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Actualité Europe - Page 60

  • Les Grecs indépendants, une extrême droite ?

    Photo : Panos Kemmenos, leader des Grecs indépendants. 

    Par Yves Morel

    L’accès au pouvoir d’Alexis Tsipras en Grèce n’a été possible qu’avec l’appoint des 13 députés des Grecs indépendants qui a permis à Syriza, la formation du nouveau Premier ministre, d’obtenir la majorité à la Boulè (fixée à 151 sièges, quand elle en disposait de 149). Un ralliement qui, quoique jugé prévisible par quelques politiques et observateurs, a surpris tout le monde. Les deux formations sont, en effet, aux antipodes l’une de l’autre. Coalition de la gauche radicale incluant des alternatifs de sensibilité écologiste, des socialistes anticapitalistes marxisants, proche à la fois, sur l’échiquier politique français, d’Attac, du NPA, du Front de Gauche, des Alternatifs et de l’aile gauche des Verts, Syriza n’a rien en commun avec les Grecs indépendants, nationalistes, conservateurs, favorables à l’entreprise privée, et très liés à l’armée et à l’Église orthodoxe.

    Les deux partis se sont pourtant retrouvés sur leur plus petit dénominateur commun : leur hostilité à l’euro, le refus de la politique d’austérité imposée par Bruxelles et la renégociation du remboursement de la dette grecque. Et la capitulation de Tsipras à Bruxelles ne semble pas avoir entamé cette alliance limitée à ce seul point.

    Un parti souverainiste dirigé par un grec francophile

    Où situer les Grecs indépendants (Anexátítí Éllines, soit ANEL)? Leurs positions souverainistes les apparentent, à l’esprit de beaucoup, à Debout le France de Nicolas Dupont-Aignan. Et, de fait, les deux mouvements sont nés d’une rupture d’avec leur formation d’origine, qui se trouvait être le grand parti conservateur de leur pays : Debout la France (DLF) fut d’abord, et jusqu’en 2008, un courant de l’UMP, et Dupont-Aignan, un élu de cette formation avant de la quitter ; les Grecs indépendants, quant à eux, fondés en février 2012, sont une dissidence de Nouvelle Démocratie, dont Kammenos fut député. De plus, ce dernier affiche ouvertement ses affinités souverainistes avec Dupont-Aignan, lequel ne lui ménage pas son soutien public ; les deux hommes se sont rencontrés, s’apprécient, et Kammenos a pris publiquement la parole lors d’un meeting de DLF.

    Leurs relations sont d’autant plus aisées que Kammenos parle couramment le français et connaît très bien notre pays, sa sensibilité et sa culture ; après avoir été élève d’un lycée français de Grèce, il a effectué ses études supérieures de sciences économiques, de gestion des entreprises et de psychologie à l’université Lyon II, puis à Lausanne, en Suisse romande. Les deux partis et leurs leaders respectifs combattent l’euro, la politique européenne commune pilotée par la Commission européenne, la tyrannie des critères de convergence et la limitation draconienne des déficits budgétaires, le culte monétariste de la devise forte, la mondialisation et le libéralisme sans frontières, la disparition des souverainetés nationales au profit du marché mondialisé, de la technocratie de bruxelloise et de la loi des bourses et des grandes banques.

    Proche de DLF ou du MPF ?

    Cependant la ressemblance s’arrête là. Car quant au reste, les différences et les oppositions apparaissent en nombre. En effet, Dupont-Aignan et DLF sont des républicains laïcs, relativement progressistes, dont le gaullisme orthodoxe se nuance assez fortement de mendésisme, les rapprochant en cela du Pôle républicain et de la gauche chevènementiste. A l’opposé, Kamennos et les Grecs indépendants s’ancrent résolument à droite, défendent la religion et la morale chrétiennes, entretiennent les meilleurs rapports avec l’Eglise orthodoxe, réprouvent les mesures laïques votées ces dernières années en Grèce (mariage civil, partenariat civil pour les couples homosexuels, laïcisation de l’enseignement) et combattent résolument le multiculturalisme et l’immigration. En fait, ils s’apparentent beaucoup plus au Mouvement pour la France (MPF) de Philippe de Villiers qu’au DLF de Dupont-Aignan ; leurs vues coïncident en tous point avec ceux du Vendéen, la seule petite différence résidant en la différence confessionnelle, l’ANEL se réclamant de la religion orthodoxe quand le MPF fait fond sur le catholicisme ; ceci dit, tous deux promeuvent l’idéal d’une civilisation chrétienne. Mais ce n’est pas seulement sur les questions d’éthique et de société que se situent les affinités entre l’ANEL et le MPF : les deux formations se ressemblent également par leur nationalisme économique.

    Toutes deux sont hostiles au grand marché européen sans frontières découlant de l’Acte unique européen et de l’institution de l’euro, des critères de convergences et contraintes budgétaires en découlant, de la Banque Centrale Européenne, se prononcent en faveur du protectionnisme patriotique et revendiquent le droit, pour leurs nations respectives, de mener une politique commerciale extérieure conforme à leurs intérêts propres et à leur parcours et traditions historiques. Ce patriotisme économique était ouvertement revendiqué en France par Philippe de Villiers et Jimmy Goldsmith en 1894-1897, et il l’est aujourd’hui en Grèce par l’ANEL. Kamennos préconise la conclusion d’alliances économiques fécondes de la Grèce avec la Russie et la Chine et considère avec un optimisme allègre la position géographique de son pays qui, selon lui, peut devenir la plaque tournante des exportations chinoises vers l’Europe, le Moyen-Orient et l’Afrique septentrionale. C’est avec enthousiasme qu’il annonce « la résurrection de la route de la soie à la fois sur terre et sur mer ». Et, ministre délégué à la Marine marchande, dans le second gouvernement de Kostas Karamanlis (2007-2009), il a décidé la conclusion d’un accord avec le groupe chinois COSMO attribuant à ce dernier une concession de trente ans dans la station de conteneurs du port du Pirée (30 novembre 2008).

    Un parti d’extrême droite ?

    L’ANEL, parti des Grecs indépendants, est donc, assurément, un parti de droite, nationaliste, chrétien, hostile à l’Europe communautaire. Il est le jumeau intellectuel et moral du MPF français bien plus que l’équivalent approximatif du DLF de Dupont-Aignan, nonobstant les relations amicales entre les deux partis. Doit-on l’assimiler à l’extrême-droite, à l’instar de Daniel Cohn-Bendit, qui voit en Kamennos « un homophobe, un antisémite et un raciste » et considère l’alliance de Syriza avec l’ANEL comme un « scandale » ?

    Il conviendrait d’abord de clarifier cette notion d’ « extrême droite », tout comme d’ailleurs celle d’ « extrême gauche ». Quel(s) critère(s) permet(tent) de qualifier un parti d’ «extrême » ou d’«extrémiste » ? De l’avis général des politologues et des historiens contemporainistes, un parti peut être qualifié ainsi lorsqu’il préconise – idéologiquement, éthiquement et institutionnellement – une rupture radicale avec le régime dont il combat le gouvernement, et l’édification d’un nouveau système politique et social fondé sur des valeurs et une vision de l’homme et du monde en opposition avec lui. Tel n’est pas le cas de l’ANEL qui ne préconise pas un changement de régime et critique les orientations des grands partis habituellement au pouvoir en Grèce sans contester pour autant la démocratie libérale et parlementaire instaurée par la constitution de 1974. Les Grecs indépendants réclament certes un contrôle sévère de l’immigration, l’exclusion des clandestins, défendent une morale chrétienne rigoureuse, plaident la cause de l’exemption d’impôts de l’Eglise orthodoxe, se prononcent contre la banalisation de l’homosexualité et le mariage gay et lesbien, critiquent la « culture » du rap, du tag, du reggae et des tam-tams, défendent la tradition culturelle hellénique, mais tout cela reste parfaitement compatible avec la démocratie libérale.

    Et le fait que M. Kamennos soit décoré de l’Eglise orthodoxe tchèque et du Grand Patriarcat de Jérusalem ne fait pas de lui un champion de la théocratie. Quant à l’accusation d’antisémitisme, lancée à propos de la critique de l’exemption d’impôts des juifs, musulmans et bouddhistes (et, à ce sujet, pourquoi ne pas parler également de racisme anti-arabe ou anti-asiatique ?), elle est bancale : dénoncer le privilège indu d’une communauté (en l’occurrence de trois communautés différentes) au nom de la simple égalité devant la loi ne relève pas du racisme. Du reste, l’ANEL ne conclut guère d’alliances qu’avec des partis reconnus comme démocratiques. Aucun des partis du groupe parlementaire européen auquel elle appartient ne peut être sérieusement et de bonne foi taxé d’opposition à la démocratie et aux libertés publiques. Et nous avons vu quels liens cordiaux l’unissaient au DLF de Dupont-Aignan, indubitablement républicain et laïc. En fait, le seul parti d’extrême droite et antidémocratique de la Grèce actuelle est l’Aube dorée. Rappelons, pour clore ce point, qu’en France, l’ultra gauche elle-même n’a pas critiqué le choix de Syriza de s’allier à l’ANEL, qu’il s’agisse d’EELV (de par son porte-parole Julien Bayou, à Athènes au début de cette année et ardent soutien de Syriza), ou du parti communiste (de par les propos récents de Pierre Laurent), qui ont estimé qu’un tel accord pouvait offrir pour la Grèce des perspectives intéressantes.

    La même relativisation de cette notion d’extrémisme vaut pour Syriza. Cette formation, née de l’alliance de divers partis et associations allant de la gauche marxiste aux représentants d’un idéal humaniste et social-démocrate modéré en passant par les altermondialistes et les écologistes, a été située à l’extrême gauche, alors que rien, dans son programme – au demeurant critiquable sur bien des points – n’indique l’ambition d’édifier une société collectiviste ou anarchiste et une volonté de rupture d’avec la « démocratie bourgeoise » libérale et parlementaire, le capitalisme, la libre entreprise. Le simple fait pour un parti de refuser la mondialisation néolibérale, la financiarisation de l’économie, la soumission aux lois du marché et aux fluctuations boursières, et la tyrannie de la Commission européenne, de la BCE et des « critères de convergence », ne suffit pas à le classer à l’ « extrême gauche » ; de même que l’adhésion à l’idée d’instituer la taxe Tobin sur les transactions financières (critiquable, elle aussi), n’est pas le fait des seuls gens de d’extrême gauche ou simplement de gauche (des centristes comme François Bayrou et des hommes de droite comme Jacques Chirac et Paul-Marie Coûteaux s’y sont ralliés).

    Ni Syriza ni ANEL ne sont des partis extrémistes, ni Alexis Tsipras ni Panos Kamennos ne sont des extrémistes désireux d’instaurer, le premier une république populaire teintée d’écologisme et de libertarisme sociétal, le second une théocratie nationaliste. Ces deux mouvements et leurs meneurs respectifs ne sont que les expressions différentes, certes opposées mais complémentaires, du refus d’une Europe supranationale destructrice des peuples.

    En réalité, l’ANEL et son alliance au pouvoir avec SYRIZA montrent surtout l’inanité de la traditionnelle classification des formations politiques en éventail allant de l’extrême gauche à l’extrême droite, et révèlent que la défense de la civilisation, de la tradition et de la nation excèdent les trop habituels et spécieux clivages politiques et sont parfaitement compatibles avec la défense des intérêts économiques et sociaux du peuple.   

    Docteur ès-lettres, écrivain, spécialiste de l'histoire de l'enseignement en France, collaborateur de la Nouvelle Revue universelle

     

  • Un Républicain réaliste face au Roi d'Espagne...

    © Copyright : DR

    Par Péroncel-Hugoz

    L’opinion espagnole est partagée sur l’institution monarchique mais certains républicains sont raisonnables et tiennent compte de l’existence d’un consistant royalisme populaire.

    « La monarchie figure toujours parmi les institutions les plus appréciées en Espagne (…). J’ai offert au Roi les dévédés de la série « Le trône de fer », en les lui présentant comme un outil d’interprétation de ce qui se passe chez nous… ». 

    Qui parle ainsi, avec un humour déférent, de Sa Majesté catholique, Philippe VI, né en 1968, chef de l’Etat espagnol depuis 2014 ? Eh ! bien, rien de moins que le Senor Pablo Iglesias Turrion, né en 1978, ex-communiste (1994-99), républicain notoire, prof de science politique, député européen et secrétaire général du nouveau parti hispanique d’ultra-gauche Podemos ; il s’exprimait en juillet 2015, à Paris, dans « Le Monde diplomatique », mensuel de gauche indépendant et qui est aussi la publication française la plus lue à travers la planète où elle est diffusée en 20 langues dont l’arabe, l’espagnol, le japonais, le kurde, etc.. Le jeune élu (mais à l’allure « rétro » avec sa queue-de-cheval très Mai-1968…) n’était pas connu jusqu’ici pour son réalisme et son langage « politiquement incorrect », si peu fréquents de nos jours parmi les gauches d’Europe occidentale ou du Maghreb … 

    Dans son article du mensuel parisien, Pablo Iglesias condamne le comportement non seulement contre-productif, de la majorité de la nouvelle gauche espagnole, notamment Izquierda Unida. Comportement observé en particulier, en cette année 2015, lors de la visite officielle du roi Bourbon à l’assemblée de l’Union européenne : « Nous sommes républicains ! Nous ne reconnaissons pas la monarchie [espagnole], nous n’irons donc pas à la réception en l’honneur de Philippe VI, avaient d’emblée proclamé bon nombre des élus espagnols invités à cette manifestation paneuropéenne. Ce à quoi Iglesias retorqua : « Cela nous aliène instantanément de larges couches de la population [espagnole] qui éprouvent de la sympathie pour le nouveau souverain ». 

