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Actualité France - Page 323

  • Le couple franco-allemand s'éloigne ... Et l'Europe avec lui ...

     

     

    En deux mots.jpgCertes l'effondrement de l'URSS il y aura bientôt 30 ans a bouleversé sinon l'ordre, du moins les équilibres du monde. Mais de ce bouleversement est née aussi une nouvelle Allemagne - sous des jours nouveaux l'Allemagne d'avant-guerre - et cela nous semble un second fait majeur.

    Il n'est pas inutile de s'y attarder, si l'on veut tenter de comprendre quelle est aujourd’hui la nature, non pas officielle, non pas rêvée, mais réelle, des rapports franco-allemands. Vieille question au fil des siècles, pour la France. Et de nos jours pour l’Europe elle-même.

    La jeune génération peine aujourd'hui, et c'est normal, à imaginer ce que fut la guerre froide, la menace d'invasion soviétique sous laquelle vécut alors l'Europe de l’Ouest, le périlleux équilibre de la terreur nucléaire, et la subversion qui émanait continûment de l'Union Soviétique et s’infiltrait dans les démocraties occidentales. Accessoirement aussi de la Chine de Mao.  

    A la menace soviétique, c'est l'Allemagne qui était la plus exposée, elle qui en eut le plus conscience et le plus à craindre. Même s'il n'eût fallu que quelques heures aux chars russes pour traverser son territoire, passer le Rhin et entrer dans Strasbourg...

    Mais ce détestable système avait fini par installer une sorte d'ordre mondial. Son écroulement aux alentours de 1990, devait être un événement considérable et l'on en eut assez vite, l'on en a encore, pleine conscience. Les conséquences n'en furent pas toutes positives : les Américains se crurent pour longtemps - ou même pour toujours - les maîtres du monde. 

    On a moins commenté, moins évalué, moins accordé d'importance à cet autre événement aux conséquences considérables, au moins à l'échelle européenne, que fut la réunification de l'Allemagne en 1989. Nous nous sommes habitués à sa forme actuelle, qui nous semble naturelle, sans nous rappeler que l’Allemagne a vécu divisée, brisée par le rideau de fer qui la coupait en deux, en deux Etats, pendant quasiment toute la seconde moitié du XXe siècle, l'après deuxième guerre mondiale. L'Allemagne à laquelle nous sommes maintenant confrontés n'est plus la même et nous n'avons pas encore vraiment pris la mesure de ce changement.

    Bundesarchiv_B_145_Bild-F015892-0010,_Bonn,_Konrad_Adenauer_und_Charles_de_Gaulle.jpgDe Gaulle disait volontiers de l'Allemagne de son temps qu'elle avait "les reins cassés". Elle était amputée des cinq länder de l'Est, de 110 000 km2, près du tiers de son étroit territoire actuel (à peine 357 000 km2), et de 17 millions d'Allemands. L'Allemagne de l'Ouest, sans la Saxe, la Thuringe, le Brandebourg, était rhénane, sa capitale était à Bonn, au bord du Rhin, et Konrad Adenauer, son vieux chancelier, avait été, avant-guerre, maire de Cologne, capitale rhénane s'il en est. Avec cette Allemagne-là, vaincue mais déjà renaissante, prospère et bourgeoise, avec Adenauer, De Gaulle n'eut pas de peine, autour de 1960, â sceller la réconciliation franco-allemande qui s'imposait après un siècle de guerre. Les deux vieillards en inventèrent les symboles et le traité de l'Elysée la formalisa. Bien qu'il ne fût pas sans ambigüités et qu'il y eût déjà de notables disparités entre l'Allemagne et la France, sur le plan de leur population comme de leur économie - l'industrie et l'agriculture françaises étaient alors florissantes - le couple franco-allemand était équilibré. 

    Cet équilibre a été rompu par la réunification. De Gaulle savait qu'elle ne manquerait pas de se faire. Vingt ans devaient passer après sa mort : les cinq ans de la présidence interrompue de Georges Pompidou, le septennat de Valéry Giscard d'Estaing et le premier mandat de François Mitterrand. C'est au début du second que l'on vit assez soudainement tomber le mur de Berlin et s'effondrer la RDA, sans que Moscou ne bouge. L'Action française avait toujours dit que Moscou détenait les clés de la réunification allemande. Et Moscou la laissa se faire, livrant sans sourciller ses amis, les dirigeants du régime communiste de Pankoff, à leur triste sort. Les poubelles de l'Histoire, l’oubli. François Mitterrand s'émut, s'effraya même, dit-on, de cette réunification en train de s'opérer, dont il voyait bien qu'elle affaiblirait la position de la France en Europe. Il tenta de s'y opposer, de concert avec Margaret Thatcher. Il était dans la nature des choses, sans-doute, que ce fût peine perdue. Faute de n'y rien pouvoir, l'on s'y résigna à Londres comme à Paris. Restait à l'Allemagne à digérer l'Est, exsangue, ruiné, avec une économie, des infrastructures, hors le temps et hors d'usage. Helmut Kohl fut l'homme de la réunification, de la reconstruction et de la remise à niveau de l'Allemagne de l'Est, effort gigantesque, de pure volonté politique, revanche sur la défaite et sur l'Histoire, clair effet du sentiment national allemand. L’Europe n'eut rien à y faire, rien à y voir. Les sacrifices que les Allemands de l'Ouest durent consentir pour réhabiliter les länder de l'Est, en langage simple se serrer la ceinture, ne furent pas, ici ou là, sans quelques grincements de dents et récriminations, mais, quels qu'ils fussent, le sentiment national allemand, en définitive, joua à fond. La solidarité interallemande ne fit pas de question, quand la solidarité de l'Allemagne fut refusée, plus tard, à la Grèce, ou quand elle l'est aux pays du Sud, dits du Club Med, par les épargnants et les retraités d'Outre-Rhin. L'intégration et la reconstruction de l'Allemagne de l'Est fut menée à l'allemande, rondement, massivement, relativement vite, s'agissant d'une entreprise considérable et sans-doute, après presque trente ans, peut-on considérer sa mise à niveau comme achevée, encore qu’à maints égards, l'ex Allemagne de l'Est reste différente, et se souvient, parfois avec certains regrets - maints observateurs en sont surpris - du temps où elle était communiste. 

    Pourquoi nous remémorer ainsi ces faits d'Histoire récents ? 'Bien-sûr pour nous éclairer sur ce qui a forgé l'Allemagne d'aujourd'hui, ce qui la structure socialement et politiquement.

    Réunifiée et reconstruite, nous avons affaire à une Allemagne qui n'est plus celle d'Adenauer, Ludwig Erhardt ou Helmut Schmidt.  Sa capitale n'est plus à Bonn mais à Berlin ; son centre de gravité s'est déplacé vers l'Est et vers de vastes territoires centraux, eux aussi sortis - mais pauvres - du communisme, réservoirs de main d'œuvre à bon marché et d'unités de production utilisables ; la population de l'Allemagne n'est plus, comme hier, grosso modo celle de la France, qu'elle dépasse aujourd'hui de 15 millions (81 contre 66) ; quant â son économie, qui fut, il n'y a pas si longtemps, elle aussi défaillante - avant les réformes Schroeder -  elle a désormais sur l'économie française, une criante supériorité. L'on connaît bien les quelques paramètres qui permettent d'en prendre la mesure : Le taux de chômage allemand autour de 5%, le nôtre au double ; son budget excédentaire (24 milliards en 2016) quand celui de la France reste en déficit de 3% ; mais plus encore,  le commerce extérieur français qui se solde par un déficit de 50 milliards, tandis que celui de l'Allemagne dégage un excédent de 250 milliards  (2016) soit un différentiel de 300 milliards (3 400 milliards cumulés pour les dix dernières années !). Encore faut-il prendre en compte le nombre d'entreprises de taille intermédiaire (TPI) qui est en Allemagne le triple du nôtre, formant un puissant tissu industriel qui fait de l'Allemagne le premier exportateur mondial, devant l'énorme Chine ! 

    Avec de tels écarts, le couple franco-allemand n'en est plus un. Il s'est mué en simples rapports de vassalité, où les conflits d'intérêt réels remplacent peu à peu les apparences d'une relation de couple. De sorte que, comme la pérennité de ce dernier est en effet indispensable à la poursuite du projet européen, jamais l'Europe rêvée naguère n'a été aussi éloignée du champ des possibles. En position dominante, l'Allemagne n'a nulle intention de renoncer à une once de sa souveraineté.

    Faut-il lui reprocher son insolente réussite ou plutôt à la France d'avoir décroché, d'avoir sacrifié son industrie au mondialisme, de l'avoir délocalisée à tour de bras, d'avoir détruit son agriculture qui pourtant a tout pour être la première en Europe ? Au reste, l'Allemagne a ses propres problèmes, ses propres faiblesses, qui ne sont pas minces du tout. Si son industrie triomphe, sa démographie s'écroule ; de ce point de vue, l'Allemagne s'effondre sur elle-même et cela augure mal de son avenir ; avec 25% de retraités, elle n'est plus un peuple jeune.  Il n'est de richesses que d'hommes : on ne les remplace pas par des excédents monétaires ni, durablement, par des flux massifs de migrants. A bien des égards, après avoir sacrifié beaucoup à la compétitivité de ses entreprises - avec quel succès ! - l'Allemagne vieillit même dans ses infrastructures et cela se voit, s'éprouve, on ne pourra pas les laisser vieillir indéfiniment ... Il faudra bien investir, lancer de grands travaux. Les sacrifices salariaux ne seront peut-être pas, non plus, acceptés éternellement, même si l'appel aux migrants fait, ici comme ailleurs, pression à la baisse sur les salaires. Il n'est pas sûr, surtout à l'Est, que les équilibres sociaux soient indéfiniment maintenus en Allemagne. Une certaine renaissance du sentiment national allemand face à la politique européenne et migratoire d'Angela Merkel - pas seulement du fait de l'AfD mais surtout de sa nécessaire alliance avec les Libéraux eurosceptiques - peut très bien se conjuguer à une résurgence de la revendication sociale. 

