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Actualité France - Page 394

  • Jacques Sapir : « Pour sortir de la situation de décomposition politique dans laquelle nous nous trouvons »

    Petit précis de décomposition politique

    Brexit, loi El Khomri, crise agricole, primaire…

    Sous ce titre, c'est une réflexion très intéressante que Jacques Sapir a donnée dans son blog [28.02], à la fois sur notre situation économique, sur la position de la France au sein de l'Europe, sur l'état de l'Union Européenne et de l'Euro, enfin sur le spectacle de décomposition accélérée qui affecte notre système politique. Et qui n'est d'ailleurs pas que spectacle, mais surtout réalité. L'analyse de Jacques Sapir nous intéresse à titre particulier. Nous aurions envie de dire qu'il la mène à la maurrassienne. Se défiant des partis, du Système, et en appelant en quelque sorte à la mobilisation du Pays réel, plutôt qu'à celle des politiques. A vrai dire, nous doutons beaucoup que le processus qu'il imagine et appelle de ses vœux pour que nous sortions « de la situation de décomposition politique dans laquelle nous nous trouvons » puisse réellement se développer dans le cadre du Système qui nous enserre. Pour nous, sans rupture avec notre actuel système de démocratie formelle, rien, en fait, ne se fera de décisif. Jacques Sapir ne va pas jusque là. Mais il y tend. Ce qui nous paraît déjà beaucoup.   LFAR    

     

    JacquesSapir.jpgLe désenchantement vis-à-vis du « rêve » européen perceptible sur l'ensemble du continent s'accompagne, en France, d'un spectacle de décomposition accélérée offert par le PS et Les Républicains.

    L’une des caractéristiques de la situation actuelle est le désenchantement vis-à-vis du « rêve » européen. L’Europe, et en particulier sous sa forme de l’Union européenne, ne fait plus rêver. Elle inquiète et elle fait même peur. Le « rêve » s’est transformé en cauchemar, d’Athènes à Paris, en passant par Rome, Lisbonne et Madrid. Les causes en sont multiples : chômage de masse, politiques d’austérité à répétition dont le poids est toujours porté par les mêmes, mais aussi montée des réglementations liberticides et des détournements de souveraineté, enfin des comportements scandaleux à l’échelle internationale comme on peut le voir dans la gestion calamiteuse de la question des réfugiés ou dans l’alignement sur la politique états-unienne avec le soutien apporté, de fait, aux néo-nazis qui sévissent à Kiev. Ce désenchantement se traduit par la montée des remises en cause de l’Union européenne, dont le débat sur une sortie possible de la Grande-Bretagne (ce que l’on appelle le « Brexit ») est l’un des exemples. Il provoque en retour la crise ouverte des élites politiques, et en particulier en France où la « construction européenne » avait depuis longtemps quitté le domaine de la raison pour entrer dans celui du dogme religieux. C’est ce qui explique le spectacle de décomposition accélérée que donnent les deux partis anciennement dominant de la vie politique française, le Parti « socialiste » et l’ex-UMP rebaptisé « Les Républicains ».

    Un PS incapable de faire le tri entre l’essentiel et l’accessoire

    Cette décomposition est aujourd’hui une évidence au sein du P« S ». La tribune co-signée par Mme Martine Aubry et quelques autres, tribune dont on a déjà parlé, en est l’un des symptômes [1]. Dans cette « rupture », qui semble bien aujourd’hui actée [2], entre deux lignes que pourtant tout rapproche et en particulier leur européisme, ce sont les querelles d’égo qui ont d’abord parlée. Et ceci est symptomatique d’une décomposition politique quand on n’est plus capable de faire le tri entre l’essentiel et l’accessoire, ou que l’on en vient à considérer les questions de personnes comme essentielles. De fait, la cohérence du gouvernement, et des partis qui le soutiennent, est déterminée par le vote du Traité sur la stabilité, la coopération et la gouvernance (le TSCG [3]), vote qui fut obtenu en septembre 2012 [4]. Ce Traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance, contient en réalité trois mensonges pour le prix d’un. Quelle stabilité, quand on voit dans le rapport récent du FMI [5] que les mêmes mécanismes qui ont été mis en œuvre depuis 2010 n’ont fait qu’aggraver la crise ? Quelle stabilité encore quand on voit la dépression que connaissent les pays en crise ? Parler de stabilité est ici un mensonge flagrant. Quelle coordination, encore, quand on sait qu’il n’y a de coordination qu’entre des agents libres et des Etats souverains, alors c’est à une autorité hiérarchique que l’on a affaire, et qu’il n’y a dans ce traité qu’asservissement à des agences dites indépendantes ? J’écrivais en octobre 2012 : « Ce Traité organise en fait le dépérissement de la démocratie en Europe avec la fin de l’autorité suprême des Parlements nationaux en matière budgétaire. Or, il faut s’en souvenir, c’est par le consentement à l’impôt que commence la démocratie. » [6]

    Quelle gouvernance, enfin, dans un Traité qui s’est avéré inapplicable et qui n’a pas eu d’autres fonctions que d’être violé à peine signé ? Mais ce traité désastreux a bien été l’inspiration des diverses mesures prises par François Hollande et ses divers gouvernements. C’était ce traité qu’il fallait combattre et non pas pleurer sur ses conséquences. Ceci ne rappelle que trop cette célèbre phrase de Bossuet qui s’applique, hélas, parfaitement à cette situation : « Mais Dieu se rit des prières qu’on lui fait pour détourner les malheurs publics, quand on ne s’oppose pas à ce qui se fait pour les attirer. Que dis-je ? Quand on l’approuve et qu’on y souscrit, quoique ce soit avec répugnance ». [7]

    Entre Fillon, Juppé, Le Maire et Sarkozy, où sont les différences ?

    Mais, la décomposition sévit aussi dans l’opposition. La « primaire » que les « Républicains » veulent organiser n’est pas seulement une injure aux institutions, dont ce parti devrait, de par ses origines, être le meilleur défenseur. Elle se traduit par une surenchère de petites phrases, des postures dont raffolent certains dirigeants politiques, le verbe haut et les coups bas. Car, entre MM. Fillon, Juppé, Le Maire et Sarkozy, où sont les différences ? Un peu plus ou un peu moins d’austérité ? Quelques cadeaux en plus ou en moins pour le Medef ? Le jeunisme brouillon contre la calvitie couverte d’erreurs ? Ce sera, toujours, le même alignement sur Bruxelles, sur l’Union européenne et sur l’Allemagne. Il faut espérer qu’une voix se lève pour faire entendre un autre discours. Mais, en attendant, nous avons droit au même spectacle que celui donné par les « Solfériniens ».

    Enfin, des histrions proposent des candidatures de fantaisies, comme celle de Nicolas Hulot, sans se soucier du programme qui pourrait la sous-tendre. Cette focalisation sur des personnalités est bien la preuve que nous sommes dans un espace politique complètement décomposé.

    Le dilemme européen : la déflation ou la disparition

    Pourtant, l’heure est grave. La situation de la France n’a d’égal que la crise que connaît l’Union européenne. Il suffit de lire ce qu’écrit un auteur « européiste », mais pourtant lucide, pour s’en convaincre [8]. Car cette crise qui perdure a une origine. Cette destruction de l’ensemble du cadre économique et social que nous connaissons en France vient de ce que l’euro favorise ou impose dans les différents pays membres. Mais, elle découle aussi du cadre politique implicite qui se met en place à propos de l’euro dans les pays de la zone euro. Aujourd’hui, la plupart des Européens sont désormais conscients des effets négatifs sur l’économie de la monnaie. On sait ce qu’elle entraîne, et ce qui était prévisible depuis près de dix ans [9] : croissance faible et montée du chômage. La crise de la zone euro est désormais une évidence, même pour les idéologues les plus bornés. Aucun des problèmes fondamentaux posés dès l’origine n’a été résolu, et leurs effets désormais s’accumulent. Les solutions partielles qui ont été proposées, et présentées comme des avancées historiques vers une Europe fédérale, posent en réalité bien plus de problèmes qu’elles n’en résolvent. La zone euro n’a plus d’autre choix que de s’engager toujours plus dans une politique de déflation, dont les conséquences cumulées sont redoutables pour les peuples des pays qui la composent, ou de disparaître.

    L’attractivité de l’euro mais aussi de l’Union européenne est en train de s’effacer. La faute en revient aux politiques d’austérité qui ont été mises en œuvres ouvertement pour « sauver » l’euro, c’est-à-dire pour résoudre la crise des dettes souveraines. Or, ces politiques ont plongé les pays qui les ont appliquées dans des récessions très profondes [10]. Il faudra que très rapidement les dirigeants des différents pays en prennent acte et soit trouvent des thèmes susceptibles de refonder cette attractivité, soit comprennent que l’on ne peut durablement faire vivre des institutions contre la volonté des peuples.

    Pour des Comités d’action de la révolte sociale

    Les quolibets et les insultes que le président de la République a subis au Salon de l’agriculture le matin du samedi 27 février sont exemplaires de l’exaspération d’une profession, mais au-delà des Français. Or, les problèmes de l’agriculture française, dont les sources sont multiples et où le rôle de la grande distribution est à signaler, seraient largement réduits si une différence de 40% s’établissait entre le franc retrouvé et le deutsche mark. Cela correspond à ce que donnent les calculs dans le cas d’une dissolution de la zone euro, soit une dépréciation de 10% pour le franc et une appréciation de 30% pour le DM. Notons encore que c’est l’Union européenne qui s’oppose à la signature d’accords garantissant les prix d’achat aux producteurs, au nom du sacro-saint respect de la « concurrence libre et non faussée ». Le gouvernement français aurait parfaitement les moyens de régler cette crise en jouant sur les prix et non par des suppressions de cotisations, qui ne sont que des palliatifs temporaires.

    La montée de l’exaspération populaire est aujourd’hui palpable, et sur l’ensemble des terrains. C’est ce qui explique le retentissement des manifestations du Salon de l’agriculture le 27 février. De la calamiteuse « loi Travail » à la situation dramatique des agriculteurs, de la révolte des enseignants contre la réforme du collège et le discours de l’Education nationale à la casse des services publics et de l’esprit public (avec son corollaire, la laïcité) sur l’ensemble du territoire, il est temps que ces diverses colères trouvent leur débouché politique. Ce débouché ne peut être qu’une position radicalement opposée à l’euro et renvoyant l’Union européenne à une réforme immédiate. Ce débouché doit prendre la forme d’un rejet immédiat des deux partis, le P« S » et les « Républicains » dont la cogestion de la France au sein de l’idéologie européiste a produit la situation actuelle. Cela impose de dire haut et fort que nous ne voterons en 2017 ni Hollande, ni Aubry, ni aucun des clones que nous produira cette « gauche » déshonorée, ni pour Juppé, ni pour Sarkozy, ni aucun de ces clowns issus de la matrice européiste.

    Cette convergence des luttes doit s’organiser, si possible avec l’aide des syndicats, ce qui serait naturellement souhaitable, mais s’il le faut sans eux. Un grand mouvement de Comités d’action de la révolte sociale est possible. Ces comités doivent avoir deux principes directeurs : la volonté de faire converger les luttes et le rejet clair et sans ambiguïté du cadre européen avec la volonté affirmé de retrouver notre solidarité. Telle pourrait être la meilleure sortie possible de la situation de décomposition politique dans laquelle nous nous trouvons. 