    En revanche, le chef de Podemos s’est flatté, lui, d’être allé, quoique dans ses vêtements négligés habituels, à l’invitation où il a conversé avec Philippe VI et lui a même offert un dévédé (Voir supra). Et notre élu de conclure, dans « Le Diplo », avec une remarquable intelligence politique : « Bien sûr, c’est une posture délicate à tenir mais c’est la seule qui nous permette de maintenir le jeu politique ouvert, de manœuvrer (…) au lieu d’être relégués dans une position pure mais impuissante ». Philippe VI a bien de la chance d’avoir des adversaires comme Pablo Iglesias ! Le monarque madrilène semblant, lui aussi, jouir d’une assez consistante intelligence politique, la scène espagnole a des chances d’être particulièrement intéressante sous ce nouveau règne… 

    Un exemple récent de l’habileté royale ? Lors de sa visite d’Etat à Paris, en 2015, avec la reine Letizia, Philippe VI (après avoir rencontré les deux hauts responsables français nés espagnols : le Premier ministre Manuel Valls et Mme Anne Hidalgo, maire de Paris) a tenu à inaugurer en personne, à Paris IVe, le Jardin des Combattants-de-la-Nueve, en mémoire de républicains espagnols ayant participé en 1944 à la libération de la capitale française. Non seulement le Roi d’Espagne jouait parfaitement là son rôle monarchique d’arbitre impartial au-dessus des partis et clivages mais, en même temps, lui qui descend directement de Louis XIV, le plus célèbre des « 40 rois qui firent la France », il honorait une belle figure militaire et monarchiste française, le maréchal Leclerc, sous l’autorité suprême duquel se battirent les républicains espagnols de la Nueve… Donc coup double réussi qui n’a pas échappé, en outre, aux monarchistes du monde entier…  

    Péroncel-Hugoz - Le 360.ma

     

  • Thalys : à quand le réveil européen contre l'islamisme ?

     

    Une humeur d'Alexandra Laignel-Lavastine, dans Figarovox 

    Il s'agit, en effet, d'une humeur, d'un coup de gueule, sur lequel on peut discuter. L'ensemble comme le détail nous paraissent très bien vus. On a aussi parfois l'impression de quelque démesure, mais il s'agit d'un coup de gueule. Après l'attaque terroriste contrée du Thalys, Alexandra Laignel-Lavastine estime que les autorités d'Europe ne prennent pas les mesures adéquates pour enrayer le phénomène djihadiste. Mais de quelles autorités européennes pourraient-elles bien venir ? il n'y a aucune chance que ce soit du côté des Institutions Européennes : elles sont immigrationnistes. Pourrait-il y avoir un réveil, une coordination, une conscience commune des peuples européens face à la menace djihadiste et se pourrait-il qu'alors des mesures adéquates soient enfin prises ? A notre sens, ce ne pourrait être que par les Etats, sous la pression de la menace, de son extension, de ses violences et, du coup, des opinions publiques. Ce qui n'interdirait ni aux Etats, ni aux opinions européennes de se coordonner. LFAR 

     

    Ayoub El Khazzani, le sinistre individu qui a bien failli provoquer un bain de sang dans le Thalys Amsterdam-Paris ce vendredi 21 août — n'eût été le courage de trois jeunes Américains, dont deux militaires chevronnés —, fêtera ses 26 ans le 3 septembre. Encore « un enfant perdu du djihad » victime du racisme, de l'exclusion et de l'islamophobie ?

    Probable. D'ici quelques jours, il est à parier que nous verrons fleurir quelques fines « analyses » de ce genre. Dans l'effrayant climat de déni bien-pensant qui continue d'entourer l'ampleur du danger islamiste en Europe — car c'est un fait, l'ennemi est désormais intérieur autant qu'extérieur —, rappelons en effet que la plupart de nos journaux se complaisaient, il y a encore un an, à reprendre en chœur cet euphémisme rassurant. Pieuse sidération. Un « enfant perdu », c'est mignon, cela suscite la bienveillance et la compassion. Et l'endormissement des consciences au passage, de quoi prolonger l'interminable sieste européenne. Du reste, un grand quotidien a choisi de traiter ce « fait divers » (?) en « société » et non dans ses pages internationales. Comme si nous n'avions pas affaire à un fléau désormais planétaire ; comme si Ayoub El Khazzani ne revenait pas de Syrie ; comme si quelque 10 000 jeunes musulmans d'Europe n'étaient pas désormais concernés par le djihadisme ; et comme si leurs mentors leur conseillaient à leur retour d'aller à la plage (encore que depuis la tuerie de Sousse…), au lieu de commettre des attentats contre un Occident honni et mécréant — aurait-on déjà oublié le décapité de l'Isère de la fin juin ?

    Et dans une semaine? On ne voit aucune raison pour que nos belles âmes n'accordent pas le statut de « victime » à ce terroriste-là aussi, muni d'une kalachnikov, de neuf chargeurs bien garnis, d'un pistolet automatique Luger, d'un chargeur neuf mm et d'un cutter, un fanatique prêt, autrement dit, à assassiner des centaines de passagers. Une « victime » ? Cela ne fera aucun doute puisque l'homme, un ressortissant marocain doté d'une carte de séjour lui permettant de se déplacer librement en Europe, appartient à la catégorie « damné-de-la-terre », humilié par une Europe intrinsèquement coupable et post-coloniale. Ne demandons plus à nos bigots « progressistes » et définitivement aveugles — ceux que certains intellectuels d'origine musulmane laïcs et démocrates n'hésitent plus à qualifier de « collabos face aux islamistes » —, d'entrouvrir un œil et de mettre leur montre à l'heure. Plus leur sens moral se perd, plus leur catéchisme binaire se révèle obsolète, plus ils s'y enferrent. Leur cas est désespéré, mais leur capacité de nuisance intacte. On l'a vu au lendemain des tueries de janvier 2015 à Paris : voilà déjà que quelques semaines plus tard, il ne s'agissait déjà plus de combattre l'islamisme radical, mais le « laïcisme radical » (Todd) ou encore, sur Médiapart, « le triomphe du Parti de l'ordre » (le plan Vigipirate…). Car, cela va de soi, les bourreaux étaient en vérité les victimes (des discriminations et de la haine des Noirs et des Arabes) et les victimes de Charlie ou de la supérette casher des bourreaux : les premiers avaient offusqué les musulmans avec leurs caricatures du Prophète et les Juifs faisant leurs courses un vendredi après-midi devaient être les suppôts d'un Etat « nazi », à savoir Israël…

    C'est dire si la maladie française et européenne est profonde. À se demander si elle n'est pas devenue incurable.

    En outre, est-on bien certain que les droits de l'homme auront été respectés dans ce que l'on appellera bientôt « l'affaire du Thalys » — la menace terroriste la plus grave à laquelle l'Europe fait face depuis le 11 septembre 2001, selon Europol —, comme on parle désormais de « l'affaire Merah » pour désigner (et banaliser) un massacre d'enfants juifs ? À la réflexion, se précipiter sur le terroriste afin de le neutraliser et même, pour ce faire, le rouer de coups et le mettre torse nu comme à Abou Graib, n'est-ce pas extrêmement vilain ? Circonstance aggravante : c'est pour l'essentiel à deux jeunes soldats américains hyper-entraînés, au sang-froid remarquable, que l'on doit d'avoir évité un carnage étant donné la persistante nullité des services de sécurité européens. A-t-on par ailleurs conscience de l'extraordinaire professionnalisme requis pour immobiliser un homme surarmé dans un wagon bondé ? Mais non. Les Américains, on les connaît. Et de surcroît, ces deux-là revenaient d'Afghanistan: des « impérialistes » donc, des « terroristes » selon le livre de Noam Chomsky qui s'étale dans toutes nos librairies et, bien entendu, d'abominables « racistes ». Les mêmes âmes vertueuses qui, au mois de mai, s'insurgeaient contre la loi sur le Renseignement enfin votée par les députés français — une loi naturellement « liberticide » —, se pencheront à n'en pas douter, confortablement installés dans leur fauteuil et leur lâcheté, sur cette grave question.

    Enfin, mais là inutile de parier tant la chose est courue d'avance, nous verrons ressurgir d'ici quelques jours l'inénarrable « loup solitaire » faute d'être capable d'appeler un chat un chat. Cette notion totalement absurde, nous lui vouons une affection toute particulière. Absurde, car si les nouveaux barbares peuvent passer à l'acte individuellement, ils y sont incités par leurs mentors tueurs et violeurs de masse de Syrie ou d'Irak, sans parler de la meute enragée qui se trouve de l'autre côté de leur écran. Qu'à cela ne tienne, le ministre de l'Intérieur Bernard Cazeneuve, qui semble particulièrement mal conseillé, nous l'avait ressorti lors de la tuerie perpétrée par Mehdi Nemmouche au Musée juif de Bruxelles en mai 2014 (quatre morts). Il faudra attendre le mois de novembre et la découverte tardive de Daech (L'Etat islamique) après la trêve estivale, pour que le premier flic de France se résigne enfin à parler « de terrorisme en libre accès sur Internet »… On aurait alors pu espérer que le « loup solitaire » allait définitivement rentrer dans sa tanière pour ne plus jamais pointer son museau. On avait tort : il a fait un retour triomphal sur les écrans de iTV comme de BMF TV à la fin juin 2015, après les crimes islamistes de l'Isère et de Tunisie.

    Il est vrai que notre ministre de l'Intérieur n'en rate pas une. Au lendemain de la tuerie antisémite de Bruxelles, il avait ainsi déclaré — sans rire —, que le salafiste français de 29 ans avait été « neutralisé dès son retour en France ». À moins que Marseille (où il fut arrêté à la descente d'un bus) ne se soit miraculeusement transplanté, pour l'occasion, sur la frontière franco-belge… Cette fois, le voilà qui nous explique, toute honte bue, que le tueur du Thalys, un ressortissant marocain, avait été signalé par les autorités espagnoles (qui l'avaient repéré pour « des discours durs légitimant le djihad dans des mosquées d'Algesiras ») aux services de renseignement français en février 2014. Que depuis, la DGSI avait émis une fiche « S » à son encontre « afin de pouvoir le repérer dans le cas de son éventuelle venue sur le territoire national ». Très drôle. Une source de l'antiterrorisme espagnol a en effet déclaré à l'AFP que l'islamiste avait déménagé dans l'Hexagone après mars 2014, et après avoir quitté l'Espagne (où il résidait depuis sept ans et où il était également connu pour trafic de drogues). Mais respect des « droits humains » oblige, on l'avait gardé parmi nous. À ce stade, Madrid prévient Paris, mais l'individu n'est pas localisé. Encore un exploit. Le 10 mai dernier, c'est cette fois au tour des services allemands d'alerter leurs homologues français sur le fait qu'El Khazzani, qui se promenait entre temps en Belgique, était sur le point de quitter Berlin pour s'envoler vers Istanbul. Il ne sera toujours pas arrêté. Si ce tableau reste encore flou, une source de l'antiterrorisme espagnol affirme c'est une fois en France que ce terroriste fiché « S » (pour Sûreté de l'Etat) est parti faire le djihad en Syrie avant de rentrer tout aussi tranquillement dans l'Hexagone. Sans être inquiété.

    Le ministre de l'Intérieur se sent-il vaguement concerné ? Aurait-il la conscience un peu lourde ? A-t-il songé à remettre sa démission au chef du gouvernement ? Après autant de bourdes, ce serait pourtant la moindre des choses.

    Comment comprendre une telle faillite de la part de nos services ? « Nous ne laisserons plus rien passer », proclamaient à l'envi nos responsables politiques après Charlie en même temps qu'ils annonçaient toute une série de mesures, dont une coopération renforcée entre services européens et une surveillance renforcée  des milieux fondamentalistes. Des mesures dont on se demandait par quelle aberration elles n'avaient pas été prises depuis belle lurette… Et à quoi bon un plan Vigipirate et des milliers de militaires français déployés sur le territoire national si c'est pour refuser de placer des portiques de sécurité et des agents bien formés à l'entrée des trains, des métros, des lieux publics, des salles de spectacles, des musées ? Car oui, nous en sommes là, il serait grand temps d'avoir le courage de le dire et de se le dire calmement à nous-mêmes. Et il faut n'avoir jamais vu des victimes déchiquetées par une bombe pour estimer que ce type de désagrément serait tout à fait intolérable aux Européens gâtés par le sort que nous sommes. De fait, notre ministre, décidément farceur, a choisi de mettre en place un numéro vert pour « signaler les situations anormales » sur notre réseau ferroviaire — on croit rêver.

    Mais ce n'est pas tout. Car à quoi bon des soldats patrouillant dans nos rues et nos gares quand on sait qu'ils ne disposent que d'un fusil d'assaut, leur Famas, dont l'usage est rigoureusement impossible sans risquer d'atteindre au passage des dizaines de civils, que ce soit dans les couloirs du métro, dans une gare ou sur la promenade des Anglais à Nice ? Ce dispositif est dissuasif, rien de plus. Y compris à son niveau le plus écarlate. Et l'irresponsabilité de nos dirigeants patente. Il est temps de mettre les pieds dans le plat, d'autant qu'il s'agit là d'un secret de Polichinelle et que les terroristes, eux, n'en ignorent rien. Sait-on par ailleurs que ces mêmes soldats républicains ne cessent de réclamer à leur hiérarchie des armes de poing pour pouvoir défendre comme il conviendrait leurs concitoyens en cas d'attaque et neutraliser les éventuels agresseurs ? En vain. Trop cher, paraît-il. La France n'aurait pas le budget. Seuls ceux qui se lient d'amitié avec l'armurier de leur régiment parviennent, plus ou moins en douce, à se procurer, avec la complicité de celui-ci, un pistolet de façon à répliquer, le cas échéant, de façon efficace et adaptée.

