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Actualité Europe - Page 60

  • Grèce : la donnée qui fait peur

     

    Par Ludovic Greiling 

    On pensait avoir tout vu en Grèce, avec une baisse du PIB d’un quart en cinq ans et un taux de chômage officiel à 25%, mais nous nous trompions.

    La fermeture des banques du pays consécutive aux négociations du gouvernement avec la Commission et la Banque centrale européennes, puis les conditions drastiques relatives à un nouveau plan d’aide voulues en juillet par les créanciers*, ont fait chuter l’indice d’activité future à un niveau jamais vu.

    Vers de nouveaux déficits

     Selon les données de Markit, une société d’informations financières anglo-américaine qui publie chaque mois une vaste enquête auprès des directeurs d’achats des entreprises, l’activité manufacturière pourrait s’effondrer en Grèce.

    Au pire de la crise en 2011, l’indice PMI des directeurs d’achats y avait baissé à 40 points, signifiant une nette contraction dans le secteur. S’il était péniblement remonté depuis lors, l’indice s’est de nouveau écroulé en juillet (au niveau inédit de 30 points), augurant une nouvelle chute du PIB grec.

    En l’absence de croissance, Athènes semble donc parti pour refaire du déficit public.

    « Mais il y a le bon et le mauvais déficit public, prévient Jean-Baptiste Bersac, auteur de Devises, l’irrésistible ascension de la monnaie (ILV éditions, 2013). Celui qui est lié à une baisse des recettes remonte à une politique d’austérité. Celui qui est lié à une hausse des dépenses est très différent, il nourrit l’activité économique ».

    Les créanciers de la Grèce imposeront-ils de nouvelles hausses de taxes ? Athènes décidera-t-il de sortir de la zone euro pour retrouver des marges de manœuvre politiques ?

    La saga est loin d’être terminée, d’autant que le gouvernement prévoit d’organiser des élections anticipées à l’automne. Après celles qui avaient déjà amené le parti Syriza au pouvoir en janvier dernier, puis le référendum de juillet dont le résultat n’a pas été suivi par ledit parti… 

    * Voir http://www.politiquemagazine.fr/grece-une-mise-sous-tutelle/

     

  • Vladimir Poutine contre l'universalisme occidental

     
    Par Mathieu Slama* 
     
    Selon l'analyste Mathieu Slama, ce qui se joue entre Vladimir Poutine et les dirigeants européens, ne se situe pas simplement autour de la question ukrainienne mais au niveau des idées, "sur quelque chose de bien plus fondamental et décisif". Deux visions du monde qui s'entrechoquent, " la démocratie libérale et universaliste" côté européen et "la nation souveraine et traditionaliste, de l'autre ", côté Poutine. L'analyse de Mathieu Slama correspond-elle à la réalité ? Elle en a au moins la vraisemblance. Ce qui est certain, c'est que la France, pour sa part, rompant radicalement avec la diplomatie idéologique qu'elle pratique, trouverait son intérêt vital à adopter la seconde « vision » géopolitique, celle d'une « nation souveraine et traditionnaliste ». Nous en sommes loin mais il y a urgence.  LFAR
     

    280px-MARIANNE_LOGO.png« Nous rejetons l'universalisme du modèle occidental et affirmons la pluralité des civilisations et des cultures. Pour nous, les droits de l'homme, la démocratie libérale, le libéralisme économique et le capitalisme sont seulement des valeurs occidentales, en aucun cas des valeurs universelles. » L'homme qui a prononcé ces mots est Alexandre Douguine, intellectuel néo-eurasiste de la droite radicale russe, dans un entretien accordé à la revue Politique internationale en 2014. Au fil des années, il s'est lié d'amitié avec un certain nombre de dignitaires du Kremlin et de la Douma. Depuis le déclenchement de la crise ukrainienne, il est omniprésent dans les médias, appelant ni plus ni moins à « la prise de Kiev » et à la guerre frontale avec l'Ukraine. « L'Ukraine de l'Est sera russe », assure-t-il. Contrairement à ce qu'affirment certains intellectuels anti-Poutine en France (Bernard-Henri Lévy notamment), Douguine n'est pas « le penseur de Poutine », la relation directe entre les deux hommes étant difficile à établir. Cependant, force est de constater qu'on retrouve, dans certains discours du président russe, une même vision du monde qui est celle d'un monde multipolaire, où la dimension cardinale est la souveraineté nationale et où « universalisme » est l'autre mot pour désigner l'ambition hégémonique occidentale.

    On peut reprocher beaucoup de choses à Vladimir Poutine, mais il y a une chose qu'il est difficile de lui contester, c'est son intelligence et l'imprégnation qu'il a de la culture et de l'âme russes.D'un côté la démocratie libérale et universaliste ; De l'autre, la nation souveraine et traditionaliste. En cela, nous dit Hubert Védrine dans le dernier numéro du
    magazine Society consacré à Poutine, il se distingue très nettement de ses homologues européens : « C'est un gars [sic] très méditatif, qui a énormément lu. Vous ne pouvez pas dire ça d'un dirigeant européen aujourd'hui. Il y a une densité chez Poutine qui n'existe plus chez les hommes politiques. » Dans un discours absolument fondamental d'octobre 2014 devant le Club Valdaï, réunion annuelle où experts, intellectuels et décideurs viennent parler de sujets liés à la Russie, Poutine a brillamment exposé
    l'essentiel de sa doctrine. Morceaux choisis : « La recherche de solutions globales s'est souvent transformée en une tentative d'imposer ses propres recettes universelles. La notion même de souveraineté nationale est devenue une valeur relative pour la plupart des pays » ; « Un diktat unilatéral et le fait d'imposer ses propres modèles aux autres produisent le résultat inverse. Au lieu de régler les conflits, cela conduit à leur escalade ; à la place d'Etats souverains et stables, nous voyons la propagation croissante du chaos ». Difficile de ne pas voir l'influence, même indirecte, d'Alexandre Douguine dans un tel discours. Poutine situe son combat contre l'Occident non pas sur la seule question ukrainienne, mais sur quelque chose de bien plus fondamental et décisif. Poutine et l'Occident, ce sont deux visions du monde irréconciliables qui s'affrontent, la démocratie libérale et universaliste, d'un côté, face à la nation souveraine et traditionaliste, de l'autre.

    La différence entre Douguine et Poutine est cependant de taille. Là où le premier défend une vision idéologique et quasi eschatologique de la mission russe - « La crise ukrainienne n'est qu'un petit épisode d'une confrontation très complexe entre un monde unipolaire et multipolaire, entre la thalassocratie [civilisation de la mer, l'Amérique] et la tellurocratie [la civilisation de la terre, la Russie] », Libération du 27 avril 2014 -, le second reste un homme d'Etat pragmatique qui sait qu'on gagne d'abord les batailles par l'habileté dans la négociation et la recherche de compromis politiques. Là où Douguine rejette en bloc le libéralisme, Poutine y voit, notamment dans sa dimension économique, un moyen d'accroître la prospérité de la Russie. Raison de plus, pour l'Europe, d'éviter l'escalade et d'adopter une diplomatie un peu plus indépendante des Etats-Unis vis-à-vis de la Russie. Dans le cas contraire, la prophétie de Douguine d'un nouveau « choc des civilisations » risque fort de se réaliser. 

     
    communicant et spécialiste des sujets de crise
      
    Marianne 31 juillet 2015
     
  • Pourquoi le Grexit est plus que jamais d'actualité

     

    Jean-Pierre Robin, chroniqueur économique au Figaro, constate ici à quel point les négociations en cours à Athènes entre les créanciers et le gouvernement Tsipras se trouvent compliquées par la situation économique grecque, bien plus catastrophique qu'on l'imaginait encore à la mi-juillet. Compromises aussi par les divergences de fond entre les positions française et allemande. Oppositions qui amènent à douter du maintien de la Grèce dans l'Euro, aussi bien que de la pérennité de l'Euro, au moins comme monnaie unique. LFAR

    La bourse d'Athènes a chuté d'environ 20% en deux jours, depuis sa réouverture le lundi 2 août après cinq semaines de fermeture. Cette dégringolade, sans précédent depuis le krach mondial de l'automne 1987, aurait été sans doute encore plus sévère si les contrôles de capitaux ne restreignaient pas les ventes auxquelles les Grecs eux-mêmes sont autorisés à procéder. Alors que les investisseurs étrangers détiennent 60% des titres des entreprises grecques cotées en bourse, le plongeon exprime la défiance vis-à-vis de la Grèce et le délabrement de son économie.

    La question se pose donc à nouveau : en dépit des propos lénifiants de Pierre Moscovici, le Commissaire européen, (« nous allons dans la bonne direction »), l'accord de principe signé le 13 juillet sur un troisième plan d'aide de 86 milliards d'euros est-il réellement viable ?

    Ce programme vise avant tout à permettre à la Grèce d'assurer ses échéances financières les plus urgentes. La plus immédiate concerne le remboursement de 3,2 milliards d'euros à la BCE sur les titres de l'Etat grec que détient cette dernière et qui arrivent à échéance le 20 août prochain. Négocié par les créanciers désormais regroupés en quatre institutions (FMI, BCE, Commission européenne à laquelle s'ajoute le Mécanisme européen), sous la houlette des ministres des Finances de la zone euro, la démarche est essentiellement de nature financière.

    Outre les remboursements que l'Etat grec ne peut effectuer, faute d'enregistrer un excédent budgétaire, faute également de pouvoir avoir accès aux marchés financiers qui lui sont interdits de facto, il s'agit aussi de recapitaliser les banques grecques. Ces dernières sont actuellement tenues à bout de bras par la BCE qui viole ses propres règles prudentielles, sinon il y a des mois que le système bancaire de la Grèce aurait explosé et serait en totale faillite.

    Et last but not least, ces 86 milliards d'euros, sont censés financer sur les trois ans à venir toutes les dettes qui viennent à échéance, mais aussi les dépenses courantes que l'Etat est incapable d'équilibrer en levant des impôts.

    Malheureusement, le jeu donnant-donnant (Athènes consent des réformes essentiellement budgétaires et fiscales pour obtenir les 86 milliards) fait plus ou moins l'impasse sur la situation réelle de l'économie. Or celle-ci s'avère bien plus dégradée qu'on l'imaginait encore il y a trois semaines quand fut élaboré « l'accord » du 13 juillet.

    La déroute s'est opérée en trois étapes. D'abord les élections du 22 janvier : elles ont conduit au gouvernement Tsipras, lequel a tourné le dos aux mesures de rigueur de ses prédécesseurs.

    Puis s'est produite une dégradation irréversible de l'économie et de la confiance, au fur et à mesure que la nouvelle équipe mettait en place son programme et dénonçait la pression des créanciers.

    Et enfin, troisième temps, une dramatisation violente, avec l'annonce surprise, le 28 juin, du référendum où le peuple grec s'est prononcé (5 juillet) contre le nouvel accord qui venait d'être conclu les jours précédents avec les créanciers par l'équipe d'Alexandre Trispras elle-même. Ce dernier a fait campagne pour le « non » dénonçant sa propre signature au plan international !

