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Idées, débats... - Page 406

  • Patrimoine cinématographique • Au bon beurre

     

    Par Pierre Builly

    Au bon beurre d'Edouard Molinaro (1981)

    20525593_1529036520490493_4184281983923317414_n.jpgPas de quoi rire ... 

    Au bon beurre est l'exemple même de ce qu'était et de ce que pourrait être une télévision de qualité : le choix d'un réalisateur solide, Édouard Molinaro, sans doute dépourvu de grand talent, mais capable d'adaptations de bon niveau ; des acteurs de premier plan, Roger Hanin et Andréa Ferréol et une kyrielle de seconds rôles capables de donner de l'épaisseur à un film : Paul Guers, Dora Doll, Claude Brosset, Monique Mélinand et beaucoup d'autres ; un roman idéalement découpé pour retenir constamment l'attention ; une période historique certes continuellement explorée et commentée mais considérée là principalement sous l'angle original du marché noir et de la crapulerie dénonciatrice ; une conclusion amère et juste, le triomphe immoral des Jean-Dutourd.jpgprofiteurs ; une adaptation très fidèle de l'œuvre d'un excellent romancier, Jean Dutourd, qui connaît aujourd'hui son purgatoire littéraire, dont je serais toutefois bien étonné qu'il ne ressorte pas dans quelques années ou décennies, tant sa verve narquoise et son œil ironique sont délicieux. 

    En tout cas son style d'écriture et son sens de la dérision se sont particulièrement bien prêtés à la transcription télévisée. Et on peut d'ailleurs beaucoup regretter que sa veine n'ait guère été explorée ni exploitée par le cinéma ou la télévision ; il est vrai que fervent gaulliste et fervent monarchiste, il n'entrait pas dans les lucarnes étroites du politiquement correct. (Au fait, il fait une toute petite apparition muette, en acheteur ironique à béret basque dans le téléfilm). 

    Molinaro a disposé de beaux moyens matériels pour adapter le roman et surtout d'un minimum de temps : un peu plus de 3 heures, en deux épisodes diffusés en deux jours consécutifs lors de la première diffusion, ce qui permet de donner un récit à peu près intact et d'en respecter le rythme ; autant qu'il m'en souvienne, il n'a pas eu à faire l'impasse sur des épisodes importants, ce qui permet de conserver une agréable cohérence. Il a eu surtout le mérite de respecter l'acidité du récit de Dutourd, ce qui ne serait peut-être pas possible dans notre vertueux aujourd'hui. 

    au-bon-beurre (1).jpgJe m'explique : le roman a été publié en septembre 1952, c'est-à-dire à un moment très proche du déroulement des événements relatés, un moment où toutes les manigances, les vacheries, les veuleries, les médiocrités racontées étaient encore bien présentes à la mémoire des lecteurs ; je sais bien que celle-ci a tendance à oublier les petites crapoteries qu'on a commises et à valoriser ses minuscules courageuses réactions pour en faire des actes de résistance, mais enfin on ne peut tout de même pas raconter n'importe quoi, ni faire mine d'oublier qu'on a acclamé le maréchal Pétain en avril 44 avant d'aller applaudir le général de Gaulle au mois d'août et cela avec le même enthousiasme. 

    e183a2de-php5lwpqo.jpgD'où l'efficacité du téléfilm qui montre avec un sourire triste mais détaché la réalité des années noires : tout simplement la nécessité de trouver à bouffer chaque jour, de ruser avec les tickets d'alimentation, de se faire quelquefois plaisir en achetant dix fois son prix une douzaine d'œufs ou une livre de beurre. Tristes vicissitudes de nos ventres ! 

    Hanin joue plutôt sobrement et Andréa Férréol est gluante et ignoble à souhait ; abjects ? oui, évidemment, mais comment ne pas noter non plus leur complicité amoureuse et leur ardeur au travail ? Comment ne pas voir qu'à de rares exceptions près, ils sont entourés de bonnes gens qui, s'ils étaient crémiers à leur place agiraient à peu près pareillement ? 

    Et puis j'aime toujours revoir le beau visage triste et déjà suicidaire de Christine Pascal, la petite bonne exploitée.   

    au-bon-beurre.jpg

    DVD 10 €...............

    Retrouvez l'ensemble des chroniques hebdomadaires de Pierre Builly sur notre patrimoine cinématographique, publiées en principe le dimanche, dans notre catégorie Culture et Civilisation.
  • Patrimoine • Versailles ou le Soleil à la fête [I]

    Illuminations du palais et des jardins de Versailles, estampe, 1679, par Jean Le Pautre (1618-1682), Versailles, châteaux de Versailles et de Trianon © EPV/ Jean-Marc Manaï 

     
    « Cette société de plaisirs, qui donne aux personnes de la cour une honnête familiarité avec le Souverain les touche et les charme plus qu’on ne peut dire. »
    Louis XIV, Mémoires pour l’instruction du Dauphin, 1661. 

    Le 23 février 1653, au théâtre du Petit-Bourbon à Paris, le Ballet royal de la nuit voit asseoir le pouvoir naissant de Louis XIV, dont le royaume est encore sous le contrôle de Mazarin et de la Reine-Mère. Toute la noblesse, soit près de trois mille personnes, s’assemble dans ce théâtre accolé au Louvre. Ce divertissement fait participer les anciens frondeurs, réunis autour du Soleil levant, le jeune Louis XIV, qui entend imposer un ordre du goût nouveau. Ce ballet fonde le mythe apollinien du Roi-Soleil, et bien que joué une seule et unique fois en cette circonstance, il a un impact particulièrement important. À cette occasion, le roi Louis XIV, âgé de quinze ans, joue le rôle du dieu Apollon, travesti en soleil autour duquel gravitent des seigneurs représentant les planètes. À travers cette mise en scène, le roi pose le premier jalon de l’affirmation de son pouvoir et fait partager à l’ensemble de la cour son goût pour la fête et les divertissements. Goût qui rythmera l’ensemble de son règne, entre art du gouvernement et gouvernement des arts.

    Les divertissements prennent ainsi plusieurs formes : les spectacles publics comme le comédies, opéras, concerts, feux et illuminations, et les rassemblements plus privés quand les courtisans deviennent eux-mêmes acteurs : les jeux d’argent, la chasse, les bals, les mascarades. Il s’agit d’étonner du plus grand pour qu’en parle le plus petit, le royaume pour qu’en parle toute l’Europe.

    Versailles au rythme des grands divertissements

    Le Grand Divertissement royal de 1668 célèbre la victoire de Louis XIV sur l’Espagne, la paix d’Aix-la-Chapelle et le rattachement de plusieurs places flamandes – Douai, Lille, Dunkerque – à la France. À cette occasion, le Grand Divertissement royal se pose en summum de la fête baroque par la richesse de ses décors, costumes et la complexité de ses mises en scène. Du Soleil levant, Louis XIV entend, à travers son goût, se poser en Soleil triomphant de l’Europe. Deuxième fête du souverain à Versailles, la somme extravagante de 117 000 livres est dépensée, soit un tiers de ce qu’il consacre à Versailles durant toute l’année. Ce divertissement marque le goût prononcé du roi pour l’idée-même de la fête : sans thème particulier, elle est un déluge de faste et de surprises. 

    André Félibien, dans sa Relation de la Feste de Versailles, nous en donne chaque étape. Elle est organisée le 18 juillet sur une seule soirée et s’ouvre par l’arrivée du roi, de la reine et du Dauphin, venant de Saint-Germain, recevant dans les salles du château aménagées pour l’occasion et pourvues de quoi se rafraichir. Vers six heures du soir, après que la cour est passée par le grand parterre, commence la visite de la dernière réalisation du roi : le bassin du Dragon. Disposés près de la pompe, les participants peuvent contempler ce dragon de bronze, percé d’une flèche et semblant vomir le sang par la gueule, poussant en l’air un bouillon d’eau retombant en pluie et couvrant tout le bassin. Autour du dragon, quatre Amours sur des cygnes forment chacun un grand jet d’eau. Entre ces amours, des Dauphins de bronze agrémentent le déluge.

