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Actualité France - Page 325

  • Le drapeau de la discorde

     

    Un éditorial de Henri Vernet

    Qui est paru dans Le Parisien le 11 octobre et que nous aurions pu signer. Le voici, pour les lecteurs de Lafautearousseau, suivi d'une chronique de Gérard Leclerc qui dit des choses essentielles sur le même sujet. Les deux réflexions se complètent utilement.  LFAR  

     

    le parisien.pngQuel est le dossier le plus urgent à régler aujourd’hui en Europe ?

    Le cactus de l’indépendance de la Catalogne, comment faire baisser la température entre les adversaires Madrid et Barcelone ? Donner suite aux propositions françaises sur une réforme de la Zone euro pour la rendre plus transparente et, surtout, plus efficace contre le chômage ? Coordonner une bonne fois pour tous les efforts des polices et services de renseignement des Etats membres dans la lutte antiterrorisme ? Voilà des sujets d’importance pour nos concitoyens.

    Mais ce sur quoi s’empaillent nos responsables politiques est d’un tout autre ordre, purement symbolique. Le drapeau européen doit-il oui ou non flotter à l’Assemblée nationale ? Jean-Luc Mélenchon et ses Insoumis veulent le faire valser de l’hémicycle, y voyant une atteinte à la souveraineté nationale et, pis, un signe intolérable de bondieuserie (au motif que son créateur avait un peu bêtement expliqué s’être inspiré des représentations de la vierge Marie pour le fond bleu étoilé...).

    Du coup, Emmanuel Macron, pour couper court, vient d’annoncer que la France adoptera officiellement le drapeau européen lors du prochain sommet de Bruxelles.

    Mais voilà que les souverainistes et l’extrême-droite font front avec Mélenchon, de Marine Le Pen à Nicolas Dupont-Aignan, qui ne réclament rien de moins qu’un référendum pour trancher ce drame existentiel. Pour les vrais problèmes des Français, on n’aura qu’à attendre...  

    Le Parisien

  • Un étendard marial ?

     

    par Gérard Leclerc

     

    2435494823.jpgLa guérilla qui oppose Emmanuel Macron à Jean-Luc Mélenchon sur le drapeau européen a pris une tournure où le symbolique s’associe étroitement au politique. Car il y a deux dimension dans cette querelle, d’abord une dimension proprement politique à propos de la construction européenne. Depuis le rejet de la constitution imaginée par Giscard d’Estaing lors du référendum de 2004, on peut estimer que l’Europe n’est pas vraiment définie en tant que concept institutionnel. On peut certes se raccrocher à la formule de Jacques Delors : fédération d’États nations, même si elle constitue à certains égards un oxymore. Un moment, le président François Mitterrand, avait, me semble-t-il, privilégié le terme de confédération, qui prêtait moins à discussion, même s’il ne résolvait pas entièrement la question de la souveraineté. Une souveraineté qui par ailleurs ne se sépare pas de la question d’un peuple européen. Existe-t-il un peuple européen ? Si oui, il peut revendiquer son drapeau, son hymne, sa devise. Sinon, c’est beaucoup plus problématique.

    Le désaccord entre Macron et Mélenchon est incontestablement lié à cette incertitude, mais il a pris une dimension symbolique, lorsque Mélenchon a mis en cause le drapeau aux douze étoiles sur fond bleu : « Franchement, on est obligé de supporter ça ? C’est la République française, pas la Vierge Marie. » Il est incontestable que le créateur de ce drapeau était chrétien et qu’il était inspiré par la symbolique mariale. On saisit la référence à l’apocalypse : « Une femme revêtue du soleil, la lune sous les pieds et sur la tête une couronne de douze étoiles. » Mais l’inspiration initiale ne s’est pas forcément transmise aux héritiers. Il a fallu Jean-Luc Mélenchon pour qu’ils soient mis au courant. Mais, même alors, cette symbolique est-elle rédhibitoire pour la laïcité ? On peut en discuter, mais on peut aussi s’étonner de l’intolérance qui jette l’interdit sur une part essentielle du patrimoine européen. Sans référence à ce patrimoine, avec ses dimensions d’ailleurs diverses, notre Europe devient un concept singulièrement rabougri.  

    Gérard Leclerc

    Chronique diffusée sur Radio Notre-Dame le 16 octobre 2017.

  • Discours de roi et paroles de président ...

     

    En deux mots.jpgL'interview d'Emmanuel Macron a fait couler beaucoup d'encre, beaucoup de salive et de longues heures d'antenne sur toutes les chaînes, les jours d'avant, d'après, et le dimanche soir fatidique où elle fut donnée, quoique, de l'aveu général, Macron n'y ait pas dit grand-chose, en tout cas rien de substantiel, et que cette interview n'ait été rien d'autre qu'un « exercice de style ».

    C'est ce que Roger Karoutchi en a dit et qui semble assez juste. Macron s'est défendu d'avoir seulement cherché à rattraper un peu de sa popularité perdue. C'est pourtant bien, nous semble-t-il, à une heure quinze de pédagogie sans substance sur l'essentiel, à quoi nous avons été conviés dimanche soir. Une heure de reprise en mains du peuple français, en mode purement gestionnaire du quotidien. Et l'on a commenté cette insignifiance à perte de vue dans les médias, essentiellement, d'ailleurs, pour savoir si le Chef de l'Etat avait ou non réussi sa « prestation ». Car la parole présidentielle est devenue une « prestation » aux yeux médiatiques et les Français ne la jugent pas autrement. Nous vivons en régime d’opinion et ce sont là ses médiocres vertus. Il est en charge de l'accessoire, non plus de l'essentiel. Grandeur et décadence de la Vème république ...

    Quoique démocratique, l'Espagne nous a donné il y a à peine quelques jours un exemple inverse, au cœur d'une crise qui menaçait de la briser et l'en menace encore. En quelques cinq minutes d'un discours d'une grande fermeté, le roi, qui s'exprime peu, ne s'occupe, à l'inverse du président de la République française, ni des APL, ni des modalités de licenciement, ni de la durée d'indemnisation du chômage, souverain d'une monarchie qui a peu à voir avec ce que fut la monarchie française, ce roi est soudain sorti de son silence, de sa réserve, avec une autorité et une force tranquille qui ont surpris, pour se prononcer sur l'essentiel, sur l'unité, la cohésion entre Espagnols, l'intégrité, la pérennité de son pays. Et pour condamner avec la dernière sévérité, presque avec violence, les indépendantistes catalans. Ces cinq minutes d'un discours royal ont suffi à donner un coup d'arrêt au processus de désintégration de l'Espagne entamé à Barcelone. Et l'on nous dit d'Outre-Pyrénées qu'il s'en est suivi, dans toute l'Espagne, y compris en Catalogne, un formidable sursaut du sentiment national qui s'exprime par des manifestations españolistas quotidiennes dans tout le pays. C'est qu'il y a en Espagne un pouvoir qui, malgré sa faiblesse apparente, est soustrait au régime d'opinion, soustrait à l'élection, un pouvoir en charge du pérenne et de l'essentiel. Et ce pouvoir est le sommet de l'Etat.

    Même faible, même imparfait, on ne dira jamais assez le bienfait du système dynastique.   

    Retrouvez l'ensemble de ces chroniques en cliquant sur le lien ci-dessous

    En deux mots, réflexion sur l'actualité

    A lire dans Lafautearousseau ...

    Catalogne : Points d'Histoire et réalités d'aujourd'hui

    Au bord du précipice

    L'armée espagnole fait mouvement vers la Catalogne

    Espagne : Le roi Felipe VI s'est exprimé dans un discours d'une fermeté sans précédent

    Barcelone : « No tinc por »

  • Alain de Benoist : « Hier on avait un métier, aujourd’hui on cherche un emploi »

     

    Par Alain de Benoist et Jean-Paul Brighelli

     

    Dans ce remarquable entretien, la distinction qu'opère Alain de Benoist entre métier et emploi nous paraît essentielle. Métier est de l'ordre du qualitatif. C'était ce que possédaient en propre ceux qui n'avaient rien, les prolétaires de jadis. Emploi est indéterminé, sans substance, sans qualité. C'est tout le reflet du monde moderne ou postmoderne. Cette opposition constitue la trame de la réflexion d'Alain de Benoist, y compris dans les passages où elle peut surprendre. Il faut savoir gré à Jean-Paul Brighelli d'avoir réalisé et publié [Bonnet d'âne & Causeur les 9 & 13.10] ce long et riche entretien qui est aussi un débat, l'amorce d'un débat.  Lafautearousseau   

     

    alain-de-benoist-elements-324x235.jpgJean-Paul Brighelli. Voilà que vous détournez le « grand remplacement » ethnique cher à Renaud Camus par un « grand remplacement » économique : l’ubérisation de l’ensemble des sociétés libérales — française, entre autres. Pouvez-vous expliquer en quoi consiste cette mutation ?

    Alain de Benoist. Le « grand remplacement économique », ce n’est pas tant l’ubérisation que le remplacement de l’homme par la machine, voire par l’intelligence artificielle, à laquelle conduit l’évolution même du travail, évolution dont l’ubérisation ne représente qu’un aspect.

    « On l’oublie trop souvent : le capitalisme, ce n’est pas seulement le capital, c’est également le salariat. C’est aussi le système qui repose sur la force de travail, base de la valorisation du capital, et la transformation du travail concret en travail abstrait, concomitante de la transformation de la valeur d’usage en valeur d’échange. La transsubstantiation du travail en argent, puis de l’argent en capital, produit l’autovalorisation de la valeur. Le travail au sens moderne est une catégorie capitaliste. La généralisation du salariat fut une révolution silencieuse, mais une mutation énorme. Hier on avait un métier, aujourd’hui on cherche un emploi. Le métier et l’emploi, ce n’est pas la même chose. L’avènement du marché où l’on peut vendre et acheter contre salaire de la force de travail implique à la fois la destruction des anciennes formes sociales et la séparation du travailleur d’avec les moyens de production.

    « La contradiction principale à laquelle se heurte aujourd’hui le capitalisme est directement liée à l’évolution de la productivité. Cette contradiction est la suivante. D’un côté, le capital recherche en permanence des gains de productivité lui permettant de faire face à la concurrence, ce qui entraîne des suppressions d’emploi et une diminution du temps de travail global (on produit de plus en plus de choses avec de moins en moins d’hommes). De l’autre, il pose le temps de travail comme seule source et seule mesure de la valeur. La contradiction tient au fait que les gains de productivité aboutissent à supprimer des emplois, alors que c’est justement la forme « emploi » qui a permis au travail d’être le moteur de l’expansion du capital. La contradiction entre le marché actuel du travail et la production réelle de survaleur fait que le système capitaliste est aujourd’hui menacé, non pas seulement d’une baisse tendancielle du taux de profit, mais d’une dévalorisation généralisée de la valeur. 

    « Avec la révolution informatique et le développement de la robotique, la production de richesses se découple par ailleurs toujours davantage de la force de travail humaine, et pour la première fois on supprime davantage de travail qu’on ne peut en réabsorber par l’extension des marchés.

    « L’argument libéral classique est de dire que tout cela n’a rien de nouveau, que le progrès technique a toujours détruit des emplois, mais qu’il en a créé d’autres. On cite l’exemple de la révolte des canuts lyonnais contre les métiers à tisser, celui des luddites anglais ou celui des tisserands silésiens de 1844. On rappelle aussi la façon dont les emplois du secteur tertiaire ont remplacé ceux des secteurs primaire et secondaire. C’est oublier qu’aujourd’hui tous les emplois ne sont pas substituables, et qu’ils le sont même de moins en moins compte tenu de l’importance prise par les connaissances et de l’inégale distribution des capacités cognitives. Si dans le passé un paysan a pu se reconvertir en ouvrier sans grand problème, un ouvrier du bâtiment aura beaucoup plus de mal à se reconvertir en programmateur informatique. C’est pourquoi la robotique détruit aujourd’hui plus d’emplois qu’elle n’en crée.

    « Mais c’est oublier surtout que nous sommes en train de sortir de l’époque où les machines faisaient les choses aussi bien que l’homme pour entrer dans celle où les machines font beaucoup mieux. Cela change tout, car cela signifie que les machines peuvent désormais entrer en compétition avec des fonctions qui ne sont plus seulement manuelles ou répétitives, ce qui pose le problème de la décision : la machine est mieux placée pour décider puisqu’elle peut traiter mieux qu’un humain les informations dont elle dispose. C’est ce qu’avaient déjà biens vu Hannah Arendt et Günther Anders. Voilà pour le « grand remplacement » !

    Vous reprenez le terme de « précariat », introduit en économie alternative par des alter-mondialistes et des anarchistes (italiens à l’origine) à la fin des années 1970 — quelques années à peine après le départ de la crise structurelle dont se nourrit depuis cette époque le libéralisme. En quoi consiste-t-il ?