     

    1. Voir Sapir J., « L’indécence et l’impudence de la tribune de Martine Aubry » note publiée le 26 février in RussEurope, http://russeurope.hypotheses.org/4746
    2. http://www.lefigaro.fr/politique/le-scan/2016/02/28/25001-20160228ARTFIG00072-martine-aubry-et-ses-proches-annoncent-leur-retrait-de-la-direction-du-ps.php
    3. Voir le Traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance, dit TSCG, URL :http://www.consilium.europa.eu/media/1478399/07_-_tscg.en12.pdf
    4. Voir Sapir J., « Honneur au Soixante-dix », note publiée le 9 octobre 2012 sur RussEuropehttp://russeurope.hypotheses.org/266
    5. http://russeurope.hypotheses.org/253
    6. http://russeurope.hypotheses.org/266
    7. Bossuet J.B., Œuvres complètes de Bossuet, vol XIV, éd. L. Vivès (Paris), 1862-1875, p. 145. Cette citation est connue dans sa forme courte « Dieu se rit des hommes qui se plaignent des conséquences alors qu’ils en chérissent les causes ».
    8. Fazi T., « Why The European Periphery Needs A Post-Euro Strategy », 25 février 2016, https://www.socialeurope.eu/2016/02/bleak-times-ahead-for-the-european-periphery/
    9. voir J. Bibow, (2007), ‘Global Imbalances, Bretton Woods II and Euroland’s Role in All This’, in J. Bibow et A. Terzi (dir.), Euroland and the World Economy: Global Player or Global Drag?, New York (N. Y.), Palgrave Macmillan, 2007.
    10. Baum A., Marcos Poplawski-Ribeiro, et Anke Weber, (2012), « Fiscal Multipliers and the State of the Economy », IMF Working papers, WP/12/86, FMI, Washington DC. Blanchard O. et D. Leigh, (2013), « Growth Forecast Errors and Fiscal Multipliers », IMF Working Paper, WP/13/1, FMI, Washington D.C. 

    le blog de Jacques Sapir

  • Bienvenue à l'orthographe simplifiée ! Un point de vue original de Péroncel-Hugoz

     

    Par Péroncel-Hugoz

    Partisan d'un mixte tradition/modernité, Péroncel-Hugoz ne s'offusque pas de la réforme de l'orthographe lancée par Paris, mais il donne un coup de dent à ces Français qui ont omis de consulter les autres francophones ... On s'étonnera - ou même on s'indignera - peut-être de sa position. Toutes réflexions faites, elle a pourtant sa logique. Il n'est pas si sûr qu'elle contredise sur le fond celle adoptée par l'Académie française dans son communiqué du 5 février dernier. Au besoin on s'y reportera, on le lira attentivement. En tout cas, le cas échéant, on en débattra ... LFAR

     

    peroncel-hugoz 2.jpgTempête bien parisienne, frivole et paradoxale, que celle qui agite, cet hiver, le microcosme intello de la « Ville-Lumière » ... Figurez-vous que le régime socialiste a décidé de tenir enfin une promesse de ... 1990 ! La simplification, la mise à jour de l'orthographe française sera donc en vigueur à la prochaine rentrée dans l'Hexagone. 

    Je connais un peu cette affaire car, à cette époque, je suivais pour Le « Monde » les affaires francophones et donc les activités de l'académicien et téléaste Alain Decaux qui, guère « socialo » mais patriote, avait accepté d'être ministre délégué à la Francophonie dans un cabinet Michel Rocard (1988-1991). Decaux veillait avec attention sur cette Francophonie, lancée en 1970 par le gaulliste André Malraux et qui avait attiré plusieurs dizaines de nations « ayant le français en partage », dont le Maroc et la Tunisie (mais pas l'Algérie)*. 

    Pensant aux écoliers du monde entier, Decaux avait, par raison, approuvé le projet de réforme, comme son collègue académicien Maurice Druon, grand ami du roi Hassan II et membre de l'Académie du Maroc. Druon fut à l'origine de l'entrée dans le Dictionnaire de l'Académie française de nombreux mots venus du Sud, comme "Chambellanie" (forgé et utilisé au Maroc) ou "Essencerie" (créé au Sénégal pour remplacer l'affreux « Station-Service »). 

    Moi-même, avec les encouragements de Druon et Decaux, j'apportai ma petite pierre à l'édifice en publiant en 1990 un de mes livres de voyage (« Villes du Sud », où je traite notamment de Tanger et Asilah) avec l'orthographe simplifiée. Ce que je ne fis pas pour les ouvrages suivants car, entre-temps, la France officielle avait enterré cet utile projet linguistique ... 

    Aujourd'hui le Tout-Paris pensant polémique sur cette réforme ressuscitée et la tendance mondaine dominante est, pour l'instant, de la boycotter ... Ecoutons plutôt cette haute figure de la vie culturelle française actuelle, l'académicien Marc Fumaroli**, esprit dynamique et jamais conformiste, pourfendeur sans pitié du « fanatisme égalitariste » de la République française socialiste et dénonciateur impayable de l'«Art-Fric » qui s'est greffé, comme un parasite, sur la Mondialisation financière ... 

    Donc écoutons M. Fumaroli, en particulier dans « Le Figaro » du 12 février 2016 : « L'alarme suscitée par l'application d'une réforme très prudente de la langue française est très excessive et mal informée. Ce texte modeste, modéré, savamment médité, "de droite" aimerions-nous dire, fut approuvé [en 1990] par l'Académie. Il n'est jamais entré en vigueur, sans doute sous la pression du maximalisme de syndicats de gauche ». Sous les rois de France qui, à partir de François Ier (1515-1547), rendirent obligatoire la langue française dans la vie publique du Royaume des Lys, au moins trois grands amendements de l’idiome national eurent lieu sans drame. 

    Je ne vous en dirai pas plus, chers suiveurs curieux de connaître cette réforme, car vous pouvez en trouver tous les traits sur le Net. Vous y verrez que ledit projet n'a rien de révolutionnaire et ne concerne que 2.400 mots des 35.000 du français courant. 

    Vous apprécierez sans doute la disparition de l'inutile accent circonflexe sur « paraître » ou « maîtresse » - mais pas sur « mûr» ,  « sûr » ou « dû » afin d'éviter la confusion avec « mur », « sur » et « du ». Vous pouvez supprimer certains traits d'union sans utilité et écrire désormais « millepattes » ou « weekend ». Et le reste à l'avenant. 

    Le seul reproche que les francophones non français (soit environ 200 millions de locuteurs quotidiens des cinq continents) pourront faire à bon droit à cette réforme de 1990-2016, c'est que les linguistes français, sauf exception, l'ont élaborée entre eux, sans beaucoup se soucier de l'avis des francophones hors de France. La langue française est certes née en France mais son expansion mondiale, peu à peu depuis le XVIe siècle, a fait que l'idiome de Balzac et Houellebecq est devenu aussi celui de Léopold Senghor (Sénégal), Antonine Maillet (Quebec) ou Driss Chraïbi (Maroc, "Le passé simple", 1954). 

    Bon vent quand même à la réforme, qui de toute façon, ne rend pas caduque l'orthographe actuelle, laquelle va rester en vigueur sine die, afin que chacun puisse appliquer les nouveautés à son rythme, Inchallah ! Mais si certains Etats francophones, vexés par la désinvolture parisienne, décident de ne pas appliquer la réforme on risque d'avoir bientôt deux orthographes, l'ancienne et la réformée ... 

     

    * En 2016, l'Organisation internationale de la Francophonie (OIF), siège à Paris, est dirigée par une Haïto-Canadienne et groupe environ 70 Etats, en comptant les observateurs. 

    ** Ayant passé sa jeunesse à Fez et Meknès, M. Fumaroli a montré son attachement au Maroc en préfaçant volontiers, en 2014, "Meknès 1950", intéressant ouvrage collectif composé par d'anciens Meknassis (collection Xénophon, dirigée par le natif de Salé Alain Sanders). 

    Lire : "Le tapis rouge", par Alain Decaux, de l'Académie française, Perrin, Paris, 1992.

    Péroncel-Hugoz

    Repris du journal en ligne marocain le 360 du 26.02.2016

  • TV : un week-end bien pauvre

     

    par Nicolas Julhiet 

    Pas de Ce soir ou jamais, un simple best-of d’On est pas couché… Où donc trouver du clash et du sang, à la télévision française, entre journalistes, essayistes et politiques ?

    Samedi : Claude Askolovitch recevait Nicolas Dupont-Aignan sur iTélé. La mine grave, comme à son habitude, le président de Debout la France réagissait à propos de la crise agricole. Un thème de circonstance en raison du salon de l’agriculture, qui se tient en ce moment à Paris, et au cours duquel François Hollande a été quelque peu bousculé. NPA s’en est pris violemment à… tout le monde. FNSEA, État français, Commission européenne, Bruno Le Maire, Nicolas Sarkozy etc. Tous sont, pour le député de l’Essonne, responsables de la crise qui touche les agriculteurs français. Seule la Coordination rurale trouve grâce à ses yeux, le « seul vrai syndicat » selon ses mots. Ça tombe bien, vous pouvez lire une interview de leur président sur notre site internet ici.

    Dimanche : Éric Zemmour débattait avec Jean-Christophe Cambadélis sur BFM-Tv dans l’émission animée par Apolline de Malherbe. Deux bretteurs, incarnant à la perfection leur courant de pensée, s’affrontent pendant trente minutes sur un ton courtois, mais vif. Si l’essayiste semble fatigué au début, il devient inarrêtable à mesure que le débat avance. On le voit même trépigner sur sa chaise. L’adrénaline, sûrement. Il faut dire que ses coups font mouche à chaque fois. Ce jour-là, le secrétaire national du PS n’a pas grand-chose  dans les gants : il finit KO assez rapidement. Eric Zemmour s’est même fendu de quelques formules pas vraiment politiquement correct en expliquant, sans ciller, que « le grand remplacement est une réalité » ou que « l’islam n’est pas compatible avec la République ». Éparpillé façon puzzle, le Cambadélis !

    Dimanche toujours : Composition d’invités improbable sur le plateau d’Ali Baddou, animateur du Supplément de Canal +. Guillaume Peltier, droite forte des Républicains, Peter Thiel, cofondateur de Paypal, milliardaire de la Silicon Valley et promoteur du courant libertarien et… Matthieu Delormeau, victime désignée de toutes les blagues potaches de Touche pas à mon poste de Cyril Hanouna sur D8. L’émission ouvre avec un reportage sur deux jeunes français, parisiens, partis aux États-Unis intégrer l’équipe de campagne de Bernie Sanders pour la primaire démocrate. En France, ils ne trouvaient aucun politique à soutenir… « Sauf Nicolas Hulot », explique l’un des deux jeunes. Qui les blâmera ? S’ensuit une nouvelle chronique sur les coulisses de la prochaine présidentielle française. Il est surtout question de Valls, Macron, Hollande… Du réchauffé. Puis, pour se faire peur, les journalistes sont allés à la rencontre de Jean-Marie Le Pen. Le « menhir » présente son projet : un livre sous la forme d’un abécédaire. Oui, « détail » et « holocauste » seront dedans. Ca promet ! Le reste de l’émission est consacré aux invités du jour. Guillaume Peltier fait du Guillaume Peltier, Peter Thiel assure la promotion de son livre De zéro à un : comment construire le futur. Matthieu Delormeau s’explique sur son rôle de bouffon à la télévision, lui l’ancien d’HEC et patron d’une société de production. L’intérêt général est compris entre zéro et un.   

     

  • « Maurras pas mort ! Reportage sur l’Action française »... vue par Daoud Boughezala sur Causeur

     

    L'article qui suit est paru dans Causeur - version papier et version numérique. [29.02]. Nous le reprenons intégralement y compris le tableau des « neuf dates qui ont fait l’AF » et les notes. L'Action française que Daoud Boughezala décrit ici n'est pas le tout de l'Action française, même si elle en est la part la plus voyante et la plus remuante. Le quotidien régional La Provence dirait avec malveillance : « la plus tapageuse ». C'est qu'elle en est aussi - ce qui n'enlève rien à ses mérites, ni à ses devoirs - l'élément le plus jeune. Et qu'elle peut donc en être l'avenir si Dieu ou les circonstances lui prêtent vie, durée et expansion. Il n'y a pas d'antipathie dans le tableau, en effet plutôt disparate - qu'en brosse Causeur. Sans-doute quelques inexactitudes ou approximations. La première et jeune Action française - au moins en son printemps décrit par Paugam - a été aussi diverse et bouillonnante. Elle est devenue, a été, le grand mouvement qui a marqué son siècle. A ses juges de Lyon, des juges assez indignes, Maurras avait lancé en conclusion de son procès : « J'ai mes livres, j'ai mon œuvre, j'ai mes disciples, j'ai l'avenir devant moi. »  Souhatons à notre pays, aujourd'hui tristement à la dérive, que la suite lui donne raison.  Lafautearousseau  •

     

    « Causeur, c’est très bien ! Je pensais que c’était un repaire de vieux droitards réacs mais j’ai beaucoup aimé votre dernier numéro, que j’ai acheté avec Society » Venant d’un militant d’Action française, le compliment ne manque pas de sel. Affublé d’un t-shirt « 0 % hipster », du haut de ses 21 ans, Louis se dit « anarcho-royaliste » et m’exhibe sa dernière lecture : l’essai de Pablo Iglesias, penseur de charme du parti espagnol Podemos classé à la gauche de la gauche.