    Ainsi, sans rupture ni inimitié, le couple franco-allemand comme moteur de l'Europe s'éloigne par la force des choses. Après le départ britannique, l'Allemagne est bordée aujourd'hui d'Etats résolus à défendre leur souveraineté et leur identité, face à Bruxelles, Berlin ou même Paris. Et l'Autriche vient de les rejoindre. Quant à la France, plutôt que de se divertir dans des rêveries procédurales de refondation de l'Europe, dont elle n'a pas à elle seule le moindre moyen, le plus sérieux, sinon le plus facile ni le plus immédiat, serait de travailler à reconstruire sa souveraineté, c'est à dire sa puissance. Economique, morale et politique. Cela pourrait lui prendre dix ou vingt ans. Ce serait le meilleur service qu'elle pourrait rendre à l'Europe.  

    P.S. On voudra bien nous excuser d’avoir outrepassé les intentions de brièveté de cette chronique. Nous voulions traiter de ce sujet avec quelque détail.

    Retrouvez l'ensemble de ces chroniques en cliquant sur le lien ci-dessous

    En deux mots, réflexion sur l'actualité

  • Commémorer Mai 68 ?

     

    par Gérard Leclerc

     

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    Ainsi le Président de la République entend commémorer Mai 68 ! Étrange idée, car si l’on garde à l’esprit que Mai 68 consista en un gigantesque happening il n’y a pas de meilleure façon de le tuer que d’en faire une commémoration officielle. Je sais bien qu’Emmanuel Macron n’ira pas déposer une gerbe de fleurs rue Gay Lussac, en souvenir des célèbres barricades qui s’y dressèrent. On n’assistera pas non plus à un défilé, drapeau rouge ou drapeau noir en tête, des glorieuses brigades de lanceurs de pavés sur les Champs Élysées. On ne songera sûrement pas à embraser symboliquement la place de la Bourse pour rappeler la tentative d’incendie opérée par quelques enragés. Alors que fera-t-on ? Je lis qu’à l’Élysée, on aurait des intentions plus subtiles, puisqu’il s’agirait de « réfléchir sur ce moment et en tirer les leçons qui ne soient pas “anti” ou “pro” mais tiennent compte de ces événements dans les mentalités actuelles. Car, ajoute-t-on, 68 fut le temps des utopies et des désillusions, et nous n’avons plus vraiment d’utopies et avons vécu trop de désillusions. »

    En ces termes, il y a peut-être quelque chose à envisager, mais cela nous renvoie plutôt à un vaste colloque à la Sorbonne, un peu prédestinée à un tel usage, puisqu’elle fut le lieu d’une étonnante effervescence en Mai 68, avant d’être reprise par les forces de l’ordre. Mais je vois mal un tel projet réalisé ailleurs. À l’Élysée ? Ce serait une première ! Mais un peu de patience pour en savoir un peu plus…

    Reste, quand même, le problème de fond. Mai 68 divise, la perspective d’une commémoration produit déjà des protestations véhémentes. Henri Guaino, l’ancien conseiller de Nicolas Sarkozy, y voit « la matrice du nihilisme, de la permissivité, de l’individualisme, qui sont au pouvoir aujourd’hui ». On pourrait lui rétorquer qu’il a trop raison, mais parce que ce sont les idéaux de Mai qui ont été trahis. Les soixante-huitards exaltés sont devenus, par la suite, pour l’essentiel, les meilleurs gérants de l’ordre ou du désordre établi. L’analyse peut se développer en bien des directions, comme celle de l’ami Jean-Pierre Le Goff, auteur du meilleur livre sur le sujet, et qui parle d’un « héritage impossible ». Attention, M. Macron, vous vous lancez dans une entreprise hasardeuse…  

    Gérard Leclerc

    Chronique diffusée sur Radio Notre-Dame le 24 octobre 2017.

  • Prophète de l'Europe

    Il est terrible pour un pays d'avoir pour chef un esprit faux

     

    Par Hilaire de Crémiers

     

    2840298611.jpgNotre président s'agite : il essaye d'être sur tous les fronts. Partout, ce ne sont que discours, les uns soigneusement préparés, prolixes autant que minutieux, les autres jetés à la venvole comme autant de propos perdus où se glissent des répliques incongrues qui ne révèlent que trop ce que l'homme est et ce qu'il pense.

    DES RÉFORMES. POURQUOI ?

    Il s'exténue et il exténue ses ministres à tenter de résoudre des problèmes, en fait, dans le cadre actuel, sans solution. Il le sait, d'ailleurs, pertinemment. Plus rien de ce dont s'occupent l'État et les pouvoirs publics, ne fonctionne correctement en France. Les premiers à le dire sont les ministres concernés : « le pays est à réparer ». Bravo pour ceux qui sont passés avant !

    Des mesures sont prises ; les fameuses ordonnances promulguées ; des lois votées à tour de rôle. Après l'annonce d'une renaissance qui se ferait grâce à la vaste conception d'un programme différent, plus intelligent et mieux adapté que tous les autres, ces mesures, décidées les une après les autres, paraissent quelque peu dérisoires et personne ne comprend ni ne voit quel bénéfice en tirer. Chacun, en revanche, évalue ce qu'il va lui en coûter, particuliers ou collectivités : moins d'aides, voire pour certains beaucoup moins ; moins de revenus ou de recettes, voire beaucoup moins. Inutile ici d'aller dans le détail. Les coups de rabot sur certains secteurs deviennent des coups de hache : emploi, logement, bâtiment, administration des territoires et des collectivités à qui sont retirés 13 milliards au bas mot, industrie, commerce, tout en souffrira.

    On a beau dire, au vu de quelques chiffres, que la situation s'améliore ; le citoyen de base a le clair sentiment du contraire. Les responsables publics savent fort bien, eux, qu'ils ne peuvent plus arriver à faire vivre les communautés, les collectivités, les institutions et les établissements dont ils ont la charge. Si l'on savait au moins à quoi sert l'effort exigé !

    Très joli de dire que la flexisécurité (!) revitalisera le marché du travail et redynamisera l'économie : vient un moment où les mots ne sont plus que des mots. Plus personne n'est content. Groupe après groupe, corps après corps, profesion après profession, tous se retournent contre un président et un gouvernement dont il est permis de se demander s'ils ont encore le souci des Français.

    Leur cote de popularité, paraît-il, remonte ; mais que signifie-t-elle ? Les événements prennent peu à peu une allure tragique : pas seulement à cause des menaces du terrorisme, mais à cause d'un sentiment diffus d'insécurité générale que tout le monde éprouve, nationale et sociale, morale autant que matérielle. Que dire aux Français qui voient démanteler et brader, avec le consentement des plus hauts responsables, leurs plus beaux fleurons industriels, les uns après les autres, dont Alstom est l'exemple-type ? Et sacrifier leur agriculture à l'Europe et aux traités imposés de la mondialisation ? Et livrer leur commerce à un libre-échange aberrant ?

    L'EUROPE SEULE

    Macron, que peut-il ? Que fait-il ? Eh bien, c'est là toute la question ! Il suffit de bien l'écouter pour comprendre ? Il est, au fond, indifférent à la situation française actuelle ; à la vérité, il se considère comme au-dessus. Il s'active, certes, mais il resitue ses actions dans le plan grandiose qu'il a dans la tête et qui, pour lui, est le guide de sa réflexion et de sa vie. Il le dit clairement : les réformes qu'il entame pour la France, ne sont entreprises que pour satisfaire à des exigences futures, premières adaptations qu'il envisage progressivement pour mettre la France d'hier à l'heure de l'Europe de demain. Pas de l'Europe d'aujourd'hui ! De l'Europe de demain dont il a conscience d'être le promoteur attitré et dont il exerce en vertu d'un charisme supérieur la mission prophétique. Entendez-le proférer son oracle sur la Pnyx, devant le Parthénon ! Écoutez-le enseigner son docte savoir à la Sorbonne : il délivre en longues phrases qui se veulent lyriques, son message au nouveau peuple de l'Europe qu'il interpelle pour l'engager sur la voie sublime de l'avenir. Il sait ce qu'il faut à l'Europe ; il le propose ; il va même l'imposer. « La feuille de route », comme il dit, de la nouvelle Europe, celle qui doit la sortir des erreurs du passé récent pour retrouver l'élan des pères fondateurs, est déjà établie. Et par ses soins. Il possède la vision, la vraie, l'intelligente, celle à laquelle tous ne peuvent que se rallier.

    C'est une refondation, mais non bureaucratique et normative. « Ceux qui voudraient fantasmer une identité figée ne savent donc pas quel est le mythe né sur ces rives : celle d'une métamorphose constante... ». Voilà l'idée qui doit stimuler l'imagination ! Rien n'est pire que « le rétrécissement sur les frontières », « le recroquevillement ». L'Europe des chiffres et des techniques y avait cédé, en quelque sorte.

    La souveraineté ne doit plus appartenir aux nations, aux États. C'est à l'Europe nouvelle d'assumer toute la souveraineté qu'il est nécessaire et moral d'arracher aux nationalismes, car le nationalisme est le mal absolu, principe de haine et de division. « Le repli national est un naufrage collectif » ; toute action limitée au cadre national n'est plus, de nos jours, qu'« une absurdité ». Qui ne saisit qu'une réforme institutionnelle s'impose dans la logique de cette conception ? « Il faudra inventer une gouvernance forte qui nous fera souverain, avec un budget de la zone euro, avec un véritable responsable exécutif de cette zone euro et un parlement de la zone euro devant lequel il devra rendre compte. » Et déjà, lance-t-il, « je veux défendre pour les prochaines élections européennes des listes transnationales » !