    La promenade se perd ensuite dans les bosquets frais, gardant de la chaleur du soleil. Celui dans lequel se tient cette collation est arrangé de palissades, arcades de verdure et pilastres laissant découvrir des satyres, hommes et femmes, se mouvant dans des melons surprenamment massifs pour la saison. Un cabinet de verdure pentagone dispose d’une fontaine bordée de gazon, autour de laquelle sont dressés des buffets garnis. L’un d’eux représente une montagne cachant des cavernes dans lesquelles on trouve plusieurs viandes froides. Un autre est déguisé en palais bâti de massepain et de pâte sucrée, un de plus est chargé de pyramides de confitures, et encore un de vases contenant force liqueurs. Le dernier est composé de caramels. Entre les mets se déploient des festons de fleurs soutenus par des Bacchantes, et sur une avancée de mousse verte prenant place dans le bassin, se trouvent un oranger et d’autres arbres de différentes espèces, chacun garni de fruits confits. Le jet de la fontaine, lui, atteint trente pieds de haut et sa chute occasionne un bruit très agréable. La disposition générale semble alors reconstituer un petit monde en forme de montagne duquel jaillit l’eau.

    Après la collation, le roi entre dans une calèche et la reine dans sa chaise et se rendent à la Comédie suivis des carrosses de la cour. Le parcours se fait à travers des allées bordées de rangs de tilleuls, autour du bassin de la fontaine des cygnes terminant l’allée royale vis-à-vis du château. Vigarani a disposé son théâtre au carrefour de ce qui est aujourd’hui le bassin de Saturne. Il est somptueusement orné de colonnes torses de bronze et de lapis environnées de branches et de feuilles de vigne d’or. Entre chacune d’elles sont disposées des figures de Paix, de Justice, de Victoire, etc., montrant que le roi est toujours capable d’assurer le bonheur de ses peuples. Monsieur de Launay est chargé de distribuer le programme de la comédie agrémentée d’un ballet – de Lully – qui doit être jouée. Il s’agit de Georges Dandin de Molière. Trente-deux lustres de cristal luisent alors de concert dans ce théâtre en trompe-l’œil féérique, tendu de tapisseries et couvert d’une toile fleurdelisée à fond bleu.

    Le festin est organisé à l’endroit du futur bassin de Flore, dans un bâtiment octogonal en treillage, haut de cinquante pieds et surmonté d’un dôme. Une table y est dressée et accueille un grand buffet orné d’une fontaine et d’une vaisselle en argent composée de vingt-quatre bassins, séparés par des vases, cassolettes et girandoles. La place du roi est identifiable à sa nef, réalisée par Gravet, probablement avant 1670, d’après un dessin de Le Brun. La table est de forme octogonale, accueille soixante-quatre couverts, et voit son centre orné d’un immense rocher sur lequel trône une fontaine à l’effigie de Pégase le cheval ailé, lequel déverse son eau sur des coquillages exotiques et plusieurs divinités. Le bal est organisé au carrefour de l’actuel bassin de Cérès. On y accède par un tunnel de verdure et la salle est fermée par une grotte de rocailles semblant couverte de marbre et de porphyre réalisée par Le Vau, au fond de laquelle on peut voir deux tritons argentés formant un bouillon d’eau.

    Enfin, la fête se termine par deux feux d’artifice dont tout le monde savait l’existence mais dont personne, de jour, n’avait pu entrevoir la disposition dans les jardins. Mille flammes s’élevèrent ensemble, sortant des parterres, des bassins, des fontaines, des canaux… Les premières depuis le bas de la grande perspective, où l’on aperçoit le château éclairé de l’intérieur. Les secondes, au-dessus de la pompe de Clagny. Se termine ainsi la fête qui eût un retentissement par le biais de nombreux commentateurs tels que ceux de l’abbé de Montigny ou de Mademoiselle de Scudéry, et jusqu’en Espagne : Pedro de la Rosa, dans une lettre destinée à la reine Marie-Thérèse, dresse le portrait à la manière de Félibien de cette fête fastueuse.

    Déployer le pouvoir du monarque

    Les premières heures de Versailles sont marquées par des divertissements se tenant sur des scènes éphémères, au détour des nombreuses allées, bassins et pavillons garnissant les jardins. Les fêtes se déroulent sur plusieurs jours, dans différents lieux montrant la virtuosité du souverain, capable à la fois de dresser de grands théâtres de verdure dans des marais envahis de moustiques et de faire voguer ses galères sur d’immenses canaux prévus à cet effet. Il s’agit pour le roi de montrer son château à la cour qui s’y est nouvellement installée et de l’impressionner.

    Les Fêtes de l’été de 1674 sont données à Versailles au prétexte de la reconquête de la Franche-Comté. Elles se déroulent sur six jours qui ne se suivent pas. Le 4 juillet, on prend une collation dans le bosquet des Marais, embelli d’orangers caisse pour l’occasion et de guirlandes de fleurs. À 8h, on représente Alceste de Quinault, qui compose le livret, et de Lully pour la musique, se posant pour l’évènement en véritable maître des fêtes de la cour de Versailles. La représentation a lieu dans la Cour de Marbre, et donne lieu à un dispositif plutôt humble : un plancher de bois surélevant la scène, mais sans aucun décor ni machine à l’exception d’une fontaine habillée de fleurs trônant au centre. La journée se termine avec le souper donné dans les Grands appartements nouvellement aménagés.

    Le 11 juillet, on joue l’Églogue de Versailles composé en 1668, fruit de la première rencontre entre Philippe Quinault et Jean-Baptiste Lully. L’œuvre prend déjà la forme d’un petit opéra pourvu d’une ouverture à la française et mettant en scène les bergers Silvandre et Coridon parlant ouvertement du retour de « Louis », fait peu courant puisque la plupart du temps le souverain endosse le costume d’une métaphore livrée à l’interprétation du public. La journée se poursuit par une promenade dans les jardins de Trianon puis du retour à Versailles vers neuf heures du soir pour le souper. Le repas pris est somptueux, dans la salle du Conseil aménagée à la manière d’un bosquet prenant la forme d’une île entourée de jets d’eau, entourée par soixante-treize girandoles de cristal et surplombée par cent cinquante lustres.

    Le 19 juillet, on prend la collation dans le jardin de la Ménagerie, suivie de la représentation du Malade imaginaire de Molière et Marc-Antoine Charpentier devant la grotte de Thétis servant de décor, avant de clore la journée sur des gondoles que l’on fait voguer en musique sur le Grand canal. Plus somptueux encore : au 28 juillet, le début de la journée est encore une fois rythmé par la collation prise dans le théâtre d’Eau. Les plats sont disposés sur les gradins de gazon encadrant le bosquet. L’ornementation est un hymne à la nature, et voit se déployer de nombreux arbres fruitiers parmi lesquels pêchers, abricotiers, pommiers, orangers, décorés de guirlandes de fleurs et abritant des pyramides de fruits, glaces, corbeilles de pâtes de fruits et de confitures. On joue ensuite les Fêtes de l’Amour et de Bacchus sur une scène aménagée près des machines alimentant les fontaines en eau, proches du Bassin du Dragon. Vigarani collabore avec Lully et conçoit le théâtre formé de deux pilastres soutenant les statues en bronze doré de la Justice et de la Félicité. On interprète le livret de 1672, rassemblant les plus beaux extraits des ballets et comédies-ballets de Lully. Le dernier acte voit la scène se transformer complètement en laissant apparaître le chœur de l’Amour et ses bergers prenant place sur des portiques de verdure. Le chœur final est chanté par cent-cinquante satyres de Bacchus. On tire le feu d’artifice depuis le Grand Canal, conçu par Lebrun et Vigarani, entre le Parterre d’Eau et le Bassin de Latone. On sert enfin le souper au son des hautbois et des violons dans la Cour de Marbre sur une table octogonale disposée autour de la fontaine, garnie de fleurs de lys dorées, symboles du pouvoir royal. (à suivre)   

    La prochaine partie de cet abrégé s’attardera sur la diversité des jeux et des lieux dans lesquels prennent place ces divertissements rythmant la pratique du pouvoir.