    Au moment des élections de janvier et alors que la Grèce avait enregistré une faible croissance de 0,4% en 2014, après sept années d'un recul ininterrompu conduisant à une amputation d'un quart de son PIB, le FMI tablait sur une augmentation de 2,9% en 2015. Ce scénario a très vite tourné court. Quand l'ensemble des pays de la zone euro renouaient avec l'expansion au premier trimestre (de 0,6% en France notamment), Athènes retombait dans la récession (recul de 0,2% du PIB). Les résultats du deuxième trimestre ne sont pas encore connus (ils le seront le 14 août). En revanche on sait d'ores et déjà que la production industrielle a reculé de 2% en avril, qu'elle s'est effondrée de 5% en mai, et que le mouvement s'est sans doute poursuivi en juin à ce même rythme.

    Certes l'industrie n'est qu'une partie de l'activité économique (particulièrement faible en Grèce où elle ne représente que 10% du total), mais les autres secteurs (agriculture, services, commerce) subissent une atonie assez semblable. Les économistes du cabinet britannique Capital Economics tablent ainsi sur une chute du PIB de l'ordre de 2% au deuxième trimestre, laquelle risque de s'amplifier dans la seconde partie de l'année. Le PIB pourrait ainsi diminuer de 4% sur l'ensemble de 2015.

    Un tel plongeon paraît aujourd'hui fort probable compte tenu de la déroute économique qui s'est enclenchée dès l'annonce du referendum du 28 juin. Car dans la foulée il y eu la décision prise par Alexis Tsipras de fermer les banques et la bourse et d'instaurer des contrôles de capitaux. Lesquels demeurent malgré la réouverture des banques et de la bourse d'Athènes. Or les dégâts sont considérables. Pénurie de crédits bancaires, assèchement des commandes publiques de l'Etat soucieux de payer les fonctionnaires et les retraites, mais beaucoup moins d'honorer ses fournisseurs, au total l'activité des PME et notamment du commerce aurait été divisée par deux selon un sondage de la fédération professionnelle du secteur (GSEVEE). Même si ce genre d'information ne saurait être pris argent comptant, surtout dans un pays où l'économie souterraine reste essentielle, la désorganisation fait des ravages.

    L'effondrement de la confiance entre les Grecs eux-mêmes - PME et particuliers - est d'autant plus grave que cela tend à amplifier les effets mécaniquement déprimant des mesures d'austérité (sur les retraites ou la TVA par exemple), lesquelles sont par ailleurs nécessaires.

    Comment sortir d'un tel cercle vicieux, alors que la Grèce aurait besoin d'un « new deal », d'une nouvelle donne, pour repartir d'un bon pied ?

    Tel est le dilemme du « quartet » des créanciers : ils sont effrayés d'avoir à offrir 86 milliards d'euros, mais ils se montrent incapables de dessiner un scénario roboratif tellement la tâche de reconstruction de l'économie et de la société grecques semble pharaonique. Les quatre membres du quartet sont d'ailleurs loin d'être unis si l'on en juge par l'attitude du FMI : ce dernier se déclare à la fois partisan d'un allègement de la dette (les Européens s'en tiennent à un rééchelonnement), tout en annonçant qu'il est hors de question que le FMI mette de l'argent supplémentaire (ses propres règles et ses 189 pays actionnaires, dont les Etats-Unis, s'y opposent fermement).

    Au sein même des pays Européens, les points de vue demeurent fondamentalement dissemblables. Wolfgang Schaüble, le ministre des Finances allemand, n'a toujours pas ravalé l'idée de faire sortir « temporairement » la Grèce de l'euro. « Sur ce point (du Grexit) il y a un désaccord, un désaccord clair » a admis Michel Sapin, son homologue français, dans une interview au quotidien de l'économie Handelsblatt. Notre ministre des Finances, qui est pour sa part totalement hostile au Grexit, reconnaît donc implicitement que la question est loin d'être définitivement réglée.

    La différence de points de vue entre Schaüble et Sapin, entre l'Allemagne et la France, est à vrai dire fort simple et traditionnelle. Outre-Rhin on part des réalités de terrain, on considère que l'économie grecque est réellement inapte à vivre avec une monnaie surévaluée pour elle, sans doute de moitié compte tenu de sa compétitivité et du dépérissement de ses entreprises.

    En France on s'en tient à une analyse formaliste, « si vous autorisez qu'un pays puisse sortir temporairement, cela signifie que tous les autres pays en difficulté vont vouloir se tirer d'affaire par un réajustement de leur monnaie », explique Michel Sapin.

    Les deux points de vue sont parfaitement exacts et défendables. D'un côté l'éthique de la responsabilité et de l'autre l'éthique de la conviction, pour reprendre l'opposition célèbre de Max Weber. Schaüble le comptable pointilleux, Sapin le béat généreux.

    Mais la tension n'en est pas moins intenable entre les deux, et il faudra bien finir par trancher. C'est pourquoi on suivra avec la plus grande attention les indicateurs de l'économie grecque, qu'il s'agisse de la santé de ses entreprises ou du chômage de ses habitants.

    Figarovox

     

  • Jacques Myard : « Il est urgent que la France retrouve le sens de son intérêt national »

     

    Jacques Myard, député-maire de Maisons-Laffitte

    Une dizaine de députés français se sont rendus en visite en Crimée contre l'avis du Quai d'Orsay. Jacques Myard a donné dans Boulevard Voltaire et au Figaro les explications suivantes, où il n'a pas mâché ses mots.

     

    sans-titre.pngPourquoi ce déplacement en Crimée la semaine dernière ?

    Nous nous sommes rendus là-bas à l’initiative de mon collègue Thierry Mariani avec sept autres députés, sur invitation des Russes. Je me suis joint à ce voyage parce qu’il est cohérent avec la position que j’ai toujours défendue : nous sommes en tort vis-à-vis de la Russie, à cause d’une politique de sanctions totalement hors de proportions.

    La Crimée est russe depuis plus de deux siècles et les événements successifs de 1954 et de 1991 ne changent rien à cette réalité. En 1954, Khrouchtchev rattache la Crimée à l’Ukraine, mais c’est une décision administrative : il rattache une partie de territoire à un département, mais cela se fait au sein d’un même pays qui est alors l’Empire soviétique. En 1991, date de la chute de l’URSS, l’accord était déjà caduc. Une partie de cet accord prévoyait d’ailleurs que la flotte reste sous contrôle russe à Sébastopol ! Bref, depuis 1991, les habitants de la Crimée souhaitent retrouver la Russie ; ils l’ont d’ailleurs exprimé lors du référendum de 2014.

    Certains affirment que ce référendum était truqué, mais je peux vous assurer que l’on rencontre sur place une population ravie d’être à nouveau rattachée à la Russie. Sur la promenade de Yalta, à Sébastopol, toutes les personnes croisées le disent : quel intérêt auraient-elles à nous mentir ? C’est ridicule.

    Depuis 1773, la Crimée se trouve dans l’univers russe : nous sommes là-bas en Russie et le nier n’a absolument aucun sens.

    Aller sur place était une manière de critiquer la politique internationale que la France mène vis-à-vis de la Russie ?

    Bien entendu. Cette politique n’est d’ailleurs pas celle que nous menons, nous nous contentons de suivre bêtement, et contre nos intérêts. On a suivi les ultras européens qui font passer Poutine pour le nouveau Staline dans la région… Un peu de sérieux.

    Les sanctions que nous avons appliquées ont été logiquement suivies de contre-mesures russes et le tout est dévastateur pour les uns comme pour les autres : nous nous sommes pénalisés nous-mêmes, il faut quand même le faire !

    La levée des sanctions est une décision qui se prend à 28 et la France est donc coincée dans une position directement contraire à ses intérêts, à cause de son suivisme. Il est temps de ruer dans les brancards parce que nous avons tout à perdre en restant campés sur nos positions.

    Je précise tout de même que la question du Donbass est différente. Pour ce qui est de la Crimée, il n’y a vraiment aucun doute possible, on ne peut aller contre la réalité très longtemps.

    On a déjà eu ce genre de comportement au Kosovo : il n’est pas normal que le droit international soit utilisé à géométrie variable comme il l’est aujourd’hui. Il existe aussi la libre détermination des peuples, il ne faudrait pas l’oublier.

    Qu’avez-vous vu et entendu en Crimée ?

    J’ai vu un pays en paix, un véritable pays de Cocagne, il faut le dire. Il y a une réelle diversité linguistique puisque l’ukrainien, le russe et le tatar sont parlés dans les rues de Crimée. C’est une région dans laquelle les gens vivent bien et qui aurait d’ailleurs accueilli 150.000 réfugiés ayant fui les combats en Ukraine.
    Les habitants de la Crimée vivent bien et sont heureux de leur situation, ce n’est quand même pas difficile à reconnaître !

    On paie notre position aberrante sur le plan commercial, économique, géostratégique, diplomatique et même culturel. La force de notre présence en Russie est également culturelle : les Russes aiment la littérature française, et plus largement les Français. Il y a une réelle affection culturelle que nous ne pouvons piétiner ainsi.

    Que répondez-vous à ceux qui vous accusent d’être « pro-russe » ?

    Je ne suis ni pro-russe ni pro-américain, je suis pro-français.

    Cette accusation est d’une imbécillité totale. Je suis allé là-bas pour réaffirmer – et mon voyage a confirmé cette idée – qu’il est urgent que la France retrouve le sens de son intérêt national. Elle ne peut le faire sans un minimum de réalisme sur la situation.

    La Russie est un pays incontournable pour la paix en Europe, dans la lutte contre le terrorisme, et pour trouver une solution dans le conflit qui embrase le Proche et le Moyen-Orient.

    Nier ça pour suivre les Américains est un jeu dangereux…

    Que recherchent les Américains ? Certains affirment qu’ils tentent de casser l’Europe en deux pour éviter tout rapprochement avec la Russie. On doit réellement s’interroger et cesser, en tout cas, de les suivre sans réfléchir.

    La politique internationale de la France ne doit pas se décider à Moscou ou à Washington, pas plus qu’à Riyad ou Tel Aviv : elle doit être décidée à Paris.

    Quelles pourront-être les retombées de ce voyage ?

    Pour ma part, je continuerai bien sûr à défendre ce que je dis depuis longtemps déjà. Mais je crains que Laurent Fabius ne change rien.

    Mercredi dernier, le jour même de notre départ, le ministre des Affaires étrangères nous a expliqué qu’il était opposé à ce voyage. Après l’avoir remercié pour son hommage appuyé à l’indépendance des députés (!), je me suis permis de lui faire remarquer qu’il était sûrement jaloux de la liberté que nous avions, tandis qu’il est enfermé dans une position inconfortable.

    Je pense que Laurent Fabius est conscient de s’être laissé enfermer dans un piège, ce qui expliquerait son hyper-réaction à l’annonce de notre voyage… 

    Propos recueillis par Charlotte d’Ornellas

  • Grèce-Europe : le kairos manqué

     

    Par Olivier Pichon

    Le kairos est, chez les grecs anciens, le moment décisif qu’il faut saisir pour prendre la bonne décision, décision de nature à s’inscrire dans la durée, c’est-à-dire dans l’histoire. Tsipras a manqué une occasion historique de libérer la Grèce, de l’euro et de l’oligarchie à lui attachée, ainsi que de la puissance qui a le plus intérêt à l’euro, l’Allemagne. Le premier ministre grec avoue ainsi son trotskysme originel qui est révolutionnaire dans le champ de l’économie (lutte des classes, opposition au capitalisme des banques internationales) mais pas dans celui de la politique, en l’occurrence celui de la souveraineté et de l’identité. Comme Sisyphe, il est maintenant condamné à rouler le roc de la dette qui ne sera jamais payée. Mais en contraignant son pays à la servitude pour de longues années tandis que les contribuables européens payeront pour une dette irrécouvrable. Tout cela au seul bénéfice du maintien au pouvoir des oligarques européen et, derrière eux, non le peuple allemand, mais la chancelière et ses conseillers.