    On m’avait prévenu. Un reportage sur les jeunes d’Action française s’annonce forcément foutraque puisque le mouvement que Charles Maurras a dirigé quarante ans durant ne se définit ni comme un parti ni comme une idéologie. Un vieux de la vieille me glisse même : « Du temps de mon père et de mon grand-père, c’était formidable : on était monarchiste sans prétendant, catholique sans pape (NDLR : l’Action française a été excommuniée par le Vatican en 1926 puis récusée par les Orléans en 1937). Des sortes d’anars maurrassiens ! »

    On trouve de tout à l’AF

    Officiellement adeptes du « ni droite ni gauche » en raison de leur « nationalisme intégral », les camelots du roi n’appartiennent pas moins à la grande famille de la droite de la droite, et souffrent de la réputation sulfureuse de leur mentor Maurras. Il faut bien avouer que le maître de Martigues, par ailleurs germanophobe et opposé à la collaboration, a commis une faute indélébile à mes yeux : cautionner l’antisémitisme du régime de Vichy tandis que nombre de ses émules résistaient ou combattaient au sein de la France libre*.

    De nos jours, comme jadis à la Samaritaine, on trouve de tout au siège parisien de la formation monarchiste, sis 10, rue Croix-des-Petits-Champs : des cathos tradis, des conservateurs bon teint, des libéraux nostalgiques de l’Ancien Régime, une poignée d’« identitaires », de rares « royalistes libertaires », quelques juifs rassurés par la renonciation du mouvement à « l’antisémitisme d’État » et même… un musulman vegan. Par-delà leurs divergences, ces amoureux de la fleur de lys s’emploient à la préparation des conférences dans une atmosphère de franche camaraderie. Le contraste entre le capharnaüm sans nom du lieu et leur supposé culte de l’ordre saute aux yeux du visiteur. Si ce n’est pas la maison bleue, ça y ressemble un peu : « Ici, tout le monde vient comme il est. L’Action française a toujours refusé le port de l’uniforme, alors que dans les années 1930, tous les mouvements politiques, y compris la SFIO, imposaient leur tenue réglementaire », s’amuse Arnaud Pâris, secrétaire général adjoint de l’AF. Lucien, chef de l’Action française étudiante, renchérit : « Chez nous, il n’y a pas de catéchisme. On a toujours eu à la fois une tendance libérale incarnée par Bainville, le chroniqueur diplomatique et économique de L’AF qui s’opposait en tout point aux positions socialisantes d’un Valois. Cette diversité ne me pose aucun problème car notre but commun est de faire sacrer le roi avant de nous effacer. » Partisans d’une monarchie décentralisée au gouvernement autoritaire, sans Parlement élu mais nantie d’assemblées locales, les membres de l’Action pourfendent le « pays légal » jacobin et en appellent toujours au « pays réel », à l’image de Jérémy, jeune vendeur marseillais de fruits et légumes : « Nos us et coutumes ne sont pas du tout les mêmes que celles des gens du Nord. Il est anormal que la République impose les mêmes normes partout ! »

    Génération Maurras et manif pour tous

    À Paris comme en province, dans chaque cercle d’AF, se reproduit en tout cas le même rituel** : « Chaque vendredi, on vend le journal L’Action française puis on organise des conférences et on mange ensemble entre camelots », raconte Jeanne, 16 ans, lycéenne lyonnaise tombée dans le maurrassisme comme Obélix dans la marmite, c’est-à-dire dès sa plus tendre enfance du fait de ses racines familiales roycos-cathos.

    L’« Inaction française » dont se gaussait l’écrivain fasciste Lucien Rebatet dans les années 1940 serait-elle rajeunie et ragaillardie ? Minute papillon. Il est loin le temps où Jacques Lacan écrivait une lettre enthousiaste à Maurras, et où des personnalités telles que Pierre Messmer, Michel Déon ou Claude Roy usaient leurs fonds de culottes sur ses bancs. La dernière portée d’intellectuels et de pamphlétaires d’AF s’en est allée loin de la maison mère, comme le rappellent les affiches-reliques de la « Génération Maurras » – qui s’autobaptisa ainsi par opposition à la « Génération Mitterrand » – aujourd’hui composée de quadras souvent en délicatesse avec leurs premières amours. Ainsi le journaliste et écrivain Sébastien Lapaque, brillant exégète de Bernanos qu’on peut lire dans Marianne et Le Figaro, figure-t-il désormais au nombre des amis officiels de l’économiste martyr de Charlie, Bernard Maris. Le bougre a même droit à son rond de serviette cathodique depuis qu’il a donné des gages à la gauche institutionnelle. « On le savait antilibéral comme nous, mais il va trop loin », se désole-t-on à l’état-major du mouvement. Si on l’avait congelé puis ressuscité tel Hibernatus, un camelot des années 1990 ne reconnaîtrait plus ses camarades de la Génération Maurras que les années ont dispersée.

    Afin de m’aider à y voir plus clair, un intellectuel revenu du maurrassisme me souffle : « Depuis des décennies, l’Action française est tiraillée entre le poids des glorieux devanciers (Maurras, Daudet, Bernanos, Boutang) et la nécessité de se réinventer. Résultat : les militants veulent tuer le père mais restent prisonniers de l’idéologie maurrassienne. Cette contradiction engendre des crises chroniques qui débouchent sur des scissions tous les quinze ou vingt ans. » Régulièrement, des jeunes d’AF tentent de sortir du carcan maurrassien en élargissant leurs références et leur public, à l’image des fondateurs des revues Réaction (début des années 1990) et Immédiatement (de 1997 à 2003), qui n’hésitaient pas à citer Debord, Baudrillard ou Orwell. Rétrospectivement, l’expérience éditoriale de la Génération Maurras n’a pas profité au développement de l’AF, laquelle a connu une série de bisbilles, entraînant scissions et départs en série dans les années 1990 et 2000. « Tous les quinze ans, des tocards prétendent faire du neuf, se prennent pour Maurras ou Daudet, scissionnent, le tout en se revendiquant du canal historique ! », s’agace Pierre-Charles, 25 ans.

    Malgré les querelles d’egos, l’Action française semble, sinon renaître de ses cendres, du moins connaître un certain frémissement à la suite de la Manif pour tous, dans laquelle les militants d’AF s’engagèrent corps et âme. Ana, jeune juriste transfuge du villiérisme, a par exemple découvert l’AF en 2013, « pendant les parties de cache-cache entre jeunes qui restaient après les ordres de dispersion des manifs ». Une adhésion d’abord motivée « par l’affect » avant que la jeune fille se forme, lise et assiste à des conférences. Ce genre de parcours est monnaie courante chez les roycos : on commence par suivre son instinct, puis l’on rationalise ses convictions en suivant une solide formation doctrinale.

    Signe des temps, Louis l’anarcho-royaliste éloigné de l’Église, Sami le musulman vegan franco-vietnamo-marocain et Gabriel le maçon normand ont tous trois fréquenté les cortèges de la Manif pour tous. Véritable OVNI rue Croix-des-Petits-Champs, Sami, 26 ans, docteur en informatique, accumule les paradoxes : né d’un père vietnamien et d’une mère marocaine, il pratique l’islam mais critique la tendance des musulmans « à pleurnicher en se plaignant de l’islamophobie » et rejette la démocratie tout en dénonçant le piétinement de la vox populi après le 29 mai 2005. En bon maurrassien, ce zélote d’Allah reconnaît la nature catholique de la France. Ses parents « faiblement politisés » lui ont inculqué le culte de l’ordre, notamment à travers le confucianisme, une doctrine fondée sur le principe de hiérarchie. « Comme dans la pensée de Maurras, chacun doit être à sa place, la famille, l’individu et la corporation. » Parisien d’adoption né de parents catholiques plutôt de droite, son camarade Louis loue à son tour la « politique naturelle » maurrassienne avant de rêver d’un roi « qui permettrait la réappropriation populaire des moyens de production et de la propriété ». De Marx à Maurras en passant par Proudhon, son panthéon est décidément « 0 % hipster » !

    L’AF, ce n’est pas seulement de jeunes étudiants intellectuellement bien formés. Aux quatre coins de la France, on y croise également des ouvriers, employés et commerçants. Au fin fond du Perche, Gabriel a créé un cercle dans son village de 600 habitants. Ce trentenaire ancien scout d’Europe, catholique convaincu, « brosse un rayon de 50 kilomètres autour de chez lui », où affluent « agriculteurs, un prêtre, un militaire, un prof, un polytechnicien retraité ». Bref, « pas de notables qui se la pètent » plastronne-t-il avant de pester contre la République née du sang des victimes de la Terreur. Grâce à l’Action, il a acquis une « structure de pensée » catho-royaliste cohérente, sauf à considérer la religion du Christ comme celle de l’amour universel. « Ici, tout le monde vote FN, on ne veut pas de n… et de b… », profère-t-il sans craindre la sortie de route raciste.

    D’un militant l’autre, on passe d’une culture de haut vol à des réflexions d’une indigence crasse. L’Action française ne serait-elle qu’un mouvement d’extrême droite ripoliné par une érudition bon teint ? La vérité est complexe. Pour avoir fréquenté toutes les familles politiques de la droite, le franco-polonais Lucien m’assure : « Par rapport au milieu faf (NDLR : France aux Français), on a un pied dehors, un pied dedans. » Pour être précis, la grande majorité des camelots cultive une approbation teintée de méfiance à l’égard du Front national. Il n’y a guère que les anarcho-royalistes de stricte obédience comme Louis pour trembler devant la société de surveillance « avec des caméras, la police et l’armée partout » qu’instaurerait Marine Le Pen sitôt parvenue à l’Élysée… et opter pour l’abstention. Quant à la politique d’immigration, Louis se contenterait volontiers d’une simple application de la loi,

    Électeur frontiste critique, Pierre-Charles me certifie au contraire que le Front national regorge de militants « maurrassiens, consciemment ou non ». À en croire ce petit-fils de camelot dont la langue châtiée n’a d’égale que les manières aristocratiques, il y aurait d’un côté la ligne « rad-soc marxisante » de Marine Le Pen et Philippot, de l’autre le courant catholique « royaliste de cœur, républicain de raison » des Bruno Gollnisch et Marion Le Pen. À rebours de nos élites politiques, la jeunesse d’AF juge le Front trop républicain et démocrate pour être honnête ! « Le système républicain fait que même s’ils tiennent leurs promesses, les élus du Front resteront un nombre d’années limitées au pouvoir. L’opposition va les calomnier, contrarier leur action et on reviendra à la lutte des partis », prédit Sami, résumant le sentiment prédominant chez ses frères d’armes.

    Mon ami François-Marin Fleutot, dissident de longue date de l’Action française – qu’il a quittée dès 1971 pour fonder la Nouvelle Action française – me livre son explication du rapport ambivalent des maurrassiens à l’extrême droite. Pour ce royaliste de gauche, l’AF a toujours été travaillée par un dilemme : « soit garder l’héritage, soit ramener l’héritier. La première option l’ancre à droite du côté d’un conservatisme absolu, tant et si bien que Maurras a choisi l’union nationale en 1914… et en 1940 derrière Pétain. Le second choix l’aurait amenée sur le terrain risqué de l’aventure révolutionnaire. François-Marin aurait rêvé que, le 6 février 1934 ou sur les barricades de 1968, le mouvement rompe avec la société existante et rappelle l’héritier du trône de France. Or, plutôt que de se risquer au coup de force, l’Action française marine dans l’agitation estudiantine, une partie de ses membres se fantasmant en champions de l’extrême droite folklo (esthétique futuriste, marche aux flambeaux), d’autres, minoritaires, flirtant carrément avec une idéologie völkisch (ethniciste) étrangère au credo maurrassien : « Aucune origine n’est belle. La beauté véritable est au terme des choses. »***

    Un temps séduit par les idées de la Nouvelle droite identitaire et païenne auxquelles il a renoncé car il ne sentait pas « obnubilé par la race », Lucien a « découvert l’islam et l’immigration dans le RER » en passant de sa banlieue chic à la fac porte de Clignancourt. Doté d’une culture politique impressionnante, le jeune homme de 24 ans descendant d’une victime du Goulag entend aujourd’hui « conjuguer ordre et justice pour contrecarrer les idées abstraites de gauche qui ont conduit à des charniers ». Mi-sérieux mi-rigolard, il annonce le coup de poing monarchiste pour demain. Nous voilà mis au jus : il n’aura pas de pitié pour les tièdes : « Pour rétablir une société monarchique, on ne peut plus se permettre d’être conservateur comme à l’époque de Maurras. De Nabilla à Youporn, le pays réel n’existe plus… » Polémique d’abord ! 

