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Actualité France - Page 392

  • Le crime de Kamel Daoud

     

    par Louis-Joseph Delanglade

     

    Médias et politiques occidentaux se sont fourvoyés en voulant voir dans les « printemps arabes » les prémices d’un bouleversement démocratique : ils avaient méconnu les pesanteurs culturelles et politiques propres aux sociétés arabo-musulmanes. Aujourd’hui, l’intelligentsia française, dans un accès de dogmatisme inconditionnel, refuse d’admettre ce qui a pu se passer réellement le 31 décembre 2015 à Cologne : on ne peut condamner des migrants « musulmans », même si des violences sexuelles à l’encontre de femmes allemandes sont avérées. 

    Ils sont dix-neuf, dix-huit universitaires « chercheurs » et un journaliste, qui se sont érigés, derrière la dénomination bien commode de « collectif », en tribunal stalinien. Ces inquisiteurs de la pensée unique ont, à ce titre, jugé et excommunié (faute sans doute de pouvoir le faire fusiller ou, à tout le moins, envoyer au goulag) l’écrivain algérien francophone Kamel Daoud. Leur sentence (« Kamel Daoud recycle les clichés orientalistes les plus éculés » - Le Monde, 11 février) est irrévocable car le crime de M. Daoud est impardonnable : avoir publié (Le Monde, 31 janvier) une tribune intitulée « Cologne, lieu de fantasmes » dans laquelle il n’applique pas aux événements leur grille de lecture, forcément canonique, osant faire en conséquence un lien entre la culture religieuse des agresseurs et la nature des faits. 

    La tribune de M. Daoud est pourtant plutôt équilibrée puisqu’il refuse par principe les deux positions extrêmes face à l’immigration musulmane - angélisme et xénophobie. Que dit M. Daoud ? Sur les Européens : « L’accueil du réfugié […] pèche en Occident par une surdose de naïveté : on voit, dans le réfugié, son statut, pas sa culture ». Sur les femmes en terre d’islam : « La femme est niée, refusée, tuée, voilée, enfermée ou possédée ». Sur les islamistes : « L’islamiste n’aime pas la vie. Pour lui, il s’agit d’une perte de temps avant l’éternité […]. La vie est le produit d’une désobéissance et cette désobéissance est le produit d’une femme. » 

    Pour le « collectif », les réfugiés musulmans et agresseurs de Cologne ne sont que des hommes, des hommes dont aucun substrat culturel ne saurait expliquer le comportement : des hommes « hors sol » en quelque sorte, qu’il faut accueillir sans prétendre voir en eux ce que nous croyons qu’ils sont. Quant aux femmes, leur sort en Europe n’a au fond rien de bien enviable et nous n’avons, dans ce domaine, aucune leçon de comportement à donner. L’approche de M. Daoud serait « asociologique », car fondée sur l’essentialisme, et psychologisante faisant des musulmans des « déviants » qui relèveraient donc d’un « un projet disciplinaire » : on n’échappe ni à la pédanterie ni à la suffisance propres à toute analyse universitaire mais cette analyse ne tient pas devant des faits, devant les faits. 

    Jugé et condamné par des gens qu’il considérait peut-être comme ses pairs, M. Daoud a décidé de renoncer au journalisme. L’affaire en serait restée là si la romancière franco-tunisienne Fawzia Zouari, en prenant la défense de son confrère dans Jeune Afrique, Libération et France Inter, ne lui avait donné une dimension politique. Mme Zouari approuve M. Daoud sur les viols de Cologne, « conséquence logique d'une tradition » et d’« une psychologie de la foule arabe »; elle dénonce la « fatwa laïque » dont il est victime; elle reproche à la gauche française d'instaurer « une sorte d'honorabilité de l'islamisme en France »; elle affirme enfin et surtout « qu’il y a un problème posé par l’Islam de France ». 

    Rien de moins. Quoi que pensent ou puissent penser par ailleurs M. Daoud et Mme Zouari, ils auront eu le mérite de poser le vrai problème. 

  • Camus, prophète de notre actualité : « Le train du monde m'accable en ce moment »

     

    « Le train du monde m'accable en ce moment. A longue échéance, tous les continents (jaune, noir et bistre) basculeront sur la vieille Europe. Ils sont des centaines et des centaines de millions. Ils ont faim et ils n'ont pas peur de mourir. Nous, nous ne savons plus ni mourir, ni tuer. Il faudrait prêcher, mais l'Europe ne croit à rien. Alors, il faut attendre l'an mille ou un miracle. Pour moi, je trouve de plus en plus dur de vivre devant un mur. »

    Albert Camus

    Lettre à Jean Grenier, Paris, le 28 juillet 1958

    Correspondance Camus-Grenier 1923-1960, NRF, Éd. Gallimard, page 220 

  • Littérature & Société • Le salut par la disgrâce ... C’était écrit

     

    par Jérôme Leroy
    Ecrivain et rédacteur en chef culture de Causeur

    A vrai dire, nous avons aimé ce dernier billet de Jérôme Leroy, paru dans Causeur [05.03]. Jérôme Leroy sait écrire (bien) et penser. Il ne nous est guère possible d'être toujours d'accord avec lui; avec, parfois telles de ses positions à notre avis scabreuses; mais toujours dignes d'attention. Bainville - qui s'y entendait - dit quelque part que le littéraire n'est pas celui qui est incessamment plongé dans les livres, mais celui qui porte toujours sur toutes choses son regard du point de vue de la littérature. C'est ainsi, nous semble-t-il, que Jérôme Leroy les envisage. Ici avec élégance, indulgence, style et pertinence. Il n'est pas toujours nécessaire d'être méchant. LFAR

     

    Jerome_Leroy0.jpgSi elle n'a pas lu Modiano, peut-être Fleur Pellerin a-t-elle parcouru Chateaubriand ? Le Vicomte a, en son temps, expérimenté la perte d'un ministère... 

    « Mon grand regret est d’avoir mal su expliquer ce que j’étais en train de faire à la tête de ce ministère », a déclaré Fleur Pellerin dans un entretien doux-amer accordé à L’Obs le 17 février, au lendemain de son renvoi. Comment pourrait-on la consoler ? Par la littérature, qui est le meilleur vulnéraire pour les blessures politiques. Elle qui déplorait, après l’incident Modiano, de ne pas avoir le temps de lire mais qui affirme dans ce même entretien avoir lu Joyce en anglais et Musil en allemand – ce qui vaut mieux que le contraire –, trouvera sans mal des auteurs qui feront écho à son infortune. Chateaubriand, par exemple, qui dans ses Mémoires d’outre-tombe, rappelle les circonstances de sa disgrâce.

    Nommé ministre des Affaires étrangères le 28 décembre 1822 après une brillante carrière diplomatique, il est débarqué sans ménagement le 4 août 1824, un ministère à peine plus long que celui de Fleur, rue de Valois. Fleur a été surprise : « Dire que je n’ai pas accusé le coup, que je n’ai pas été choquée par la nouvelle serait mentir. » Chateaubriand aussi : « Et pourtant, qu’avais-je fait ? Où étaient mes intrigues et mon ambition ? »

    Fleur l’a appris par un coup de téléphone tandis que c’est Hyacinthe le valet de l’écrivain, qui lui annonce qu’il n’est plus ministre. Le téléphone, c’est le valet d’aujourd’hui. Il lui remet un billet plus élégant néanmoins mais tout aussi violent que le tweet de l’Élysée annonçant le nouveau gouvernement : « Monsieur le Vicomte, j’obéis aux ordres du roi en transmettant de suite à votre Excellence une ordonnance que Sa Majesté vient de rendre. Le sieur Comte de Villèle, président de notre conseil des ministres, est chargé par intérim du portefeuille des affaires étrangères en remplacement du sieur Vicomte de Chateaubriand. »

    Bien sûr l’important, c’est l’après. Chateaubriand écrit : « On avait compté sur ma platitude, sur mes pleurnicheries, sur mon ambition de chien couchant, sur mon empressement à me déclarer moi-même coupable, à faire le pied de grue auprès de ceux qui m’avaient chassé : c’était mal me connaître. » Si Fleur assure, contrairement à ce qu’ont prétendu des malveillants, avoir évité elle aussi les « pleurnicheries », il n’est pas sûr qu’elle ne fasse pas le pied de grue : « Pour l’avenir, je n’exclus rien. Je ne peux pas imaginer une seconde ne pas jouer un rôle dans le destin de ce pays. » Chateaubriand, pour sa part, préféra ensuite tomber amoureux d’une jeunette et écrire des livres.

    Il a eu raison, chère Fleur : on se souvient plus de lui comme écrivain amoureux que comme ministre.

    Jérôme Leroy

  • Démocratie & Ironie • Porte de Versailles

     

    par Ph. Delelis

     

    Le président des syndicats agricoles est arrivé tôt sur les lieux, ce samedi 29 février 2020, pour inaugurer le nouveau Salon de la Politique qui se tient Porte de Versailles. Suivi d’une impressionnante délégation d’éleveurs, il a parcouru les stands des différents ministères à grandes enjambées. Malgré la délicieuse odeur d’imprimante et la douce chaleur des ordinateurs, l’ambiance était sous haute tension entre les exposants – ministres et fonctionnaires – et les provinciaux venus visiter la plus grande administration de France.

    Les paysans étaient protégés par un important service d’ordre ce qui a permis d’éviter des affrontements directs mais n’a pas empêché les exposants de les huer et, plus généralement, de leur manifester une réelle hostilité. Certains responsables politiques ont ainsi ostensiblement tourné le dos à la délégation agricole. Le reproche majeur fait par l’administration aux professionnels de la terre, depuis des années, est qu’ils ne savent pas apprécier à leur juste valeur les efforts déployés pour leur bien être. Au terme d’un dialogue franc et cordial avec le ministre de l’Agriculture, le président des paysans a conclu que chacun devait faire son devoir et que, s’agissant des reproches qui étaient faits à ses troupes, il fallait prendre en compte l’attitude égoïste de leurs collègues européens sans compter celle de son prédécesseur, incapable notoire.

    L’arrivée des céréaliers, considérés comme les bons élèves de la CSP par l’administration, a permis de relâcher un peu la pression. On a pu échanger quelques bons mots sur le stand du ministère de l’Ecologie et y déguster un nouveau projet de loi transposant la directive sur les produits « bio », lu par un sociétaire de la Comédie Française. On déplore cependant un incident grave sur le stand de Clémentine situé à quelques mètres de là. On sait que cette année, la vedette du Salon est une fonctionnaire émérite du Quai d’Orsay, Clémentine, qui a vécu la dernière session de négociation sur l’ancienne politique agricole commune à Bruxelles. Alors qu’elle paissait tranquillement dans son enclos, racontant ses souvenirs aux badauds, une ramette de papier A4 de fort grammage fut lancée dans sa direction.