    La précarité, aujourd’hui, tout le monde la constate autour de soi. Face à la montée d’un chômage devenu structurel (et non plus seulement conjoncturel), la tendance actuelle, parallèlement au remplacement des activités productives par des emplois inutiles, qui sont en dernière analyse des emplois de contrôle, destinés à désamorcer les velléités de révolte sociale, est de chercher à diminuer le chômage en augmentant la précarité. C’est la mise en application du principe libéral : « Mieux vaut un mauvais travail que pas de travail du tout ». D’où l’idée de « flexi-sécurité », qu’il faut comprendre ainsi : la flexibilité c’est pour tout de suite, pour la sécurité on verra plus tard. Le refrain mille fois répété par le Medef est bien connu : plus on pourra licencier facilement, moins on hésitera à embaucher. Mais comment expliquer alors que la précarité ait constamment progressé en même temps que le chômage ?

    « C’est cette montée de la précarité qui a abouti en Angleterre à la multiplication des « travailleurs pauvres » (working poors) et aux contrats « à zéro heure » (on en compte aujourd’hui plus de 1, 4 million), et en Allemagne, depuis les réformes Harz, aux « minijobs » (450 euros sans cotisations et sans couverture sociale) qui, en 2013, concernaient 7 millions de travailleurs, soit près de 20% de la population allemande active, parmi lesquels un grand nombre de retraités.

    « Mais la précarisation, c’est aussi de façon beaucoup plus générale la destruction de tout ce qui dans le passé était solide et durable, et se trouve aujourd’hui remplacé par de l’éphémère et du transitoire. Dans ce que Zygmunt Bauman a très justement appelé la société liquide, tout est à la fois liquéfié et liquidé. Que ce soit dans le domaine professionnel, sentimental, sexuel, éducatif, politique, social ou autre, nous vivons à l’ère du zapping : on « zappe » d’un partenaire à l’autre, d’un métier à l’autre, d’un parti politique à l’autre, comme on « zappe » d’une chaîne de télévision à une autre. Et dans tous les cas, le changement n’aboutit qu’à donner le spectacle du même. On est toujours déçu parce que, sous diverses guises, c’est toujours le même chose qui se donne à voir. L’idéologie du progrès joue évidemment son rôle : avant, par définition, c’était moins bien. Le politiquement correct (qu’il vaudrait mieux appeler l’idéologiquement conforme) joue le sien : en transformant les mots, la « novlangue » transforme les pensées. L’individualisme ambiant fait le reste.

    Un chauffeur de taxi « ubérisé » gagne fort mal sa vie, en moyenne. Serait-ce là l’un de ces « bullshit jobs » nommés pour la première fois par David Graeber pour désigner des « boulots à la con » dans la sphère administrative (privée ou publique) et désormais étendus à l’ensemble de la sphère économique ? À une époque où les employés des grandes surfaces ne sont plus jamais embauchés à temps plein, afin de les tenir en laisse en les faisant vivre avec 800 euros par mois, où un prof débutant touche après 5 à 6 ans d’études 1400 euros par mois, en quoi la précarité concertée est-elle la solution la plus adaptée trouvée par le néo-libéralisme contemporain ?

    Les promesses du « travail indépendant » (l’« ubérisation » de la société) sont de leur côté trompeuses, car la précarité y est la règle plus encore que dans le salariat. Dans le monde post-industriel, qui privilégie les connaissances plus que les machines, chacun se voit convié à « devenir sa propre entreprise » (à être « entrepreneur de soi-même ») pour valoriser ses « actifs incorporels », quitte pour les anciens salariés à devenir des travailleurs multitâches, courant d’une activité à l’autre, cherchant de nouveaux clients tout en s’improvisant juristes ou comptables. L’ubérisation n’est alors qu’un nouveau nom de la parcellisation et de l’atomisation du travail. La précarité devient la règle, car les résultats recherchés se situent sur un horizon de temps de plus en plus court. Plus que jamais, on perd sa vie en tentant de la gagner.
    « Sous couvert de « flexibilité » on recherche des hommes taillables et corvéables à merci, qui doivent sans cesse s’adapter aux exigences d’une économie dont on estime qu’ils doivent être les serviteurs, sinon les esclaves. La généralisation de la précarité, c’est l’avènement de l’homme substituable, interchangeable, flexible, mobile, jetable. C’est l’entière réduction de la personne à sa force de travail, c’est-à-dire à cette part de lui-même qui peut être traitée comme une marchandise. C’est la soumission à l’impératif de rendement, la vente de soi s’étendant à tous les aspects de l’existence.

    Sur l’ensemble du dossier présenté par votre revue, je vous trouve terriblement marxiste — « le facteur économique est bien déterminant en dernière instance ». Peut-on cependant tisser un lien entre la réalité économique à laquelle on est en train de convertir l’ensemble de l’économie mondialisée, et l’homo festivus inventé par Philippe Muray ? Ou si vous préférez, dans quelle mesure l’ubérisation tous azimuts se conforte-t-elle de la société du spectacle — et vice versa ?

    Pas du tout marxiste, mais marxien pourquoi pas ! Deux cents ans après sa naissance, il serait peut-être temps de lire Marx en étant capable de faire le tri entre les nombreuses facettes de sa pensée – en oubliant les « marxismes » et les « antimarxismes » qui n’ont fait qu’accumuler les contresens sur son œuvre. La philosophie de l’histoire de Marx est assez faible, mais il n’y a pas besoin d’être marxiste pour constater, avec lui, que notre époque est tout entière plongée dans les « eaux glacées du calcul égoïste ». Marx est à la fois l’héritier d’Aristote et celui de Hegel. Il a tort de ramener toute l’histoire humaine aux lutte de classes, mais il décrit à merveille celles de son temps. Ce qu’il écrit sur le fétichisme de la marchandise, sur la « réification » des rapports sociaux, sur l’essence de la logique du Capital (sa propension à l’illimitation, au « toujours plus », qui n’est pas sans évoquer le Gestell heideggérien), sur la théorie de la valeur, va très au-delà de ce qu’on a généralement retenu chez lui.

    « L’homo festivus dont parlait le cher Philippe Muray est en effet comme un poisson dans l’eau dans l’économie libérale aujourd’hui déployée à l’échelle mondiale. L’homo festivus ne cherche pas seulement à faire la fête tout en aspirant à se vider le crâne (il ne faut pas se prendre la tête !) grâce aux mille formes de distraction contemporaine, au sens pascalien du terme. Il est aussi celui qui a remplacé le désir de révolution par la révolution du désir, et qui pense que les pouvoirs publics doivent faire droit, y compris institutionnellement, à toute forme de désir, car c’est en manifestant ses désirs, quels qu’ils soient, que l’homme manifeste pleinement sa nature.

    « Cela s’accorde parfaitement à l’idéologie libérale, qui conçoit l’homme comme un être présocial, cherchant à maximiser en permanence son seul intérêt personnel et privé. Comme l’a si bien montré Jean-Claude Michéa, c’est parce que le libéralisme économique et le libéralisme « sociétal » (ou libertaire) sont issus du même socle anthropologique qu’ils ne peuvent à un moment donné que se rejoindre. La société du spectacle, où le vrai n’est plus qu’un moment du faux et où l’être s’efface totalement derrière le paraître, est le cadre idéal de cette rencontre. C’est la société de l’aliénation volontaire, qui croit que les rapports sociaux peuvent être régulés seulement par le contrat juridique et l’échange marchand, mais qui ne débouche que sur la guerre de tous contre tous, c’est-à-dire sur le chaos.

    Vous notez qu’Emmanuel Macron est le chantre de cette ubérisation généralisée. Mais comment diable l’a-t-on élu ? Par un malentendu ? Grâce à l’écran de fumée médiatique ? Par un désir profond d’en arriver à un salaire universel garanti (le seul candidat qui le proposait était Benoît Hamon : un hasard ?) qui permettrait de vivoter dans la précarité sans plus poser de problème à un capitalisme financiarisé qui pourrait alors s’épanouir ? Mais alors, qui achètera les merveilleux produits fabriqués demain par les quelques travailleurs encore en exercice et une noria de machines « intelligentes » ? Bref, l’ubérisation serait-elle le premier pas vers la fin du libéralisme — l’ultime contradiction interne du système ?

    Dans une démocratie devenue elle aussi liquide, Macron a su instrumentaliser à son profit l’épuisement du clivage droite-gauche et l’aspiration au « dégagisme » d’un électorat qui ne supportait plus la vieille classe politique. Il a également compris que l’alternance des deux anciens grands partis de gouvernement ne mettait plus en présence que des différences cosmétiques, et que l’heure était venue de les réunir en un seul. C’est ce qui lui a permis de l’emporter avec au premier tour moins d’un quart des suffrages exprimés.

    « Macron est avant tout un contre-populiste au tempérament autoritaire et à l’ego hypertrophié. Il reprend à son compte le clivage « conservateurs » contre « progressistes », mais c’est pour choisir la seconde branche de l’alternative : réunir les partisans de l’« ouverture » (en clair : les élites libérales de tous bords) contre les tenants de la « fermeture » (en clair : ceux qui s’opposent, instinctivement ou intellectuellement, à l’idéologie dominante). Contre ceux « d’en bas », il est le représentant de la Caste « d’en haut ». On voit bien aujourd’hui qu’il ne supporte pas qu’on lui résiste, qu’il n’aime pas les corps intermédiaires, qu’il est insensible aux aspirations populaires, qu’il n’a rien à dire à la France qui va mal. A un moment où les classes moyennes, menacées de déclassement et de paupérisation, sont en train de rejoindre les classes populaires, il démontre ainsi son intention de construire une « start up nation », en parfaite conformité avec une religion économique qui exige l’absorption du politique par la gouvernance. Cela augure plutôt mal de l’avenir. »  •

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    « La revue Eléments mérite vraiment qu’on en parle. Mieux, elle mérite d’être lue, partagée, et relue. Collectionnée peut-être. Alain de Benoist, le philosophe anarchiste, bon bougre et mauvais coucheur, qui veille sur sa destinée et y produit tous les deux mois des éditos vengeurs et des articles ravageurs (et vice versa), a bien voulu répondre à quelques questions à peine orientées, suscitées par le solide dossier du dernier numéro sur l’ubérisation à marches forcées à laquelle on soumet aujourd’hui la société française mondialisée, et qui nous prépare de jolis lendemains qui chanteront faux. » Jean-Paul Brighelli.

    Eléments  -  Alain de Benoist,

    Bonnet d'âne - Causeur

  • Le macronisme est-il un européisme béat ?

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    Par  Mathieu Bock-Côté

    Après qu'Emmanuel Macron a annoncé qu'il comptait reconnaître le drapeau et l'hymne européen, Mathieu Bock-Côté démontre ici que les aspirations européennes du chef de l'Etat sont à contre-courant de celles du peuple français [Figarovox 12.10]. Il a raison !

     

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    De bien des manières, et à plusieurs reprises, Emmanuel Macron l'a fait comprendre, la construction européenne est pour lui l'horizon indépassable de la France. Toujours, elle doit aller de l'avant. 

    La France ne peut qu'y participer avec enthousiasme ou déchoir dans un souverainisme que l'on décrète inévitablement étroit et poussant la nation au repli identitaire.

    L'imaginaire macronien reprend les catégories fondamentales du progressisme contemporain.

    Il y a l'ouverture et la fermeture, et conséquemment, les ouverts et les fermés.

    Il y a l'élan vers le monde et le repli sur soi. Il y a les citoyens du monde et les nationalistes tribaux.

    Il y a les forces de l'avenir et celles du passé.

    Il y a l'avant-garde d'un monde nouveau et le bois mort de la vieille humanité enracinée.

    Il y a les gens bien et ceux qui ne le sont pas ou le sont moins.

    Emmanuel Macron a l'ardeur conquérante des nouvelles élites mondialisées qui ne veulent plus s'encombrer de la ringardise patriotique.

    C'est assurément dans cet esprit qu'il s'est engagé à reconnaître le drapeau et l'hymne européens, pour marquer une fois pour toutes l'adhésion de la France à un projet devant lequel les Français ont pourtant témoigné de grandes réserves.

    C'est sa manière de répondre à ceux qui croyaient pour congédier ce symbole qu'ils jugent inapproprié au cœur des institutions nationales. C'est une nouvelle étape dans l'européanisation mentale et culturelle des élites françaises, pour qui la construction européenne relève du sens de l'histoire.

    On ne doit plus voir l'Union européenne comme un cadre dont on peut s'extraire ou s'éloigner, selon les préférences populaires et l'intérêt national. Emmanuel Macron ne cesse de brandir son idéal européen, presque de manière incandescente.

    Un mauvais esprit pourrait faire remarquer au Président de la république que lorsque la France voit dans l'Europe une occasion de sortir d'elle-même, comme si elle voulait se délivrer du fardeau de la souveraineté, l'Allemagne y voit l'occasion de s'imposer aux autres.

    Certes, il y a quelque chose de grotesque, pour ne pas dire de loufoque dans la manière dont cette controverse est en train de tourner. La déclaration de guerre de la France insoumise contre le drapeau européen est justifiée au nom d'un anticatholicisme aussi maladif qu'anachronique.

