table rase, pour immuniser l'enfant contre l'héritage au nom de sa supposée pureté virginale. C'est en son nom aussi qu'on décrète que la filiation est une fiction archaïque qu'on doit liquider pour redéfinir la famille dans une perspective exclusivement contractualiste. On pourrait multiplier les exemples.

    Mais l'âme humaine n'est pas d'une plasticité infinie. L'homme nouveau des progressistes ne sera jamais rien d'autre qu'une version mutilée de l'homme éternel. C'est une chose d'accepter la modernité, c'en est une autre de se définir intégralement à l'aune de ses catégories. À travers le conservatisme, l'homme moderne redécouvre les permanences anthropologiques qui structurent intimement la nature humaine et dans lesquelles il peut toujours puiser pour revitaliser ses libertés. De là la nécessité de les reconstruire politiquement. La cité est périssable, mais c'est la grandeur de l'homme de vouloir faire durer le monde qui est le sien. Ce que l'on nomme conservatisme n'est peut-être rien d'autre que la traduction intellectuelle de l'instinct de survie d'une civilisation qui ne voit pas pourquoi elle s'enthousiasmerait à l'idée de sa disparition.   

    Mathieu Bock-Côté 

    Le-nouveau-regime.jpgMathieu Bock-Côté est docteur en sociologie, chargé de cours aux HEC à Montréal et chroniqueur au Journal de Montréal et à Radio-Canada. Ses travaux portent principalement sur le multiculturalisme, les mutations de la démocratie contemporaine et la question nationale québécoise. Il est l'auteur d'Exercices politiques (éd. VLB, 2013), de Fin de cycle: aux origines du malaise politique québécois (éd. Boréal, 2012) et de La dénationalisation tranquille (éd. Boréal, 2007). Ses derniers livres : Le multiculturalisme comme religion politiqueaux éditions du Cerf [2016] et le Le Nouveau Régime (Boréal, 2017). 
  • Histoire & Action Française • Rétrospective : 2018 année Maurras [1]

    Par Rémi Hugues

    saint_augustin visuel.jpgAu moment où s'achève l'année du cent-cinquantenaire de Charles Maurras, Rémi Hugues nous propose une série de quatre articles - à venir les jours suivants, « Rétrospective : 2018 année Maurras ». Notre collaborateur et confrère y évoque différents aspects ou moments importants de la vie et l'oeuvre de Charles Maurras à travers les écrits fort contestables de Michel Winock, l'un des historiens organiques de la République française du XXIe siècle, « une figure dʼautorité. » Bonne lecture !  LFAR    

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    Avant-propos ...

    Alors que la nuit de la saint-Sylvestre approche, où une fois de plus nos forces de l'ordre vont probablement être mises a rude épreuve, c'est le moment de jeter un oeil sur le rétroviseur. De quoi l'année 2018 a-t-elle été le nom ?

    Elle a commencé par une polémique déclenchée par le ministère de la Culture qui a décidé de mettre Charles Maurras dans la liste des commémorations officielles des personnalités ayant marqué l'histoire de France avant de se raviser.

    2018-world-cup-final-french-4635-diaporama.jpgA son mitan, s'est produite une vague nationaliste de grande ampleur, rappelant quelque peu l'euphorie qui gagna la France un autre été, celui de la mobilisation de 1914. Visages grimés aux couleurs de la patrie, Marseillaises entonnées a tout va et nombre pléthorique de drapeaux déployés, aux fenêtres des voitures en marche ou des logements... tel est ce que l'on a pu observer après la victoire de la France lors de la coupe du monde de football en Russie.

    325225350.jpgCe sentiment d'unité nationale a muté au moment de l'automne en une fièvre saine de contestation radicale du Pouvoir. Après les célébrations du centenaire du dénouement de la Grande Guerre, dont l'issue favorable pour notre pays doit en grande partie à l'énergie, au courage et à la probité de Maurras et des siens, le Pays Réel a initié un mouvement extraordinaire de révolte contre le Pays Légal, cette bancocratie cosmopolite que Macron représente avec une morgue typique des golden boys de la City et de Wall Street.

