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Actualité France - Page 328

  • Histoire & Actualité • Regards sur les rapports Islam-Europe depuis treize siècles [4]

     

    Publié le 3.07.2009 - Actualisé le 3.09.2017

    TRAVAUX DIVERS - Largeur +.jpgNous allons donc conclure - provisoirement - notre série de réflexions [Cf. liens en fin d'article] sur quelques points d'Histoire importants des rapports Islam-Europe. 

    Nous le ferons en donnant la parole à Chateaubriand. Citer ce grand auteur ne revient pas à occulter ou à abandonner la critique de fond que l'école d'Action Française a développée à son égard - notamment par Charles Maurras, dans Trois idées politiques, Jacques Bainville, dans son Histoire de France, ou Pierre Boutang, dans son Maurras.  Il se trouve cependant que le texte de Chateaubriand repris ici est superbe et semble écrit aujourd'hui, à d'infimes détails près, ce qui montre bien que les problématiques actuelles ne sont pas nouvelles, et que les problèmes que nous avons aujourd'hui avec l'Islam datent de fort longtemps.

    Nous avons rappelé précédemment les deux agressions militaires de l'Islam contre l'Europe : la première à partir de 711 par l'Espagne, et la seconde à partir de 1353 par la Grèce.

    Entre ces deux assauts s'intercale ce que l'on peut considérer comme une contre-attaque des Européens. C'est du moins ainsi que le voit Chateaubriand. Il s'agit, bien-sûr des Croisades.

    Dans son Itinéraire de Paris à Jérusalem et de Jérusalem à Paris, Chateaubriand propose cette défense des Croisades (La Pléiade, Œuvres romanesques, tome II, pages 1052 à 1054). 

     

    portrait_francois_rene_1768_1__hi.jpg« ... Les écrivains du XVIIIème siècle se sont plu à représenter les Croisades sous un jour odieux. J'ai réclamé un des premiers contre cette ignorance ou cette injustice. Les Croisades ne furent des folies, comme on affectait de les appeler, ni dans leur principe, ni dans leur résultat. Les Chrétiens n'étaient point les agresseurs. Si les sujets d'Omar, partis de Jérusalem, après avoir fait le tour de l'Afrique, fondirent sur la Sicile, sur l'Espagne, sur la France même, où Charles Martel les extermina, pourquoi des sujets de Philippe Ier, sortis de la France, n'auraient-ils pas faits le tour de l'Asie pour se venger des descendants d'Omar jusque dans Jérusalem ?

    C'est un grand spectacle sans doute que ces deux armées de l'Europe et de l'Asie, marchant en sens contraire autour de la Méditerranée, et venant, chacune sous la bannière de sa religion, attaquer Mahomet et Jésus-Christ au milieu de leurs adorateurs. 

    N'apercevoir dans les Croisades que des pèlerins armés qui courent délivrer un tombeau en Palestine, c'est montrer une vue très bornée en histoire. Il s'agissait, non seulement de la délivrance de ce Tombeau sacré, mais encore de savoir qui devait l'emporter sur la terre, ou d'un culte ennemi de la civilisation, favorable par système à l'ignorance, au despotisme, à l'esclavage, ou d'un culte qui a fait revivre chez les modernes le génie de la docte antiquité, et aboli la servitude ?

    Il suffit de lire le discours du pape Urbain II au concile de Clermont, pour se convaincre que les chefs de ces entreprises guerrières n'avaient pas les petites idées qu'on leur suppose, et qu'ils pensaient à sauver le monde d'une inondation de nouveaux Barbares.

    L'esprit du Mahométisme est la persécution et la conquête ; l'Evangile au contraire ne prêche que la tolérance et la paix. Aussi les chrétiens supportèrent-ils pendant sept cent soixante-quatre ans tous les maux que le fanatisme des Sarrasins leur voulut faire souffrir ; ils tâchèrent seulement d'intéresser en leur faveur Charlemagne ; mais ni les Espagne soumises, ni la Grèce et les deux Sicile ravagées, ni l'Afrique entière tombée dans les fers, ne purent déterminer, pendant près de huit siècles, les Chrétiens à prendre les armes. Si enfin les cris de tant de victimes égorgées en Orient, si les progrès des Barbares déjà aux portes de Constantinople, réveillèrent la Chrétienté, et la firent courir à sa propre défense, qui oserait dire que la cause des Guerres Sacrées fut injuste ? Où en serions-nous, si nos pères n'eussent repoussé la force par la force ? Que l'on contemple la Grèce, et l'on verra ce que devient un peuple sous le joug des Musulmans.

    Ceux qui s'applaudissent tant aujourd'hui du progrès des Lumières, auraient-ils donc voulu voir régner parmi nous une religion qui a brûlé la bibliothèque d'Alexandrie, qui se fait un mérite de fouler aux pieds les hommes, et de mépriser souverainement les lettres et les arts ?

    Les Croisades, en affaiblissant les hordes mahométanes aux portes mêmes de l'Asie, nous ont empêchés de devenir la proie des Turcs et des Arabes. Elles ont fait plus : elles nous ont sauvé de nos propres révolutions ; elles ont suspendu, par la paix de Dieu, nos guerres intestines ; elles ont ouvert une issue à cet excès de population qui, tôt ou tard, cause la ruine des Etats ; remarque que le Père Maimbourg a faite, et que M. de Bonald a développée.

    Quant aux autres résultats des Croisades, on commence à convenir que ces entreprises guerrières ont été favorables aux progrès des lettres et de la civilisation. Robertson a parfaitement traité ce sujet dans son Histoire du Commerce des Anciens aux indes orientales. J'ajouterai qu'il ne faut pas, dans ces calculs, omettre la renommée que les armes européennes ont obtenue dans les expéditions d'outre-mer.

    Le temps de ces expéditions est le temps héroïque de notre histoire ; c'est celui qui a donné naissance à notre poésie épique. Tout ce qui répand du merveilleux sur une nation, ne doit point être méprisé par cette nation même. On voudrait en vain se le dissimuler, il y a quelque chose dans notre cœur qui nous fait aimer la gloire ; l'homme ne se compose pas absolument de calculs positifs pour son bien et pour son mal, ce serait trop le ravaler ; c'est en entretenant les Romains de l'éternité de leur ville, qu'on les a menés à la conquête du monde, et qu'on leur a fait laisser dans l'histoire un nom éternel ... »   

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    Histoire & Actualité • Regards sur les rapports Islam-Europe depuis treize siècles [1]

    Histoire & Actualité • Regards sur les rapports Islam-Europe depuis treize siècles [2]

    Histoire & Actualité • Regards sur les rapports Islam-Europe depuis treize siècles [3]

  • Histoire & Actualité • Regards sur les rapports Islam-Europe depuis treize siècles [3]

    L'extension de l'empire Ottoman - Historique 

     

    Publié le 26.06.2009 - Actualisé (extraits) le 2.09.2017

    TRAVAUX DIVERS - Largeur +.jpgIl s’agit ici - l'actualité nous y invite - de réfléchir, avec un certain recul et de façon, bien-sûr, non exhaustive, sur ce que sont, au fond, les rapports entre l'Islam et l'Europe (la Chrétienté, l'Occident) depuis treize siècles. Nous y avons déjà consacré deux articles [Voir liens ci-dessous]. Celui-ci est le troisième et avant-dernier.

     

    Voyons maintenant la deuxième invasion militaire d'une partie de l'Europe par l'Islam. Il ne s'agit plus là de Berbères d'Afrique du Nord, mais de Turcs, venus d'Asie centrale ; et l'attaque n'est plus par le sud-ouest, mais par le sud-est. 

    509283401.JPGDès 1353, la dynastie turque des Ottomans, fondée par Osman 1er, prit pied en Europe : c'est en effet cette année-là que, follement appelé à l'aide par l'usurpateur Jean Cantacuzène, et jouant pleinement des dissensions suicidaires des chrétiens de l'Empire byzantin, le successeur d'Osman fonda à Gallipoli le premier établissement turc en Europe. [Drapeau de la dynastie Ottomane (ci-contre) et de la flotte turque (ci-dessous)] 

    1153129601.JPGAvec Mourad 1er commença la conquête des Balkans, dès 1360. Maître d'Andrinople et de la Thrace, les Ottomans mirent en déroute sur la Maritsa la croisade de Louis 1er de Hongrie, en 1363, puis entreprirent la conquête de la Serbie. La victoire turque de Kosovo (juin 1389) fit passer les Serbes, après les Bulgares, sous le joug Ottoman. Ensuite eut lieu la conquête de la Thessalie, et les premières entreprises devant Constantinople elle-même. Un temps freiné dans leur expansion par l'arrivée sur leurs arrières de Tamerlan et de ses mongols, les Ottomans reprirent leur marche en avant, après le départ de Tamerlan, et conquirent Thessalonique en 1430. De l'Empire Romain d'Orient, il ne restait plus que Constantinople et sa banlieue : Mehmet II s'en empara en 1453, malgré l'héroïque résistance des défenseurs de la ville.    

    1399180821.jpgEcoutons Michel Mourre : » Jusque vers 1700, les Turcs devaient rester un danger permanent pour l'Europe chrétienne. Sous Mehmet II, ils poursuivirent leur avance dans toutes les directions. Vers l'Ouest, en s'emparant de la Bosnie (1463) et de l’Albanie, où Skanderbeg leur avait opposé une longue résistance ; du côté de la mer Noire, en enlevant la Crimée aux Génois (1475) ; du côté de l'Arménie, en liquidant l’Etat grec de Trébizonde (1461). L'une après l'autre, les places génoises et vénitiennes de la mer Egée et de la Morée [Péloponnèse], passaient aux mains des Ottomans, qui commençaient à mener la guerre à la fois sur mer et sur terre et s'installaient même à Otrante, en Italie du Sud (1480) ...»