    C'est un peu comme si la France insoumise devait maquiller un souverainisme qu'elle juge déshonorant, parce que suspect de nationalisme, alors que la lutte contre la religion catholique apparaît toujours de rigueur. La gauche radicale semble n'en avoir jamais fini dans sa volonté d'arracher les racines chrétiennes de la France. On y verra à bon droit une névrose, ou du moins, la résurgence d'un détestable folklore.

    On trouve à la France insoumise un laïcisme ultra qui se trompe d'époque qui se conjugue avec le multiculturalisme agressif de ceux qui prétendent décoloniser la France en la dénationalisant. La gauche radicale ne sait jamais quoi faire de la nation, sinon la combattre ou la redéfinir comme une pure abstraction révolutionnaire.

    Il n'en demeure pas moins que l'initiative d'Emmanuel Macron fait problème dans un pays qui a voté contre la constitution européenne en 2005 et qui tient plus que ses élites à l'identité et l'indépendance nationales. À tout le moins, dans l'esprit du commun des mortels, on ne saurait placer sur le même pied le drapeau français et celui de l'Union européenne.

    Au nom du premier, des générations d'hommes ont accepté de sacrifier leur vie. Il touche aux plis les plus intimes de l'être et réfère à la part sacrée de la patrie. On ne saurait en dire autant du second qui demeure essentiellement un symbole technocratique qui ne touche ni le cœur ni l'âme. Rappeler cette simple vérité ne devrait pas choquer.

    À la rigueur, on peut souhaiter qu'un jour, le drapeau européen prenne la place des drapeaux nationaux dans la conscience collective des peuples d'Europe. Ce n'est pas encore le cas. Le sentiment national n'est pas encore aplati.

    Mais dans tout ce débat, un gros mot est sorti : qui ne s'enthousiasme pas pour l'initiative d'Emmanuel Macron est désormais suspect d'europhobie. C'est même pour lutter contre cette dernière qu'il faudrait s'y rallier. Il suffit d'inscrire une cause dans le cadre des grandes luttes contre les phobies pour d'un coup l'anoblir.

    On voit encore ici à quel point l'évolution du vocabulaire est symptomatique d'une mutation des codes de la respectabilité politique. Peu à peu, l'opposition à la fédéralisation discrète ou revendiquée de l'Europe devient non seulement illégitime mais impensable autrement que sur le registre de la pathologie.

    En trente ans, l'eurosceptique est devenu europhobe. Il a cherché à se définir positivement en se réclamant pour un temps du souverainisme, mais ce terme ne s'est jamais départi d'un parfum quelque peu exotique, comme s'il n'avait pas su faire sa place ailleurs que dans les marges politiques. Lui aussi aujourd'hui est disqualifié.

    La nation fondait autrefois le lien politique : on lui accorde maintenant une connotation retardataire, et même réactionnaire. La construction européenne est certainement un idéal légitime, mais elle ne saurait avoir le monopole de la légitimité.

    Cette controverse, toutefois, n'est pas sans quelques vertus. Elle rappelle que le macronisme n'est pas qu'un pragmatisme libéral appelé à mener en France les nombreuses réformes jugées nécessaires à sa modernisation, pour reprendre le vocabulaire d'usage. Il s'agit aussi, et peut-être surtout, d'un progressisme militant qui voit dans le dépassement de la nation un devoir d'époque et une mission presque sacrée.

    Quand Emmanuel Macron souhaite voir la souveraineté européenne transcender, puis se substituer à la souveraineté nationale, il propose une rupture radicale qu'il croit porter au nom de sa conception héroïque de la politique.

    À la différence de certains de ses prédécesseurs, il avance à visière levée et force ses adversaires à préciser leur propre philosophie politique. Il butera néanmoins sur cette réalité : il n'existe pas de peuple européen au singulier, mais des peuples européens, qui ne veulent pas se dissoudre dans un fantasme désincarné et indifférencié.

    Ce en quoi on est en droit de penser qu'après la « séquence sociale » du début du quinquennat, la question nationale, d'une manière ou d'une autre, sera au cœur des prochaines années politiques.

    Reste à voir comment la droite républicaine assumera ce clivage, elle qui peine pour l'instant à se positionner par rapport à un président si singulier.   

    Mathieu Bock-Côté

    Mathieu Bock-Côté est docteur en sociologie, chargé de cours aux HEC à Montréal et chroniqueur au Journal de Montréal et à Radio-Canada. Ses travaux portent principalement sur le multiculturalisme, les mutations de la démocratie contemporaine et la question nationale québécoise. Il est l'auteur d'Exercices politiques (VLB éditeur, 2013), de Fin de cycle : aux origines du malaise politique québécois (Boréal, 2012) de La dénationalisation tranquille (Boréal, 2007), de Le multiculturalisme comme religion politique (éd. du Cerf, 2016) et de Le Nouveau Régime (Boréal, 2017).

  • Antonin Bernanos, antifa : il y a des descendants qui sont des chutes vertigineuses !

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    Par Christian Vanneste

     

    3c2f2a5cf43968ace421d765cf78a765.jpegLe 18 mai 2016, alors que les policiers manifestaient contre les violences dont ils sont victimes lors des manifestations, ceux qui sont à l’origine de ces agressions, les « antifas », attaquaient une voiture de police le long du canal Saint-Martin, quai de Valmy. Les images sont encore dans tous les esprits. Des énergumènes harcelaient des policiers, boxaient l’un d’entre eux puis le frappaient avec une barre de fer, avant d’incendier la voiture de police, par ailleurs cassée de partout. Après seize mois, la XVIe chambre a énoncé son verdict.

    Antonin Bernanos attire l’attention. Il est l’arrière-petit-fils de Georges Bernanos, ce grand écrivain chrétien, cette belle âme éprise de liberté que, malgré son gaullisme, le Général n’était pas parvenu à attacher à son char. Combattant courageux et blessé lors de la Grande Guerre, d’abord proche de l’Action française, puis adversaire du fascisme, Bernanos était certes un rebelle, mais sa rébellion, était morale plus que politique. C’était celle d’un écrivain, à la fois profond dans sa réflexion et talentueux imprécateur des péchés de notre monde. C’est avec consternation que l’on voit aujourd’hui son nom mêlé aux jeux débiles et violents de soixante-huitards attardés. Il y a des descendants qui sont des chutes vertigineuses.

    Antonin Bernanos est à la fois la vedette de ce procès et un symbole qui mérite qu’on s’y attarde. Il a été identifié par un membre de la direction du renseignement de la préfecture de police de Paris dont le témoignage corrobore les images de l’agression. Sa défense consiste à nier sa participation aux faits. Il était là avant et après, à visage découvert, mais ce n’est pas lui qui a boxé le policier assis à son volant, ni brisé la lunette arrière du véhicule, même si ses vêtements et sous-vêtements (visibles) et ses bagues étaient semblables à ceux de l’agresseur masqué. Il en est à sa douzième poursuite pénale. Les onze autres ont été conclues par des relaxes ou des classements sans suite. Allez savoir si ce succès judiciaire est dû à un acharnement infondé de la police ou à une mansuétude particulière envers un étudiant au style très correct et qui parle aux magistrats « d’égal à égal » ! Le comble serait, en effet, que ce « révolutionnaire » sans cause ait été, jusqu’à présent, la preuve vivante d’une justice de classe… 

    Malgré sa condamnation à cinq ans, dont trois avec sursis, il a été laissé en liberté. Le « pauvre » avait déjà effectué dix mois de détention préventive, et compte tenu de sa peine, il aurait été libéré dans deux mois. Lourdes peines, dites-vous ? Ses parents crient au scandale en dénonçant « l’acharnement du pouvoir politique », un « verdict lourd et injuste » et justifient « un jeune militant qui lutte contre la violence de l’État ». Dans cette atmosphère très parisienne, on n’est pas loin de croire entendre un délire « bobo » gauchiste, complètement déconnecté de la réalité. Car si l’on peut critiquer légitimement notre société, et même considérer la démocratie comme une illusion, le changement ne risque pas d’être engendré par la violence, et encore moins par des échauffourées sporadiques avec des fonctionnaires de police qui ne font que leur travail. 

    Deux aspects préoccupants se dégagent de cette affaire. Il y a d’abord une certaine perversité de l’intéressé qui soigne ses deux visages opposés. Docteur Antonin possède chez lui l’attirail du casseur de rue : masque à gaz, casque et poing américain. Mais Mister Bernanos est posé, calme, s’exprime aisément et déclare ainsi devant le tribunal : « pas de jugement moral » sur les événements.

    Ensuite, on ne peut qu’être atterré par le gâchis que représente cet individu. C’est d’abord l’aberration d’une Éducation nationale qui conduit de jeunes étudiants intelligents à s’enliser dans une pensée sans issue qui leur fait atteindre le sommet… de la stupidité. Au lieu d’ouvrir les esprits, comment l’université peut-elle enfermer une intelligence dans la vision étriquée d’un groupuscule ?  

    Homme politique
  • Michel Onfray : « Michel Houellebecq a diagnostiqué l'effondrement spirituel de notre époque »

     

     

    Entretien par Alexandre Devecchio

     

    A l'occasion de la parution de son dernier livre, Miroir du nihilismeHouellebecq éducateur, Michel Onfray décrypte, dans ce long et remarquable entretien,  la philosophie de l'auteur de Soumission [Figarovox, 30.09]. Une philosophie qui a pour toile de fond la situation de notre civilisation, de notre société. Bien-sûr, sa certitude que « nous allons mourir » n'est pas la nôtre. Mais sur le diagnostic porté par Onfray à travers l'oeuvre de Houellebacq, on ne peut qu'être presque en tous points d'accord. Pour qui ne veut pas mourir - et ni Houllebecq ni Onfray n'en forment le souhait - il y a là d'importantes analyses, de profondes réflexions et quelques maximes superbes.   LFAR   

     

    XVM1af2a674-a53a-11e7-b619-f944cd28c6f6.jpgVous publiez aux éditions Galilée, Miroir du nihilisme, un essai consacré à Soumission de Michel Houellebecq. Vous êtes longtemps passé à côté de l'œuvre de ce dernier. Pourquoi son dernier roman vous a-t-il fait changer de point de vue ? 

    J'avais aimé la performance littéraire d'Extension du domaine de la lutte qui était vif et bref, rapide et percutant. Les autres romans m'avaient paru techniquement moins rapides. J'aime les stylistes et les textes qui vont vite. Voilà pour la forme.

    Pour le fond, j'avais commis l'erreur de croire que le diagnosticien du nihilisme consentait au nihilisme, s'en réjouissait même, voire, s'y complaisait… C'était une erreur. C'est confondre le cancérologue qui diagnostique la pathologie avec le cancer, la pathologie qu'il a diagnostiquée. J'étais, selon l'image bien connue, l'imbécile qui regarde le doigt quand le sage lui montre la lune !

    Soumission m'a plu parce qu'il renoue avec la vitesse d'Extension. Il m'a éloigné du doigt et ramené à la lune quand j'ai constaté chez Michel Houellebecq la grande souffrance qui était la sienne à se savoir, se voir, se constater, s'expérimenter corporellement et spirituellement tel un sismographe de notre époque en cours d'effondrement.

    v_9782718608577.jpgEn termes hégéliens, il est le grand homme choisi par l'Histoire pour qu'il en fasse la narration. Il est au cœur nucléaire du processus de Ruse de la raison. Le savoir, ce qui est son cas, car il est d'une redoutable lucidité, c'est affronter les plus grands tourments.

    En quoi Houellebecq est-il le romancier du nihilisme ?

    En tant que sismographe, il enregistre toutes les secousses en rapport avec la tectonique des plaques civilisationnelles : il a diagnostiqué l'effondrement spirituel des générations produites par des parents soixante-huitards, l'écœurement d'une sexualité indexée sur la seule performance, la marchandisation des corps et des âmes, des carrières et des pensées, la contamination de l'art contemporain par le snobisme et le marché, la tyrannie de l'argent en régime libéral, la fin de la France depuis l'abandon de sa souveraineté lors du Traité de Maastricht.

    Mais aussi la veulerie du tourisme sexuel en Asie, le caractère inéluctable de l'engagement de nos civilisations occidentales vers le projet transhumaniste, l'effondrement de la religion judéo-chrétienne et des valeurs qui l'accompagnaient, et, avec Soumission, le processus de collaboration des élites avec les idéologies liberticides - ici un islam francisé.

    Depuis 1994, Michel Houellebecq dépèce minutieusement le Veau d'or - c'est en cela qu'il est le grand romancier du nihilisme occidental.

    Houellebecq s'inscrit volontiers dans la filiation d'Auguste Comte qui était positiviste…

    Mais aussi de Schopenhauer - ou de Huysmans. Il n'est pas homme à s'enfermer dans des cases, à aimer l'un, donc pas l'autre, à choisir celui-ci, donc à écarter celui-là… Il est un homme authentiquement libre.