    Heureusement, Clémentine n’avait rien perdu des réflexes acquis au cours de sa longue et brillante carrière dans les bureaux : faisant preuve d’une souplesse que sa corpulence ne laissait présager, elle réussit à détourner l’objet contondant par un mouvement de son avant-bras gauche. La police cherche encore à identifier l’auteur de cet attentat. Heureusement, l’état d’urgence a permis d’arrêter une douzaine de personnes, dont trois mineurs, toujours interrogées à l’heure actuelle. En privé, un ministre se plaignait que les agriculteurs « profitent une fois par an du Salon de la Politique pour faire de belles promesses » mais en repartent sans réelle intention ni d’ailleurs possibilité d’améliorer la production et de faire baisser les prix. Désabusé, il concluait : « Tout ça finira mal ». 

  • Le chaos des référentiels

     

    par Michel MICHEL, sociologue

    Sur l'instabilité structurelle du paysage idéologique en France 

     

    mm.jpgUne société ne se caractérise pas seulement par ce qu’elle est, mais aussi par ce qu’elle vise. L’homme est un être normatif et chaque société est caractérisée par des « utopies » qui constituent son armature morale et lui donnent une échelle commune de valeurs.

    Gramsci avait montré que les idéologies n’étaient pas seulement une « superstructure » passive mais qu’au contraire, elles jouaient un rôle déterminant dans la conquête et l’exercice du pouvoir. 

    Feu le système Don Camillo/Peppone

    Depuis la « philosophie des lumières », la France était traversée par une tension entre le catholicisme et  une religion du « Progrès » (« réforme », « révolution », « changement », « modernité », etc.). Demain avait remplacé le Ciel comme ce qui polarise l’Espérance.

    Aujourd’hui, la croyance au « Progrès » s’est effondrée (les gens ne croient plus que leurs enfants auront une vie meilleure que la leur). Avec la chute du mur de Berlin, la croyance aux « lendemains qui chantent » a perdu ses adeptes. Avec le communisme qui était hégémonique après la guerre de 40, les différentes formes de « progressisme » se sont dissipées.

    Selon Gilles Lipoveski, la « modernité » consistait à jouir de l’avenir, la « post-modernité » à jouir du présent (« nous voulons tout et tout de suite » proclamaient les soixante-huitards). Il est probable que ce déclin du « Progrès » comme valeur se prolongera dans les prochaines années, sauf succès idéologique du « transhumanisme » (mais il me semble que si les gens sont prêts à bénéficier des techniques, ils ne sont pas prêts à en faire une pierre d’angle sur laquelle bâtir leur vie).

    Pendant longtemps, la France a vécu dans une diarchie idéologique de type Don Camillo/Peppone : les conflits avaient été rudes (surtout vers le début du 20e siècle : séparation de l’Eglise et de l’Etat, expulsion des moines, affaire des fiches, etc.) ; mais, après la guerre de 14 – 18 ils s’étaient assoupis, à peine réveillés par la « guerre scolaire » au début du septennat de F. Mitterand.

    L’irruption d’une grosse immigration musulmane est venue modifier cette guerre de tranchée presque ritualisée. 

    Masse amorphe et minorité structurantes

    Sans doute les populations qui composent la France, dans leur immense majorité,  se contentent de vivre « habituellement » avec une conscience limitée des enjeux idéologiques qui n’affectent pas directement leur activité de producteurs, consommateurs, spectateurs.  Comme la limaille dans un champ magnétique, elles s’orientent en fonction des pôles  qui leurs sont les plus proches. Mais aujourd’hui, d’autant plus qu’il n’y a plus de modèle dominant, et que les acteurs sont atomisés sans échelle de valeurs communes, la régulation par le marché reste souvent seule pour orienter les comportements. C’était le destin que promettaient à la fin du XXe siècle – pour s’en réjouir ou pour le déplorer- ceux qui, devant la décrépitude des « grands récits » (religieux et idéologiques) annonçaient « la fin de l’histoire » dans une société confortable insignifiante, régie par une « démocratie procédurale » dépourvue de toute dimension tragique. Depuis pourtant, la prophétie attribuée à André Malraux (personne n’en connaît la source) : « le XXIe siècle sera religieux ou ne sera pas » semble être justifiée. Par ailleurs le consensus « à gauche » des intellectuels semble mis à mal (cf. Eric Zemmour, Michel Houellebecq, Maurice Dantec,  Philippe Muray,  Alain Finkielkraut, Michel Onfray,  etc.). Cette tendance se confirmera-t-elle les prochaines décennies ? C’est possible. 

    Trois pôles idéologiques

    Aujourd’hui et dans les prochaines années, trois pôles sont susceptibles de proposer un système cohérent de valeurs et un projet de société susceptible de structurer notre société : le pôle « catholique et français toujours », le pôle des « valeurs républicaines » et le pôle « islamiste ».

    - Le pôle « catholique et Français toujours ». Le vieux courant contre-révolutionnaire en est le noyau dur autour duquel se regroupent tous ceux pour qui la France est une réalité charnelle qui n’a pas commencé en 1789.  Ce courant est largement réactivé par les jeunes générations qui ont conservé une pratique religieuse (de la génération Jean-Paul II à La Manif pour tous).   Dans les années 60 à 80 les « progressistes chrétiens » avaient choisi l’enfouissement dans le monde et déconfessionalisaient les structures cléricales produisant la CFDT, la JOC et le deuxième gauche. Mais ce courant, encore largement représenté dans les structures officielles de l’institution ecclésiastiques, n’est pas parvenu à se reproduire. Le poisson dans l’eau a fondu laissant l’Eglise à ceux qu’ils nomment « les chrétiens identitaires » ou « décomplexés ».S’agglomèrent autour de ce mouvement de gros courants qualifiés de « populistes » qui peuvent regrouper des non-pratiquants, voire des athées, mais qui sont particulièrement sensibles à ce qu’on a appelé « la crise d’identité » (« on est chez nous »). 

    - Le pôle des « valeurs républicaines »  réactualise le vieux courant du « contrat social ». Il s’agit d’émanciper l’individu des déterminations qu’il n’a pas choisies : déterminations sociales, culturelles familiales voir « naturelles » (cf. la dénonciation des « stéréotypes de genre »).

    La nationalité française a pour fondement non pas l’appartenance à un groupe humain déterminé, mais l’adhésion aux grands principes du mouvement révolutionnaire : universalisme, égalitarisme, laïcisme… La France est moins la patrie des Français que celle des « droits de l’Homme » (avec un H majuscule).

    En théorie, toutes les institutions de la république sont fondées sur ces principes ; ses promoteurs sont regroupés dans un certain nombre de sociétés de pensée (comme le Grand Orient, La Libre pensée, l’Union Rationaliste ou quelque syndicat d’instituteurs). Toute les « clientèles » qui bénéficient des largesses de l’appareil d’Etat se doivent de tenir ce discours « politiquement correct » (ou « langue de bois »).

    Pendant quelques décennies on a voulu « achever » la révolution française par une « république sociale » qui traduirait dans la vie réelle les principes formels du régime (ce qui est loin d’être évident, cf. les travaux de Jean-Claude Michéa). Mais étant donné l’effondrement de la religion du Progrès et face aux échecs soviétique, maoïste ou cubain, « 1789 » est devenu le dernier bastion du mythe révolutionnaire (cf. par exemple les propos de Vincent Peillon). 

    Cette philosophie contractualiste s’accorde assez facilement avec l’externalisation des fonctions souveraines de l’Etat vers des instances supranationales (Union Européenne, OTAN, TAFTA , etc.). Elle sert aussi de fondement justificatif au libéralisme/libertaire. 

    - Le pôle islamiste : L’immigration de masse a amené en France des populations qui loin de leur cadre de vie coutumier se retrouvent en situation d’anomie. Les cités sont tout sauf des ghettos (par exemple : 56 nationalités au Val Fourré et plus encore d’ethnies différentes). L’Islam est le seul point commun à ces populations maghrébines, subsaharienne ou turques, la seule référence pour dépasser l’identité de la cage d’escalier. La confrontation à l’offre d’intégration par les « valeurs républicaines » et  la société « libérale/libertaire » a suscité une réaction identitaire qui se traduit par un renforcement de la pratiques religieuse (ou plutôt des pratiques puisque dans le sunnisme, il n’y a pas de clergé susceptible d’homogénéiser ces pratiques).

    Ce pôle est dominé par des influences étrangères (heureusement diverses : saoudiennes, qataries, marocaines, turques…) qui subventionnent les mosquées et fournissent les imams suivant des logiques qui n’ont pas grand-chose à voir avec le bien commun de la nation française. D’autre part, il est normal que les adeptes d’une religion de la Loi espèrent établir une société conforme à la chariah.  

    Naturellement, on trouvera de nombreux exemples qui échappent à cette typologie (serviteurs de l’Etat souverainistes, catholiques bretons militants au PS, ou maghrébins convertis au christianisme ou au laïcisme, aussi il faut comprendre ces trois pôles comme des « idéal-types » qui, à la façon de Max Weber, sélectionnent les traits les plus pertinents pour permettre un raisonnement qui dépasse  une vision atomisée et « nominaliste » de la société française.

    Les enjeux de ces affrontements  idéologiques sont surtout symboliques : voile dans les lieux publics, mariage gay, déchéance nationale…  Mais chaque pôle pourra se prévaloir d’une légitimité qui pourra entrer en concurrence avec les deux autres :

    • celle de l’identité et des traditions coutumières françaises,
    • celle des institutions légales,
    • celle de la jeunesse et d’un accroissement exponentiel.

    Il y a donc, à présent, non plus deux, mais trois projets de société, provoquant le durcissement de chaque « camp », une radicalisation réactionnelle. 

    Deux contre un…

    Quelles alliances sont possibles pour établir une hégémonie ?

    Cependant, aucun de ces trois pôles ne semble – à présent en tout cas -  en capacité de soumettre les deux autres.  Pour construire un socle hégémonique susceptible de fonder un consensus, il est donc nécessaire de suivre une stratégie d’alliance. Trois combinaisons sont possibles :

    1. La stratégie du « think tank » socialiste terra nova. Les « clientèles » suscitées par le contrôle des administrations ne suffisent pas à assurer l’avenir du PS. Il faut donc s’appuyer sur  les groupes  libertaires (minorités de « genre », anciens soixante huitards devenus « bobos »…) -d’où l’ouverture du front des « réformes sociétales »- et pourquoi pas libéral/libertaire( Emmanuel Macron) et d’autre part, il importe aussi de capter les voies des immigrés.  Le thème un peu usé de l’anti-racisme n’y suffit pas. D’où la ralliement au modéle d’une société multi-culturelle, quitte à faire quelques entorses aux principes de « laïcité » au grand dam des intégristes des « valeurs républicaines ».

    Dans cette optique, l’adversaire idéologique principal, le « fédérateur externe », c’est le courant « catholique et français toujours » qu’il faut diaboliser (fascisme, populisme, « guerre civile »…) et écarter des médias contrôlables (en attendant de trouver les moyens de contrôler les réseaux sociaux d’internet). Le roman de Michel Houellebecq Soumission donne une idée du scénario  auquel cette stratégie pourrait aboutir.