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    Fête donnée par Louis XIV pour célébrer la reconquête de la Franche-Comté, à Versailles, en 1674. Cinquième journée. Feu d’artifice sur le canal de Versailles, par Jean Le Pautre (1618-1682). Tiré de l’ouvrage en 1 volume avec les fêtes « Les plaisirs de l’Isle enchantée », Ex-libris Grosseuvre. © Paris, musée du Louvre/RMN-GP/Thierry Le Mage

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    Le Rouge et le Noir

  • Cinéma • Un homme pressé

     

    Par Guilhem de Tarlé 

    A l’affiche : Un homme pressé, un film d’ Hervé Mimran, avec Fabrice Luchini, Leïla Bekhti et Rebecca Marder, inspiré du livre J'étais un homme pressé : AVC, un grand patron témoigne de Christian Streiff, ex PDG d'Airbus et de PSA Peugeot Citroën.


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    Un homme pressé, nous avons pris du temps pour aller voir cette tragi-comédie, à l’affiche maintenant depuis près de deux mois, qui vaut néanmoins le déplacement pour autant que l’on accepte de rire d’un drame…

    Le drame c’est l’histoire d’un homme, un bourreau de travail – « je ne me reposerai que quand je serai mort » - victime d’un AVC.

    Gaumont-Distribution-2-854x480.jpgLe comique, c’est qu’il n’en continue pas moins à vouloir vivre comme avant, sans entendre, quand il parle, qu’il emploie un mot pour un autre ou qu’il les déforme.

    Ainsi, par exemple, un « médecin » devient un «  pèlerin », son « orthophoniste » est une « psychopathe », et à une jeune fille qui veut parler avec lui, il répond « je vous épouse » au lieu de « Je vous écoute »… 

    I4413565.jpg-r_1280_720-f_jpg-q_x-xxyxx.jpgmaginez ce lapsus dans la bouche de Macron, Edouard Philippe et leurs ministres quand ils s’adressent aux Gilets jaunes…  Ce serait un vrai « mariage pour tous » !    

    PS : vous pouvez retrouver ce « commentaire » et plusieurs dizaines d’autres sur mon blog Je ciné mate.

  • D'accord avec Arnaud Guyot-Jeannin : Soljenitsyne n’était pas un conservateur libéral, mais un antimoderne radical !

    Discours du samedi 25 septembre 1993, aux Lucs-sur-Boulogne en Vendée 

     

    Par Arnaud Guyot-Jeannin

    blue-wallpaper-continuing-background-wallpapers-bigest-images - Copie.jpgIl nous a semblé indispensable de reprendre cette utile mise au point de notre excellent confrère Arnaud Guyot-Jeannin [Boulevard Voltaire, 20.11] à propos de la pensée vraie d'Alexandre Soljenitsyne, que Chantal Delsol a malheureusement annexée au courant libéral actuel dans un récent article du Figaro. Nous partageons l'analyse de notre confrère qui considère cette interprétation manifestement contraire à la vérité. Aux textes qu'il cite très opportunément, il aurait du reste pu ajouter le discours de Soljenitsyne aux Lucs-sur-Boulogne en commémoration du martyre de la Vendée et condamnation de la Révolution. (cf lien ci-dessous).  LFAR

     

    129769268.9.jpgÀ l’occasion d’un colloque international à l’Institut et à la Sorbonne – se déroulant du lundi 19 au mercredi 21 novembre à Paris – consacré à Alexandre Soljenitsyne, l’une des organisatrices, Chantal Delsol, déclare dans les colonnes du Figaro : « Soljenitsyne n’est pas réactionnaire, c’est un conservateur libéral. » 

    Pardon ? Que lis-je ? Si, si, j’ai bien lu. Mais rien n’est plus faux ! La philosophe ne récupère-t-elle pas l’auteur de L’Archipel du goulag dans sa perspective ordo-libérale ? Une perspective hybride et oxymorique qui ne date pas d’aujourd’hui… Certes, Soljenitsyne n’est pas « à rattacher à la lignée des slavophiles russes, contempteurs de l’Occident décadent ». Certes, il n’était pas un « défenseur de l’autocratie ». Certes, « il admirait les systèmes décentralisés ». Et alors ? En quoi cela en fait-il un « conservateur libéral » ? Il fut certainement un conservateur, au sens de « traditionaliste ». Mais il n’était en aucun cas « libéral ».

    En 1978, Soljenitsyne émet son fameux Discours de Harvard. Ayant pourfendu le totalitarisme communiste, il fustige également le totalitarisme marchand-spectaculaire : « Après avoir souffert pendant des décennies de violence et d’oppression, l’âme humaine aspire à des choses plus élevées, plus brûlantes, plus pures que celles offertes aujourd’hui par les habitudes d’une société massifiée, forgées par l’invasion révoltante de publicités commerciales, par l’abrutissement télévisuel, et par une musique intolérable. » Un discours antimoderne radical. Assez peu « libéral » aussi…

    Soljenitsyne rejette la sous-culture occidentale américanomorphe. Il étrille le relativisme indifférencié et l’hédonisme consumériste provenant de l’Ouest. Il a une perception unitaire du libéralisme : libéralisme religieux, philosophique, culturel et économique. Il inscrit ainsi généalogiquement le libéralisme dans la dynamique révolutionnaire des philosophes des Lumières. Le 13 décembre 2000, il prononce un discours à l’ambassade de France à Moscou où communisme et libéralisme sont associés dans une même réprobation : « À cette époque, je m’en souviens, les bolcheviks annonçaient littéralement : “Nous, les communistes, sommes les seuls vrais humanistes !”. Non, ces éminentes intelligences n’étaient pas si aveugles, mais elles se pâmaient en entendant résonner les idées communistes, car elles sentaient, elles avaient conscience de leur parenté génétique avec elles. C’est du siècle des Lumières que partent les racines communes du libéralisme, du socialisme et du communisme. C’est pourquoi, dans tous les pays, les socialistes n’ont montré aucune fermeté face aux communistes : à juste titre, ils voyaient en eux des frères idéologiques ou si ce n’est des cousins germains, du moins au second degré. Pour ces mêmes raisons, les libéraux se sont toujours montrés pusillanimes face au communisme : leurs racines idéologiques séculières étaient communes. »

    Anticommuniste et antilibéral, Alexandre Soljenitsyne préconisait une société enracinée et communautaire où les corps intermédiaires reprendraient leur droit (familles, communes, provinces, corporations professionnelles). Il soutenait une démocratie des petits espaces héritée du principe de subsidiarité. Réactionnaire vomissant la (post)modernité, il était à la fois réactionnaire et visionnaire. Il s’appuyait sur le passé pour entrevoir le présent et l’avenir. Il y est parvenu.  

    Arnaud Guyot-Jeannin 
    Journaliste et essayiste
    Lire sur Lafautearousseau ...
    Grands textes [I] • Discours intégral d'Alexandre Soljenitsyne en Vendée
  • Sylvain Tesson, un écrivain libre qui parle de la Syrie

     

    Par Antoine de Lacoste 

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    Incroyable ! Le Figaro a décidé de diversifier ses sources et ses analyses sur la guerre en Syrie. Confiné depuis 7 ans dans le politiquement correct, à quelques exceptions près, notre quotidien bien-pensant donne la parole à Sylvain Tesson.

    Cet écrivain-voyageur hors norme a roulé sa bosse en Sibérie, sur les traces des évadés du Goulag, le long de la Berezina, à la recherche de la Grande Armée, au bord du Lac Baïkal, dans le silence et la solitude. Et même en France « Sur les chemins noirs » de la ruralité, condamnée par la mondialisation.