    Ce qu'il aime chez Auguste Comte, c'est sa réflexion sur la place de la religion dans la société, sur la possibilité d'une liaison d'un certain type de sacré avec le social. Qui dira qu'il ne s'agit pas d'une question essentielle si l'on veut aujourd'hui penser la question politique ?

    Le positivisme n'est pas la philosophe un peu bêtasse de Monsieur Homais, mais la pensée mal connue d'un homme qui estimait que la religion sociologique des Hommes pouvait remplacer la religion théologique de Dieu.

    La question de la religion est un leitmotiv dans la pensée de Michel Houellebecq : que faire dans un monde vidé de toute transcendance ? Lui qui décrit dans le détail le désespoir qu'il y a à vivre dans un monde de pure immanence (ce qui n'est pas mon cas : je crois que la sagesse tragique permet de vivre dans la seule immanence sans désespoir…) , il est normal qu'Auguste Comte lui parle.

    Votre livre est sous-titré Houellebecq éducateur. Comment peut-on être à la fois nihiliste et éducateur ?

    En enseignant la nature tragique du monde, autrement dit, en évitant deux chose : la lecture optimiste du monde et… la lecture pessimiste ! L'optimiste voit le meilleur partout et ne veut pas entendre parler du pire ; le pessimiste voit le pire partout et ne veut pas entendre parler du meilleur.

    Le tragique quant à lui sait qu'il y a du pire et du meilleur partout… Michel Houellebecq nous enseigne où est le pire, ce qui n'a pas besoin d'être démontré, mais aussi le meilleur - qui provient chez lui, paradoxalement, de Schopenhauer pour qui il existe des solutions à ce monde sombre dans la pitié et la contemplation esthétique.

    N'oublions pas que Schopenhauer a aussi écrit un Art d'être heureux… On connaît sa vision du monde animal, elle est d'une grande compassion. Il y a dans sa conversation en tête à tête la même présence attentive à l'autre. On n'ignore pas non plus qu'il trouve dans l'art un sens à sa vie: il a produit des romans, des essais, des poèmes, des films, des photographies, des performances d'art contemporain…

    En tant qu'il dit le monde tel qu'il est, sans faux-semblants, et qu'il vit une vie poétique sans l'imposer ou la conseiller à qui que ce soit, il invite chacun à construire sa propre existence dans un temps de détresse.

    Beaucoup ont vu dans Soumission une critique de l'islam radical. Vous y voyez plutôt un grand roman de la collaboration. Qui sont les « collabos » d'aujourd'hui ?

    Ceux qui estiment que l'Islam est une religion de paix, de tolérance et d'amour et ne veulent pas entendre parler d'un Islam de guerre, d'intolérance et de haine.

    Certes, il existe un islam pratiqué par des gens qui voient en cette religion une coutume familiale ou un signe d'appartenance dans laquelle dominent effectivement la tolérance, la paix et l'amour.

    Mais il y a aussi, dans le Coran et dans l'histoire de l'islam, terrorismes inclus, une autre voie qui est celle de la misogynie, de la phallocratie, de l'homophobie, de l'antisémitisme, du bellicisme, de la guerre qui constituent des valeurs à exporter par le djihad guerrier.

    Le collaborateur ne veut voir que le premier islam en estimant que le second n'a rien à voir avec l'islam. Le Coran est un livre dont les sourates justifient aussi bien le premier que le second islam.

    Concrètement, ces collaborateurs sont les islamo-gauchistes qu'on trouve ici ou là au NPA, dans la France Insoumise, dans l'aile gauche du PS, au PCF, ou à EELV. Il y en a également dans l'aile gauche des Républicains - chez les juppéistes par exemple.

    C'est aussi une critique acerbe du monde universitaire. Un monde avec lequel vous avez toujours pris vos distances …

    Michel Houellebecq se contente de décrire cette institution qui fonctionne à la cooptation, au piston, donc au phénomène de cour ; avec retard, elle suit les modes qu'elle ne crée jamais ; elle se prétend du côté de la science alors qu'elle est le lieu de l'idéologie ; elle est un lieu de rituels d'écriture scrupuleux et de reproduction institutionnelle - comme l'a bien vu Bourdieu ; elle dit être un lieu de recherche mais on y cherche ceux qui y trouveraient - précisons que je parle des seuls secteurs littéraires, sociologiques, philosophiques…

    C'est pour ma part un monde contre lequel je n'ai rien puisque j'ai refusé de l'intégrer après ma soutenance alors que ma directrice de thèse me proposait d'y faire carrière et que j'ai préféré rester professeur de philosophie dans un lycée technique.

    Mais, en effet, l'Université est une institution et, en tant que telle, elle est un lieu où la liberté, l'autonomie et l'indépendance soufflent peu ! Ni Montaigne ni La Boétie, ni Descartes ni Voltaire, ni Nietzche ni Proudhon, ni Alain ni Camus n'ont eu besoin de l'université pour penser - et leurs pensées furent vraiment libres…

    Presque aussi intéressant que le livre lui-même a été son accueil au moment même où la réalité rejoignait la fiction avec les attentats de janvier 2015. Comment analysez-vous son rejet par une partie des médias ?

    J'ai repris le dossier de presse de l'accueil de ce livre pour essayer de voir comment on avait lynché l'homme sans avoir lu l'œuvre pour ne pas avoir à la lire et à la commenter - parce qu'elle mettait le doigt dans la plaie…

    Il est intéressant de constater combien les instruments et les personnes de la pensée dominante dans les médias de l'islamo-gauchisme ont sali l'homme Michel Houellebecq en lançant une polémique comme ils savent le faire pour souiller l'homme afin de discréditer l'œuvre.

    Il est également intéressant de mettre en perspective ceux qui ont écrit ou parlé en faveur de Mehdi Meklat (blogueur islamophile, antisémite, phallocrate, misogyne, antisémite, belliciste ) dans Libération , Le Monde , Les Inrockuptibles ou France-Inter et de rappeler ce que les mêmes ont écrit contre Houellebecq.

    Ce travail a été riche d'enseignements pour moi sur le fonctionnement du dispositif collaborationniste français… Je vous renvoie au détail de l'analyse (noms, lieux, citations, analyse de tweets, etc) dans mon livre…

    C'est aussi un livre sur la perte de sens dans notre civilisation occidentale. Le christianisme et l'idéologie totalitaires ont laissé la place à la religion du marché et à l'islam conquérant. En tant qu'athée et matérialiste, que cela vous inspire-t-il ? Pourquoi la raison a-t-elle échoué à être le ciment d'une nouvelle civilisation ?

    Une civilisation n'est possible qu'avec une spiritualité qui la soutient et qui, elle-même, découle d'une religion. Depuis que le monde est monde, c'est ainsi. L'Histoire témoigne.

    Elle témoigne également qu'il n'y eut pas de civilisation construite sur l'athéisme et le matérialisme qui , l'un et l'autre, sont des signes, voire des symptômes, de la décomposition d'une civilisation - je le sais au premier chef puisque je suis athée et matérialiste… On ne lie pas les hommes sans le secours du sacré.

    J'en profite pour m'opposer à cette scie musicale chantée par un certain nombre de philosophes pour lesquels la religion serait ce qui relierait les hommes entre eux - sur le principe du religare, relier… C'est une vision étroite de… matérialiste, voire… d'athée !

    Car, si la religion relie bien, elle ne relie pas les hommes entre eux, sur le terrain de l'immanence, mais avec le sacré, sur le terrain de la transcendance. Elle n'est pas un lien des hommes entre eux, mais des hommes avec ce qui les dépasse. Or nous sommes dans une civilisation qui a congédié toute transcendance.

    XVMdcf717aa-a5da-11e7-8269-811617cc40e3-200x250.jpgVous publiez également, Thoreau le sauvage, un livre sur Henry-David Thoreau. Qui était ce « penseur de champs » ?

    C'est un homme qui montre qu'il existe une philosophie américaine loin de la philosophie européenne - et qui, ostensiblement, lui tourne le dos… L'Europe philosophique aime les Idées éthérées et les concepts purs, elle chérit plus que tout le beau raisonnement même s'il est faux, elle aime les cathédrales utopiques même si elles sont inhabitables.

    Thoreau se moque des concepts et des idées, des beaux raisonnements et des cathédrales utopiques : il veut que la philosophie soit l'art de parvenir à une sagesse qui est connaissance de la nature et invitation à y trouver sa place.

    Thoreau est un marcheur, un herboriste, un géologue, un nageur, un chasseur, un pécheur, un jardinier qui mène une vie philosophique. Il n'imagine pas une seule seconde une idée découplée de ce qu'elle doit produire : une action concrète, un comportement, une pratique. C'est un penseur existentiel comme je les aime…

    Sa philosophie ne peut-elle être une alternative au nihilisme que vous décrivez ?

    C'est une solution, oui. Pas forcément la seule.

    Il faudrait ajouter que ce sympathique naturaliste invitant à se plier aux lois du cosmos pour y trouver une place qui génère la sérénité fut également le militant engagé contre l'esclavagisme et qu'on lui doit un fameux De la désobéissance civile qui, certes, a inspiré Tolstoï, Gandhi, Martin Luther King, et qui connaît un succès formidable dans l'Amérique trumpienne, mais qui a également dit qu'il fallait prendre les armes pour faire triompher les idées auxquelles on croit - comme l'abolition de l'esclavage.

    C'est donc un penseur plus complexe que ce qu'en disent les habituelles cartes postales sur son compte…

    Vous vous décrivez comme un tragique qui observe le bateau couler. Pourtant vous consacrez une énergie prodigieuse à transmettre à travers vos nombreuses publications, votre télé ou encore l'Université populaire de Caen. Cela ne témoigne-t-il pas finalement d'une certaine foi en l'avenir malgré tout ?

    Vous avez raison de pointer cette apparente contradiction!

    Mais, de la même manière qu'une civilisation obéit à son tropisme, j'obéis au mien qui me conduit à faire ce que je ne peux pas ne pas faire : autrement dit : rendre ce que j'ai restitué quand mon vieux maître Lucien Jerphagnon me faisait découvrir à dix-sept ans que la philosophie antique, Lucrèce en particulier, peut sauver celui qui cherche un sens à sa vie sans avoir besoin du sacré, de la transcendance , du divin ou de Dieu.

    Nietzsche fait du terme médical d'idiosyncrasie une idée philosophique majeure : elle lui permet de dire que chacun obéit à un tempérament contre lequel il ne peut pas lutter et que la grande liberté c'est d'accepter, voire de vouloir et d'aimer, ce qu'on ne peut éviter. Nietzsche propose une version moderne du stoïcisme - j'y souscris.

    Certes, nous allons mourir, notre civilisation aussi, mais, en attendant, « vivons droit » comme disait Marc-Aurèle… Donc vous ne trouverez pas chez moi une foi en l'avenir mais un pari dans le présent: il n'y a aucune raison pour s'avachir !

    Comme Houellebecq êtes-vous « un éducateur » ?

    Je fais ma part…  

    Michel Onfray philosophe et essayiste. En septembre, il publie deux livres consacrés à des auteurs qu'il admire: Vivre une vie philosophique: Thoreau le sauvage et Miroir du nihilisme. Houellebecq éducateur..

     

    1630167502.jpgXVM8d8b71a4-8f2b-11e7-b660-ef712dd9935a-150x200.jpgAlexandre Devecchio est journaliste au Figaro, en charge du FigaroVox. Il vient de publier Les Nouveaux enfants du siècle, enquête sur une génération fracturée (éd. du Cerf, 2016) et est coauteur de Bienvenue dans le pire des mondes (éd. Plon, 2016).

    Alexandre Devecchio

  • Daech au sein de la police française ? Une cellule spéciale pour surveiller les policiers soupçonnés de radicalisation

    Certains sont fichés au FSPRT (Fichier des signalements pour la prévention de la radicalisation à caractère terroriste) © FRED TANNEAU/AFP

     

    L'information qui suit, émanant du Figaro, a été largement diffusée hier après-midi, sur la toile. S'il est un domaine où le principe de précaution devrait s'imposer, drastiquement sans trop de réserves et de circonlocutions, c'est bien celui dont il est question ici. Le risque d'entrisme d'islamistes radicalisés au sein de la Police Nationale est extrêmement grave et sérieux. Un tel entrisme nous paraît, en effet, plus que plausible, tant il ressort d'une élémentaire stratégie.  LFAR

     

    AAnEnU.pngUne trentaine de policiers sont actuellement dans le collimateur de la police des polices, selon plusieurs médias. Une dizaine d'entre eux sont soupçonnés d'être en lien avec la mouvance islamiste.