    2. La stratégie de la résistance identitaire.  Il s’agit de défendre la France « coutumière »  (« on est chez nous ») particulièrement contre l’immigration de masse. Mais cette position suscite dans le spectacle de médias dominants l’accusation infamante de xénophobie voire de racisme. Il s’agit donc de contrer la diabolisation en  se « justifiant » par le vocabulaire du « consensus légal » de l’idéologie des « valeurs républicaines (d’où par exemple la surenchère laïque et républicaine du Front National).  En outre, comme s’opposer à l’immigration de masse vous fera considérer comme « raciste », il est plus « correct » de tenir un discours contre l‘Islam analogue à celui du « petit père Combe » contre le catholicisme. Bien entendu, ce compromis stratégique soulève l’inquiétude des catholiques les plus traditionnalistes qui comprennent qu’avec ces positions ils ne pourront plus faire de processions ou exposer une crèche dans un espace publique.

    3. La stratégie des communautés en faveur de « l’ordre naturel ». Les attaques frontales contre les « cathos » : lois « sociétales » (mariage des invertis, facilitation du divorce et de l’avortement, euthanasie, théorie du genre) n’ont pas seulement choqué les tenants du pôle « catholique et français toujours» mais aussi des musulmans qui partagent en partie les valeurs des premiers. En particulier pour des populations déracinées, la famille reste une ressource parfois vitale et un des rares moyens de trouver un sens à la vie.  Cette stratégie n’a (pas encore) de traduction électorale mais des indices montre qu’elle est envisageable. Ainsi des groupes musulmans qui ont défilé avec les « cathos » de « La Manif pout Tous». Ainsi de mouvements comme Fils de France de Camel Bechick ou la résistance scolaire de Farida Belghoul. Très populaires dans les milieux issus de l’immigration, Alain Soral (« droite des valeurs, gauche du travail ») et Dieudonné se sont illustrés dans ce positionnement qui se sert de « l’antisionisme » comme fédérateur externe unissant catholiques identitaires et musulmans. Là encore, la coalition ne va pas sans difficultés puisque les musulmans fondamentalistes considèrent les « croisés » comme des mécréants alors que les catholiques traditionalistes rêveraient de Charles Martel ou d’Isabelle la catholique… 

    Dans quinze ans, sauf victoire décisive d’un de ces pôles qui établirait une « hégémonie », je ferais le pari que la situation idéologique de la France demeurera aussi  instable, donnant lieu à des retournements d’alliance multiples, à d’autres bricolages idéoogiques et à des discours qui ne traduiront (quand ils ne les trahissent pas) que très imparfaitement les convictions des différents familles d’esprit qui composent la France.

    Le consensus social  risque donc d’être réduit,  instable et chaotique. 

     

  • Vidéo • « La diplomatie française : tradition et rupture », entretien du Cercle Henri Lagrange avec Roland Dumas

     

    Un entretien en tous points remarquable du Cercle Henri Lagrange* avec Roland Dumas, avocat, ministre des Relations extérieures de 1984 à 1986 et des Affaires étrangères de 1988 à 1993, président du Conseil constitutionnel de 1995 à 2000. Un document exceptionnel qui traite - sous les divers angles de la géopolitique mondiale - des intérêts majeurs de la France et de la diplomatie qu'il conviendrait de conduire pour les servir.  LFAR

     

    54 minutes

    Source : Action française

    Les entretiens du Cercle Henri Lagrange

  • Jacques Sapir : « Pour sortir de la situation de décomposition politique dans laquelle nous nous trouvons »

    Petit précis de décomposition politique

    Brexit, loi El Khomri, crise agricole, primaire…

    Sous ce titre, c'est une réflexion très intéressante que Jacques Sapir a donnée dans son blog [28.02], à la fois sur notre situation économique, sur la position de la France au sein de l'Europe, sur l'état de l'Union Européenne et de l'Euro, enfin sur le spectacle de décomposition accélérée qui affecte notre système politique. Et qui n'est d'ailleurs pas que spectacle, mais surtout réalité. L'analyse de Jacques Sapir nous intéresse à titre particulier. Nous aurions envie de dire qu'il la mène à la maurrassienne. Se défiant des partis, du Système, et en appelant en quelque sorte à la mobilisation du Pays réel, plutôt qu'à celle des politiques. A vrai dire, nous doutons beaucoup que le processus qu'il imagine et appelle de ses vœux pour que nous sortions « de la situation de décomposition politique dans laquelle nous nous trouvons » puisse réellement se développer dans le cadre du Système qui nous enserre. Pour nous, sans rupture avec notre actuel système de démocratie formelle, rien, en fait, ne se fera de décisif. Jacques Sapir ne va pas jusque là. Mais il y tend. Ce qui nous paraît déjà beaucoup.   LFAR    

     

    JacquesSapir.jpgLe désenchantement vis-à-vis du « rêve » européen perceptible sur l'ensemble du continent s'accompagne, en France, d'un spectacle de décomposition accélérée offert par le PS et Les Républicains.

    L’une des caractéristiques de la situation actuelle est le désenchantement vis-à-vis du « rêve » européen. L’Europe, et en particulier sous sa forme de l’Union européenne, ne fait plus rêver. Elle inquiète et elle fait même peur. Le « rêve » s’est transformé en cauchemar, d’Athènes à Paris, en passant par Rome, Lisbonne et Madrid. Les causes en sont multiples : chômage de masse, politiques d’austérité à répétition dont le poids est toujours porté par les mêmes, mais aussi montée des réglementations liberticides et des détournements de souveraineté, enfin des comportements scandaleux à l’échelle internationale comme on peut le voir dans la gestion calamiteuse de la question des réfugiés ou dans l’alignement sur la politique états-unienne avec le soutien apporté, de fait, aux néo-nazis qui sévissent à Kiev. Ce désenchantement se traduit par la montée des remises en cause de l’Union européenne, dont le débat sur une sortie possible de la Grande-Bretagne (ce que l’on appelle le « Brexit ») est l’un des exemples. Il provoque en retour la crise ouverte des élites politiques, et en particulier en France où la « construction européenne » avait depuis longtemps quitté le domaine de la raison pour entrer dans celui du dogme religieux. C’est ce qui explique le spectacle de décomposition accélérée que donnent les deux partis anciennement dominant de la vie politique française, le Parti « socialiste » et l’ex-UMP rebaptisé « Les Républicains ».

    Un PS incapable de faire le tri entre l’essentiel et l’accessoire

    Cette décomposition est aujourd’hui une évidence au sein du P« S ». La tribune co-signée par Mme Martine Aubry et quelques autres, tribune dont on a déjà parlé, en est l’un des symptômes [1]. Dans cette « rupture », qui semble bien aujourd’hui actée [2], entre deux lignes que pourtant tout rapproche et en particulier leur européisme, ce sont les querelles d’égo qui ont d’abord parlée. Et ceci est symptomatique d’une décomposition politique quand on n’est plus capable de faire le tri entre l’essentiel et l’accessoire, ou que l’on en vient à considérer les questions de personnes comme essentielles. De fait, la cohérence du gouvernement, et des partis qui le soutiennent, est déterminée par le vote du Traité sur la stabilité, la coopération et la gouvernance (le TSCG [3]), vote qui fut obtenu en septembre 2012 [4]. Ce Traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance, contient en réalité trois mensonges pour le prix d’un. Quelle stabilité, quand on voit dans le rapport récent du FMI [5] que les mêmes mécanismes qui ont été mis en œuvre depuis 2010 n’ont fait qu’aggraver la crise ? Quelle stabilité encore quand on voit la dépression que connaissent les pays en crise ? Parler de stabilité est ici un mensonge flagrant. Quelle coordination, encore, quand on sait qu’il n’y a de coordination qu’entre des agents libres et des Etats souverains, alors c’est à une autorité hiérarchique que l’on a affaire, et qu’il n’y a dans ce traité qu’asservissement à des agences dites indépendantes ? J’écrivais en octobre 2012 : « Ce Traité organise en fait le dépérissement de la démocratie en Europe avec la fin de l’autorité suprême des Parlements nationaux en matière budgétaire. Or, il faut s’en souvenir, c’est par le consentement à l’impôt que commence la démocratie. » [6]

    Quelle gouvernance, enfin, dans un Traité qui s’est avéré inapplicable et qui n’a pas eu d’autres fonctions que d’être violé à peine signé ? Mais ce traité désastreux a bien été l’inspiration des diverses mesures prises par François Hollande et ses divers gouvernements. C’était ce traité qu’il fallait combattre et non pas pleurer sur ses conséquences. Ceci ne rappelle que trop cette célèbre phrase de Bossuet qui s’applique, hélas, parfaitement à cette situation : « Mais Dieu se rit des prières qu’on lui fait pour détourner les malheurs publics, quand on ne s’oppose pas à ce qui se fait pour les attirer. Que dis-je ? Quand on l’approuve et qu’on y souscrit, quoique ce soit avec répugnance ». [7]

    Entre Fillon, Juppé, Le Maire et Sarkozy, où sont les différences ?

    Mais, la décomposition sévit aussi dans l’opposition. La « primaire » que les « Républicains » veulent organiser n’est pas seulement une injure aux institutions, dont ce parti devrait, de par ses origines, être le meilleur défenseur. Elle se traduit par une surenchère de petites phrases, des postures dont raffolent certains dirigeants politiques, le verbe haut et les coups bas. Car, entre MM. Fillon, Juppé, Le Maire et Sarkozy, où sont les différences ? Un peu plus ou un peu moins d’austérité ? Quelques cadeaux en plus ou en moins pour le Medef ? Le jeunisme brouillon contre la calvitie couverte d’erreurs ? Ce sera, toujours, le même alignement sur Bruxelles, sur l’Union européenne et sur l’Allemagne. Il faut espérer qu’une voix se lève pour faire entendre un autre discours. Mais, en attendant, nous avons droit au même spectacle que celui donné par les « Solfériniens ».

    Enfin, des histrions proposent des candidatures de fantaisies, comme celle de Nicolas Hulot, sans se soucier du programme qui pourrait la sous-tendre. Cette focalisation sur des personnalités est bien la preuve que nous sommes dans un espace politique complètement décomposé.