    Indéniablement ce Mai 1968 inversé, où cette fois c'est la périphérie (les provinces) qui donne le LA au centre (Paris), est pour tout défenseur du Pays Réel une divine surprise.

    2018, soit 150 années après la naissance du Maître de Martigues, a été l'année Maurras.  (A suivre)  

    A lire de Rémi Hugues Mai 68 contre lui-même ...
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  • Cinéma • Rémi sans famille

     Par Guilhem de Tarlé 

    A l’affiche : Rémi sans famille, un film français d’Antoine Blossier, avec Daniel Auteuil (Signor Vitalis), Maleaume Paquin (Rémi), Virginie Ledoyen (Mme Harper), Ludivine Sagnier (Barberin), Jacques Perrin (Rémi âgé), adapté du roman d’Hector Malot, Sans famille.

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    Rémi sans famille, un film à voir… en famille.

    Je me rappelais avoir bien aimé le livre lu à mon enfance… mais j’avais complètement oublié l’intrigue et les personnages dont mon épouse égrenait les noms avant d’entrer dans la salle, à commencer par Capi (elle a toujours aimé les chiens) ; le seul qu’elle avait oublié, c’est Joli-Cœur (sans doute, parce que j’ai pris sa place !).

    J’ai donc non pas redécouvert cette histoire, mais plus simplement découvert car elle n’a éveillé en moi aucun souvenir…

    Capture d’écran 2018-06-18 à 16.19.12.pngA vrai dire, elle m’a plutôt déçu par rapport à l’idée que je m’en faisais, et l’émotion que j’en éprouvais. J’ai notamment trouvé Daniel Auteuil médiocre avec sa barbe postiche (ce n’est pas l’avis de mon épouse). 

    Le seul intérêt de cette fiction est dans l’actualité et le respect que l’on doit à Vitalis, ancien violoniste de réputation internationale, qui refuse de se faire reconnaître et se camoufle en saltimbanque tant il se sent coupable de l’incendie de sa maison où périrent sa femme et son fils. J’ai pensé à certain chanteur qui n’a pas eu de tels scrupules avec le noir désir de remonter sur scène après avoir violenté sa compagne jusqu’à la mort… 

    J’émets le vœu que ce film incite les enfants à lire Hector Malot.    

    PS : vous pouvez retrouver ce « commentaire » et plusieurs dizaines d’autres sur mon blog Je ciné mate.

  • Réflexions sur Noël • La crèche familiale ... « Noël est notre bien commun inaliénable »

     
    Noël à Strasbourg

    par Gérard Leclerc 

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    Il n’y a pas de règle absolue en la matière. Pour ma part, j’installe toujours la crèche à quelques heures de la célébration de la Nativité, pour que tout soit prêt pour recevoir le nouveau né, sitôt revenus de la messe dite de minuit.

    C’est un rite familial, auquel je tiens de toute mon âme, avec l’approbation entière de la famille. Je l’ai reçu de mes parents, ainsi que la prière le soir, tous réunis devant cette scène de santons si suggestifs et si familiers, qui associent aux personnages de l’Évangile quelques autres de la tradition provençale. Cette prière, le plus souvent, consiste dans la reprise des nombreux noëls chers à notre mémoire. Et cela se poursuit en se transmettant. Les enfants mariés ont leur propre crèche et les petits enfants sont ravis de communier aux mêmes rites.

    Avec les petits-enfants, il peut y avoir préalablement le moment de la construction de la crèche, avec la découverte de l’identité des santons entourés dans leur papier protecteur depuis l’année précédente. Parfois même, il y a de l’impatience. Papi, quand feras-tu la crèche ? Pourquoi attends-tu Noël ? Il est vrai que dans beaucoup de paroisses on commence à installer la crèche de l’Église, dès le début de l’Avent, ce qui concourt à la pédagogie de l’attente. J’avoue, pour ma part, une certaine résistance à m’associer aux façons mondaines de célébrer les fêtes de fin d’année trop de temps à l’avance. Il s’agit d’être bien centré sur l’événement de la nuit du 24 au 25 décembre. Bien sûr, on sait que cette date a été choisie postérieurement, pour accueillir la nativité. Mais l’essentiel, c’est ce que la liturgie nous donne à contempler et qui se rapporte aux Évangiles de l’enfance : « Elle mit au monde son fils premier né ; elle l’emmaillota et le coucha dans une mangeoire, car il n’y avait pas de place pour eux dans la salle commune. »