    Les peuples ne sauraient dire « non » ; sinon - et c'est ce qui est arrivé - les dirigeants sont obligés de manoeuvrer dans l'hypocrisie. Pas de référendum donc, mais de la pédagogie : « Que partout où les dirigeants choisiront de suivre cette voie, et je le souhaite avec ardeur, dans chacun des États membres, nous puissions pendant six mois (le premier semestre 2018 !) organiser des consultations, des conventions démocratiques qui seront le temps durant lequel partout dans nos pays nos peuples discuteront de l'Europe dont ils veulent. ». Et ce sera, bien sûr, l'Europe de Macron ! N'est-ce pas génial ? Ce sera, dit-il, « la vraie démocratie », « la vraie souveraineté », car ses propositions ont toujours cette caractéristiques d'êtres « vraies ». Le reste est fausseté, mensonge, stupidité, incohérence. Les « il faut », les « on doit », les « je veux» rythment ses phrases, toutes impérieuses, qui déroulent son plan implacable et grandiose.

    DU MAUVAIS HUGO

    Et, dans son discours à la Sorbonne, d'énumérer tous les domaines, en insistant sur le numérique, bien sûr, pour faire ultra-moderne, où cette Europe souveraine, enfin démocratique, s'imposera comme la grande puissance du futur. Merveille qui éclairera l'humanité tout entière et d'où rayonneront sur le monde les valeurs de l'Humanité, du Droit, de la Justice et de la Culture.

    Ah ! la culture, comme Macron en parle, quand il évoque cette Europe « plurilinguistique » - eh, oui ! - où tout jeune aura à coeur de parler au moins deux langues ! Lesquelles, au juste, direz-vous ? Le français ? Que bientôt le petit Français ne saura plus ? Vous n'y êtes pas : « Nous sommes, nous, Européens, les habitants de cette improbable Babel que la diversité des langues et des traditions ne cesse d'enrichir et d'enthousiasmer !» Là, Macron fait plus fort que le vieil Hugo dans tous ses délires !

    Pour mener à bien ce projet immense, il jette à la volée des idées qui se traduiront, annonce-t-il, en autant de « chantiers ouverts », « d'autorités » instituées, « d'agences » créées, « d'assises » tenues, des trucs, encore des trucs, toujours des trucs ! L'Europe de la simplification ! Quoi !

    Comme citoyen d'Europe, lui qui se dit « jupitérien », il a cité, avec aplomb, Périclès « l'Olympien» et désigné le Parthénon comme le temple fondateur, oubliant que Périclès, aristocrate défenseur du peuple, n'était guidé que par la seule pensée de la grandeur d'Athènes qu'il mettait au-dessus de tout, et que le Parthénon était le temple de l'unique Athéna, la déesse protectrice de la cité. Rien de plus contraire à toutes ses billevesées. Au mieux, Macron n'est qu'un médiocre Isocrate, prêt à livrer au Thrace, au Barbare, la merveille unique de la civilisation française.

    En vérité, Macron n'est qu'un faux prophète : ses promesses de bonheur se tourneront en malheur ! 

  • Zemmour : « Macron est un moderne. Il ne sait pas que l'Histoire est tragique »

     

    BILLET -  Dimanche 15 octobre au soir, Eric Zemmour a vu du Giscard dans Emmanuel Macron : efficace et technique. [RTL 17.10]

    Ce n'est pas de bon augure. Le septennat délétère de VGE n'est ni pour Zemmour ni pour nous une référence. Nous nous souvenons que lors de son élection à la présidence de la République en 1974, contre le soulagement droitier de l'époque provoqué par la défaite de François Mitterrand, nous avions titré quant à nous à peu près ceci [dans Je Suis Français] : « A compter du 27 mai, l'ennemi s'appelle Giscard ».  C'était à la veille du deuxième rassemblement royaliste des Baux de Provence. Nous n'avons été compris et approuvés que quelques temps après ...   LFAR 

     

     

     Résumé RTL par Éric Zemmour et Loïc Farge

    Le président Macron répondait dimanche 15 octobre pour la première fois aux questions de journalistes sur TF1. « C'était clair et net. De l'excellent travail. Sans notes et sans bavures. Tout dans la tête et rien dans les mains », analyse Éric Zemmour. « Pendant une heure, on comprenait mieux pourquoi Emmanuel Macron avait tant séduit nos élites, de Jacques Attali à François Hollande. À la fois rapide et limpide. Une Ferrari de l'intelligence à la française », raille-t-il.

    « Il rappelait irrésistiblement aux plus vieux Giscard », constate Zemmour . Il note que « si Macron a les qualités de Giscard, il en a aussi les défauts et les lacunes ». Ainsi « au bout de 50 minutes consacrées à l'économie, on en avait assez d'être à Bercy en compagnie du directeur du Budget ».

    « Comme Giscard, Macron est un moderne, c'est-à-dire qu'il pense que nous sommes dans un âge de l'Humanité où tout se règle par l'économie et le droit. La négociation et le deal », ajoute Éric Zemmour : « On songeait encore à Giscard et à la fameuse sentence de Raymond Aron sur l'ancien président : il ne sait pas que l'Histoire est tragique », conclut-il.  

    Éric Zemmour

  • Société • Une émancipation ratée ?

     

    par Gérard Leclerc

     

    2435494823.jpgÉtonnante civilisation de la communication qui est la nôtre ! L’extraordinaire vitesse de l’information et la réactivité qui lui correspond dans les réseaux sociaux nous font vivre à un rythme effréné, avec un risque d’ensauvagement. Je reprends ce terme à Maxime Tandonnet qui, dans une chronique du Figaro, s’inquiète à juste titre des phénomènes de meute qui aboutissent à de véritables lynchages médiatiques. Dans son registre à elle, Élisabeth Lévy, la directrice du magazine Causeur, s’inquiète également du même phénomène à propos du scandale hollywoodien qui fait fureur en ce moment. Il est vrai qu’elle n’a pas peur des provocations à contre-courant. Il y a deux ans, elle publiait déjà un dossier sur « la terreur féministe », expression qu’elle modérait au demeurant en expliquant qu’elle était d’ordre psychologique.

    On s’indignera sans doute de cette critique de la terreur, dès lors que la cause des femmes semble totalement légitimée par un scandale évident et les révélations qu’il provoque en fait de violences sexuelles envers les femmes. Mais le problème est de savoir si les phénomènes de meute et l’échauffement idéologique qui se produit sont vraiment capables de nous sortir d’une situation d’évidence pathologique. Lorsque l’éditorialiste du Monde écrit que la seule application de la loi ne suffira pas à endiguer ce type de violence, on ne peut que l’approuver, mais lorsqu’il ajoute que le vrai problème c’est de promouvoir « l’intolérance au sexisme », on voit l’idéologie pointer son nez et on est en droit de formuler sinon son désaccord, du moins ses réserves.

    Le féminisme a pu rendre des services, mais il a aussi montré ses limites, et le néo-féminisme, qui sévit aujourd’hui, n’a rien arrangé. On nous avait pourtant assuré qu’une révolution définitive s’était produite avec les années soixante, qui mettait fin à l’ère patriarcale. À constater que les pires obscénités sexistes sont proférées aujourd’hui dans les cours de récréation, comme ce ne fut jamais le cas autrefois, on se dit qu’il y a quelque chose qui ne fonctionne pas. Et même quelque chose de pourri au royaume de l’émancipation contemporaine.  

    Gérard Leclerc

    Chronique diffusée sur Radio Notre-Dame le 19 octobre 2017

  • Médias & Société • Le porc et l’hystérique : l’échec de la révolution sexuelle soixante-huitarde est consommé

     

    Par Véronique Hervouët

    Cette chronique est une fine analyse des phénomènes médiatiques et sociétaux dont nous sommes en ce moment assommés avec le très vulgaire et dégradant slogan dont il est question ici [Boulevard Voltaire, 21.10].  Précisons que les « mœurs archaïques des sociétés traditionnelles » évoquées dans cet article ne se rapportent sûrement pas aux nôtres, dans lesquels les rapports hommes-femmes ont - en France - pour usage la galanterie et se fondent , plus anciennement, sur l'amour courtois.   LFAR

     

    8fe6f36f4b35b99c55433011fb3e483c.jpegL’affaire Weinstein c’est beaucoup de bruit pour pas grand-chose. Ce qui est nouveau, c’est que les prétendues élites, dans les alcôves desquelles se passent ces petites affaires, jouent les vierges effarouchées et que les médias qui s’en font les porte-parole posent en modèles de haute vertu scandalisés… Une vaste hypocrisie au regard de la corruption notoire des mœurs dans les milieux où se cotoient le show-biz, les arts officiels et le pouvoir. Mais pas seulement. À des degrés et dans des styles divers, tous les milieux sont concernés. Hier, dans la presse, une universitaire a parfaitement épinglé l’ordinaire de ces pratiques dans son milieu professionnel, non sans pointer avec beaucoup de justesse certaine duplicité féminine et même l’adhésion de nombre de femmes à ce « dispositif promotionnel ».

    
Une histoire vieille comme le monde, que la promotion canapé… Aussi indigne soit-elle, on peut se douter que la vertu n’est pour rien dans cette dénonciation subite, tonitruante. Plutôt y verra-t-on une cristallisation de symptômes qui signent la fin ultime de la fameuse « libération sexuelle » soixante-huitarde. Sous l’influence du désenchantement, issu de son échec, pointe la lassitude d’être soi, l’envie de devenir autre… d’inverser les dominations !

    Les frustrations des « femmes d’en haut » (terminologie employée par Nathalie Saint-Cricq lors de « L’Émission politique » du jeudi 19 octobre) s’engouffrent dans la brèche pour imposer leur loi aux « mâles blancs dominants » qui s’empressent de se battre la coulpe et de déclarer forfait. 