    Le dilemme européen : la déflation ou la disparition

    Pourtant, l’heure est grave. La situation de la France n’a d’égal que la crise que connaît l’Union européenne. Il suffit de lire ce qu’écrit un auteur « européiste », mais pourtant lucide, pour s’en convaincre [8]. Car cette crise qui perdure a une origine. Cette destruction de l’ensemble du cadre économique et social que nous connaissons en France vient de ce que l’euro favorise ou impose dans les différents pays membres. Mais, elle découle aussi du cadre politique implicite qui se met en place à propos de l’euro dans les pays de la zone euro. Aujourd’hui, la plupart des Européens sont désormais conscients des effets négatifs sur l’économie de la monnaie. On sait ce qu’elle entraîne, et ce qui était prévisible depuis près de dix ans [9] : croissance faible et montée du chômage. La crise de la zone euro est désormais une évidence, même pour les idéologues les plus bornés. Aucun des problèmes fondamentaux posés dès l’origine n’a été résolu, et leurs effets désormais s’accumulent. Les solutions partielles qui ont été proposées, et présentées comme des avancées historiques vers une Europe fédérale, posent en réalité bien plus de problèmes qu’elles n’en résolvent. La zone euro n’a plus d’autre choix que de s’engager toujours plus dans une politique de déflation, dont les conséquences cumulées sont redoutables pour les peuples des pays qui la composent, ou de disparaître.

    L’attractivité de l’euro mais aussi de l’Union européenne est en train de s’effacer. La faute en revient aux politiques d’austérité qui ont été mises en œuvres ouvertement pour « sauver » l’euro, c’est-à-dire pour résoudre la crise des dettes souveraines. Or, ces politiques ont plongé les pays qui les ont appliquées dans des récessions très profondes [10]. Il faudra que très rapidement les dirigeants des différents pays en prennent acte et soit trouvent des thèmes susceptibles de refonder cette attractivité, soit comprennent que l’on ne peut durablement faire vivre des institutions contre la volonté des peuples.

    Pour des Comités d’action de la révolte sociale

    Les quolibets et les insultes que le président de la République a subis au Salon de l’agriculture le matin du samedi 27 février sont exemplaires de l’exaspération d’une profession, mais au-delà des Français. Or, les problèmes de l’agriculture française, dont les sources sont multiples et où le rôle de la grande distribution est à signaler, seraient largement réduits si une différence de 40% s’établissait entre le franc retrouvé et le deutsche mark. Cela correspond à ce que donnent les calculs dans le cas d’une dissolution de la zone euro, soit une dépréciation de 10% pour le franc et une appréciation de 30% pour le DM. Notons encore que c’est l’Union européenne qui s’oppose à la signature d’accords garantissant les prix d’achat aux producteurs, au nom du sacro-saint respect de la « concurrence libre et non faussée ». Le gouvernement français aurait parfaitement les moyens de régler cette crise en jouant sur les prix et non par des suppressions de cotisations, qui ne sont que des palliatifs temporaires.

    La montée de l’exaspération populaire est aujourd’hui palpable, et sur l’ensemble des terrains. C’est ce qui explique le retentissement des manifestations du Salon de l’agriculture le 27 février. De la calamiteuse « loi Travail » à la situation dramatique des agriculteurs, de la révolte des enseignants contre la réforme du collège et le discours de l’Education nationale à la casse des services publics et de l’esprit public (avec son corollaire, la laïcité) sur l’ensemble du territoire, il est temps que ces diverses colères trouvent leur débouché politique. Ce débouché ne peut être qu’une position radicalement opposée à l’euro et renvoyant l’Union européenne à une réforme immédiate. Ce débouché doit prendre la forme d’un rejet immédiat des deux partis, le P« S » et les « Républicains » dont la cogestion de la France au sein de l’idéologie européiste a produit la situation actuelle. Cela impose de dire haut et fort que nous ne voterons en 2017 ni Hollande, ni Aubry, ni aucun des clones que nous produira cette « gauche » déshonorée, ni pour Juppé, ni pour Sarkozy, ni aucun de ces clowns issus de la matrice européiste.

    Cette convergence des luttes doit s’organiser, si possible avec l’aide des syndicats, ce qui serait naturellement souhaitable, mais s’il le faut sans eux. Un grand mouvement de Comités d’action de la révolte sociale est possible. Ces comités doivent avoir deux principes directeurs : la volonté de faire converger les luttes et le rejet clair et sans ambiguïté du cadre européen avec la volonté affirmé de retrouver notre solidarité. Telle pourrait être la meilleure sortie possible de la situation de décomposition politique dans laquelle nous nous trouvons. 

     

    1. Voir Sapir J., « L’indécence et l’impudence de la tribune de Martine Aubry » note publiée le 26 février in RussEurope, http://russeurope.hypotheses.org/4746
    2. http://www.lefigaro.fr/politique/le-scan/2016/02/28/25001-20160228ARTFIG00072-martine-aubry-et-ses-proches-annoncent-leur-retrait-de-la-direction-du-ps.php
    3. Voir le Traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance, dit TSCG, URL :http://www.consilium.europa.eu/media/1478399/07_-_tscg.en12.pdf
    4. Voir Sapir J., « Honneur au Soixante-dix », note publiée le 9 octobre 2012 sur RussEuropehttp://russeurope.hypotheses.org/266
    5. http://russeurope.hypotheses.org/253
    6. http://russeurope.hypotheses.org/266
    7. Bossuet J.B., Œuvres complètes de Bossuet, vol XIV, éd. L. Vivès (Paris), 1862-1875, p. 145. Cette citation est connue dans sa forme courte « Dieu se rit des hommes qui se plaignent des conséquences alors qu’ils en chérissent les causes ».
    8. Fazi T., « Why The European Periphery Needs A Post-Euro Strategy », 25 février 2016, https://www.socialeurope.eu/2016/02/bleak-times-ahead-for-the-european-periphery/
    9. voir J. Bibow, (2007), ‘Global Imbalances, Bretton Woods II and Euroland’s Role in All This’, in J. Bibow et A. Terzi (dir.), Euroland and the World Economy: Global Player or Global Drag?, New York (N. Y.), Palgrave Macmillan, 2007.
    10. Baum A., Marcos Poplawski-Ribeiro, et Anke Weber, (2012), « Fiscal Multipliers and the State of the Economy », IMF Working papers, WP/12/86, FMI, Washington DC. Blanchard O. et D. Leigh, (2013), « Growth Forecast Errors and Fiscal Multipliers », IMF Working Paper, WP/13/1, FMI, Washington D.C. 

    le blog de Jacques Sapir

  • Bienvenue à l'orthographe simplifiée ! Un point de vue original de Péroncel-Hugoz

     

    Par Péroncel-Hugoz

    Partisan d'un mixte tradition/modernité, Péroncel-Hugoz ne s'offusque pas de la réforme de l'orthographe lancée par Paris, mais il donne un coup de dent à ces Français qui ont omis de consulter les autres francophones ... On s'étonnera - ou même on s'indignera - peut-être de sa position. Toutes réflexions faites, elle a pourtant sa logique. Il n'est pas si sûr qu'elle contredise sur le fond celle adoptée par l'Académie française dans son communiqué du 5 février dernier. Au besoin on s'y reportera, on le lira attentivement. En tout cas, le cas échéant, on en débattra ... LFAR

     

    peroncel-hugoz 2.jpgTempête bien parisienne, frivole et paradoxale, que celle qui agite, cet hiver, le microcosme intello de la « Ville-Lumière » ... Figurez-vous que le régime socialiste a décidé de tenir enfin une promesse de ... 1990 ! La simplification, la mise à jour de l'orthographe française sera donc en vigueur à la prochaine rentrée dans l'Hexagone. 

    Je connais un peu cette affaire car, à cette époque, je suivais pour Le « Monde » les affaires francophones et donc les activités de l'académicien et téléaste Alain Decaux qui, guère « socialo » mais patriote, avait accepté d'être ministre délégué à la Francophonie dans un cabinet Michel Rocard (1988-1991). Decaux veillait avec attention sur cette Francophonie, lancée en 1970 par le gaulliste André Malraux et qui avait attiré plusieurs dizaines de nations « ayant le français en partage », dont le Maroc et la Tunisie (mais pas l'Algérie)*. 

    Pensant aux écoliers du monde entier, Decaux avait, par raison, approuvé le projet de réforme, comme son collègue académicien Maurice Druon, grand ami du roi Hassan II et membre de l'Académie du Maroc. Druon fut à l'origine de l'entrée dans le Dictionnaire de l'Académie française de nombreux mots venus du Sud, comme "Chambellanie" (forgé et utilisé au Maroc) ou "Essencerie" (créé au Sénégal pour remplacer l'affreux « Station-Service »). 

    Moi-même, avec les encouragements de Druon et Decaux, j'apportai ma petite pierre à l'édifice en publiant en 1990 un de mes livres de voyage (« Villes du Sud », où je traite notamment de Tanger et Asilah) avec l'orthographe simplifiée. Ce que je ne fis pas pour les ouvrages suivants car, entre-temps, la France officielle avait enterré cet utile projet linguistique ... 

    Aujourd'hui le Tout-Paris pensant polémique sur cette réforme ressuscitée et la tendance mondaine dominante est, pour l'instant, de la boycotter ... Ecoutons plutôt cette haute figure de la vie culturelle française actuelle, l'académicien Marc Fumaroli**, esprit dynamique et jamais conformiste, pourfendeur sans pitié du « fanatisme égalitariste » de la République française socialiste et dénonciateur impayable de l'«Art-Fric » qui s'est greffé, comme un parasite, sur la Mondialisation financière ... 

    Donc écoutons M. Fumaroli, en particulier dans « Le Figaro » du 12 février 2016 : « L'alarme suscitée par l'application d'une réforme très prudente de la langue française est très excessive et mal informée. Ce texte modeste, modéré, savamment médité, "de droite" aimerions-nous dire, fut approuvé [en 1990] par l'Académie. Il n'est jamais entré en vigueur, sans doute sous la pression du maximalisme de syndicats de gauche ». Sous les rois de France qui, à partir de François Ier (1515-1547), rendirent obligatoire la langue française dans la vie publique du Royaume des Lys, au moins trois grands amendements de l’idiome national eurent lieu sans drame. 

    Je ne vous en dirai pas plus, chers suiveurs curieux de connaître cette réforme, car vous pouvez en trouver tous les traits sur le Net. Vous y verrez que ledit projet n'a rien de révolutionnaire et ne concerne que 2.400 mots des 35.000 du français courant. 

    Vous apprécierez sans doute la disparition de l'inutile accent circonflexe sur « paraître » ou « maîtresse » - mais pas sur « mûr» ,  « sûr » ou « dû » afin d'éviter la confusion avec « mur », « sur » et « du ». Vous pouvez supprimer certains traits d'union sans utilité et écrire désormais « millepattes » ou « weekend ». Et le reste à l'avenant. 

    Le seul reproche que les francophones non français (soit environ 200 millions de locuteurs quotidiens des cinq continents) pourront faire à bon droit à cette réforme de 1990-2016, c'est que les linguistes français, sauf exception, l'ont élaborée entre eux, sans beaucoup se soucier de l'avis des francophones hors de France. La langue française est certes née en France mais son expansion mondiale, peu à peu depuis le XVIe siècle, a fait que l'idiome de Balzac et Houellebecq est devenu aussi celui de Léopold Senghor (Sénégal), Antonine Maillet (Quebec) ou Driss Chraïbi (Maroc, "Le passé simple", 1954). 