    J’ai eu l’occasion d’évoquer à diverses reprises ce qu’il convient d’appeler la querelle contemporaine des crèches, avec la possibilité de leur exposition dans l’espace public. L’espace privé familial n’est pas l’unique possible. La révélation de Noël n’est pas réservée à l’espace privé. Qu’on le veuille ou non, il peuple notre imaginaire commun. Et quand on veut l’en évincer, ce n’est pas sans violence et sans dommage. Noël est notre bien commun inaliénable. ■ 

    Gérard Leclerc
    Chronique diffusée sur Radio Notre-Dame le 20 décembre 2018
  • Réflexions sur Noël • Noël, l'espérance au-delà des désespérances...

    Crèche de Noël en Provence

    Par Jean-Philippe Chauvin 

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    La fête de Noël n’est pas un moment ordinaire et le croyant y trouve aussi des raisons d’espérer quand l’incroyant la vit surtout comme le retour des joies et des plaisirs simples de la table et de la famille, mais c’est toujours, pour l’un comme pour l’autre, la joie de Noël qui s’exprime.

    Les enfants attendent la récompense de leur premier trimestre studieux, chantant parfois le soir autour de la crèche qui, elle, attend son principal personnage, déposé délicatement sur son lit de paille dans la nuit de la Nativité. Tant de souvenirs me remontent à la mémoire, en ce jour particulier qui s’annonce : autour de la grande crèche familiale, nous nous retrouvions le soir, à l’orée du coucher, et nous allumions les petites bougies colorées avant d’entonner quelques chants, invariablement clos par un vibrant et harmonieux « In excelsis Deo ». Ce rituel ne cessait pas lorsque j’étais chez mes grands-parents Lechaptois, mais la crèche était alors toute petite et en plastique, ce qui n’enlevait rien à ma ferveur enfantine et à celle de Mamé. Jours heureux… 

    Aujourd’hui, si je suis plus près de l’hiver que de l’enfance, je n’ai pas perdu mes espérances de Noël, même si les années passées ont effacé tant de visages familiers, les réduisant au souvenir parfois attristé, à cette nostalgie qui m’envahit parfois plus que de raison, celle d’un monde ancien qui était le mien avant que de devenir celui, incertain, des temps contemporains. Les événements récents n’incitent pas forcément à l’optimisme mais doivent susciter, dans le même temps, une espérance « raisonnable » mais aussi, sans être contradictoire, « passionnée ». 

    ob_68b531_xvm1bfc5444-f948-11e8-9082-221fe1d1342.jpgL’agitation automnale du pays, qui s’est couverte de jaune fluo, a étonné, effrayé parfois, suscité tant d’espoirs quand elle exprimait tant de colères, et ses éclats se sont fichés dans le mur des certitudes gouvernementales, au point d’en briller jusqu’aux palais lointains des puissants de ce monde-ci. Les ronds-points, lieux incontournables et pourtant négligés de notre société, ont été les espaces d’où les « personnes des recoins » ont crié leurs désespérances, leurs peurs,  leurs émotions, leurs sentiments, mais aussi leurs résistances à l’air du temps, aux oukases venus « d’en haut », de Paris ou de Bruxelles… Les « perdants de la mondialisation » ont ensuite gagné la rue, et cela s’est vu et entendu, au point de réduire la République à s’enfermer dans le palais de Madame de Pompadour derrière des murailles de fer et d’acier gardées par des troupes nombreuses et casquées… « Quand l’ordre n’est plus dans l’ordre, il est dans la révolution », affirmait Robert Aron (et non son homonyme Raymond), et le samedi 1er décembre a semblé lui donner raison, au moins quelques heures, avant ce « retour à l’ordre » qui, derrière lui, a laissé gravats et ressentiments, mais aussi l’impression d’un nouveau rapport de forces, moins favorable au « Pays légal » et à sa République cinquième… 