    La crise grecque est emblématique de l’impasse européenne. Ses différentes facettes sont la Grèce elle-même, la France, mais aussi l’oligarchie européenne. Demeure une question : l’Europe d’inspiration légitime, mais dévoyée, n’est-elle pas sur le point d’avorter ?

    Tsipras trotskyste un jour ?

    On ne finit pas de s’interroger sur le revirement de Tsipras qui, par le référendum, s’était assuré de l’appui de son peuple épuisé par six années de vaches maigres. Lui qui avait dit non au plan européen se voit désormais imposé les réformes voulues par les oligarques bruxellois ! Augmentation de la TVA, fin des avantages fiscaux pour les îles grecques, recul de l’âge de la retraite, cotisations de santé pour les retraités majorées, hausses des taxes sur les sociétés et les compagnies maritimes, reforme du marché du travail… La Grèce n’ayant pas joué le jeu de l’euro qu’elle a pourtant prétendu intégrer, ces mesures pourraient relever d’un certain réalisme économique. La crise a en effet commencé quand le ministre grec des finances annonça, en 2009, que le déficit public était de 12 ,5 %… loin des 3,7% annoncés ! Il est maintenant trop tard et le problème n’est plus économique mais politique.

    En réalité, la voie de l’extrême-gauche est bouchée en Europe. Le mouvement Podemos, en Espagne, peut s’interroger sur l’avenir de ses propositions alors que l’économie espagnole a commencé un redressement dans l’austérité. En échange de liquidités, Tsipras veut imposer au pays ces mesures qui ne résoudront pas le problème mais, au contraire, vont l’aggraver. Personne ne parie aujourd’hui sur leur succès. L’ineffable Strauss-Kahn le premier qui ne s’est pas toujours trompé sur les dossiers économiques ! Néanmoins, accepter le jeudi ce que le peuple a refusé e dimanche précédent ne laisse pas d’intriguer… Tsipras avait pourtant le choix : ou il démissionnait, ou il sortait de l’euro. Mais, comme l’on sait, les traités ne prévoient pas ce scenario (pourtant, un traité est un contrat et quel contrat serait valide s’il ne comprenait pas une clause de résiliation ?). C’est dire l’assurance qu’avaient Kohl Mitterrand et Delors du succès de leur entreprise !

    Tsipras demeure donc prisonnier de l’oligarchie européenne. On aura noté au passage que voilà un énième référendum qui est contrevenu par les dirigeants européens. A l’appui de la manœuvre, il y avait cette fois des espèces sonnantes et trébuchantes (80 milliards d’aide plus 35 milliards d’investissements, ces derniers déjà inscrits). Et l’euro est sauvé !

    Nous croyons, en réalité, Tsipras fortement européiste, et, en tant que trotskyste, attaché à «  l’internationalisme européen ». Il faut avoir vu sa moue méprisante et renfrognée lorsqu’au parlement européen, Nigel Farrage, président de l’UKIP, prit la défense du peuple grec en montrant que les peuples européens « n’avaient jamais demandé cela (l’Euro et les contraintes de la Commission) car cela ne marche pas » ; qu’un nouveau mur de Berlin s’était érigé de fait, non pas entre l’est et l’ouest, mais entre le nord et le sud : le mur de l’euro ; et qu’en conséquence, c’était folie de continuer ainsi pour le seul bénéfice des banques européennes ; que Tsipras, ne pouvait avoir le beurre et l’argent du beurre (have the cake and eat it !)… C’est-à-dire la souveraineté populaire et la soumission financière.

    La France en dessous de tout !

    Rappelons d’abord que la France c’est, du point de vue de la dette, la Grèce en pire. Qu’on en juge. 35 heures, 24% d’actifs fonctionnaires avec les jours de carence en plus, retraite à 62 ans, 57% du Pib dépensés par l’Etat, dépenses sociales à 9848 euros par habitant, 1% de la population mondiale et 7% de la dépense sociale du monde, réduction de la dépense publique portant surtout sur la défense (34 MD pour la défense et 652 MD pour la dépense sociale de surcroît en partie financée par l’emprunt)… Une différence néanmoins : la Grèce a un déficit primaire plus petit que celui de la France (3,5 % contre 4%) avec une dette de 177% du PIB contre quasiment 100% pour la France. Mais c’est sans compter la dette cachée, par exemple les retraites de la fonction publique payables sur les futurs budgets. Dans ces conditions Hollande est-il bien placé pour soutenir les exigences du FMI à l’endroit de la Grèce ? Il a fait, comme à son habitude, de la grossière récupération en vantant les mérites de cet accord dont l’espérance de vie est manifestement faible. Que pourra-t-il dire encore s’il avorte avant la fin de son mandat ? Que sa péroraison pitoyable reposait sur du vent ?

    298 milliards, c’est le montant de la dette grecque. Qui peut raisonnablement penser qu’elle sera remboursée ? Sa structure est massivement constituée par des créanciers publics (FESF-FMI-BCE-UE) et seulement un petit 45 milliard détenus par des créanciers privés. Autrement dit, les peuples et les citoyens européens sont ignorés, saufs pour leur contribution fiscale. Aux temps de lord Byron on se demandait s’il fallait mourir pour la Grèce. Aujourd’hui c’est: faut-il payer pour la Grèce ? Les données structurelles de l’économie mondiale ne permettent évidemment pas de rembourser une telle dette. Cependant, le problème grec n’est que l’arbre qui cache la forêt car la dette grecque ne représente que 3,5% de la dette totale de la zone euro. C’est dire si cette crise est une crise européenne et française. Une crise de l’Etat providence consolidé à prix fort en contradiction avec le projet européen de libéralisation de l’économie.

    Deustchland uber alles ! La Grèce exécutée sur l’autel de l’euro.

    Loin de nous l’idée de cultiver de vieilles rancœurs mais force est de constater que la loi européenne, en cette occurrence, est une loi allemande et que c’est elle qui a gagné ! Aucun changement aux obligations d’austérité pour la Grèce qui produiront à leur tour l’arrêt de toute croissance, aucune décote sur la dette, le vote du referendum du 6 juillet passé par pertes et profits… L’Allemagne, dans le passé, a pourtant vu ses dettes effacées avec le plan Dawes et le plan Young (dans les années trente), puis au moment de sa reconstruction dans les années cinquante et au moment de la réunification. Dans cette affaire, force est de constater que la France a été tout simplement à la remorque de l’Allemagne. En dépit des rodomontades du sieur Hollande, celui-ci, une fois encore, n’a pas été à la hauteur des enjeux et, n’ayant à l’esprit que la survie de l’euro, s’est comporté en supplétif de la chancelière allemande. Remarquable exemple de déni de la réalité – la dette grecque est irrécouvrable – et d’idéologie contre l’intérêt des peuples – la nécessité de l’euro.

    Si l’exécutif français avait refusé et dit publiquement qu’il n’admettait pas que le projet européen devienne un instrument de l’Allemagne, la chancelière eut probablement reculé et se fut quelque peu amadouée. Car la monnaie unique et ses institutions non élues sont les deux tares congénitales de l’Europe. Or le pouvoir existe toujours et l’Europe ne l’a pas aboli, elle l’a déplacé. Ce dernier se divise rarement et, dans cette crise, il fut allemand. Le plus grave est qu’aujourd’hui, il semble que la dégradation historique du processus européen rende impossible une autre Europe. Sauf à sortir de cette Europe des créanciers. On a rarement vu dans l’histoire qu’une politique de change fixe ne finisse par s’effondrer. Voyez le système de Brettons Woods dont l’agonie s’étendit sur plus d’une décennie (1965 1976).

    Ainsi, nous léguons à nos enfants une Europe des dettes avec son cortège d’huissiers. Bel héritage en vérité ! Le singe d’Ésope et de La Fontaine (on peut lui prêter le visage de l’un de nos dirigeants européens), juché sur un dauphin qui l’a (temporairement) sauvé du naufrage, peut croire que le Pirée est devant lui, le pire l’est aussi. 

     

  • Brunich ou Muxelles ? Par François Reloujac

     

    Puisque notre monde décadent aime bien forger des mots nouveaux, soit à partir de sigles ou d’anagrammes soit en contractant deux mots, je vous propose aujourd’hui, au choix, « Brunich » ou « Muxelles », tant l’accord auquel les Européens sont arrivés dans la capitale belge rappelle ceux signés dans la capitale bavaroise en 1938.

    Il ne faut pas croire que les Grecs seraient les seuls endettés [1] en Europe ni les seuls à avoir triché pour entrer dans la zone euro – cette nouvelle forme du miroir aux alouettes. Ils sont aujourd’hui chargés comme le bouc émissaire grâce auquel certains espèrent échapper aux conséquences de leurs propres mensonges ; mais ils pourraient bien n’être que les premières victimes d’une utopie fondée sur la recherche du plaisir immédiat. En France, tout particulièrement, il serait bon d’y songer.

    La dette publique grecque (350 milliards d’euros), rapportée à chaque Grec, n’est pas plus importante que la dette publique réelle française, rapportée à chaque Français. On dit que les Grecs ont dissimulé certaines dettes. Oui, mais le hors-bilan officiel de la France (3 200 milliards d’euros) – non pris en compte dans la dette officielle (2 000 milliards d’euros) et s’y ajoutant – est tel que chaque Français « doit » aux créanciers internationaux plus que chaque Grec (plus de 85 000 euro par Français contre plus de 70 000 euros par Grec, si l’on peut faire confiance aux chiffres publiés). Et que l’on ne dise pas que ce calcul résulte d’un « amalgame » douteux parce que le hors-bilan de la France est essentiellement constitué par les retraites des fonctionnaires que, contre toute loi économique, le Gouvernement français s’est autorisé à ne pas provisionner. Pense-t-on vraiment que la France ne paiera pas les retraites des fonctionnaires ?

    On nous a dit aussi que le poids de la fonction publique en Grèce était insupportable… mais il est relativement moins élevé qu’en France. 25 % des Grecs ne payent pas l’impôt sur le revenu… ce qui n’est certes pas bien, mais en France plus de 50 % des ménages sont exonérés de ce même impôt, ainsi que des impôts locaux. Faut-il en conclure : Solidarité en deçà du Péloponnèse, corruption au-delà !

    On ne peut pas non plus effacer la dette des Grecs car ce serait un fâcheux précédent, nous dit-on. Mais, a-t-on oublié le sens de l’année jubilaire dont parle la Bible ? Souvenons-nous de la dette allemande. Il est vrai que cette dette a été effacée à la demande des Américains car cela servait leurs intérêts… et qu’ils possédaient la première armée du monde. Plus tard, lorsque l’Allemagne a organisé sa réunification, les Européens n’ont pas cherché à entraver leur décision politique par des arguties économiques. L’Allemagne n’a pas toujours été, au cours des dernières décennies, le champion économique qu’elle est devenue grâce à un euro géré à son profit exclusif, au recours à une main d’œuvre peu payée en provenance de l’Europe autrefois sous le joug communiste et à une subtile utilisation des règles européennes. Cette domination économique aussi écrasante que provisoire devra demain tenir compte d’une réalité qui la plombe, sa faiblesse démographique.