    Bon vent quand même à la réforme, qui de toute façon, ne rend pas caduque l'orthographe actuelle, laquelle va rester en vigueur sine die, afin que chacun puisse appliquer les nouveautés à son rythme, Inchallah ! Mais si certains Etats francophones, vexés par la désinvolture parisienne, décident de ne pas appliquer la réforme on risque d'avoir bientôt deux orthographes, l'ancienne et la réformée ... 

     

    * En 2016, l'Organisation internationale de la Francophonie (OIF), siège à Paris, est dirigée par une Haïto-Canadienne et groupe environ 70 Etats, en comptant les observateurs. 

    ** Ayant passé sa jeunesse à Fez et Meknès, M. Fumaroli a montré son attachement au Maroc en préfaçant volontiers, en 2014, "Meknès 1950", intéressant ouvrage collectif composé par d'anciens Meknassis (collection Xénophon, dirigée par le natif de Salé Alain Sanders). 

    Lire : "Le tapis rouge", par Alain Decaux, de l'Académie française, Perrin, Paris, 1992.

    Péroncel-Hugoz

    Repris du journal en ligne marocain le 360 du 26.02.2016

  • TV : un week-end bien pauvre

     

    par Nicolas Julhiet 

    Pas de Ce soir ou jamais, un simple best-of d’On est pas couché… Où donc trouver du clash et du sang, à la télévision française, entre journalistes, essayistes et politiques ?

    Samedi : Claude Askolovitch recevait Nicolas Dupont-Aignan sur iTélé. La mine grave, comme à son habitude, le président de Debout la France réagissait à propos de la crise agricole. Un thème de circonstance en raison du salon de l’agriculture, qui se tient en ce moment à Paris, et au cours duquel François Hollande a été quelque peu bousculé. NPA s’en est pris violemment à… tout le monde. FNSEA, État français, Commission européenne, Bruno Le Maire, Nicolas Sarkozy etc. Tous sont, pour le député de l’Essonne, responsables de la crise qui touche les agriculteurs français. Seule la Coordination rurale trouve grâce à ses yeux, le « seul vrai syndicat » selon ses mots. Ça tombe bien, vous pouvez lire une interview de leur président sur notre site internet ici.

    Dimanche : Éric Zemmour débattait avec Jean-Christophe Cambadélis sur BFM-Tv dans l’émission animée par Apolline de Malherbe. Deux bretteurs, incarnant à la perfection leur courant de pensée, s’affrontent pendant trente minutes sur un ton courtois, mais vif. Si l’essayiste semble fatigué au début, il devient inarrêtable à mesure que le débat avance. On le voit même trépigner sur sa chaise. L’adrénaline, sûrement. Il faut dire que ses coups font mouche à chaque fois. Ce jour-là, le secrétaire national du PS n’a pas grand-chose  dans les gants : il finit KO assez rapidement. Eric Zemmour s’est même fendu de quelques formules pas vraiment politiquement correct en expliquant, sans ciller, que « le grand remplacement est une réalité » ou que « l’islam n’est pas compatible avec la République ». Éparpillé façon puzzle, le Cambadélis !

    Dimanche toujours : Composition d’invités improbable sur le plateau d’Ali Baddou, animateur du Supplément de Canal +. Guillaume Peltier, droite forte des Républicains, Peter Thiel, cofondateur de Paypal, milliardaire de la Silicon Valley et promoteur du courant libertarien et… Matthieu Delormeau, victime désignée de toutes les blagues potaches de Touche pas à mon poste de Cyril Hanouna sur D8. L’émission ouvre avec un reportage sur deux jeunes français, parisiens, partis aux États-Unis intégrer l’équipe de campagne de Bernie Sanders pour la primaire démocrate. En France, ils ne trouvaient aucun politique à soutenir… « Sauf Nicolas Hulot », explique l’un des deux jeunes. Qui les blâmera ? S’ensuit une nouvelle chronique sur les coulisses de la prochaine présidentielle française. Il est surtout question de Valls, Macron, Hollande… Du réchauffé. Puis, pour se faire peur, les journalistes sont allés à la rencontre de Jean-Marie Le Pen. Le « menhir » présente son projet : un livre sous la forme d’un abécédaire. Oui, « détail » et « holocauste » seront dedans. Ca promet ! Le reste de l’émission est consacré aux invités du jour. Guillaume Peltier fait du Guillaume Peltier, Peter Thiel assure la promotion de son livre De zéro à un : comment construire le futur. Matthieu Delormeau s’explique sur son rôle de bouffon à la télévision, lui l’ancien d’HEC et patron d’une société de production. L’intérêt général est compris entre zéro et un.   

     

  • « Maurras pas mort ! Reportage sur l’Action française »... vue par Daoud Boughezala sur Causeur

     

    L'article qui suit est paru dans Causeur - version papier et version numérique. [29.02]. Nous le reprenons intégralement y compris le tableau des « neuf dates qui ont fait l’AF » et les notes. L'Action française que Daoud Boughezala décrit ici n'est pas le tout de l'Action française, même si elle en est la part la plus voyante et la plus remuante. Le quotidien régional La Provence dirait avec malveillance : « la plus tapageuse ». C'est qu'elle en est aussi - ce qui n'enlève rien à ses mérites, ni à ses devoirs - l'élément le plus jeune. Et qu'elle peut donc en être l'avenir si Dieu ou les circonstances lui prêtent vie, durée et expansion. Il n'y a pas d'antipathie dans le tableau, en effet plutôt disparate - qu'en brosse Causeur. Sans-doute quelques inexactitudes ou approximations. La première et jeune Action française - au moins en son printemps décrit par Paugam - a été aussi diverse et bouillonnante. Elle est devenue, a été, le grand mouvement qui a marqué son siècle. A ses juges de Lyon, des juges assez indignes, Maurras avait lancé en conclusion de son procès : « J'ai mes livres, j'ai mon œuvre, j'ai mes disciples, j'ai l'avenir devant moi. »  Souhatons à notre pays, aujourd'hui tristement à la dérive, que la suite lui donne raison.  Lafautearousseau  •

     

    « Causeur, c’est très bien ! Je pensais que c’était un repaire de vieux droitards réacs mais j’ai beaucoup aimé votre dernier numéro, que j’ai acheté avec Society » Venant d’un militant d’Action française, le compliment ne manque pas de sel. Affublé d’un t-shirt « 0 % hipster », du haut de ses 21 ans, Louis se dit « anarcho-royaliste » et m’exhibe sa dernière lecture : l’essai de Pablo Iglesias, penseur de charme du parti espagnol Podemos classé à la gauche de la gauche.

    On m’avait prévenu. Un reportage sur les jeunes d’Action française s’annonce forcément foutraque puisque le mouvement que Charles Maurras a dirigé quarante ans durant ne se définit ni comme un parti ni comme une idéologie. Un vieux de la vieille me glisse même : « Du temps de mon père et de mon grand-père, c’était formidable : on était monarchiste sans prétendant, catholique sans pape (NDLR : l’Action française a été excommuniée par le Vatican en 1926 puis récusée par les Orléans en 1937). Des sortes d’anars maurrassiens ! »

    On trouve de tout à l’AF

    Officiellement adeptes du « ni droite ni gauche » en raison de leur « nationalisme intégral », les camelots du roi n’appartiennent pas moins à la grande famille de la droite de la droite, et souffrent de la réputation sulfureuse de leur mentor Maurras. Il faut bien avouer que le maître de Martigues, par ailleurs germanophobe et opposé à la collaboration, a commis une faute indélébile à mes yeux : cautionner l’antisémitisme du régime de Vichy tandis que nombre de ses émules résistaient ou combattaient au sein de la France libre*.

    De nos jours, comme jadis à la Samaritaine, on trouve de tout au siège parisien de la formation monarchiste, sis 10, rue Croix-des-Petits-Champs : des cathos tradis, des conservateurs bon teint, des libéraux nostalgiques de l’Ancien Régime, une poignée d’« identitaires », de rares « royalistes libertaires », quelques juifs rassurés par la renonciation du mouvement à « l’antisémitisme d’État » et même… un musulman vegan. Par-delà leurs divergences, ces amoureux de la fleur de lys s’emploient à la préparation des conférences dans une atmosphère de franche camaraderie. Le contraste entre le capharnaüm sans nom du lieu et leur supposé culte de l’ordre saute aux yeux du visiteur. Si ce n’est pas la maison bleue, ça y ressemble un peu : « Ici, tout le monde vient comme il est. L’Action française a toujours refusé le port de l’uniforme, alors que dans les années 1930, tous les mouvements politiques, y compris la SFIO, imposaient leur tenue réglementaire », s’amuse Arnaud Pâris, secrétaire général adjoint de l’AF. Lucien, chef de l’Action française étudiante, renchérit : « Chez nous, il n’y a pas de catéchisme. On a toujours eu à la fois une tendance libérale incarnée par Bainville, le chroniqueur diplomatique et économique de L’AF qui s’opposait en tout point aux positions socialisantes d’un Valois. Cette diversité ne me pose aucun problème car notre but commun est de faire sacrer le roi avant de nous effacer. » Partisans d’une monarchie décentralisée au gouvernement autoritaire, sans Parlement élu mais nantie d’assemblées locales, les membres de l’Action pourfendent le « pays légal » jacobin et en appellent toujours au « pays réel », à l’image de Jérémy, jeune vendeur marseillais de fruits et légumes : « Nos us et coutumes ne sont pas du tout les mêmes que celles des gens du Nord. Il est anormal que la République impose les mêmes normes partout ! »

    Génération Maurras et manif pour tous

    À Paris comme en province, dans chaque cercle d’AF, se reproduit en tout cas le même rituel** : « Chaque vendredi, on vend le journal L’Action française puis on organise des conférences et on mange ensemble entre camelots », raconte Jeanne, 16 ans, lycéenne lyonnaise tombée dans le maurrassisme comme Obélix dans la marmite, c’est-à-dire dès sa plus tendre enfance du fait de ses racines familiales roycos-cathos.

    L’« Inaction française » dont se gaussait l’écrivain fasciste Lucien Rebatet dans les années 1940 serait-elle rajeunie et ragaillardie ? Minute papillon. Il est loin le temps où Jacques Lacan écrivait une lettre enthousiaste à Maurras, et où des personnalités telles que Pierre Messmer, Michel Déon ou Claude Roy usaient leurs fonds de culottes sur ses bancs. La dernière portée d’intellectuels et de pamphlétaires d’AF s’en est allée loin de la maison mère, comme le rappellent les affiches-reliques de la « Génération Maurras » – qui s’autobaptisa ainsi par opposition à la « Génération Mitterrand » – aujourd’hui composée de quadras souvent en délicatesse avec leurs premières amours. Ainsi le journaliste et écrivain Sébastien Lapaque, brillant exégète de Bernanos qu’on peut lire dans Marianne et Le Figaro, figure-t-il désormais au nombre des amis officiels de l’économiste martyr de Charlie, Bernard Maris. Le bougre a même droit à son rond de serviette cathodique depuis qu’il a donné des gages à la gauche institutionnelle. « On le savait antilibéral comme nous, mais il va trop loin », se désole-t-on à l’état-major du mouvement. Si on l’avait congelé puis ressuscité tel Hibernatus, un camelot des années 1990 ne reconnaîtrait plus ses camarades de la Génération Maurras que les années ont dispersée.