    Ceci au moment même où la virilité et la combativité des hommes seraient vitales pour s’opposer à la régression vertigineuse du statut féminin, celui des « femmes d’en bas » (pour commencer…) qui subissent les violences des mœurs archaïques des sociétés traditionnelles, se multipliant de façon exponentielle au gré de la submersion migratoire. 

    Weinstein, qui n’est ni le seul ni le dernier des gros boss à pratiquer sans scrupule la promotion canapé, n’est qu’un bouc émissaire de haut vol et le détonateur ad hoc pour changer de paradigme. Il a suffi d’une dénonciation d’actrice pour entraîner les suivantes et entamer la procédure sacrificielle. Les starlettes (jusqu’alors promptes à se précipiter à demi nues devant les murs promotionnels et autres escaliers de festivals), les journalistes et les femmes politiques se bousculent soudain, avec des trémolos de patronnesses, au tourniquet victimaire, nouveau faire-valoir médiatique de leur puissance, de leur séduction…  

    Anticipant de quelques semaines ce retour tonitruant de la vertu, une jeune blogueuse avait fait parler d’elle en diffusant des selfies aux côtés de ses « harceleurs de rue », nouvelle modalité de l’hystérique, pour parader, se faire voir en objet inaccessible du désir.

    Il en est de même de cette bobo qui avait dénoncé publiquement un malheureux dépanneur de chez Orange qui avait osé lui déclarer par texto son admiration. Comme quoi même un timide hommage masculin peut être instrumentalisé, dénoncé comme du harcèlement sexuel, par une destinataire désireuse de mettre en valeur son pouvoir de séduction sur les réseaux sociaux.

    Chassez le duo classique du pervers et de l’hystérique et il revient au galop sous la forme d’une injonction au succès fulgurant : « Balance ton gros porc ». 

    Autrement dit : rien de nouveau dans la relation femme/homme (et inversement). L’échec de la révolution sexuelle soixante-huitarde est consommé. Les revendications du « genre », ses annexes reproductives (PMA, GPA) et les luttes souterraines pour légaliser les derniers interdits (pédophilie, inceste, meurtre) ne sont que les dernier feux de ce credo. C’est sur la base de cet échec final, d’un regain de combativité et d’un renouveau culturel occidental qui se profilent que la relation homme femme pourra se redessiner.  

    Psychanalyste et essayiste
  • Société • Tariq Ramadan visé par une plainte pour viol et agressions sexuelles

     

    Le sujet est à la mode. Repris en boucle, incessamment, par tous les médias, sur un mode unique et ad nauseam. Quant aux militantes féministes et laïques, elles ne sont pas notre tasse de thé. Ces saintes-là ne sont pas de notre paroisse. Il n'empêche ! Que l'une d'entre elles ait déposé une plainte contre Tarek Ramadan pour viol et agressions sexuelles (au pluriel) a quelque chose de savoureux. Au moins pour l'instant, en attendant mieux. Que vaudra cette plainte, tiendra-t-elle ? En tout cas, Match a diffusé l'information hier en fin de soirée dans les termes qu'on va lire. Ah ! les bienfaits de « la libération de la parole » ! A suivre.   LFAR

     

    BBaX1vM.pngVendredi, une femme a déposé plainte à l’encontre de Tariq Ramadan pour viol et agressions sexuelles.

    Une plainte a été déposée vendredi à l'encontre de l'islamologue et théologien suisse Tariq Ramadan, notamment pour viol et agressions sexuelles, a-t-on appris auprès d'un des avocats de son accusatrice Henda Ayari, ancienne salafiste devenue militante féministe et laïque. Cette plainte a été déposée auprès du parquet de Rouen, dont relève le domicile de la plaignante, pour « des faits criminels de viol, agressions sexuelles, violences volontaires, harcèlement, intimidation », selon le document consulté par l'AFP. 

    Une révélation cachée dans son livre 

    Henda Ayari, 40 ans, présidente de l'association Libératrices, a indiqué vendredi sur sa page Facebook avoir été « victime de quelque chose de très grave il y a plusieurs années » mais n'avoir pas alors voulu révéler le nom de son agresseur en raison de « menaces de sa part ». Dans son livre « J'ai choisi d'être libre », paru en novembre 2016 chez Flammarion, elle a décrit cet homme sous le nom de Zoubeyr, narrant un rendez-vous dans sa chambre d'hôtel à Paris où cet intellectuel musulman venait de donner une conférence. 

    Il l’a « insultée », « giflée » et  « violentée » 

    « Par pudeur, je ne donnerai pas ici de détails précis sur les actes qu'il m'a fait subir. Il suffit de savoir qu'il a très largement profité de ma faiblesse », avait écrit Henda Ayari, assurant que quand elle s'est « rebellée », qu'elle lui a « crié d'arrêter », il l'a « insultée », « giflée » et « violentée ». « Je le confirme aujourd'hui, le fameux Zoubeyr, c'est bien Tariq Ramadan », écrit Henda Ayari sur Facebook. Selon Maître Jonas Haddad, l'un de ses conseils, « Henda Ayari n'avait pas envie de communiquer sur ce sujet, par peur ». 

    Aucune réaction de sa part 

    « Avec la libération de la parole à laquelle on assiste depuis quelques jours, elle a décidé de dire ce qu'elle a subi et d'en tirer les conséquences judiciaires », a-t-il poursuivi, interrogé par l'AFP. Tariq Ramadan n'avait pu être joint par l'AFP et n'avait pas réagi sur les réseaux sociaux en fin d'après-midi. Relativement populaire auprès d'une partie des fidèles musulmans, il est aussi très contesté, notamment dans les milieux laïques, qui voient en lui le tenant d'un islam politique. 

  • Macron, le président des nomades

    Le discours d'Emmanuel Macron à la Sorbonne

     

    Par François Marcilhac

     

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    La vie politique de chaque pays est naturellement rythmée par la discussion et l’adoption par le Parlement du budget de la nation puisque c’est lui qui décide des grands engagements annuels et pluriannuels de l’État. Ou, devrions-nous dire plutôt, «  était naturellement rythmée  », puisque, depuis l’adoption sous Sarkozy, en 2011, du traité budgétaire européen, ce n’est plus ni le Gouvernement français qui présente, ni le Parlement français qui discute librement, avant de l’adopter, le budget de la France, mais Bruxelles (et donc Berlin) qui l’avalise avant même sa présentation devant le Parlement français, Bercy l’ayant concocté sous le regard inquisiteur de la Commission européenne. Aussi Jean-Claude Juncker, son président, peut-il donner un satisfecit enthousiaste au projet présenté cette semaine à l’Assemblée par le Gouvernement comme un maître d’école donne un bon point à un bon élève. Le plus grave est que nos gouvernants, Macron en tête, loin de ressentir une telle approbation comme une humiliation pour notre pays, l’ont servilement recherchée. Avec Macron, cette servilité est même frénétique : son aliénation mentale européiste, qui le fait militer – seul en Europe  ! – pour le remplacement de la souveraineté nationale par une hypothétique souveraineté européenne, lui fait voir en effet «  dans le dépassement de la nation un devoir d’époque et une mission presque sacrée  » (Mathieu Bock-Côté, Figaro Vox, 12 octobre). Telle est bien la vérité de son progressisme qu’il assimile à un sens de l’histoire.

    L’Europe comme terre promise

    L’opinion publique n’en avait pas moins besoin d’être rassurée. Car on a beau se proclamer le prophète, ou plutôt, le «  pionnier  » – l’imaginaire de Macron est américain – de l’Europe comme nouvelle terre promise, ces grands enfants que sont les peuples ont besoin de «  pédagogie  », laquelle ajoute, au mensonge de la démagogie, l’infantilisation des citoyens. C’est pourquoi celui qui refuse une «  présidence bavarde  » et veut préserver une «  parole présidentielle [qui] garde de la solennité  », s’étant aperçu qu’il perdait en popularité, a pensé qu’il était temps de descendre de son Olympe et de passer, comme un vulgaire président normal, au JT de 20 heures sur TF1, le dimanche 15 octobre, pour expliquer, dans la mesure du possible, tant aux «  illettrés  » qu’à «  ceux qui ne sont rien  » et qui, de ce fait, «  foutent le bordel  », le sens de la solennité de sa parole comme celui de sa politique.

    Les Français n’auront toutefois rien appris, sinon qu’il est «  un enfant de la province  », qu’il fait ce qu’il dit, qu’il pense à «  la France qui souffre  », qu’il veut «  en même temps qu’on libère et qu’on protège  » – mais pas qu’on insère  ? – et, qu’enfin, il «  ne croi[t] pas au ruissellement mais à la cordée  » (sic), ce qui est peut-être préférable, en effet, au moment où l’on dévisse (dans les sondages). N’avait-il pas déclaré dans un entretien à l’hebdomadaire allemand Der Spiegel, publié deux jours auparavant, qu’ «  en forçant le trait, on pourrait dire que la France est un pays de monarchistes régicides, ou encore que les Français élisent un roi mais qu’ils veulent à tout moment pouvoir le renverser  »  ? L’arrogance macronienne dissimule une fêlure intime, comme une sourde angoisse, car ce n’est pas la première fois qu’il aborde le sujet. Serait-ce celle de voir sa tête finir au bout d’une pique  ?