    Militaires, surveillants de prison, agents privés de sécurité... On le sait, les métiers les plus sensibles n'échappent pas au risque de radicalisation. Il en va de même pour les policiers. Selon le Canard enchaîné, ils seraient « une trentaine » à faire l'objet d'une attention particulière. Une « cellule spéciale » de l'IGPN (la police des polices), créée en 2016, est chargée de les surveiller de près. Il s'agit aussi d'aider les chefs de service à identifier « les pratiques religieuses des agents qui sont incompatibles avec l'exercice de leur mission » ou qui « heurtent le principe de neutralité et de laïcité du service public », tout en respectant le droit des fonctionnaires d'exercer leur religion, expliquait une source policière à 20 minutes fin septembre.

    Le profil des agents suivis est varié : sur les trente fonctionnaires suspectés, une vingtaine d'entre eux présentent une « pratique religieuse un peu dérangeante » et une petite dizaine se trouvent en contact avec des réseaux salafistes identifiés. Toujours selon 20 Minutes, certains sont même fichés au FSPRT (Fichier des signalements pour la prévention de la radicalisation à caractère terroriste), outil créé en 2015 qui recense les individus radicalisés religieusement. En août dernier, ce fichier affichait 18.550 signalements. Mais aucun policier ne fait l'objet d'une fiche « S » ou aurait « des contacts avec des groupes terroristes », note 20 Minutes. 

    Surveillé pour avoir mangé halal

    Ces surveillances doivent être déclenchées sur la base de « signes avérés et manifeste de radicalisation ». Pour autant, dans la pratique, il n'est pas toujours aisé de cerner les profils véritablement inquiétants. Comme le souligne Le Canard Enchaîné, certains policiers ont peut-être été « un peu vite » catalogués, à l'image de cet agent qui mangeait halal ou de cet élève gardien qui s'est amusé à crier « Allah Akbar » devant ses camarades de classe...

    Au gouvernement, le sujet est pris très au sérieux. « Il faut pouvoir muter et radier un fonctionnaire radicalisé », déclarait le ministre de l'Intérieur dans une interview accordée début septembre au Parisien. « Jusqu'ici, quand nous découvrons qu'un agent s'est radicalisé, nos marges de manœuvre sont très faibles », justifiait-il. « On peut retirer l'accès à un site nucléaire pour un salarié sur lequel pèsent de tels soupçons. Paradoxalement, cela s'avère plus difficile avec les fonctionnaires et militaires les plus engagés dans le domaine de la sécurité ». 

    Une mesure dans le projet de loi antiterroriste

    Pour faciliter les prises de sanction, le gouvernement a déposé début septembre un amendement dans le cadre du projet de loi antiterroriste, qui doit de nouveau être examiné à l'Assemblée nationale ce mercredi soir. Cette mesure permet de muter, voire de radier les fonctionnaires chargés de missions de sécurité, si une enquête administrative conclut à leur radicalisation. Seront concernés les policiers, gendarmes, militaires, douaniers et le personnel pénitentiaire. Cette disposition introduit un changement notable: « Auparavant, l'enquête avait lieu en amont de la prise de poste. Avec cette mesure, en cas de doute ou de soupçons sur un agent, l'enquête pourra avoir lieu au cours de la carrière du fonctionnaire », nous dit une source au Palais Bourbon.

    En cas de radiation ou de perte d'emploi, l'intéressé pourra déposer un recours. Dès lors, « il appartiendra à l'autorité de police qui a conduit l'enquête administrative d'apporter au juge tous les éléments permettant de justifier du bien-fondé de la conclusion de cette enquête », a précisé lundi, en commission mixte paritiaire, le sénateur Philippe Bas, rapporteur au Sénat.

    Le phénomène n'est pas nouveau. Entre 2012 et 2015, 17 policiers radicalisés avaient été recencés dans les rangs de la police de proximité de l'agglomération parisienne, rapportait Le Parisien l'année dernière. Il s'agissait généralement de « transgressions au principe de laïcité ». Ce sont souvent « des fonctionnaires assez jeunes, entrés en tant qu'adjoints de sécurité à la fin des années 2000 et qui ont ensuite réussi le concours interne. Ils sont désormais policiers à part entière, gardiens de la paix ou brigadiers », expliquait l'article, tout en nuançant les faits : le parquet antiterroriste n'a jamais été saisi d'aucune procédure impliquant des policiers. Pour autant, certains ont été condamnés pour des faits de droit commun.  •

    * Où sont passés nos espions ? Eric Pelletier et Christophe Dubois, aux éditions Albin Michel.

  • Alain de Benoist : « L’impopularité de Macron ne peut que croître, et le réservoir protestataire devenir explosif »

    Illustration Figaro magazine, 6 octobre 2017 

     

    Par Alain de Benoist

    Dans cet entretien donné à Boulevard Voltaire [6.10] Alain de Benoist livre une exacte et intéressante analyse de la situation politique en France, notamment du côté des partis.  Il se risque par surcroît à prendre un pari : celui selon lequel « l’impopularité de Macron ne peut que croître, et le réservoir protestataire devenir explosif ». Ce pronostic, au moins dans son premier terme, nous semble sans grand risque.   LFAR   

     

    3650118671.7.pngIl est évidemment un peu tôt pour juger l’action d’Emmanuel Macron. Il semble pourtant déployer un peu plus d’habileté politique que ses deux prédécesseurs. Mais est-ce vraiment un exploit ?

    J’avais inventé, il y a quelques années, l’expression de « pensée unique », qui est aujourd’hui reprise partout. Ayant écrit, dès 1977, qu’il fallait penser simultanément ce qu’on avait pensé jusque-là contradictoirement, ce n’est pas moi qui pourrais être choqué par le « en même temps » cher à Macron. Mais encore faut-il savoir ce que recouvre cette expression.

    Au lendemain de primaires qui se sont révélées désastreuses à droite comme à gauche, mais qui ont très bien fonctionné comme révélateur de la crise des partis, Macron a été le seul à faire primer la logique électorale sur la logique « identitaire » parce qu’il était le seul à n’être sûr ni de perdre (comme Hamon) ni de gagner (comme Fillon). C’est ce qui lui a permis de l’emporter avec, au premier tour, moins d’un quart des suffrages exprimés. Dans une démocratie devenue liquide, sinon gazeuse, il a su instrumentaliser à son profit l’épuisement du clivage droite-gauche et l’aspiration au « dégagisme » d’un électorat qui ne supportait plus la vieille classe politique. Il a également compris que l’alternance des deux grands partis ne mettait plus en scène que des différences cosmétiques, et que l’heure était venue de les réunir en un seul.

    Macron est avant tout un contre-populiste. Il reprend à son compte le nouveau clivage « conservateurs » contre « progressistes », mais c’est pour choisir la seconde branche de l’alternative : réunir les partisans de l’« ouverture » (en clair : les bourgeoisies libérales de tous bords) contre les tenants de la « fermeture » (en clair : ceux qui s’opposent, instinctivement ou intellectuellement, à l’idéologie dominante).

    Contrairement à l’hyper-Président Sarkozy et à l’hypo-Président François Hollande, Macron est un homme difficile à cerner. Il a un ego hypertrophié et un tempérament autoritaire, un mental d’adolescent cynique qui rêverait d’un bonapartisme moderniste et libéral. Mais il n’est pas Napoléon, et l’on ignore comment il se comporterait en situation d’urgence. Pour l’instant, il communique plus qu’il ne règne. Il fait des déclarations contradictoires (certaines ne sont pas mauvaises) dans l’espoir de séduire chacun, mais en prenant le risque de décevoir tout le monde. Il ne supporte pas qu’on lui résiste, il n’aime pas les corps intermédiaires, il est insensible aux aspirations populaires, il n’a rien à dire à la France qui va mal. Tout cela n’est pas de bon augure.

    Pour quelles raisons, exactement ? 

    Parce que nous assistons à une autre révolution, sociologique celle-là : c’est la disparition progressive de ces classes moyennes qui n’avaient cessé de grossir à l’époque du compromis fordiste, quand la richesse accumulée en haut de la pyramide sociale finissait par redescendre vers le bas. Aujourd’hui, la pyramide a été remplacée par un sablier : les riches sont toujours plus riches, les pauvres toujours plus pauvres, et les classes moyennes sont en voie de déclassement et de paupérisation. C’est ce qu’observe depuis longtemps Christophe Guilluy : « Le grand sujet caché depuis trente ans, c’est la disparition de la classe moyenne au sens large […] Ce qui explose, c’est la classe moyenne occidentale qui n’est plus intégrée au modèle économique mondialisé […] La loi Travail n’est que la suite d’une longue succession de mesures qui ne visent qu’à dépouiller une classe moyenne qui ne sert plus à rien. » 

    La nouvelle structuration de l’électorat est le reflet de cette dynamique économique et sociale. Le vote Macron en est l’illustration parfaite : il a obtenu ses meilleurs résultats dans les grandes villes mondialisées, à commencer par Paris, où il a aussi bien gagné les suffrages des bobos et des libéraux de gauche que de la bourgeoisie de droite (y compris celle de la Manif pour tous). De même, les électeurs parisiens de Mélenchon se sont en quasi-totalité rabattus sur Macron au second tour, alors qu’ailleurs beaucoup ont préféré s’abstenir (39 %) ou, plus rarement, voter pour Marine Le Pen (14 %). Les retraités, eux aussi, ont massivement voté pour lui – avant de découvrir qu’ils étaient les grands perdants de sa nouvelle politique fiscale…

    Après les ouvriers, les employés et les commerçants, les professions intermédiaires et bientôt les retraités : les classes moyennes sont appelées à rejoindre les classes populaires face à un « monde d’en haut » qui se trouve de plus en plus dans une position de domination de classe, car il a définitivement renoncé à prendre en charge « ceux d’en bas ». C’est aussi pourquoi l’impopularité de Macron ne peut que croître, et le réservoir protestataire devenir explosif. D’autant qu’en période d’insécurité et d’attentats, tout le monde se radicalise.

    L’avenir de La France insoumise ?

    Avec 19,6 % des voix au premier tour, Jean-Luc Mélenchon a réalisé le meilleur score d’un candidat « de gauche » à la présidentielle depuis Georges Marchais en 1981. Par rapport au FN, La France insoumise est beaucoup plus interclassiste et moins populaire. Elle touche bien moins d’ouvriers et d’employés que le Front national (25 et 24 % des voix contre 39 et 30 %), mais beaucoup plus de diplômés des couches moyennes et supérieures (26 % contre 17 %). Elle est aujourd’hui passée en tête chez les jeunes, et réalise des scores deux fois supérieurs à sa moyenne nationale dans la population d’origine immigrée.

    La France insoumise a certainement de l’avenir. Pour l’heure, elle tire un grand bénéfice d’être une force nouvelle. Elle a vampirisé le PS et traite par le mépris les derniers restes du PC. Elle profite de la crise du FN pour se poser comme la seule force d’opposition au macronisme. La grande question, à moyen terme, est de savoir si elle pourra à elle seule occuper l’espace ouvert à gauche par la formation du bloc macronien. Difficile d’en dire plus pour l’instant.  

    Intellectuel, philosophe et politologue

     
     
    Entretien réalisé par Nicolas Gauthier
  • Guerre civile ou décomposition nationale et civilisationnelle ?

     

    Par  Mathieu Bock-Côté

    Cette tribune de Mathieu Bock-Côté [Figarovox 6.10], dit une fois de plus l'essentiel, après l'attentat de la gare Saint-Charles à Marseille. Cette même « peur de la dissolution de la patrie » qui surgit « des profondeurs de la cité » est bien celle qui étreint et mobilise nombre d'entre nous.  LFAR

     

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    S'ils sont nombreux à avouer quelques réserves devant la référence à la guerre civile lorsqu'ils évoquent la situation de la France contemporaine, c'est que ce concept est traditionnellement associé à la division intime d'un pays entre deux clans où des familles se déchirent, où des parents voient leurs enfants se déchirer, où des frères se prennent mutuellement pour cibles. Ce n'est pas vraiment la situation présente de la France, pour peu qu'on ne la réduise pas à une entité juridique artificielle et désincarnée. 

    Les tensions qui se multiplient mettent moins en scène un peuple divisé dans ses profondeurs historiques qu'un pays bouleversé par une immigration massive et victime de fragmentation identitaire, où se sont multipliés les territoires se dérobant à la communauté nationale, dans lesquels l'islam radical parvient à s'implanter, le terrorisme n'en représentant qu'une facette parmi d'autres. Dans Rue Jean-Pierre Timbaud, Géraldine Smith a bien illustré de quelle manière la conquête islamiste s'avance en plein Paris. Le même phénomène se reproduit partout dans le pays.

    Ce n'est pas sans raison qu'en l'espace de quelques années, ceux qui parlaient des territoires perdus de la république en sont venus à parler des territoires perdus de la France. Des pans du pays se dérobent à la souveraineté française, à la culture française, aux mœurs françaises. Il faut néanmoins nommer cette dynamique de partition territoriale et résister au relativisme ambiant qui invite à la dédramatiser. On se désole avec raison de l'avènement d'une France soumise, pour emprunter la formule d'un récent ouvrage. Mais on peine à trouver le terme adéquat pour décrire une crise qui fait surgir des profondeurs de la cité la peur de la dissolution de la patrie.