    Afin de m’aider à y voir plus clair, un intellectuel revenu du maurrassisme me souffle : « Depuis des décennies, l’Action française est tiraillée entre le poids des glorieux devanciers (Maurras, Daudet, Bernanos, Boutang) et la nécessité de se réinventer. Résultat : les militants veulent tuer le père mais restent prisonniers de l’idéologie maurrassienne. Cette contradiction engendre des crises chroniques qui débouchent sur des scissions tous les quinze ou vingt ans. » Régulièrement, des jeunes d’AF tentent de sortir du carcan maurrassien en élargissant leurs références et leur public, à l’image des fondateurs des revues Réaction (début des années 1990) et Immédiatement (de 1997 à 2003), qui n’hésitaient pas à citer Debord, Baudrillard ou Orwell. Rétrospectivement, l’expérience éditoriale de la Génération Maurras n’a pas profité au développement de l’AF, laquelle a connu une série de bisbilles, entraînant scissions et départs en série dans les années 1990 et 2000. « Tous les quinze ans, des tocards prétendent faire du neuf, se prennent pour Maurras ou Daudet, scissionnent, le tout en se revendiquant du canal historique ! », s’agace Pierre-Charles, 25 ans.

    Malgré les querelles d’egos, l’Action française semble, sinon renaître de ses cendres, du moins connaître un certain frémissement à la suite de la Manif pour tous, dans laquelle les militants d’AF s’engagèrent corps et âme. Ana, jeune juriste transfuge du villiérisme, a par exemple découvert l’AF en 2013, « pendant les parties de cache-cache entre jeunes qui restaient après les ordres de dispersion des manifs ». Une adhésion d’abord motivée « par l’affect » avant que la jeune fille se forme, lise et assiste à des conférences. Ce genre de parcours est monnaie courante chez les roycos : on commence par suivre son instinct, puis l’on rationalise ses convictions en suivant une solide formation doctrinale.

    Signe des temps, Louis l’anarcho-royaliste éloigné de l’Église, Sami le musulman vegan franco-vietnamo-marocain et Gabriel le maçon normand ont tous trois fréquenté les cortèges de la Manif pour tous. Véritable OVNI rue Croix-des-Petits-Champs, Sami, 26 ans, docteur en informatique, accumule les paradoxes : né d’un père vietnamien et d’une mère marocaine, il pratique l’islam mais critique la tendance des musulmans « à pleurnicher en se plaignant de l’islamophobie » et rejette la démocratie tout en dénonçant le piétinement de la vox populi après le 29 mai 2005. En bon maurrassien, ce zélote d’Allah reconnaît la nature catholique de la France. Ses parents « faiblement politisés » lui ont inculqué le culte de l’ordre, notamment à travers le confucianisme, une doctrine fondée sur le principe de hiérarchie. « Comme dans la pensée de Maurras, chacun doit être à sa place, la famille, l’individu et la corporation. » Parisien d’adoption né de parents catholiques plutôt de droite, son camarade Louis loue à son tour la « politique naturelle » maurrassienne avant de rêver d’un roi « qui permettrait la réappropriation populaire des moyens de production et de la propriété ». De Marx à Maurras en passant par Proudhon, son panthéon est décidément « 0 % hipster » !

    L’AF, ce n’est pas seulement de jeunes étudiants intellectuellement bien formés. Aux quatre coins de la France, on y croise également des ouvriers, employés et commerçants. Au fin fond du Perche, Gabriel a créé un cercle dans son village de 600 habitants. Ce trentenaire ancien scout d’Europe, catholique convaincu, « brosse un rayon de 50 kilomètres autour de chez lui », où affluent « agriculteurs, un prêtre, un militaire, un prof, un polytechnicien retraité ». Bref, « pas de notables qui se la pètent » plastronne-t-il avant de pester contre la République née du sang des victimes de la Terreur. Grâce à l’Action, il a acquis une « structure de pensée » catho-royaliste cohérente, sauf à considérer la religion du Christ comme celle de l’amour universel. « Ici, tout le monde vote FN, on ne veut pas de n… et de b… », profère-t-il sans craindre la sortie de route raciste.

    D’un militant l’autre, on passe d’une culture de haut vol à des réflexions d’une indigence crasse. L’Action française ne serait-elle qu’un mouvement d’extrême droite ripoliné par une érudition bon teint ? La vérité est complexe. Pour avoir fréquenté toutes les familles politiques de la droite, le franco-polonais Lucien m’assure : « Par rapport au milieu faf (NDLR : France aux Français), on a un pied dehors, un pied dedans. » Pour être précis, la grande majorité des camelots cultive une approbation teintée de méfiance à l’égard du Front national. Il n’y a guère que les anarcho-royalistes de stricte obédience comme Louis pour trembler devant la société de surveillance « avec des caméras, la police et l’armée partout » qu’instaurerait Marine Le Pen sitôt parvenue à l’Élysée… et opter pour l’abstention. Quant à la politique d’immigration, Louis se contenterait volontiers d’une simple application de la loi,

    Électeur frontiste critique, Pierre-Charles me certifie au contraire que le Front national regorge de militants « maurrassiens, consciemment ou non ». À en croire ce petit-fils de camelot dont la langue châtiée n’a d’égale que les manières aristocratiques, il y aurait d’un côté la ligne « rad-soc marxisante » de Marine Le Pen et Philippot, de l’autre le courant catholique « royaliste de cœur, républicain de raison » des Bruno Gollnisch et Marion Le Pen. À rebours de nos élites politiques, la jeunesse d’AF juge le Front trop républicain et démocrate pour être honnête ! « Le système républicain fait que même s’ils tiennent leurs promesses, les élus du Front resteront un nombre d’années limitées au pouvoir. L’opposition va les calomnier, contrarier leur action et on reviendra à la lutte des partis », prédit Sami, résumant le sentiment prédominant chez ses frères d’armes.

    Mon ami François-Marin Fleutot, dissident de longue date de l’Action française – qu’il a quittée dès 1971 pour fonder la Nouvelle Action française – me livre son explication du rapport ambivalent des maurrassiens à l’extrême droite. Pour ce royaliste de gauche, l’AF a toujours été travaillée par un dilemme : « soit garder l’héritage, soit ramener l’héritier. La première option l’ancre à droite du côté d’un conservatisme absolu, tant et si bien que Maurras a choisi l’union nationale en 1914… et en 1940 derrière Pétain. Le second choix l’aurait amenée sur le terrain risqué de l’aventure révolutionnaire. François-Marin aurait rêvé que, le 6 février 1934 ou sur les barricades de 1968, le mouvement rompe avec la société existante et rappelle l’héritier du trône de France. Or, plutôt que de se risquer au coup de force, l’Action française marine dans l’agitation estudiantine, une partie de ses membres se fantasmant en champions de l’extrême droite folklo (esthétique futuriste, marche aux flambeaux), d’autres, minoritaires, flirtant carrément avec une idéologie völkisch (ethniciste) étrangère au credo maurrassien : « Aucune origine n’est belle. La beauté véritable est au terme des choses. »***

    Un temps séduit par les idées de la Nouvelle droite identitaire et païenne auxquelles il a renoncé car il ne sentait pas « obnubilé par la race », Lucien a « découvert l’islam et l’immigration dans le RER » en passant de sa banlieue chic à la fac porte de Clignancourt. Doté d’une culture politique impressionnante, le jeune homme de 24 ans descendant d’une victime du Goulag entend aujourd’hui « conjuguer ordre et justice pour contrecarrer les idées abstraites de gauche qui ont conduit à des charniers ». Mi-sérieux mi-rigolard, il annonce le coup de poing monarchiste pour demain. Nous voilà mis au jus : il n’aura pas de pitié pour les tièdes : « Pour rétablir une société monarchique, on ne peut plus se permettre d’être conservateur comme à l’époque de Maurras. De Nabilla à Youporn, le pays réel n’existe plus… » Polémique d’abord ! 

     

    Neuf dates qui ont fait l’AF

    1898-1899 : création de l’Action française par Henri Vaugeois, Maurice Pujo et des antidreyfusards rejoints par l’écrivain provençal Charles Maurras. D’abord nationalistes républicains, le mouvement et sa revue éponyme se convertissent au monarchisme.

    1914 : Maurras et l’AF appellent leurs sympathisants à soutenir l’union sacrée contre l’Allemagne autour du gouvernement.

    1926 : le Vatican condamne l’Action française et excommunie son chef pour sa vision instrumentale du catholicisme (agnostique, Maurras se dit catholique parce que la France est catholique).

    6 février 1934 : lors des manifestations des ligues antiparlementaires, ne croyant pas au coup de force, Maurras se tient très en retrait. L’AF perd vingt militants parmi les manifestants tués par la police.

    1938 : Élection de Charles Maurras à l’Académie française. Il en sera radié en 1945.

    1940 : Maurras s’inquiète de l’avancée des nazis mais soutient la Révolution nationale et les mesures antijuives décidées par le régime de Vichy.

    1945-1952 : Frappé d’indignité nationale et d’une peine de prison, Maurras écrit ses derniers livres à la centrale de Clairvaux. Il se serait converti au catholicisme sur son lit de mort.

    1971 : Scission de l’aile gauche de l’AF qui crée la Nouvelle Action Française bientôt rebaptisée Nouvelle Action Royaliste autour de Bertrand Renouvin. Ce dernier appellera à voter François Mitterrand au second tour de 1974.

    2007-2008 : Mort du dirigeant historique Pierre Pujo et crise au sein du comité directeur. Des jeunes proches de la droite parlementaire scissionnent pour créer le microparti Dextra.

    * Citons quelques exemples révélateurs des ambiguïtés de l’Histoire : alors que dès le 11 novembre 1940, des jeunes d’AF se rassemblaient aux côtés d’autres étudiants, notamment communistes, devant la flamme du Soldat inconnu pour protester contre l’occupation allemande, les juristes auteurs du tristement célèbre statut des juifs venaient de l’Action. Plus récemment, on connaît la phrase de Bernanos décrétant au sortir de la guerre qu’« Hitler a déshonoré l’antisémitisme », les déclarations d’amour enflammées de Pierre Boutang à Israël durant la guerre des Six-Jours.
     
    ** Aux côtés de Jacques Sapir, Christian Authier et six autres contributeurs, Lapaque a participé au livre d’hommage Pour saluer Bernard Maris (Flammarion, 2016) sorti un an après l’attentat de Charlie hebdo.
     