    Ces événements, inattendus et largement inédits, ne peuvent laisser indifférent : s’il y a eu cette « grande peur des bien-pensants » qu’évoquait déjà le royaliste Bernanos en son temps et qui a parcouru les élites mondialisées et une part des bourgeoisies urbaines bousculées en leurs centres-villes par des foules de jaune vêtues, il y aussi eu des « moments d’espérance », parfois cachés par des violences (émeutières comme répressives) dont certaines étaient tout aussi inacceptables que le mépris des dominants à l’égard des Gilets jaunes et de leurs revendications, voire de leur être même. La convivialité observée sur les fameux ronds-points, le retour de solidarités anciennes que l’on croyait disparues, la joie de se retrouver comme communauté de destin malgré des situations fort différentes… Tout cela ne peut être négligé, et constitue déjà des milliers de souvenirs et d’histoires particulières qui s’entremêlent et s’embellissent parfois, sources d’une nouvelle mémoire populaire et, pour demain, d’une histoire qui ne sera pas la seule propriété des historiens. 

    1929471531.jpgDe cela, surgit aussi une espérance passionnée, celle d’un changement, d’une rupture avec ce monde, cette mondialisation sans entraves ni racines, cette bétonisation des vies et des imaginaires, et d’une nouvelle prospérité, qui n’est pas forcément celle d’une croissance démesurée ou simplement économique. Est-elle réductible à l’espérance raisonnable, celle d’une amélioration du pouvoir d’achat compatible avec les règles économiques qui régentent notre pays et le monde contemporain ? Non, évidemment non, car « on n’est pas amoureux d’un taux de croissance », comme le clamait un slogan royaliste de la fin des années 1980 évoqué dans la publication d’alors des lycéens d’Action Française, Insurrection, titre provocateur pour une revue aux plumes alors prometteuses que l’on retrouve désormais dans quelques grands journaux d’aujourd’hui… Toute espérance dépasse la simple raison, autant raisonnement que sagesse : elle constitue une sorte d’au-delà des possibilités mais elle motive l’action et la réflexion, pour « rendre possible ce qui est nécessaire (ou ce qui est souhaitable »), et doit éviter l’hubris (la démesure), toujours dangereuse et perturbatrice. Ce sera sans doute l’enjeu des prochains mois, de la prochaine « saison » des Gilets jaunes ou de leurs successeurs. Il s’est levé, en ces temps incertains, une espérance qui, d’inquiète, est devenue vive, active, réactive… Il faut souhaiter qu’elle ne devienne pas cyclone destructeur mais qu’elle soit porteuse du meilleur possible pour notre pays et nos compatriotes, mais aussi pour ceux qui regardent la France avec amour ou simple curiosité. Bien évidemment, rien n’est sûr, mais le pire encore moins si les royalistes et les hommes de bonne volonté savent donner à l’espérance des formes heureuses et vigoureuses tout à la fois. 

    En tournant mes regards vers la crèche de cette veille de Noël, je discerne les visages des santons comme ceux des spectateurs du moment : tous semblent attendre, dans une sorte de patience tranquille… Croyants et incroyants, réunis dans l’espérance. L’espérance universelle de Noël, et particulière d’un Noël pour la France… ■  

    Le blog de Jean-Philippe Chauvin

  • Saint Augustin actuel [7]

    Augustin vu par Philippe de Champaigne, musée d'art du comté de Los Angeles

    Par Rémi Hugues 

    saint_augustin visuel.jpgA l'approche des Fêtes, Rémi Hugues propose une série de sept articles consacrés à l'actualité de la pensée de Saint Augustin, père de l'Eglise. Ils sont publiés chaque jour. Celui-ci est le dernier de la série. Bonne lecture !  LFAR

     

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    Augustin dʼHippone, premier grand philosophe de lʼÉglise  

    Au sujet du déchaînement du princeps hujus mundi, du diable, qui se manifeste par lʼirruption de Gog et Magog et leur affrontement, saint Augustin précise que « plus le choc de la guerre sera terrible, plus il y aura de gloire à ne pas céder, et plus riche sera la couronne du martyre. »[1] 

    Il y a une universalité du concept de Gog et Magog, que lʼon retrouve également dans le judaïsme et lʼislam. 