    L'empire turc atteignit son apogée sous Soliman II le Magnifique, qui s'empara de Belgrade (1521), de Rhodes (1522) et fit passer presque toute la Hongrie sous son protectorat après la victoire de Mohacs (1526) et assiégea Vienne, pour la première fois, en 1529. » Au milieu du XVI° siècle -dit encore Michel Mourre- la Turquie était devenue la première puissance de l'Europe et de la Méditerranée» . Elle contrôlait, en Europe, toute la péninsule balkanique et la Grèce, les provinces danubiennes, la Transylvanie, la Hongrie orientale. 

    Ce n'est qu'à partir de 1571 - avec la victoire de Lépante (ci-dessous) - que l'on assiste au premier véritable coup d'arrêt donné au déferlement de cette puissance ottomane, qui semblait jusque-là irrésistible. A cette occasion, une coalition formée par le pape, et regroupant l'Espagne, Venise et les Chevaliers de Malte, sous le commandement de Don Juan d'Autriche, détruisit la flotte ottomane, qui ne se releva jamais de ce désastre. 1571 marque donc, d'une certaine façon, le réveil européen, et si cette victoire resta sans lendemain, et ne fut pas exploitée militairement, son retentissement moral fut considérable : elle «  rendit courage à l'Europe chrétienne»  (Michel Mourre). Et pourtant, pendant plus d'un siècle encore, les Turcs restèrent menaçants : ils enlevèrent encore la Crète et la Podolie (sud-ouest de l'Ukraine) et menacèrent Vienne jusqu'en 1683, date à laquelle ils furent contraints d'en lever le siège : la ville ne fut en effet définitivement libérée du danger musulman que cette année-là, grâce aux troupes polono-allemandes commandées par Jean Sobiewski.   

    A partir de là commença la lente reconquête par les européens de la partie de leur Europe envahie par les musulmans. Exactement comme l'avaient fait les espagnols près de mille ans auparavant. En septembre 1686, Buda est libérée, et la paix de Karlowitz restitua à l'Autriche, la Hongrie (sauf le Banat) et la Transylvanie ; à la Pologne, la Podolie ; à Venise, la Morée et la Dalmatie. Le Traité de Passarowitz (1718) restitua à l'Autriche le nord de la Bosnie et de la Serbie (avec Belgrade) ainsi que la Valachie occidentale [sud de la Roumanie].  (A suivre)  • 

    49770156.jpg

     7 octobre 1571, Lépante (http://www.publius-historicus.com/lepante.html)

    213 galères espagnoles et vénitiennes et quelques 300 vaisseaux turcs. Cent mille hommes combattent dans chaque camp. Les chrétiens remportent une victoire complète. Presque toutes les galères ennemies sont prises. L'amiral turc est fait prisonnier et décapité et 15.000 captifs chrétiens sont libérés. 

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    Histoire & Actualité • Regards sur les rapports Islam-Europe depuis treize siècles [1]

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  • Bientôt, nous brûlerons des livres

    « La mode est à la guerre aux statues » 

     

    Par  Mathieu Bock-Côté

    Cette tribune [31.08] est de celles que Mathieu Bock-Côté donne sur son blogue du Journal de Montréal. Il est vrai que nous reprenons volontiers et souvent ses écrits tant il sont pertinents, proches de nos propres idées, et collent, de façon vivante, intelligente et claire, à l'actualité la plus intéressante. Comment n'adhérerait-on pas à ce qui est dit ici ?  LFAR  

     

    501680460.5.jpg

    La mode est à la guerre aux statues. Et je ne parle pas seulement des statues des généraux confédérés de la guerre de Sécession, comme on le voit aux États-Unis.

    Un peu partout, en Occident, des groupuscules militent pour faire tomber celles de personnages qui ne sont plus dans les bonnes grâces de notre époque. Ou alors, tout simplement, ces militants ne les aiment pas. On a même appris qu’à New York, la statue de Christophe Colomb est dans le viseur du maire : elle représenterait la haine. Ah bon.

    Statues

    Dans les prochains temps, on peut s’attendre à la multiplication des cibles.

    Et on ne s’arrêtera pas en si bon chemin. Avant-hier, on apprenait qu’un cinéma de Memphis, au Tennessee, a déprogrammé Autant en emporte le vent, un authentique chef-d’œuvre de l’histoire du cinéma.

    Pourquoi ? Parce qu’il représenterait une vision du passé américain heurtant la sensibilité de certains militants particulièrement zélés.

    Alors vite, on le censure. C’est ainsi qu’on étouffe aujourd’hui la culture et la liberté d’expression. Quel sera le prochain film déprogrammé ? Vive l’interdit !

    Sans trop nous en rendre compte, nous entrons dans ce qu’on pourrait appeler la phase radicale de la révolution multiculturaliste. Et cela ne s’arrêtera pas. Tout ce qui, d’une manière ou d’une autre, contredit les valeurs de la « diversité » pourra désormais être mis en procès.

    Tôt ou tard, on brûlera des livres, ou du moins, on verra des militants rageurs faire le tour des bibliothèques pour les épurer. Au nom de la tolérance, on justifiera le fanatisme.

    À tel philosophe, on reprochera d’avoir justifié le colonialisme. À tel écrivain, on reprochera son « sexisme ». L’anachronisme s’allie au fanatisme. Tous finiront par y passer.

    Peut-être faudra-t-il une permission spéciale pour lire Aristote, Balzac, Flaubert, Houellebecq ou Kundera ?

    D’ailleurs, bien des intellectuels sont déjà jugés infréquentables. On a inventé pour eux un nouvel index. Qui dit leur nom passe pour un monstre.

    Il y aura toujours, ici ou là, un petit esprit pour crier au racisme et pour réclamer une purge.

    En fait, cela existe déjà. On appelle ça le politiquement correct, et il règne à l’université.

    Fanatisme

    C’est un paradoxe fascinant : officiellement, l’université repose sur le culte de la plus grande liberté intellectuelle qui soit. Dans les faits, elle couve un nouveau fanatisme qui s’est révélé ces derniers mois à travers l’annulation de nombreuses conférences.

    Les idées en contradiction avec la gauche multiculturaliste sont stigmatisées. S’il le faut, on misera sur la perturbation pour les interdire.

    D’une statue déboulonnée à un film déprogrammé, jusqu’aux livres qui seront tôt ou tard retirés de la circulation, on assiste à une entreprise d’éradication culturelle.

    Le constat est navrant : si les représentants autoproclamés d’une minorité victimaire pleurent en se disant blessés par une œuvre, nos dirigeants invertébrés se plieront devant eux et l’évacueront de l’espace public.

    Nous vivons dans une société de plus en plus étouffante, de moins en moins libre.  

    Mathieu Bock-Côté

    Mathieu Bock-Côté est docteur en sociologie, chargé de cours aux HEC à Montréal et chroniqueur au Journal de Montréal et à Radio-Canada. Ses travaux portent principalement sur le multiculturalisme, les mutations de la démocratie contemporaine et la question nationale québécoise. Il est l'auteur d'Exercices politiques (VLB éditeur, 2013), de Fin de cycle: aux origines du malaise politique québécois (Boréal, 2012) de La dénationalisation tranquille (Boréal, 2007), de Le multiculturalisme comme religion politique (éd. du Cerf, 2016) et de Le Nouveau Régime (Boréal, 2017).

  • Macron : un bon élève ... ?

    Le cercle des poètes disparus

     

    Par Henri  

    Les commentaires se suivent et même complètent Lafautearousseau. Celui-ci du mardi 29 août fait avec finesse écho à notre article « Eté 2017 : Les souffrances du jeune Macron », auquel on pourra se reporter. (Lien ci-dessous).   LFAR

     

    3142485460.jpgEtre un bon élève n'est rien si on ne creuse ses talents , non pour plaire à ses maîtres , mais pour répondre à sa vraie vocation, en les étonnant.

    La « com » chez lui avec Bruno - Roger Petit, 
    comme porte-parole, on tombe - question sectarisme - de Charybde en Scylla.. 

    Alors que reste-t-il : un Ministre de l'Education qui a des velléités de bons sens, mais le tout numérique au primaire peut inquiéter..La France n'est pas une start-up mais une vocation charnelle et spirituelle.

    Charnel, il [Macron] ne l'est guère, a-t-il une vision spirituelle propre ? Sent-il notre incomplétude ou sa réaction la mort du Roi n'est-elle qu'une pirouette.

    Comme le remarque intelligemment l'article, fait-il partie du « cercle des poètes disparus » ou des manuels de poésie? (Pour ceux qui ont vu et aimé ce film...)  

    Lire ...

    Eté 2017 : Les souffrances du jeune Macron

  • Baisse de popularité de Macron : la grande résignation de la France périphérique

     

    Entretien réalisé par Alexandre Devecchio

    Pour le journaliste et essayiste François Bousquet, Emmanuel Macron et son gouvernement ont peut-être d'ores et déjà pris acte qu'ils ne pourraient « qu'accompagner le déclin programmé des classes populaires ». Cet entretien [Figarovox, 30.08] est émaillé de justes analyses et de nombreuses questions pertinentes. On nous dit que François Bousquet a prononcé une conférence très remarquée au Camp Maxime Real del Sarte [20-27.08] qui vient de s'achever. Et qui est l'université d'été de la jeunesse d'Action Française.  LFAR  

     

    Francois-Bousquet.jpgL'érosion de la popularité de Macron était-elle dans l'ordre des choses, chronique d'une déception annoncée ?

    Il semblerait qu'on ait le plus grand mal à voir Emmanuel Macron pour ce qu'il est, à échelle réelle, sans succomber aux superlatifs de majesté ou aux doléances attristées. Dans les semaines qui ont suivi son élection, certains commentateurs ont même renoué avec de vieux réflexes courtisans qui nous ramenaient plus de trente ans en arrière, au temps de Mitterrand. Merkel patinait, Trump s'enlisait, mais Macron survolait la scène, internationale et intérieure. Une vraie apothéose romaine. D'où la convocation de Jupiter. Mais la « jupitérisation » aussi prématurée que subite du président rappelait la « citrouillification » de l'empereur Claude tant brocardé par Sénèque. Ainsi se vérifiait une fois de plus l'antique adage qui veut qu'il n'y ait jamais loin du Capitole à la roche Tarpéienne.