    La Grèce ne peut pas faire face à ses engagements – demain il en sera de même de la France – ; il y a donc deux attitudes possibles : que ses créanciers lui fassent rendre gorge jusqu’au dernier centime, quelles qu’en soient les conséquences ; que ses créanciers – notamment ceux qui ont prêté en pensant que les autres Européens se substitueraient à l’imprudent – acceptent de constater leur propre légèreté et considèrent que l’important est de sauver le débiteur autrefois euphorique car c’est à la fois la meilleure façon d’espérer recouvrer une (petite) partie de leur créance et de continuer à faire de (juteuses) affaires.

    Les Grecs vont devoir travailler au moins jusqu’à 67 ans avant de partir à la retraite. Et les Français ? Quant à la durée effective du travail, telle qu’elle est calculée par l’OCDE, elle n’est pas en faveur des Français[2]. Je sais, certes, qu’en Europe, on mesure officiellement le temps passé sur le lieu de travail et non pas le temps de travail effectif, mais ce n’est pas une raison suffisante. La mesure du temps passé sur le lieu de travail est en fait, non pas la mesure ni de la pénibilité du travail ni de la contribution à la richesse du pays, mais celle de la privation de liberté (car le régime « normal » du travail est désormais partout en Europe le salariat et non le travail indépendant). Sur ce chapitre, force est de constater que l’Europe a aussi imposé aux Grecs de travailler le dimanche.

    Si les Grecs ne remboursent pas, il pourrait en coûter quelques dizaines de milliards aux contribuables français : moins que la charge des intérêts annuels relatifs à la dette contractée en France pour permettre à ses « élites » de vivre au-dessus de leurs moyens. Et bien moins que ce qu’il faudra payer lorsque les taux d’intérêt commenceront à remonter ce qui pourrait arriver avant la fin de l’été lorsque la FED américaine commencera à le faire, comme l’a promis Janet Yellen.

    Parmi les dernières trouvailles des égoïstes qui ne veulent pas entendre parler de la dette grecque, on nous sert le coût des Jeux Olympiques d’Athènes… au moment même où Paris pose sa candidature pour de prochains Jeux. La France pense-t-elle vraiment qu’elle va pouvoir équilibrer le coût de cette opération [3] ? Ou, imagine-t-on que ceux qui posent cette candidature se disent que c’est un autre parti qui aura à apurer la facture ?  Ou pensent-ils encore que, compte tenu de l’importance de l’épargne antérieurement accumulée par chaque Français, on pourra sans difficulté majeure la ponctionner un jour pour sauver des établissements financiers « too big to fail« , comme on l’a fait à Chypre et comme chaque pays européen doit désormais l’inscrire dans sa législation nationale ? Peut-être qu’auparavant on imaginera que la France pourrait vendre la Tour Eiffel au Qatar pour recapitaliser BPCE, Crédit Agricole, BNP ou Société Générale !

    Oui, la Grèce a maquillé ses comptes pour entrer dans l’euro (avec l’aide de Goldman Sachs dont l’un des plus brillants représentants était un certain Mario Draghi, aujourd’hui patron de la BCE) mais qu’en est-il des autres Etats, France et Allemagne en tête ? Et combien tout cela a-t-il rapporté à la banque américaine ?

    Deux questions iconoclastes pour en finir sur ce volet économico-financier de la crise – car nous n’aborderons pas ici la question sous l’angle politique[4] autrement que pour constater que l’Europe a ajouté une nouvelle manière de respecter le vote (à plus de 60 %) de tout un peuple : en le tenant pour nul, sans même se donner la peine d’exiger du pays qu’il « revote » ! Qu’est-ce que l’euro apporte véritablement aux peuples ? [5] Et, combien les Corréziens doivent-ils aux contribuables de la région parisienne depuis que ces deux « entités » appartiennent la « même zone économique » et utilisent une même « monnaie unique » [6] ? 

     


    [1] Sans tenir compte, bien entendu de la dette privée de chacun des agents économiques individuels.

    [2] En 2008, les Grecs travaillaient en moyenne 2 120 heures contre 1 760 pour la moyenne des autres Etats européens. Depuis la différence ne s’est pas améliorée au profit des Grecs.

    [3] Car si les prêts accordés par les banques « françaises » ou « allemandes » (une vingtaine de milliards d’euros) pour permettre ces Jeux ont essentiellement bénéficié à des entreprises de BTP françaises ou surtout allemandes (à l’époque, on a même dit que cela permettait de « sauver » certaines entreprises allemandes, principales bénéficiaires de l’opération), il n’en sera pas forcément de même demain.

    [4] Milton Friedman croyait, autrefois, qu’en cas de choc entre la « Souveraineté nationale » et la monnaie, la première l’emporterait toujours sur la seconde. Pourquoi s’est-il trompé ? Quelles en seront les conséquences demain ?

    [5] En dehors du dernier choix laissé aux peuples entre implosion ou explosion ?

    [6] Comme l’a écrit J. Savès sur le site www.herodote.net, « un bourgeois de Strasbourg est infiniment plus solidaire d’un habitant de Mayotte, malgré tout ce qui les sépare, que son voisin de Fribourg, malgré tout ce qui les rapproche, parce qu’il partage avec les premiers les mêmes droits civil, fiscal, social, etc., et ne partage rien avec le second ».

     

  • Le plan Schäuble : sortir de la zone euro ?

     

    L'hypothèse est de Sylvia Bourdon, chef d'entreprise, dans Boulevard Voltaire. A vrai dire, elle ne nous surprend pas. La religion de l'Euro est française, pas nécessairement allemande. D'autre part, il nous paraît assez clair que l'Allemagne, ses dirigeants, son opinion, considèrent désormais avoir atteint la limite au delà de laquelle il n'est plus question de payer pour les autres. Notamment pour les pays du Club Med comme  on a pris le pli des les (nous) appeler, outre-Rhin. On les comprend. Enfin, est-il toujours si sûr que l'Allemagne redoute l'appréciation de sa monnaie qui suivrait sa sortie de l'Euro, au moins comme monnaie unique ? On peut en douter car une bonne part de l'industrie allemande a pour pratique de faire fabriquer à l'étranger, notamment chez ses voisins d'Europe Centrale, ex-communiste, les ensembles ou sous-ensembles servant à la construction de ses propres produits. L'Euro fort lui permettait de les acheter à bas coût. Un Mark ou Euro Mark réévalué lui permettrait des achats à encore meilleur compte et il n'est pas sûr que ses prix de revient s'en trouveraient augmentés de beaucoup. Ce qui est sûr c'est que l'Allemagne est excédée par un certain nombre de pays de l'Eurogroupe et qu'aucune autre voie plus favorable à ses intérêts ne lui paraît plus inenvisageable. Sans-doute au contraire.  LFAR   

     

    L’humiliation de la Grèce est depuis longtemps le but de Schäuble. Il estime que l’Union européenne n’est plus viable. Son ambition est une union politique qui n’est possible, selon lui, qu’avec des États germano-compatibles. Le « Grexit » est au programme.

    Schäuble s’imagine l’architecte d’une nouvelle Union européenne. Le « Grexit » est essentiel. Ce vieux cacique de parti rejette SYRIZA. Le couronnement de sa carrière serait de prouver que l’on peut y arriver, en s’appliquant avec discipline et persévérance. Il est amateur de grandes coalitions. « Son Union européenne » n’est pas composée d’associations incontrôlables, hautes en couleur, où chacun peut y trouver son bonheur.

    SYRIZA, du pain béni pour Schäuble. Il n’est plus contraint de composer avec le parti ami, Néa Dimokratía. Varoufákis livre dans une interview au New Statesman certains détails. La Troïka rejetait ses propositions, sans argumentations et sans contre-propositions. Selon Varoufákis, la Troïka a mené en bateau les Grecs. Lorsque Varoufákis lançait à Schäuble qu’il n’est plus possible de négocier selon les vieilles règles, il rétorque : « Nous avons 19 pays dans l’eurozone où se tiennent des élections. Si après chaque élection nous devons changer les règles, ça n’est plus gérable. Il y a des règles auxquelles il faut se tenir, peut importe qui gouverne. » Signification : les sauveurs de l’euro veulent éjecter la Grèce.

    Ambrose Evans-Pritchard, du Telegraph, écrit que Schäuble, sans y mettre les formes, est le seul politicien à apporter une alternative pour la Grèce : la sortie de l’euro, une aide humanitaire, le soutien pour une nouvelle drachme par la BCE. Ceci sonne bien, alors que Tsípras fut contraint de signer.

    Cet accord ne peut tenir. 3 mois de souffrances supplémentaires. Au plus tard en octobre, une nouvelle réunion aura lieu pour un constat d’échec. Schäuble espérait que Tsípras choisirait le « Grexit ». Tsípras est naïf, n’est pas à la hauteur des « durs à cuire » de Schäuble. En « realpolitik », ce sont les intérêts qui priment. Le « Grexit » est inévitable. L’Allemagne ne suivra plus dans une eurozone en tel dysfonctionnement. Tsípras n’a pas compris le message martelé depuis des mois. La Grèce est indésirable. Si Merkel-Schäuble avaient vu une chance minime de garder la Grèce dans l’euro, ils auraient présenté un autre accord, avec de l’argent pour les investissements, d’autres fonds des États membres, l’aide de la BEI et de la BERD, ils auraient évoqué la protection des dépôts. Schäuble veut la disparition de la Grèce de l’euro. En revanche, les banques devront être directement soumises à la BCE. Personne ne parle plus de l’union bancaire célébrée il y a quelques mois.

    L’Allemagne ne sauvera pas les banques grecques, Schäuble le sait. Sa proposition à Tsípras : « Si vous sortez de l’euro, vous obtiendrez une réduction de la dette. » Avec un « Grexit », le message Schäuble aux autres pays du sud est clair : « Tout le monde sera traité comme la Grèce. Ou vous jouez selon les règles, ou vous y serez contraints. » La « généreuse » proposition de la Troïka de transformer la Grèce en euro-protectorat devra intimider. Le temps est avec Schäuble. La situation italienne est catastrophique. L’Espagne présente une situation pire qu’officiellement annoncée. Podemos est un SYRIZA en puissance. Schäuble refuse de négocier avec ces partis, adversaires de l’austérité. Il leur mettra le couteau sous la gorge.

    Il veut un Parlement de l’eurozone, en estimant que l’unité politique ne pourra voir le jour que s’il traverse une crise. Restent l’Allemagne, l’Autriche, les Pays-Bas, le Luxembourg, la Slovaquie et, si possible, la France, laquelle deviendra problématique si Marine Le Pen arrive au pouvoir. Schäuble veut cette eurozone en tant qu’union politique, avec union de transfert, budget commun, un seul ministre des Finances qui aurait tous les pouvoirs, une sécurité des fonds communs, une assurance chômage commune et un programme d’intégration. Rien ne le fera reculer pour imposer son plan. Il sait qu’une ligne rouge s’est créée dans l’Union européenne contre sa politique. Le temps presse. La destruction de l’ancienne Union européenne est engagée. Il y aura des dommages collatéraux, lesquels, selon Schäuble, seront moins importants que si l’on continue à se coltiner les Grecs, les Italiens, etc. 