    Dans le corpus vétérotestamentaire, on retrouve ces figures pleines de mystères notamment dans le livre dʼÉzéchiel. Jean Vacquié signale la chose suivante : « Deux chapitres d’Ézéchiel sont entièrement consacrés à Gog et Magog, les chapitres XXXVIII et XXXIX. Dieu parle à Gog et lui dit : ʽʽEn ce jour-là, des pensées s’élèveront dans ton cœur, et tu concevras un mauvais dessein. Tu diras : Je monterai contre un pays ouvert ; je viendrai vers ces gens tranquilles qui habitent en sécurité, qui ont des demeures sans murailles, qui n’ont ni verrous ni portesʼʼ (Ézech. XXXVIII, 10-11). Telle est l’activité de Gog, couverte et dissimulée, qui s’empare sournoisement des demeures sans serrures. Magog est, à l’origine, le nom de l’un des sept fils de Japhet. Le prophète Ézéchiel l’emploie dans un autre sens. Il en fait le pays qui sert de refuge à Gog et d’où il s’élance à la tête de ses peuples. Dans sa marche conquérante, Gog le rusé, prend comme point de départ Magog, le pays de la violence. Les chapitres XXXVIII et XXXIX d’Ézéchiel sont à lire attentivement ; ils fournissent une vue prophétique sur les grandes guerres mondiales modernes. »[2] 

    Enfin, deux sourates du Coran mentionnent Gog et Magog, Yâjuj wa Mâjuj en arabe. La sourate XVIII appelée « La Caverne » et la sourate XXI qui a pour titre « Les Prophètes ». Les figures de Gog et Magog sont décrites comme des forces destructrices qui sont alliées avec le diable contre lʼhumanité et son Créateur. 

    ob_afa2ab_califat-w.jpgDans cette troisième guerre mondiale qui oppose des structures réticulaires transnationales désirant la domination planétaire – soit une ploutocratie protestante protégée par sa citadelle insulaire se prenant pour le gendarme du monde, qui soutient une théocratie juive qui entend déployer ses frontières du Nil jusquʼà lʼEuphrate, et qui combat après lʼavoir suscitée une théocratie musulmane qui projette de reconstituer un califat sʼétendant cette fois du Maroc à lʼIndonésie – les nationalistes français nʼont pas à prendre parti. En optant pour la neutralité ils échappent au piège tendu par le princeps hujus mundi. 

    Nous nʼavons pas à choisir entre Gog et Magog, entre le terrorisme dʼÉtat et lʼÉtat terroriste. Nous nʼavons pas à nous engager dans ce que lʼon nous présente comme une guerre entre le Bien et le Mal.      

    Ce nʼest pas la science qui nous enseigne cela, mais la culture. Voilà pourquoi la seconde est supérieure à la première. La science est sans conscience, elle nʼa que la détermination du vrai, par le truchement dʼabstraites formules mathématiques, comme objet. Elle est recherche de la vérité pour la vérité, sans lien avec un but supérieur. Elle sépare lʼhomme de toute transcendance, qui à cause dʼelle voit son univers être désenchanté. 

    Alors que la culture contient une visée morale. Elle est connaissance au service de principes moraux. Dans Essais sur la théorie de la science Max Weber a souligné quʼil y a dans le notion de culture une dimension éthique, un rapport avec les valeurs : « La signification de la structure dʼun phénomène et le fondement de cette signification ne se laissent tirer dʼaucun système de lois, si parfait soit-il, pas plus quʼils nʼy trouvent leur justification ou leur intelligibilité, car ils présupposent le rapport des phénomènes culturels à des idées de valeur. La réalité empirique est culture à nos yeux parce que et tant que nous la rapportons à des idées de valeur ; elle embrasse les éléments de la réalité et exclusivement cette sorte dʼéléments qui acquièrent une signification pour nous par ce rapport aux valeurs.[3] » 

    St._Gregory_of_Nyssa.jpgCommentant le verset 23 du chapitre VII de lʼÉvangile de Matthieu, Grégoire de Nysse (ci-contre) fait remarquer que la science est le « pur savoir » tandis que la connaissance est une « disposition intérieure vis-à-vis de ce qui nous est agréable. »[4] Elle est la condition du progrès moral de lʼhomme, de son bien-être, de son bonheur.  

