Laissez-la vivre ! par Louis-Joseph Delanglade
Le voyage de Rosetta et l’ « atterrissage » de Philae constituent, malgré quelques ratés, un exploit technologique et scientifique certain. M. Guetta en est tout enthousiasmé: [cela] « nous montre ce que nous pourrions être et faire ensemble, avec un peu plus de temps, de volontarisme et de vision » (France Inter, jeudi 13). Il y a certes un fond de vérité dans ces propos : oui, une certaine Europe, intelligente et novatrice, ne demande qu’à exister davantage. On ne peut que regretter, dès lors, que les « pères fondateurs » de ce qui est devenu l’Union européenne aient enclenché un processus à rebours de tout bon sens. Au mépris de toutes les réalités, et d’abord des réalités nationales, ils ont privilégié l’économie puis la monnaie, proposant l’horizon d’un grand marché libéral et mondialisé.
Or, malgré eux et malgré même la plupart de ses actuels dirigeants politiques, l’Europe actuelle reste fermement ancrée dans ses composantes nationales. L’Allemagne réunifiée vient ainsi de fêter les vingt-cinq ans de la chute du mur de Berlin sans que MM. Hollande ou Cameron daignent se déplacer. Eux-mêmes, mais chacun de son côté, commémorent seuls la fin de la Grande Guerre qui, pour l’Allemagne ne représente forcément pas la même chose. Quant à la Russie, elle manifeste ouvertement, comme l’illustre si bien les affaires de Crimée et d’Ukraine, son désir de rejouer un rôle de premier plan sur la scène mondiale.
M. Hollande a tort, qui salue l’exploit de Rosetta et Philae comme « une victoire de l’Europe », laissant supposer qu’il est l’aboutissement d’une politique commune aux pays de l’Union. Or, l’Union n’est pas l’Europe, elle n’en est qu’une approximation dévoyée. En fait, existent plutôt et de façon plus ou moins développée des Europe(s), notamment cette « Europe » de la recherche spatiale, alliance fructueuse des intelligences en vue d’un objectif spécifique, mais alliance de chercheurs « nationaux ».
M. Guetta a tort, qui affirme se sentir conforté dans son « nationalisme européen ». Outre qu’il est paradoxal d’entendre le camarade Guetta reprendre à son compte une expression déjà et plutôt utilisée par des gens qui sentent le soufre, il est piquant de l’entendre l’employer deux jours seulement après que M. Hollande eut cru bon de fustiger tous les nationalismes dans son discours du 11 novembre à Notre-Dame-de-Lorette. De toute façon, M. Guetta peut bien rêver : n’existent ni nation européenne ni peuple européen.
En revanche, l’exploit de Rosetta et Philae est porteur d’une leçon politique. Lorsqu’ils s’unissent dans un but précis, sur la base d’accords inter-gouvernementaux, les grands pays européens, politiquement fourvoyés dans l’Union, obtiennent des résultats remarquables. Cette Europe des vieilles nations est d’évidence le chemin à suivre. Qu’on la laisse vivre ! ♦