    La patrie du portefeuille

    On aurait tort en tout cas de voir en Macron le «  président des riches  ». Laissons cela à une gauche sans imagination ou qui, plutôt, ne sait comment critiquer autrement une politique (impopulaire) qu’elle est heureuse de le voir pratiquer à sa place, puisqu’elle repose sur la même conception d’une société liquide, ennemie de la notion d’enracinement, diabolisé comme identitaire, raciste, nationaliste, etc. Le mensonge présidentiel sur la réforme de l’ISF en est un signe patent. Désormais, seule la propriété immobilière, en sus de quelques gadgets, entrera dans son calcul. Nous ne nous prononcerons pas ici sur l’efficacité, controversée, de cet impôt. Ce qui est significatif, c’est le choix effectué par Macron  : exonérer le capital financier, c’est-à-dire le liquide, aux dépens de l’immobilier, réputé improductif, car enraciné. Et comme s’il s’était aperçu du caractère scandaleux d’un tel choix, il a assorti la mesure d’un mensonge effronté  : «  si les gens ne réinvestissent pas, ils seront taxés  », ce qui est faux. À l’heure où nous écrivons, aucune mesure allant dans le sens d’un quelconque patriotisme économique n’est prévue dans le projet de budget. De plus, le serait-elle, que l’Europe nous interdirait de la destiner aux seuls investissements français. Macron n’est pas le président des riches, il est le président des nomades. Ce qui n’est pas la même chose. Il est le président de ceux pour qui le portefeuille tient lieu de patrie et qui habitent non pas une province, une nation – on peut être «  riche  » et patriote –, mais les résidences standardisées du village mondial – ou des paradis fiscaux. Mais comment la gauche, même insoumise, pourrait-elle le tacler sur ce point, alors que, tout aussi mondialiste, elle partage les présupposés, notamment immigrationnistes ou sociétaux, de son progressisme déraciné  ? Car la volonté de Macron, réaffirmée sur TF1, de légaliser la PMA «  pour toutes  » va dans le même sens d’une société ennemie de tous les enracinements et donc de toutes les identités. Aussi ne doit-on pas s’étonner de cet autre mensonge présidentiel  : «  Toutes celles et ceux qui, étrangers et en situation irrégulière, commettent des actes délictueux quels qu’ils soient, seront expulsés.  » Là encore, l’Europe, cette fois la Cour européenne des droits de l’homme, interdirait une telle systématicité, qui suppose, de plus, l’accord des pays d’origine. Or Macron n’a pas non plus évoqué un durcissement de notre politique étrangère en ce sens, lequel supposerait que nous nous réaffirmions sur le plan international autrement qu’en faisant élire une Française à la tête de l’Unesco au moment où les États-Unis quittent l’organisation, ou, surtout, qu’en recevant à Paris les JO de 2024… après le désistement de toutes les autres villes candidates.

    L’exemple de l’Autriche

    Ce même dimanche où Jupiter s’exprimait sur TF1, la victoire du Parti populaire autrichien (ÖVP) aux législatives, mené par Sebastian Kurz, lui a donné un sacré coup de vieux  ! Voilà que la jeunesse est du côté des conservateurs – à trente et un ans, Kurz sera le plus jeune dirigeant européen – et non du côté des nomades, dont le président se trouve quelque peu ringardisé. Car Kurz a gagné grâce à une campagne menée très à droite, anti-migrants, sans toutefois laminer les populistes du FPÖ, qui ont obtenu plus de 26  %, et avec lesquels il pourrait gouverner, sans que, cette fois, le Big Brother bruxellois s’en mêle comme en 2000. Comme quoi, les conservateurs autrichiens n’ont pas les pudeurs de jeune fille des Républicains français. De plus, le projet de Macron visant à refonder l’Europe a été totalement ignoré de la campagne électorale autrichienne  : il est en effet «  assez logique qu’au cours d’une campagne électorale nationale, aucun parti ne [veuille] discuter de la réduction des compétences nationales pour les passer à l’Union européenne  » (Peter Filzmaier, politologue, Le Monde, 15 octobre). Non que les conservateurs autrichiens soient eurosceptiques ou s’apprêtent sous peu à rejoindre le groupe de Visegrad. Mais, forts d’une vraie identité, ils placent l’Europe à sa juste place. Qui n’est pas la première. Les Autrichiens n’auront pas la chance, c’est vrai, d’avoir un «  pionnier  » à la «  pensée complexe  » pour chancelier. Ils auront juste un patriote.  

     

  • Le drapeau de la discorde

     

    Un éditorial de Henri Vernet

    Qui est paru dans Le Parisien le 11 octobre et que nous aurions pu signer. Le voici, pour les lecteurs de Lafautearousseau, suivi d'une chronique de Gérard Leclerc qui dit des choses essentielles sur le même sujet. Les deux réflexions se complètent utilement.  LFAR  

     

    le parisien.pngQuel est le dossier le plus urgent à régler aujourd’hui en Europe ?

    Le cactus de l’indépendance de la Catalogne, comment faire baisser la température entre les adversaires Madrid et Barcelone ? Donner suite aux propositions françaises sur une réforme de la Zone euro pour la rendre plus transparente et, surtout, plus efficace contre le chômage ? Coordonner une bonne fois pour tous les efforts des polices et services de renseignement des Etats membres dans la lutte antiterrorisme ? Voilà des sujets d’importance pour nos concitoyens.

    Mais ce sur quoi s’empaillent nos responsables politiques est d’un tout autre ordre, purement symbolique. Le drapeau européen doit-il oui ou non flotter à l’Assemblée nationale ? Jean-Luc Mélenchon et ses Insoumis veulent le faire valser de l’hémicycle, y voyant une atteinte à la souveraineté nationale et, pis, un signe intolérable de bondieuserie (au motif que son créateur avait un peu bêtement expliqué s’être inspiré des représentations de la vierge Marie pour le fond bleu étoilé...).

    Du coup, Emmanuel Macron, pour couper court, vient d’annoncer que la France adoptera officiellement le drapeau européen lors du prochain sommet de Bruxelles.

    Mais voilà que les souverainistes et l’extrême-droite font front avec Mélenchon, de Marine Le Pen à Nicolas Dupont-Aignan, qui ne réclament rien de moins qu’un référendum pour trancher ce drame existentiel. Pour les vrais problèmes des Français, on n’aura qu’à attendre...  

    Le Parisien

  • Un étendard marial ?

     

    par Gérard Leclerc

     

    2435494823.jpgLa guérilla qui oppose Emmanuel Macron à Jean-Luc Mélenchon sur le drapeau européen a pris une tournure où le symbolique s’associe étroitement au politique. Car il y a deux dimension dans cette querelle, d’abord une dimension proprement politique à propos de la construction européenne. Depuis le rejet de la constitution imaginée par Giscard d’Estaing lors du référendum de 2004, on peut estimer que l’Europe n’est pas vraiment définie en tant que concept institutionnel. On peut certes se raccrocher à la formule de Jacques Delors : fédération d’États nations, même si elle constitue à certains égards un oxymore. Un moment, le président François Mitterrand, avait, me semble-t-il, privilégié le terme de confédération, qui prêtait moins à discussion, même s’il ne résolvait pas entièrement la question de la souveraineté. Une souveraineté qui par ailleurs ne se sépare pas de la question d’un peuple européen. Existe-t-il un peuple européen ? Si oui, il peut revendiquer son drapeau, son hymne, sa devise. Sinon, c’est beaucoup plus problématique.

    Le désaccord entre Macron et Mélenchon est incontestablement lié à cette incertitude, mais il a pris une dimension symbolique, lorsque Mélenchon a mis en cause le drapeau aux douze étoiles sur fond bleu : « Franchement, on est obligé de supporter ça ? C’est la République française, pas la Vierge Marie. » Il est incontestable que le créateur de ce drapeau était chrétien et qu’il était inspiré par la symbolique mariale. On saisit la référence à l’apocalypse : « Une femme revêtue du soleil, la lune sous les pieds et sur la tête une couronne de douze étoiles. » Mais l’inspiration initiale ne s’est pas forcément transmise aux héritiers. Il a fallu Jean-Luc Mélenchon pour qu’ils soient mis au courant. Mais, même alors, cette symbolique est-elle rédhibitoire pour la laïcité ? On peut en discuter, mais on peut aussi s’étonner de l’intolérance qui jette l’interdit sur une part essentielle du patrimoine européen. Sans référence à ce patrimoine, avec ses dimensions d’ailleurs diverses, notre Europe devient un concept singulièrement rabougri.  

    Gérard Leclerc

    Chronique diffusée sur Radio Notre-Dame le 16 octobre 2017.

  • Discours de roi et paroles de président ...

     

    En deux mots.jpgL'interview d'Emmanuel Macron a fait couler beaucoup d'encre, beaucoup de salive et de longues heures d'antenne sur toutes les chaînes, les jours d'avant, d'après, et le dimanche soir fatidique où elle fut donnée, quoique, de l'aveu général, Macron n'y ait pas dit grand-chose, en tout cas rien de substantiel, et que cette interview n'ait été rien d'autre qu'un « exercice de style ».

    C'est ce que Roger Karoutchi en a dit et qui semble assez juste. Macron s'est défendu d'avoir seulement cherché à rattraper un peu de sa popularité perdue. C'est pourtant bien, nous semble-t-il, à une heure quinze de pédagogie sans substance sur l'essentiel, à quoi nous avons été conviés dimanche soir. Une heure de reprise en mains du peuple français, en mode purement gestionnaire du quotidien. Et l'on a commenté cette insignifiance à perte de vue dans les médias, essentiellement, d'ailleurs, pour savoir si le Chef de l'Etat avait ou non réussi sa « prestation ». Car la parole présidentielle est devenue une « prestation » aux yeux médiatiques et les Français ne la jugent pas autrement. Nous vivons en régime d’opinion et ce sont là ses médiocres vertus. Il est en charge de l'accessoire, non plus de l'essentiel. Grandeur et décadence de la Vème république ...