    Dès lors, les mêmes se sont mis à brûler ce qu'ils avaient adoré la veille. Hier leur héros marchait sur l'eau, aujourd'hui il coule. De l'avoir vu trop grand, ils le voient désormais plus petit qu'il n'est, alors que les Français se sont contentés de le faire descendre de son Olympe, parmi les mortels. Depuis, Macron a arrondi son personnage. Il fait des selfies comme Marine Le Pen, du jogging comme Sarkozy et des bains de pieds comme Hollande. Il est même l'heureux propriétaire d'un chien aussi noir que la chienne labrador de Mitterrand. Il redevient un président normal que peu de choses distinguent de ses prédécesseurs, sinon son jeune âge, sa relative inexpérience et celle de son gouvernement, comme le tendre Édouard Philippe croqué à pleines dents par Jean-Jacques Bourdin. Bref, il fait l'apprentissage d'une impopularité qui lui rappelle combien il a été mal élu, avec 40 % du corps électoral et moyennant un double référendum, au premier tour anti-Fillon, au second tour anti-Le Pen. Sans parler de l'abstention record des législatives marquées par une grève massive du vote ouvrier et employé, comme si la France périphérique avait tout de suite fait son deuil de la séquence politique qui s'ouvrait et n'annonçait rien de bon pour elle.

    Difficile de voir en Macron le candidat de cette France-là…

    Il a néanmoins endossé les habits du rassembleur, du moins dans l'entre-deux-tours. Depuis, plus rien. Au tout début des luttes des classes en France (1850), Marx rappelle que c'est le banquier Lafitte qui a accompagné à l'Hôtel de ville le futur roi des Français, Louis-Philippe, après les Trois Glorieuses, les journées révolutionnaires de juillet 1830. Et Lafitte confiait, rapporte Marx : « Désormais, ce sera le règne des banquiers. » Ironiquement, Lafitte était le chef du « parti du Mouvement », autant dire un homme déjà en marche! Aujourd'hui, il serait roi des Français. Disant cela, il ne s'agit pas d'épouser les outrances tapageuses d'un Mélenchon, mais de faire valoir que Macron ne peut pas être le champion de cette France périphérique, nonobstant son engagement de réconcilier « la France de l'optimisme, la France qui doute et la France en colère ». Il n'y a à ce jour rien dans l'agenda gouvernemental à destination de la France en colère, sinon le durcissement du contrôle technique ou la fin du diesel (changez de voiture !) et la baisse des dotations aux collectivités (changez de région !), qui frappent d'abord la France rurale et périurbaine. Pour le reste, qui connaît Jacques Mézard, le successeur de Richard Ferrand à la tête du ministère de la Cohésion des territoires ? Quelle est sa feuille de route ? Quelles mesures compte-t-il faire adopter pour rompre l'embargo territorial des « invisibles » ? Où est le grand ministère de l'Industrie qu'attendent les régions désindustrialisées ? Notre économie se serait-elle à ce point dématérialisée pour que le gouvernement ait cru bon de faire l'impasse sur une politique industrielle offensive ?

    Pour quelles raisons cette France périphérique a-t-elle ainsi disparu des écrans radars, politiques autant que médiatiques ?

    La vérité, c'est que tous les enseignements du premier tour - la validité des thèses de Christophe Guilluy sur les deux France, le retour d'un vote de classe (ou de déclassement) et la sécession de pans entiers de la population - ont été oubliés le soir même du second tour. Les ressorts du vote Front national (et dans une moindre mesure de la France insoumise) ne se sont pourtant pas volatilisés après le débat, ou le trépas, de Marine Le Pen devant plus de 15 millions de Français. Ils sont plus que jamais présents, mais occultés. C'est comme la lumière du frigo : ils sortent de l'agenda politique une fois la parenthèse électorale refermée. Il en va de même du traitement médiatique des catégories populaires, qui oscille généralement entre trois tentations. Au choix: l'invisibilisation, la diabolisation ou l'infériorisation (moins on est instruit, plus on vote populiste). Quand ces dernières réapparaissent sur les radars de contrôle, c'est pour se faire flasher.

    Cette France aurait-elle été sacrifiée ?

    Tout se passe comme si on avait pris acte en haut lieu qu'on ne pourrait qu'accompagner son déclin programmé via des plans sociaux et des politiques d'assistance. On a parfois le sentiment troublant d'assister au retour d'un darwinisme social soft, au préjudice des moins adaptés, au sens évolutif du terme. Cette vision commanderait-elle secrètement le choix des élites ? Dans la théorie social-darwinienne, le dépérissement des espèces qui ne présentent plus d'avantages reproductifs, autrement dit celles qui sont socialement inadaptées aux nouvelles conditions du milieu, est fatal. On retrouve un peu de cela dans le concept de « destruction créatrice » des économistes libéraux, dans certains romans de Houellebecq et tout au long du Manifeste du parti communiste.

    On ne fera pas l'injure à la future loi travail de dire qu'elle est l'héritière en filiation directe de ce monde-là. Il n'empêche, c'est chez Macron qu'on trouve avec le plus de fréquence les occurrences négatives des classes populaires : entre les « gens qui ne sont rien », les ouvrières « illettrées » des abattoirs Gap, « l'alcoolisme et le tabagisme » du bassin minier du Nord-Pas-de-Calais. On avouera que cela fait beaucoup. Dans quelle mesure la capacité de résilience des catégories populaires et l'incapacité de la France périphérique à se fédérer, en raison de sa dispersion géographique, autoriseront-elles les élites à persister dans cette voie, entre déni et mépris ? C'est toute la question. La résolution de ce qu'on appelait naguère la « question sociale », adossée à celle de l'insécurité culturelle, se trouve pour une bonne part dans la réponse qu'on lui donnera.  

    XVMa6c12fca-8d5e-11e7-8851-28a86c911c0f-100x155.jpgFrançois Bousquet est journaliste et écrivain. Il participe à la revue Éléments. Il a publié une biographie de l'écrivain pamphlétaire Jean-Edern Hallier. Il a publié récemment La droite buissonnière( éditions du Rocher, 2017), un essai sur l'influence de Patrick Buisson sur la droite française. 

     

     

     

    1630167502.jpgAlexandre Devecchio

    Al.exandre Devecchio est journaliste au Figaro, en charge du FigaroVox. Il vient de publier Les Nouveaux enfants du siècle, enquête sur une génération fracturée (éd. du Cerf, 2016) et est coauteur de Bienvenue dans le pire des mondes (éd. Plon, 2016)

     

    Lire aussi dans Lafautearousseau ...

    Eté 2017 : Les souffrances du jeune Macron

  • Tel est le titre alarmiste du Figaro d'aujourd'hui ... Mais qu'a fait la Droite pour parer au danger ?

     

    TRAVAUX DIVERS - Largeur +.jpgBravo à cet ancien principal de collège des quartiers nord de Marseille pour avoir écrit ce livre coup de poing qui pointe les dangers de l'emprise de l'Islam sur les adolescents et appelle à en finir avec la loi du silence. 

    Si l'islamisme gagne du terrain à l'école, il en gagnera demain à l'université, dans les entreprises, les métiers, les médias, la police et l'armée, parmi les votants, les élus, au sein des diverses institutions du pays ; il sera une part grandissante de notre natalité. En somme, il amplifiera son emprise sur la société française.

    Jusques à quand ? Le Figaro est bien aimable de faire écho à ce danger, aujourd'hui, à la une.  Il a raison de le faire. Mais que ne s'en est-il avisé plus tôt ? Par exemple, lorsque étaient au pouvoir les hommes de Droite qu'il soutenait et n'ont rien fait pour stopper l'immigration et affirmer les valeurs françaises - non pas républicaines, mais simplement françaises - face à la montée de l'islamisme.

    A cet égard, la responsabilité de la Droite est écrasante. Il lui en sera, un jour, sans-doute, demandé des comptes.

    Lafautearousseau 

  • Où Eugène Ionesco pourrait renseigner Emmanuel Macron sur le sens de son impopularité

     

    Article intitulé « Nos contemporains, les Gaulois », paru dans Le Figaro littéraire du 23 juin 1969 et repris dans l'ouvrage du même Ionesco intitulé Antidotes (Gallimard, 1977)

  • Eté 2017 : Les souffrances du jeune Macron

     

    En deux mots.jpgAprès sa fulgurante conquête du pouvoir, balayant les caciques et les candidats du Système, les vieilles structures partisanes, ce dont personne ne s'est plaint et que nul ne regrette, en tout cas pas nous, voici déjà pour Emmanuel Macron le temps de la défiance et du déclin.

    Nul ne peut se hasarder à dire s'ils sont ou non irréversibles, sauf l'expérience des derniers mandats, où malgré d'éphémères rebonds, ils furent tels. Impitoyablement.

    Ainsi, dans notre République, Jupiter est-il voué à descendre assez vite de l'Olympe et c'est ce qui est arrivé à Macron, et été.

    Cent jours auront suffi - le temps qui fut accordé à Napoléon pour aller de Golfe-Juan à Waterloo, qui fit perdre à la France sa position de 1ère puissance européenne - pour que tombe via les sondages le verdict des Français : 60% de mécontents. Dont 20% de très mécontents. 24 points se sont vite envolés en juillet et août. C'est le sujet omniprésent de cette rentrée. Et c'est aussi, en quelque manière, la vengeance des médias, qui avaient tant fait pour son élection, et que Macron voulut, à juste titre, remettre à leur place, aussitôt qu'il l'eût obtenue.