    Sait-on enfin que si un islamiste armé d'un cutter ou d'un couteau se précipite pour s'attaquer à l'un de nos jeunes militaires, garçon ou fille — cela est plusieurs fois arrivé —, son binôme est tenu de répliquer de manière « proportionnée» . Il est autrement dit censé courir vers son camarade pour s'en prendre à l'agresseur… à l'arme blanche ! Problème : il y a de fortes chances pour que son collègue soit déjà à terre, la gorge tranchée. Qu'attend au juste le ministère de la Défense pour réviser ce protocole scandaleusement daté et hors de saison ? Une mutinerie ? On se perd en conjectures. Et pour le reste, rendez-vous à la prochaine tuerie ?

    Se pourrait-il qu'après ce nouvel attentat du Thalys, déjoué de justesse à l'instar de dizaines d'autres en France depuis janvier 2015, les gouvernements européens envisagent enfin de se rendre au réel et de sortir de leur somnambulisme ? Pour l'heure, ils ne se lassent manifestement pas d'avoir un train de retard. Enfin si l'on ose dire désormais…   

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    Alexandra Laignel-Lavastine, philosophe et historienne, a publié en mai 2015 La Pensée égarée. Islamisme, populisme, antisémitisme: essai sur les penchants suicidaires de l'Europe (Grasset, 220 pages, 18 €).

  • Jean-Pierre Chevènement : « La menace pour l'Europe n'est pas à l'Est, mais au Sud » (2/2)

    Retour sur d'intéressantes réflexions de Jean-Pierre Chevènement

    Le mois dernier, juste après les attentats de Saint-Quentin-Fallavier, l‘ancien ministre de l'Intérieur et de la Défense confiait au Figaro sa vision très gaullienne de la politique étrangère. Pour le Che , il ne faut pas se tromper d'ennemi: la menace pour l'Europe n'est pas la Russie, mais Daech. 

    Quelques mois seulement après les attentats de janvier, la France a une nouvelle fois été victime du terrorisme. Avons-nous sous-estimé la menace ?  

    Elle était tout à fait prévisible. J'ai dit à l'époque au président de la République que nous allions avoir devant nous des décennies de terrorisme. Aucune démocratie n'a chaviré à cause de celui-ci. Il s'agit d'une réalité douloureuse mais auquel un grand Etat doit savoir faire face. Pour réduire le terrorisme, il faut garder son sang-froid, avoir une vue large et longue, une parole publique claire. Le but des islamistes est de créer un affrontement du monde musulman tout entier contre l'Occident. Ils veulent le choc des civilisations, mais nous ne devons pas tomber dans ce piège. Il faut assécher le terreau sur lequel le terrorisme djihadiste se développe. C'est beaucoup plus difficile qu'à l'époque d'Action directe car ce mouvement terroriste n'avait absolument aucun soutien dans la classe ouvrière française alors qu'aujourd'hui un certain nombre de jeunes « paumés » peuvent être tentés par une démarche de radicalisation. Mais il faut rejeter par avance toute culture de l'excuse ! 

    Manuel Valls a donc eu tort d'utiliser le terme de choc de civilisation … 

    Il faudrait lui donner le temps de s'expliquer. Samuel Huntington, lui-même, n'employait pas ce mot pour le recommander, mais pour montrer qu'il était à l'horizon. Je réfute l'idée du choc des civilisations: C'est ce que veut Daesh. Ne tombons pas dans ce piège. Mais la menace de ruptures majeures pour la France vient incontestablement non pas de l'Est, mais du Sud, notamment pour des raisons démographiques. Dans l'Afrique subsahélienne, il existe des pays dont le taux de fécondité va jusqu'à sept enfants par femme. Il sera impossible de promouvoir le développement dans ces pays s'ils ne font pas l'effort de se responsabiliser et si les religions ne nous y aident pas. Il faut aussi prendre conscience que le Moyen-Orient reste un baril de poudre qui demande une vigilance particulière du point de vue de la sécurité de la France car il concentre la moitié des réserves de pétrole et de gaz mondiales. 

    Notre pays est en proie à une crise économique et sociale, mais aussi à une crise identitaire profonde. Ce type d'attentat peut-il déstabiliser la société en profondeur ? 

    Nous avons des tensions liées à la situation économique et des tensions qui résultent de la concentration de populations immigrées dans certains quartiers ou dans certaines zones comme la Seine-Saint-Denis ou les quartiers Nord de Marseille. Tout cela témoigne d'une grande cécité historique de la part des pouvoirs publics. Il faut mener une politique d'intégration, mais cela suppose d'abord que la France s'aime assez elle-même pour donner envie à ses enfants de s'intégrer à elle. C'est un problème complexe, mais je suis persuadé qu'à long terme nous avons tous les éléments de sa solution. Cela suppose beaucoup de conditions réunies et laisse prévoir beaucoup de secousses en attendant. Mais de ces secousses mêmes nous tirerons l'énergie salvatrice du sursaut. « Là où croît le péril croît aussi ce qui sauve » selon la formule du poète Hölderlin.

    L'islam est-il compatible avec la République ? 

    Je m'intéresse beaucoup à l'islam depuis que j'ai été sous-lieutenant en Algérie. Il y a dans le Coran énormément d'invocations à la rationalité, même s'il ne comporte pas que cela. Il faut que l'islam se dégage des dogmatismes excessifs, dont sont imprégnés certains de ses courants. Le catholicisme aussi a bien dû se dégager d'un certain absolutisme. Néanmoins, c'est plus compliqué avec la religion musulmane car il n'y a pas de clergé. Il faut que les musulmans se prennent en main et séparent eux-mêmes le bon grain de l'ivraie. J'avais lancé en 1999 une consultation dont Nicolas Sarkozy avait tiré les conséquences avec le CFCM (Conseil français du culte musulman). Cela n'a pas été une réussite, mais il y a eu un manque de fermeté dans la mise en œuvre d'une politique permettant de former des imams à la française: des imams qui, pour commencer, parleraient le français car la plupart ignorent notre langue. Il nous faut une vue à long terme et le courage de s'y tenir. 

    Certains intellectuels comparent la faiblesse des gouvernements européens actuels à la lâcheté des dirigeants avant la Seconde guerre mondiale. Que pensez-vous de cette comparaison ? 

    On dit « chien méchant ». A juste titre: Al Quaïda, Daesh sont atrocement méchants. Mais il faut aussi se demander ce qui les a rendus méchants ? Prenons l'exemple de l'Irak. Les Etats-Unis ont considéré qu'ils pouvaient supprimer un Etat, dissoudre son armée, renvoyer ses fonctionnaires … Pour mettre à la place quoi ? Un régime pseudo-démocratique dans un pays qui était un grand Liban et qui a été livré aux partis chiites qui vont prendre leurs ordres à Téhéran. Nous avons le résultat auquel il fallait s'attendre: la prépondérance iranienne dans la région et l'envol du terrorisme sunnite après l'écrasement d'un nationalisme laïc. De même pour la Libye. Nous pouvions protéger Benghazi, comme le préconisait le mandat de l'ONU, sans pour autant faire tomber Kadhafi. Nous avons livré la Libye au chaos, comme les Américains l'on fait avec l'Irak. Dès lors, il ne faut pas s'étonner de voir les migrants déferler sur les côtes italiennes. 

    Vous êtes généralement partisan du «non-interventionnisme». Faut-il faire une exception avec Daech et envoyer des troupes au sol ? 

    Il faut reconstituer les Etats - Irak et Syrie - dans leurs frontières. Les buts politiques d'une intervention doivent être clairs et approuvés par l'ONU. Il faut se demander si le mot d'ordre « Bachar doit partir » était bien raisonnable. Nous avons aujourd'hui trois partenaires en lice: le régime de Bachar el-Assad, Daech et al-Nosra, c'est-à-dire Al-Qaïda. Je ne suis pas sûr que l'on doive émettre une préférence pour Daech ou pour al-Nosra. Nous sommes dans une situation où la France devrait jouer les intermédiaires entre un certain nombre de courants démocratiques et le régime de Damas, si déplaisant soit-il. Le régime syrien est un régime brutal et violent, mais qui a au moins le mérite de ne pas chercher à instaurer un Califat, y compris en Seine-Saint-Denis. 

    Et si Bachar el-Assad est trop affaibli ? 

    Il y a deux ans il s'agissait d'intervenir pour le faire tomber. Heureusement, les Russes et les Américains nous ont évité ce qui aurait été une grave erreur. Le monde arabe est dans un état de décomposition profond. L'Occident y a une certaine responsabilité. Il faut favoriser un accord de sécurité entre le monde perse et le monde arabe et trouver un équilibre de sécurité entre les sunnites et les chiites. Cela peut passer par un pacte de sécurité impliquant l'Iran et garanti par les cinq grandes puissances avec l'Iran chiite qui est la puissance dominante dans la région et qui est une grande civilisation. Il faudra également régler le conflit israélo-palestinien qui est un abcès de fixation dans la région depuis bientôt un demi-siècle. Tout ne se traite pas militairement, mais certaines précautions doivent être maintenues et un bon budget militaire est nécessaire à la France dans la période qui vient. En même temps cela ne dispense pas d'être intelligent ... 

    Un mot sur Charles Pasqua … 

    Il a marqué la place Beauvau comme ministre de l'Intérieur. Il a pris de bonnes initiatives en matière de législation anti-terroriste notamment. Lorsque j'étais moi-même ministre de l'Intérieur, j'ai d'ailleurs fait appliquer la loi de janvier 1995 qui ne l'avait pas été et qui est le premier texte à mentionner le mot de « police de proximité ». Je lui rends ses droits d'auteur. Charles Pasqua était un homme qui avait été formé dans la Résistance et qui avait sans doute gardé de cette période des méthodes pas toujours très orthodoxes. On le lui a reproché. Mais cela ne doit pas masquer l'essentiel: il était un patriote et un grand serviteur de l'Etat. A titre personnel, je n'ai pas oublié qu'en 1992, nous avons livré un combat commun contre le traité de Maastricht, puis en 2005 contre le Traité constitutionnel européen. J'appréciais aussi l'acteur qu'il était dans tous les sens du terme. Il a puissamment animé notre scène politique, si bien que même ses adversaires ne pouvaient pas le détester.

    PROPOS RECUEILLIS PAR ALEXANDRE DEVECCHIO

     

  • Jean-Pierre Chevènement : « Si la Grèce sortait de l'euro, elle pourrait se redresser » (1/2)

     

    Retour sur d'intéressantes réflexions de Jean-Pierre Chevènement

    Le mois dernier, à la vielle du référendum grec, l'ancien ministre de l'Intérieur et de la Défense confiait au Figaro qu'une sortie éventuelle de la Grèce de la zone euro ne serait pas une catastrophe. Au contraire, elle permettrait au pays de Périclès de se redresser. Le Che prônait déjà l'instauration d'une monnaie commune pour remplacer la monnaie unique. Le point de vue de Lafautearousseau : s'agissant de l'euro comme monnaie unique ou de la construction européenne selon le processus en cours, les réflexions de Jean-Pierre Chevènement nous semblent sur le fond parfaitement fondées. Elles sont celles d'un patriote français.

     

    Le Premier ministre Alexis Tsipras va soumettre le plan d'aide à la Grèce à référendum. Que vous inspire cette décision ?

    Jean-Pierre Chevènement : Cela me paraît être une décision démocratique et légitime. Le plan d'aide est très critiquable. Les institutions de Bruxelles auraient pu bouger sur au moins deux volets. D'abord, le volet financier: le Premier ministre grec demandait qu'on allonge de 5 à 9 mois la durée du plan d'aide actuel. Cela était tout à fait raisonnable. Ensuite, sur le volet de la dette. Des prix Nobel d'économie comme Joseph Stiglitz ou Paul Krugman, mais aussi en France le directeur de la recherche et des études de Natixis, Patrick Artus, qui n'a rien d'un gauchiste, s'accordent à reconnaître que la dette grecque, qui représente 177% du PIB, n'est pas soutenable ni donc remboursable. Il y a une volonté punitive dans ce « plan d'aide » : on voulait par avance donner une leçon au Portugal, à l'Espagne, à l'Italie, voire à la France. Plus largement, il est le symbole de l'échec de la « règle d'or » imposée en 2012 à tous les pays d'Europe après avoir été adoptée par l'Allemagne dès 2009. Mais ce qui vaut pour l'Allemagne ne peut pas valoir pour tous les autres. On touche au vice originel de la monnaie unique qui juxtapose des pays très hétérogènes et fait diverger leurs économies au lieu de les faire converger. Par un mécanisme bien connu, les zones les plus productives ont vu leur production croître tandis que les zones moins compétitives ont vu la leur décliner et se sont donc appauvries. Il y a un défaut de conception au départ dont le résultat était tout à fait prévisible.

    Un certain nombre de dirigeants européens se sont agacés de cette décision. Comprenez-vous cette réaction ?

    Le président de la Commission européenne, Jean-Claude Juncker a dit: « Il n'y a pas de démocratie en Europe en dehors des traités ». Or le traité de Lisbonne reprend la quasi-totalité, la «substance » comme l'a dit Madame Merkel, du projet de «traité constitutionnel» qui avait justement été rejeté par le peuple français en 2005 par référendum. Par ailleurs, Monsieur Juncker ne me paraît pas le mieux placé pour mener le combat du oui au référendum grec. En effet, il a été un excellent Premier ministre luxembourgeois mais du point de vue du Luxembourg qu'il a organisé, avec succès, comme un véritable paradis fiscal! Cela ne le qualifie pas pour prêcher la solidarité.

    Pourquoi ces démocrates revendiqués semblent-ils autant redouter le choix du peuple ?