    Quoique démocratique, l'Espagne nous a donné il y a à peine quelques jours un exemple inverse, au cœur d'une crise qui menaçait de la briser et l'en menace encore. En quelques cinq minutes d'un discours d'une grande fermeté, le roi, qui s'exprime peu, ne s'occupe, à l'inverse du président de la République française, ni des APL, ni des modalités de licenciement, ni de la durée d'indemnisation du chômage, souverain d'une monarchie qui a peu à voir avec ce que fut la monarchie française, ce roi est soudain sorti de son silence, de sa réserve, avec une autorité et une force tranquille qui ont surpris, pour se prononcer sur l'essentiel, sur l'unité, la cohésion entre Espagnols, l'intégrité, la pérennité de son pays. Et pour condamner avec la dernière sévérité, presque avec violence, les indépendantistes catalans. Ces cinq minutes d'un discours royal ont suffi à donner un coup d'arrêt au processus de désintégration de l'Espagne entamé à Barcelone. Et l'on nous dit d'Outre-Pyrénées qu'il s'en est suivi, dans toute l'Espagne, y compris en Catalogne, un formidable sursaut du sentiment national qui s'exprime par des manifestations españolistas quotidiennes dans tout le pays. C'est qu'il y a en Espagne un pouvoir qui, malgré sa faiblesse apparente, est soustrait au régime d'opinion, soustrait à l'élection, un pouvoir en charge du pérenne et de l'essentiel. Et ce pouvoir est le sommet de l'Etat.

    Même faible, même imparfait, on ne dira jamais assez le bienfait du système dynastique.   

    Retrouvez l'ensemble de ces chroniques en cliquant sur le lien ci-dessous

    En deux mots, réflexion sur l'actualité

    A lire dans Lafautearousseau ...

    Catalogne : Points d'Histoire et réalités d'aujourd'hui

    Au bord du précipice

    L'armée espagnole fait mouvement vers la Catalogne

    Espagne : Le roi Felipe VI s'est exprimé dans un discours d'une fermeté sans précédent

    Barcelone : « No tinc por »

  • Alain de Benoist : « Hier on avait un métier, aujourd’hui on cherche un emploi »

     

    Par Alain de Benoist et Jean-Paul Brighelli

     

    Dans ce remarquable entretien, la distinction qu'opère Alain de Benoist entre métier et emploi nous paraît essentielle. Métier est de l'ordre du qualitatif. C'était ce que possédaient en propre ceux qui n'avaient rien, les prolétaires de jadis. Emploi est indéterminé, sans substance, sans qualité. C'est tout le reflet du monde moderne ou postmoderne. Cette opposition constitue la trame de la réflexion d'Alain de Benoist, y compris dans les passages où elle peut surprendre. Il faut savoir gré à Jean-Paul Brighelli d'avoir réalisé et publié [Bonnet d'âne & Causeur les 9 & 13.10] ce long et riche entretien qui est aussi un débat, l'amorce d'un débat.  Lafautearousseau   

     

    alain-de-benoist-elements-324x235.jpgJean-Paul Brighelli. Voilà que vous détournez le « grand remplacement » ethnique cher à Renaud Camus par un « grand remplacement » économique : l’ubérisation de l’ensemble des sociétés libérales — française, entre autres. Pouvez-vous expliquer en quoi consiste cette mutation ?

    Alain de Benoist. Le « grand remplacement économique », ce n’est pas tant l’ubérisation que le remplacement de l’homme par la machine, voire par l’intelligence artificielle, à laquelle conduit l’évolution même du travail, évolution dont l’ubérisation ne représente qu’un aspect.

    « On l’oublie trop souvent : le capitalisme, ce n’est pas seulement le capital, c’est également le salariat. C’est aussi le système qui repose sur la force de travail, base de la valorisation du capital, et la transformation du travail concret en travail abstrait, concomitante de la transformation de la valeur d’usage en valeur d’échange. La transsubstantiation du travail en argent, puis de l’argent en capital, produit l’autovalorisation de la valeur. Le travail au sens moderne est une catégorie capitaliste. La généralisation du salariat fut une révolution silencieuse, mais une mutation énorme. Hier on avait un métier, aujourd’hui on cherche un emploi. Le métier et l’emploi, ce n’est pas la même chose. L’avènement du marché où l’on peut vendre et acheter contre salaire de la force de travail implique à la fois la destruction des anciennes formes sociales et la séparation du travailleur d’avec les moyens de production.

    « La contradiction principale à laquelle se heurte aujourd’hui le capitalisme est directement liée à l’évolution de la productivité. Cette contradiction est la suivante. D’un côté, le capital recherche en permanence des gains de productivité lui permettant de faire face à la concurrence, ce qui entraîne des suppressions d’emploi et une diminution du temps de travail global (on produit de plus en plus de choses avec de moins en moins d’hommes). De l’autre, il pose le temps de travail comme seule source et seule mesure de la valeur. La contradiction tient au fait que les gains de productivité aboutissent à supprimer des emplois, alors que c’est justement la forme « emploi » qui a permis au travail d’être le moteur de l’expansion du capital. La contradiction entre le marché actuel du travail et la production réelle de survaleur fait que le système capitaliste est aujourd’hui menacé, non pas seulement d’une baisse tendancielle du taux de profit, mais d’une dévalorisation généralisée de la valeur. 

    « Avec la révolution informatique et le développement de la robotique, la production de richesses se découple par ailleurs toujours davantage de la force de travail humaine, et pour la première fois on supprime davantage de travail qu’on ne peut en réabsorber par l’extension des marchés.

    « L’argument libéral classique est de dire que tout cela n’a rien de nouveau, que le progrès technique a toujours détruit des emplois, mais qu’il en a créé d’autres. On cite l’exemple de la révolte des canuts lyonnais contre les métiers à tisser, celui des luddites anglais ou celui des tisserands silésiens de 1844. On rappelle aussi la façon dont les emplois du secteur tertiaire ont remplacé ceux des secteurs primaire et secondaire. C’est oublier qu’aujourd’hui tous les emplois ne sont pas substituables, et qu’ils le sont même de moins en moins compte tenu de l’importance prise par les connaissances et de l’inégale distribution des capacités cognitives. Si dans le passé un paysan a pu se reconvertir en ouvrier sans grand problème, un ouvrier du bâtiment aura beaucoup plus de mal à se reconvertir en programmateur informatique. C’est pourquoi la robotique détruit aujourd’hui plus d’emplois qu’elle n’en crée.

    « Mais c’est oublier surtout que nous sommes en train de sortir de l’époque où les machines faisaient les choses aussi bien que l’homme pour entrer dans celle où les machines font beaucoup mieux. Cela change tout, car cela signifie que les machines peuvent désormais entrer en compétition avec des fonctions qui ne sont plus seulement manuelles ou répétitives, ce qui pose le problème de la décision : la machine est mieux placée pour décider puisqu’elle peut traiter mieux qu’un humain les informations dont elle dispose. C’est ce qu’avaient déjà biens vu Hannah Arendt et Günther Anders. Voilà pour le « grand remplacement » !

    Vous reprenez le terme de « précariat », introduit en économie alternative par des alter-mondialistes et des anarchistes (italiens à l’origine) à la fin des années 1970 — quelques années à peine après le départ de la crise structurelle dont se nourrit depuis cette époque le libéralisme. En quoi consiste-t-il ?

    La précarité, aujourd’hui, tout le monde la constate autour de soi. Face à la montée d’un chômage devenu structurel (et non plus seulement conjoncturel), la tendance actuelle, parallèlement au remplacement des activités productives par des emplois inutiles, qui sont en dernière analyse des emplois de contrôle, destinés à désamorcer les velléités de révolte sociale, est de chercher à diminuer le chômage en augmentant la précarité. C’est la mise en application du principe libéral : « Mieux vaut un mauvais travail que pas de travail du tout ». D’où l’idée de « flexi-sécurité », qu’il faut comprendre ainsi : la flexibilité c’est pour tout de suite, pour la sécurité on verra plus tard. Le refrain mille fois répété par le Medef est bien connu : plus on pourra licencier facilement, moins on hésitera à embaucher. Mais comment expliquer alors que la précarité ait constamment progressé en même temps que le chômage ?

    « C’est cette montée de la précarité qui a abouti en Angleterre à la multiplication des « travailleurs pauvres » (working poors) et aux contrats « à zéro heure » (on en compte aujourd’hui plus de 1, 4 million), et en Allemagne, depuis les réformes Harz, aux « minijobs » (450 euros sans cotisations et sans couverture sociale) qui, en 2013, concernaient 7 millions de travailleurs, soit près de 20% de la population allemande active, parmi lesquels un grand nombre de retraités.

    « Mais la précarisation, c’est aussi de façon beaucoup plus générale la destruction de tout ce qui dans le passé était solide et durable, et se trouve aujourd’hui remplacé par de l’éphémère et du transitoire. Dans ce que Zygmunt Bauman a très justement appelé la société liquide, tout est à la fois liquéfié et liquidé. Que ce soit dans le domaine professionnel, sentimental, sexuel, éducatif, politique, social ou autre, nous vivons à l’ère du zapping : on « zappe » d’un partenaire à l’autre, d’un métier à l’autre, d’un parti politique à l’autre, comme on « zappe » d’une chaîne de télévision à une autre. Et dans tous les cas, le changement n’aboutit qu’à donner le spectacle du même. On est toujours déçu parce que, sous diverses guises, c’est toujours le même chose qui se donne à voir. L’idéologie du progrès joue évidemment son rôle : avant, par définition, c’était moins bien. Le politiquement correct (qu’il vaudrait mieux appeler l’idéologiquement conforme) joue le sien : en transformant les mots, la « novlangue » transforme les pensées. L’individualisme ambiant fait le reste.