    Il y a toujours quelque chose d'étonnant à voir les élites d'un pays travailler très fort à nier ce qui lui arrive, comme s'il fallait plaquer un écran sur le réel, pour prévenir une éventuelle révolte du commun des mortels. Ne s'agit-il pas, d'abord et avant toute chose, de ne jamais faire le jeu du Front national, quitte, s'il le faut, et comme nous y invitent certains philosophes, à dissimuler la part du réel qui pourrait alimenter sa progression ? On peut y voir la mécanique propre à l'idéologie qui mobilise le langage non plus pour décrire le monde mais pour le voiler. Notre époque n'est pas sans évoquer, à certains moments, un tableau orwellien. L'intelligence se retourne contre elle-même.

    Il n'en demeure pas moins que les événements de Marseille nous obligent à penser plus radicalement le surgissement de la violence la plus barbare au cœur de la cité. On a beaucoup vu circuler sur les médias sociaux la photo des deux jeunes victimes. N'y voyons pas qu'un symptôme du triomphe de l'émotion et de l'image. Alors qu'on en vient presque à s'habituer aux attentats en précisant chaque fois mécaniquement le nombre des victimes, le visage souriant des victimes ensuite poignardées et égorgées peut encore bouleverser les âmes, désensibilisées par les carnages à répétition.

    Une chose est certaine, c'est que les Français sont en droit de se sentir assiégés. Reprenons la formule litigieuse: c'est peut-être une forme de guerre civile au jour le jour. La sécurité du commun des mortels n'est plus garantie et tous savent, d'une certaine manière, que la violence peut surgir n'importe où, de n'importe quelle manière, et frapper indistinctement ceux qui sont en uniformes et ceux qui ne le sont pas. Dans l'œil des islamistes, tous les Français, et pourrait-on dire plus largement, tous les Occidentaux peuvent indistinctement servir de cibles. C'est qu'ils sont engagés dans une guerre totale où conséquemment, tout est permis.

    L'islamisme excite les passions morbides et offre le fanion nécessaire à ceux qui veulent entrer en guerre contre la France. Il magnifie certaines pulsions nihilistes et peut ainsi assurer aisément le passage de la délinquance au terrorisme, comme on le constate de plus en plus souvent. Le djihad n'est pas une illusion occidentale. On rappellera aussi, puisqu'il faut encore le faire, que l'islamisme ne se réduit pas à la seule question du terrorisme. Il cherche aussi, de différentes manières, à occuper l'espace public et à soumettre la vie française à des mœurs qui lui sont étrangères. Plusieurs capitulent au nom de la tolérance.

    C'est une guerre que le monde occidental peine encore à nommer, étrangement. On applaudit lorsqu'un leader politique ose nommer l'islamisme, sans se rendre compte qu'on se contente alors de célébrer le droit de nommer des évidences. C'est un peu comme si le simple fait de mentionner le réel sans le filtrer par le politiquement correct avait quelque chose de scandaleux. Il faut dire que du point de vue de la gauche médiatique, il s'agit effectivement d'un scandale. Elle est prête à se bander les yeux pour ne pas voir que le multiculturalisme mène au désastre.

    Le réel ne passera pas : tel pourrait être son slogan. De même, si une information perce dans le débat public en empruntant le canal de la presse qui se prétend alternative, on l'entourera de la plus grande suspicion, comme si l'essentiel n'était pas de savoir si elle était ou vraie, mais de savoir qui la rapportait et pour quelle raison. On ne vérifie pas la crédibilité de la source, on s'intéresse plutôt à sa conformité idéologique. Comment ne pas voir là un exaspérant sectarisme idéologique ? Quiconque conserve la mémoire du XXe siècle n'en sera pourtant pas surpris.

    Il est de plus en plus difficile de se le cacher : une partie naturellement minoritaire mais néanmoins significative de la population des banlieues carbure à la haine antifrançaise. La mouvance des Indigènes de la République est ouvertement en lutte contre la France. Les immigrés seraient victimes d'une forme de colonialisme intérieur et la France abuserait de ses privilèges en rappelant que la civilisation française n'est pas optionnelle chez elle. C'est ce que certains appellent le racisme d'État à la française.

    Lorsqu'on trouve une mouvance qui milite ouvertement pour déboulonner les statues d'une figure historique comme Colbert, on comprend jusqu'où peut aller le rejet de la nation. Il s'agit en fait de criminaliser la mémoire de la nation pour ensuite justifier son éradication. On devine que ce zèle destructeur ne s'arrêtera pas là. On dépècera morceau par morceau l'héritage historique français pour qu'il n'en reste plus rien. Sans surprise, une nation dépossédée de son identité verra ses ressorts existentiels rompus et son instinct de survie inhibée.

    À gauche de la gauche, on en vient presque à faire preuve de complicité avec l'islamisme en refusant systématiquement de le nommer, comme si le simple fait de mentionner les problèmes spécifiques à l'islam et à l'immigration musulmane relevait de la stigmatisation et d'une logique discriminatoire. Danièle Obono, de la France insoumise, semble se spécialiser dans ce créneau. On n'oubliera pas qu'il lui semblait plus aisée de dire Nique la France que Vive la France. Le slogan « pas d'amalgame » contribue à l'imposition d'un débat public de plus en plus abrutissant et déréalisé.

    On en revient à l'attentat de Marseille. Il est facile et probablement nécessaire de blâmer les autorités pour leur négligence dans les circonstances. Mais il faut aller au-delà des critiques politiciennes qui cherchent un coupable à désigner à la vindicte publique pour prendre le problème avec plus de hauteur. Ce qu'il faut critiquer plus profondément, c'est une mutation en profondeur de la démocratie occidentale qui s'est laissée enfermer dans le carcan de la judiciarisation du pouvoir, qui le condamne à une impuissance de plus en plus définitive. Le droit-de-l'hommisme conjugué au multiculturalisme empêche finalement à la nation d'assurer la protection de ses membres.

    On me pardonnera une question simplette : comment se fait-il qu'on tolère sur le territoire national des clandestins multirécidivistes? On pourrait élargir la question: comment la France en est-elle venue, au fil du temps, à normaliser et à banaliser la présence massive de clandestins sur son territoire, comme s'il ne s'agissait pas d'une violation de la souveraineté nationale et des règles élémentaires de l'hospitalité qui veut qu'on n'impose pas sa présence chez autrui sans en demander la permission. Mais le simple rappel de cette évidence peut vous valoir la pire étiquette.

    À vouloir réduire la poussée migratoire des dernières années à une simple crise humanitaire, on en est venus à s'aveugler devant ses inévitables conséquences catastrophiques. On s'égosillera comme on veut en répétant que la diversité est une richesse et qu'il faut s'ouvrir à toutes les différences mais cela ne changera rien au fait qu'une mutation démographique aussi brutale et d'aussi grande ampleur peut provoquer le déclin du pays qui la subit ainsi que des convulsions sociales et identitaires de plus en plus radicales.

    L'antiracisme nord-américain a son slogan : no one is illegal. Personne n'est illégal. On en comprend la signification : il faut abolir progressivement, et un jour totalement, la différence entre les nationaux et les étrangers, entre ceux qui sont citoyens et ceux qui ne le sont pas. Il n'y a plus, dans cet esprit, de peuples et de civilisations. Il n'y a que des populations interchangeables : aucune d'entre elle n'est en droit de se croire maître chez elle. Le droit des peuples à demeurer eux-mêmes est assimilé à un repli identitaire propre à l'émergence de toutes les phobies.

    On revient à l'essentiel: il n'y a pas de bonne politique sans bon diagnostic. Dans cet esprit, il faudrait moins parler de guerre civile que d'un processus de décomposition nationale et civilisationnelle que les autorités ont décidé d'accompagner et de modérer, sans prétendre le combattre et le renverser, comme s'il était inéluctable. L'appel au redressement qui s'est fait entendre depuis quelques années ne relevait pas du fantasme réactionnaire. On voit mal, toutefois, qui est prêt à l'entendre et à le traduire en politique de civilisation.   

    Mathieu Bock-Côté

    Mathieu Bock-Côté est docteur en sociologie, chargé de cours aux HEC à Montréal et chroniqueur au Journal de Montréal et à Radio-Canada. Ses travaux portent principalement sur le multiculturalisme, les mutations de la démocratie contemporaine et la question nationale québécoise. Il est l'auteur d'Exercices politiques (VLB éditeur, 2013), de Fin de cycle : aux origines du malaise politique québécois (Boréal, 2012) de La dénationalisation tranquille (Boréal, 2007), de Le multiculturalisme comme religion politique (éd. du Cerf, 2016) et de Le Nouveau Régime (Boréal, 2017).

  • La lucidité impuissante : Quand Emmanuel Macron parle vrai....

    À cette intelligence il manque une solide formation 

     

    Par Yves Morel

     

    Emmanuel Macron ne cesse de nous surprendre par ses déclarations.

    Il y a deux ans, au cours d'un entretien accordé à l'hebdomadaire Le 1 du 8 juillet 2015, il affirmait que la France ne s'était jamais remise de la Révolution, et que « la démocratie comporte toujours une forme d'incomplétude ». « Il nous manque un roi », ajoutait-il. Et il présentait « les moments napoléonien et gaulliste » comme des succédanés désespérés de monarchie.

    Et voilà qu'il y a quelques jours, à Bucarest, le même Macron, devenu président de la République, déclare : « La France n'est pas un pays réformable... Les Françaises et les Français détestent les réformes. Dès qu'on peut éviter les réformes, on ne les fait pas ». Le propos n'est pas neuf et recouvre une vérité d'une criante évidence. Mais d'ordinaire, il est tenu par des intellectuels médiatiques ou des politiciens en fin de carrière. Cette fois, c'est un jeune président fraîchement élu qui le profère. Mais, lui, ne s'en tient pas là, et donne une justification morale à ce constat désabusé. Si les Français répugnent aux réformes, c'est parce que celles-ci se présentent comme de simples adaptations (« répondre à un chiffre, à une exigence extérieure »), alors qu'ils ont de leur nation une idée bien plus haute, consistant à livrer des « combats qui sont plus grands qu'elle ». La France n'a pas vocation à s'aligner, et « elle ne s'est jamais arrêtée à ses frontières, à ses défis propres, elle a toujours été mener les choses ailleurs, par sa diplomatie, son armée, son intelligence, ses talents ». C'est cette propension à s'imposer aux autres qui a fait sa grandeur. Aujourd'hui, l'occasion lui en est donnée par la menace qui pèse sur la civilisation occidentale. Elle peut trouver là un défi à sa mesure, « retrouver la capacité à emmener l'Europe vers de nouveaux projets ». « Notre société a besoin de récits collectifs, de rêves, d'héroïsme, afin que certains ne trouvent pas l'absolu dans les fanatismes ou les pulsions de mort », dit-il encore aux journalistes du Point, le 31 août dernier.

    Disons-le : notre président parle vrai, et il perçoit les causes du mal qui ronge la France depuis deux cent vingt-huit ans. La France n'est pas faite pour rentrer dans le rang, s'aligner sur des critères de convergence, donner libre cours au jeu du marché, tout en préparant le meilleur des mondes, peuplé de clones. Elle doit donner un exemple de grandeur, de générosité (c'est-à-dire de noblesse), d'élévation spirituelle. Or, celle-ci ne peut procéder que d'une foi en une réalité supranaturelle et en une conception religieuse de l'homme, qui, seule accorde l'individu à la communauté, l'esprit à la politique, et génère la justice et la reconnaissance de la dignité de la personne. La monarchie d'Ancien Régime, portant cette exigence au plus haut degré, avait fait de la France un modèle, « un concept spirituel », pour reprendre le terme par lequel Hugo von Hoffinanstahl qualifiait l'empire d'Autriche. Pour l'avoir reniée, la France contemporaine a été condamnée à se fonder sur les fausses et mortifères « valeurs » des « Lumières » aveuglantes du XVIIIe siècle, de la Révolution et de la république, et à se présenter comme la terre promise d'une démocratie idéale introuvable et destructrice, tout en s'essayant parfois à une impossible synthèse avec sa grandeur monarchique passée. Le problème de Macron, c'est qu'il se veut « en même temps » plus républicain que tous les républicains et monarque plus que les monarques.

    Oui, notre jeune président, par moment, ne manque pas de lucidité historique, mais cette intelligence, enkystée dans notre système républicain mortifère, demeurera sans effet et s'étiolera comme une plante dans un désert de pierre. 

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  • Humeur • « Les Français n’aiment pas que l’on se foute du Peuple ! »

     

    Par Guy Adain

     

    3759264560.jpgAllons ! Les Français savaient bien qu’il ne ferait pas la maille ! Le bon sens populaire n’a pas disparu en France, mais on veut rêver ! Faut dire aussi qu’on en a rudement besoin ! On s’est débarrassé des momies qui ne voulaient pas quitter le camp des vivants et intégrer leur sarcophage. On en avait soupé d’être « Normal », alors, on a misé sur la Jeunesse, le Renouveau, l’Audace… Bien sûr, on y croyait pas plus qu’au gros lot du Loto, mais ça faisait tellement de bien de balayer la poussière et se prendre à espérer… On avait tant envie de…Marcher ! 