    On a qualifié cette élection de « triomphale ». On sait bien, pourtant, qu'elle ne l'a pas été. D'abord par le trop petit nombre de voix obtenues au premier tour, puis au second, où l'abstention, comme elle le sera aux Législatives, fut considérable. Parce que, d'autre part, le vote Macron, fut, comme pour ses prédécesseurs, sans véritable adhésion. Adhésion à quoi, d'ailleurs ? Pour la plupart des gens, y compris parmi ses pairs, Macron était d'abord une énigme ; son programme était inexistant ou indéchiffrable ; sa personnalité peu connue et, de toute façon, étrange. Il n'était - il n'est toujours - pas évident que la « pensée complexe » ni le fameux « en même temps » soient à la portée, ou du goût, de la plupart des Français. Il y eut surtout, à vrai dire, une curiosité bienveillante pour ce jeune-homme dynamique et charismatique, ou même christique dans ses moments les plus intenses d'exaltation et de romantisme et qui, par surcroît, promettait un « dégagisme » des plus sympathiques. Dans le fond, pourtant, comme ses prédécesseurs [Chirac, Sarkozy, Hollande], Emmanuel Macron a d'abord été élu « contre » : contre les « extrêmes » et contre le Système, bien que, selon toute évidence, il en fût, par excellence une émanation.

    Si peu démocrates que nous soyons, du moins au sens français, nous sommes d'avis qu'on ne gouverne pas bien ni très longtemps un grand peuple comme le peuple français, sans consentement ni adhésion.

    Les deux manquent depuis longtemps aux Chefs de l'Etat successifs de la Vème République. Si monarchique que soit la mécanique des actuelles Institutions et même si elles permettent au Chef de l'Etat de se maintenir contre vents et marées le temps de son mandat et de gouverner tant bien que mal, le manque de consentement et d'adhésion à leur personne comme à leur politique, ne leur permet aucune action, aucune réforme, d'envergure.

    Ce vice institutionnel profond, ce manque d'adhésion au Régime, qu'il avait perçu et exprimé du temps qu'il était ministre, comment Emmanuel Macron y réagira-t-il, y parera-t-il, maintenant que les vents lui sont contraires ?

    Ce peut être d'abord comme par une sorte de colère, de réprobation à l'endroit des Français, ainsi qu'il les a exprimées l'autre jour à Bucarest, pestant contre ce pays qui est incorrigiblement « inréformable », ces Français qui « détestent les réformes ». C'est à dire, en l'occurrence, malencontreusement, sa politique.

    Les biographes d'Emmanuel Macron le présentent volontiers comme cet « enfant gâté », selon l'appréciation d'Attali, à qui, depuis l'enfance, rien n’est refusé, tout réussit, qui s'est habitué de longue date à l'admiration de son entourage - famille, professeurs, condisciples - à ce que rien ne résiste à son charisme, rien à sa puissance de travail et de séduction, à sa faculté de convaincre. Par intelligence et empathie. 

    Mais le peuple français est autre chose que le cercle de famille, le petit monde des grandes écoles, le cercle des poètes disparus, autre chose que les « vieux » cultivés, influents ou très fortunés qu'il aime et, selon ses amis, qu'il excelle à « draguer », tels, chacun en son temps, Michel Rocard, Jacques Attali, David de Rothschild, Paul Ricoeur, Alain Minc et quelques autres, « parrains et grands frères ».

    Mais le Kairos, qu'il aime invoquer, dont il se croit bénéficiaire, ce temps favorable, ce temps de Dieu, ce temps de « la vie opportune » selon Verlaine, qui autorise tous les espoirs et garantit le succès des entreprises les plus hardies, semble en cette fin du mois d'août avoir plus ou moins abandonné notre Rastignac un peu illuminé. Pompidou disait de De Gaulle à Peyrefitte : « Vous savez, le Général est spécial ». Et c'était en un sens fort. Mais, à maints égards - sa vie singulière, sa psychologie souvent inquiétante...- Emmanuel Macron ne l'est pas moins.

    Comment surmontera-t-il l'épreuve politique et personnelle de l'impopularité que tous les Hollande, tous les Juppé, tous les Attali du microcosme se hâtent déjà d'exploiter.

    Alors Macron éprouvera peut-être combien il avait eu raison, du temps où il était ministre, de méditer sur l'incomplétude de notre démocratie, de constater que ce qu'il manque à la France c'est un roi et, à cet égard, de déplorer le grand vide de l'Elysée, qu'il n'aura pas comblé. Peut-être s’apercevra-t-il alors que l’élection ne confère pas la Royauté.

    Fini le Kairos, le temps favorable, le temps de Dieu. En cette fin d'été, pour Emmanuel Macron voici revenir Chronos qui dévore les heures et les jours, l'Histoire et les hommes.  

    Retrouvez l'ensemble de ces chroniques en cliquant sur le lien suivant ... :

    En deux mots, réflexion sur l'actualité

  • L. Dandrieu : « La sécurité personnelle ne peut exister si les nations basculent dans l'anarchie »

     

    Entretien par Eugénie Bastié

    Laurent Dandrieu réagit ici à la publication d'un texte dans lequel le pape François va très loin dans la défense des migrants [Figarovox, 22.08]. Il déplore le désintérêt du souverain pontife pour les pays qui les accueillent. Lafautearousseau, de son côté (voir lien en fin d'article) a marqué son désaccord avec ces déclarations. Lorsque le Pape empiète sue le terrain politique et lorsque, ce faisant, il nuit gravement à la sécurité ou à la stabilité de notre société, nous n'avons aucunement l'obligation de le suivre et, au contraire, en de tels cas, nous avons le devoir de nous y opposer.  LFAR  

     

    2591938438.jpgLe pape François vient de publier un texte où il plaide pour «faire passer la sécurité personnelle [des migrants] avant la sécurité nationale», et appelle à un accueil beaucoup plus large des migrants. Que vous inspirent ces propos? Sont-ils inédits ?

    Il me semble que ce message qui vient d'être publié en préparation de la Journée mondiale du migrant et du réfugié 2018, qui aura lieu le 14 janvier prochain, est dans la droite ligne des positions défendues par le pape François depuis le début de son pontificat, mais qu'il va cependant plus loin que d'habitude sur un certain nombre de points. Dans un entretien accordé à une radio portugaise le 14 septembre 2015, par exemple, le pape reconnaissait le risque d'infiltration terroriste lié à la crise des migrants, mais n'en ajoutait pas moins qu'« à l'évidence, si un réfugié arrive, en dépit de toutes les précautions liées à la sécurité, nous devons l'accueillir, car c'est un commandement de la Bible ». Quand, dans ce nouveau message, François écrit que « le principe de la centralité de la personne humaine (…) nous oblige à toujours faire passer la sécurité personnelle avant la sécurité nationale », il donne en quelque sorte une version plus théorique de cette précédente déclaration.

    La question est de savoir si, ce faisant, il ne cède pas à un certain idéalisme, potentiellement désastreux : car c'est oublier que la sécurité nationale est le plus sûr rempart de la sécurité personnelle, et qu'il n'existe aucune sécurité personnelle qui puisse exister en dehors de cadres politiques, juridiques et légaux qui en sont le rempart. Aucune sécurité personnelle ne peut exister si les nations occidentales, par exemple, du fait du terrorisme ou d'une immigration incontrôlée et ingérable, basculent dans l'anarchie.

    Par ailleurs, le principe de la centralité de la personne humaine oblige à considérer, aussi, que les citoyens des nations occidentales ont un droit évident à la sécurité nationale. On attend vainement, tout au long de ce texte, une prise en considération des intérêts des populations des pays d'accueil, qui ont droit, eux aussi, à la sollicitude de l'Église, et dont une partie de plus en plus importante vit, elle aussi, des situations de grande détresse et de grande précarité, matérielle, spirituelle et morale.

    Deuxième élément important et pour le coup très novateur de ce texte : le pape prend position pour « la défense des droits et de la dignité des migrants ainsi que des réfugiés, indépendamment de leur statut migratoire » : ce qui veut dire qu'il réclame des droits égaux pour les clandestins et pour les immigrants légaux, pour les demandeurs d'asile et pour les immigrés économiques. Parmi ces droits figurent « la liberté de mouvement dans le pays d'accueil, la possibilité de travailler et l'accès aux moyens de télécommunication »: ce qui veut dire, concrètement, que le pape réclame un droit d'installation préalable pour tous les migrants, avant même que soit étudié leur cas. Ce qui revient à donner une prime à l'illégalité d'autant plus forte qu'il est évident qu'un clandestin qui, entre-temps, aura trouvé un moyen de subsistance, aura d'autant moins de chance de voir son dossier rejeté. Cette prime à l'illégalité me paraît une seconde atteinte, très forte, contre les droits des nations et la citoyenneté: car la nation, la citoyenneté n'existent que par un consensus sur la légitimité de la loi. Si on postule que la loi est faite pour être contournée, il n'y a plus de bien commun possible.

    Ce discours a-t-il selon vous une dimension politique ?

    Un autre aspect du message me semble clarifier ce qui apparaissait jusqu'alors une ambiguïté dans le discours de François. Il prônait jusqu'alors une grande générosité dans l'accueil, sans que l'on sache toujours si cela signifiait un simple rappel évangélique de la charité avec laquelle le chrétien se doit de traiter l'étranger croisé sur sa route, ce qui relève à l'évidence du rôle du pape, ou s'il s'agissait d'un appel plus politique, et donc plus discutable, à ouvrir les frontières. En stipulant que la protection des migrants « commence dans le pays d'origine », c'est-à-dire consiste à les accompagner à la source dans leur désir de migrer, le pape assume plus clairement que jamais la dimension politique de ce discours, la volonté de ne pas se cantonner à affronter une situation de fait, mais en quelque sorte d'accompagner et d'encourager ce mouvement migratoire vers l'Europe.

    Dernière clarification : en stipulant que les migrants doivent être mis en situation de se réaliser y compris dans leur dimension religieuse, le pape François donne une sorte de blanc-seing à l'entrée massive de populations de religion musulmane et à l'acclimatation de la religion musulmane sur le continent européen, en semblant indifférent aux innombrables problèmes identitaires et sécuritaires que cela pose.