     

    Neuf dates qui ont fait l’AF

    1898-1899 : création de l’Action française par Henri Vaugeois, Maurice Pujo et des antidreyfusards rejoints par l’écrivain provençal Charles Maurras. D’abord nationalistes républicains, le mouvement et sa revue éponyme se convertissent au monarchisme.

    1914 : Maurras et l’AF appellent leurs sympathisants à soutenir l’union sacrée contre l’Allemagne autour du gouvernement.

    1926 : le Vatican condamne l’Action française et excommunie son chef pour sa vision instrumentale du catholicisme (agnostique, Maurras se dit catholique parce que la France est catholique).

    6 février 1934 : lors des manifestations des ligues antiparlementaires, ne croyant pas au coup de force, Maurras se tient très en retrait. L’AF perd vingt militants parmi les manifestants tués par la police.

    1938 : Élection de Charles Maurras à l’Académie française. Il en sera radié en 1945.

    1940 : Maurras s’inquiète de l’avancée des nazis mais soutient la Révolution nationale et les mesures antijuives décidées par le régime de Vichy.

    1945-1952 : Frappé d’indignité nationale et d’une peine de prison, Maurras écrit ses derniers livres à la centrale de Clairvaux. Il se serait converti au catholicisme sur son lit de mort.

    1971 : Scission de l’aile gauche de l’AF qui crée la Nouvelle Action Française bientôt rebaptisée Nouvelle Action Royaliste autour de Bertrand Renouvin. Ce dernier appellera à voter François Mitterrand au second tour de 1974.

    2007-2008 : Mort du dirigeant historique Pierre Pujo et crise au sein du comité directeur. Des jeunes proches de la droite parlementaire scissionnent pour créer le microparti Dextra.

    * Citons quelques exemples révélateurs des ambiguïtés de l’Histoire : alors que dès le 11 novembre 1940, des jeunes d’AF se rassemblaient aux côtés d’autres étudiants, notamment communistes, devant la flamme du Soldat inconnu pour protester contre l’occupation allemande, les juristes auteurs du tristement célèbre statut des juifs venaient de l’Action. Plus récemment, on connaît la phrase de Bernanos décrétant au sortir de la guerre qu’« Hitler a déshonoré l’antisémitisme », les déclarations d’amour enflammées de Pierre Boutang à Israël durant la guerre des Six-Jours.
     
    ** Aux côtés de Jacques Sapir, Christian Authier et six autres contributeurs, Lapaque a participé au livre d’hommage Pour saluer Bernard Maris (Flammarion, 2016) sorti un an après l’attentat de Charlie hebdo.
     
    *** Charles Maurras, Anthinéa.
     

    Daoud Boughezala
    est rédacteur en chef de Causeur 

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    Cet article a été publié dans le Magazine Causeur n° 91 - Février 2016
  • Livres • Littérature politique ...

     

    par Ph. Delelis

     

    Les livres des hommes politiques occupent une place de plus en plus considérable dans les librairies. Pas une semaine sans que ne soit mis sur table tel ou tel ouvrage historique, anecdotique, académique, programmatique. C’est là le hic.

    Pourquoi tant d’arbres sacrifiés pour l’édification des masses sur la situation et l’avenir du pays par ceux qui, d’une manière ou d’une autre, ne sont pas étrangers à l’état dans lequel il se trouve ? Plusieurs réponses possibles.

    1° Prouver qu’ils savent écrire. Improbable. Le style est généralement déplorable et l’usage de « plumes », dans ce genre littéraire, est très largement répandu. Rares sont ceux qui peuvent justifier avoir écrit eux-mêmes leurs ouvrages. A cette fin, certains conservent les manuscrits ou les fichiers horodatés sur leur ordinateur personnel, au cas où on leur les demanderait, mais – hélas – cela ne se produit jamais car les versions imprimées ne sont pas vendues.

    2° Prouver qu’ils savent lire. Explication plus raisonnable même si un journaliste politique avouait récemment qu’il lui arrivait d’interviewer des auteurs qui ne s’étaient pas lus eux-mêmes. Ils se trouvaient fort étonnés des idées qu’on leur prêtait.

    3° Prouver qu’ils savent se repentir. Souvent inutile : à peine commise, l’erreur était évidente pour le commun des mortels, c’est-à-dire les citoyens qui prennent les transports en commun, payent leurs factures sur leurs propres deniers, ne bénéficient pas de logements de fonction, etc. Bref, rien de semblable avec l’Homo Politicus à la française mais une capacité bien plus grande de discernement des bêtises.

    4° Prouver qu’ils savent réfléchir. C’est important mais avouons-le, relativement facile quand on a sous les yeux des tonnes d’exemples de ce qu’il ne faut pas faire. Passer de l’idée à la promesse, et surtout de la promesse à l’action, voilà qui est plus complexe et ne se trouve pas dans les livres (ou alors les ouvrages de repentance évoqués plus haut, mais ça ne fait pas avancer le schmilblick*).

    5° Prouver qu’ils peuvent envahir. Les médias, au minimum, les esprits et les cœurs si tout va bien. C’est bien sûr la clé de la motivation. Etre ou ne pas paraître, là est la question médiatique et politique. C’est le livre-prétexte aux émissions mêlant divertissement et politique : « Nous allons lire une anecdote désopilante extraite de votre livre, mon cher Maurice, puis entendre le dernier slam de Grand Corps Malade sur le cimetière de Saint-Denis et vous pourrez ensuite commenter les deux simultanément ».

    6° Prouver qu’ils peuvent réussir. Les ventes deviennent un indicateur avancé des futurs scrutins. C’est le livre-tremplin : passera ou passera pas les 20 000 exemplaires ? 100 000 ? 200 000 ? (vendus, pas tirés, pas mis en place : la précision est quelquefois importante). Pour les éditeurs, c’est le livre-alibi : « Nous avons publié beaucoup d’essais cette année, c’est important pour notre rôle dans la cité ».

    Le livre politique a de multiples fonctions mais, après Chateaubriand, Hugo et de Gaulle, il faut bien reconnaître que « littérature politique » n’est plus qu’un oxymore. 

    * Terme inventé par Pierre Dac dans les années 50 pour désigner un objet totalement inutile. 

  • Société • Fronde contre la loi El Khomri : l'individualisme 2.0 remplace la bonne vieille manif

     

    Après le lancement d'une pétition en ligne par la militante Caroline de Haas, la mobilisation des jeunes contre la loi El Khomri s'étend sur la toile avec le mot-clé #OnVautMieuxQueCa. Mathieu Slama décrypte ici pour Figarovox [26.02] le premier mouvement social exclusivement sur internet. Mathieu Slama est spécialiste de la communication de crise. Mais nous avons aussi noté qu'il est un excellent observateur des évolutions sociétales et que sa position critique à l'endroit de la modernité va souvent au fond des choses. De quoi débattre ...  LFAR

     

    Après le lancement d'une pétition en ligne par la militante Caroline de Haas sur Change.org, qui a recueilli 508 000 signatures, des Youtubeurs ont réagi à la loi El Khomri. Dans une vidéo mise en ligne, mercredi 24 février, une dizaine de vidéastes interpellent les internautes sur « les menaces que représente le projet pour les travailleurs ». Ils invitent ceux qui les regardent à partager leur témoignage. La contestation s'organise désormais à travers le web et les réseaux sociaux. Que cela révèle-t-il ? Est-ce totalement inédit ?

    Mathieu Slama : C'est à ma connaissance le premier cas de contestation sociale exclusivement (pour le moment) sur Internet. Avec plusieurs initiatives qui se combinent: à la fois sur Facebook, sur Twitter, sur YouTube et sur Change.org (site qui recueille des pétitions que chacun peut soumettre ou signer). Le mouvement prend une ampleur inédite sur Internet: la pétition sur Change.org en est à l'heure où je vous parle à plus de 600 000 signatures., la vidéo sur YouTube en est à plus de 100 000 vues et sur Twitter le mouvement est devenu viral.

    On constate sur Twitter que le mouvement prend souvent la forme de témoignages sur les déboires liés la recherche d'un emploi ou encore aux conditions de travail, quasi-systématiquement sur un ton mélangeant l'ironie et l'indignation. Or on sait bien que sur les réseaux sociaux, l'ironie et l'indignation sont les deux modes d'expression privilégiés par les internautes. Ajoutons à cela la dimension très politique et symbolique du sujet, l'impopularité sidérante du gouvernement et le fait que c'est la jeunesse qui s'implique: tout est réuni pour un mouvement viral.

    Notons également que des leaders syndicaux et des personnalités influentes, comme Jean-Luc Mélenchon (qui montre une nouvelle fois son talent pour la communication), ont relayé le mouvement sur les réseaux sociaux, lui donnant un coup de pouce supplémentaire.

    Ce qui est inédit est donc le caractère exclusif sur Internet. On se rappelle du mouvement de la Manif pour tous qui avait beaucoup utilisé les réseaux sociaux mais de manière complémentaire au mouvement dans la rue.

    Ce qui est intéressant, et on y reviendra, c'est que ce mouvement intervient alors que, hors Manif pour tous, les manifestations et grèves sur les questions sociales sont de moins en moins suivies. Les syndicats n'arrivent plus à mobiliser dans la rue alors que le climat social est désastreux. Cela dit quelque chose de l'époque. Les dernières grandes manifs dans les rues sur des questions sociales datent, sauf erreur de ma part, de la réforme des retraites de la fin du quinquennat Sarkozy.

    La mobilisation des jeunes rappelle le mouvement anti-CPE, mais sous une forme totalement différente …

    La similitude réside dans les thèmes de la revendication: l'emploi et la jeunesse. Le lien est donc évident, et d'ailleurs rappelé sur les réseaux sociaux. Lors des manifestations anti-CPE, le mode d'expression était classique: manifestations dans les rues, blocages d'universités… Les réseaux sociaux n'existaient pas à l'époque.

    Les contributions, texte et vidéo, publiées sous le mot-clé #OnVautMieuxQueCa, seront agrégées et partagées par ces vidéastes. Le rituel collectif de la manif est remplacé par des vidéos individuelles. Cela n'a-t-il pas un côté narcissique ?

    Plutôt que narcissique, ce mouvement est avant tout individualiste, là où la manifestation « classique », dans la rue, a toujours deux objets : la revendication bien-sûr, mais aussi le mouvement collectif lui-même et l'émulation qu'il suscite. Cette dérive individualiste est vieille comme la démocratie (déjà Tocqueville dans la première moitié du XIXe siècle s'en inquiétait) mais elle est préoccupante car elle participe d'une ambiance générale, aggravée par Internet. Rappelons que dès la fin des années 90, en réaction à l'émergence des premières pétitions en ligne, plusieurs chercheurs avaient alerté sur de nouvelles formes de mobilisation qui s'écartaient du militantisme collectif au profit de l'engagement individuel. Plus récemment, on se rappelle du débat autour du «  Je » du slogan viral « Je suis Charlie »… La Manif pour tous avait suscité un espoir justement parce qu'il s'agissait d'un mouvement collectif, d'autant plus qu'il s'agissait d'un mouvement engagé non pas au nom d'intérêts individuels mais au nom d'une certaine idée de la vie commune. Mais sur les questions sociales, la dimension collective et tous les symboles qu'elle charrient sont en train, comble de l'ironie, de s'effacer au profit de l'individu. En d'autres termes : les luttes sociales sont à leur tour récupérées par l'individualisme et le libéralisme contemporains. Je ne suis pas sûr que Marx ou Proudhon auraient apprécié cette mutation…

    Mais au final tout cela est-il si surprenant ? Internet et les réseaux sociaux ont envahi toutes les sphères de la vie en société, participant du grand mouvement individualiste des sociétés occidentales. Il n'y a pas de raison que les mouvement sociaux soient épargnés par ce phénomène.