    Et notre écrivain-voyageur, une fois de plus, ne nous déçoit pas.

    site_1229_0032-1200-630-20151104161908.jpgIl a arpenté la Syrie où il a vu Damas, Palmyre, Alep, Homs. Il s’est arrêté à Maaloula, le village chrétien martyr. Il a bivouaqué au Crac des Chevaliers, le plus beau château des croisades (photo). C’est l’occasion de rétablir la vérité. Alors que les médias occidentaux nous serinaient que « les rebelles » (appellation commode pour éviter de les appeler islamistes) avaient conquis le Crac, il interroge le conservateur, Hazem Hanna : « Huit-cents terroristes occupaient le Crac. Des Tunisiens, des Tchétchènes, des Algériens, arrivés par le Liban. C’était une plate-forme d’accès vers Homs, comme au temps des croisades ! Ils furent tués au corps à corps. »

    Evidemment, quand on écoute les Syriens eux-mêmes et non l’Observatoire syrien des droits de l’homme (OSDH), c’est autre chose.

    2297913162.jpgA Palmyre, il a contemplé les destructions des terroristes de l’Etat Islamique, rappelant opportunément qu’ils n’ont fait qu’appliquer le « 59è verset de la 18è sourate. » Les Russes reconquirent « la perle du désert », donnèrent un concert symbolique dans le théâtre antique et Sylvain Tesson observe que « les puissances occidentales ne pouvaient se contenter d’applaudir Vladimir Poutine et son orchestre. L’OTAN se trouva contrainte de s’engager davantage dans la lutte contre l’Etat Islamique. »

    Il aurait pu ajouter que c’était aussi l’occasion pour les Américains d’occuper illégalement un tiers de la Syrie, mais ne soyons pas trop gourmands.

    Surtout, Sylvain Tesson nous livre le précieux témoignage de l’archevêque gréco-melkite d’Alep, Monseigneur Jeanbart : « J’ai six chantiers [de reconstruction] en cours. Le monastère de Saint Basile est déjà relevé. Je veux aller vite. Pour l’exemple. Les exilés font une erreur pour eux-mêmes de rester en Europe. L’exil n’est une solution pour personne. »

    Comme l’observe finement Tesson, comment lui expliquer que l’Occident aujourd’hui a institué « une mystique du déplacement » : « Elle est davantage célébrée que l’éthique de la résistance ou l’esthétique ulyssienne du retour…Jacques Julliard disait que l’immigré était devenu le prolétaire de substitution pour une classe politique qui ne s’intéresse plus aux petites gens. »

    Le vent a tourné. N’en déplaise à Laurent Fabius, le Front al-Nosra n’a pas fait « du bon boulot » et sera vaincu. N’en déplaise à Donald Trump, « l’animal » Bachar est toujours en place.

    Et contrairement à la doxa journalistique, c’est la civilisation qui a gagné. ■

    Retrouvez l'ensemble des chroniques syriennes d'Antoine de Lacoste dans notre catégorie Actualité Monde.

  • Écoutez bien, lisez bien ! C'est un condensé de l'idéologie dégoûtante qui tue l'Europe ! Et que nous combattons !

    Eglise accueillant des migrants à Madrid © Getty / Mario Gutiérrez 

     

    Mardi 20 novembre 2018, 7h20 - L'ÉDITO CARRÉ

    par Mathieu Vidard

    Manifeste migrations

    2 minutes 

     

    Et si visionner ne vous suffit pas, voici le texte. Tout y est. Rien n'y manque. Sans commentaires... Vous les ferez !

    Complément d'information en cours de journée : Inutile de regarder la vidéo. Sans en changer le titre, France Inter l'a fait disparaître d'Internet, et l'a remplacée par une autre anodine et banale, datant du 18.12.2017 ... Y-a-t-il eu des critiques, des protestations ? Lire le texte, tout simplement. Scripta manent.  LFAR 

    « Ce matin dans l’édito carré la publication d’un manifeste consacré aux migrations.

    400x400_vidard_mathieu.jpgEt c’est le Muséum National d’Histoire naturelle qui est à l’initiative de cet opuscule de 80 pages dont l’ambition est d’apporter un éclairage scientifique sur ce thème universel des migrations qui suscite beaucoup de fantasmes. 

    Le Muséum a donc réuni une douzaine de scientifiques dans des disciplines allant de la génétique à la démographie en passant par l’archéologie, l’anthropologie et la sociologie pour faire le point sur les résultats de la recherche avec des faits et des chiffres vérifiables autour des formes très diverses de migrations. 

    Un travail très utile lorsque les loupes médiatiques et politiques nous parlent à longueur de journée de la « crise migratoire » en cours. 

    Et c’est l’occasion de se rappeler que s’il existe une propriété spécifique à tous les êtres vivants, c’est bien leur propension à se propager dans l’espace et dans le temps. La mobilité est même une condition au maintien de la vie sur terre. Et qu’il s’agisse des plantes, des animaux ou des hommes, la nature et les sociétés se sont construites sur un équilibre entre les déplacements et la stabilité. 

    Et que nous apprend ce manifeste sur les migrations humaines ? 

    Eh bien ! d’abord que le phénomène est une constante dans notre histoire. 

    Les femmes et les hommes bipèdes ont passé l’essentiel de leur temps à se déplacer. Nous sommes d’infatigables voyageurs. Et cela ne date pas d’hier. Il y a 1,8 millions d’années, les premiers représentants du genre homo ont quitté le berceau africain pour migrer vers l’Eurasie.

    Ces déplacements qui n’ont plus cessé depuis, nous ont beaucoup enrichis biologiquement et culturellement. 

    Car une population isolée sans apport migratoire est une société qui s’appauvrit génétiquement au fil des générations. A l’inverse, lorsque les populations se dispersent, se différencient et échangent leur patrimoine génétique avec l’arrivée de nouveaux arrivants ; l’évolution adaptative s’en trouve favorisée. 

    La dispersion des graines chez les plantes ou des individus chez les animaux est un phénomène dynamique indispensable au maintien des populations. Particulièrement en cas de changement environnemental. Et ils ont été nombreux au cours de l’évolution. 

    D’autres faits intéressants dans cet ouvrage ? 

    Oui par exemple pour les phobiques des mouvements migratoires le manifeste précise que 97% des humains, vivent sur terre dans leur pays de naissance et que ce chiffre est étonnamment stable depuis plusieurs décennies. 

    Il nous rappelle aussi que les termes hospitalité et hostilité ont la même origine sémantique précisant que l’hospitalité est une crête sinueuse où entrent parfois en collision la nécessité d’ancrage des sociétés à des territoires pour construire des identités individuelles et collectives mais aussi la nécessité morale de responsabilité envers autrui fondée sur la conviction d’une humanité commune. 

    L’éthique de l’hospitalité figure dans l’article 13 de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme signée en 1948. Son 70e anniversaire sera célébré le 10 décembre prochain. 

    En attendant le Manifeste du Muséum, sur les migrations sort jeudi dans les librairies et je vous le conseille chaudement.  

     
    NDLR - Nous avons corrigé une foultitude de fautes d'orthographe et de langue, en tout cas celles  que nous avons vues. Si, compte-tenu de leur foisonnement, d'autres nous ont échappé, les rédacteurs de Lafautearousseau ayant accès au bureau les corrigeront ou bien nos lecteurs nous les signaleront. A noter que c'est un texte à prétention culturelle et scientifique !
  • Le nationalisme peut conduire à la guerre, mais le pacifisme plus sûrement encore

     

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    Opposer patriotisme et nationalisme, pacifisme et nationalisme, comme le fait plus ou moins inconsidérément le président Macron, ce sont des mots, des phrases, des idées en l'air et, en dernière analyse, de la propagande. Électorale, rien d’autre. 

    Il y a des personnes paisibles et il y a des personnes agressives. Ces dernières ne disqualifient pas l’universalité des personnes ... 

