D'Atatürk à Erdogan, par Annie Laurent
LA RÉALITÉ DE LA « LAÏCITÉ » TURQUE
Si Atatürk a bien fondé une république « laïque » sur les ruines de l’Empire ottoman, il s’agit d’une « laïcité » en réalité bien différente de la conception que nous en avons en France.
En 2005, au moment où s’ouvraient les négociations officielles en vue de l’adhésion de la Turquie à l’Union européenne (UE), de nombreuses voix autorisées justifiaient ce projet par la « laïcité »de la République fondée par Moustafa Kemal, passé à l’histoire sous le nom d’Atatürk (« Père des Turcs »). Ainsi, disait-on, la nouvelle Turquie était prédisposée à adopter les valeurs démocratiques du Vieux Continent. Mais cela revenait à négliger la particularité de cette laïcité sui generis, qui ignore le principe de neutralité publique en matière religieuse. Loin de proclamer la séparation entre les domaines temporel et spirituel, le kémalisme a placé la religion sous la tutelle de l’État, avec les implications importantes qui en résultent dans de nombreux domaines tels que le droit et l’organisation des cultes. En outre, seul l’islam sunnite, religion de la majorité des Turcs, était concerné par ce programme (1).