    *** Charles Maurras, Anthinéa.
     

    Daoud Boughezala
    est rédacteur en chef de Causeur 

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    Cet article a été publié dans le Magazine Causeur n° 91 - Février 2016
  • Livres • Littérature politique ...

     

    par Ph. Delelis

     

    Les livres des hommes politiques occupent une place de plus en plus considérable dans les librairies. Pas une semaine sans que ne soit mis sur table tel ou tel ouvrage historique, anecdotique, académique, programmatique. C’est là le hic.

    Pourquoi tant d’arbres sacrifiés pour l’édification des masses sur la situation et l’avenir du pays par ceux qui, d’une manière ou d’une autre, ne sont pas étrangers à l’état dans lequel il se trouve ? Plusieurs réponses possibles.

    1° Prouver qu’ils savent écrire. Improbable. Le style est généralement déplorable et l’usage de « plumes », dans ce genre littéraire, est très largement répandu. Rares sont ceux qui peuvent justifier avoir écrit eux-mêmes leurs ouvrages. A cette fin, certains conservent les manuscrits ou les fichiers horodatés sur leur ordinateur personnel, au cas où on leur les demanderait, mais – hélas – cela ne se produit jamais car les versions imprimées ne sont pas vendues.

    2° Prouver qu’ils savent lire. Explication plus raisonnable même si un journaliste politique avouait récemment qu’il lui arrivait d’interviewer des auteurs qui ne s’étaient pas lus eux-mêmes. Ils se trouvaient fort étonnés des idées qu’on leur prêtait.

    3° Prouver qu’ils savent se repentir. Souvent inutile : à peine commise, l’erreur était évidente pour le commun des mortels, c’est-à-dire les citoyens qui prennent les transports en commun, payent leurs factures sur leurs propres deniers, ne bénéficient pas de logements de fonction, etc. Bref, rien de semblable avec l’Homo Politicus à la française mais une capacité bien plus grande de discernement des bêtises.

    4° Prouver qu’ils savent réfléchir. C’est important mais avouons-le, relativement facile quand on a sous les yeux des tonnes d’exemples de ce qu’il ne faut pas faire. Passer de l’idée à la promesse, et surtout de la promesse à l’action, voilà qui est plus complexe et ne se trouve pas dans les livres (ou alors les ouvrages de repentance évoqués plus haut, mais ça ne fait pas avancer le schmilblick*).

    5° Prouver qu’ils peuvent envahir. Les médias, au minimum, les esprits et les cœurs si tout va bien. C’est bien sûr la clé de la motivation. Etre ou ne pas paraître, là est la question médiatique et politique. C’est le livre-prétexte aux émissions mêlant divertissement et politique : « Nous allons lire une anecdote désopilante extraite de votre livre, mon cher Maurice, puis entendre le dernier slam de Grand Corps Malade sur le cimetière de Saint-Denis et vous pourrez ensuite commenter les deux simultanément ».

    6° Prouver qu’ils peuvent réussir. Les ventes deviennent un indicateur avancé des futurs scrutins. C’est le livre-tremplin : passera ou passera pas les 20 000 exemplaires ? 100 000 ? 200 000 ? (vendus, pas tirés, pas mis en place : la précision est quelquefois importante). Pour les éditeurs, c’est le livre-alibi : « Nous avons publié beaucoup d’essais cette année, c’est important pour notre rôle dans la cité ».

    Le livre politique a de multiples fonctions mais, après Chateaubriand, Hugo et de Gaulle, il faut bien reconnaître que « littérature politique » n’est plus qu’un oxymore. 

    * Terme inventé par Pierre Dac dans les années 50 pour désigner un objet totalement inutile. 

  • Société • Fronde contre la loi El Khomri : l'individualisme 2.0 remplace la bonne vieille manif

     

    Après le lancement d'une pétition en ligne par la militante Caroline de Haas, la mobilisation des jeunes contre la loi El Khomri s'étend sur la toile avec le mot-clé #OnVautMieuxQueCa. Mathieu Slama décrypte ici pour Figarovox [26.02] le premier mouvement social exclusivement sur internet. Mathieu Slama est spécialiste de la communication de crise. Mais nous avons aussi noté qu'il est un excellent observateur des évolutions sociétales et que sa position critique à l'endroit de la modernité va souvent au fond des choses. De quoi débattre ...  LFAR

     

    Après le lancement d'une pétition en ligne par la militante Caroline de Haas sur Change.org, qui a recueilli 508 000 signatures, des Youtubeurs ont réagi à la loi El Khomri. Dans une vidéo mise en ligne, mercredi 24 février, une dizaine de vidéastes interpellent les internautes sur « les menaces que représente le projet pour les travailleurs ». Ils invitent ceux qui les regardent à partager leur témoignage. La contestation s'organise désormais à travers le web et les réseaux sociaux. Que cela révèle-t-il ? Est-ce totalement inédit ?

    Mathieu Slama : C'est à ma connaissance le premier cas de contestation sociale exclusivement (pour le moment) sur Internet. Avec plusieurs initiatives qui se combinent: à la fois sur Facebook, sur Twitter, sur YouTube et sur Change.org (site qui recueille des pétitions que chacun peut soumettre ou signer). Le mouvement prend une ampleur inédite sur Internet: la pétition sur Change.org en est à l'heure où je vous parle à plus de 600 000 signatures., la vidéo sur YouTube en est à plus de 100 000 vues et sur Twitter le mouvement est devenu viral.

    On constate sur Twitter que le mouvement prend souvent la forme de témoignages sur les déboires liés la recherche d'un emploi ou encore aux conditions de travail, quasi-systématiquement sur un ton mélangeant l'ironie et l'indignation. Or on sait bien que sur les réseaux sociaux, l'ironie et l'indignation sont les deux modes d'expression privilégiés par les internautes. Ajoutons à cela la dimension très politique et symbolique du sujet, l'impopularité sidérante du gouvernement et le fait que c'est la jeunesse qui s'implique: tout est réuni pour un mouvement viral.

    Notons également que des leaders syndicaux et des personnalités influentes, comme Jean-Luc Mélenchon (qui montre une nouvelle fois son talent pour la communication), ont relayé le mouvement sur les réseaux sociaux, lui donnant un coup de pouce supplémentaire.

    Ce qui est inédit est donc le caractère exclusif sur Internet. On se rappelle du mouvement de la Manif pour tous qui avait beaucoup utilisé les réseaux sociaux mais de manière complémentaire au mouvement dans la rue.

    Ce qui est intéressant, et on y reviendra, c'est que ce mouvement intervient alors que, hors Manif pour tous, les manifestations et grèves sur les questions sociales sont de moins en moins suivies. Les syndicats n'arrivent plus à mobiliser dans la rue alors que le climat social est désastreux. Cela dit quelque chose de l'époque. Les dernières grandes manifs dans les rues sur des questions sociales datent, sauf erreur de ma part, de la réforme des retraites de la fin du quinquennat Sarkozy.

    La mobilisation des jeunes rappelle le mouvement anti-CPE, mais sous une forme totalement différente …

    La similitude réside dans les thèmes de la revendication: l'emploi et la jeunesse. Le lien est donc évident, et d'ailleurs rappelé sur les réseaux sociaux. Lors des manifestations anti-CPE, le mode d'expression était classique: manifestations dans les rues, blocages d'universités… Les réseaux sociaux n'existaient pas à l'époque.

    Les contributions, texte et vidéo, publiées sous le mot-clé #OnVautMieuxQueCa, seront agrégées et partagées par ces vidéastes. Le rituel collectif de la manif est remplacé par des vidéos individuelles. Cela n'a-t-il pas un côté narcissique ?

    Plutôt que narcissique, ce mouvement est avant tout individualiste, là où la manifestation « classique », dans la rue, a toujours deux objets : la revendication bien-sûr, mais aussi le mouvement collectif lui-même et l'émulation qu'il suscite. Cette dérive individualiste est vieille comme la démocratie (déjà Tocqueville dans la première moitié du XIXe siècle s'en inquiétait) mais elle est préoccupante car elle participe d'une ambiance générale, aggravée par Internet. Rappelons que dès la fin des années 90, en réaction à l'émergence des premières pétitions en ligne, plusieurs chercheurs avaient alerté sur de nouvelles formes de mobilisation qui s'écartaient du militantisme collectif au profit de l'engagement individuel. Plus récemment, on se rappelle du débat autour du «  Je » du slogan viral « Je suis Charlie »… La Manif pour tous avait suscité un espoir justement parce qu'il s'agissait d'un mouvement collectif, d'autant plus qu'il s'agissait d'un mouvement engagé non pas au nom d'intérêts individuels mais au nom d'une certaine idée de la vie commune. Mais sur les questions sociales, la dimension collective et tous les symboles qu'elle charrient sont en train, comble de l'ironie, de s'effacer au profit de l'individu. En d'autres termes : les luttes sociales sont à leur tour récupérées par l'individualisme et le libéralisme contemporains. Je ne suis pas sûr que Marx ou Proudhon auraient apprécié cette mutation…

    Mais au final tout cela est-il si surprenant ? Internet et les réseaux sociaux ont envahi toutes les sphères de la vie en société, participant du grand mouvement individualiste des sociétés occidentales. Il n'y a pas de raison que les mouvement sociaux soient épargnés par ce phénomène.

    Une dernière question, et non des moindres, se pose à nous: comment évaluer la réelle mobilisation sur Internet et ce qu'elle représente? Publier un tweet sur les réseaux sociaux derrière un écran d'ordinateur est une action «indolore»: elle n'engage pas à grand-chose. Descendre dans la rue est déjà un engagement plus fort, qui témoigne d'une toute autre intensité de mobilisation. A cet égard il sera intéressant d'observer la manière dont ce mouvement se traduit ou non dans la rue.

    Toutes proportions gardées, le mouvement rappelle-t-il les printemps arabes ?

    Les printemps arabes se sont certes appuyés sur les réseaux sociaux, mais ils se sont traduits par des mouvements très concrets, dans la rue, avec parfois des conséquences terribles. Et du point de vue de l'importance historique, la comparaison n'est pas vraiment possible.

    En revanche l'enjeu de cette mobilisation contre la loi El-Khomri n'est pas petit, et on espère qu'il relancera de manière salutaire le débat qui est en train de renaître sur la condition humaine au travail. On a en effet observé ces derniers mois des débats très importants sur le «burnout» au travail ou encore sur l'horreur du management, cette religion moderne du capitalisme si bien analysée par un penseur comme Pierre Legendre. Pour comprendre les dérives de notre modernité et ses conséquences sur notre conception de l'homme, ces questions-là sont essentielles.

    Le gouvernement a lui-même tenté d'utilisé le web pour répondre ?