    Une dernière question, et non des moindres, se pose à nous: comment évaluer la réelle mobilisation sur Internet et ce qu'elle représente? Publier un tweet sur les réseaux sociaux derrière un écran d'ordinateur est une action «indolore»: elle n'engage pas à grand-chose. Descendre dans la rue est déjà un engagement plus fort, qui témoigne d'une toute autre intensité de mobilisation. A cet égard il sera intéressant d'observer la manière dont ce mouvement se traduit ou non dans la rue.

    Toutes proportions gardées, le mouvement rappelle-t-il les printemps arabes ?

    Les printemps arabes se sont certes appuyés sur les réseaux sociaux, mais ils se sont traduits par des mouvements très concrets, dans la rue, avec parfois des conséquences terribles. Et du point de vue de l'importance historique, la comparaison n'est pas vraiment possible.

    En revanche l'enjeu de cette mobilisation contre la loi El-Khomri n'est pas petit, et on espère qu'il relancera de manière salutaire le débat qui est en train de renaître sur la condition humaine au travail. On a en effet observé ces derniers mois des débats très importants sur le «burnout» au travail ou encore sur l'horreur du management, cette religion moderne du capitalisme si bien analysée par un penseur comme Pierre Legendre. Pour comprendre les dérives de notre modernité et ses conséquences sur notre conception de l'homme, ces questions-là sont essentielles.

    Le gouvernement a lui-même tenté d'utilisé le web pour répondre ?

    Un compte Twitter de la loi El Khomri a été créé (l'idée étant de «personnaliser» cette loi), avec un premier message qui a été tourné en dérision par les internautes. Résultat, des comptes parodiques ont été créés, comme par exemple un compte «déchéance de la nationalité» ou encore «loi Renseignement». Précisons également que la ministre du Travail a répondu en ligne à la pétition sur le site de Change.org, signe qu'elle a conscience de l'importance que le mouvement prend sur Internet et de la nécessité d'y répondre sur le même terrain.

    Mais soyons réalistes: la bataille de la communication est perdue d'avance pour le gouvernement. C'est d'abord un problème d'émetteur: comment le gouvernement, dont la parole doit en principe traduire une forme d'autorité et de gravité (surtout sur un tel sujet), pourrait-il être audible là où règnent la dérision, la moquerie et la légèreté, Internet? Si l'on ajoute à cela l'impopularité du gouvernement, la défiance des Français et notamment des jeunes vis-à-vis des responsables politiques et le climat social très défavorable, il est évident que le gouvernement ne remportera pas ce combat, du moins pas sur le terrain de la communication

     

    picture-2540921-61yhv5dr.jpgEntretien par

    Journaliste au Figaro et responsable du FigaroVox. Twitter : @AlexDevecchio

  • Militantisme • Où les jeunes-gens d'A.F. Provence se font les porte-voix du Marseille populaire

     

    Les jeunes militants d'Action française Provence sont-ils les indignés de la Tradition, les défenseurs des racines, les tenants d'une réaction populaire contre les fausses élites ? Après avoir chahuté à Aix les élus PS universellement soupçonnés de corruption par la population de la région, voici qu'ils viennent de marquer leur désaccord de fond avec la politique menée à Marseille par la municipalité où dominent les Républicains. Pourquoi et comment l'ont-ils fait ? Ils s'en sont expliqués dans un communiqué que nous reprenons ici. Le lecteur se fera son idée. Il n'est pas sûr que, sur le fond, il s'en trouve beaucoup pour ne pas leur donner raison.  LFAR

     

    Ce mercredi 24 février 2016, les Jeunes Républicains des Bouches-du-Rhône organisaient une conférence sur le thème « Bâtir le Marseille de demain ». Entre autres têtes d’affiche confortablement installées, étaient présents pour présenter leurs réalisations et leurs objectifs, Laure-Agnès CARADEC, Présidente d’Euroméditerranée et adjointe au Maire déléguée à l’urbanisme, Philippe DEVEAU, Président du BTP 13, Roland CARTA, architecte du MUCEM et Caroline POZMENTIER vice-présidente de la Région PACA.

    Nous, militants d’Action française, avons décidé de nous rendre sur place afin de dénoncer cette réunion de l’entre-soi, mais aussi afin de pointer du doigt le manque de cohérence des réalisations architecturales et le mépris affiché des acteurs de l’urbanisme vis-à-vis des doléances adressées par la population marseillaise. Nous avons, pour l’occasion, conféré aux « Républicains » le diplôme de la mascarade politique et nous nous sommes rassemblés au pied de leur permanence afin d’attirer leur attention sur l’ensemble de nos désaccords. Cette action bon enfant a rencontré le malaise et la violence de l’ensemble de l’auditoire à coup de gestes agressifs et d’insultes. Il n’est pas de bon ton de critiquer le marasme de la politique de Gaudin.

    Il faut dire que leur ville de demain n’est pas Marseille, c’est le grand cimetière en béton des mégalopoles modernes. La cité populaire et ses habitants décrits par Pagnol sont les premières victimes des arrangements hideux de ces faux experts attirés par le relativisme tout azimut pis, par la laideur elle-même. S’ils le pouvaient, nos Républicains marseillais vendraient la Bonne-Mère aux Qataris fanfaronnant que l’âme de leur ville soit convoitée par ceux qu’ils pensent être les acteurs économiques les plus tendance du futur. Ce rassemblement du pays légal sur le dos du peuple a rencontré l’opposition du pays réel, celui de jeunes gens déterminés à ne pas laisser Marseille être vendue au Diable.

    A coup de Progrès, de Modernité, nos adversaires voudraient nous faire croire que nous ne sommes plus dans le coup. Or, ce sont eux qui s’apprêtent à recevoir le retour de bâton des Marseillais qui souffrent d’une ville sale, où l’insécurité ne baisse pas, de constructions de logements sans aucune logique, de dégradations et de tags en tout genre. Ce soir, l’Action française s’est faite le porte voix du Marseille populaire, celui que veulent les Marseillais et qui fait tant rêver les touristes.   

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  • Analyse & ironie : Méritons-nous Bruno Le Maire ?

     

    Par Dominique Jamet

    De son côté, dans un article de  Causeur titré « Un conformiste nommé Le Maire » [24.02], David Desgouilles rapporte les singuliers propos que Bruno Le Maire, a tenus aux journalistes, à l'issue de sa réunion de lancement de campagne de mardi dernier : « Attablé avec les autres journalistes dans un restaurant de Vesoul, quelques petites heures après sa déclaration de candidature, votre serviteur l’écoute expliquer à quel point la notion de nation constitue l’angle de sa campagne. Il n’invoquera pas la République. « Les gens » n’y croient plus. Elle n’a pas tenu ses promesses. Donc, il faut leur donner de la nation. »  Il faut leur donner de la nation... Tout est révélé de Bruno Le Maire dans ce propos de pur cynisme et absolue désinvolture. Tout est dit du désenchantement des Français pour la République. Tout est exprimé qui justifie l'ironie dont use ici Dominique Jamet. LFAR    

     

    3312863504.jpg« T’as voulu voir Vesoul et on a eu Le Maire », aurait pu chanter Jacques Brel. Car ce n’est ni à la télévision, ni à la radio, ni à l’AFP, ni à Honfleur, ni à Vierzon, mais depuis la préfecture de la Haute-Saône (14.573 habitants au dernier recensement) que Monsieur Le Maire, à l’occasion d’un meeting, a déclaré sa flamme à Madame la France, mettant ainsi fin à l’insoutenable suspense qu’il entretenait depuis un peu plus de deux ans.

    Du coup, dans son élan, l’ancien ministre de l’Agriculture ne s’est pas contenté d’annoncer qu’il prenait rang parmi les nombreux partants déjà inscrits ou à venir pour la grande primaire de la droite et du centre. Sautant une marche, il a bien précisé, à l’intention de ceux qui auraient pu encore en douter, qu’il était « candidat pour devenir président de la République française ». Une décision, pour reprendre ses propres termes, « simple, forte, inébranlable ».

    Pourquoi, donc, avoir tant tardé à rendre publique une résolution qui, depuis longtemps, semblait aussi patente que le secret de Polichinelle, aussi visible que le nez au milieu de la figure de Cyrano ? Très simplement parce qu’au porteur d’un tel projet, la moindre sagesse, le plus élémentaire bon sens, la prudence et la modestie conseillent et même imposent de s’assurer qu’il est à la hauteur de son ambition. « Je suis dans une démarche d’humilité », confiait Bruno Le Maire au journal Le Parisien, le 12 septembre 2015. D’où une hésitation bien compréhensible.

    Aussi bien n’est-ce qu’après avoir pris conseil de lui-même, dans le secret de sa conscience et de sa salle de bains, que Bruno Le Maire a osé franchir le pas, ainsi qu’il l’a confié avec une désarmante ingénuité. C’est devant sa glace, face à lui-même ou à son double, que l’élu de l’Eure a senti venir la sienne, comme dans les contes. « Miroir, petit miroir magique », demandait-il, « ne suis-je pas trop jeune ? » Jusqu’au jour où le miroir, tel un oracle chiraquien, lui a répondu : « Tu as l’âge pile-poil, ton moment est venu. » « Miroir, petit miroir magique, ai-je l’expérience nécessaire pour postuler à la magistrature suprême ? » Et le miroir, de guerre lasse, a fini par lui dire : « Tu es l’homme qu’il faut à l’endroit que tu sais. » Il ne pouvait plus se dérober à son destin et à nos suffrages.

    Qu’on n’aille pas croire que l’enfance et la jeunesse de Bruno Le Maire ont été faciles. Combien de fois, pris d’un sentiment de révolte, n’a-t-il pas reproché à ses parents, qui n’y étaient pas pour rien, de l’avoir trop bien réussi ! Quoi de plus irritant, lorsqu’on se cherche des défauts, de ne s’en trouver aucun, ou si véniel, comme ces vedettes du show-business qui, interviewées dans les magazines féminins, finissent, après s’être longuement et vainement interrogées, par confesser être parfois impatientes ou avoir un faible pour le mille-feuille de chez Angelina.

    D’autres, moins gâtés par Dieu et la nature, auraient enflé de la tête aux chevilles. Bruno Le Maire a victorieusement lutté contre la tentation de la mégalomanie. Il est le premier à savoir que rien ne lui est dû, que ce n’est pas gagné, et qu’il y a encore loin de la coupe aux lèvres et de Vesoul à la rue du Faubourg-Saint-Honoré. Comme il le déclarait au Point la semaine passée : « Mon intelligence est un obstacle. » Et, tout récemment, lors d’un déjeuner de presse : « Mon problème, c’est que j’ai les yeux trop bleus pour la télévision. »

    Ces deux inconvénients seront-ils rédhibitoires ? On se refuse à le croire. Bruno Le Maire a-t-il les yeux trop clairs et la tête trop bien faite ? La question n’est évidemment pas là, mais bel et bien de savoir s’il n’est pas trop bien pour la France, trop beau pour être vrai ? Méritons-nous Bruno Le Maire ?

     
    Journaliste et écrivain
    Il a présidé la Bibliothèque de France et a publié plus d'une vingtaine de romans et d'essais. Co-fondateur de Boulevard Voltaire, il en est le Directeur de la Publication
     
  • Lyon : « SOS Racines » et AF Lyon se mobilisent en défense du musée des tissus

     

    Il est difficile de ne pas voir qu'en différents points de France, une nouvelle génération d'Action française est en train de se former, s'affirmer, se faire connaître. Fortement ancrée dans l'actualité - locale et nationale - mais tout aussi attachée aux traditions et à l'Histoire.

    Dans la vidéo qui suit, Bayard se présente comme responsable de la section lyonnaise de l'Action française, agissant en participation avec le collectif SOS Racines, en l'occurrence pour défendre le musée des tissus menacé de fermeture. Un musée, explique-t-il, enraciné, basé sur l'histoire traditionnelle de Lyon ...

    Ce n'est pas la première fois, rappelle-t-il, que les dirigeants lyonnais trahissent leur ville. Et de rappeler ce que les années de Terreur ont coûté à la ville de Lyon, passée de 150 000 habitants en 1789 à 80 000 à l'issue de la Révolution.

    Regarder cette vidéo, c'est faire une assez longue balade dans les rues de Lyon, réécouter le chant des canuts et suivre les claires explications de Bayard.

    C'est constater surtout la montée d'une nouvelle génération d'Action française qui pourrait bien être, dans l'effondrement du Système, celle du succès. Et SOS Racines est un nom intelligemment choisi !   LFAR 

     

     

  • Le bocage de Notre-Dame-des-Landes contre la République de Vinci...