     

     - Boulevard Voltaire

     

  • Grèce : Victoire à la Pyrrhus, par Alain Pélops

     

    Chaque victoire que Pyrrhus, roi grec (déjà), remportait sur les romains l’affaiblissait, jusqu’à la défaite finale.

     

    Les problèmes de la Grèce sont connus.

    La dette pléthorique (180% du produit intérieur brut) ne peut pas être remboursée. Depuis sa fondation en 1830 la Grèce a fait six fois défaut. La monnaie (l’euro), trop forte pour l’économie grecque, aligne la gargote de Mykonos  sur le restaurant parisien. L’évasion fiscale, sport national, fait affleurer l’économie souterraine. Trois ans d’austérité ont effondré l’activité et fait exploser le chômage. Les Grecs, dont l’histoire est mouvementée, se sentent humiliés.

    Le plan de « sauvetage » qui vient d’être adopté ne règle rien.

    Aucun moratoire financier d’ampleur n’est prévu, soucieuse qu’est l’Union Européenne de préserver la valeur, toute fictive, de la dette grecque qu’elle porte avec la BCE et le FMI. La sortie de l’Euro, permanente ou temporaire, n’a pas été envisagée de peur de faire des émules, en Espagne où Podemos progresse ou en France bien sûr ; les anglais, qui ont refusé d’abandonner la livre, envisagent de s’éloigner encore plus de l’Europe. Le programme d’austérité est confirmé, échéancier d’excédents budgétaires à l’appui. La hausse de 10% de la TVA, service de la dette oblige, va, si tant est qu’elle soit collectée, freiner encore l’activité. Les biens à privatiser seront apportés à un fonds destiné à la vente. Il est douteux qu’ils s’y valorisent.

    En contrepartie,  la banque centrale européenne reprend son soutien au système bancaire grec, exsangue.

    La France s’enorgueillit de son rôle dans la négociation. Elle a accompagné  le diktat de paroles douces. Dans le camp des vainqueurs, des partisans de l’austérité, elle voyage agréablement dans les fourgons de l’Allemagne, sans se soucier du prix du billet. Il y a pourtant un danger à être dur avec les faibles et faible avec les forts. Quand son tour viendra d’entreprendre de vraies réformes, elle ne pourra se prévaloir de solutions adaptées, efficaces, peut être généreuses. D’autant qu’en France, contrairement à la Grèce, la ponction fiscale est déjà faite, et le patrimoine public en passe d’être cédé. Mais le gain politique aura été encaissé et le problème sera pour les suivants.  

     

      -  Politique magazine

     

  • DF : un parti d’extrême-droite qui siège à gauche, par Yves Morel*

     

    Partout en Europe - comme, d'ailleurs, en de nombreux autres points du monde - ce sont les identités, les peuples, les nations qui se renforcent.

    Les élections législatives danoises du 18 juin dernier ont vu une percée du parti populaire danois (Densk Folkeparti, DF) qui, avec 21,1 % des suffrages exprimés, enlève 37 sièges de députés, et devient le second parti du Danemark, derrière le parti social-démocrate et devant le parti conservateur libéral Venstre.

    Bien entendu, les médias et les milieux politiques européens, se sont émus de « la montée de l’extrême droite » dans ce petit pays nordique paisible et prospère. Qu’on se rassure, le Danemark ne deviendra pas un pays xénophobe fondé sur le culte des races nordiques, l’exaltation de l’épopée des Vikings, le paganisme scandinave ou un luthéranisme exclusif.

    Tout d’abord, le parti populaire danois, quoique constituant le groupe le plus important du Folketing (Parlement danois), a refusé de former le nouveau ministère, faute d’avoir trouvé un accord de législature avec les autres formations de droite. C’est donc Lars Løkke Rasmussen, déjà trois fois Premier ministre, qui, le 28 juin, a constitué le cabinet, très minoritaire, composé uniquement de membres du Venstre, qui, avec 19,5 % des suffrages, enregistre son plus mauvais score depuis sa fondation et ne dispose plus que de 34 sièges de députés, soit 1/3 de moins qu’auparavant. Ce ministère, privé de majorité d’entrée de jeu, ne durera guère et devra louvoyer constamment entre les divers groupes du Folkenting. Mais surtout, le Densk Folkeparti n’a rien d’un parti extrémiste.

    Un parti centriste

    En effet, il est, au Danemark, classé au centre, à droite du parti social-démocrate, mais à gauche du Venstre et des partis conservateurs. Au Folketing, ses députés siègent à gauche de ceux du Venstre. Il est intéressant de noter que, lors de la première législature à laquelle il ait participé (1998-2001), il a soutenu, sans y entrer, le ministère social-démocrate de Poul Nyrup Rasmussen. Puis, de 2001 à 2011, il a soutenu les cabinets conservateurs d’Anders Fogh Rasmussen (homonyme, mais non parent du précédent), toujours sans en faire partie. Depuis 2011, il a choisi la ligne de l’opposition à ces mêmes gouvernements.

    Né en octobre 1995 d’une scission au sein du Parti du Progrès (Fremskridtspartiet), formation militant pour l’abolition de l’impôt sur le revenu, la réduction du poids de l’administration et un strict contrôle migratoire, il combine le souci de la défense de l’identité danoise et celui de la préservation du système de protection sociale édifié au fil des décennies. Attaché à la démocratie parlementaire, il ne se réclame d’aucune idéologie. Il n’est ni raciste ni xénophobe. Sa fondatrice et première présidente, Pia Kiaersgaard, a passé le relais, en 2012, à Kristian Thulesen Dahl, âgé aujourd’hui de 46 ans, économiste, membre des conseils d’institutions aussi diverses que l’université d’Aalborg, de l’aéroport de Billung et de la Banque nationale danoise, conseiller à la Cour nationale des Impôts. Thulesen Dahl, notable, père de famille tranquille, réfléchi, pondéré, ne présente pas le profil d’un agitateur populiste, moins encore d’un aspirant au pouvoir personnel. Sans véritable charisme, il jouit d’une autorité naturelle qui en impose à ses partisans et le fait reconnaître comme un homme sérieux et fiable. Il n’est ni un Le Pen ni un Umberto Bossi ; et ses préoccupations sociales l’opposent à un Gianfranco Fini ou à un Silvio Berlusconi, ultra-libéraux.

    Défense du modèle social danois et de l’identité nationale et culturelle danoise

    Car le parti populaire entend défendre le système de protection sociale, auquel tiennent tous les Danois. Il a d’ailleurs récemment conclu un accord avec le parti socialiste populaire (situé à gauche du parti social-démocrate) pour réclamer une revalorisation substantielle de l’indemnité contre le chômage. Mais il entend remettre ce modèle sur les rails, autrement dit recentrer ses missions et ses moyens sur les Danois de préférence aux immigrés, et sur les fractions nécessiteuses de la population, oubliées ou négligées depuis deux décennies, telles les retraités à faible pension et les salariés aux revenus les plus modestes. Ces deux catégories de la population ont quelque peu pâti de la sollicitude compassionnelle politiquement correcte des pouvoirs publics à l’égard des chômeurs, des demandeurs de premier emploi, et surtout des immigrés, abusivement considérés comme relevant d’un devoir d’assistance incombant au pays d’accueil, apparenté à une obligation morale.

    Cette préférence paraît désormais d’autant plus inadmissible que nombre d’immigrés, et spécialement les musulmans, refusent le modèle d’intégration par assimilation, à la base de la politique danoise d’immigration. Ils cherchent à tirer tout le profit possible du modèle social danois sans consentir à aucun effort d’intégration, soucieux non seulement de conserver leur identité et leur mode de vie d’origine, mais encore de les promouvoir et de les imposer à la population par la prohibition de fait des habitudes de vie jugées par eux en contradiction avec leur religion. Ces musulmans-là, de plus en plus nombreux, ne se privent nullement de vilipender les mœurs, les coutumes, la langue, la patrie danoises, de faire l’éloge des pays islamistes, de demander pour eux la multiplication des lieux de culte, d’arborer des tenues vestimentaires caractéristiques du monde arabe. Sous leur pression, des crèches, garderies, cantines scolaires et hôpitaux ont éliminé des repas servis aux usagers tous les plats à base de chair de porc, notamment les pâtés, saucisses, boulettes et fricadelles, pourtant emblématiques de la cuisine danoise ; certains de ces services et établissements en sont arrivés à ne plus servir que de la viande hallal au public, lors même qu’il se compose d’une forte majorité de non-musulmans. Et, dans la foulée, ils ont accepté d’interdire les arbres de Noël. Pire : un groupe musulman semi-clandestin a tenté de créer à Copenhague des zones d’application de la charia contrôlées par une « police de la vertu ». Le même groupe a lancé des appels au meurtre des Danois et préconisé l’instauration d’un régime islamiste au Danemark.

    Cette situation a suscité chez les Danois une réaction de défense compréhensible qui excède largement le parti populaire et que les gouvernants ont prise en compte. En 2009-2010, Inger Støjberg, jeune ministre de l’Emploi du cabinet Rasmussen (libéral) a pris diverses mesures salutaires : réduction des aides sociales aux chômeurs immigrés de plus de 30 ans refusant l’apprentissage du danois, subordination de la gratuité des soins à une période probatoire de plusieurs années pour les immigrés, réduction, pour ces derniers, des congés maternité et des prêts aux étudiants. Le 10 juillet 2013, elle a justifié sa politique dans une tribune du journal Politiken.

    La percée du modéré parti populaire n’est rien d’autre que le signe fort de cette saine réaction nationale de défense. 

     

     - Docteur ès-lettres, écrivain, spécialiste de l'histoire de l'enseignement en France, collaborateur de Politique magazine et la Nouvelle Revue universelle.

     

  • La défaite de la Grèce, la défaite de l'Europe ?

    (Crédits : REUTERS/Stringer/Pool)

    Notre analyse de la crise grecque, nous l'avons donnée mardi dernier 7 juillet. L'on peut s'y reporter. Sur ce sujet brûlant, nous ne voulons pas d'une réflexion qui se fonderait sur un sentiment d'antipathie ou au contraire d'empathie à l'égard du peuple grec. Nous traitons des intérêts de la France, de sa politique étrangère, de sa position au sein de l'Europe et des menaces que fait peser sur son existence même, non pas une concertation européenne réaliste des Etats et des nations, mais une certaine idéologie européiste, en réalité libéralo-mondialiste, aujourd'hui dominante. Un commentaire pertinent et raisonnablement mais très profondément critique de l'accord du 13 juillet a été donné par la Tribune. Il s'agit d'une analyse qui va beaucoup plus loin que le seul terrain économique. Pour, le cas échéant, en débattre, nous versons cet article au dossier déjà fort volumineux de l'affaire grecque. Il s'agit en réalité de la remise en cause de l'idéologie libéralo-européiste.  LFAR

     

    Les dirigeants de la zone euro ont imposé un accord aux conditions encore plus dures, presque punitif, aux Grecs. Mais la défaite d'Alexis Tsipras résonne comme une défaite pour toute la zone euro.

    Jamais, dans le jargon européen, le terme de « compromis » n'aura semblé si peu adapté. « L'accord » atteint au petit matin du 13 juillet entre la Grèce et le reste de la zone euro a désormais des allures de déroute pour le gouvernement grec. Une déroute qui a un sens pour le reste de l'avenir de la zone euro.