    En-Marche, on aurait dû se souvenir que : « l’habit ne fait pas le moine », pas plus que l’élection ne fait le Président ! C’est bien sûr légal, mais pas moral… On l’a assez entendu durant la campagne ! Et, déguisé en Militaire ou en Président, il mène la Marche à sa guise. En même temps, comme on dit aujourd’hui, les Français voient bien : Qu’il ne fait pas la maille ! 

    C’est une chose de s’asseoir sur le trône, et une autre de régner ! Ce sont les Sujets qui font le Roi, pas l’inverse ! La légitimité, la vraie, celle du Coeur, de l’Amour ne se décrète pas, ou bien elle est innée, ou bien elle se gagne, et pas que dans les urnes ! Les Peuples de France sont turbulents, ils mettent parfois une ambiance un peu désordonnée, gare à ceux qui ne savent pas les entendre ! Quand un poisson pêché à tort ne fait pas la maille, on le remet à l’eau, c’est justice. 

    En politique, ce n’est pas la règle, le poisson reste dans le filet, pensant qu’il peut avoir autorité sur les autres ! Il faudra faire avec ! Notre Poisson-pilote nous conduit vers les Requins (de la Finance), entre autres, et au final vers la Mer Noire voire, la Mer Morte ! Et Il s’étonne que l’on mette un peu la pagaille… Les Français n’aiment pas que l’on se foute du Peuple !  

    La Couronne

  • Politique & Société • Intellectuels de gauche, intellectuels de droite

     

    Par  Mathieu Bock-Côté

    Dans cette tribune du Journal de Montréal [4.10], Mathieu Bock-Côté constate, au fond, la difficulté d'être de la droite, ou si l'on veut, son inexistence de fait, par soumission à la gauche. Serait-ce qu'elle n' a pas de fond qui lui soit propre ? Serait-ce qu'elle se refuse à reconnaître ces réalités historiques et charnelles, ces quelques vérités anthropologiques  essentielles et profondes dont Mathieu Bock-Côté parle si souvent par ailleurs ? Peut-être est-ce simplement qu'elles n'appartiennent à personne en particulier, ni à la droite, ni à la gauche, ces mauvais clivages nés de la Révolution française. Mais qu'elles appartiennent à tous. LFAR

     

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    Je ne raffole pas du clivage gauche-droite, qui globalement, déforme la pensée politique davantage qu'il ne met en scène ses controverses les plus fécondes. Il est néanmoins difficile à congédier tant ceux qui se veulent « de gauche » y tiennent, dans la mesure où il leur sert à départager le monde entre deux camps irréconciliables. Cela, en flânant sur les médias sociaux, je constate encore ce soir une chose qui depuis toujours, m'agace: les gens qui se disent « de gauche » aiment souvent se dire bouleversés, par ceux qui les critiquent « sur leur gauche ». Ils sont en débat, autrement dit, avec ceux qui les débordent sur leur gauche, comme s'ils craignaient de ne pas suivre le rythme du progressisme.

    Mais rarement, très rarement, on les entendra se dire « bouleversés » par un auteur classé « à droite » - je dis classé à droite car généralement, on se réclame moins de cette étiquette qu'on se fait ranger un peu malgré soi dans cette case. C'est un peu comme si la gauche discutait en famille tout en rejetant en bloc les auteurs de droite. On ne discute pas avec eux, on ne discute pas avec elle : on les disqualifie, on la combat. La droite n’est pas l’autre camp avec lequel débattre mais une menace qu’il faudrait toujours repousser. La droite ne porte pas une autre vision du monde avec sa part de légitimité : elle représente ce qu’il faut faire tomber pour qu’un monde meilleur émerge enfin. Fondamentalement, la droite est moins légitime que la gauche - elle y est moralement inférieure. La droite a si mauvaise réputation, d'ailleurs, que lorsqu'un intellectuel de gauche quitte son camp, il passe moins à droite qu'il ne condamne le clivage gauche-droite.

    Et contrairement à ce qu’on pourrait croire, la « droite » ne fonctionne pas selon les mêmes codes. Le grand rêve des intellectuels de droite, c’est d’être admis dans le débat des intellectuels de gauche, à la manière du « bon réac », du « conservateur respectable » - autrement dit, de l’homme de droite pas si à droite que ça d’abord et avant tout occupé à se dissocier de son propre camp. Le grand rêve de l’homme de droite, c’est de ne plus porter cette étiquette qui l’encombre. Encore une fois, on peut le comprendre puisqu’on lui accole davantage qu’il ne se l’approprie. Nationalistes, conservateurs, libéraux, réactionnaires, libertariens ont bien peu de choses en commun. On aurait beau leur chercher des points communs substantiels, on ne les trouvera pas.

    Souvent, l’intellectuel de droite, si cette formule a un sens (dans la mesure où, encore une fois, il faut le dire, la droite est une catégorie pêle-mêle qui rassemble tous ceux dont la gauche n’a pas voulu) s’empressera de citer l’intellectuel de gauche qui pense comme lui, comme si le fait qu’un homme de l’autre rive partage ses idées confirmait ses analyses. L’homme qu’on a enfermé contre son gré à droite espère une chose : transcender le clivage gauche-droite dans lequel il se sent à l’étroit et en mauvaise compagnie. Il citera avec beaucoup moins de zèle celui qui est associé à son propre camp, car alors, il aura l’impression de s’enfermer dans un ghetto intellectuel. La vie intellectuelle est aussi une affaire de clans.

    Tout cela pour dire que la vie intellectuelle ne met pas en scène un fameux débat entre la gauche et la droite, mais entre la gauche « radicale » et la gauche « modérée » et que certains intellectuels classés à droite parviennent de temps en temps à s’y faire une place, soit pour jouer le ronchon de service, soit pour servir de caution, en plus de les réduire au statut de polémistes ou de commentateurs. Et on ne voit pas trop dans quelles circonstances cette manière de débattre de la cité pourrait changer, tant la philosophie politique et les sciences sociales évoluent dans un consensus progressiste qui est globalement celui des institutions intellectuelles et qui impose aussi ses codes dans une part non-négligeable du système médiatique.    

    Mathieu Bock-Côté

    Mathieu Bock-Côté est docteur en sociologie, chargé de cours aux HEC à Montréal et chroniqueur au Journal de Montréal et à Radio-Canada. Ses travaux portent principalement sur le multiculturalisme, les mutations de la démocratie contemporaine et la question nationale québécoise. Il est l'auteur d'Exercices politiques (VLB éditeur, 2013), de Fin de cycle : aux origines du malaise politique québécois (Boréal, 2012) de La dénationalisation tranquille (Boréal, 2007), de Le multiculturalisme comme religion politique (éd. du Cerf, 2016) et de Le Nouveau Régime (Boréal, 2017).

  • Société • Non à la fin de l’universalité des allocations familiales !

     

    Par Marc Rousset

     

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    Olivier Véran, député LREM de l’Isère, rapporteur général de la commission des affaires sociales de l’Assemblée, veut supprimer les allocations familiales pour les plus hauts revenus (au-dessus de 6.000 euros par mois) car cela représenterait une économie supplémentaire de 440 millions d’euros.

    La réduction des allocations familiales par François Hollande de 50 % et 75 % pour les ménages gagnant entre 6.000 et 8.000 euros par mois a déjà touché 455.000 familles, soit 9,5 % des familles françaises, et déjà permis de réaliser une économie de 400 millions d’euros, de 800 millions d’euros si l’on ajoute le plafonnement du quotient familial ! Une fois encore, ce sont les classes moyennes supérieures qui vont être touchées. Tondre la laine sur le dos des pères de famille nombreuse, c’est plus facile que de s’attaquer à l’immigration extra-européenne (coût : 70 milliards d’euros par an), réduire les dépenses publiques françaises éhontées de fonctionnement les plus élevées d’Europe, avec deux millions de fonctionnaires en trop par rapport à l’Allemagne, supprimer les régimes spéciaux des retraites ou supprimer d’un trait de plume l’inutile Conseil économique, social et environnemental dont le seul objet est de recaser les petits copains…

    Le coût actuel de la politique familiale française est d’environ 3 % du PIB. Des progrès restent à faire afin de permettre aux femmes d’avoir les enfants qu’elles désirent. Les études qui se sont penchées sur la question l’ont montré : les femmes arrivant à la cinquantaine constatent, en moyenne, qu’elles ont eu au final un enfant de moins que le nombre qu’elles auraient aimé avoir. Cet enfant qui manque, c’est la solution à nos problèmes démographiques et de retraites. L’Europe ne fait pas de 3e enfant. Un 3e enfant coûte cher en France, bien plus que les 150 euros supplémentaires par mois que donnent les allocations familiales. En un demi-siècle, les prestations familiales ont diminué de près de 70 % pour les familles avec trois enfants. Il faudrait que ces prestations atteignent, au contraire, 5 % du PIB, ce qui est à comparer aux plus de 20 % du PIB consacrés annuellement aux retraites et à la santé.

    Élever des enfants diminue le niveau de vie d’un ménage. L’arrivée du premier enfant dans un couple se traduit par une baisse du niveau de vie (après impôts et transferts) de l’ordre de 13 %, et 6 % pour chacun des enfants suivants. Ainsi s’explique la diminution constante du nombre des familles nombreuses d’origine européenne, qui sont pourtant nécessaires au simple remplacement des générations. Une famille sur cinq, seulement, en France est composée aujourd’hui d’au moins trois enfants.

    Malthus triomphe en Europe et en France avec Macron, qui n’a pas d’enfants, tout comme madame Merkel ! Le taux de fécondité global français est en train de s’écrouler, en passant de 2,1 à 1,89 et, pour les Françaises de souche européenne, de 1,71 à 1,5 ! Le taux de fécondité de renouvellement des populations à l’identique est de 2,1. 

    On assiste au démantèlement continu de la politique familiale mise en place par le général de Gaulle en 1945. Le Général avait multiplié les mesures destinées à relever la natalité française : indexation des allocations familiales sur le salaire de base et non sur les prix ; refus de soumettre les allocations familiales à l’imposition (car elles ne constituent pas un revenu, mais la juste compensation d’investissements privés avec un intérêt collectif fondamental) ; refus de les soumettre à condition de ressources ; et, enfin, instauration du quotient familial dans le calcul de l’impôt sur le revenu. Autant de mesures concrètes permettant de bien distinguer la politique familiale de la politique sociale à visée égalitariste.

    Les allocations familiales n’ont pas pour but de combler le fossé entre riches et moins riches, mais d’éviter que les ménages avec enfants voient leur niveau de vie se dégrader par rapport à ceux qui n’en ont pas. Or, depuis les années 70, ce principe de base du printemps démographique français d’après-guerre n’a cessé d’être bafoué.

    Les gouvernements successifs dévoient, en fait, la politique familiale de la France en l’éloignant sans cesse du soutien initial à la fécondité, pour la spécialiser dans l’assistanat, la lutte contre la pauvreté, l’exclusion ou le chômage.

    Les grands bénéficiaires de cette politique sont les populations d’origine immigrée, avec des taux de fécondité doubles de celui des populations d’origine européenne. Le paradoxe, c’est que les allocations familiales censées enrayer, à l’origine, en 1945, l’insuffisance de la natalité française de souche européenne contribuent, aujourd’hui, à accentuer les déséquilibres démographiques en attirant les populations immigrées extra-européennes et en développant leur taux de natalité.  

    Économiste
  • Guillaume Bigot : Macron à la Sorbonne, ou l'art du contresens historique

     

     Entretien par Alexandre Devecchio

     

    ENTRETIEN - Guillaume Bigot revient ici [Figarovox, 27.09] sur le discours du Président de la République à la Sorbonne. Pour lui, les propositions avancées par Emmanuel Macron sont anachroniques et pas réalistes. Nous retrouvons dans ces analyses, dont l'essentiel nous paraît juste, une qualité que nous mettons très haut, parce qu'elle est la marque de notre école de pensée : le réalisme - opposé à l'idéologie.  LFAR   

     

    XVM3eaf87e4-a396-11e7-ab8c-64d6818da779-100x100.jpgLe discours d'Emmanuel Macron à la Sorbonne est-il un discours historique ? 

    Oui mais en un sens paradoxal car il risque de rester comme le discours le plus anachronique jamais prononcé par un Président de la République.

    L'Europe recule partout et en particulier en Allemagne avec le scrutin de dimanche dernier qui a révélé la montée en puissance de l'extrême droite eurosceptique (AFD) et d'un parti libéral (FPD) qui refuse toute mutualisation des dettes européennes et tout nouveau transfert financier en direction de l'UE.