     

    Par Jean-Philippe Chauvin

    Eventuellement pour en débattre ... 

     

    arton8470-7b8cd.jpgLa question de l'aéroport de Notre-Dame-des-Landes est revenue sur le devant de la scène depuis l'annonce faite par le président de la République d'un référendum local sur ce sujet. Pour l'heure, le projet même de référendum pose moult problèmes et divise jusqu'au gouvernement, entre un ministre de l'environnement (le terme d'écologie ayant étrangement disparu de l'intitulé du ministère  de Mme Royal) favorable au vote de plusieurs départements (Loire-Atlantique et départements limitrophes) et un autre ministre, en accord avec son ancien ministre de l'Intérieur devenu Premier ministre, qui veut limiter le vote au seul département nantais : en fait, quelle que soit la solution retenue, elle ajoutera au mécontentement ambiant et à l'impression d'amateurisme de ce gouvernement et du chef de l’État... 

    Pendant ce temps, les derniers agriculteurs présents sur la zone prévue pour l'aéroport attendent avec inquiétude et sans impatience leur expulsion désormais exécutoire : les semaines qui viennent seront déterminantes, et chacun fourbit, du côté de la République estampillée Vinci comme de celui des paysans enracinés et de leurs alliés « zadistes », ses « armes ». Bien sûr, le combat paraît bien inégal mais les moyens de l’État ne suffisent pas toujours, comme l'a montré le précédent de l'automne 2012, quand les forces de l'ordre ont rencontré une résistance digne, dans sa forme sinon dans son fond, des Vendéens de 1793 : le bocage de Notre-Dame-des-Landes s'est avéré un véritable piège pour des « bleus » bien équipés mais peu habitués au combat des bois... Sans doute ont-ils appris depuis, et leur prochain assaut risque d'être plus efficace, en particulier en cet état d'urgence qui permet quelques « arrangements » et la mise au frais de quelques potentiels « résistants » avant de lancer l'opération d'expulsion elle-même : aucune heure de la nuit n'est plus protégée pour les fermiers et les occupants de la ZAD. 

    Cela fait des années que je milite contre le projet d'aéroport à Notre-Dame-des-Landes mais il me semble que le dénouement est désormais proche, qu'il soit favorable ou défavorable à Vinci et à ses obligés politiques : la République qui ne veut pas se déjuger joue son va-tout tout comme les opposants qui sentent bien qu'il leur faut tenir encore le terrain pendant quelques mois, en espérant que le vote consultatif soit hostile au projet ou que la prochaine présidentielle, dans le temps électoral ou dans ses conséquences, rebatte les cartes à leur avantage. 

    En attendant, les arguments contre le projet d'aéroport doivent être à nouveau aiguisés, démontrés et diffusés : c'est une bataille de chiffres, de faits et de réalités comparés et, au-delà, de propositions et d'idées, voire de civilisation ! Oui, de civilisation, car ce sont deux modèles de vie qui s'affrontent à travers ce projet, celui d'une société de consommation toujours insatisfaite et jamais rassasiée, éternellement pressée, fondée sur l'individualisme de masse et le profit sans conscience, le néo-nomadisme et un libéralisme sans frein, et celui d'une société de convivialité, de service et de partage, de traditions et d'enracinements, capable de prendre son temps et de respecter son prochain, y compris celui à venir... Dans son encyclique « Laudato si' », le pape François livre quelques pistes pour une écologie intégrale que le royaliste que je suis peut reconnaître comme une « vieille tradition » française et monarchique, non la nostalgie d'un « Avant » meilleur et illusoire mais d'une éternité qui n'oublie jamais de se renouveler... 

    A Notre-Dame-des-Landes se joue le sort de quelques arpents de terre mais aussi et surtout, le destin d'une société, la nôtre : que l'aéroport se fasse et ce sont bien plus que des tritons, des libellules et des oiseaux qui souffriront ! C'est la possibilité d'une résistance au triste « monde qui vient » qui sera sérieusement entamée : il est, ainsi, des combats qu'il ne faut pas perdre et pour lesquels il faut s'engager, en citoyens soucieux de préserver « cet avenir que tout Français bien né souhaite à sa patrie »...  Bien sûr, dans ce combat, certains alliés de circonstance n'auront pas les mêmes intentions ni les mêmes principes. Qu'importe, puisque nous le savons ! Maurras, ce royaliste conséquent, n'hésitait pas, lui, à invoquer « le compromis nationaliste » (y compris avec des adversaires politiques) quand les choses essentielles étaient en jeu. Ce Martégal, défenseur de l'étang de Berre menacé par l'industrialisation abusive à l'aube des « Trente Glorieuses », aurait sûrement écrit ce soir quelques belles et coléreuses pages pour défendre ces mares et ces bois de Notre-Dame-des-Landes menacés par le bitume d'une République qui ne cesse jamais, encore et toujours, de défigurer la France, notre royaume ! 

    Le blog de Jean-Philippe Chauvin

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    Paysage martégal

  • Périco Légasse : « Notre pays importe les cordes avec lesquelles nos agriculteurs se pendent »

     

    En pleine crise agricole et à moins d'une semaine du Salon de l'Agriculture, Périco Légasse revient sur les dégâts causés par la Commission européenne, la FNSEA et la spéculation boursière à une filière jadis reine en France.  [Entretien dans Figarovox du 19.02]. Pour lui, cette crise est le résultat d'une dérive productiviste qui met en danger notre identité nationale. Ainsi, on commence à se rendre compte que le problème agricole français n'est pas seulement économique ou financier et ne se réduit pas à une affaire de management. Il est avant tout identitaire et civilisationnel. Périco Légasse apporte au moins ici sa pierre à un débat de fond qui concerne au sens plein notre nation. Sauvegarder l'identité française, ce n'est pas seulement la préserver, par exemple, des migrants, mais aussi des maladies de la postmodernité.  LFAR

     

    La crise agricole est en train de prendre une tournure inquiétante. Est-on arrivé à ce fameux point de rupture dont certains experts pensent qu'il pourrait générer des chaos encore plus tragiques ?

    Tout porte à le croire, car les mesures décidées par le gouvernement et présentées par le Premier ministre devant l'Assemblée nationale prouvent qu'il y a, cette fois-ci, une grande inquiétude au sommet de l'Etat. Et s'il s'est décidé à passer à l'acte aussi rapidement, c'est qu'il y a urgence. Que faut-il, après les incidents de ces derniers mois, pour qu'enfin l'on comprenne à Paris comme à Bruxelles que cette crise-là n'est pas comme les précédentes ? Elle est celle de ceux qui n'ont plus rien à perdre. On sait depuis trop longtemps que certains secteurs au bord du désespoir vont basculer dans l'irréparable. Violences, suicides, affrontements.

    N'empêche, des situations aussi extrêmes auraient pu être évitées bien plus tôt puisque nos dirigeants trouvent soudain les moyens de prendre la crise par les cornes. N'empêche, la méthode reste la même : on continue, à coups de millions d'euros, trouvés dieu sait où, finalement payés par le contribuable, à colmater les brèches, à panser les plaies, à mettre des rustines sur les fuites, pour repousser le problème au prochain déluge. Cette stratégie est irresponsable car elle ne résout rien sur le fond. Elle est surtout l'aveu que le gouvernement français ne dispose plus des leviers nécessaires à une réforme structurelle du mode de fonctionnement de notre agriculture. Ces leviers, c'est la Commission européenne qui les détient et nous savons de quelle agriculture rêve la Commission. Son modèle ? Les usines à cochon allemandes, avec main d'œuvre bulgare payée à la roumaine, dont la viande de porc agglomérée a donné le coup de grâce aux éleveurs intensifs bretons auxquels on avait assuré que leurs tarifs étaient imbattables. C'est ça l'Europe libérale libre et non faussée ?

    Personne n'a donc vu venir le danger ? C'est étonnant...

    Nous avons accepté d'être dépossédés de prérogatives souveraines qui font défaut aujourd'hui à la République française pour sauver sa paysannerie. J'espère qu'il y aura un jour un tribunal de l'histoire pour juger les coupables qui ont accepté ces reniements successifs. L'éleveur laitier au bord du gouffre, qui voit son voisin revenir du super marché avec dix packs de lait UHT importés de Pologne, et auquel on demande son trentième certificat vétérinaire, a peut être des raisons de désespérer de cette Europe portée aux nues par son maire, son député, son sénateur, son président de chambre d'agriculture, son gouvernement, son chef d'Etat, souvent son journal, sa télé ou sa radio.

    La pression exercée par les services de l'Etat, la banque, l'Europe et les aléas du marché sur nos agriculteurs atteint-elle ses limites ?

    De normes sanitaires en règles communautaires, de contraintes financières en directives administratives, d'emprunts asphyxiants auxquels on les a poussés en leur tenant le stylo, aux pratiques commerciales imposées par le lobby agro industriel et par la grande distribution, les agriculteurs de France sont à bout. Pas les gros céréaliers nantis, liés à certaines coopératives et gavés de subsides européens, mais ceux qui nourrissent directement la population. Promenés et balancés de promesses électorales en programmes gouvernementaux jamais tenus, sous prétexte que nous sommes 12, puis 15, puis 18, puis 28 Etats à décider ensemble, ils ont contenu leur colère durant des décennies. « Mais rassurez vous, nous défendons bec et ongles vos intérêts à Bruxelles. Faites nous confiance, nous vous soutenons » … comme la corde soutient le pendu. Les chambres d'agriculture ont poussé les exploitants à devenir exploités, les incitant à s'agrandir en surface, à concentrer la ressource, à augmenter les rendements, à acheter des machines chaque fois plus grosses et coûteuses pour s'installer dans un productivisme global et compétitif. Ces paysans sont aujourd'hui floués, ruinés, abandonnés. On ne peut pas demander à un homme qui est à terre d'obtempérer sous peine de sanction, ni à un homme pris à la gorge, et qui ne sait plus comment nourrir sa famille, de s'acquitter des ses échéances bancaires ou sociales. Alors, épouvantable réalité, ceux qui sont acculés, à bouts de nerfs, sans lendemain, basculent parfois dans l'irréparable. La colère des agriculteurs est à l'image des désordres qui menacent la planète.

    L'importance du mouvement, la pugnacité des agriculteurs révoltés et l'extension du phénomène à toute la France révèlent-elles une souffrance plus profonde que ce que l'on peut imaginer ?

    Nous sommes au delà de la tragédie humaine. Le désespoir agricole nous conduit à une tragédie nationale de grande ampleur. Et les effets aggravants vont exacerber les exaspérations déjà explosives. Car ce ne sont plus seulement les éleveurs bovins et les producteurs laitiers qui durcissent leurs actions. A l'Assemblée Nationale, ce jeudi 17 février, Manuel Valls déclarait que le gouvernement et l'Europe ont pris leurs responsabilités (baisse de 7 points pour les cotisations sociales des agriculteurs en difficulté et année blanche fiscale pour ceux à faibles revenus), et qu'il a appartient désormais aux agriculteurs de prendre les leurs. C'est le comble.

    Qui a conduit l'agriculture française dans cette impasse, toutes majorités confondues, depuis trente ans, en partenariat politique étroit avec le syndicat majoritaire? Qui, jusqu'au vote de la loi d'avenir, et de son programme d'agro-écologie porté par Stéphane Le Foll, en septembre 2014, par le parlement, a validé toutes les dispositions inféodant davantage l'agriculture française aux desiderata des lobbies bruxellois ? Qui a validé la dérégulation du marché et la suppression des quotas laitiers sans contreparties ? Qui refuse d'imposer la traçabilité des viandes entrant dans la composition des produits transformés ? Qui laisse pénétrer chaque année sur notre territoire des millions de tonnes de tourteau de soja destinées à gaver nos élevages intensifs ? Qui favorise l'importation déloyale et faussée de millions de litres de lait en provenance d'autres continents pour satisfaire aux oukases tarifaires de la grande distribution ? Les cours mondiaux! Toujours les cours, mais alors qu'on le dise clairement, la France est soumise aux aléas d'une corbeille boursière qui décide de la survie ou non de nos exploitations agricoles. Quelle nation souveraine digne de ce nom peut accepter de sacrifier une partie de son peuple aux ambitions de patrons de casinos où le blé, la viande et le lait sont des jetons sur un tapis vert ? La seule vraie question qui vaille est: ça nous rapporte quoi? La mort de nos campagnes, de ceux qui les entretiennent et une dépendance accrue aux systèmes agro industriels qui abîment la Terre, l'homme et l'animal.