    Erreur stratégique

    Avant d'en venir aux conséquences, il faut expliquer cette défaite d'Athènes. Le gouvernement grec avait accepté jeudi soir le plan des créanciers présenté le 26 juin. Un plan déjà extrêmement difficile à accepter pour la majorité parlementaire grecque. Cette dernière s'était d'ailleurs fissurée vendredi soir dans le vote à la Vouli, le parlement grec. Alexis Tsipras, le Premier ministre grec, pouvait cependant alors prétendre pouvoir arracher un accord sur la dette comme « compensation. » Malheureusement pour lui, les créanciers ont alors immédiatement compris le message : l'exécutif grec craignait davantage la sortie du pays de la zone euro que l'abandon de son propre programme. On aurait pu s'en douter dès le 22 juin lorsqu'Athènes avait déjà présenté un plan d'austérité. Mais le « non » au référendum avait été une contre-offensive qui, compte tenu du résultat, pouvait donner un mandat implicite au premier ministre pour réaliser le Grexit. Il n'en a pas jugé ainsi. En grande partie parce qu'il a commis l'erreur de ne pas le préparer.

    La curée

    Dès lors, la position grecque était extrêmement fragile. En effet, pour un petit pays aussi affaibli et endetté que la Grèce, la seule force dans les négociations était la menace de la sortie de la zone euro. Menace que, sans doute, il fallait éviter de mettre en oeuvre si c'était possible, mais qu'il fallait brandir assez sérieusement pour faire douter le camp d'en face. Dès lors que cette menace était levée, Athènes n'avait aucun moyen de pression. La position grecque s'était alors entièrement découverte. Et les créanciers ont pu, sans crainte d'une rupture, augmenter leurs exigences. Pour cela, le moyen était fort simple : il suffisait de menacer la Grèce d'une sortie de la zone euro. Comme cette dernière n'en voulait à aucun prix, il était simple de lui faire accepter d'autres conditions et d'annuler ainsi une partie des succès obtenus durant six mois de négociations, notamment le retour des « revues » de la troïka, l'instauration du travail du dimanche et la mise en place d'un fonds de 50 milliards d'euros issus des privatisations pour recapitaliser les banques, rembourser la dette et faire des investissements productifs. Et pour bien faire comprendre à la Grèce qu'elle devait filer droit cette semaine et voter les « réformes » souhaitées, le premier ministre néerlandais Mark Rutte a prévenu que le « Grexit n'était pas encore exclu. »

    Quelques succès ?

    Les créanciers ont donc tellement tourmenté Alexis Tsipras que ce dernier a pu présenter quelques concessions sur les exigences nouvelles de ce week-end comme des succès : l'absence de Grexit, le maintien du Fonds en Grèce (et non son transfert au Luxembourg comme l'Eurogroupe l'avait demandé) ainsi que le report d'un quart de son montant sur des investissements productifs (autant que la part réservée aux créanciers et moitié moins que celle réservée pour les banques). Mais son seul vrai succès est d'avoir obtenu l'ouverture d'une discussion sur un « reprofilage » de la dette, autrement dit sur un nouvel échéancier. Mais il faut se souvenir que ce plan va encore augmenter la dette et qu'un rééchelonnement risque simplement de « lisser » les effets de cette augmentation. Et, comme on a pu le constater, Athènes est tout sauf en position de force pour bien négocier ce rééchelonnement. Encore une fois, les créanciers - et Angela Merkel l'a confirmé explicitement - restent attachés au mythe de la viabilité de la dette publique grecque. Un mythe qui va continuer de coûter cher à la Grèce qui va ployer pendant des décennies sous le poids absurde de cette dette, la condamnant à une austérité sans fin et à la méfiance des investisseurs.

    Prélude à la chute d'Alexis Tsipras ?

    Alexis Tsipras va devoir désormais faire accepter ce plan à son parlement. Or, ce plan n'est rien d'autre qu'une négation explicite des deux votes grecs du 25 janvier et du 5 juillet. Les créanciers avaient pour but, d'emblée, d'obtenir l'annulation de fait de ces votes. Ils sont en passe de l'obtenir. Les parlementaires de Syriza ont désormais le choix entre provoquer une crise politique en désavouant Alexis Tsipras et adoptant un programme basé sur la sortie de la zone euro ou devenir un nouveau Pasok, un parti qui tente de « réduire l'impact » des mesures des créanciers sans avoir aucune certitude d'y parvenir. Face à un tel choix, Syriza pourrait se scinder, comblant les vœux des créanciers et de Jean-Claude Juncker qui souhaitait, en janvier, « revoir des têtes connues. » Car, avec de nouvelles élections, qui semblent désormais inévitables, les perdants des 25 janvier et 5 juillet pourraient profiter de cette division pour remporter le scrutin. Quoi qu'il en soit, si le Syriza « modéré » d'Alexis Tsipras l'emporte, sa capacité de résistance est désormais très faible. Le « danger politique » est écarté, comme le voulaient les dirigeants de la zone euro.

    La victoire de Tsipras : un révélateur de la nature de la zone euro

    Il est cependant un point sur lequel Alexis Tsipras a clairement gagné : il a mis à jour par ses six mois de résistance et ce déchaînement de « vengeance » comme le note ce lundi matin le quotidien britannique The Guardian en une, la nature de la zone euro. Ce lundi 13 juillet, on y voit plus clair sur ce qu'est la zone euro. A l'évidence, les gouvernants européens ont agi comme aucun Eurosceptique n'aurait pu l'espérer.

    L'imposition de la logique allemande

    D'abord, on a appris que l'euro n'était pas qu'une monnaie, mais aussi une politique économique particulière, fondée sur l'austérité. Le premier ministre grec avait fait le pari que l'on pouvait modifier la zone euro de l'intérieur et réaliser en son sein une autre politique économique. Preuve est désormais faite de l'impossibilité d'une telle ambition. Les créanciers ont clairement refusé une réorientation de la politique d'austérité budgétaire qui, pour un pays comme la Grèce, n'a réellement plus aucun sens aujourd'hui et l'empêche de se redresser. On a continué à imposer cette logique qui fonde la pensée économique conservatrice allemande : la réduction de la dette et la consolidation budgétaire ont la priorité sur une croissance économique qui ne peut être le fruit que « d'efforts douloureux » appelés « réformes. » Même dans un pays économiquement en ruine  comme la Grèce qui a démontré empiriquement l'échec de cette logique. Si Alexis Tsipras a perdu son pari, il n'est pas le seul fautif. Les Etats européens comme la France et l'Italie le sont aussi, qui en validant les réformes engagées depuis 2011 dans la zone euro (Two-Pack, Six-Pack, MES, semestre européen, pacte budgétaire) ont assuré la prééminence de cette logique.

    Français et Italiens ne peuvent donc pas s'étonner de la radicalisation de l'Allemagne et de ses alliés. Ils l'ont préparée par leur stratégie de concessions à Berlin, se trompant eux-mêmes sur leur capacité future de pouvoir ainsi « infléchir » la position allemande dans le futur.

    Gouvernance économique aveugle

    La gouvernance économique de la zone euro - jadis tant souhaitée par les gouvernements français - existe donc bel et bien, et ne souffre aucune exception, fût-elle la plus modérée. Aussi, qui veut la remettre en cause devient un adversaire de l'euro. La diabolisation de Syriza pendant six mois l'a prouvé. Ce parti n'a jamais voulu renverser l'ordre européen, le gouvernement grec a rapidement fait de larges concessions (que l'on songe à l'accord du 20 février). Mais sa demande d'une approche plus pragmatique dans le traitement du cas grec conduisait à une remise en cause de la vérité absolue de la logique "austéritaire" décrite plus haut. Il fallait donc frapper fort pour faire cesser à l'avenir toute velléité de remise en cause de l'ordre européen établi. Il y a dans cette Europe un air de « Sainte Alliance » de 1815, révélé désormais au grand jour. Comment autrement expliquer cet acharnement face à Athènes ce week-end, cette volonté de « vengeance » ? Alexis Tsipras avait cédé sur presque tout, mais ce n'était pas assez, il fallait frapper les esprits par une humiliation supplémentaire.

    Identification entre euro et austérité

    Le problème, c'est que, désormais, l'identification entre l'euro et l'austérité est totale. Le comportement des dirigeants de la zone euro avant et après le référendum pour faire du « non » aux mesures proposées un « non » à l'euro le prouvent aisément. La volonté explicite de durcir les conditions imposées à la Grèce pour rester dans la zone euro ce week-end enfonce le clou. Aujourd'hui, c'est bien la question de la « réforme de la zone euro » et de sa gouvernance qui est posée. C'est un cadeau magnifique fait en réalité aux Eurosceptiques qui auront beau jeu désormais de fustiger la faiblesse d'Alexis Tsipras et de faire de la sortie de la zone euro la condition sine qua non d'un changement, même modéré, de politique économique. Cette fin de semaine, une certaine idée, optimiste et positive, de la zone euro a perdu beaucoup de crédibilité.

    Grexit ou pas, le précédent existe désormais

    Du reste, ceux qui se réjouissent d'avoir sauvé l'intégrité de la zone euro se mentent à eux-mêmes. Pour la première fois, l'impensable a été pensé. L'irréversibilité de l'euro est morte au cours des deux dernières semaines. Grexit ou pas, la possibilité d'une sortie de la zone euro est désormais établie. La BCE l'a reconnue par la voix de deux membres de son directoire, Benoît Coeuré et Vitor Constancio, et l'Eurogroupe en a explicitement menacé la Grèce. Dès lors, la zone euro n'est plus un projet politique commun qui supposerait la prise en compte des aspirations de tous ses Etats membres par des compromis équilibrés. Elle est un lieu de domination des forts sur les faibles où le poids de ces derniers ne comptent pour rien. Et ceux qui ne se soumettent pas à la doctrine officielle sont sommés de rendre les armes ou de sortir. On accuse Alexis Tsipras d'avoir « menti » à son peuple en prétendant vouloir rééquilibrer la zone euro. C'est faux, car il ne connaissait pas alors la nature de la zone euro. Maintenant il sait, et les Européens aussi.

    C'est la réalisation du projet « fédéral » de Wolfgang Schäuble : créer une zone euro plus centralisée autour d'un projet économique accepté par tous, ce qui suppose l'exclusion de ceux qui le remettent en cause. Angela Merkel s'est ralliée à ce projet parce qu'elle a compris qu'Alexis Tsipras ne sortirait pas de lui-même. Elle a donc pensé pouvoir obtenir la discipline et l'intégrité de la zone euro. Mais elle se trompe, elle a ouvert une boîte de Pandore qui pourrait coûter cher à l'avenir au projet européen. De ce point de vue, peu importe que le Grexit n'ait pas eu lieu  : sa menace suffit à modifier la nature de la zone euro.

    La nature de l'euro

    L'euro devait être une monnaie qui rapprochait les peuples. Ce devait être la monnaie de tous les Européens. Or, cette crise a prouvé qu'il n'en est rien. On sait que, désormais, on peut priver certains habitants de la zone euro de l'accès à leur propre monnaie. Et que cette privation est un moyen de pression sur eux. Il sera donc bien difficile de dire encore « l'euro, notre monnaie » : l'euro est la monnaie de la BCE qui la distribue sur des critères qui ne prennent pas en compte le bien-être des populations, mais sur des critères financiers dissimulant mal des objectifs politiques. L'euro est, ce matin, tout sauf un instrument d 'intégration en Europe. En réalité, on le savait depuis la gestion de la crise de Chypre en 2013, qui, on le comprend maintenant, n'était pas un « accident. »

    Le choc des démocraties réglé par le protectorat

    La résistance d'Alexis Tsipras et l'accord obtenu mettent également à jour le déséquilibre des légitimités démocratiques. Longtemps, l'argument a été que les Grecs ne pouvaient pas imposer leurs choix démocratiques aux autres démocraties. Ceci était juste, à condition que ce soit réciproque.