    Souvenez-vous de Jacques Delors qui disait en 1992 que les hommes politiques en désaccord avec Maastricht devaient « prendre leur retraite ou faire un autre métier…». Le ver était dans le fruit depuis très longtemps. Pour comprendre la nature profondément antidémocratique de l'actuelle construction européenne, il faut remonter des décennies en arrière au « système » Jean-Monnet, que l'on peut qualifier de « système de cliquets». L'Europe fonctionne par une suite de petits faits accomplis sur lesquels les citoyens ne peuvent plus revenir: on commence par le charbon et l'acier, puis par le marché commun, le droit communautaire, la réglementation de la concurrence, et enfin la monnaie unique pour arriver au « grand saut fédéral ». Les peuples européens sont amenés à se dépouiller peu à peu de leur souveraineté sans en avoir réellement conscience. Petit à petit, ils se retrouvent piégés. Les dirigeants européens ont amené les peuples où ils ne voulaient pas aller sans leur poser franchement la question. A la fin, s'apercevant de la supercherie, ces derniers ont dit non, en France, mais aussi aux Pays-Bas, au Danemark ou en Irlande. Pourtant les dirigeants ont considéré que cela ne valait rien, au regard d'une orthodoxie européenne qu'ils considèrent au-dessus de toute démocratie.

    L'Europe s'est construite par effraction et l'essence du système européen est oligarchique. Le Conseil européen des chefs d'Etat est la seule institution légitime, mais ne se réunit que périodiquement et ne dispose pas d'outils pour traduire ses impulsions. La Commission européenne est composée de hauts fonctionnaires qui ne sont pas élus mais nommés de manière très opaque. Comme l'affirme la Cour constitutionnelle allemande de Karlsruhe, le Parlement européen n'est pas un parlement. Il ne peut pas l'être car il n'y a pas de peuple européen, mais une trentaine de peuples différents. Dès le départ, l'Europe repose sur un postulat non vérifié: on a voulu faire l'Europe contre les nations ; on pensait qu'elle pouvait s'y substituer. Or les nations sont le cadre d'expression de la démocratie. Il faut désormais aller sur la voie de l'Europe confédérale, la seule qui soit légitime et démocratique: celle qu'avait proposée le général de Gaulle en 1962 avec le plan Fouchet. Seule une Europe à géométrie variable, souple envers chaque pays, pourra avancer. Cette nouvelle Europe aurait vocation à déboucher sur une « Europe européenne » et non inféodée. Le traité transatlantique, s'il était adopté, serait un nouveau coup porté à ce qui reste de notre souveraineté. Celui-ci ne comporte pas d'avantages évidents pour la France et nous soumettrait à des normes et juridictions influencées par les Etats-Unis. J'attends que la France fasse entendre sa voix sur un sujet qui du temps du général de Gaulle ne serait pas passé inaperçu.

    Sur le fond, êtes-vous favorable au « Oui » comme Jean-Claude Juncker ou au « Non » comme Alexis Tsipras ?

    Je n'ai pas à me prononcer à la place du peuple grec qui doit prendre ses responsabilités. C'est un peuple courageux. Il l'a montré à plusieurs reprise dans son histoire: dans sa guerre d'indépendance puis, en 1940, face à l'Italie fasciste qu'il a fait reculer et face à l'invasion nazie en 1941. Traditionnellement, il y a un sentiment philhéllène qui s'exprime en France. Je me compte d'ailleurs parmi les gens qui aiment la Grèce car pour moi ce pays représente aussi l'antiquité, le grec ancien, la démocratie. Ne serait-ce que pour avoir eu jadis un accessit au concours général de version grecque, je ne peux pas leur en vouloir ! Sans la Grèce, il manquerait quelque chose d'essentiel à l'Europe.

    Pour le président la Commission européenne, un « non » voudrait dire, indépendamment de la question posée, que la Grèce dit « non » à l'Europe. Partagez-vous ce point-de vue ?

    C'est absurde ! Comment un président de la Commission européenne peut-il parler ainsi ? Il confond la zone euro qui compte dix-huit membres et l'Union européenne qui en regroupe vingt-huit. Il existe donc dix pays qui ne sont pas dans l'union monétaire et qui sont dans l'Union européenne. La Grèce restera dans l'Europe. Et si, elle doit sortir de l'euro, nous devons l'aider à le faire dans des conditions qui ne soient pas trop douloureuses. Si la Grèce sort de l'euro, elle dévaluera sa monnaie qu'on pourrait appeler l'euro-drachme et rester attachée à l'euro dans un rapport stable de l'ordre de 70%. Il faudrait restructurer la dette à due proportion. Cette hypothèse est réaliste et remettrait la Grèce sur un sentier de croissance. Elle rendrait le pays encore plus attractif pour les touristes. Elle permettrait à la balance agricole grecque de redevenir excédentaire, ce qu'elle était avant l'euro et de développer une économie de services notamment dans la logistique et les transports. C'est un pays magnifique, l'un des plus beaux endroits du monde, qui bénéficie d'une véritable attractivité sur le plan géographique et d'un patrimoine historique pratiquement sans équivalent.

    Ceux qui prédisent le chaos en cas de sortie de la Grèce de l'euro jouent-ils la stratégie de la peur ou ont-ils raison ?

    Dans toute dévaluation, il y a des moments difficiles : dans les premiers mois et peut-être dans la première année. Mais ensuite, il y a des facteurs positifs qui interviennent : les produits du pays sont moins chers. Les avantages comparatifs qui sont les siens, sont accrus. Le tourisme par exemple bénéficie d'un effet d'appel. Des entreprises pourraient investir dans une perspective de rentabilité. L'Europe ne peut pas se permettre de rudoyer la Grèce, de l'écraser d'un pied rageur au fond du trou où elle se serait mise d'elle-même. Ce n'est pas raisonnable. Sauf si l'on souhaite dresser les peuples européens les uns contre les autres. Si la Grèce devait être amenée à recréer une sorte d'euro-drachme, il faudrait l'aider par des fonds structurels importants à supporter l'inévitable renchérissement de ses importations dans un premier temps. Et lui donner des facilités pour se redresser. Je pense qu'elle en a la capacité. Encore une fois, c'est un pays qui a beaucoup d'atouts.

    A terme l'éclatement, voire la disparition de la monnaie unique, sont-ils inévitables ?

    La monnaie unique a énormément accru les divergences de compétitivité entre pays européens. Prenons le cas de l'économie française. Elle avait un déficit commercial par rapport à l'Allemagne de vingt-huit milliards de francs en 1983. Aujourd'hui, le déficit de la France sur l'Allemagne serait selon certaines sources (Eurostat) de trente-cinq milliards d'euros. Comme l'euro, représente six fois et demi le franc, le déficit a au moins quadruplé en tenant compte de l'inflation depuis 1983. La monnaie unique, qui a définitivement empêché la France de dévaluer, nous met une sorte de nœud coulant qui se resserre. Nous sommes désormais tombés au niveau d'industrialisation de la Grèce (12 % du PIB). Nos fleurons du Cac 40 se développent, mais à l'étranger.

    Une sortie ordonnée de la zone euro, ou du moins de la monnaie unique est-elle possible ?

    Je suis profondément européen. Mais je ne crois pas que les modalités choisies pour la construction européenne actuelle soient les bonnes. Elles devraient être révisées. C'est très difficile parce que tous ces gens-là ont engagé leur crédit sur la monnaie unique. J'ai fait un petit livre qui s'appelle Le bêtisier de Maastricht. Il faut relire le florilège de déclarations de nos dirigeants de droite et de gauche, nous promettant, la prospérité, le plein emploi, que nous allions rivaliser avec l'Amérique, que le dollar n'aurait qu'à bien se tenir, etc. Une somme d'inepties qui ne peut que susciter le rire ou la commisération lorsqu'on relit tout cela avec le recul. Lorsqu'on a fait fausse route, il faut savoir revenir à la bifurcation et prendre la bonne direction. La monnaie commune pourrait être celle-ci.

    De quoi s'agit-il ?

    L'euro perdurerait comme symbole de notre volonté d'aller vers une Europe toujours plus unie, mais deviendrait monnaie commune et non plus unique. Elle serait valable dans les échanges internationaux en gardant des subdivisions nationales: l'euro-drachme, l'euro-lire, l'euro-mark, l'euro-franc, etc. Certains pays pourraient augmenter de quatre ou cinq pour cent la valeur de leur monnaie interne, d'autres la garder stable et certains, comme la Grèce, la diminuer. Tous les deux ou trois ans, on pourrait procéder à de légers ajustements pour tenir compte des compétitivités relatives qui permettraient de tenir dans la durée. Cette monnaie commune serait le panier des subdivisions nationales. Elle serait cotée sur le marché mondial des devises. Rien de plus simple ; le monde est flexible. Il y aurait une cotation qui interviendrait tous les jours et une certaine stabilité s'installerait entre cette monnaie commune, le dollar et le yuan. Derrière tout cela se profile la réorganisation du système monétaire international profondément malade.

    La France a-t-elle suffisamment pesé sur les négociations ?

    La France aurait pu intervenir d'une voix plus forte pour que le plan défini par l'Eurogroupe ne soit pas aussi dur sur le volet financier et sur le volet de la dette. Je pense que la France a perdu une occasion de faire entendre sa voix comme sur le dossier des sanctions contre la Russie qui nous pénalisent aussi. La vraie menace pour l'Europe n'est pas à l'Est, mais au Sud: c'est Daesh.

    PROPOS RECUEILLIS PAR ALEXANDRE DEVECCHIO 

     

  • Il a osé le dire ... Jean-Claude Juncker : « Les Européens n’aiment pas l’Europe »

     

    Ce qu'en a pensé Gérald Andrieu, rédacteur en chef de Marianne.net.
     
    On lira ces réflexions avec lesquelles, sans-doute, les lecteurs de lafautearousseau se trouveront « globalement d'accord ». Y compris avec sa juste et légitime ironie envers « la techno-globish-langue de Bruxelles ». LFAR
     
     
    280px-MARIANNE_LOGO.pngPour Jean-Claude Juncker, interrogé par le journal belge "Le Soir", "les Européens n’aiment pas l’Europe". Mais s'est-il seulement demandé si l'inverse était vrai ?

    « La construction européenne, née de la volonté des peuples, est devenue un projet d’élites, ce qui explique le fossé entre les opinions publiques et l’action européenne. » Jean-Luc Mélenchon a raison…

    Ah, il semblerait, que ça ne soit pas le patron du PG qui parle ainsi… Vous êtes sûr ? Mais qui alors ? Jean-Claude Jun-quoi ? Le Juncker qui préside la Commission européenne ? Celui-là même qui fut président de l’Eurogroupe pendant huit ans ? Le Juncker qui assura les fonctions de Premier ministre du Luxembourg pendant plus de dix-huit ans et de ministre des Finances du Grand-Duché pendant vingt ans ? Bref, le Juncker qui devrait aujourd’hui œuvrer pour éviter qu’en Europe ne soit possible une évasion fiscale vers son pays aussi massive que celle révélée par le Luxleaks ?

    Il lui en aura fallu du temps à notre homme, non pas pour comprendre — on n’en est pas là encore, la suite de l’entretien en atteste —, mais pour formuler pareille phrase ! Notre éminent représentant de « l’élite » européenne le fait dans le journal belge le Soir qui a été « reçu » pour l’occasion « dans son bureau du Berlaymont ce 21 juillet ».

    Mais pour preuve que la prise de conscience n’est pas encore totale, il suffit de se pencher sur le reste de son propos. Ainsi, dans le même élan, Jean-Claude-le-nouvel-harangueur-des-barricades-anti-élites-et-proche-des-peuples-Juncker est capable de nous expliquer que « les Européens n’aiment pas l’Europe, qui est en mal d’explications. »

    Reprenons point par point :

    1) « Les Européens n’aiment pas l’Europe ». C’est de plus en plus vrai, sans aucun doute. Mais on est tenté de lui répliquer que l’Europe n’aime guère non plus les Européens. Ou, plutôt, si elle les aime, elle a une bien curieuse manière de leur montrer. Les Grecs en savent quelque chose…

    2) « L’Europe est en mal d’explications ». Le manque d’« explications », de « communication », de « pédagogie » même, comme on dit désormais, voilà l’excuse préférée de nos politiques modernes dès qu’un projet foire, qu'une réforme patine. Selon cette logique, si les Européens ont du mal avec l’UE, ce serait parce que ces idiots ont mal compris les tenants et les aboutissants de la construction européenne. Jamais il ne viendrait à l’idée de nos chers dirigeants que c’est parce que leurs concitoyens ont, au contraire, très bien compris les desseins de l’Europe actuelle qu'ils l'apprécient si peu. Les agriculteurs français, par exemple, ont parfaitement saisi qu’ils allaient finir par crever… Par eux-mêmes ! Ce n’est pas qu’on leur a mal expliqué ! Mais voilà, Juncker ne confesse qu'« un regret » dans l'épisode grec : « J’aurais dû communiquer plus souvent. Mais parfois il suffit d’une phrase maladroite... » En effet...

    De toutes façons, dans le monde de Juncker, lui et les siens ne peuvent avoir tort. Ce sont les autres — ces idiots, encore une fois — qui font fausse route. Prenez Tsipras. Nos confrères belges du Soir nous explique que Jean-Claude Juncker « salue le choix » du Premier ministre « d’avoir accepté de se mettre une partie de Syriza à dos ». Et voilà donc comment il « salue » cette décision : « Tsipras s’est “hommed’étatisé”, explique Juncker aux journalistes, parce que soudain, il a eu l’impression que s’il allait au bout de sa pensée, ce serait la fin pour la Grèce ». « S’hommed’étatiser », si vous parlez la techno-globish-langue de Bruxelles, cela signifie donc ne pas aller « au bout de sa pensée », rentrer dans le rang, courber l’échine, accepter l'austérité comme seul horizon, etc. Si seulement, doivent se dire Juncker et ses petits camarades, tous les Européens pouvaient « s’hommed’étatiser » 

     
     
  • Grèce : la donnée qui fait peur

     

    Par Ludovic Greiling 

    On pensait avoir tout vu en Grèce, avec une baisse du PIB d’un quart en cinq ans et un taux de chômage officiel à 25%, mais nous nous trompions.

