Apocalypse
Par Mathieu Bock-Côté
Une tribune publiée mercredi dernier dans le Journal de Montréal [6.09]. Et qui prolonge, jusqu'à une philosophie de l'Histoire qui est évidemment la nôtre, l'article sur la Corée du Nord dont Louis-Joseph Delanglade, dans son Lundi, a traité hier. Si nécessaire, on s'y reportera. LFAR
C’est avec perplexité et effarement que le commun des mortels observe l’affrontement entre la Corée du Nord et les États-Unis.
On aime en rendre compte en disant que deux maniaques s’affrontent pour savoir qui a le plus gros missile dans son pantalon. Mais cette image prétendant équilibrer les torts entre Kim Jong-un et Donald Trump est faussée.
Pour peu qu’on s’y penche sérieusement, nous sommes surtout devant la montée aux extrêmes d’un pays totalitaire soumis depuis plusieurs décennies à des tyrans paranoïaques qui s’imaginent incarner une résistance héroïque contre l’empire américain.
Guerre
On se demande jusqu’où Kim Jong-Un peut aller dans son désir d’affronter le monde.
Au fur et à mesure que se déroule la crise nord-coréenne, une vieille peur qu’on croyait engloutie au fond du vingtième siècle remonte à la surface : celle de la guerre nucléaire.
Il y a quelques décennies, on redoutait que la guerre froide entre l’Occident dirigé par les États-Unis et le monde communiste commandé par l’URSS ne dégénère en une guerre nucléaire conduisant l’humanité à sa perte.
On misait alors sur l’équilibre de la terreur pour éviter cette éventualité. C’est-à-dire qu’on supposait que les deux superpuissances savaient que, si elles usaient de la bombe atomique, elles s’anéantiraient mutuellement.
On ne prête pas une telle sagesse stratégique aux dirigeants de Pyongyang.
Notre monde n’est pas étranger à la peur apocalyptique, mais elle s’est déplacée de la guerre nucléaire au désastre écologique.
Quand, aujourd’hui, on se prend à craindre que le monde n’explose, c’est au sort de la planète qu’on pense. Nous nous sommes convaincus que la seule manière de l’affronter, c’est de changer notre mode de vie et notre style de consommation.
Autrement dit, c’est une guerre que chacun croit pouvoir mener contre le dérèglement du monde. Nous nous sentons tout petits devant elle et, pourtant, nous ne nous sentons pas absolument impuissants.
L’autre grande peur de notre temps, c’est le chaos terroriste global engendré par le terrorisme, mais nous sommes parvenus à nous y habituer. Il nous gâche la vie, mais nous pensons y résister en faisant comme s’il n’existait pas.
Mais avec la menace nord-coréenne, nous sommes de retour devant une frayeur absolue, dont nous ne sommes que spectateurs. Les scénarios les pires s’accumulent dans notre esprit. On imagine un enchaînement infernal.
Tragique
Que se passera-t-il si la Corée du Nord tire un missile en destination du Japon ou d’un territoire américain ?
Que se passera-t-il si Donald Trump, qui n’est pas un monument de sagesse, décide plutôt de faire une frappe préventive ?
Et comment réagiront dans ce conflit hypothétique la Chine et la Russie ?
Ces questions, qui tournent en boucle dans les médias, nous ramènent à une réalité oubliée : l’importance vitale de la politique dans nos vies.
Nous pensions que le marché et les droits de l’homme suffiraient pour assurer le développement harmonieux de nos sociétés. On redécouvre la nécessité du grand art politique.
On redécouvre que la paix est une conquête de tous les instants et non pas l’état naturel de l’humanité. •
Mathieu Bock-Côté est docteur en sociologie, chargé de cours aux HEC à Montréal et chroniqueur au Journal de Montréal et à Radio-Canada. Ses travaux portent principalement sur le multiculturalisme, les mutations de la démocratie contemporaine et la question nationale québécoise. Il est l'auteur d'Exercices politiques (VLB éditeur, 2013), de Fin de cycle : aux origines du malaise politique québécois (Boréal, 2012) de La dénationalisation tranquille (Boréal, 2007), de Le multiculturalisme comme religion politique (éd. du Cerf, 2016) et de Le Nouveau Régime (Boréal, 2017).
A lire aussi dans Lafautearousseau ...