    Il y a ainsi des nationalismes raisonnables et paisibles, comme il y en a d'exaltés et agressifs. Et il y a des pacifismes qui conduisent à la guerre plus sûrement encore que le nationalisme le plus exalté ... 

    top-hs-6-624i-e13947929522761.jpgLorsque Hitler décida de remilitariser la Rhénanie, en mars 1936, contre l'avis de ses généraux, l'Allemagne n'était pas prête à la guerre et il confiera plus tard que si la France était intervenue alors, conformément aux traités et surtout à sa sécurité, l'Allemagne n'eût pas tenu le choc.

    Il avait sciemment parié sur l'inertie de la Rassemblement-populaire-14-juillet-1936.jpgFrance, sur le pacifisme idéologique de ses dirigeants et la suite lui donna raison. Pari gagné ! Il avait pourtant joué gros car un échec en Rhénanie aurait sans-doute stoppé l'élan de son régime et la marche â la guerre. Le pacifisme des Blum et consorts y conduisit tout droit, tout autant sinon davantage que la soif de revanche de l’Allemagne et son expansionnisme. 

    Emmanuel Macron aurait raison de faire comme Zemmour, c'est à dire de lire Bainville. Il y verrait comment l'on évite la guerre ou comment l'on y sombre, comment, si l'on ne peut l'éviter, l'on se prépare à la gagner ou à la perdre.  Macron a dit et répété que l'Histoire est tragique. Il devrait aussi savoir que ses épisodes tragiques ont toujours résulté d'une rupture d'équilibre des forces entre puissances rivales. Aucun pacifisme, aucun angélisme naïf ne l'en ont jamais sauvée. 

    Prêcher aux quatre coins du monde que le nationalisme c’est la guerre n'est rien d'autre qu'une sottise. ■ 

    Retrouvez l'ensemble des chroniques En deux mots (106 à ce jour) en cliquant sur le lien suivant ... 

    En deux mots, réflexion sur l'actualité

  • D'accord avec Mathieu Bock-Côté : « Le nationalisme n'est pas un péché »

     

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    Une réflexion qui n'a rien à voir avec le libéralisme mondialisé que prêche partout Emmanuel Macron en parfait décalage avec les réalités et les évolutions du monde actuel. Comme nous, Mathieu Bock-Côté prône limites, frontières et enracinement qui n'entraînent nullement un esprit de fermeture aux autres et au monde. mais qui, simplement, répondent au besoin de l'homme « d'habiter un pays qui ne soit pas qu'une page blanche ». [Le Figaro, 16.11].  LFAR

     

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    Il n'y avait rien de surprenant à entendre Emmanuel Macron, dans le cadre de la commémoration du centenaire de l'Armistice, dénoncer le « nationalisme ».

    Tous y ont vu, sans se tromper, une réponse à Donald Trump, qui s'en est récemment réclamé. Mais Emmanuel Macron faisait aussi tout simplement écho à la définition courante du nationalisme en France, qui l'assimile à l'extrême droite. On se souvient de la formule de François Mitterrand, qui se voulait définitive : « Le nationalisme, c'est la guerre ! »

    Mais il suffit de se dégager du contexte français pour constater que le terme « nationalisme » n'a pas partout la même connotation, ce qu'a noté Gil Delannoi dans La Nation contre le nationalisme. Même dans l'espace francophone, sa signification varie, comme on le voit au Québec, où il désigne essentiellement le combat mené au fil des siècles par les Québécois francophones pour conserver leur identité collective dans une Amérique où le fait français est minoritaire. Le nationalisme y est non seulement normalisé, mais valorisé, au-delà de la seule option indépendantiste. On pourrait dire la même chose du nationalisme irlandais, polonais ou de celui des pays Baltes - ces peuples ont dû conquérir leur indépendance. Les petites nations savent très bien qu'elles ne peuvent compter que sur elles-mêmes pour défendre leur droit d'exister.

    Il se pourrait toutefois que la condamnation du nationalisme, chez Emmanuel Macron, aille bien plus loin que sa dénonciation habituelle. Car ce n'est pas la première fois que celui-ci, croyant s'en prendre au nationalisme et ses excès, prend en fait pour cible la nation en elle-même. On se souvient de sa déclaration quelque peu contre-intuitive au moment de la présidentielle, lorsqu'il avait affirmé que la culture française n'existait pas ou plus récemment, de sa caricature de la psychologie française qui serait celle de « Gaulois réfractaires ». Même les pages glorieuses de l'histoire nationale sont gommées, avec l'effacement symbolique de la victoire française lors de la Grande Guerre au profit d'un mythique siècle d'amitié franco-allemande.

    Ce zèle antinationiste, pour emprunter le néologisme de Pierre-André Taguieff, se confirme, par effet de contraste, dans l'enthousiasme européen du président. L'appel lancé à la constitution d'une souveraineté européenne, parachevant la désincarnation politique des nations, se complète maintenant avec celui pour une armée européenne. On pourrait voir là un appel à l'Europe puissance, mais l'Europe macronienne semble terriblement décharnée. Elle a moins l'allure d'une civilisation se constituant politiquement que du stade intermédiaire dans la construction d'une cité universelle, où pourrait s'épanouir une « overclass » enfin délivrée de ses obligations envers une communauté politique particulière et se percevant elle-même comme une aristocratie planétaire.

    « Si le nationalisme lui-même ne cesse de se recomposer (...), c'est qu'il permet à l'homme d'habiter un pays qui ne soit pas qu'une page blanche »

    C'est probablement là que se confirme le caractère radical d'un certain progressisme. On y retrouve une conception de la modernité qui présente la diversité humaine, celle des peuples, des religions et des civilisations, comme un moment transitoire dans une longue histoire censée aboutir à une humanité réconciliée sous le signe de la cité universelle. L'homme n'aurait cessé d'élargir au fil des siècles et des époques ses cercles d'appartenances. Viendra un jour où il saura se passer de frontières et de demeure - tel est le pari du progressisme. L'homme trouverait sa rédemption dans une adhésion militante au parti du mouvement, qui le purgerait d'un enracinement qu'on fait rimer avec encrassement.

    Mais cette histoire a surtout les traits d'un fantasme destructeur. Gabriel Marcel l'a déjà dit de manière lumineuse : « À la base de l'activité des révolutionnaires […] gît cette conviction monstrueuse : ce que nous détruisons peut se remplacer, nous avons quelque chose à mettre à la place. » Si le conservatisme renaît en notre temps, c'est d'abord à la manière d'une prise de conscience de l'intime fragilité du monde. On ne saurait présenter nos patries comme des constructions sociales purement artificielles, bêtement transitoires, toujours déjà périmées, qu'on pourrait démonter à loisir. L'homme a besoin de croire au monde qu'il habite.

    Et si le nationalisme lui-même ne cesse de se recomposer, au-delà des définitions polémiques qu'en donnent ceux qui veulent en finir avec lui, c'est qu'il permet à l'homme d'habiter un pays qui ne soit pas qu'une page blanche - un pays s'inscrivant sous le signe de la continuité historique. Et sachant que l'histoire n'accouchera ni demain ni après-demain d'un monde homogène, les peuples sont en droit de demander à leurs dirigeants de défendre leurs intérêts sans basculer dans une forme de messianisme sacrificiel les poussant à s'abolir pour une idole idéologique déracinée qui n'est qu'une contrefaçon de l'humanité.  

    Mathieu Bock-Côté        

    Le-nouveau-regime.jpgMathieu Bock-Côté est docteur en sociologie, chargé de cours aux HEC à Montréal et chroniqueur au Journal de Montréal et à Radio-Canada. Ses travaux portent principalement sur le multiculturalisme, les mutations de la démocratie contemporaine et la question nationale québécoise. Il est l'auteur d'Exercices politiques (éd. VLB, 2013), de Fin de cycle: aux origines du malaise politique québécois (éd. Boréal, 2012) et de La dénationalisation tranquille (éd. Boréal, 2007). Ses derniers livres : Le multiculturalisme comme religion politiqueaux éditions du Cerf [2016] et le Le Nouveau Régime (Boréal, 2017). 
  • Où Simone Weil pointe l'une des maladies les plus dangereuses de l'âme et des sociétés humaines ...