    Un chauffeur de taxi « ubérisé » gagne fort mal sa vie, en moyenne. Serait-ce là l’un de ces « bullshit jobs » nommés pour la première fois par David Graeber pour désigner des « boulots à la con » dans la sphère administrative (privée ou publique) et désormais étendus à l’ensemble de la sphère économique ? À une époque où les employés des grandes surfaces ne sont plus jamais embauchés à temps plein, afin de les tenir en laisse en les faisant vivre avec 800 euros par mois, où un prof débutant touche après 5 à 6 ans d’études 1400 euros par mois, en quoi la précarité concertée est-elle la solution la plus adaptée trouvée par le néo-libéralisme contemporain ?

    Les promesses du « travail indépendant » (l’« ubérisation » de la société) sont de leur côté trompeuses, car la précarité y est la règle plus encore que dans le salariat. Dans le monde post-industriel, qui privilégie les connaissances plus que les machines, chacun se voit convié à « devenir sa propre entreprise » (à être « entrepreneur de soi-même ») pour valoriser ses « actifs incorporels », quitte pour les anciens salariés à devenir des travailleurs multitâches, courant d’une activité à l’autre, cherchant de nouveaux clients tout en s’improvisant juristes ou comptables. L’ubérisation n’est alors qu’un nouveau nom de la parcellisation et de l’atomisation du travail. La précarité devient la règle, car les résultats recherchés se situent sur un horizon de temps de plus en plus court. Plus que jamais, on perd sa vie en tentant de la gagner.
    « Sous couvert de « flexibilité » on recherche des hommes taillables et corvéables à merci, qui doivent sans cesse s’adapter aux exigences d’une économie dont on estime qu’ils doivent être les serviteurs, sinon les esclaves. La généralisation de la précarité, c’est l’avènement de l’homme substituable, interchangeable, flexible, mobile, jetable. C’est l’entière réduction de la personne à sa force de travail, c’est-à-dire à cette part de lui-même qui peut être traitée comme une marchandise. C’est la soumission à l’impératif de rendement, la vente de soi s’étendant à tous les aspects de l’existence.

    Sur l’ensemble du dossier présenté par votre revue, je vous trouve terriblement marxiste — « le facteur économique est bien déterminant en dernière instance ». Peut-on cependant tisser un lien entre la réalité économique à laquelle on est en train de convertir l’ensemble de l’économie mondialisée, et l’homo festivus inventé par Philippe Muray ? Ou si vous préférez, dans quelle mesure l’ubérisation tous azimuts se conforte-t-elle de la société du spectacle — et vice versa ?

    Pas du tout marxiste, mais marxien pourquoi pas ! Deux cents ans après sa naissance, il serait peut-être temps de lire Marx en étant capable de faire le tri entre les nombreuses facettes de sa pensée – en oubliant les « marxismes » et les « antimarxismes » qui n’ont fait qu’accumuler les contresens sur son œuvre. La philosophie de l’histoire de Marx est assez faible, mais il n’y a pas besoin d’être marxiste pour constater, avec lui, que notre époque est tout entière plongée dans les « eaux glacées du calcul égoïste ». Marx est à la fois l’héritier d’Aristote et celui de Hegel. Il a tort de ramener toute l’histoire humaine aux lutte de classes, mais il décrit à merveille celles de son temps. Ce qu’il écrit sur le fétichisme de la marchandise, sur la « réification » des rapports sociaux, sur l’essence de la logique du Capital (sa propension à l’illimitation, au « toujours plus », qui n’est pas sans évoquer le Gestell heideggérien), sur la théorie de la valeur, va très au-delà de ce qu’on a généralement retenu chez lui.

    « L’homo festivus dont parlait le cher Philippe Muray est en effet comme un poisson dans l’eau dans l’économie libérale aujourd’hui déployée à l’échelle mondiale. L’homo festivus ne cherche pas seulement à faire la fête tout en aspirant à se vider le crâne (il ne faut pas se prendre la tête !) grâce aux mille formes de distraction contemporaine, au sens pascalien du terme. Il est aussi celui qui a remplacé le désir de révolution par la révolution du désir, et qui pense que les pouvoirs publics doivent faire droit, y compris institutionnellement, à toute forme de désir, car c’est en manifestant ses désirs, quels qu’ils soient, que l’homme manifeste pleinement sa nature.

    « Cela s’accorde parfaitement à l’idéologie libérale, qui conçoit l’homme comme un être présocial, cherchant à maximiser en permanence son seul intérêt personnel et privé. Comme l’a si bien montré Jean-Claude Michéa, c’est parce que le libéralisme économique et le libéralisme « sociétal » (ou libertaire) sont issus du même socle anthropologique qu’ils ne peuvent à un moment donné que se rejoindre. La société du spectacle, où le vrai n’est plus qu’un moment du faux et où l’être s’efface totalement derrière le paraître, est le cadre idéal de cette rencontre. C’est la société de l’aliénation volontaire, qui croit que les rapports sociaux peuvent être régulés seulement par le contrat juridique et l’échange marchand, mais qui ne débouche que sur la guerre de tous contre tous, c’est-à-dire sur le chaos.

    Vous notez qu’Emmanuel Macron est le chantre de cette ubérisation généralisée. Mais comment diable l’a-t-on élu ? Par un malentendu ? Grâce à l’écran de fumée médiatique ? Par un désir profond d’en arriver à un salaire universel garanti (le seul candidat qui le proposait était Benoît Hamon : un hasard ?) qui permettrait de vivoter dans la précarité sans plus poser de problème à un capitalisme financiarisé qui pourrait alors s’épanouir ? Mais alors, qui achètera les merveilleux produits fabriqués demain par les quelques travailleurs encore en exercice et une noria de machines « intelligentes » ? Bref, l’ubérisation serait-elle le premier pas vers la fin du libéralisme — l’ultime contradiction interne du système ?

    Dans une démocratie devenue elle aussi liquide, Macron a su instrumentaliser à son profit l’épuisement du clivage droite-gauche et l’aspiration au « dégagisme » d’un électorat qui ne supportait plus la vieille classe politique. Il a également compris que l’alternance des deux anciens grands partis de gouvernement ne mettait plus en présence que des différences cosmétiques, et que l’heure était venue de les réunir en un seul. C’est ce qui lui a permis de l’emporter avec au premier tour moins d’un quart des suffrages exprimés.

    « Macron est avant tout un contre-populiste au tempérament autoritaire et à l’ego hypertrophié. Il reprend à son compte le clivage « conservateurs » contre « progressistes », mais c’est pour choisir la seconde branche de l’alternative : réunir les partisans de l’« ouverture » (en clair : les élites libérales de tous bords) contre les tenants de la « fermeture » (en clair : ceux qui s’opposent, instinctivement ou intellectuellement, à l’idéologie dominante). Contre ceux « d’en bas », il est le représentant de la Caste « d’en haut ». On voit bien aujourd’hui qu’il ne supporte pas qu’on lui résiste, qu’il n’aime pas les corps intermédiaires, qu’il est insensible aux aspirations populaires, qu’il n’a rien à dire à la France qui va mal. A un moment où les classes moyennes, menacées de déclassement et de paupérisation, sont en train de rejoindre les classes populaires, il démontre ainsi son intention de construire une « start up nation », en parfaite conformité avec une religion économique qui exige l’absorption du politique par la gouvernance. Cela augure plutôt mal de l’avenir. »  •

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    « La revue Eléments mérite vraiment qu’on en parle. Mieux, elle mérite d’être lue, partagée, et relue. Collectionnée peut-être. Alain de Benoist, le philosophe anarchiste, bon bougre et mauvais coucheur, qui veille sur sa destinée et y produit tous les deux mois des éditos vengeurs et des articles ravageurs (et vice versa), a bien voulu répondre à quelques questions à peine orientées, suscitées par le solide dossier du dernier numéro sur l’ubérisation à marches forcées à laquelle on soumet aujourd’hui la société française mondialisée, et qui nous prépare de jolis lendemains qui chanteront faux. » Jean-Paul Brighelli.

    Eléments  -  Alain de Benoist,

    Bonnet d'âne - Causeur

  • Le macronisme est-il un européisme béat ?

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    Par  Mathieu Bock-Côté

    Après qu'Emmanuel Macron a annoncé qu'il comptait reconnaître le drapeau et l'hymne européen, Mathieu Bock-Côté démontre ici que les aspirations européennes du chef de l'Etat sont à contre-courant de celles du peuple français [Figarovox 12.10]. Il a raison !

     

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    De bien des manières, et à plusieurs reprises, Emmanuel Macron l'a fait comprendre, la construction européenne est pour lui l'horizon indépassable de la France. Toujours, elle doit aller de l'avant. 

    La France ne peut qu'y participer avec enthousiasme ou déchoir dans un souverainisme que l'on décrète inévitablement étroit et poussant la nation au repli identitaire.

    L'imaginaire macronien reprend les catégories fondamentales du progressisme contemporain.

    Il y a l'ouverture et la fermeture, et conséquemment, les ouverts et les fermés.

    Il y a l'élan vers le monde et le repli sur soi. Il y a les citoyens du monde et les nationalistes tribaux.

    Il y a les forces de l'avenir et celles du passé.

    Il y a l'avant-garde d'un monde nouveau et le bois mort de la vieille humanité enracinée.

    Il y a les gens bien et ceux qui ne le sont pas ou le sont moins.

    Emmanuel Macron a l'ardeur conquérante des nouvelles élites mondialisées qui ne veulent plus s'encombrer de la ringardise patriotique.

    C'est assurément dans cet esprit qu'il s'est engagé à reconnaître le drapeau et l'hymne européens, pour marquer une fois pour toutes l'adhésion de la France à un projet devant lequel les Français ont pourtant témoigné de grandes réserves.

    C'est sa manière de répondre à ceux qui croyaient pour congédier ce symbole qu'ils jugent inapproprié au cœur des institutions nationales. C'est une nouvelle étape dans l'européanisation mentale et culturelle des élites françaises, pour qui la construction européenne relève du sens de l'histoire.