    Un compte Twitter de la loi El Khomri a été créé (l'idée étant de «personnaliser» cette loi), avec un premier message qui a été tourné en dérision par les internautes. Résultat, des comptes parodiques ont été créés, comme par exemple un compte «déchéance de la nationalité» ou encore «loi Renseignement». Précisons également que la ministre du Travail a répondu en ligne à la pétition sur le site de Change.org, signe qu'elle a conscience de l'importance que le mouvement prend sur Internet et de la nécessité d'y répondre sur le même terrain.

    Mais soyons réalistes: la bataille de la communication est perdue d'avance pour le gouvernement. C'est d'abord un problème d'émetteur: comment le gouvernement, dont la parole doit en principe traduire une forme d'autorité et de gravité (surtout sur un tel sujet), pourrait-il être audible là où règnent la dérision, la moquerie et la légèreté, Internet? Si l'on ajoute à cela l'impopularité du gouvernement, la défiance des Français et notamment des jeunes vis-à-vis des responsables politiques et le climat social très défavorable, il est évident que le gouvernement ne remportera pas ce combat, du moins pas sur le terrain de la communication

     

    picture-2540921-61yhv5dr.jpgEntretien par

    Journaliste au Figaro et responsable du FigaroVox. Twitter : @AlexDevecchio

  • Militantisme • Où les jeunes-gens d'A.F. Provence se font les porte-voix du Marseille populaire

     

    Les jeunes militants d'Action française Provence sont-ils les indignés de la Tradition, les défenseurs des racines, les tenants d'une réaction populaire contre les fausses élites ? Après avoir chahuté à Aix les élus PS universellement soupçonnés de corruption par la population de la région, voici qu'ils viennent de marquer leur désaccord de fond avec la politique menée à Marseille par la municipalité où dominent les Républicains. Pourquoi et comment l'ont-ils fait ? Ils s'en sont expliqués dans un communiqué que nous reprenons ici. Le lecteur se fera son idée. Il n'est pas sûr que, sur le fond, il s'en trouve beaucoup pour ne pas leur donner raison.  LFAR

     

    Ce mercredi 24 février 2016, les Jeunes Républicains des Bouches-du-Rhône organisaient une conférence sur le thème « Bâtir le Marseille de demain ». Entre autres têtes d’affiche confortablement installées, étaient présents pour présenter leurs réalisations et leurs objectifs, Laure-Agnès CARADEC, Présidente d’Euroméditerranée et adjointe au Maire déléguée à l’urbanisme, Philippe DEVEAU, Président du BTP 13, Roland CARTA, architecte du MUCEM et Caroline POZMENTIER vice-présidente de la Région PACA.

    Nous, militants d’Action française, avons décidé de nous rendre sur place afin de dénoncer cette réunion de l’entre-soi, mais aussi afin de pointer du doigt le manque de cohérence des réalisations architecturales et le mépris affiché des acteurs de l’urbanisme vis-à-vis des doléances adressées par la population marseillaise. Nous avons, pour l’occasion, conféré aux « Républicains » le diplôme de la mascarade politique et nous nous sommes rassemblés au pied de leur permanence afin d’attirer leur attention sur l’ensemble de nos désaccords. Cette action bon enfant a rencontré le malaise et la violence de l’ensemble de l’auditoire à coup de gestes agressifs et d’insultes. Il n’est pas de bon ton de critiquer le marasme de la politique de Gaudin.

    Il faut dire que leur ville de demain n’est pas Marseille, c’est le grand cimetière en béton des mégalopoles modernes. La cité populaire et ses habitants décrits par Pagnol sont les premières victimes des arrangements hideux de ces faux experts attirés par le relativisme tout azimut pis, par la laideur elle-même. S’ils le pouvaient, nos Républicains marseillais vendraient la Bonne-Mère aux Qataris fanfaronnant que l’âme de leur ville soit convoitée par ceux qu’ils pensent être les acteurs économiques les plus tendance du futur. Ce rassemblement du pays légal sur le dos du peuple a rencontré l’opposition du pays réel, celui de jeunes gens déterminés à ne pas laisser Marseille être vendue au Diable.

    A coup de Progrès, de Modernité, nos adversaires voudraient nous faire croire que nous ne sommes plus dans le coup. Or, ce sont eux qui s’apprêtent à recevoir le retour de bâton des Marseillais qui souffrent d’une ville sale, où l’insécurité ne baisse pas, de constructions de logements sans aucune logique, de dégradations et de tags en tout genre. Ce soir, l’Action française s’est faite le porte voix du Marseille populaire, celui que veulent les Marseillais et qui fait tant rêver les touristes.   

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  • Analyse & ironie : Méritons-nous Bruno Le Maire ?

     

    Par Dominique Jamet

    De son côté, dans un article de  Causeur titré « Un conformiste nommé Le Maire » [24.02], David Desgouilles rapporte les singuliers propos que Bruno Le Maire, a tenus aux journalistes, à l'issue de sa réunion de lancement de campagne de mardi dernier : « Attablé avec les autres journalistes dans un restaurant de Vesoul, quelques petites heures après sa déclaration de candidature, votre serviteur l’écoute expliquer à quel point la notion de nation constitue l’angle de sa campagne. Il n’invoquera pas la République. « Les gens » n’y croient plus. Elle n’a pas tenu ses promesses. Donc, il faut leur donner de la nation. »  Il faut leur donner de la nation... Tout est révélé de Bruno Le Maire dans ce propos de pur cynisme et absolue désinvolture. Tout est dit du désenchantement des Français pour la République. Tout est exprimé qui justifie l'ironie dont use ici Dominique Jamet. LFAR    

     

    3312863504.jpg« T’as voulu voir Vesoul et on a eu Le Maire », aurait pu chanter Jacques Brel. Car ce n’est ni à la télévision, ni à la radio, ni à l’AFP, ni à Honfleur, ni à Vierzon, mais depuis la préfecture de la Haute-Saône (14.573 habitants au dernier recensement) que Monsieur Le Maire, à l’occasion d’un meeting, a déclaré sa flamme à Madame la France, mettant ainsi fin à l’insoutenable suspense qu’il entretenait depuis un peu plus de deux ans.

    Du coup, dans son élan, l’ancien ministre de l’Agriculture ne s’est pas contenté d’annoncer qu’il prenait rang parmi les nombreux partants déjà inscrits ou à venir pour la grande primaire de la droite et du centre. Sautant une marche, il a bien précisé, à l’intention de ceux qui auraient pu encore en douter, qu’il était « candidat pour devenir président de la République française ». Une décision, pour reprendre ses propres termes, « simple, forte, inébranlable ».

    Pourquoi, donc, avoir tant tardé à rendre publique une résolution qui, depuis longtemps, semblait aussi patente que le secret de Polichinelle, aussi visible que le nez au milieu de la figure de Cyrano ? Très simplement parce qu’au porteur d’un tel projet, la moindre sagesse, le plus élémentaire bon sens, la prudence et la modestie conseillent et même imposent de s’assurer qu’il est à la hauteur de son ambition. « Je suis dans une démarche d’humilité », confiait Bruno Le Maire au journal Le Parisien, le 12 septembre 2015. D’où une hésitation bien compréhensible.

    Aussi bien n’est-ce qu’après avoir pris conseil de lui-même, dans le secret de sa conscience et de sa salle de bains, que Bruno Le Maire a osé franchir le pas, ainsi qu’il l’a confié avec une désarmante ingénuité. C’est devant sa glace, face à lui-même ou à son double, que l’élu de l’Eure a senti venir la sienne, comme dans les contes. « Miroir, petit miroir magique », demandait-il, « ne suis-je pas trop jeune ? » Jusqu’au jour où le miroir, tel un oracle chiraquien, lui a répondu : « Tu as l’âge pile-poil, ton moment est venu. » « Miroir, petit miroir magique, ai-je l’expérience nécessaire pour postuler à la magistrature suprême ? » Et le miroir, de guerre lasse, a fini par lui dire : « Tu es l’homme qu’il faut à l’endroit que tu sais. » Il ne pouvait plus se dérober à son destin et à nos suffrages.

    Qu’on n’aille pas croire que l’enfance et la jeunesse de Bruno Le Maire ont été faciles. Combien de fois, pris d’un sentiment de révolte, n’a-t-il pas reproché à ses parents, qui n’y étaient pas pour rien, de l’avoir trop bien réussi ! Quoi de plus irritant, lorsqu’on se cherche des défauts, de ne s’en trouver aucun, ou si véniel, comme ces vedettes du show-business qui, interviewées dans les magazines féminins, finissent, après s’être longuement et vainement interrogées, par confesser être parfois impatientes ou avoir un faible pour le mille-feuille de chez Angelina.

    D’autres, moins gâtés par Dieu et la nature, auraient enflé de la tête aux chevilles. Bruno Le Maire a victorieusement lutté contre la tentation de la mégalomanie. Il est le premier à savoir que rien ne lui est dû, que ce n’est pas gagné, et qu’il y a encore loin de la coupe aux lèvres et de Vesoul à la rue du Faubourg-Saint-Honoré. Comme il le déclarait au Point la semaine passée : « Mon intelligence est un obstacle. » Et, tout récemment, lors d’un déjeuner de presse : « Mon problème, c’est que j’ai les yeux trop bleus pour la télévision. »

    Ces deux inconvénients seront-ils rédhibitoires ? On se refuse à le croire. Bruno Le Maire a-t-il les yeux trop clairs et la tête trop bien faite ? La question n’est évidemment pas là, mais bel et bien de savoir s’il n’est pas trop bien pour la France, trop beau pour être vrai ? Méritons-nous Bruno Le Maire ?

     
    Journaliste et écrivain
    Il a présidé la Bibliothèque de France et a publié plus d'une vingtaine de romans et d'essais. Co-fondateur de Boulevard Voltaire, il en est le Directeur de la Publication
     
  • Lyon : « SOS Racines » et AF Lyon se mobilisent en défense du musée des tissus

     

    Il est difficile de ne pas voir qu'en différents points de France, une nouvelle génération d'Action française est en train de se former, s'affirmer, se faire connaître. Fortement ancrée dans l'actualité - locale et nationale - mais tout aussi attachée aux traditions et à l'Histoire.

    Dans la vidéo qui suit, Bayard se présente comme responsable de la section lyonnaise de l'Action française, agissant en participation avec le collectif SOS Racines, en l'occurrence pour défendre le musée des tissus menacé de fermeture. Un musée, explique-t-il, enraciné, basé sur l'histoire traditionnelle de Lyon ...

    Ce n'est pas la première fois, rappelle-t-il, que les dirigeants lyonnais trahissent leur ville. Et de rappeler ce que les années de Terreur ont coûté à la ville de Lyon, passée de 150 000 habitants en 1789 à 80 000 à l'issue de la Révolution.

    Regarder cette vidéo, c'est faire une assez longue balade dans les rues de Lyon, réécouter le chant des canuts et suivre les claires explications de Bayard.

    C'est constater surtout la montée d'une nouvelle génération d'Action française qui pourrait bien être, dans l'effondrement du Système, celle du succès. Et SOS Racines est un nom intelligemment choisi !   LFAR