    Alors qu'on recense environ un suicide d'agriculteur tous les trois jours, les pouvoirs publics prennent-ils la mesure du drame ?

    Les agriculteurs étranglés, aux abois, meurtris, voient leur pays importer les cordes auxquelles ils se pendent. Un paysan qui se suicide n'est finalement que le dégât collatéral de la modernisation de l'agriculture et de l'adaptation au marché globalisé. Le bœuf que l'on jette aux piranhas pour que le reste du troupeau puisse passer. Le seul problème est que, finalement, tout le troupeau y passe. Qui sont ces agriculteurs qui se suicident ? Précisément ceux qui appliquent à la lettre depuis 10 ans, 20 ans, 30 ans pour certains, les instructions et les recommandations du syndicat majoritaire, cette FNSEA qui a beau jeu aujourd'hui de barrer les routes et de bloquer les villes après avoir encouragé et accompagné toutes les politiques ayant conduit à ce massacre. Précisément ceux qui ont cru, en toute bonne foi (on leur avait si bien expliqué qu'il n'y a pas d'autres solutions possibles) que les programmes officiels, de gestion des cultures et des élevages pour se conformer aux lois du marché, les conduiraient à la richesse. Ceux-là sont ceux qui se pendent les premiers sous le regard compassé de ceux qui ont tressé la corde fatidique. Certes, il y a bien eu la PAC, avec des centaines de milliards reversés aux agriculteurs les plus riches qui s'alignaient doctement sur les critères du productivisme alors que les autres étaient obligés de tendre la main à Bruxelles pour obtenir une obole. Comment une puissance au patrimoine agricole si glorieux et si performant a-t-elle pu laisser ce trésor se détériorer aussi vite et aussi tragiquement. Quelqu'un a forcément menti à un moment donné de l'histoire.

    Le Salon de l'Agriculture s'ouvre dans dix jours. Que faut-il en attendre ?

    On l'appelait autrefois la Foire agricole. C'était une fête. La vitrine des fiertés paysannes de la France. L'engagement fervent de ceux qui montaient à la capitale pour témoigner qu'une majeure partie du pays continuait à travailler la terre pour nourrir la nation. L'édition 2016 sera marquée par les drames et les détresses ayant marqué les douze derniers mois. Mais rien n'y fera. La Foire restera celle des grandes enseignes industrielles et commerciales dont les bénéfices se sont faits sur l'éradication d'une société qu'ils ont contribué à ruiner. Qu'un vainqueur vienne planter ses aigles sur le territoire du vaincu est une chose, mais qu'un marchand de produits toxiques vienne édifier un mausolée au milieu du cimetière de ses victimes en arborant un grand panneau sur lequel on peut lire « Voici mon œuvre » est pour le moins original. Car les grandes enseignes mercantiles qui fleurissent le long des allées du salon, entre les vaches et les cochons, les sacs de grain et les bidons de lait, les vergers reconstitués et les prairies artificielles, pour faire croire qu'elles sont les bienfaitrices de ce qui n'est plus qu'un musée de la honte agricole, n'auront pas le courage de financer un grand mur sur lequel on pourrait afficher les trois mille photos des paysans qui se sont suicidés depuis 2007. Et si l'on demandait aux grandes marques dont les panneaux colorent à perte de vue les halls de la porte de Versailles d'indiquer combien de tonnes de lait en poudre néo-zélandais, de fruits et légumes saturés de pesticides, de viandes infâmes, de produits cuisinés nocifs, etc, etc, elles ont importés, puis déversés, à prix écrasés, sur les rayons des grandes surfaces, tout en creusant la tombe des agriculteurs français n'ayant pu s'aligner sur les tarifs de cette merde… Que faut-il en attendre? Plus de larmes et plus de sang pour les agriculteurs pris au piège et plus de profits et de bonne conscience pour ceux qui les exploitent.

    Existe-t-il une perspective pour sortir de cette impasse ?

    Oui, et même plusieurs: un gouvernement de combat et non un casting pour meeting électoral du PS avec supplétifs d'occasion. Exemple, dans la configuration politique actuelle, c'est Stéphane Le Foll qu'il aurait fallu nommer Premier ministre, afin de faire du programme d'agro-écologie, tout juste initié mais bientôt amplifié, une priorité nationale qui soit l'objectif premier du gouvernement de la République. Face à la détresse agricole, ce grand projet couvre toutes les problématiques et ouvre des perspectives au-delà même des enjeux agricoles. Il s'agit d'une redéfinition des logiques ayant prévalu jusqu'à aujourd'hui afin que l'agriculteur ne soit plus tributaire des spéculations et des OPA que la finance internationale lance sur les ressources alimentaires. Une seule réalité s'impose à toutes les autres: l'agriculture n'est pas faite pour produire, elle est faite pour nourrir. Nous avons la formule, nous avons le processus, nous avons des expériences. Un tel défi ne peut que susciter un vaste consensus populaire. De toutes les façons, seule une baisse générale de la production compensée par une redistribution qualitative de notre agriculture vers des formes de cultures et d'élevages répondant à la fois aux besoins et aux attentes de la population et aux impératifs d'un monde durable permettront de sortir de cette impasse. L'exacte contraire de ce que prône la FNSEA, toujours persuadée que le salut ne peut venir que d'une augmentation ultra modernisée de la taille des exploitations et des volumes, c'est-à-dire l'aggravation de tout ce qui a conduit l'agriculture française dans le mur. Cette redéfinition est une question de survie. Et plus l'on attendra avant de la décider, moins nous aurons de chance de voir nos agriculteurs redevenir des paysans. La clé du problème est là: rendez nous nos paysans!

    Et en projetant un peu plus loin ?

    De même, il est fondamental de mettre en place un programme scolaire d'éducation citoyenne du consommateur concerté avec le ministère de l'Agriculture. Les bases existent sous le projet « classes du goût », créées par Jacques Puisais en 1975 puis expérimentées un temps dans certains collèges. Le client de demain doit apprendre à consommer pour se faire du bien, pour soutenir une agriculture qui le nourrisse sainement tout en préservant l'environnement, pour soutenir une industrie agroalimentaire créatrice de richesse et d'emploi dans le respect d'une agriculture porteuse d'avenir, pour soutenir un artisanat employeur garantissant la pérennité de savoirs faire et d'activités. Consommer moins mais mieux. Chaque année, chaque Français jette 7 kilos d'aliments frais emballés. Des millions de tonnes de nourriture à bas prix que l'on pourrait reconvertir en profit pour les agriculteurs qui produiraient donc un peu moins mais mieux payés. Sur le terrain de la compétitivité internationale, nous serons toujours battus par des systèmes qui peuvent produire encore plus infâme et moins cher. Cela passe par une émancipation des diktats bruxellois et le retour à la subsidiarité française en matière de normes agricoles. Enfin, repeupler nos campagnes et remettre en culture des terres abandonnées ou abîmées tout en créant une activité agricole conformes aux enjeux contemporains, non dans la surproduction surconsommée, mais dans une juste productivité qui permette de satisfaire 99% de la demande intérieure et d'en exporter l'excellence vers des marchés demandeurs. La France a besoin de ses paysans pour vivre, pour être, pour durer.  

    Périco Légasse est rédacteur en chef de la rubrique vin et gastronomie à l'hebdomadaire Marianne.

    picture-2540921-61yhv5dr.jpgEntretien par

    Journaliste au Figaro et responsable du FigaroVox. Twitter : @AlexDevecchio

  • Où Pierre Nora constate que le problème de la France est la faiblesse de la République

    Pierre Nora est membre de l'Académie française depuis 201 

     

    « L'identité nationale, vous disais-je, serait peut-être aussi malheureuse s'il n'y avait pas un seul immigré, car le problème principal de la France ne me paraissait pas la puissance de l'Islam, mais la faiblesse de la République »

     

    Pierre NORA

    de l'académie française 

    28 janvier 2016 - Académie française - Réception d'Alain Finkielkraut

  • Les rassemblements royalistes de Provence ... 35 ans d'action politique

     

    Retour, ce dimanche, sur cette frange de 35 ans d'histoire du royalisme français et d'histoire de l'Action française, qui a laissé des traces et des souvenirs durables dans le Midi et au delà. 

    L'aventure des Rassemblements Royalistes de Provence commence, sous la présidence de Pierre Chauvet, le 8 juin 1969, entre les deux tours de l'élection présidentielle, à l'abbaye de Montmajour, dans la plaine d'Arles.

    L’Union Royaliste Provençale osait organiser une réunion populaire ! Elle reprenait la tradition des rassemblements d’avant-guerre et faisait revivre le midi royaliste.  

    Le pari fut réussi. L'expérience pouvait se renouveler. Le Rassemblement avait désormais un retentissement national. L’aventure s’est prolongée pendant plus de 35 ans [1969-2005]. 

    Les Rassemblements royalistes de Montmajour, Saint Martin de Crau, les Baux, donnaient lieu à une action de communication dans tout le Sud-est, grâce à une mobilisation militante importante. Certaines années, 25.000 affiches sont collées; 100.000 tracts sont distribués; des disques, des manifestes, des brochures, des journaux  sont édités. La presse écrite, la radio, la télévision sont présentes.

    Les présidents du comité d'honneur : En 1969, ce fut   Jacques MAURRAS; en 1970, le duc de LEVIS-MIREPOIX, en 1971, Thierry MAULNIER qui envoyait un message à la foule, en 1972, le duc de Castries, trois académiciens français …  

    Le  « Manifeste de Montmajour » analyse  royaliste de la société contemporaine, fut publié en 1971.  

    Saint Martin de Crau accueillit le Rassemblement en 1972, l'État ayant pris entièrement possession de Montmajour. Malgré la pluie, ce fut une grande foule qui s'y rassembla.  

    Le Rassemblement s’est tenu aux Baux de Provence, à partir de 1973. Cette année-là, pendant quinze numéros, « L'Ordre Provençal » devint quotidien (avec prises de position sur l'actualité, échos de la campagne des Baux, enquêtes). 

    Les Rassemblements à thème débutèrent en 1974. Cette année-là, ce fut : « Pour une contre-révolution globale ». En 1975, les royalistes s’attachèrent à défendre l'armée, alors vivement attaquée. Le thème de l'année suivante fut : « ni libéralisme, ni collectivisme, réaction populaire ». Jean   DUTOURD adressa aux participants une lettre où il s'affirmait pour la première  fois royaliste.                                                       

    En 1979, le Comte de Paris publia ses « Mémoires d'exil et de combat ». Les Baux prirent pour thème : « instaurons la Monarchie ». Le thème du Rassemblement de 1981 fut : « Résister », première réaction à l’arrivée de la gauche au pouvoir. 1983 et 1984 contribuèrent à la défense de l'école libre. En 1985, Gabriel Domenech, rédacteur en chef du grand quotidien régional Le Méridional, vint dire son accord avec les idées royalistes. 1987 commémora avec ampleur le Millénaire Capétien. Une étude de deux militants marseillais, fut alors publiée : « Pour la monarchie de demain ».

    Les Rassemblements de 1989 & 93 ont été ceux du bicentenaire de la Révolution, du martyre de LOUIS XVI, de la Vendée, des années de Terreur. Malgré les mythes officiels, ce furent, en réalité, les premières manifestations du totalitarisme moderne. Ce thème fut brillamment traité aux Baux.          

    En 1995, les royalistes des BAUX manifestèrent leur scepticisme après la toute récente élection de Jacques Chirac à la tête de l'État. En 1996, le thème fut : « Pour   défendre l’identité chrétienne et royale de la France ». La   réunion de 1997 (« demain sauver la France ») manifestait  l’opposition des royalistes à l’Europe de Maastricht. 

    Les Rassemblements Royalistes de Provence devenus une tradition ont souvent eu un grand écho médiatique. Ils ont été une tribune pour les idées royalistes en même temps qu’un moyen de discuter, de prendre des contacts, de s'informer des activités royalistes en Provence et dans toute la France. Ce fut aussi une fête amicale (stands de livres, d'objets d'art, de jeux, bar, buffet, animations) et le point de départ des actions militantes de l'année qui suit. 