    La position de François tranche-t-elle avec celle de ses prédécesseurs, et notamment celle de Benoit XVI ? Que dit l'Église sur le devoir d'accueillir les migrants?

    La continuité est indéniable, et est attestée dans ce message par des nombreuses citations de son prédécesseur. Quand le pape prône le regroupement familial, au risque de transformer systématiquement les réfugiés temporaires en immigrés permanents, il ne fait que reprendre des positions défendues inlassablement, par exemple, par Jean-Paul II et Benoît XVI, comme je le montre abondamment dans mon livre.

    Le discours de l'Église, en son Catéchisme, reconnaît à la fois le droit de migrer quand la nécessité s'en fait sentir, et le droit des États de limiter les flux quand ils l'estiment nécessaire. Mais, dans les faits, le discours des papes oublie fréquemment ce second aspect. Il l'oublie d'autant plus volontiers que l'Église a souvent cédé à une vision quasi messianique des phénomènes migratoires, censés conduire vers « l'unité de la famille humaine », selon l'expression de Jean XXIII. Jean-Paul II écrit ainsi que « parmi toutes les expériences humaines, Dieu a voulu choisir celle de la migration pour signifier son plan de rédemption de l'homme », et Benoît XVI y voit une « préfiguration anticipée de la cité sans frontières de Dieu ». Face à cela, la protection de la population des pays d'accueil est condamnée à peser de peu de poids, et de fait, elle est quasiment absente du regard que l'Église pèse sur les phénomènes migratoires. En face de cela, l'Église prône inlassablement l'intégration du Migrant, avec un grand M, sans se poser la question de savoir concrètement qui est ce migrant, et si le fait qu'il vienne, en grand nombre, avec un bagage culturel et religieux radicalement différent du nôtre, et dans certains cas incompatible avec le nôtre, ne rend pas cette intégration pour le moins illusoire.

    L'État nation et l'existence de frontières se justifient-ils d'un point de vue théologique?

    Bien évidemment, car c'est une suite logique du commandement d'honorer son père et sa mère. Saint Thomas d'Aquin écrit qu'« il appartient à la piété de rendre un culte aux parents et à la patrie » et, à la suite de saint Augustin, stipule qu'on doit la charité en priorité à ceux qui nous sont proches par les liens du sang ou de la citoyenneté. Léon XIII écrit que « la loi naturelle nous ordonne d'aimer d'un amour de prédilection et de dévouement le pays où nous sommes nés et où nous avons été élevés », et Pie XII enseigne que « dans l'exercice de la charité il existe un ordre établi par Dieu, selon lequel il faut porter un amour plus intense et faire du bien de préférence à ceux à qui l'on est uni par des liens spéciaux. Le Divin maître lui-même donna l'exemple de cette préférence envers sa terre et sa patrie en pleurant sur l'imminente destruction de la Cité sainte.»

    Plus récemment, Jean-Paul II a abondamment développé cette « théologie des nations », des nations qu'il ne voit pas seulement comme un bien politique, un outil au service du bien commun, mais à qui il reconnaît une dignité spirituelle éminente : la nation, explique-t-il, de toutes les communautés humaines, est « la plus importante pour l'histoire spirituelle de l'homme ». Il va même jusqu'à dire que « la fidélité à l'identité nationale possède aussi une valeur religieuse. » De là, on peut évidemment déduire que les nations ont un droit irrépressible à défendre leur identité nationale face aux menaces extérieures, comme une immigration incontrôlée et inintégrable.

    « L'intégration n'est pas une assimilation qui conduit à supprimer ou à oublier sa propre identité culturelle », a aussi dit le pape. Y a-t-il position traditionnelle de l'église en matière d'assimilation ?

    Cette condamnation de l'assimilation, au nom du respect de la culture d'origine de l'immigré, est malheureusement une constante dans le discours de l'Église sur l'immigration. Jean-Paul II va jusqu'à la renvoyer dos à dos avec des politiques de discrimination allant jusqu'à l'apartheid : « On doit en effet exclure aussi bien les modèles fondés sur l'assimilation, qui tendent à faire de celui qui est différent une copie de soi-même, que les modèles de marginalisation des immigrés, comportant des attitudes qui peuvent aller jusqu'aux choix de l'apartheid. » Je dis « malheureusement », car on ne voit pas bien, dès lors, malgré les appels répétés de l'Église à une politique d'intégration, comment l'appel de la hiérarchie catholique à un accueil généreux des migrants pourrait ne pas déboucher sur un multiculturalisme, d'ailleurs parfaitement assumé par le pape François.

    Le problème est que ce multiculturalisme aboutit dans les faits à un refus de considérer la culture du pays d'accueil comme une culture de référence, et rend de facto l'intégration illusoire. Sous la pression de l'immigration de masse et de l'idéologie multiculturaliste, les sociétés occidentales se réduisent de plus en plus à une juxtaposition de communautés d'origines, de cultures et de religions différentes, qui se regardent en chiens de faïence faute d'avoir de référence commune, autre que de très vagues principes abstraits, tels que cette « culture de la rencontre » à laquelle le pape François tend à réduire l'identité européenne. Le bien commun, faute de valeurs partagées, se réduit ainsi à un vivre ensemble qui, de plus en plus, tourne dans la réalité à un apartheid de fait. Soit le contraire du but recherché, et une catastrophe civilisationnelle majeure en germe tant pour les peuples européens que pour les populations immigrées. •

    Laurent Dandrieu est rédacteur en chef des pages Culture à Valeurs Actuelles. Il a publié Église et immigration, le grand malaise. Le pape et le suicide de la civilisation européenne, de Laurent Dandrieu. Presses de la Renaissance, 288 p., 17,90 €. 

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    Eugénie Bastié

    Journaliste & essayiste - Sa biographie 

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    Désolés, Saint-Père, nous ne sommes pas d'accord

  • Histoire & Actualité • Regards sur les rapports Islam-Europe depuis treize siècles [2]

     

    TRAVAUX DIVERS - Largeur +.jpgOn sait que, sous diverses formes et une plus ou moins grande extension, la domination de l’Islam sur l’Espagne a duré presque huit siècles. Jusqu’à ce que la prise de Grenade, en 1492, achève la Reconquista. 

    Publié le 12.06.2009 - Actualisé (extraits) le 27.08.2017

    El rey.jpgL'expulsion des Morisques d'Espagne

    Cet article évoque un exemple historique : l'expulsion des Morisques d'Espagne, qui fut promulguée par Philippe III d'Espagne, le 22 septembre 1609. Plus d’un siècle après la chute de Grenade.

    Et l'on verra que, sur deux points tout à fait majeurs, parler de l'Espagne de 1609 revient, sous plusieurs aspects, à parler de la France d’aujourd'hui, tant sont grandes, au point d'en être surprenantes, les ressemblances entre les deux situations*. 

    Les Morisques d'Espagne étaient ces descendants des populations d'origine musulmane converties au Christianisme par le décret des Rois catholiques du 14 février 1502. Parmi eux, il y avait des Arabes, des Berbères, mais également une grande majorité d'Espagnols qui s'étaient convertis depuis des siècles à l'Islam.

    Plus d'un siècle après leur conversion forcée au Christianisme, et bien que devenus, à force de métissage, physiquement indiscernables des « vieux chrétiens », une grande partie des Morisques se maintenait comme un groupe social cloisonné du reste de la société espagnole en dépit de la perte de l'usage de la langue arabe au bénéfice du castillan et de sa connaissance très pauvre des rites de l'Islam, religion que beaucoup continuaient toutefois à pratiquer en secret.   

    femme morisque de Grenade 3.jpgEn 1568-1571 eut lieu la Rébellion des Alpujarras, menée par les Morisques de Grenade (le dernier territoire à avoir été reconquis par les Espagnols, en 1492, ce qui mit un terme aux presque huit siècles de Reconquista). L'opinion selon laquelle cette minorité religieuse constituait un véritable problème de sécurité nationale gagna alors, régulièrement, du terrain. [Illustration : femme morisque de Grenade]. Les morisques étaient couramment soupçonnés de complicité avec les Turcs, les pirates barbaresques qui pillaient périodiquement le littoral espagnol, ou même avec les Français. Mais surtout l'année 1604 marqua le début d'une récession économique dans la péninsule, conséquence d'une première baisse dans l'arrivée des ressources du Nouveau Monde. La dégradation des conditions de vie des Chrétiens les mena à considérer avec défiance celles des Morisques.

    C’est là un premier élément de ressemblance frappant entre les deux époques et les deux pays : la crise économique .

    La répartition des Morisques à l'intérieur de l'Espagne était assez irrégulière : si leur présence était négligeable en Castille et dans tout le nord/nord-ouest, ainsi qu'en Catalogne, ils représentaient environ le cinquième de la population de l'Aragon, le tiers de la population du royaume de Valence, et plus de 55% dans le royaume de Grenade. Selon les estimations, leur nombre pouvait s'élever - au minimum - à environ 325 000 membres et - au maximum - jusqu'à un million, sur un total d'approximativement 8,5 millions d'habitants. Mais il faut noter que leur taux de croissance démographique était nettement supérieur à celui des Chrétiens.

    Mais voici le deuxième élément de ressemblance frappante entre l'Espagne de 1609 et la France de 2017 : contrairement à ce que l'on pourrait penser, l'expulsion des Morisques ne faisait pas du tout l'unanimité dans l'opinion publique de l'époque. En clair, il y avait des partisans (et nombreux, et farouches) de la présence de ces populations en Espagne. Et pour quelle(s) raison(s) ? Tout simplement parce que - pour ne parler que d'elles - les noblesses aragonaises et valenciennes profitaient de cet état de fait, particulièrement en termes de main-d'œuvre sur leurs terres. La classe paysanne, cependant, voyait les morisques d'un mauvais œil et les considérait comme des rivaux. Ne retrouve-t-on pas là nos patrons véreux d'aujourd'hui, qui ont fait le choix de compromettre l'avenir économique du pays, dans le but d'augmenter leurs profits immédiats, grâce à une main d'œuvre bon marché (ce que nous traduisons par chair à profit…), plutôt que d'investir dans la Recherche et préparer l'avenir par les investissements ?... Et, parallèlement, le petit peuple qui voit d'un mauvais œil ces concurrents sur un marché du travail qui se rétrécit ? (Voir les récentes manifestations ouvrières en Angleterre pour le travail anglais aux anglais...) 