     

    « L'enracinement est peut-être le besoin le plus important et le plus méconnu de l'âme humaine…

    Le déracinement est de loin la plus dangereuse maladie des sociétés humaines. »  

    Simone Weil

    L'Enracinement - Prélude à une  déclaration des devoirs envers l'être humain, Gallimard (Folio)

  • Patrimoine cinématographique • L'aveu

     

    Par Pierre Builly

    L'aveu de Costa Gavras (1970)

    20525593_1529036520490493_4184281983923317414_n.jpgLogique de la Terreur

    Que La révolution dévore jusqu'à ses enfants, on le sait depuis Danton, et que ce Moloch jamais rassasié, ce brasier qui a toujours besoin de nouveaux combustibles ait dévoré en ne s'en satisfaisant jamais les meilleurs de ses combattants, on le savait, en assistant, assez fasciné à cette catastrophe.

    Mais davantage que dans des films qui montrent plus particulièrement la stupéfaction, la surprise, le désenchantement, L'aveu explore de façon presque clinique, en tout cas distante et maîtrisée la folie de ceux qui prétendent changer la vie, c'est-à-dire changer la nature humaine... 

    ee87df15-0b1f-4ccc-8a2d-188a425f6a10_2.jpgS'il y a, à mes yeux, un quart d'heure de trop, qui en ralentit le rythme, L'aveu est un grand film, peut-être meilleur encore que Z, qui est plus romanesque ; l'enfermement, la folie kafkaïenne, le sadisme ordinaire et constant des geôliers, l'aveuglement de ceux qui ont fait du Parti l'horizon insurpassable de la pensée humaine et qui le tiennent comme une église à la fois parfaite et immanente (jolie contradiction dans les termes), tout cela est rendu avec une force extrême par Costa-Gavras, largement secondé par un Montand absolument bluffant, une Signoret d'autant plus crédible qu'elle avait largement partagé - et partageait en grande partie encore - les billevesées révolutionnaires, et une pléiade d'acteurs de second rang, mais de talent premier (Michel Vitold, Gabriele Ferzetti, Jacques Rispal, Jean Bouise, Michel Beaune et tant d'autres)... 

    Étrange sort que celui des Brigadistes, les Révolutionnaires de la guerre civile d'Espagne qui, à peu près tous, et alors que certains avaient encore fait davantage leurs preuves dans la lutte clandestine pendant les résistances au nazisme, se sont retrouvés suspectés, vilipendés, exclus de leur raison de vivre, la fidélité au parti et la Révolution, pendant les années d'après-guerre... L'aveu est le film de la déchéance d'Artur London, en Tchécoslovaquie, de ses brimades, humiliations, tortures, avilissements ; de façon plus cauteleuse, ce sont les mêmes procédés qui ont été employés, en France, contre d'authentiques soldats de la Révolution, André Marty, Charles Tillon, Auguste Lecœur... 

    L'Espagne, la défaite, en Occident, du marxisme révolutionnaire, aura été, assurément, une blessure irréconciliable, en même temps qu'un rêve romanesque ; dans la maison des London (Montand et Signoret, donc, compagnons de route ici réunis pour constater la faillite absolue de ce qui fut et resta - pour elle tout au moins - un idéal), il y a plein de photos de la guerre civile, le milicien frappé à mort immortalisé par Robert Capa, la buveuse de sang Ibbaruri (la Passionara), ou le défilé, à Barcelone, le 27 octobre 1938, des Brigades dissoutes par le Gouvernement républicain de Juan Negrin ; ceux qui combattirent n'y récoltèrent rien que la méfiance et l'aversion de ceux qui n'avaient pas pris les armes....  

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    Le DVD n’est plus très facile à trouver ; 16 € ENVIRON

    Retrouvez l'ensemble des chroniques hebdomadaires de Pierre Builly sur notre patrimoine cinématographique, publiées en principe le dimanche, dans notre catégorie Culture et Civilisation.
  • Livres • Savoir pour prévoir afin de pourvoir

     

    Par Hilaire de Crémiers 

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    Christian Vanneste n’est pas un homme politique ordinaire.

    Ce qui caractérise le milieu, c’est son inculture. Ces gens-là ne savent rien ni du passé ni du présent ni des vraies questions qui se posent aujourd’hui à la société française. Quand ils prétendent savoir et détenir les diplômes qui le prouveraient, ils récitent les poncifs qui sont d’obligation, scolaire, universitaire, politicienne. Leurs discours convergent tous dans le même sens de la parfaite nullité.

    Christian Vanneste a réfléchi par lui-même ; il a lu, appris, philosophé ; il a mis en perspective l’histoire et resitué la France dans son drame politique, philosophique et même littéraire. Rien ne lui échappe de Descartes à Rousseau, de Pascal à Bergson, de Kant qui reste encore le philosophe de la modernité et de la république, à tous les faux esprits qui après 68 ont régenté l’intelligence française et contre qui se rebellent heureusement aujourd’hui tout ce qui a encore l’audace de tout simplement penser.

    Il en est de même de la politique : il sait que la France n’est pas née en 1789. L’individualisme qui a régi les rapports sociaux, a sa source dans une fausse conception du contrat social.

    La France dans la mesure où elle s’est conçue comme nation, a su dépasser cet individualisme. L’esprit social, le désir se servir retissaient le lien qui unissait les Français à chaque génération. De Péguy à Barrès, la France était chantée : le « moi » barrésien s’inscrivait dans l’énergie nationale.

    Le drame vient de ce qu’il n’y a plus de résistance, ni même d’esprit de résistance, sauf chez quelques-uns qui n’ont pas accès au pouvoir sous quelques mode que ce soit. Vanneste en sait quelque chose. Reste un rayonnement culturel qui flamboie encore. Tel un Philippe de Villiers au Puy-du-Fou, tel lui-même, Christian Vanneste, qui est l’un des rares à pouvoir dire, écrire, décrire un tableau synthétique de notre décadence actuelle, en dénoncer les causes, en annoncer les conséquences. C‘est devant nous, inéluctable. Car plus la société française s’effrite, se dilue, s’autodétruit, plus les communautarismes apparaissent, se développent et font la loi. Les groupes singuliers qui se présentent comme minoritaires et persécutés, revendiquent et, peu à peu, s’arrogeant la loi, la pratique de la loi et de la justice, imposent leurs usages et leurs visées dominatrices ; c’est le processus de victimisation en vue de la prise de pouvoir. Seulement, dans ce communautarisme triomphant, règne l’islam et, derrière l’islam, avance l’islamisme. La France s’est désarmée ; elle est en danger de mort. Toute personne intelligente le comprend parfaitement. Reste à savoir s’il est encore une volonté pour la sauver : SOS France ! L’identité, c’est perdurer dans l’être. Sinon, c’est la mort.

    C’est possible, encore, mais il faut une lucidité politique qui n’est pas encore de règle ni de mise aujourd’hui. Philippe de Villiers dans sa préface adoube le chevalier Vanneste : il est toujours utile de se battre et de savoir se battre.  

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    L’identité ou la mort, Christian Vanneste, préface de Philippe de Villiers, Editions Apopsix, 236 p, 20 € 

    Hilaire de Crémiers

  • Histoire • Thierry Maquet : « La Grande Guerre a fait émerger les pays anglo-saxons qui, depuis, dirigent le monde »

     

    LAFAUTEAROUSSEAU / ENTRETIEN - Thierry Maquet, historien autodidacte, est spécialisé dans la Première Guerre mondiale, événement qui a marqué profondément et durablement sa région, puisqu'il vit dans les Ardennes. Il développe ici, sur la Grande Guerre des points de vue qui suscitent la réflexion. On n'est pas forcément d'accord sur tout. On peut en débattre. Entretien par Rémi Hugues pour Lafautearousseau 

     

    41418405_2225893421021798_8973707314515148800_o.jpgÊtes-vous d'accord avec le philosophe Gustave Thibon lorsqu'il disait que la Grande Guerre a été un suicide collectif de l'Europe ? 