    La fermeture des banques du pays consécutive aux négociations du gouvernement avec la Commission et la Banque centrale européennes, puis les conditions drastiques relatives à un nouveau plan d’aide voulues en juillet par les créanciers*, ont fait chuter l’indice d’activité future à un niveau jamais vu.

    Vers de nouveaux déficits

     Selon les données de Markit, une société d’informations financières anglo-américaine qui publie chaque mois une vaste enquête auprès des directeurs d’achats des entreprises, l’activité manufacturière pourrait s’effondrer en Grèce.

    Au pire de la crise en 2011, l’indice PMI des directeurs d’achats y avait baissé à 40 points, signifiant une nette contraction dans le secteur. S’il était péniblement remonté depuis lors, l’indice s’est de nouveau écroulé en juillet (au niveau inédit de 30 points), augurant une nouvelle chute du PIB grec.

    En l’absence de croissance, Athènes semble donc parti pour refaire du déficit public.

    « Mais il y a le bon et le mauvais déficit public, prévient Jean-Baptiste Bersac, auteur de Devises, l’irrésistible ascension de la monnaie (ILV éditions, 2013). Celui qui est lié à une baisse des recettes remonte à une politique d’austérité. Celui qui est lié à une hausse des dépenses est très différent, il nourrit l’activité économique ».

    Les créanciers de la Grèce imposeront-ils de nouvelles hausses de taxes ? Athènes décidera-t-il de sortir de la zone euro pour retrouver des marges de manœuvre politiques ?

    La saga est loin d’être terminée, d’autant que le gouvernement prévoit d’organiser des élections anticipées à l’automne. Après celles qui avaient déjà amené le parti Syriza au pouvoir en janvier dernier, puis le référendum de juillet dont le résultat n’a pas été suivi par ledit parti… 

    * Voir http://www.politiquemagazine.fr/grece-une-mise-sous-tutelle/

     

  • Vladimir Poutine contre l'universalisme occidental

     
    Par Mathieu Slama* 
     
    Selon l'analyste Mathieu Slama, ce qui se joue entre Vladimir Poutine et les dirigeants européens, ne se situe pas simplement autour de la question ukrainienne mais au niveau des idées, "sur quelque chose de bien plus fondamental et décisif". Deux visions du monde qui s'entrechoquent, " la démocratie libérale et universaliste" côté européen et "la nation souveraine et traditionaliste, de l'autre ", côté Poutine. L'analyse de Mathieu Slama correspond-elle à la réalité ? Elle en a au moins la vraisemblance. Ce qui est certain, c'est que la France, pour sa part, rompant radicalement avec la diplomatie idéologique qu'elle pratique, trouverait son intérêt vital à adopter la seconde « vision » géopolitique, celle d'une « nation souveraine et traditionnaliste ». Nous en sommes loin mais il y a urgence.  LFAR
     

    280px-MARIANNE_LOGO.png« Nous rejetons l'universalisme du modèle occidental et affirmons la pluralité des civilisations et des cultures. Pour nous, les droits de l'homme, la démocratie libérale, le libéralisme économique et le capitalisme sont seulement des valeurs occidentales, en aucun cas des valeurs universelles. » L'homme qui a prononcé ces mots est Alexandre Douguine, intellectuel néo-eurasiste de la droite radicale russe, dans un entretien accordé à la revue Politique internationale en 2014. Au fil des années, il s'est lié d'amitié avec un certain nombre de dignitaires du Kremlin et de la Douma. Depuis le déclenchement de la crise ukrainienne, il est omniprésent dans les médias, appelant ni plus ni moins à « la prise de Kiev » et à la guerre frontale avec l'Ukraine. « L'Ukraine de l'Est sera russe », assure-t-il. Contrairement à ce qu'affirment certains intellectuels anti-Poutine en France (Bernard-Henri Lévy notamment), Douguine n'est pas « le penseur de Poutine », la relation directe entre les deux hommes étant difficile à établir. Cependant, force est de constater qu'on retrouve, dans certains discours du président russe, une même vision du monde qui est celle d'un monde multipolaire, où la dimension cardinale est la souveraineté nationale et où « universalisme » est l'autre mot pour désigner l'ambition hégémonique occidentale.

    On peut reprocher beaucoup de choses à Vladimir Poutine, mais il y a une chose qu'il est difficile de lui contester, c'est son intelligence et l'imprégnation qu'il a de la culture et de l'âme russes.D'un côté la démocratie libérale et universaliste ; De l'autre, la nation souveraine et traditionaliste. En cela, nous dit Hubert Védrine dans le dernier numéro du
    magazine Society consacré à Poutine, il se distingue très nettement de ses homologues européens : « C'est un gars [sic] très méditatif, qui a énormément lu. Vous ne pouvez pas dire ça d'un dirigeant européen aujourd'hui. Il y a une densité chez Poutine qui n'existe plus chez les hommes politiques. » Dans un discours absolument fondamental d'octobre 2014 devant le Club Valdaï, réunion annuelle où experts, intellectuels et décideurs viennent parler de sujets liés à la Russie, Poutine a brillamment exposé
    l'essentiel de sa doctrine. Morceaux choisis : « La recherche de solutions globales s'est souvent transformée en une tentative d'imposer ses propres recettes universelles. La notion même de souveraineté nationale est devenue une valeur relative pour la plupart des pays » ; « Un diktat unilatéral et le fait d'imposer ses propres modèles aux autres produisent le résultat inverse. Au lieu de régler les conflits, cela conduit à leur escalade ; à la place d'Etats souverains et stables, nous voyons la propagation croissante du chaos ». Difficile de ne pas voir l'influence, même indirecte, d'Alexandre Douguine dans un tel discours. Poutine situe son combat contre l'Occident non pas sur la seule question ukrainienne, mais sur quelque chose de bien plus fondamental et décisif. Poutine et l'Occident, ce sont deux visions du monde irréconciliables qui s'affrontent, la démocratie libérale et universaliste, d'un côté, face à la nation souveraine et traditionaliste, de l'autre.

    La différence entre Douguine et Poutine est cependant de taille. Là où le premier défend une vision idéologique et quasi eschatologique de la mission russe - « La crise ukrainienne n'est qu'un petit épisode d'une confrontation très complexe entre un monde unipolaire et multipolaire, entre la thalassocratie [civilisation de la mer, l'Amérique] et la tellurocratie [la civilisation de la terre, la Russie] », Libération du 27 avril 2014 -, le second reste un homme d'Etat pragmatique qui sait qu'on gagne d'abord les batailles par l'habileté dans la négociation et la recherche de compromis politiques. Là où Douguine rejette en bloc le libéralisme, Poutine y voit, notamment dans sa dimension économique, un moyen d'accroître la prospérité de la Russie. Raison de plus, pour l'Europe, d'éviter l'escalade et d'adopter une diplomatie un peu plus indépendante des Etats-Unis vis-à-vis de la Russie. Dans le cas contraire, la prophétie de Douguine d'un nouveau « choc des civilisations » risque fort de se réaliser. 

     
    communicant et spécialiste des sujets de crise
      
    Marianne 31 juillet 2015
     
  • Pourquoi le Grexit est plus que jamais d'actualité

     

    Jean-Pierre Robin, chroniqueur économique au Figaro, constate ici à quel point les négociations en cours à Athènes entre les créanciers et le gouvernement Tsipras se trouvent compliquées par la situation économique grecque, bien plus catastrophique qu'on l'imaginait encore à la mi-juillet. Compromises aussi par les divergences de fond entre les positions française et allemande. Oppositions qui amènent à douter du maintien de la Grèce dans l'Euro, aussi bien que de la pérennité de l'Euro, au moins comme monnaie unique. LFAR

    La bourse d'Athènes a chuté d'environ 20% en deux jours, depuis sa réouverture le lundi 2 août après cinq semaines de fermeture. Cette dégringolade, sans précédent depuis le krach mondial de l'automne 1987, aurait été sans doute encore plus sévère si les contrôles de capitaux ne restreignaient pas les ventes auxquelles les Grecs eux-mêmes sont autorisés à procéder. Alors que les investisseurs étrangers détiennent 60% des titres des entreprises grecques cotées en bourse, le plongeon exprime la défiance vis-à-vis de la Grèce et le délabrement de son économie.

    La question se pose donc à nouveau : en dépit des propos lénifiants de Pierre Moscovici, le Commissaire européen, (« nous allons dans la bonne direction »), l'accord de principe signé le 13 juillet sur un troisième plan d'aide de 86 milliards d'euros est-il réellement viable ?

    Ce programme vise avant tout à permettre à la Grèce d'assurer ses échéances financières les plus urgentes. La plus immédiate concerne le remboursement de 3,2 milliards d'euros à la BCE sur les titres de l'Etat grec que détient cette dernière et qui arrivent à échéance le 20 août prochain. Négocié par les créanciers désormais regroupés en quatre institutions (FMI, BCE, Commission européenne à laquelle s'ajoute le Mécanisme européen), sous la houlette des ministres des Finances de la zone euro, la démarche est essentiellement de nature financière.

    Outre les remboursements que l'Etat grec ne peut effectuer, faute d'enregistrer un excédent budgétaire, faute également de pouvoir avoir accès aux marchés financiers qui lui sont interdits de facto, il s'agit aussi de recapitaliser les banques grecques. Ces dernières sont actuellement tenues à bout de bras par la BCE qui viole ses propres règles prudentielles, sinon il y a des mois que le système bancaire de la Grèce aurait explosé et serait en totale faillite.

    Et last but not least, ces 86 milliards d'euros, sont censés financer sur les trois ans à venir toutes les dettes qui viennent à échéance, mais aussi les dépenses courantes que l'Etat est incapable d'équilibrer en levant des impôts.

    Malheureusement, le jeu donnant-donnant (Athènes consent des réformes essentiellement budgétaires et fiscales pour obtenir les 86 milliards) fait plus ou moins l'impasse sur la situation réelle de l'économie. Or celle-ci s'avère bien plus dégradée qu'on l'imaginait encore il y a trois semaines quand fut élaboré « l'accord » du 13 juillet.

    La déroute s'est opérée en trois étapes. D'abord les élections du 22 janvier : elles ont conduit au gouvernement Tsipras, lequel a tourné le dos aux mesures de rigueur de ses prédécesseurs.

    Puis s'est produite une dégradation irréversible de l'économie et de la confiance, au fur et à mesure que la nouvelle équipe mettait en place son programme et dénonçait la pression des créanciers.

    Et enfin, troisième temps, une dramatisation violente, avec l'annonce surprise, le 28 juin, du référendum où le peuple grec s'est prononcé (5 juillet) contre le nouvel accord qui venait d'être conclu les jours précédents avec les créanciers par l'équipe d'Alexandre Trispras elle-même. Ce dernier a fait campagne pour le « non » dénonçant sa propre signature au plan international !

    Au moment des élections de janvier et alors que la Grèce avait enregistré une faible croissance de 0,4% en 2014, après sept années d'un recul ininterrompu conduisant à une amputation d'un quart de son PIB, le FMI tablait sur une augmentation de 2,9% en 2015. Ce scénario a très vite tourné court. Quand l'ensemble des pays de la zone euro renouaient avec l'expansion au premier trimestre (de 0,6% en France notamment), Athènes retombait dans la récession (recul de 0,2% du PIB). Les résultats du deuxième trimestre ne sont pas encore connus (ils le seront le 14 août). En revanche on sait d'ores et déjà que la production industrielle a reculé de 2% en avril, qu'elle s'est effondrée de 5% en mai, et que le mouvement s'est sans doute poursuivi en juin à ce même rythme.

    Certes l'industrie n'est qu'une partie de l'activité économique (particulièrement faible en Grèce où elle ne représente que 10% du total), mais les autres secteurs (agriculture, services, commerce) subissent une atonie assez semblable. Les économistes du cabinet britannique Capital Economics tablent ainsi sur une chute du PIB de l'ordre de 2% au deuxième trimestre, laquelle risque de s'amplifier dans la seconde partie de l'année. Le PIB pourrait ainsi diminuer de 4% sur l'ensemble de 2015.

    Un tel plongeon paraît aujourd'hui fort probable compte tenu de la déroute économique qui s'est enclenchée dès l'annonce du referendum du 28 juin. Car dans la foulée il y eu la décision prise par Alexis Tsipras de fermer les banques et la bourse et d'instaurer des contrôles de capitaux. Lesquels demeurent malgré la réouverture des banques et de la bourse d'Athènes. Or les dégâts sont considérables. Pénurie de crédits bancaires, assèchement des commandes publiques de l'Etat soucieux de payer les fonctionnaires et les retraites, mais beaucoup moins d'honorer ses fournisseurs, au total l'activité des PME et notamment du commerce aurait été divisée par deux selon un sondage de la fédération professionnelle du secteur (GSEVEE). Même si ce genre d'information ne saurait être pris argent comptant, surtout dans un pays où l'économie souterraine reste essentielle, la désorganisation fait des ravages.

    L'effondrement de la confiance entre les Grecs eux-mêmes - PME et particuliers - est d'autant plus grave que cela tend à amplifier les effets mécaniquement déprimant des mesures d'austérité (sur les retraites ou la TVA par exemple), lesquelles sont par ailleurs nécessaires.

    Comment sortir d'un tel cercle vicieux, alors que la Grèce aurait besoin d'un « new deal », d'une nouvelle donne, pour repartir d'un bon pied ?