    On ne doit plus voir l'Union européenne comme un cadre dont on peut s'extraire ou s'éloigner, selon les préférences populaires et l'intérêt national. Emmanuel Macron ne cesse de brandir son idéal européen, presque de manière incandescente.

    Un mauvais esprit pourrait faire remarquer au Président de la république que lorsque la France voit dans l'Europe une occasion de sortir d'elle-même, comme si elle voulait se délivrer du fardeau de la souveraineté, l'Allemagne y voit l'occasion de s'imposer aux autres.

    Certes, il y a quelque chose de grotesque, pour ne pas dire de loufoque dans la manière dont cette controverse est en train de tourner. La déclaration de guerre de la France insoumise contre le drapeau européen est justifiée au nom d'un anticatholicisme aussi maladif qu'anachronique.

    C'est un peu comme si la France insoumise devait maquiller un souverainisme qu'elle juge déshonorant, parce que suspect de nationalisme, alors que la lutte contre la religion catholique apparaît toujours de rigueur. La gauche radicale semble n'en avoir jamais fini dans sa volonté d'arracher les racines chrétiennes de la France. On y verra à bon droit une névrose, ou du moins, la résurgence d'un détestable folklore.

    On trouve à la France insoumise un laïcisme ultra qui se trompe d'époque qui se conjugue avec le multiculturalisme agressif de ceux qui prétendent décoloniser la France en la dénationalisant. La gauche radicale ne sait jamais quoi faire de la nation, sinon la combattre ou la redéfinir comme une pure abstraction révolutionnaire.

    Il n'en demeure pas moins que l'initiative d'Emmanuel Macron fait problème dans un pays qui a voté contre la constitution européenne en 2005 et qui tient plus que ses élites à l'identité et l'indépendance nationales. À tout le moins, dans l'esprit du commun des mortels, on ne saurait placer sur le même pied le drapeau français et celui de l'Union européenne.

    Au nom du premier, des générations d'hommes ont accepté de sacrifier leur vie. Il touche aux plis les plus intimes de l'être et réfère à la part sacrée de la patrie. On ne saurait en dire autant du second qui demeure essentiellement un symbole technocratique qui ne touche ni le cœur ni l'âme. Rappeler cette simple vérité ne devrait pas choquer.

    À la rigueur, on peut souhaiter qu'un jour, le drapeau européen prenne la place des drapeaux nationaux dans la conscience collective des peuples d'Europe. Ce n'est pas encore le cas. Le sentiment national n'est pas encore aplati.

    Mais dans tout ce débat, un gros mot est sorti : qui ne s'enthousiasme pas pour l'initiative d'Emmanuel Macron est désormais suspect d'europhobie. C'est même pour lutter contre cette dernière qu'il faudrait s'y rallier. Il suffit d'inscrire une cause dans le cadre des grandes luttes contre les phobies pour d'un coup l'anoblir.

    On voit encore ici à quel point l'évolution du vocabulaire est symptomatique d'une mutation des codes de la respectabilité politique. Peu à peu, l'opposition à la fédéralisation discrète ou revendiquée de l'Europe devient non seulement illégitime mais impensable autrement que sur le registre de la pathologie.

    En trente ans, l'eurosceptique est devenu europhobe. Il a cherché à se définir positivement en se réclamant pour un temps du souverainisme, mais ce terme ne s'est jamais départi d'un parfum quelque peu exotique, comme s'il n'avait pas su faire sa place ailleurs que dans les marges politiques. Lui aussi aujourd'hui est disqualifié.

    La nation fondait autrefois le lien politique : on lui accorde maintenant une connotation retardataire, et même réactionnaire. La construction européenne est certainement un idéal légitime, mais elle ne saurait avoir le monopole de la légitimité.

    Cette controverse, toutefois, n'est pas sans quelques vertus. Elle rappelle que le macronisme n'est pas qu'un pragmatisme libéral appelé à mener en France les nombreuses réformes jugées nécessaires à sa modernisation, pour reprendre le vocabulaire d'usage. Il s'agit aussi, et peut-être surtout, d'un progressisme militant qui voit dans le dépassement de la nation un devoir d'époque et une mission presque sacrée.

    Quand Emmanuel Macron souhaite voir la souveraineté européenne transcender, puis se substituer à la souveraineté nationale, il propose une rupture radicale qu'il croit porter au nom de sa conception héroïque de la politique.

    À la différence de certains de ses prédécesseurs, il avance à visière levée et force ses adversaires à préciser leur propre philosophie politique. Il butera néanmoins sur cette réalité : il n'existe pas de peuple européen au singulier, mais des peuples européens, qui ne veulent pas se dissoudre dans un fantasme désincarné et indifférencié.

    Ce en quoi on est en droit de penser qu'après la « séquence sociale » du début du quinquennat, la question nationale, d'une manière ou d'une autre, sera au cœur des prochaines années politiques.

    Reste à voir comment la droite républicaine assumera ce clivage, elle qui peine pour l'instant à se positionner par rapport à un président si singulier.   

    Mathieu Bock-Côté

    Mathieu Bock-Côté est docteur en sociologie, chargé de cours aux HEC à Montréal et chroniqueur au Journal de Montréal et à Radio-Canada. Ses travaux portent principalement sur le multiculturalisme, les mutations de la démocratie contemporaine et la question nationale québécoise. Il est l'auteur d'Exercices politiques (VLB éditeur, 2013), de Fin de cycle : aux origines du malaise politique québécois (Boréal, 2012) de La dénationalisation tranquille (Boréal, 2007), de Le multiculturalisme comme religion politique (éd. du Cerf, 2016) et de Le Nouveau Régime (Boréal, 2017).

  • Antonin Bernanos, antifa : il y a des descendants qui sont des chutes vertigineuses !

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    Par Christian Vanneste

     

    3c2f2a5cf43968ace421d765cf78a765.jpegLe 18 mai 2016, alors que les policiers manifestaient contre les violences dont ils sont victimes lors des manifestations, ceux qui sont à l’origine de ces agressions, les « antifas », attaquaient une voiture de police le long du canal Saint-Martin, quai de Valmy. Les images sont encore dans tous les esprits. Des énergumènes harcelaient des policiers, boxaient l’un d’entre eux puis le frappaient avec une barre de fer, avant d’incendier la voiture de police, par ailleurs cassée de partout. Après seize mois, la XVIe chambre a énoncé son verdict.

    Antonin Bernanos attire l’attention. Il est l’arrière-petit-fils de Georges Bernanos, ce grand écrivain chrétien, cette belle âme éprise de liberté que, malgré son gaullisme, le Général n’était pas parvenu à attacher à son char. Combattant courageux et blessé lors de la Grande Guerre, d’abord proche de l’Action française, puis adversaire du fascisme, Bernanos était certes un rebelle, mais sa rébellion, était morale plus que politique. C’était celle d’un écrivain, à la fois profond dans sa réflexion et talentueux imprécateur des péchés de notre monde. C’est avec consternation que l’on voit aujourd’hui son nom mêlé aux jeux débiles et violents de soixante-huitards attardés. Il y a des descendants qui sont des chutes vertigineuses.

    Antonin Bernanos est à la fois la vedette de ce procès et un symbole qui mérite qu’on s’y attarde. Il a été identifié par un membre de la direction du renseignement de la préfecture de police de Paris dont le témoignage corrobore les images de l’agression. Sa défense consiste à nier sa participation aux faits. Il était là avant et après, à visage découvert, mais ce n’est pas lui qui a boxé le policier assis à son volant, ni brisé la lunette arrière du véhicule, même si ses vêtements et sous-vêtements (visibles) et ses bagues étaient semblables à ceux de l’agresseur masqué. Il en est à sa douzième poursuite pénale. Les onze autres ont été conclues par des relaxes ou des classements sans suite. Allez savoir si ce succès judiciaire est dû à un acharnement infondé de la police ou à une mansuétude particulière envers un étudiant au style très correct et qui parle aux magistrats « d’égal à égal » ! Le comble serait, en effet, que ce « révolutionnaire » sans cause ait été, jusqu’à présent, la preuve vivante d’une justice de classe… 

    Malgré sa condamnation à cinq ans, dont trois avec sursis, il a été laissé en liberté. Le « pauvre » avait déjà effectué dix mois de détention préventive, et compte tenu de sa peine, il aurait été libéré dans deux mois. Lourdes peines, dites-vous ? Ses parents crient au scandale en dénonçant « l’acharnement du pouvoir politique », un « verdict lourd et injuste » et justifient « un jeune militant qui lutte contre la violence de l’État ». Dans cette atmosphère très parisienne, on n’est pas loin de croire entendre un délire « bobo » gauchiste, complètement déconnecté de la réalité. Car si l’on peut critiquer légitimement notre société, et même considérer la démocratie comme une illusion, le changement ne risque pas d’être engendré par la violence, et encore moins par des échauffourées sporadiques avec des fonctionnaires de police qui ne font que leur travail. 

    Deux aspects préoccupants se dégagent de cette affaire. Il y a d’abord une certaine perversité de l’intéressé qui soigne ses deux visages opposés. Docteur Antonin possède chez lui l’attirail du casseur de rue : masque à gaz, casque et poing américain. Mais Mister Bernanos est posé, calme, s’exprime aisément et déclare ainsi devant le tribunal : « pas de jugement moral » sur les événements.

    Ensuite, on ne peut qu’être atterré par le gâchis que représente cet individu. C’est d’abord l’aberration d’une Éducation nationale qui conduit de jeunes étudiants intelligents à s’enliser dans une pensée sans issue qui leur fait atteindre le sommet… de la stupidité. Au lieu d’ouvrir les esprits, comment l’université peut-elle enfermer une intelligence dans la vision étriquée d’un groupuscule ?  

    Homme politique