    Jusqu'en 1608 la politique menée envers les Morisques avait été celle de la conversion, bien qu'il y ait eu quelques tentatives de politiques plus radicales de la part de Charles Ier (c'est-à-dire Charles Quint, le même roi étant Charles Premier d'Espagne et Charles V, empereur d'Allemagne) et de son fils Philippe II, respectivement en 1526 et 1582. Ce n'est cependant qu'à partir de 1608 que le Conseil d'État commença à envisager sérieusement le choix de l'expulsion, pour la recommander au souverain l'année suivante.

    Le déroulement de l'expulsion dans l'ensemble des royaumes espagnols se prolongea jusqu'en 1614. Le nombre de personnes ainsi concernées varie, comme nous l'avons vu plus haut, entre 300 000 (fourchette basse) et 1.000.000 (fourchette haute).          

    Valence.jpgIl fut décidé de commencer par Valence (ci-contre), la zone la plus concernée par la mesure. Les préparatifs furent menés dans le plus grand secret. À partir du mois de septembre des régiments d'infanterie, les tercios, venus d'Italie prirent position dans le nord et le sud du royaume de Valence et le 22 du même mois le vice-roi ordonna la publication du décret. (Ceux gravure d'époque de Vicente Carducho, Musée du Prado..jpgdont parlera Hugo : « la redoutable infanterie espagnole » - Ci-contre, gravure d'époque de Vicente Carducho, Musée du Prado. On y voit bien la présence des troupes, à droite..

    L'aristocratie valencienne se réunit avec des représentants du gouvernement pour protester contre l'expulsion qui supposait une diminution significative de ses revenus, mais l'opposition faiblit avec la promesse de récupérer une part des propriétés terriennes des Morisques. On permit à ces derniers de prendre tout ce qu'ils pouvaient emporter, mais leurs maisons et terrains furent octroyés à leurs seigneurs, sous peine de mort en cas d'incendie ou de destruction avant le transfert des biens.         

    À partir du 30 septembre, ils furent menés aux différents ports du royaume, où on les obligea même à payer le trajet. Les premiers Morisques furent transportés vers Oran et les ports de l'Oranie, où ils furent quelquefois fort mal reçus et parfois même attaqués par les autochtones. Ceci causa de grandes craintes parmi la population morisque n'ayant pas encore été déportée, et le 20 octobre se produisit un soulèvement contre l'expulsion. Les rebelles furent vaincus en novembre et l'expulsion des Morisques valenciens fut menée à terme.

    Au début de 1610 eut lieu l'expulsion des Morisques aragonais, suivie en septembre par celle des catalans....

    On remarquera que nous nous bornons, ici, à rappeler un fait historique, et que notre but n'est pas de porter un jugement de valeur. Nous nous contentons de constater, à travers cet exemple, que si et quand un gouvernement, un Etat, un pays, décide, pour telle ou telle raison, d'expulser, il peut le faire, et que cela s'est vu dans l'histoire.... C'est une question de volonté politique. (A suivre)    •   

    * Cette comparaison presque absolue que l’on peut faire, sur deux points essentiels, entre la situation de l’Espagne d’alors et celle de la France d’aujourd’hui peut d'ailleurs s'étendre aussi, plus généralement, à l’Europe ; et, plus généralement encore, à l’ensemble du monde blanc...    

     

    Pere Oromig, Embarquement des Morisques au Grao de Valence.jpg

    Pere Oromig, Embarquement des Morisques au Grao de Valence

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    Histoire & Actualité • Regards sur les rapports Islam-Europe depuis treize siècles [1]

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  • Culture • Au Mucem de Marseille, plus belle l’expansion musulmane

     

    ParJean-Paul Brighelli

    On sait que nous aimons les textes de Jean-Paul Brighelli, son style, son expression directe et sans ambages, son érudition, son bon sens, son non-conformisme, devenu, de nos jours, une qualité des plus appréciables. . Même, ajouterons-nous,  si nous ne partageons pas toutes ses idées. L'article qui suit - paru sur son blog le 22.08 - ne fait que nous conforter dans nos appréciations. LFAR 

    L’exposition sur les « aventuriers des mers » du musée des civilisations de l’Europe et de la Méditerranée (Mucem) est en fait une ode à l’expansion musulmane.  

    3327923779.jpgJe venais de traverser le Panier, qui comme son nom l’indique est une colline au-dessus du port de Marseille, et en redescendant, je suis tombé sur l’immense esplanade désespérée qui mène au MUCEM. « Aventuriers des mers » : un programme d’autant plus alléchant que l’Inspection générale a eu la bonne idée de décréter que le thème des prépas scientifiques, cette année, serait justement l’Aventure (Homère, Conrad, Jankelevitch).

    Quoiqu’échaudé déjà par quelques expositions médiocres montées dans ce cube de dentelles noires construit lorsque Marseille était capitale européenne de la culture (non, non, ne riez pas), ce MUCEM dont les collections permanentes n’ont ni rime ni raison — une juxtaposition d’objets hétéroclites et ethniques —, je me suis risqué.

    La citation d’Albert Londres, à l’entrée, faisait bon genre — beau sujet de dissert en perspective : « Dans le même voyage, l’homme de terre et l’homme de mer ont deux buts différents. Le but du premier est d’arriver, le but du deuxième est de repartir. La terre nous tire vers le passé, la mer les tire vers le futur. » C’est dans Marseille, porte du sud, publié en 1927. J’aime beaucoup Albert Londres, qui pensait que le métier de journaliste consiste à « porter la plume dans la plaie ». Tout un monde — disparu. Londres mourut dans l’incendie du Georges Philippar, quelque part au large d’Aden, en 1932, peut-être allumé pour lui : notre grandeur se mesure à la taille des bûchers qu’on nous prépare. C’est ça aussi, l’aventure — le risque du naufrage.

    Bref, je suis entré plus avant dans l’expo animé des meilleures intentions. 

    J’aurais dû me méfier en constatant que le premier « document » présenté était un extrait du Coran. J’aurais dû préparer ma visite en me rendant sur le site du MUCEM, où Vincent Giovannoni, conservateur du musée et commissaire de l’exposition, déclare : « L’exposition débute par la mise en place, au VIIe siècle, d’un empire des deux mers, celui des Omeyyades qui, régnant sur la mer Méditerranée et l’océan Indien, va permettre le développement du commerce maritime entre ces deux mondes. » Cet intéressant garçon, ethnologue (qui ne l’est pas ?) spécialiste des techniques de pêche dans l’étang de Thau, continue sur sa lancée : « Et puis, en commerçant, on rencontre « l’autre ». De l’histoire de ces rencontres, l’exposition n’élude ni l’esclavage, ni les tentatives d’évangélisation entreprises par les Européens. Elle raconte mille ans de projets commerciaux et, au final, de guerres économiques entre l’Orient et l’Occident. » C’est sûr que seul l’Occident (les « tentatives d’évangélisation », hein…) s’est rendu coupable d’esclavage et de colonisation. Que les Arabes aient conquis au VIIème siècle un immense empire par le fer et par le feu ; que les Turcs le leur aient subtilisé en appliquant les mêmes méthodes, en pire ; que les uns et les autres aient pratiqué les conversions forcées, les massacres, le pal en série, l’esclavage à bien plus grande échelle que l’Occident négrier, tout cela ne compte pas. La culpabilité sera chrétienne ou ne sera pas. Ici les bourreaux et là-bas les pauvres victimes.

    J’aurais surtout dû savoir que l’exposition était la reprise — avec moins d’ampleur, d’intelligence et d’objets présentés — d’une exposition présentée à l’Institut du Monde Arabe (IMA) en 2016.

    Or, quel était le fil conducteur de l’expo parisienne ? « Guidés par Sindbad le marin de légende, al-Idrîsî le géographe, Ibn Battûta l’explorateur et bien d’autres encore, embarquez au côté des Arabes, maîtres des mers, et des grands navigateurs européens qui empruntèrent leurs routes, pour un fabuleux périple en Méditerranée et jusqu’aux confins de l’océan Indien. Des débuts de l’islam à l’aube du XVIIe siècle, une aventure en mer à voir et à vivre, au fil d’un parcours immersif exceptionnel mêlant son, images et procédés optiques. D’extraordinaires récits de voyages ont conté la richesse des échanges maritimes entre les mers de l’Ancien Monde. Les plus fameux des témoins-voyageurs partagent avec vous ces fabuleux récits, fils d’Ariane de l’exposition. Ils vous emmènent à la croisée de l’or d’Afrique et de l’argent d’Occident, des monnaies grecques et des diamants de Golconde, des verreries d’Alexandrie, de Venise ou de Bohême et des porcelaines, des soieries et des épices venues de Chine et des Moluques. »

    Capture-d’écran-2017-08-22-à-12.49.17.pngAinsi parlait le prospectus de présentation, en toute logique . Explorateurs et aventuriers ont peut-être des pensées de commerce et de lucre, mais l’inspiration initiale leur vient des mythes littéraires. L’Occident s’est enté sur Ulysse et Enée, l’Odyssée et l’Enéide, l’Orient sur Sindbad et les 1001 nuits. On « fait comme » — puis on dépasse la légende pour construire la sienne. Les navigateurs arabes sont partis eux aussi à la poursuite d’un rêve, des démons et merveilles comme cet oiseau Rukhkh (ou Roc, dans les traductions françaises) qui s’en prend justement au navire de Sindbad.