    Tel est le dilemme du « quartet » des créanciers : ils sont effrayés d'avoir à offrir 86 milliards d'euros, mais ils se montrent incapables de dessiner un scénario roboratif tellement la tâche de reconstruction de l'économie et de la société grecques semble pharaonique. Les quatre membres du quartet sont d'ailleurs loin d'être unis si l'on en juge par l'attitude du FMI : ce dernier se déclare à la fois partisan d'un allègement de la dette (les Européens s'en tiennent à un rééchelonnement), tout en annonçant qu'il est hors de question que le FMI mette de l'argent supplémentaire (ses propres règles et ses 189 pays actionnaires, dont les Etats-Unis, s'y opposent fermement).

    Au sein même des pays Européens, les points de vue demeurent fondamentalement dissemblables. Wolfgang Schaüble, le ministre des Finances allemand, n'a toujours pas ravalé l'idée de faire sortir « temporairement » la Grèce de l'euro. « Sur ce point (du Grexit) il y a un désaccord, un désaccord clair » a admis Michel Sapin, son homologue français, dans une interview au quotidien de l'économie Handelsblatt. Notre ministre des Finances, qui est pour sa part totalement hostile au Grexit, reconnaît donc implicitement que la question est loin d'être définitivement réglée.

    La différence de points de vue entre Schaüble et Sapin, entre l'Allemagne et la France, est à vrai dire fort simple et traditionnelle. Outre-Rhin on part des réalités de terrain, on considère que l'économie grecque est réellement inapte à vivre avec une monnaie surévaluée pour elle, sans doute de moitié compte tenu de sa compétitivité et du dépérissement de ses entreprises.

    En France on s'en tient à une analyse formaliste, « si vous autorisez qu'un pays puisse sortir temporairement, cela signifie que tous les autres pays en difficulté vont vouloir se tirer d'affaire par un réajustement de leur monnaie », explique Michel Sapin.

    Les deux points de vue sont parfaitement exacts et défendables. D'un côté l'éthique de la responsabilité et de l'autre l'éthique de la conviction, pour reprendre l'opposition célèbre de Max Weber. Schaüble le comptable pointilleux, Sapin le béat généreux.

    Mais la tension n'en est pas moins intenable entre les deux, et il faudra bien finir par trancher. C'est pourquoi on suivra avec la plus grande attention les indicateurs de l'économie grecque, qu'il s'agisse de la santé de ses entreprises ou du chômage de ses habitants.

    Figarovox

     

  • Jacques Myard : « Il est urgent que la France retrouve le sens de son intérêt national »

     

    Jacques Myard, député-maire de Maisons-Laffitte

    Une dizaine de députés français se sont rendus en visite en Crimée contre l'avis du Quai d'Orsay. Jacques Myard a donné dans Boulevard Voltaire et au Figaro les explications suivantes, où il n'a pas mâché ses mots.

     

    sans-titre.pngPourquoi ce déplacement en Crimée la semaine dernière ?

    Nous nous sommes rendus là-bas à l’initiative de mon collègue Thierry Mariani avec sept autres députés, sur invitation des Russes. Je me suis joint à ce voyage parce qu’il est cohérent avec la position que j’ai toujours défendue : nous sommes en tort vis-à-vis de la Russie, à cause d’une politique de sanctions totalement hors de proportions.

    La Crimée est russe depuis plus de deux siècles et les événements successifs de 1954 et de 1991 ne changent rien à cette réalité. En 1954, Khrouchtchev rattache la Crimée à l’Ukraine, mais c’est une décision administrative : il rattache une partie de territoire à un département, mais cela se fait au sein d’un même pays qui est alors l’Empire soviétique. En 1991, date de la chute de l’URSS, l’accord était déjà caduc. Une partie de cet accord prévoyait d’ailleurs que la flotte reste sous contrôle russe à Sébastopol ! Bref, depuis 1991, les habitants de la Crimée souhaitent retrouver la Russie ; ils l’ont d’ailleurs exprimé lors du référendum de 2014.

    Certains affirment que ce référendum était truqué, mais je peux vous assurer que l’on rencontre sur place une population ravie d’être à nouveau rattachée à la Russie. Sur la promenade de Yalta, à Sébastopol, toutes les personnes croisées le disent : quel intérêt auraient-elles à nous mentir ? C’est ridicule.

    Depuis 1773, la Crimée se trouve dans l’univers russe : nous sommes là-bas en Russie et le nier n’a absolument aucun sens.

    Aller sur place était une manière de critiquer la politique internationale que la France mène vis-à-vis de la Russie ?

    Bien entendu. Cette politique n’est d’ailleurs pas celle que nous menons, nous nous contentons de suivre bêtement, et contre nos intérêts. On a suivi les ultras européens qui font passer Poutine pour le nouveau Staline dans la région… Un peu de sérieux.

    Les sanctions que nous avons appliquées ont été logiquement suivies de contre-mesures russes et le tout est dévastateur pour les uns comme pour les autres : nous nous sommes pénalisés nous-mêmes, il faut quand même le faire !

    La levée des sanctions est une décision qui se prend à 28 et la France est donc coincée dans une position directement contraire à ses intérêts, à cause de son suivisme. Il est temps de ruer dans les brancards parce que nous avons tout à perdre en restant campés sur nos positions.

    Je précise tout de même que la question du Donbass est différente. Pour ce qui est de la Crimée, il n’y a vraiment aucun doute possible, on ne peut aller contre la réalité très longtemps.

    On a déjà eu ce genre de comportement au Kosovo : il n’est pas normal que le droit international soit utilisé à géométrie variable comme il l’est aujourd’hui. Il existe aussi la libre détermination des peuples, il ne faudrait pas l’oublier.

    Qu’avez-vous vu et entendu en Crimée ?

    J’ai vu un pays en paix, un véritable pays de Cocagne, il faut le dire. Il y a une réelle diversité linguistique puisque l’ukrainien, le russe et le tatar sont parlés dans les rues de Crimée. C’est une région dans laquelle les gens vivent bien et qui aurait d’ailleurs accueilli 150.000 réfugiés ayant fui les combats en Ukraine.
    Les habitants de la Crimée vivent bien et sont heureux de leur situation, ce n’est quand même pas difficile à reconnaître !

    On paie notre position aberrante sur le plan commercial, économique, géostratégique, diplomatique et même culturel. La force de notre présence en Russie est également culturelle : les Russes aiment la littérature française, et plus largement les Français. Il y a une réelle affection culturelle que nous ne pouvons piétiner ainsi.

    Que répondez-vous à ceux qui vous accusent d’être « pro-russe » ?

    Je ne suis ni pro-russe ni pro-américain, je suis pro-français.

    Cette accusation est d’une imbécillité totale. Je suis allé là-bas pour réaffirmer – et mon voyage a confirmé cette idée – qu’il est urgent que la France retrouve le sens de son intérêt national. Elle ne peut le faire sans un minimum de réalisme sur la situation.

    La Russie est un pays incontournable pour la paix en Europe, dans la lutte contre le terrorisme, et pour trouver une solution dans le conflit qui embrase le Proche et le Moyen-Orient.

    Nier ça pour suivre les Américains est un jeu dangereux…

    Que recherchent les Américains ? Certains affirment qu’ils tentent de casser l’Europe en deux pour éviter tout rapprochement avec la Russie. On doit réellement s’interroger et cesser, en tout cas, de les suivre sans réfléchir.

    La politique internationale de la France ne doit pas se décider à Moscou ou à Washington, pas plus qu’à Riyad ou Tel Aviv : elle doit être décidée à Paris.

    Quelles pourront-être les retombées de ce voyage ?

    Pour ma part, je continuerai bien sûr à défendre ce que je dis depuis longtemps déjà. Mais je crains que Laurent Fabius ne change rien.

    Mercredi dernier, le jour même de notre départ, le ministre des Affaires étrangères nous a expliqué qu’il était opposé à ce voyage. Après l’avoir remercié pour son hommage appuyé à l’indépendance des députés (!), je me suis permis de lui faire remarquer qu’il était sûrement jaloux de la liberté que nous avions, tandis qu’il est enfermé dans une position inconfortable.

    Je pense que Laurent Fabius est conscient de s’être laissé enfermer dans un piège, ce qui expliquerait son hyper-réaction à l’annonce de notre voyage… 

    Propos recueillis par Charlotte d’Ornellas

  • Grèce-Europe : le kairos manqué

     

    Par Olivier Pichon

    Le kairos est, chez les grecs anciens, le moment décisif qu’il faut saisir pour prendre la bonne décision, décision de nature à s’inscrire dans la durée, c’est-à-dire dans l’histoire. Tsipras a manqué une occasion historique de libérer la Grèce, de l’euro et de l’oligarchie à lui attachée, ainsi que de la puissance qui a le plus intérêt à l’euro, l’Allemagne. Le premier ministre grec avoue ainsi son trotskysme originel qui est révolutionnaire dans le champ de l’économie (lutte des classes, opposition au capitalisme des banques internationales) mais pas dans celui de la politique, en l’occurrence celui de la souveraineté et de l’identité. Comme Sisyphe, il est maintenant condamné à rouler le roc de la dette qui ne sera jamais payée. Mais en contraignant son pays à la servitude pour de longues années tandis que les contribuables européens payeront pour une dette irrécouvrable. Tout cela au seul bénéfice du maintien au pouvoir des oligarques européen et, derrière eux, non le peuple allemand, mais la chancelière et ses conseillers.

    La crise grecque est emblématique de l’impasse européenne. Ses différentes facettes sont la Grèce elle-même, la France, mais aussi l’oligarchie européenne. Demeure une question : l’Europe d’inspiration légitime, mais dévoyée, n’est-elle pas sur le point d’avorter ?

    Tsipras trotskyste un jour ?

    On ne finit pas de s’interroger sur le revirement de Tsipras qui, par le référendum, s’était assuré de l’appui de son peuple épuisé par six années de vaches maigres. Lui qui avait dit non au plan européen se voit désormais imposé les réformes voulues par les oligarques bruxellois ! Augmentation de la TVA, fin des avantages fiscaux pour les îles grecques, recul de l’âge de la retraite, cotisations de santé pour les retraités majorées, hausses des taxes sur les sociétés et les compagnies maritimes, reforme du marché du travail… La Grèce n’ayant pas joué le jeu de l’euro qu’elle a pourtant prétendu intégrer, ces mesures pourraient relever d’un certain réalisme économique. La crise a en effet commencé quand le ministre grec des finances annonça, en 2009, que le déficit public était de 12 ,5 %… loin des 3,7% annoncés ! Il est maintenant trop tard et le problème n’est plus économique mais politique.

    En réalité, la voie de l’extrême-gauche est bouchée en Europe. Le mouvement Podemos, en Espagne, peut s’interroger sur l’avenir de ses propositions alors que l’économie espagnole a commencé un redressement dans l’austérité. En échange de liquidités, Tsipras veut imposer au pays ces mesures qui ne résoudront pas le problème mais, au contraire, vont l’aggraver. Personne ne parie aujourd’hui sur leur succès. L’ineffable Strauss-Kahn le premier qui ne s’est pas toujours trompé sur les dossiers économiques ! Néanmoins, accepter le jeudi ce que le peuple a refusé e dimanche précédent ne laisse pas d’intriguer… Tsipras avait pourtant le choix : ou il démissionnait, ou il sortait de l’euro. Mais, comme l’on sait, les traités ne prévoient pas ce scenario (pourtant, un traité est un contrat et quel contrat serait valide s’il ne comprenait pas une clause de résiliation ?). C’est dire l’assurance qu’avaient Kohl Mitterrand et Delors du succès de leur entreprise !

    Tsipras demeure donc prisonnier de l’oligarchie européenne. On aura noté au passage que voilà un énième référendum qui est contrevenu par les dirigeants européens. A l’appui de la manœuvre, il y avait cette fois des espèces sonnantes et trébuchantes (80 milliards d’aide plus 35 milliards d’investissements, ces derniers déjà inscrits). Et l’euro est sauvé !

    Nous croyons, en réalité, Tsipras fortement européiste, et, en tant que trotskyste, attaché à «  l’internationalisme européen ». Il faut avoir vu sa moue méprisante et renfrognée lorsqu’au parlement européen, Nigel Farrage, président de l’UKIP, prit la défense du peuple grec en montrant que les peuples européens « n’avaient jamais demandé cela (l’Euro et les contraintes de la Commission) car cela ne marche pas » ; qu’un nouveau mur de Berlin s’était érigé de fait, non pas entre l’est et l’ouest, mais entre le nord et le sud : le mur de l’euro ; et qu’en conséquence, c’était folie de continuer ainsi pour le seul bénéfice des banques européennes ; que Tsipras, ne pouvait avoir le beurre et l’argent du beurre (have the cake and eat it !)… C’est-à-dire la souveraineté populaire et la soumission financière.

    La France en dessous de tout !

    Rappelons d’abord que la France c’est, du point de vue de la dette, la Grèce en pire. Qu’on en juge. 35 heures, 24% d’actifs fonctionnaires avec les jours de carence en plus, retraite à 62 ans, 57% du Pib dépensés par l’Etat, dépenses sociales à 9848 euros par habitant, 1% de la population mondiale et 7% de la dépense sociale du monde, réduction de la dépense publique portant surtout sur la défense (34 MD pour la défense et 652 MD pour la dépense sociale de surcroît en partie financée par l’emprunt)… Une différence néanmoins : la Grèce a un déficit primaire plus petit que celui de la France (3,5 % contre 4%) avec une dette de 177% du PIB contre quasiment 100% pour la France. Mais c’est sans compter la dette cachée, par exemple les retraites de la fonction publique payables sur les futurs budgets. Dans ces conditions Hollande est-il bien placé pour soutenir les exigences du FMI à l’endroit de la Grèce ? Il a fait, comme à son habitude, de la grossière récupération en vantant les mérites de cet accord dont l’espérance de vie est manifestement faible. Que pourra-t-il dire encore s’il avorte avant la fin de son mandat ? Que sa péroraison pitoyable reposait sur du vent ?