    Un changement important s’annonçait lors du Rassemblement de 1999 qui développait l’idée d’un nouveau « projet   national royal ». Ce projet s’incarne en effet dans un prince qui est annoncé en 2000 : “Un rendez-vous de l’Histoire qui se prépare”. Et en 2002, le Prince Jean de France, duc de Vendôme, accompagné de son frère, le prince Eudes, duc d’Angoulême, et de son épouse, choisit Les Baux comme lieu de la première rencontre publique entre la famille de France et les royalistes depuis des dizaines d’années.  

    Une « métamorphose » des Rassemblements prend forme en 2005 avec la création d’une journée de « débat royaliste » où des intellectuels de haut niveau analysent les problèmes contemporains, présentent nos positions et où l’on travaille, ensemble, aux progrès du projet national royal.

    Ce sont trente-cinq ans d'Action française, d'engagements politiques, que résume ce bref rappel historique. Après 2005, nos activités ont pris des orientations nouvelles, adaptées aux situations et aux techniques d'aujourd'hui. Rien n'empêche toutefois qu'en temps opportun l'aventure des rassemblements royalistes de Provence soit reprise, sous une forme ou sous une autre. La plus propre à servir l'idée nationale et royale. 

     

    Ils ont pris la parole dans ces rassemblements, parmi beaucoup d'autres ... 

    LES BAUX PERSONNALIT2S.jpg

    [Dans l’ordre des photographies] 

    Pierre BOUTANG  - Pierre DEBRAY - Gérard de GUBERNATIS - Marcel JULLIAN - Gérard LECLERC - Jean RASPAIL - Michel de SAINT-PIERRE - Jean SEVILLIA - Gustave THIBON - Jacques TREMOLET de VILLERS - Jean Marc VARAUT - Vladimir VOLKOFF


    1798463737.jpg« 
    L'aventure des rassemblements royalistes de Provence » : pour visiter l'album, cliquez sur l'image ci-contre. 

     

     

  • Médias • TV : BHL chez Ruquier

     

    par Nicolas Julhiet

     

    Il faut toujours garder une certaine distance quand on regarde une émission avec Bernard-Henri Lévy… Dans On n’est pas couché, ce samedi soir, cette précaution fut encore nécessaire.

    L’esprit du judaïsme. Tel est le titre de son dernier livre. BHL est venu en assurer la promotion sur le plateau de Ruquier. Sans sa chemise blanche, pour une fois, comme il en plaisante lui-même, faisant preuve d’un minimum d’auto-dérision… Il en est donc capable, se dit-on ! Au moins une fois. Car, durant toute l’émission, BHL a affiché sa mine la plus grave, la plus sérieuse, celle qu’il arborait sur les théâtres d’opérations à travers le monde, dans des conditions certes parfois surprenantes, entre un char éventré et une caméra.

    Quoi qu’il en soit, la première partie de l’émission est intéressante, bien que peu originale. Il est question de l’antisémitisme en France et de son évolution à travers les siècles. De Philippe Le Bel à Alain Soral et Dieudonné en passant par Bernanos et Céline. Le grand écart historique et intellectuel. S’il s’incline devant le génie littéraire des deux écrivains, il ne montre une grande estime pour le fondateur d’Egalité & réconciliation et l’humoriste franco-camerounais. «Des crânes rasés de la pensée », dit BHL dans une formule qui fait mouche ! De bonne guerre, tant la rivalité est forte entre les trois hommes. Mais contrairement à d’autres, BHL n’invite pas les juifs de France à quitter le pays pour Israël. Il dit clairement que l’antisémitisme est moins prégnant qu’avant. Soulagement général : ce soir, pas d’excès de langage, ni de procès général, ni d’inquisition. Pour l’instant, du moins.

    La discussion glisse ensuite sur l’auteur lui-même. Il est question de son identité juive – qu’il ne juge pas malheureuse, à l’inverse d’un Finkielkraut -, et de son rapport au judaïsme. Un judaïsme qu’’il peine à définir, d’abord parce qu’il se définit comme un juif laïc pour qui « Dieu n’est pas la question de (son) livre, ni de (sa) vie ». On sent l’émission prendre une tournure prometteuse. Qu’est-ce qu’être juif ? Dans L’esprit du judaïsme, rappelle Yann Moix, BHL évoque longuement le livre de Jonas. Ce prophète, qui a pour mission d’alerter la ville de Ninive de sa destruction par Dieu, accomplit sa tâche après moult péripéties.

    On y est : BHL se considère comme le Jonas moderne. D’où son interventionnisme, d’où sa volonté de se rendre dans les pays en guerre, d’où ce besoin quasi-frénétique d’action. Sauf, qu’il n’y a plus « une » mais « des » Ninive. Et qu’il n’y a qu’un seul Jonas-BHL. Le philosophe ne dispose pas parmi ses nombreux talents de celui d’ubiquité…

    C’est là qu’intervient Léa Salamé. Après avoir doctement expliqué que Descartes a été excommunié (ah bon ?), elle rappelle à notre philosophe, avec un peu plus d’à-propos, les conséquences funestes de son rôle auprès de Sarkozy et de l’intervention militaire en Libye. Nul besoin de rappeler le chaos en Libye et au Proche-Orient après la chute de Kadhafi.

    BHL se défend comme il peut, de manière plus ou moins adroite, arguant qu’on ne peut pas le tenir responsable des conséquences de l’intervention, une intervention motivée par les meilleures intentions. Doit-on refuser d’agir au prétexte que les événements peuvent prendre une mauvaise tournure, demande le philosophe ? Doit-on refuser aux peuples l’accès à la démocratie ? Eternelles rengaines universalistes. Au moins, réfute-t-il le dogme du « sens de l’histoire ».

    L’émission continue avec la réhabilitation de l’apport des juifs dans l’histoire de l’humanité. BHL laisse échapper cette phrase hallucinante : « Les juifs sont une escorte discrète et silencieuse pour les autres nations ». Toute critique pouvant être mal interprétée… Prudence, donc.

    Non content de son petit effet, BHL, en quelques mots, réussit à provoquer l’incrédulité de Laurent Ruquier. Des propos repris par tous les sites d’informations et qui suscitent une vive polémique. Alors qu’il explique que le traitement de Laurent Fabius, dans l’affaire du sang contaminé, a des relents antisémites, il enfonce le clou à propos de l’affaire DSK : ce n’est « certainement pas un complot mais la façon dont une partie de la presse s’est emparée de cette histoire, en a fait une espèce de monstre où toutes les frustrations, les désirs inavoués… Moi je me rappelle certains hommes politiques devenant littéralement fous face à cette affaire DSK. (…) Je ne me suis jamais posé la question de s’il y entrait de l’antisémite… mais puisque vous me posez la question, il y entrait probablement une part d’antisémitisme. »

    Impossible de lui donner raison, même avec les meilleures intentions philosémites du monde. Dommage pour lui et la crédibilité de ses propos. Il est si rare d’entendre les noms de Péguy, de Chateaubriand ou de Bernanos à une heure de grande écoute. Pour BHL, qui avait jusqu’ici réussi à sortir de son rôle de bretteur à la faconde un tantinet pénible, la chute est terrible. De son passage, il ne restera que la polémique. 

      

  • Civilisation & Société • Les grands cimetières sous le hamburger

     

    La réussite de Mc Donald's dans l'Hexagone rappelle que la France, qui pleure sur ses paysans et son art de vivre, est aujourd'hui la terre d'élection du fast-food et de la grande distribution. Dans cette chronique du Figaro [20.02], Natache Polony a bien raison de flétrir cette société décivilisée où nous sommes entrés, qu'elle décrit avec force et finesse et qu'elle nomme, dans une formule fort appropriée qui devrait donner à réfléchir, le camp de consommation, stade ultime de la modernité.  LFAR

     

    XVMbd3235a0-219b-11e5-93d6-2261d4e29204 - Copie.jpgJoie, gastronomie et croissance ! La France accueille désormais sur les Champs-Élysées le plus grand « restaurant » McDonald's du monde. Un exemple de réussite puisque le géant du sandwich atteint en France la quintessence de son art, au moment même où ses résultats reculent aux États-Unis. Là-bas, c'est une blogueuse qui a sonné la révolte contre la nourriture grasse et sucrée, déclenchant un mouvement de défiance contre le modèle jusque-là triomphant. Heureusement pour McDonald's, il reste la France, ce paradis ! La direction américaine, jusque-là sceptique, est même venue en délégation au printemps 2015 prendre des cours auprès de son entité française.

    Le secret de cette réussite ? L'adaptation, l'art de faire couleur locale. Des baguettes, un coin café, des salades et des fruits pour rassurer les mamans consciencieuses… Et puis surtout, en cette période de crise agricole, on affiche la solidarité avec les paysans français. La viande, les pommes de terre, le blé du pain… du produit français. Et le consommateur est content. Il a bonne conscience. Et c'est important, pour bien digérer, d'avoir bonne conscience. Il ne tue pas ses agriculteurs puisqu'il se nourrit dans un « restaurant » où l'on achète français. Certes, pas seulement français, mais peu importe, l'éthique est sauve. D'ailleurs, le consommateur est ravi, quand il arrive au Salon de l'agriculture, où il est autorisé, une semaine par an, à se souvenir que la France fut une nation paysanne, de voir trôner au milieu des vaches le stand orné d'un M géant, ce M qui incarne les millions de tonnes de viande et de pommes de terre écoulées chaque année par nos agriculteurs.

    Il faudrait avoir sacrément mauvais esprit pour y trouver à redire. Comment oserait-on remettre en cause ce beau modèle ? Faire valoir que l'instrumentalisation des discours nutritionnels à base de « cinq fruits et légumes par jour » n'effacera jamais la déshumanisation de l'acte alimentaire à travers la généralisation du sucre et du gras, du « mou-doux », rien à mâcher, rien à croquer, rien à comprendre ? Ce serait chercher des noises. Alors, on évitera de culpabiliser les consommateurs (il ne faut jamais culpabiliser les consommateurs, pas plus que les parents qui collent les enfants devant la télévision pour avoir la paix mais déplorent que l'école ne transmette plus l'amour des livres). On évitera de signaler combien l'uniformisation du goût, dès le plus jeune âge, prépare à l'absorption passive d'aliments prémâchés, payés le moins cher possible pour pouvoir consacrer les maigres revenus du foyer à d'autres postes plus utiles comme les produits de l'industrie culturelle ou des loisirs.

    Quelques concessions apparentes aux préoccupations d'ordre nutritionnel suffiraient donc à faire oublier la réduction des individus au rang d'avaleurs de calories vides, privés, avec leur consentement, de la plus intime des libertés, celle de goûter, de savourer, et de jouir, loin des sensations standardisées et des pulsions commandées par la publicité. Faut-il rappeler que la France, qui aime à se souvenir qu'elle fut un phare de civilisation, est aujourd'hui la terre d'élection du fast-food et de la grande distribution? La France qui pleure sur ses paysans, mais aussi sur sa culture, ses belles lettres et son art de vivre, plébiscite un mode de vie qui tue les uns et les autres en s'habituant à la facilité à bas prix. Et après tout, diront certains, si c'est le choix du consommateur ? Vous ne voudriez pas interdire, crypto-communiste que vous êtes !

    On répondra que la liberté ne vaut pas sans la capacité à l'exercer, c'est-à-dire sans le libre arbitre. Et que le système que nous avons créé produit ce que l'on désigne d'un concept marxiste aujourd'hui désuet : de l'aliénation. Le contraire de la citoyenneté. Le contraire de la capacité pour l'être humain à décider de son destin, à jouir de sa liberté en la goûtant pleinement et en nommant les sensations qui produisent son plaisir. Une « école » qui prive des mots et de leur complexité, une « nourriture » qui prive des goûts et de leur richesse, une « démocratie » qui prive de la souveraineté et de la capacité à penser un modèle alternatif… mais tout cela en préservant les apparences, à travers des travaux interdisciplinaires ronflants (et des panneaux publicitaires flamboyants), un programme nutrition-santé et des étiquettes « 100 % viande française » ou des élections en bonne et due forme (n'étaient les 50 % d'abstention, mais justement, ça ne compte pas…). Nos agriculteurs peuvent poursuivre leur descente aux enfers, comme nos professeurs, comme tous ceux que broie cette transformation du citoyen en consommateur, de l'être humain en sous-produit industriel rangé dans son box à consommer des burgers, comme les vaches qu'il avale furent rangées dans leur box sans voir jamais un brin d'herbe. Le camp de consommation, stade ultime de la modernité. 

    Natacha Polony