    Tout à fait d'accord. C'est également le terme qu'emploie le pape Benoît XV. À quel degré de folie étions-nous arrivés pour qu'un homme de lettres écrivît ceci en détournant le sens des mots religieux : 

    « Tous vinrent à Verdun, comme pour y recevoir je ne sais quelle suprême consécration ; comme s’il eût fallu que toutes les provinces de la patrie eussent participé à un sacrifice d’entre les sacrifices de la guerre, particulièrement sanglant et solennel, exposé aux regards universels. Ils semblaient, par la voie sacrée, monter, pour un offertoire sans exemple, à l’autel le plus redoutable que jamais l’homme eût élevé » . Ces mots sont de Paul Valéry. 

    Puisque tous les « poilus » sont morts, est-il selon vous toujours légitime de célébrer le 11 novembre ? Que pensez-vous de ceux qui veulent le supprimer en tant que jour férié ? 

    J'estime que la Grande Guerre, c'est de l'histoire, à l'égal des guerres et des batailles de 1870, du premier Empire et de l'Ancien Régime, qui, elles ne sont plus célébrées. De plus, avec l'afflux massif de populations extra-européennes qui s'en fichent et la désaffection du public français pour les cérémonies, je pense qu'il ne faut plus célébrer cela, même si mon grand-père paternel y participait. 

    De plus, on célèbre là une « horrible boucherie »  (encore un terme utilisé par le pape de l'époque) qui a permis aux francs-maçons et autres universalistes de détruire les dernières monarchies catholiques ou chrétiennes et de dresser la nouvelle tour de Babel, la Société des Nations (S.D.N.) du président Wilson inspirée par le franc-maçon français Léon Bourgeois. 

    Diriez-vous que le discours officiel - ou mémoire officielle - sur la Première Guerre mondiale a évolué ces dernières décennies ? 

    Si je prends le discours du président Hollande lors du centenaire de la bataille de Verdun: il a confondu l'agresseur et l'agressé en présence de la chancelière allemande. La victoire française de Verdun y a été passée sous silence ; 4 minutes, seulement, sur 15, du discours présidentiel, ont concerné la bataille de 1916 et le reste ne fut qu'apologie de l' « Europe » , du multiculturalisme et de l'immigration. On est loin des dignes et sobres cérémonies de 1966 qui avaient été précédées par une messe célébrée sur le parvis de l'Ossuaire. 

    Je profite de la parole qui m'est donnée pour contester formellement les inscriptions ajoutées, en 2016, dans l'Ossuaire de Douaumont en allemand et en français avec les noms de Merkel et Hollande. Quant aux discours du secrétariat d'Etat aux Anciens Combattants qui sont lus devant chaque monument aux morts de France, ils ne sont que des condamnations des adversaires et encensement de leur Europe et de la multiculturalité. 

    Peut-on faire, d'après vous un parallèle entre ce conflit et les guerres napoléoniennes, qui, on le rappelle, ont permis à Nathan Rothschild de devenir le maître incontesté de l'Angleterre ?           

    En tout cas, la Grande Guerre a permis l'émergence des pays anglo-saxons qui, depuis, dirigent le monde après avoir empêché une victoire française en 1918, sauvé l'empire allemand,  la république de Weimar étant la continuation en pire de l'empire et renforcé l'œuvre de Bismarck, et ce pour sauver les investissements allemands des banquiers américains d'origine allemande. 

    La Première Guerre mondiale n'a-t-elle profité qu'aux marchands de canon ? Peut-on même dire que ces derniers l'ont suscitée ? 

    Je dirais que la Grande Guerre a profité, par inertie, aux marchands de canons mais ils n'en sont pas responsables. Ceux qui sont à l'origine de cette guerre sont les francs-maçons français, italiens et serbes. Leur plan était déjà dévoilé le 12 novembre 1882 par le journal L'Univers  : « Les plans de subversion universelle, les projets abominables qui tendent à couvrir l’Europe de ruines et de sang en vue de substituer partout la République aux monarchies, l'idéal matérialiste et révolutionnaire à l'idéal spiritualiste et chrétien, sortent aussi des ateliers et des convents maçonniques. »   

    Lors d'une visite à l'abbesse de l'abbaye de Maredret, en Belgique, l'empereur Guillaume II (qui n'était pas franc-maçon) lui dit : « Savez-vous une des grandes causes de la guerre ?  - Non. - Les francs-maçons 

    Le franc-maçon René Viviani, qui a été président du Conseil, en 1919 : » Vous croyez avoir fait la guerre, vous n’avez pas fait la guerre, vous avez fait une révolution.»  Comme le Grand Orient de France, en 1918 : « La guerre actuelle est profondément révolutionnaire. Elle prépare un ordre nouveau ». Il y a tant à dire à ce sujet. Les sources sont aisément consultables sur Gallica... 

    Et puis il y a la date du 28 juin : jour anniversaire de la naissance de Rousseau, de l'assassinat de l'archiduc autrichien, du premier jour du congrès maçonnique international de Paris, en 1917, et jour de la signature du traité de Versailles. 

    Enfin, dernière question, plus politicienne et donc facultative, que pensez-vous du tour de France commémoratif qu'a décidé de faire le président Macron pour célébrer le centenaire de l'armistice du 11 novembre 1918 ? 

    Les censeurs de l'histoire ont parlé ; le « dogme»  historique et mensonger de 1945 doit être respecté et Macron s'incline... 

    Même la parole de De Gaulle (« leur » idole...) est niée, lui qui déclarait à Douaumont, en 1966, sous les applaudissements des anciens combattants : «  Si par malheur, en d’autres temps, en l’extrême hiver de sa vie, au milieu d’événements excessifs, l’usure de l’âge mena le maréchal Pétain à des défaillances condamnables, la gloire qu’il acquit à Verdun, qu’il avait acquise à Verdun vingt-cinq ans auparavant et qu’il garda en conduisant ensuite l’armée française à la victoire, ne saurait être contestée, ni méconnue par la patrie. » 

    Le même De Gaulle justifiait l'armistice de 1940 devant l'Assemblée consultative, le 15 mai 1945 : « Qu'on imagine ce qu'eût été le développement du conflit, si la force allemande avait pu disposer des possessions françaises d'Afrique. Au contraire, qu'elle fut l'importance de notre Afrique du Nord comme base de départ pour la libération de l'Europe.»  (Journal officiel de la République française. Débats de l'Assemblée consultative provisoire. 15 mai 1945). 

    Le général Pétain ne voulait pas l'armistice, en novembre 1918, mais une capitulation allemande signée à Berlin, après une offensive victorieuse prévue le 14 pour encercler les armées allemandes de Belgique.

    Lors du drame de 1940, tout le monde politique a jeté (démocratiquement, par la Chambre issue du Front populaire) le pouvoir entre les mains du vieil homme qui ne pouvait rien ajouter à la gloire dont étaient chargées ses épaules. Par patriotisme, par dévouement, par amour de la France et des Français, parce qu'il avait fait ainsi toute sa vie, il a fait don de sa personne d'une façon « christique » alors qu'il était innocent du désastre. Il prenait sur lui le déshonneur et la lâcheté des autres.   

  • Cinéma • Kursk

     

    Par Guilhem de Tarlé 

    A l’affiche : Kursk, un film de Thomas Vinterberg, avec Matthias Schoenaerts et Léa Seydoux, adapté de l'ouvrage du journaliste Robert Moore, A Time to Die : The Untold Story of the Kursk Tragedy.


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    12 août 2000 : explosion du sous-marin nucléaire Koursk au cours de grandes manœuvres de la marine militaire russe en mer de Barents.