    298 milliards, c’est le montant de la dette grecque. Qui peut raisonnablement penser qu’elle sera remboursée ? Sa structure est massivement constituée par des créanciers publics (FESF-FMI-BCE-UE) et seulement un petit 45 milliard détenus par des créanciers privés. Autrement dit, les peuples et les citoyens européens sont ignorés, saufs pour leur contribution fiscale. Aux temps de lord Byron on se demandait s’il fallait mourir pour la Grèce. Aujourd’hui c’est: faut-il payer pour la Grèce ? Les données structurelles de l’économie mondiale ne permettent évidemment pas de rembourser une telle dette. Cependant, le problème grec n’est que l’arbre qui cache la forêt car la dette grecque ne représente que 3,5% de la dette totale de la zone euro. C’est dire si cette crise est une crise européenne et française. Une crise de l’Etat providence consolidé à prix fort en contradiction avec le projet européen de libéralisation de l’économie.

    Deustchland uber alles ! La Grèce exécutée sur l’autel de l’euro.

    Loin de nous l’idée de cultiver de vieilles rancœurs mais force est de constater que la loi européenne, en cette occurrence, est une loi allemande et que c’est elle qui a gagné ! Aucun changement aux obligations d’austérité pour la Grèce qui produiront à leur tour l’arrêt de toute croissance, aucune décote sur la dette, le vote du referendum du 6 juillet passé par pertes et profits… L’Allemagne, dans le passé, a pourtant vu ses dettes effacées avec le plan Dawes et le plan Young (dans les années trente), puis au moment de sa reconstruction dans les années cinquante et au moment de la réunification. Dans cette affaire, force est de constater que la France a été tout simplement à la remorque de l’Allemagne. En dépit des rodomontades du sieur Hollande, celui-ci, une fois encore, n’a pas été à la hauteur des enjeux et, n’ayant à l’esprit que la survie de l’euro, s’est comporté en supplétif de la chancelière allemande. Remarquable exemple de déni de la réalité – la dette grecque est irrécouvrable – et d’idéologie contre l’intérêt des peuples – la nécessité de l’euro.

    Si l’exécutif français avait refusé et dit publiquement qu’il n’admettait pas que le projet européen devienne un instrument de l’Allemagne, la chancelière eut probablement reculé et se fut quelque peu amadouée. Car la monnaie unique et ses institutions non élues sont les deux tares congénitales de l’Europe. Or le pouvoir existe toujours et l’Europe ne l’a pas aboli, elle l’a déplacé. Ce dernier se divise rarement et, dans cette crise, il fut allemand. Le plus grave est qu’aujourd’hui, il semble que la dégradation historique du processus européen rende impossible une autre Europe. Sauf à sortir de cette Europe des créanciers. On a rarement vu dans l’histoire qu’une politique de change fixe ne finisse par s’effondrer. Voyez le système de Brettons Woods dont l’agonie s’étendit sur plus d’une décennie (1965 1976).

    Ainsi, nous léguons à nos enfants une Europe des dettes avec son cortège d’huissiers. Bel héritage en vérité ! Le singe d’Ésope et de La Fontaine (on peut lui prêter le visage de l’un de nos dirigeants européens), juché sur un dauphin qui l’a (temporairement) sauvé du naufrage, peut croire que le Pirée est devant lui, le pire l’est aussi. 

     

  • Brunich ou Muxelles ? Par François Reloujac

     

    Puisque notre monde décadent aime bien forger des mots nouveaux, soit à partir de sigles ou d’anagrammes soit en contractant deux mots, je vous propose aujourd’hui, au choix, « Brunich » ou « Muxelles », tant l’accord auquel les Européens sont arrivés dans la capitale belge rappelle ceux signés dans la capitale bavaroise en 1938.

    Il ne faut pas croire que les Grecs seraient les seuls endettés [1] en Europe ni les seuls à avoir triché pour entrer dans la zone euro – cette nouvelle forme du miroir aux alouettes. Ils sont aujourd’hui chargés comme le bouc émissaire grâce auquel certains espèrent échapper aux conséquences de leurs propres mensonges ; mais ils pourraient bien n’être que les premières victimes d’une utopie fondée sur la recherche du plaisir immédiat. En France, tout particulièrement, il serait bon d’y songer.

    La dette publique grecque (350 milliards d’euros), rapportée à chaque Grec, n’est pas plus importante que la dette publique réelle française, rapportée à chaque Français. On dit que les Grecs ont dissimulé certaines dettes. Oui, mais le hors-bilan officiel de la France (3 200 milliards d’euros) – non pris en compte dans la dette officielle (2 000 milliards d’euros) et s’y ajoutant – est tel que chaque Français « doit » aux créanciers internationaux plus que chaque Grec (plus de 85 000 euro par Français contre plus de 70 000 euros par Grec, si l’on peut faire confiance aux chiffres publiés). Et que l’on ne dise pas que ce calcul résulte d’un « amalgame » douteux parce que le hors-bilan de la France est essentiellement constitué par les retraites des fonctionnaires que, contre toute loi économique, le Gouvernement français s’est autorisé à ne pas provisionner. Pense-t-on vraiment que la France ne paiera pas les retraites des fonctionnaires ?

    On nous a dit aussi que le poids de la fonction publique en Grèce était insupportable… mais il est relativement moins élevé qu’en France. 25 % des Grecs ne payent pas l’impôt sur le revenu… ce qui n’est certes pas bien, mais en France plus de 50 % des ménages sont exonérés de ce même impôt, ainsi que des impôts locaux. Faut-il en conclure : Solidarité en deçà du Péloponnèse, corruption au-delà !

    On ne peut pas non plus effacer la dette des Grecs car ce serait un fâcheux précédent, nous dit-on. Mais, a-t-on oublié le sens de l’année jubilaire dont parle la Bible ? Souvenons-nous de la dette allemande. Il est vrai que cette dette a été effacée à la demande des Américains car cela servait leurs intérêts… et qu’ils possédaient la première armée du monde. Plus tard, lorsque l’Allemagne a organisé sa réunification, les Européens n’ont pas cherché à entraver leur décision politique par des arguties économiques. L’Allemagne n’a pas toujours été, au cours des dernières décennies, le champion économique qu’elle est devenue grâce à un euro géré à son profit exclusif, au recours à une main d’œuvre peu payée en provenance de l’Europe autrefois sous le joug communiste et à une subtile utilisation des règles européennes. Cette domination économique aussi écrasante que provisoire devra demain tenir compte d’une réalité qui la plombe, sa faiblesse démographique.

    La Grèce ne peut pas faire face à ses engagements – demain il en sera de même de la France – ; il y a donc deux attitudes possibles : que ses créanciers lui fassent rendre gorge jusqu’au dernier centime, quelles qu’en soient les conséquences ; que ses créanciers – notamment ceux qui ont prêté en pensant que les autres Européens se substitueraient à l’imprudent – acceptent de constater leur propre légèreté et considèrent que l’important est de sauver le débiteur autrefois euphorique car c’est à la fois la meilleure façon d’espérer recouvrer une (petite) partie de leur créance et de continuer à faire de (juteuses) affaires.

    Les Grecs vont devoir travailler au moins jusqu’à 67 ans avant de partir à la retraite. Et les Français ? Quant à la durée effective du travail, telle qu’elle est calculée par l’OCDE, elle n’est pas en faveur des Français[2]. Je sais, certes, qu’en Europe, on mesure officiellement le temps passé sur le lieu de travail et non pas le temps de travail effectif, mais ce n’est pas une raison suffisante. La mesure du temps passé sur le lieu de travail est en fait, non pas la mesure ni de la pénibilité du travail ni de la contribution à la richesse du pays, mais celle de la privation de liberté (car le régime « normal » du travail est désormais partout en Europe le salariat et non le travail indépendant). Sur ce chapitre, force est de constater que l’Europe a aussi imposé aux Grecs de travailler le dimanche.

    Si les Grecs ne remboursent pas, il pourrait en coûter quelques dizaines de milliards aux contribuables français : moins que la charge des intérêts annuels relatifs à la dette contractée en France pour permettre à ses « élites » de vivre au-dessus de leurs moyens. Et bien moins que ce qu’il faudra payer lorsque les taux d’intérêt commenceront à remonter ce qui pourrait arriver avant la fin de l’été lorsque la FED américaine commencera à le faire, comme l’a promis Janet Yellen.

    Parmi les dernières trouvailles des égoïstes qui ne veulent pas entendre parler de la dette grecque, on nous sert le coût des Jeux Olympiques d’Athènes… au moment même où Paris pose sa candidature pour de prochains Jeux. La France pense-t-elle vraiment qu’elle va pouvoir équilibrer le coût de cette opération [3] ? Ou, imagine-t-on que ceux qui posent cette candidature se disent que c’est un autre parti qui aura à apurer la facture ?  Ou pensent-ils encore que, compte tenu de l’importance de l’épargne antérieurement accumulée par chaque Français, on pourra sans difficulté majeure la ponctionner un jour pour sauver des établissements financiers « too big to fail« , comme on l’a fait à Chypre et comme chaque pays européen doit désormais l’inscrire dans sa législation nationale ? Peut-être qu’auparavant on imaginera que la France pourrait vendre la Tour Eiffel au Qatar pour recapitaliser BPCE, Crédit Agricole, BNP ou Société Générale !

    Oui, la Grèce a maquillé ses comptes pour entrer dans l’euro (avec l’aide de Goldman Sachs dont l’un des plus brillants représentants était un certain Mario Draghi, aujourd’hui patron de la BCE) mais qu’en est-il des autres Etats, France et Allemagne en tête ? Et combien tout cela a-t-il rapporté à la banque américaine ?

    Deux questions iconoclastes pour en finir sur ce volet économico-financier de la crise – car nous n’aborderons pas ici la question sous l’angle politique[4] autrement que pour constater que l’Europe a ajouté une nouvelle manière de respecter le vote (à plus de 60 %) de tout un peuple : en le tenant pour nul, sans même se donner la peine d’exiger du pays qu’il « revote » ! Qu’est-ce que l’euro apporte véritablement aux peuples ? [5] Et, combien les Corréziens doivent-ils aux contribuables de la région parisienne depuis que ces deux « entités » appartiennent la « même zone économique » et utilisent une même « monnaie unique » [6] ? 

     


    [1] Sans tenir compte, bien entendu de la dette privée de chacun des agents économiques individuels.

    [2] En 2008, les Grecs travaillaient en moyenne 2 120 heures contre 1 760 pour la moyenne des autres Etats européens. Depuis la différence ne s’est pas améliorée au profit des Grecs.

    [3] Car si les prêts accordés par les banques « françaises » ou « allemandes » (une vingtaine de milliards d’euros) pour permettre ces Jeux ont essentiellement bénéficié à des entreprises de BTP françaises ou surtout allemandes (à l’époque, on a même dit que cela permettait de « sauver » certaines entreprises allemandes, principales bénéficiaires de l’opération), il n’en sera pas forcément de même demain.

    [4] Milton Friedman croyait, autrefois, qu’en cas de choc entre la « Souveraineté nationale » et la monnaie, la première l’emporterait toujours sur la seconde. Pourquoi s’est-il trompé ? Quelles en seront les conséquences demain ?

    [5] En dehors du dernier choix laissé aux peuples entre implosion ou explosion ?

    [6] Comme l’a écrit J. Savès sur le site www.herodote.net, « un bourgeois de Strasbourg est infiniment plus solidaire d’un habitant de Mayotte, malgré tout ce qui les sépare, que son voisin de Fribourg, malgré tout ce qui les rapproche, parce qu’il partage avec les premiers les mêmes droits civil, fiscal, social, etc., et ne partage rien avec le second ».

     

  • Le plan Schäuble : sortir de la zone euro ?

     

    L'hypothèse est de Sylvia Bourdon, chef d'entreprise, dans Boulevard Voltaire. A vrai dire, elle ne nous surprend pas. La religion de l'Euro est française, pas nécessairement allemande. D'autre part, il nous paraît assez clair que l'Allemagne, ses dirigeants, son opinion, considèrent désormais avoir atteint la limite au delà de laquelle il n'est plus question de payer pour les autres. Notamment pour les pays du Club Med comme  on a pris le pli des les (nous) appeler, outre-Rhin. On les comprend. Enfin, est-il toujours si sûr que l'Allemagne redoute l'appréciation de sa monnaie qui suivrait sa sortie de l'Euro, au moins comme monnaie unique ? On peut en douter car une bonne part de l'industrie allemande a pour pratique de faire fabriquer à l'étranger, notamment chez ses voisins d'Europe Centrale, ex-communiste, les ensembles ou sous-ensembles servant à la construction de ses propres produits. L'Euro fort lui permettait de les acheter à bas coût. Un Mark ou Euro Mark réévalué lui permettrait des achats à encore meilleur compte et il n'est pas sûr que ses prix de revient s'en trouveraient augmentés de beaucoup. Ce qui est sûr c'est que l'Allemagne est excédée par un certain nombre de pays de l'Eurogroupe et qu'aucune autre voie plus favorable à ses intérêts ne lui paraît plus inenvisageable. Sans-doute au contraire.  LFAR   

     

    L’humiliation de la Grèce est depuis longtemps le but de Schäuble. Il estime que l’Union européenne n’est plus viable. Son ambition est une union politique qui n’est possible, selon lui, qu’avec des États germano-compatibles. Le « Grexit » est au programme.