    Mais une culture qui nʼest pas transmise est une culture en voie de disparition. Il faut conserver et diffuser ce que nous a amené saint Augustin. Car cʼest le moyen le plus précieux pouvant nous aider à emprunter la voie qui mène au salut. La lecture des textes écrits il y a des siècles par l’évêque dʼHippone reste indispensable. Elle est un viatique : elle nous permet de faire les bons choix. 

    Ne méprisons pas la pensée de ce père de lʼÉglise : elle est pleine de sagesse, et en aucun cas dépassée ou datée. Il y a bien une actualité de saint Augustin, mais la revue LʼHistoire a échoué à en restituer tout son sens. Ses rédacteurs nʼont pas intériorisé lʼaxiome central de lʼaugustinisme, qui est au fondement de la distinction entre les deux Cités : deux amours ont fait deux cités : lʼamour de soi jusquʼau mépris de Dieu, la cité terrestre, lʼamour de Dieu jusquʼau mépris de soi, la cité céleste. Les historiens stipendiés du magazine LʼHistoire préfèrent ainsi relayer la mémoire des vainqueurs, guidés par leur amour-propre. 

    À la recherche de lʼexactitude des faits, qui peut amener à nier ce qui paraît le plus évident – et même à nier ce que depuis 1990 la Loi ordonne de croire – ils préfèrent leur confort personnel (entendu plus comme intellectuel que matériel au demeurant) et les égards du monde. (FIN) 

    [1]  Saint Augustin, op. cit., p. 920.
    [2]  https://bibliothequedecombat.wordpress.com/2013/03/08/gog-et-magog-les-deux-visages-de-la-bete/
    [3]  Cité par Freddy Raphaël, Judaïsme et capitalisme, Paris, P.U.F., 1982, p. 8.
    [4]  Grégoire de Nysse, op. cit., p. 176.
    A lire de Rémi Hugues Mai 68 contre lui-même ...
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  • Saint Augustin actuel [6]

    Augustin d'Hippone 

    Par Rémi Hugues 

    saint_augustin visuel.jpgA l'approche des Fêtes, Rémi Hugues propose une série de sept articles consacrés à l'actualité de la pensée de Saint Augustin, père de l'Eglise. Ils sont publiés chaque jour. Bonne lecture !  LFAR

     

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    Augustin dʼHippone, premier grand philosophe de lʼÉglise  

    Daesh_400_267.jpgLʼessor du takfirisme est lié avec lʼirruption de la guerre de Gog et Magog, qui a démarré, comme le signala le président George W. Bush à son homologue Jacques Chirac, le 11 septembre 2001. « Les prophéties bibliques sont sur le point de s’accomplir, Gog et Magog sont à l’œuvre au Proche-Orient. Les attentats du 11 septembre, ajoute-t-il, en sont la preuve : une armée islamiste fondamentaliste mondiale menace le monde occidental qui soutient Israël[1]. » 

    WTC-explosion_SDASM.jpgLes armées dʼal-Qaïda et de Daech sont multi-ethniques, multi-nationales, mondiales. Augustin dit que Gog et Magog sont des peuples qui « sont sur la terre entière », en sʼappuyant sur le passage cité plus haut de lʼApocalypse où il est écrit que Gog et Magog sont des nations qui sont aux quatre angles de la terre. 

    « Quant aux peuples qu’il appelle Gog et Magog, il ne faut pas les entendre comme d’éventuels barbares établis en un lieu quelconque de la terre, qu’il s’agisse des Gètes et des Massagètes, comme le pensent quelques-uns en raison des initiales du leurs noms, ou d’autres peuples étrangers échappant à la juridiction de Rome. 