    Or, ce lundi 13 juillet, la démocratie grecque a été fragilisée et niée par ses « partenaires » européens. On a ouvertement rejeté le choix des Grecs et imposé à la place celui des autres gouvernements démocratiques. Le débat ne se tenait pas entre démocraties mais entre créanciers et débiteurs. Jamais la zone euro n'a voulu prendre au sérieux les choix grecs. Et toujours on a cherché à se débarrasser de ceux qui étaient issus de ces choix. Il est donc possible de faire d'un pays de la zone euro une forme moderne de protectorat financier. C'est là encore un dangereux cadeau fait aux Eurosceptiques qui auront beau jeu de venir se présenter en défenseurs de la souveraineté populaire et de la démocratie.

    Plus d'intégration ?

    François Hollande a promis « plus d'intégration » dans la zone euro les mois prochains. Ceci ressemble dangereusement à une fuite en avant. Angela Merkel a prouvé qu'elle avait choisi le camp de Wolfgang Schäuble, de concert avec la SPD. On ne peut donc que s'inquiéter de cette promesse de l'hôte de l'Elysée qui ne peut aller que dans le sens des erreurs commises. Enivrée par leurs victoires sur un peuple déjà à genoux, les dirigeants de la zone euro doivent prendre garde de ne pas aggraver encore un bilan qui, au final, est aussi négatif pour les vainqueurs que pour les vaincus. 

    Romaric Godin - La Tribune 13.07.2015

     

  • Guy Mettan - « Russie : l’attitude des intellectuels français ? Une énorme déception »

     

    Entretien réalisé par Grégoire Arnould

    Homme politique et journaliste suisse – détenteur également de la nationalité russe-, Guy Mettan vient de publier aux éditions des Syrtes Russie-Occident, une guerre de mille ans. Une enquête sur la russophobie occidentale qui trouve sa source, selon l’auteur, dans l’action de Charlemagne et le schisme qui a suivi, deux siècles plus tard. Depuis, rien n’a changé et la Russie est toujours regardée par les Occidentaux d’un œil méfiant et suspectée des pires crimes, même lorsqu’elle est innocente.

    Dans quel contexte avez-vous écrit ce livre ?

     Je dispose de la double nationalité suisse et russe depuis quelques années, ce qui m’a rendu plus attentif à la manière dont la presse occidentale parlait de ce pays. Et comme mon domaine d’activité est précisément le journalisme, j’ai voulu écrire sur ce sujet. A savoir que mes confrères tordent la réalité russe ou la présentent systématiquement de manière biaisée. Cette façon de procéder n’est pas conforme aux standards journalistiques. Mon livre a vocation à rétablir certaines vérités.

    Cette manière de traiter la Russie est-elle équivalente en Suisse et en France ?

     En France, c’est pire ! La presse française ne remplit pas sa mission d’information. Elle cite toujours les mêmes sources, ne confronte jamais les opinions et, dans le cas de la Russie, ne donne jamais la parole à ceux qui défendent la position russe. Cela m’avait particulièrement marqué lors des JO de Sotchi. C’était un russian-bashing terrible alors que la Russie, qui avait payé de sa poche tous les investissements nécessaire à l’organisation de ces JO, n’avait rien à se reprocher ! Cela n’a pas empêché les Occidentaux de l’accuser de tous les maux de la terre : soi-disant déplacements de populations, soi-disant répression de militants LGBT. Puis la couverture médiatique occidentale et particulièrement française des récents événements en Ukraine m’ont tellement agacé que cela a fini par me convaincre de la nécessité d’écrire ce livre.

    L’objet de votre livre est de dénoncer cette russophobie ?

     Je suis parti de la situation actuelle et j’ai pris quatre exemples contemporains où, bien que la Russie ne soit absolument pas en cause, elle a été jugée coupable. D’abord, l’affaire du crash d’Uberlingen en 2002 où un avion russe Tupolev) et un Boeing de la compagnie DHL sont entrés en collision. On a accusé tout de suite le pilote russe d’être responsable de l’accident, arguant qu’il avait trop bu ou qu’il ne parlait pas anglais etc. Des accusations sans aucune analyse ! 48 heures après, l’enquête a démontré qu’il s’agissait d’une erreur des aiguilleurs du ciel suisse de Zurich. Même chose, en 2004, avec la tragédie de Beslan. 1 000 enfants sont alors pris en otage par des Tchétchènes. Qui est accusé ? Les Russes ! Imaginez si l’on avait accusé les Américains d’être responsables du 11 septembre… Autre illustration : la Géorgie en 2008. Toutes les enquêtes, même celles du Conseil de l’Europe, pourtant pas pro-russe, ont montré que ce sont les Géorgiens qui ont attaqué les premiers. Ce qui n’empêche pas les grands journaux nationaux, aujourd’hui encore, sous la plume de journalistes en principe qualifiés, d’expliquer que c’est un coup des Russes ! Un mensonge éhonté, une nouvelle fois.

    Comment expliquer cette mise en accusation permanente des Russes ?

     Une grande partie du livre est, justement, une enquête historique. Mon objectif était de chercher les causes de la russophobie dans l’histoire. Je suis remonté jusqu’à Charlemagne. C’est la première rivalité géopolitique entre l’Occident et le monde greco-oriental. Ensuite, la rupture s’est poursuivie sur le plan religieux avec le schisme de 1054 et la naissance du Saint Empire Romain Germanique. Après la chute de Constantinople, quand la Russie a repris à son compte l’héritage byzantin, les préjugés anti-grecs se sont transférés sur la Russie. Il faut attendre le XVIIIe siècle, sous Pierre Le Grand, pour entrevoir des moments de russophilie, avec notamment Voltaire ou Diderot… Mais dès la fin du siècle, une nouvelle forme de russophobie se développe en France avec Montesquieu… Elle s’est caractérisée par la rédaction d’un faux testament de Pierre Le Grand, que Napoléon a refait imprimer juste avant la campagne de Russie pour légitimer son intervention militaire. Il y était écrit que les Russes projetaient une invasion et une annexion de l’Europe.

    La Russie n’est-elle donc qu’un bouc-émissaire ?

     On reproche à la Russie son manque de démocratie… Pourtant, aujourd’hui comme hier, les Anglais ou les Américains ne se sont jamais interdits de s’allier avec les pires despotes de la planète ! Que l’on pense aux sultans de l’empire ottoman ou aux émirs d’Arabie Saoudite de nos jours. Faut-il rappeler qu’il y a eu cent décapitations chez les Saoudites au premier semestre 2015 ? Combien en Russie ? A-t-on entendu Obama s’indigner ? On a ainsi affaire à un double langage des Occidentaux, qui utilisent la démocratie comme un prétexte.

    Derrière ce double langage, faut-il y voir une peur du réveil russe ?

    Du point de vue géopolitique, les Russes sont les concurrents directs des Anglo-saxons pour la maîtrise du monde. D’où l’interventionnisme des Américains au sein de l’Union européenne pour déstabiliser la Russie. C’est écrit noir sur blanc chez Zbigniew Brzeziński, l’un des plus influents géopoliticiens américain : la Russie est un obstacle pour les ambitions américaines. Dès lors, les événements d’Ukraine apparaissent sous un jour différent ! Les stratèges américains n’ont pas beaucoup de scrupules.

    Et en France, pourquoi ce sentiment anti-russe ?

    C’est une énorme déception que de voir l’attitude des intellectuels français. De Gaulle avait compris que la force de la France reposait sur le maintien des équilibres entre l’Europe et les États-Unis en s’appuyant, si nécessaire, sur la Russie. En entrant dans l’Otan, elle a abdiqué toute autonomie et indépendance de pensée. Je suis frappé de voir à quel point ce pays, qui est le seul en Europe à pouvoir faire contrepoids à l’Allemagne, n’existe presque plus sur la scène internationale. Elle pourrait pourtant retrouver son influence en tendant intelligemment la main à la Russie. 

    Russie-Occident, une guerre de mille ans, de Guy Mettan, éditions des Syrtes, 472p., 20 euros. 

  • Aujourd'hui, Saint Benoît, patron de l'Europe : si l'Europe veut exister, qu'elle commence par ses racines

     

    Saint Benoît-sur-Loire : « une des plus anciennes églises romanes de France. Ses fondations remontent au XIème siècle. (...) La basilique apparaît derrière un écran d'aubépines. Dieu, qu'elle est belle dans sa robuste simplicité ! Sa façade, couleur de vieil ivoire, ressemble à une plaque d'évangéliaire. (...) Dans la crypte, je distingue, dans la pénombre, un sarcophage très ancien : c'est celui de Philippe 1er. Puis, une châsse plus ancienne encore, contenant les reliques de Saint Benoît, le saint patron de l'Europe ».    

     

    Jacques Benoist-Méchin

    A l'épreuve du temps, Tome 2, 1940-1947, Julliard, 1989

     

  • Houellebecq à Matignon, Boutih à l’Intérieur ?

     

    Leurs analyses de la radicalisation islamiste convergent : c'est ce que Pascal Bories expose  dans Causeur.

    On notera simplement le caractère très critique des dites analyses à l'endroit du « corpus de valeurs » et de « l’ordre social très peu contraignant de nos sociétés démocratiques occidentales » et même à l'endroit de « la notion de République [...] inintelligible, comme diluée dans le libéralisme et la modernité ». Décidément, la contestation du régime gagne tous les milieux. « Déliquescence de notre système démocratique » ? Telle est l'expression que Pascal Bories utilise. Nous aussi.  LFAR

     

    pbories_thumbnail.jpgLa semaine dernière, Malek Boutih rendait un rapport sur la radicalisation djihadiste, qui lui avait été commandé par Manuel Valls fin février, dans la foulée des attentats de Paris. Un rapport « choc » pour les médias, bien qu’il ne recèle aucun scoop. Au même moment paraissait le numéro de juillet de la Revue des deux mondes, dans laquelle on peut lire une interview de Michel Houellebecq notamment consacrée aux questions de l’islam et du djihadisme. Là non plus, aucune provoc à signaler, hormis le soutien de l’écrivain à Michel Onfray qui aurait selon lui trouvé « le mot juste » en qualifiant le Premier ministre de « crétin ». 

    A priori, le député de l’Essonne et l’auteur de Soumission ne s’étaient pas consultés, mais leurs analyses très similaires apportent un vent de fraîcheur salvatrice en ces jours de canicule. Lisez plutôt. Boutih : « Là où la société se demande pourquoi part-on mourir à vingt ans au bout du monde, le djihadiste, lui, voit un chemin pour sortir de l’ennui de la pauvreté, de l’absence de perspectives. » Houellebecq : « Le terrorisme et le militantisme sont des moyens de socialisation. Ça doit être très sympa de vivre des moments ensemble, des moments forts contre la police… L’impression d’être ensemble contre tous. Ça crée de vraies relations, une amitié forte, voire l’amour dans le cas des femmes de djihadistes. »

    Malek Boutih développe : « Le corpus de valeurs et l’ordre social très peu contraignant de nos sociétés démocratiques occidentales ne fournissent pas un cadre suffisamment englobant et sécurisant pour s’y ancrer et s’y attacher. » Ou encore, plus loin : « La notion de République est inintelligible, comme diluée dans le libéralisme et la modernité, et le sentiment d’appartenance à une communauté nationale est très affaibli. Or une partie de la jeunesse refuse ces valeurs trop “molles” et cherche à se distinguer. » L’écrivain poursuit, en écho : « Une action violente quelconque peut effectivement être vue comme un moyen de sortir de l’anomie (désorganisation sociale résultant de l’absence de normes communes) désespérante.»