    Le discours de la Sorbonne fait furieusement songer à la formule qu'employaient les détracteurs de Mao : « Nous sommes au pied du mur, au bord du gouffre, vive le grand bond en avant !   »

    Macron à la Sorbonne a dépensé tant d'énergie, tant de fougue et tant de souffle sur son vélo d'appartement européiste, qu'il en deviendrait presque touchant.

    Tout de même, à travers ce discours, on sent poindre une volonté farouche de relancer le moteur franco-allemand ?

    Le jour où Alstom est absorbé par une entreprise allemande, notre Président célèbre l'union toujours plus étroite de la France et de l'Allemagne. Macron aurait voulu incarner la soumission de Paris à Berlin et de la politique à l'économique, il ne s'y serait pas pris autrement.

    C'est étonnant cette incapacité à saisir le sens des symboles : Alstom incarne parfaitement la technologie française, Alstom, c'est le TGV. Airbus ne va pas tarder à suivre.

    On célèbre aussi Macron le fin tacticien mais son plaidoyer pour le couple franco-allemand n'était pas seulement indigne de Machiavel, cette déclaration enflammée à la Chancelière ignorait la leçon introductive du manuel du parfait dragueur : « Si je te fuis, tu me suis et si tu me suis, je te fuis » ! Si le Chef de l'Etat voulait vraiment relancer la relation franco-allemande, il aurait dû faire mine de se détourner de son partenaire. Là, peut-être Berlin aurait daigné s'intéresser à Paris.

    Que pensez-vous de l'idée d'un budget renforcé pour la zone euro ?

    On nous présente ce budget européen comme un projet keynésien : la relance ne marche plus à l'échelle française, relançons à l'échelle continentale. Or, c'est un formidable tour de passe-passe.

    Si vous êtes Irlandais et partisan d'une relance européenne, il est cohérent que vous souteniez l'idée d'un budget européen. Mais il suffit de considérer la position de la France par rapport à la moyenne des prélèvements obligatoires et des dépenses publiques pour se rendre compte de la supercherie.

    Nous nous situons largement au-dessus de cette moyenne de la zone euro, même réduite au noyau dur. Prenons l'exemple de l'IS dont le taux est de 34,4 en France et de 30 en Allemagne, la convergence européenne, c'est un alignement vers le bas. Une fois que vous aurez aligné les fiscalités, les Smic, nous aurons renforcé les forces du marché.

    Le système est très pervers : sous prétexte de disposer de plus de protection à l'échelle continentale, on se retrouvera avec plus de protection en Irlande et moins en France. Sous prétexte de dépenser plus pour tous, on dépensera moins pour nous. L'Europe n'est pas un bouclier face à la mondialisation, c'est un turbo. Or, on peut tout reprocher à Macron sauf sa cohérence : raboter les dépenses et déchaîner les forces du marché, c'est bien ce qu'il veut. D'ailleurs, il vient de signer le CETA.

    Ce que l'on nous vend comme une relance continentale revient à faire de la renonce continentale si je puis dire.

    C'est un moyen de faire passer en force une politique ultralibérale et de la graver dans le marbre des traités. Si ce funeste projet de budget et de gouvernement économique de la zone voyait le jour, cet « Euroland » serait le seul « État » avec l'URSS à inscrire une certaine politique économique dans les traités comme pour dire: ceci est la vérité scientifique, il faut la mettre à l'abri de l'inconstance et de l'ignorance des peuples.

    Vous ne croyez donc pas à la pertinence d'un budget européen ?

    Mes restes de cours d'économie monétaire me laissent à penser que sans budget unique, cette monnaie unique est condamnée à disparaître à court terme (cf. les travaux de l'économiste Robert Mundell sur les zones monétaires optimales). Mais d'un autre côté, le budget européen, c'est forcément le transfert du pouvoir légitime au-dessus des Etats.

    Le budget de la zone euro soulève donc la question de son illégitimité et de son inefficacité. Soit on transfère le fruit d'impôts nationaux et on n'a pas un euro de budget de plus à l'arrivée. Soit, on crée un impôt européen et là on n'entre dans la post démocratie.

    Le consentement à l'impôt est le fondement de la démocratie politique. Qui va décider de lever cet impôt européen et qui va décider de son emploi ? Le parlement européen, mais qui connaît ses députés européens ? Jamais ce scrutin n'a pris. Dans aucun pays. Les élections européennes servent partout de défouloir électoral pour des enjeux politiques nationaux.

    Même sans créer de nouvel impôt, si vous transférez à un organisme non élu l'emploi disons des 40 milliards de l'Impôt sur les sociétés, vous commettez une forfaiture démocratique.

    Plus de monnaie nationale et plus de budget national, nous n'avions déjà plus accès à la pédale de frein et à l'accélérateur, là c'est le volant politique qui sera retiré au peuple français. Nous entrerions là dans les eaux saumâtres de la haute trahison.

    L'Europe, noyau dur peut-elle marcher ?

    Oui mais elle impose le consentement des peuples sinon le lancement de cette Europe à deux vitesses serait doublement illégitime. Illégitime au plan européen d'abord. Imaginez que vous êtes actionnaire d'une société et qu'une partie des autres actionnaires décident, pour mieux défendre leurs intérêts, de créer une entreprise dans l'entreprise et d'en changer les règles, ce serait inacceptable.

    De même, les Etats membres qui seront exclus du noyau dur seront fondés à exiger un référendum européen puisque certains Etats membres veulent changer la nature en fait comme en droit de l'UE.

    Ce qui est vrai à l'échelle continentale, l'est cent fois plus à l'échelle nationale : opérer un tel saut fédéraliste, en appliquant les mesures envisagées par Macron sans solliciter l'avis du peuple souverain serait un parjure démocratique.

    La mise en œuvre de la relance européenne voulue par Macron passe donc par la tenue d'un référendum et ce référendum sera perdu.

    A vous suivre, il semblerait que le projet de construire une Europe fédérale, supra nationale serait une utopie sinon une idéologie ?

    C'est exactement cela. C'est la dernière idéologie du XX ième siècle.

    On ne peut s'empêcher de relever les énormes contradictions dont sont capables les adeptes de l'Europe au service de leur idée fixe. Prenons l'exemple du protectionnisme. Les mêmes qui fustigent le protectionnisme à l'échelle nationale (Macron assume cette position qui consiste à penser que le protectionnisme est néfaste en tant que tel) veulent ériger des barrières ou des taxes (carbone, sociale, etc.) à l'entrée de la zone euro.

    On prétend attirer les grandes institutions de la City à Paris et on propose une taxe sur les transactions financières. En fait, l'Europe est un cas typique de fanatisme : il rend aveugle, sourd et finalement imperméable à la contradiction.

    Vous pouvez difficilement débattre avec les européistes. Le réel ne pèse rien pour eux. Il faut plus d'Europe ! Mais pourquoi ? « Mais parce qu'il faut plus d'Europe !» répondent en chœur les possédés de l'idée européiste. Et ils croient sincèrement régler tous les problèmes en brandissant leur fétiche.

    Nous sommes menacés par le djihad, vite une armée européenne et un renseignement européen ! Nous souffrons des effets de la pollution, vite une agence européenne. Les mouvements migratoires s'amplifient, vite un office Européen des migrations (on notera au passage la proposition savoureuse d'une école des hautes études pour clandestins !).

    C'est plus qu'une politique déclamatoire, c'est une politique incantatoire. Il suffit de prononcer le mot magique Europe et hop les difficultés s'aplanissent. Appréhendés à l'échelle continentale, les défis semblent devenir plus petits et,soudain, faciles à résoudre.

    Or, non seulement la coopération européenne est un gage d'épouvantable complexité politico-administrative telle qu'elle aurait même dégoûté les bureaucrates byzantins mais la coopération européenne ne revêt aucun sens si les pays qui y participent ne partagent pas des objectifs et des intérêts communs. Croit-on vraiment qu'en intégrant des espions lettons ou grecs dans une future agence européenne de renseignement, on sera mieux protégé qu'en renforçant la coopération avec le MI 6 ou la NSA?

    Macron vous classerait sans doute dans la catégorie des « esprits chagrins ». Rien dans ses propositions ne semble trouver grâce à vos yeux ? Pas même l'extension d'Erasmus ?

    Qui peut être hostile au fait que la jeunesse voyage ? Certainement pas moi qui dirige une école de commerce qui organise une année entière obligatoire d'études à l'étranger.

    Pourtant, au risque de passer pour un grincheux, cette extension d'Erasmus n'est ni aussi bonne ni aussi audacieuse qu'elle paraît. En réalité, dans l'auberge espagnole d'Erasmus on parle surtout et de plus en plus globish. Chaque année, l'école de commerce que je dirige envoie des centaines de jeunes étudier à Barcelone, Madrid, Turin, Francfort, Vienne ou Copenhague.

    Or dans quelle langue sont-ils enseignés ? Dans quelle langue communiquent-ils avec les autres Européens ? Dans un mauvais anglo-américain. Nous sommes très loin de l'esprit d'Erasme, des humanités européennes et de l'apprentissage de la variété des langues du vieux continent. L'UE est un rouleau compresseur à aplanir la diversité des cultures européennes. L'euro culture unifiée promue par Erasmus, c'est celle de Zuckerberg et de Britney Spears, pas celle de Goethe ni de Dante.

    Surtout, la promotion de l'amitié entre la jeunesse française et allemande par le Traité de l'Elysée, par exemple, avait cette vertu de rapprocher des peuples qui hier encore étaient encore pétris de préjugés et dont les parents s'étaient battus. Nous sommes plus d'un demi-siècle plus tard, le risque de guerre intra européenne est nul.

    Si Macron avait été Bonaparte ou De Gaulle, s'il avait été le visionnaire que l'on décrit, il aurait lancé un programme « Averroès » pour promouvoir les échanges avec le monde arabe ou « Senghor » pour l'Afrique ou « Pouchkine » pour la Russie. Notre président de la République est, en fait, conformiste à pleurer.

    Mais au moins, mutualiser notre défense semble une nouveauté prometteuse ?

    La CED date de 1954 et l'Europe de la Défense de Mitterrand, on ne peut pas dire que ce soit une idée neuve en Europe !

    Il y a surtout une raison invincible pour que cette idée soit vouée à l'échec. L'Europe de la Défense ne se fera pas parce qu'elle existe déjà et qu'elle s'appelle l'OTAN. Sa chaîne de commandement est une laisse qui remonte jusqu'au locataire de la Maison Blanche.

    Toutes les initiatives d'Europe militaire sont venues de Paris et toutes se sont toujours heurtées au même obstacle : les Allemands se sentent mieux protégés par le Pentagone que par nous. Les Allemands ou les Néerlandais vont d'autant moins être tentés de financer et de participer aux projets kaki de Macron que Trump les a mis en demeure de payer leur défense.

    Voilà encore un sujet dont il ne faut pas parler mais la vertu budgétaire des pays du nord de l'Europe s'apprécie aussi au fait qu'ils n'ont que très peu de dépenses militaires. Les Allemands qui vont devoir payer pour se protéger ne vont certainement pas financer en hommes, en matériel ni même en euros les opérations françaises en Afrique.

    Là aussi le bât blesse, les différents pays européens n'ont pas d'alliés, ni de territoires d'outre-Mer à défendre. Ils ne peuvent ni ne veulent mener une politique mondiale, ni même régionale.

    En résumé, le catalogue de la foire-farfouille européenne est surtout un catalogue de nostalgies et de vieilles lunes. On dirait une friperie : on y retrouve la taxe Tobin, la taxe carbone, la CED, le noyau dur et l'Europe à géométrie variable de Fabius, les frontières gérées en commun donc Schengen approfondie ; Erasmus en version XXL, etc.

    L'Europe n'est-ce pas un horizon exaltant pour les jeunes Français ?

    L'Europe ne fait pas rêver la jeunesse française. Pourquoi ? D'abord parce que le vieux continent est d'abord un continent de vieux. L'Allemagne qui est très représentative à cet égard du reste du continent est un pays qui compte 16 millions de retraités. Outre-Rhin, la moyenne d'âge de l'électorat est de 56 ans. L'électeur français moyen a 35 ans.

    La France est l'un des rares pays européens à faire des enfants et à envie de voir s'ouvrir en grand les fenêtres du monde. Chaque année, le peuple français croît de 500 000 âmes. Chaque année, le peuple allemand perd 500 000 personnes. La France rêve de grand large et Macron lui montre la direction de la maison de retraite européenne.   

    Guillaume Bigot est directeur général du groupe Ipag Business School, essayiste et membre du club souverainiste Les Orwéliens.

     

    1630167502.jpgXVM8d8b71a4-8f2b-11e7-b660-ef712dd9935a-150x200.jpgAlexandre Devecchio est journaliste au Figaro, en charge du FigaroVox. Il vient de publier Les Nouveaux enfants du siècle, enquête sur une génération fracturée (éd. du Cerf, 2016) et est coauteur de Bienvenue dans le pire des mondes (éd. Plon, 2016).

    Alexandre Devecchio

     

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