    Il nous est bien indiqué, en effet, que ces peuples sont sur la terre entière quand il nous est dit ʽʽles nations qui sont aux quatre angles de la terreʼʼ, et il ajoute que ces nations sont Gog et Magog. »[2] 

    En outre, Augustin dʼHippone sʼefforce dʼanalyser ces termes mystérieux de Gog et Magog à partir de leur signification étymologique : « Voici l’interprétation que nous avons trouvée pour ces noms : Gog, « toit », et Magog, « du toit », c’est-à-dire la maison et celui qui en sort. »[3] 

    Gog est lʼempire qui a expulsé de lui-même un royaume afin quʼil lui fasse la guerre, Magog. Autrement dit, Magog est engendré par Gog : lʼOccident a fait naître le takfirisme, comme en atteste la déclaration de Roland Dumas faite en juin 2013 sur La Chaîne parlementaire (L.C.P.) : dès 2011 « il se préparait quelque chose en Syrie », « lʼAngleterre préparait lʼinvasion des rebelles en Syrie ». « Cette opération vient de très loin, elle a été préparée, conçue, organisée… dans le but très simple de destituer le gouvernement syrien parce que dans la région il est important de savoir que ce régime syrien a des propos anti-israéliens. Moi jʼai la confidence dʼun ancien Premier ministre israélien qui mʼavait dit ʽʽon essaiera de sʼentendre avec les États autour et ceux avec qui on ne sʼentendra pas on les abattraʼʼ[4]. » 

    800px-Mossad_seal.jpgDans un livre paru avant le Printemps arabe, lʼessayiste Gordon Thomas, spécialiste des services secrets, en plus dʼindiquer quʼIsraël, via le Mossad, est « très actif » en Irak, Syrie, en Iran et en Afghanistan, révèle que les milices qui ont lancé lʼoffensive en 2012 contre Bachar al-Assad avaient pour soutien lʼÉtat hébreu. LʼArmée syrienne libre (A.S.L.), sorte de couverture destinée à lʼorigine à masquer lʼaide apportée à Daech, est appuyée par lʼE.R.D. (le département des relations extérieures) du ministère israélien de la Défense, « lʼun des services les plus puissants et les plus mystérieux de lʼespionnage juif. »[5]      

    Gordon Thomas affirme en effet que la branche la plus importante de lʼE.R.D., le S.I.M., était « chargé de fournir une ʽʽassistance spécialeʼʼ à un nombre toujours croissant de ʽʽmouvements de libérationʼʼ en Iran, en Irak et, dans une moindre mesure, en Syrie et en Arabie Saoudite. »[6] 

    3257669232_1_19_CMDc7Ynz.jpgDe même, quand le Hezbollah intervient dans le sud de la Syrie pour contrer lʼavancée des troupes takfiries, ces dernières voient leur allié israélien les soutenir en lançant une attaque, généralement par voie aérienne, contre les militaires du parti islamistes chiite libanais. Le premier ministre Benjamin Nethanyahou nʼavait-il pas prévenu la France que si elle embrassait la cause palestinienne elle serait châtiée par le terrorisme islamiste ? 

    Le mondialisme est tel le dieu des Étrusques Janus. Il est bicéphale. Première face : Gog, lʼatlantisme qui aspire à lʼhégémonie en semant partout le chaos. Deuxième face : Magog, qui rassemble ceux qui sont les victimes de ce chaos, et qui répliquent à cette violence par la violence.   La maison et ce qui en sort. Il nʼy a pas de formule plus exacte que celle-là pour décrire la relation qui existe entre lʼO.T.A.N et Daech. Et cette formule nous la devons à saint Augustin. 

    Sans la sagesse de lʼévèque dʼHippone il serait beaucoup plus ardu dʼoser exprimer une thèse si subversive, à lʼimage du message de paix si subversif délivré par Jésus-Christ à lʼhumanité.  (A suivre)   

    [1]  Éric Mandonnet, « Chirac, Bush et lʼapocalypse », LʼExpress, 26 février 2009.
    [2]  Saint Augustin, op. cit., p. 918.
    [3]  Idem.
    [4]  https://www.youtube.com/watch?v=VIXdL1ZZmJg
    [5]  Gordon Thomas, Histoire secrète du Mossad de 1951 à nos jours, Paris, Nouveau Monde, 2006, p. 197.
    [6]  Idem. 
    A lire de Rémi Hugues Mai 68 contre lui-même ...
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