    Dans son texte intitulé Génération radicale, Malek Boutih tire donc la sonnette d’alarme, citant un sondage récent : « 61% des jeunes interrogés participeraient à un mouvement de révolte de grande ampleur. Rien de surprenant lorsque la frustration se combine à l’impuissance du monde politique. Les conditions de la radicalisation sont réunies, pas seulement pour une frange marginalisée, mais pour une majorité de la jeunesse ». Inquiet de « l’anomie » française, Houellebecq remarque : « On est davantage ensemble quand on a beaucoup d’ennemis. » De quoi faire réfléchir les chantres du « vivre ensemble », cette belle intention condamnée à paver l’enfer contemporain tant qu’on ne propose aucun combat commun…

    L’un et l’autre prennent d’ailleurs la défense de la mobilisation monstre du 11 janvier. Houellebecq juge qu’elle était « impressionnante et sincère » et avoue, chose rarissime chez cet incurable blasé : « Cette réaction massive m’a quand même fait plaisir ». Pour Boutih aussi, Todd n’a rien compris : « Face à un tel évènement la simple observation de données statistiques, de cartes et de graphiques, ne suffit pas à construire une analyse politique. » Et le député PS de dénoncer au contraire, sans langue de bois : « Sous l’effet d’une certaine gauche à court d’idéologie, les musulmans sont devenus la figure du peuple opprimé et Israël, puis les juifs par extension, le symbole de l’oppresseur occidental. » Heureusement, après les attentats, « la domination totale » de la gauche dans la sphère intellectuelle « s’est nettement fissurée », assure Houellebecq.

    Leur seul point de divergence ? Pour Boutih, « le succès des recruteurs djihadistes auprès des jeunes repose sur l’adhésion à un projet politique entrant en résonnance avec leurs préoccupations internationales et leur rejet de la société démocratique occidentale, plus qu’à une doctrine religieuse fondamentaliste ». Tandis que pour Houellebecq, il s’agit tout de même de « combattre une secte religieuse ». Ce qui n’est selon lui « pas une chose facile », et pour cause : « Une réponse purement policière à une secte religieuse n’a pas de garantie de l’emporter. Quand on n’a pas peur de la mort, la police on s’en fout un peu. »

    A cette exception près, la réapparition de telles convergences entre hommes politiques et gens de lettres est une excellente nouvelle. Le relatif courage de certains politiciens, comme Malek Boutih, et ce que Michel Houellebecq appelle « la tentation de liberté chez certains intellectuels » pourraient même – qui sait – nous fournir un début de remède à la déliquescence de notre système démocratique : la possibilité d’appeler un chat un chat.  

    Pascal Bories - Causeur 

    * Photo : EFE/SIPA/00711526_000002

     

  • Grèce : Dosis facit venenum

     

    Est-il possible d'analyser la crise grecque autrement qu'avec excès et passion ? Est-il possible d'en exclure phobies (les détestations a priori) et philées (les empathies irraisonnées) ? Les Français n'ont que trop coutume d'en embarrasser leur jugement en matière de politique étrangère. Est-il possible de ranger au musée des accessoires inutiles les illusions et les naïvetés ? Nous n'avions, au lendemain du référendum grec, ni à chanter les louanges suspectes de la démocratie et à lui concéder la vertu de changer la réalité des choses et des problèmes, comme les Grecs l'ont cru naïvement, ni à vouer le peuple grec à la vindicte de créanciers mauvais joueurs, et, somme toute, par avance, mauvais perdants. Dans une situation où tout le monde est largement fautif, l'Europe autant que la Grèce, sinon plus, sachons au moins raison garder, fixons notre politique en fonction des intérêts de la France et, si nous élargissons la perspective, de l'Europe, qui, jusqu'à preuve du contraire, inclut les Grecs. L'Europe, sinon l'Euro. Tachons, s'il se peut, d'être bainvilliens, ou, si l'on veut, d'Action Française.   

    La Grèce est entrée dans la Communauté Economique Européenne (CEE) au temps de Valéry Giscard d'Estaing - qui en fut le promoteur principal - Helmut Schmidt et Constantin Caramanlis [1981] pour des raisons symboliques (berceau de la démocratie et de la civilisation européenne), fussent-elles discutables, pour des raisons géostratégiques, tenant à l'affrontement Est-Ouest, et pour des raisons d'équilibre européen (équilibre Nord-Sud, auquel tenait la France). En soi, son admission dans ce qui deviendrait un jour l'Union Européenne n'entraînait de trop grands engagements pour personne.

    Son adhésion à la zone Euro (2001) était - comme on le voit aujourd'hui - d'une tout autre portée. Les Grecs l'ont alors quasiment imposée, à la stupéfaction des Allemands, Gerhard Schröder étant alors chancelier, mais, surtout, grâce à l'appui de la France, en la personne de Jacques Chirac. L'objectif du gouvernement grec était principalement de bénéficier des fonds structurels et des taux d'intérêt européens, pour financer sa dette. On sait ce qu'il en fut, que la Grèce en a profité plus que de raison, et que cette manne fut aussi son poison. Dosis facit venenum et la dose n'a pas été mince. Le poison non plus. Il est trop tard pour en pleurer. A la limite, il ne serait peut-être pas exagéré d'accuser les créanciers de la Grèce de soutien abusif.

    Les Institutions Européennes, les Etats, imbus d'une logique purement financière, ont cru, ou fait semblant de croire pour se cacher la vérité, que les milliards déversés sur la Grèce serviraient à son développement. A ce que l'on appelle, lorsqu'on consent au parler-vrai, son économie réelle. Les Grecs les ont utilisés pour le développement de leur bien-être immédiat et de la corruption. Et pour, en plus, faire de la dette. Comme les autres Etats européens, somme toute, mais dans des proportions très supérieures et sans production de richesse ou à peu près.

    Au cours des nombreux débats de la semaine écoulée, il nous a semblé que les observateurs les plus perspicaces - souvent eux-mêmes Grecs - étaient justement ceux qui concluaient que les milliards européens avaient, en fait, desservi, ou, si l'on veut, empoisonné la Grèce. Pays séculairement pauvre, elle a cessé de produire le peu qu'elle produisait jadis, elle a laissé mourir les industries qu'elle possédait, elle importe, aujourd'hui, jusqu'à son alimentation, qu'elle ne produit plus. Elle est devenue une économie de rente et de richesses gaspillées. Les finances européennes ont surtout servi à son affaiblissement. 

    Dans ces conditions, il serait somme toute assez cocasse que les Européens négocient maintenant la question des montants dont ils pourraient reprendre les versements à la Grèce, une fois la crise passée ... On sait que ces transferts - qui ne pourront durer indéfiniment - ne feront que prolonger une situation en soi malsaine. 

    Quelle pourrait être alors la solution réaliste et saine ? Sans-doute celle qui libèrerait la Grèce du remboursement de sa dette - au moins jusqu'à retour à bonne fortune (?) - sa sortie aidée de la zone euro, puis son indépendance monétaire, qui l'amènerait à créer sa propre monnaie, et financière qui exclurait tout nouveau plan d'aide européen.

    Les créanciers de la Grèce - dont nous-mêmes - ne perdraient pas grand chose car chacun sait que la Grèce ne remboursera jamais sa dette. Simplement, comme le dit Dominique Strauss Khan, ils "prendraient" leur perte, et la Grèce devrait recréer, par son effort propre, sa capacité industrielle, retrouver autant que possible son autosuffisance alimentaire, et assainir ses institutions politiques, ce qui, il est vrai, ne sera pas une mince affaire, dans un pays, habitué, depuis les siècles ottomans à dissimuler ses richesses, à refuser l'impôt, à cultiver l'incivisme.

    Ce que la crise grecque aura montré c'est la faible solidarité des peuples européens autant que leur persistance à être spécifiquement eux-mêmes, l'incapacité des institutions européennes à gérer les réalités de l'Union, et la pertinence des nations comme réalité politique exclusive. C'est sur elles, elles seules, que l'on pourrait envisager, malgré les échecs passés, les déceptions cumulées, de reprendre le projet européen.  LFAR

     

  • Quand le Pape parle avec Poutine ... Le point de vue de François d'Orcival

    Le point de vue de François d'Orcival

    L'on n'est pas forcé d'être en tous points d'accord avec les interventions de l'Eglise dans les affaires politiques. Reconnaissons aussi que la diplomatie vaticane a souvent du bon ... C'est ce que suggère de façon claire cet article de François d'Orcival. LFAR  

    Le  pape multiplie les marques de bienveillance à l'égard de Vladimir Poutine. Il vient de le recevoir au Vatican. Pour la deuxième fois en deux ans. Il lui avait même adressé une lettre, le 5 septembre 2013, à l'occasion du sommet du G20 qu'il accueillait à Saint-Pétersbourg. Comment ne pas se poser la question : quand le pape fera-t-il le voyage de Moscou ?

    Les deux hommes ont besoin l'un de l'autre. Tout est lié : le dossier ukrainien, les relations avec les orthodoxes et le patriarcat de Moscou, la protection des minorités chrétiennes d'Orient et la mise hors d'état de nuire du « califat islamique ». Et toute solution passe par le Kremlin.

    « La situation dramatique du bien-aimé peuple syrien dure depuis bien trop longtemps,écrivait le pape à Poutine en septembre 2013. Elle risque d'apporter une plus grande souffrance à une région amèrement touchée par des conflits. » Il nese trompait pas. Depuis, Daech a surgi en Orient et la guerre civile, en Ukraine. Le 6 juin dernier, François dénonçait à Sarajevo le « climat de guerre qui domine le monde ».

    Les Occidentaux ont puni Poutine, accusé d'être le fauteur de guerre en Ukraine, en sanctionnant son économie et en l'excluant du G8 (redevenu le G7). Mais c'est lui qui a la clé de la situation en Orient, et donc du sort des chrétiens ; c'est aussi de lui que dépend la résolution des Nations unies dont les Occidentaux ont besoin pour démanteler les trafics de passeurs de migrants clandestins sur les côtes libyennes.

    C'est bien là que le pape a saisi l'opportunité de devenir le médiateur de la paix — en cherchant avec Poutine un compromis en Ukraine et une issue en Syrie. Perspective que Valéry Giscard d'Estaing est allé plaider lors d'une conférènce prononcée le 5 juin à New York; lui aussi souhaite que la question ukrainienne soit débloquée avant la fin de l'année, afin que la Russie puisse devenir ensuite un « partenaire privilégié » de l'Europe, ce qui devrait entraîner non seulement « des projets communs », mais aussi « une coopération militaire ». On imagine ce que serait la situation de l'Etat islamique si l'Occident et la Russie décidaient ensemble de le chasser... Le pape voit loin quand il parle avec Poutine

    Figaro magazine du 20 juin 2015