    Le mur de Berlin est tombé 11 ans plus tôt, le 9 novembre 1989, et l’on prétend que la Guerre froide a cessé avec la fin de l’Union soviétique au traité de Minsk du 8 décembre 1991 qui institua la Communauté des États Indépendants (CEI).

    4.jpgle 26 mars 2000, un ancien du KGB, Wladimir Poutine, a été élu Président de la Fédération de Russie pour succéder à Boris Eltsine. 

    Ainsi, à l’aube de l’ère Poutine, ce film apparaît comme un état des lieux, le naufrage - de la marine russe, mais sans doute aussi de la Russie - couvert par les mensonges arrogants et homicides des autorités dûment formatées par le communisme totalitaire.    

    PS : vous pouvez retrouver ce « commentaire » et plusieurs dizaines d’autres sur mon blog Je ciné mate.

  • Livres & Histoire • Mai 68 contre lui-même

     

    Par Philippe Granarolo
    Professeur de Khâgne (h)
    Philosophe 

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    Rémi HUGUES, Mai 68 contre lui-même (Edilivre, octobre 2018) 

    Avec Mai 68 contre lui-même, Rémi Hugues vient combler un manque : celui de l’étonnant vide éditorial qui a marqué les cinquante ans de mai 68. Une question, « À qui profite le crime ? », et deux mots, « farce » et « paradoxe », me semblent résumer l’originalité de son ouvrage.

    Répondant à l’injonction de Barjavel *, l’auteur choisit de se situer à une échelle autre qu’hexagonale : en lieu et place de l’approche franco-française retenue par la plupart des commentateurs, il opte pour une analyse géopolitique des événements.

    Pour ce faire, il rappelle des faits économiques oubliés de la plupart : en mars 68, une crise du dollar liée à la crise de l’or relaya une crise historique de la Livre sterling. Le système monétaire élaboré en 1944 à Bretton Woods tremblait sur ses bases tel un château de cartes. Le monde libéral était aux abois, ce qui conduit l’auteur à supposer que mai 68 fut « une rupture réussie avec ce qui perdurait de rapports communautaires et traditionnels, vestiges du précapitalisme, qui conservaient en France encore une place prépondérante » (p. 14).

    Cette formule résume la thèse de Rémi Hugues : mai 68 fut l’œuvre des puissances économiques étrangères pour faire rentrer la France dans le rang au moment où commençait à s’imposer la troisième forme du capitalisme (sa forme ultralibérale), celle qui régit la planète cinquante ans plus tard. On peut cependant regretter qu’aucune enquête approfondie ne soit menée qui pourrait étayer cette hypothèse. Le seul élément concret mis en avant dans l’ouvrage est le rappel de l’étrange interview accordée par la BBC à Daniel Cohn-Bendit le 12 juin 68. Que les événements de mai aient eu pour conséquence un profond recul de la France et son entrée dans la logique ultralibérale à laquelle elle avait jusqu’alors résisté est incontestable : mais cela suffit-il à nous faire accepter comme évident qu’un chef d’orchestre menait la danse en dehors de nos frontières ?

    Se référant régulièrement au modèle de l’analyse marxienne de la révolte de 1848, l’auteur prend appui sur une célèbre formule de Marx affirmant que la farce succède toujours à la tragédie sur la scène de l’histoire. Mais cette admiration justifiée pour la grille marxienne n’entrave-t-elle pas le recours à de nouveaux concepts nécessaires pour éclairer ce qui demeure une énigme ? On accordera néanmoins à l’auteur que la farce s’est poursuivie, puisque depuis cinquante ans les comédies étudiantes se sont succédé sans toutefois déclencher un nouveau mai 68.

    Le mixte de communisme totalitaire et d’anarchisme hédoniste propre à mai 68 demeure cinquante ans après un composé inexpliqué. Que les événements de mai, mis en route par des adolescents qui se présentaient comme les ennemis radicaux de la société de consommation, aient contribué à la victoire  définitive  de  celle-ci,  est  un  bien  étrange paradoxe **. Il fallait sans doute que le PC soit mis au pas pour qu’une troisième forme de capitalisme s’impose en France comme elle avait commencé à le faire dans le monde anglo-saxon.

    L’énigme est loin d’être résolue. Mais l’essai de Rémi Hugues a le mérite d’éclairer pour la première fois de nombreuses zones d’ombre. Il pourrait servir de point de départ à l’analyse historique plus ambitieuse que nous attendons et que l’auteur sera peut-être l’un des plus habilités à conduire.  

     

    *  C’est à René Barjavel qu’est confié le soin d’ouvrir cette enquête. L’auteur du Grand secret y pointait du doigt les grandes puissances qui haïssaient la France de l’époque, au premier chef le monde anglo-saxon, Angleterre et États-Unis, sans écarter pour autant la Chine. 

    ** Le 24 février 2018 s’est tenu à La Garde un colloque dont j’étais l’organisateur sur le thème « Révolution(s) » (colloque qui fit exception au vide que j’évoquais au début de mon texte). La vidéo de mon exposé « À propos d’un grand écart jamais surmonté - mai 68 », qui est en harmonie avec de nombreux arguments développés par Rémi Hugues, peut être visionnée sur YouTube à l’adresse suivante : https://www.youtube.com/watch?v=0iTu-iOEkao&t=479s

    Docteur d’Etat ès Lettres et agrégé en philosophie, Philippe Granarolo est professeur honoraire de Khâgne au lycée Dumont d’Urville de Toulon et membre de l’Académie du Var. Spécialiste de Nietzsche, il est l’auteur de plusieurs ouvrages, notamment Nietzsche : cinq scénarios pour le futur (Les Belles Lettres, 2014), Le manifeste des esprits libres (L’Harmattan, 2017) et dernièrement Les carnets méditerranéens de Friedrich NietzscheNous vous conseillons son site internet. Suivre surTwitter : @PGranarolo
    iphilo.fr
    L'ouvrage de Rémi Hugues ...
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    Retrouvez la série d'articles de Rémi Hugues pour Lafautearousseau en cliquant sur le lien suivant ... 
    Dossier spécial Mai 68
  • Élites nulles

    Benjamin Griveaux - Marc Bloch - Charles Maurras

     

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    Hier matin, Benjamin Griveaux - tout de même ministre et porte-parole du gouvernement - est sur France Inter pour commenter l'interview d'Emmanuel Macron, sur le Charles de Gaulle, la veille au soir. Donc, la situation politique et les propos du président. 

    2221779_ce-quil-faut-retenir-de-linterview-de-macron-depuis-le-charles-de-gaulle-web-tete-060147048591.jpgCe dernier ayant reconnu avoir échoué à réconcilier les Français avec leurs dirigeants, Griveaux opine : « Oui, c'est l'opposition classique Pays Réel - Pays légal, pour reprendre l'expression de Marc Bloch ». Sans commentaire.  

    Celui-ci toutefois : ce n'est après tout pas si grave ni si important que l'expression soit de Marc Bloch ou de Maurras. Ce qui compte aurait dit Pierre Boutang « c'est la chose même ». Sauf que la distinction Pays Réel - Pays Légal s'intègre dans une pensée politique déterminée, en l’occurrence dans ce qu'Albert Thibaudet avait appelé les idées de Charles Maurras. Pas dans celles de Marc Bloch ...  

    On a bien ri dans le landernau où l'on est, du reste, aussi ignorant que Griveaux ; on s’est bien moqué. D'autant que ce jeune Griveaux est, paraît-il, un habitué des bourdes de toutes sortes. Il pourrait sembler aux esprits simples ou irréfléchis que ce n'est pas forcément indiqué pour le porte-parole d'un gouvernement. Mais non, lui dit qu'il « s'en fiche ». Élégante désinvolture ... 

    Ce n'est ni si grave, ni si important, en effet. Mais l'inculture ! L'inculture ! Ça oui !   ■ 

    Retrouvez l'ensemble des chroniques En deux mots (105 à ce jour) en cliquant sur le lien suivant ... 

    En deux mots, réflexion sur l'actualité