    Schäuble s’imagine l’architecte d’une nouvelle Union européenne. Le « Grexit » est essentiel. Ce vieux cacique de parti rejette SYRIZA. Le couronnement de sa carrière serait de prouver que l’on peut y arriver, en s’appliquant avec discipline et persévérance. Il est amateur de grandes coalitions. « Son Union européenne » n’est pas composée d’associations incontrôlables, hautes en couleur, où chacun peut y trouver son bonheur.

    SYRIZA, du pain béni pour Schäuble. Il n’est plus contraint de composer avec le parti ami, Néa Dimokratía. Varoufákis livre dans une interview au New Statesman certains détails. La Troïka rejetait ses propositions, sans argumentations et sans contre-propositions. Selon Varoufákis, la Troïka a mené en bateau les Grecs. Lorsque Varoufákis lançait à Schäuble qu’il n’est plus possible de négocier selon les vieilles règles, il rétorque : « Nous avons 19 pays dans l’eurozone où se tiennent des élections. Si après chaque élection nous devons changer les règles, ça n’est plus gérable. Il y a des règles auxquelles il faut se tenir, peut importe qui gouverne. » Signification : les sauveurs de l’euro veulent éjecter la Grèce.

    Ambrose Evans-Pritchard, du Telegraph, écrit que Schäuble, sans y mettre les formes, est le seul politicien à apporter une alternative pour la Grèce : la sortie de l’euro, une aide humanitaire, le soutien pour une nouvelle drachme par la BCE. Ceci sonne bien, alors que Tsípras fut contraint de signer.

    Cet accord ne peut tenir. 3 mois de souffrances supplémentaires. Au plus tard en octobre, une nouvelle réunion aura lieu pour un constat d’échec. Schäuble espérait que Tsípras choisirait le « Grexit ». Tsípras est naïf, n’est pas à la hauteur des « durs à cuire » de Schäuble. En « realpolitik », ce sont les intérêts qui priment. Le « Grexit » est inévitable. L’Allemagne ne suivra plus dans une eurozone en tel dysfonctionnement. Tsípras n’a pas compris le message martelé depuis des mois. La Grèce est indésirable. Si Merkel-Schäuble avaient vu une chance minime de garder la Grèce dans l’euro, ils auraient présenté un autre accord, avec de l’argent pour les investissements, d’autres fonds des États membres, l’aide de la BEI et de la BERD, ils auraient évoqué la protection des dépôts. Schäuble veut la disparition de la Grèce de l’euro. En revanche, les banques devront être directement soumises à la BCE. Personne ne parle plus de l’union bancaire célébrée il y a quelques mois.

    L’Allemagne ne sauvera pas les banques grecques, Schäuble le sait. Sa proposition à Tsípras : « Si vous sortez de l’euro, vous obtiendrez une réduction de la dette. » Avec un « Grexit », le message Schäuble aux autres pays du sud est clair : « Tout le monde sera traité comme la Grèce. Ou vous jouez selon les règles, ou vous y serez contraints. » La « généreuse » proposition de la Troïka de transformer la Grèce en euro-protectorat devra intimider. Le temps est avec Schäuble. La situation italienne est catastrophique. L’Espagne présente une situation pire qu’officiellement annoncée. Podemos est un SYRIZA en puissance. Schäuble refuse de négocier avec ces partis, adversaires de l’austérité. Il leur mettra le couteau sous la gorge.

    Il veut un Parlement de l’eurozone, en estimant que l’unité politique ne pourra voir le jour que s’il traverse une crise. Restent l’Allemagne, l’Autriche, les Pays-Bas, le Luxembourg, la Slovaquie et, si possible, la France, laquelle deviendra problématique si Marine Le Pen arrive au pouvoir. Schäuble veut cette eurozone en tant qu’union politique, avec union de transfert, budget commun, un seul ministre des Finances qui aurait tous les pouvoirs, une sécurité des fonds communs, une assurance chômage commune et un programme d’intégration. Rien ne le fera reculer pour imposer son plan. Il sait qu’une ligne rouge s’est créée dans l’Union européenne contre sa politique. Le temps presse. La destruction de l’ancienne Union européenne est engagée. Il y aura des dommages collatéraux, lesquels, selon Schäuble, seront moins importants que si l’on continue à se coltiner les Grecs, les Italiens, etc. 

     

     - Boulevard Voltaire

     

  • Grèce : Victoire à la Pyrrhus, par Alain Pélops

     

    Chaque victoire que Pyrrhus, roi grec (déjà), remportait sur les romains l’affaiblissait, jusqu’à la défaite finale.

     

    Les problèmes de la Grèce sont connus.

    La dette pléthorique (180% du produit intérieur brut) ne peut pas être remboursée. Depuis sa fondation en 1830 la Grèce a fait six fois défaut. La monnaie (l’euro), trop forte pour l’économie grecque, aligne la gargote de Mykonos  sur le restaurant parisien. L’évasion fiscale, sport national, fait affleurer l’économie souterraine. Trois ans d’austérité ont effondré l’activité et fait exploser le chômage. Les Grecs, dont l’histoire est mouvementée, se sentent humiliés.

    Le plan de « sauvetage » qui vient d’être adopté ne règle rien.

    Aucun moratoire financier d’ampleur n’est prévu, soucieuse qu’est l’Union Européenne de préserver la valeur, toute fictive, de la dette grecque qu’elle porte avec la BCE et le FMI. La sortie de l’Euro, permanente ou temporaire, n’a pas été envisagée de peur de faire des émules, en Espagne où Podemos progresse ou en France bien sûr ; les anglais, qui ont refusé d’abandonner la livre, envisagent de s’éloigner encore plus de l’Europe. Le programme d’austérité est confirmé, échéancier d’excédents budgétaires à l’appui. La hausse de 10% de la TVA, service de la dette oblige, va, si tant est qu’elle soit collectée, freiner encore l’activité. Les biens à privatiser seront apportés à un fonds destiné à la vente. Il est douteux qu’ils s’y valorisent.

    En contrepartie,  la banque centrale européenne reprend son soutien au système bancaire grec, exsangue.

    La France s’enorgueillit de son rôle dans la négociation. Elle a accompagné  le diktat de paroles douces. Dans le camp des vainqueurs, des partisans de l’austérité, elle voyage agréablement dans les fourgons de l’Allemagne, sans se soucier du prix du billet. Il y a pourtant un danger à être dur avec les faibles et faible avec les forts. Quand son tour viendra d’entreprendre de vraies réformes, elle ne pourra se prévaloir de solutions adaptées, efficaces, peut être généreuses. D’autant qu’en France, contrairement à la Grèce, la ponction fiscale est déjà faite, et le patrimoine public en passe d’être cédé. Mais le gain politique aura été encaissé et le problème sera pour les suivants.  

     

      -  Politique magazine

     

  • DF : un parti d’extrême-droite qui siège à gauche, par Yves Morel*

     

    Partout en Europe - comme, d'ailleurs, en de nombreux autres points du monde - ce sont les identités, les peuples, les nations qui se renforcent.

    Les élections législatives danoises du 18 juin dernier ont vu une percée du parti populaire danois (Densk Folkeparti, DF) qui, avec 21,1 % des suffrages exprimés, enlève 37 sièges de députés, et devient le second parti du Danemark, derrière le parti social-démocrate et devant le parti conservateur libéral Venstre.

    Bien entendu, les médias et les milieux politiques européens, se sont émus de « la montée de l’extrême droite » dans ce petit pays nordique paisible et prospère. Qu’on se rassure, le Danemark ne deviendra pas un pays xénophobe fondé sur le culte des races nordiques, l’exaltation de l’épopée des Vikings, le paganisme scandinave ou un luthéranisme exclusif.

    Tout d’abord, le parti populaire danois, quoique constituant le groupe le plus important du Folketing (Parlement danois), a refusé de former le nouveau ministère, faute d’avoir trouvé un accord de législature avec les autres formations de droite. C’est donc Lars Løkke Rasmussen, déjà trois fois Premier ministre, qui, le 28 juin, a constitué le cabinet, très minoritaire, composé uniquement de membres du Venstre, qui, avec 19,5 % des suffrages, enregistre son plus mauvais score depuis sa fondation et ne dispose plus que de 34 sièges de députés, soit 1/3 de moins qu’auparavant. Ce ministère, privé de majorité d’entrée de jeu, ne durera guère et devra louvoyer constamment entre les divers groupes du Folkenting. Mais surtout, le Densk Folkeparti n’a rien d’un parti extrémiste.

    Un parti centriste

    En effet, il est, au Danemark, classé au centre, à droite du parti social-démocrate, mais à gauche du Venstre et des partis conservateurs. Au Folketing, ses députés siègent à gauche de ceux du Venstre. Il est intéressant de noter que, lors de la première législature à laquelle il ait participé (1998-2001), il a soutenu, sans y entrer, le ministère social-démocrate de Poul Nyrup Rasmussen. Puis, de 2001 à 2011, il a soutenu les cabinets conservateurs d’Anders Fogh Rasmussen (homonyme, mais non parent du précédent), toujours sans en faire partie. Depuis 2011, il a choisi la ligne de l’opposition à ces mêmes gouvernements.

    Né en octobre 1995 d’une scission au sein du Parti du Progrès (Fremskridtspartiet), formation militant pour l’abolition de l’impôt sur le revenu, la réduction du poids de l’administration et un strict contrôle migratoire, il combine le souci de la défense de l’identité danoise et celui de la préservation du système de protection sociale édifié au fil des décennies. Attaché à la démocratie parlementaire, il ne se réclame d’aucune idéologie. Il n’est ni raciste ni xénophobe. Sa fondatrice et première présidente, Pia Kiaersgaard, a passé le relais, en 2012, à Kristian Thulesen Dahl, âgé aujourd’hui de 46 ans, économiste, membre des conseils d’institutions aussi diverses que l’université d’Aalborg, de l’aéroport de Billung et de la Banque nationale danoise, conseiller à la Cour nationale des Impôts. Thulesen Dahl, notable, père de famille tranquille, réfléchi, pondéré, ne présente pas le profil d’un agitateur populiste, moins encore d’un aspirant au pouvoir personnel. Sans véritable charisme, il jouit d’une autorité naturelle qui en impose à ses partisans et le fait reconnaître comme un homme sérieux et fiable. Il n’est ni un Le Pen ni un Umberto Bossi ; et ses préoccupations sociales l’opposent à un Gianfranco Fini ou à un Silvio Berlusconi, ultra-libéraux.

    Défense du modèle social danois et de l’identité nationale et culturelle danoise

    Car le parti populaire entend défendre le système de protection sociale, auquel tiennent tous les Danois. Il a d’ailleurs récemment conclu un accord avec le parti socialiste populaire (situé à gauche du parti social-démocrate) pour réclamer une revalorisation substantielle de l’indemnité contre le chômage. Mais il entend remettre ce modèle sur les rails, autrement dit recentrer ses missions et ses moyens sur les Danois de préférence aux immigrés, et sur les fractions nécessiteuses de la population, oubliées ou négligées depuis deux décennies, telles les retraités à faible pension et les salariés aux revenus les plus modestes. Ces deux catégories de la population ont quelque peu pâti de la sollicitude compassionnelle politiquement correcte des pouvoirs publics à l’égard des chômeurs, des demandeurs de premier emploi, et surtout des immigrés, abusivement considérés comme relevant d’un devoir d’assistance incombant au pays d’accueil, apparenté à une obligation morale.

    Cette préférence paraît désormais d’autant plus inadmissible que nombre d’immigrés, et spécialement les musulmans, refusent le modèle d’intégration par assimilation, à la base de la politique danoise d’immigration. Ils cherchent à tirer tout le profit possible du modèle social danois sans consentir à aucun effort d’intégration, soucieux non seulement de conserver leur identité et leur mode de vie d’origine, mais encore de les promouvoir et de les imposer à la population par la prohibition de fait des habitudes de vie jugées par eux en contradiction avec leur religion. Ces musulmans-là, de plus en plus nombreux, ne se privent nullement de vilipender les mœurs, les coutumes, la langue, la patrie danoises, de faire l’éloge des pays islamistes, de demander pour eux la multiplication des lieux de culte, d’arborer des tenues vestimentaires caractéristiques du monde arabe. Sous leur pression, des crèches, garderies, cantines scolaires et hôpitaux ont éliminé des repas servis aux usagers tous les plats à base de chair de porc, notamment les pâtés, saucisses, boulettes et fricadelles, pourtant emblématiques de la cuisine danoise ; certains de ces services et établissements en sont arrivés à ne plus servir que de la viande hallal au public, lors même qu’il se compose d’une forte majorité de non-musulmans. Et, dans la foulée, ils ont accepté d’interdire les arbres de Noël. Pire : un groupe musulman semi-clandestin a tenté de créer à Copenhague des zones d’application de la charia contrôlées par une « police de la vertu ». Le même groupe a lancé des appels au meurtre des Danois et préconisé l’instauration d’un régime islamiste au Danemark.

    Cette situation a suscité chez les Danois une réaction de défense compréhensible qui excède largement le parti populaire et que les gouvernants ont prise en compte. En 2009-2010, Inger Støjberg, jeune ministre de l’Emploi du cabinet Rasmussen (libéral) a pris diverses mesures salutaires : réduction des aides sociales aux chômeurs immigrés de plus de 30 ans refusant l’apprentissage du danois, subordination de la gratuité des soins à une période probatoire de plusieurs années pour les immigrés, réduction, pour ces derniers, des congés maternité et des prêts aux étudiants. Le 10 juillet 2013, elle a justifié sa politique dans une tribune du journal Politiken.

    La percée du modéré parti populaire n’est rien d’autre que le signe fort de cette saine réaction nationale de défense. 

     

     - Docteur ès-lettres, écrivain, spécialiste de l'histoire de l'enseignement en France, collaborateur de Politique magazine et la Nouvelle Revue universelle.