    Mais que nous dit l’illustrissimo facchino Vincent Giovannoni ? « Le Mucem étant un musée de civilisations, plutôt que de valoriser les « héros », nous faisons la part belle aux cultures, aux civilisations et aux échanges. (…) Ce qui nous importe enfin, c’est les relations interculturelles, les échanges entre les civilisations. »

    Le voyez-vous pointer le bout de son nez, notre spécialiste de la pêche du loup aux leurres ? Des produits d’artisanats divers, des casiers pleins d’épices, des bouts de tissus et des tapis persans. Mais de héros et de grands voyageurs, peu de nouvelles.

    On y présente par exemple l’extraordinaire mappemonde de Fra Mauro, réalisée vers 1450 et à lire tête bêche, à l’époque on mettait le sud en haut (si vous voulez en savoir plus, lire le Rêve du cartographe, de James Cowan, Ed. Hozholi, 2015), d’une précision qui suppose une enquête minutieuse, sans nous dire que le moine vénitien — aidé d’un marin et cartographe de la ville, Andrea Bianco — s’est appuyé entre autres sur le récit de Nicolò de’ Conti, qui entre 1414 et 1440 parcourut le Moyen-Orient, navigua sur le golfe persique, passa le détroit d’Ormuz, atteignit les Indes, descendit à Ceylan, puis Sumatra, le golfe du Bengale, la Carte-de-Fra-Mauro (1).pngBirmanie, la Malaisie — et retour, un homme que les gentils Musulmans de l’époque obligèrent, lui et sa famille, à se convertir à l’islam sous peine de mort. C’est même à cette apostasie pas du tout imposée que l’on doit le récit de son voyage, car le pape auquel il était allé demander pardon du sacrilège consentit à le ramener dans le sein de la chrétienté pourvu qu’il raconte son périple à son secrétaire, Poggio Bracciolini. D’où la mine d’informations dont a bénéficié Fra Mauro pour établir sa carte.

    Et Nicolò de’ Conti n’était pas le seul, splendides aventuriers qui ne devaient rien — mais alors, rien — à l’expansion arabe.

    Bezoard-Inde-©-Khm-museumsverband.jpgJe ne veux pas avoir l’air de dénigrer. L’exposition du MUCEM est encore riche d’objets précieux, comme ce bézoard (la panacée, l’anti-poison miracle, le remède des remèdes, comme la corne de rhinocéros pilée ou les poils de tigre) ramené des Indes [ci-contre].

    Ou cette tapisserie monumentale illustrant l’arrivée de Vasco de Gama à Calicut.

    A la fin de l’expo — mais on ne comprend pas pourquoi elle finit là si l’on ne sait pas, depuis le début, qu’elle ne se préoccupe en fait que de l’expansion musulmane —, un tableau vénitien magistral, quoiqu’un peu fouillis, célèbre la bataille de Lépante, « la meravigliosa gran vitoria data da Dio », comme dit la légende au bas de la toile,où les bateaux de Don Juan d’Autriche ont flanqué la raclée aux galères turques. À côté de moi, une jeune femme accrochée au bras d’un monsieur un peu plus âgé murmura à son compagnon : « Et à votre avis, il est où, Cervantès, dans ce fatras ? Et est-ce qu’il a déjà perdu son bras ? »

    imagevascodegamavoyage.jpg

    L’arrivée de Vasco de Gama à Calicut.

     

    Capture-d’écran-2017-08-22-à-12.55.10 (1).png

    La bataille de Lépante

    J’ai acheté le catalogue, splendide et intelligent, qui vous dispensera de l’expo, et je suis ressorti. Il faisait toujours beau. Sur la façade du MUCEM était annoncée la prochaine manifestation culturelle : Je gage que celle-là sera 100% marseillaise, et qu’y officiera peut-être Christian Bromberger, prof d’ethnologie à la fac d’Aix — c’est lui qui a dirigé la thèse aquatique de Vincent Giovannoni. Il a une double spécialité : l’Iran moderne et le foot. Deux beaux sujets pour célébrer la paix et la fraternité.  

      

    Capture-d’écran-2017-08-21-à-16.12.57.png

    Liens

    le site du MUCEM

    Exposition présentée à l’Institut du Monde Arabe

  • Histoire & Actualité • Regards sur les rapports Islam-Europe depuis treize siècles [1]

    Détroit de Gibraltar, vue satellite

     

    Publié le 21.06.2009 - Actualisé (extraits) le 26.08.2017

    TRAVAUX DIVERS - Largeur +.jpgIl s’agit ici - l'actualité nous y invite - de réfléchir, avec un certain recul et de façon, bien-sûr, non exhaustive, sur ce que sont, au fond, les rapports entre l'Islam et l'Europe (la Chrétienté, l'Occident) depuis treize siècles. 

    Ce que nous vivons aujourd'hui n'est pas inédit

    On a souvent tendance, en effet, à s'imaginer que ce que l'on vit est inédit ; que l'on est la première génération à être confrontée à tel ou tel problème... qui se poserait pour la première fois.

    C'est, très souvent, une grossière erreur. Les générations passées ont presque toujours été confrontées aux mêmes difficultés et ce que nous vivons, d'autres l'ont vécu avant nous. La forme, les apparences extérieures, l'habillage, changent, mais, en ce qui concerne le cœur des problèmes, comme le dit le vieil adage, il n'y a rien de nouveau sous le soleil.

    Ainsi en est-il des rapports entre le monde européen et l'Islam, que ces rapports soient conflictuels ou non. Certains voient une grande nouveauté dans l'irruption de l'Islam, d'un certain Islam en Europe. Et, certes, si l'on ne se réfère qu'au temps court de l'Histoire, il y a bel et bien une irruption de l'Islam dans notre quotidien et c'est bel et bien une nouveauté : nos parents et nos grands-parents n'ont jamais vu les rues que nous voyons, c'est clair. Mais, si l'on remonte plus loin dans le temps, force est de constater que l'Europe a été confrontée deux fois déjà à une invasion musulmane. Ce que nous voyons, subissons aujourd'hui n'étant, en somme, qu'une troisième tentative.

    Si nous sommes - car il faut l'être - extrêmement inquiets de ce qui se passe, de ce à quoi nous assistons, il faut bien se dire que l'Europe en a vu d'autres ! Donc, pessimistes actifs, oui (et le plus actifs possible, mieux vaut agir que geindre), découragés et battus d'avance, certainement pas...

    Voyons quelques points d’Histoire, ici aux premiers siècles de l’Islam.

    L'Europe a été conquise militairement - en partie du moins – déjà deux fois par l'Islam.

    772502352.jpgLa première invasion, par le sud-ouest et l'Espagne

    A partir de 711, ne rencontrant qu'une monarchie wisigothique très affaiblie par toutes sortes de dissensions internes, les Maures envahirent en effet sans peine la péninsule ibérique, qu'ils conquirent presque entièrement, avant de passer en France, où ils suivirent en gros deux routes très différentes : l'une vers le sud-est et la Provence, l'autre plein Nord / Nord-Ouest, vers Poitiers. 

    En Provence, leur souvenir reste dans la toponymie de certains lieux, comme La Garde Freinet, ou le Massif des Maures, et dans certaines légendes locales, comme celle de la Chèvre d'or (la Cabro d'or), dans la région des Baux-de-Provence. Mais ils ne laissèrent aucune trace durable ni profonde, d'aucune sorte.

    Leur incursion dans le Nord, dans le but de piller le riche monastère de Saint Martin de Tours, ne leur sera pas bénéfique : ils seront défaits à Poitiers par Charles Martel, en 731 ou 732. Et là non plus, ils ne laissèrent aucune trace.

    Il ne s'agissait pas d'Arabes, comme on le croit souvent, (les Arabes n'ont jamais envahi l'Espagne, encore moins la France) mais de guerriers musulmans venus des anciennes provinces romaines de l'Afrique et de la Mauritanie (en gros, l'actuel Maroc), conquises par l'Islam à partir du VII° siècle. Ce qui est vrai, par contre, c'est que ces tribus de guerriers - la masse des envahisseurs -  avaient bien à leur tête des Émirs arabes, chassés de Syrie lors d'une révolution de palais, ayant mis fin au califat de la tribu des Omeyades. Ceux-ci, pour sauver leur tête, partirent se réfugier aux extrémités de leur ex-empire, le plus loin possible de ceux qui les avaient chassés, et souhaitaient les exterminer : au Maroc, là où le soleil se couche (c'est l'origine du mot Maghreb). D'où la confusion fréquente, dans l'imaginaire collectif.  

    810507042.jpgLes troupes que commandaient ces Émirs arabes, venus donc de Syrie, étaient essentiellement les tribus des Almoravides (ci-contre) - contre lesquelles lutta le Cid - puis celles des Almohades - contre lesquels la chrétienté européenne, unie face au danger - remporta la victoire décisive de Las Navas de Tolosa, en 1212, un an avant Muret (Croisade des Albigeois), et deux ans avant Bouvines. 

    Ces troupes musulmanes firent donc chuter en moins de dix ans la monarchie wisigothique, et toute la péninsule se retrouva sous la botte musulmane. Toute, sauf précisément le « rincon sagrado » du Pays Basque et des Asturies. Protégé par ses montagnes (« Haut sont les monts, et ténébreux et grands » lit-on dans la Chanson de Roland) et par l'énergie farouche de ses guerriers (Charlemagne en fit l'expérience, à Roncevaux), le nord montagneux de l'Espagne, la Cordillère Cantabrique ne connut pas - du moins pas d'une façon durable et effective - la domination du Croissant. (A suivre)  •

  • De Barcelone à Rotterdam ...

    Turku, sur la Baltique, dans la lointaine Finlande

     

    En deux mots.jpgAinsi de Barcelone à Rotterdam, en passant par Paris, de l'Espagne aux Pays-Bas, axe historique s'il en est, de Londres à Berlin, de Nice à Birmingham ou à Turku, sur la Baltique, dans la lointaine Finlande, se dessine aujourd'hui toute une cartographie de la nouvelle offensive de l'Islam contre l'Europe, sans plus laisser beaucoup d'espaces, de peuples, d'Etats,  à l'écart de la menace, à l'abri des objectifs et des coups islamistes. C'est aujourd'hui le continent européen qui est globalement visé. 

    L'Europe doit s'y résigner, l'admettre, en prendre conscience : une guerre lui a été déclarée, lui est menée, sans-doute d'un type nouveau à l'ère contemporaine, mais une guerre tout de même, dont le front n'est pas une ligne discernable, dont les combattants ne portent pas l'uniforme d'une armée régulière, sont dissimulés, mobiles, imprévisibles, et peuvent frapper n'importe où, n'importe qui. 

    Cette guerre, on le sait, peut durer longtemps, elle oppose des adversaires inégaux, les islamistes étant plus déterminés à nous agresser, nous vaincre et nous soumettre, que nous à les mettre hors d'état de nuire, plus sûrs de leur cause que nous de la nôtre. 

    Dans ce combat, malgré la disproportion des forces en présence - qui est bien-sûr en notre faveur : les terroristes ressortent rarement vivants de leurs entreprises, les forces de l'ordre les tuent presque à tout coup - notre faiblesse pour l'essentiel est de deux ordres : 

    1. L'extrême fragilité de notre « civilisation » de type postmoderne, déracinée, décervelée, déculturée, atomisée et au sens profond démoralisée, sans fierté, sans convictions, petites ou grandes. Et la liste n'est pas close. 

    2. L'extrême débilité de nos institutions politiques et des hommes qui les incarnent. (Ce qui inclut les femmes). 

    A de rares exceptions près, toutes à l'Est, cette constatation vaut pour l'ensemble de l'Europe, à commencer par le semble-couple franco-allemand. La chancelière Merkel - à qui l'on a attribué, y compris parmi nous, bien plus de qualités politiques qu'elle n'en a vraiment - l'a amplement démontré lorsqu'elle a appelé plus d'un million de migrants à entrer en Europe. A la vérité, la médiocrité des dirigeants européens fait presque pitié.

    Ainsi, nous ne comprendrons rien à la lutte antiterroriste, nous ne la mènerons pas efficacement, tant que nous ne nous rendrons pas compte que le mal est plus en nous qu'en nos assaillants ; tant que nous continuerons à vociférer stupidement en priorité contre l'islam sans nous apercevoir que le mal principal est d'abord en nous-mêmes. 

    Cette nécessaire autocritique, nous devons l'accomplir non pas comme une repentance vulgaire, au sens de la doxa, mais au contraire pour retrouver, revivifier, notre fond vrai. Celui qui nous vient de la lointaine Histoire française et européenne, car au delà de la hideuse caricature bruxelloise, l'Europe, aujourd'hui, se retrouve d'une certaine manière unie contre un danger commun, comme il lui est déjà arrivé de l'être, en d'autres temps, sinon pareils, du moins semblables.   

    Ce n'est pas une équation simple, mais elle est vraie : sans un retournement politique et social profond, qui remette en cause jusqu'à nos démocraties sous leur forme européenne actuelle et nos sociétés version postmoderne, nos chances de sortir, rapidement ou pas, vainqueurs des islamistes sont bien faibles et sans portée.  

     Retrouvez l'ensemble de ces chroniques en cliquant sur le lien suivant :

    En deux mots, réflexion sur l'actualité

  • Niquez vos (prétendues) races !

     

    Par Catherine Rouvier

    Voici une intéressante et pertinente tribune [Causeur, 23.06] sur fond d'intelligence, de subtilité et d'humour. Elle suscite ainsi - sur un sujet en fait grave et sérieux - la réflexion plutôt que la polémique facile. Catherine Rouvier a participé à quelques unes de nos réunions en Provence. Et nous en gardons un très bon souvenir ...  LFAR 

     

    sans-titre c r.pngUn décret remplace désormais la notion de race, « qui n’est pas applicable aux êtres humains », par celle de « prétendue race »

    Depuis le 3 août, un décret relatif aux provocations, diffamations et injures non publiques présentant un caractère raciste ou discriminatoire « substitue à la notion de race, qui n’est pas applicable aux êtres humains, celle de « prétendue race » » et « améliore la lutte contre les manifestations de racisme, de sexisme et d’homophobie dans des conditions similaires à ce qui a été prévu par la loi n° 2017-86 du 27 janvier 2017 ».

    Allons bon, cette loi de janvier, on ne l’avait pas vue passer. Car depuis janvier, on a été vraiment très très occupés. C’était les primaires, et on allait se geler sur des places ventées et pluvieuses pour soutenir des candidats élus par nous mais lâchés par leur parti… Puis ce furent les élections présidentielle puis législatives.

    Ignorance crasse

    Mais là… c’est le calme plat. A l’Elysée, à l’Assemblée, ils sont tous en vacances. Un tweet compassionnel par-ci, une photo de presse par-là, et ils retournent prendre l’apéro sur le vieux port, escalader le col de Bavella ou faire du surf à Hossegor. Circulez, y a rien à voir…

    Et du coup nous, les citoyens, temporairement privés de spectacle, nous passons tous nos vacances, forcément, à lire les lois et leurs décrets que « nul n’est censé ignorer » sur nos iPhones, entre le bain de mer et l’apéro. A fortiori les journalistes.

    Dès lors il est incompréhensible qu’après l’attentat de Barcelone, Mounia, chroniqueuse sur Beur FM, ait tweeté : « Niquez vos races, ceux qui s’indignent parce qu’ils auraient pu être victimes, mais qui n’ont rien dit pour l’attentat de Ouagadougou ». 

    Sur le fond du propos on ne peut qu’être d’accord. Le silence coupable des médias sur cette attaque sanglante en Afrique est coupable, quand ils en font des tonnes dès que c’est près de chez nous.

    Mais sur la forme… Mounia, Mounia, a quoi ça sert que Hollande, puis Macron, se décarcassent ? Vous avez bien écrit : « Niquez vos races ? »

    Déraciner Voltaire

    Alors déjà, Mounia, de race il n’y en a qu’une. C’est la race humaine. Avant on disait l’« espèce humaine », et on la divisait en « races ». Le dictionnaire Littré de 1878 nous l’apprend en citant Voltaire lui-même, qui écrit dans son Essai sur les mœurs et l’esprit des nations : « la race des nègres est une espèce d’hommes différant de la nôtre, comme la race des épagneuls l’est des lévriers ». Mais ça c’était avant, et la statue de Voltaire va sans doute bientôt trembler sur socle.

    Sous Hollande, on a assorti l’usage du mot « race » d’une notice explicative ou - comme on dit en droit – d’une clause restrictive d’interprétation : « race, ok, mais alors au singulier ».

    Dans les écoles, les maîtresses ont tenté de l’expliquer : « Il n’y en a qu’une, vous entendez ? Et ne me regardez pas comme s’il y existait des différences entre les humains. On a tous le même ADN, vous entendez ? Et du reste, des découvertes scientifiques ont prouvé que toute l’humanité était noire, et qu’on s’est en partie décolorés avec le temps ». « Et les asiatiques, Madame, leurs yeux bridés, c’est venu avec le temps ça aussi ? »

    L’antiracisme, Littré n’y avait pas pensé

    Bref, c’était compliqué, et les « petits races », comme on appelait les enfants au XVIIIème siècle (Littré toujours), étaient durs à convaincre.

    Alors, avec Macron, on est passé au plan B. Désormais il n’y a pas « une seule race humaine », il n’y en a plus du tout.

    Le texte du décret du 5 août est formel : « la notion de race (…) n’est pas applicable aux êtres humains ». Interdire absolument d’appliquer le mot race aux humains aurait, d’après le décret, une vertu : ça « améliore (…) la lutte contre les manifestations de racisme ».

    Ça, l’antiracisme, Littré n’y avait pas pensé. Il faut dire qu’à son époque le mot « racisme » n’existait pas. L’émergence, quelques cinquante ans plus tard, de cet « isme » qui, partout et en tous temps, signale la théorisation, sent le dogme à plein nez et précède de peu l’idéologie, a changé la donne.

    Ainsi, le « raciste » ne se contente pas seulement de noter les différences. Il trie, il range, il catalogue, il hiérarchise. Pire, il peut dans les cas extrêmes, rêver d’appliquer la vision eugéniste de certains éleveurs de chiens ou de chevaux aux êtres humains. Sont considérés comme « de race » écrit Littré – car les élevages existaient déjà à son époque – ceux qui « descendent directement de la souche, de la race, sans croisements ».

    « Ouais, mais ça fait un peu long quand même »

    Au pire du pire, celui qui croit encore qu’il y a des races peut même, quand on lui propose une PMA, et si un jour on lui propose une GPA, vouloir choisir sur catalogue le géniteur ou la génitrice afin d’avoir une chance d’avoir un enfant blanc s’il est blanc, noir s’il est noir, etc.

    Pas de ça Lisette ! C’est pour éviter de telles dérives que le décret « substitue à la notion de race la notion de prétendue race ». Donc Mounia, il aurait fallu écrire « Niquez vos prétendues races ».

    Alors, bien sûr, on peut aussi chercher une autre formule, qui prenne en considération les différences morphologiques sans plus prononcer le mot maudit. Pour ma part, j’ai trouvé ! C’est chez Buffon. On ne fait pas plus « scientifique »… Il s’agit des « variétés dans l’espèce humaine ». Je suis fière de ma découverte.

    « Ouais, mais ça fait un peu long quand même », me dit Mohamed qui joue au foot avec son pote, et à qui je tente de communiquer mon enthousiasme. Sans comprendre la vraie portée de cette remarque, je me replonge dans la passionnante lecture de l’« Histoire naturelle », tandis qu’il reprend son jeu. Mais soudain, tombé par terre sur le gravier coupant après un croche pied vicieux de son copain Martial, il hurle « Nique ta race ! » Je corrige : « Ta  prétendue race, Mo’, ta prétendue race »… C’est vrai que « nique ta variété dans l’espèce humaine », c’était « un peu long ».  

    Catherine Rouvier