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L'Europe dont les peuples ne veulent plus, par Hilaire de Crémiers*

Le verdict populaire est sans appel. L’Europe qui était de moins en moins crédible, ne l’est plus du tout, mais tout sera fait pour maintenir le système et continuer dans la même voie. Quant à Hollande, il est devant une crise institutionnelle majeure.

 

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François Hollande peut-il durer ? Tous les éléments sont contre lui...

 

Le résultat des élections européennes était prévisible et depuis fort longtemps. Certains se croient obligés maintenant de s’en offusquer. Ils n’ont qu’à s’en prendre à eux-mêmes. L’Europe s’est faite contre les peuples ; les peuples votent contre l’Europe : il fallait s’y attendre.

Et d’abord par l’abstention, ce qui facilite les interprétations des commentateurs patentés, mais qui est, en fait, un vote de refus et qui, de plus, est clair et net. Pas seulement en France, mais dans toute l’Europe. à quoi s’ajoutent toutes les listes dont les programmes récusent l’Europe officielle, le Front national en tête, puisque tel est le fait qui explose à la figure des gouvernants. L’ensemble regroupe une majorité qui dit ouvertement « non » à ce qui se fabrique à Bruxelles.

 

Signification du vote

 

Si ce refus signifie un évident rejet d’un projet qui devient de plus en plus une abstraction de technocrates et de politiciens, il manifeste en revanche une adhésion profonde à des réalités charnelles, vivantes, nationales qui font l’histoire et donnent un sens à la vie sociale. 

Les peuples veulent rester eux-mêmes et n’acceptent plus d’être méprisés. Ce vote n’a pu s’exprimer dans toute la limpidité de son contenu positif. Et pour cause. L’objet sur lequel il portait est par nature abscons. 

L’Europe est devenue une machine administrative incontrôlable et, de plus, une machine partisane dont la représentation n’a aucun caractère de véracité. Les peuples en sont concrètement absents. Aussi pareil scrutin n’est qu’un système de plus qui s’ajoute aux systèmes déjà existants et dont les élus sont censés contrôler un autre système, celui de la « gouvernance européenne » d’une complexité qui frise l’absurdité quand il s’agit de politique, avec ses domaines de compétence aux contours indistincts et donc trompeurs entre le régime dit « communautaire » et ce qu’il est convenu d’appeler encore « l’intergouvernemental ». Il est des gens qui vivent de ce « machin » et dont le combat quotidien consiste à grignoter des parts de pouvoir de l’un sur l’autre.

Cette Europe est littéralement monstrueuse ! Ainsi l’ont voulue les apprentis-sorciers qui ont imaginé, au fur et à mesure de sa construction, cette maison de fous où se côtoient des fonctionnaires d’administrations aux vues totalitaires et incohérentes, des économistes sans responsabilités réelles et, du coup, d’autant plus dictatoriaux dans leurs prescriptions, des politiciens en mal de carrière et qui jouent d’autant plus aux matamores, des prébendiers de la technostructure européenne où sévit l’art de prendre les places – après Barnier, le tour de Moscovici est venu ! –, des malins qui ont fait de ce qu’ils appellent pompeusement l’aventure européenne, leur affaire personnelle, enfin des vagabonds de toutes sortes qui se sont donnés de l’importance, de l’influence et, fort judicieusement, des rémunérations en s’assurant des postes et en usant des groupes de pression qui vivent de, par et pour l’Europe. Ajoutez quelques belles âmes aux élans mystiques de démocrates-chrétiens qui couvrent d’une rhétorique fuligineuse et prétendument spirituelle cet affreux mélange de mercantilisme, d’affairisme, de politicaillerie et de cynisme, qui s’est doté non d’un véritable droit mais d’un appareil juridique aussi immoral qu’implacable, comme toute entité de type idéologique.

Telle est la réalité de l’Europe aujourd’hui et c’est d’une évidence telle que les gens de bon sens ne veulent plus de cet univers kafkaïen. Il fallait faire l’Europe autrement. C’eût été possible, mais, aujourd’hui, c’est raté et c’est trop tard. Ni Guaino ni Wauquiez n’y changeront rien, malgré leurs éloquentes protestations : ils sont, d’ailleurs, traités de renégats par ceux qui tiennent les rênes de leur parti. L’Europe-diktat, c’est la formule obligatoire, forcée à gauche comme à droite dans les partis dits de gouvernement.

En dépit de tout, malgré le dégoût manifeste des peuples, dans le mépris total des réflexions de bon sens des meilleurs chroniqueurs, il est interdit de remettre en cause les dogmes de la religion européenne, à quoi il faut tout sacrifier.

 

Quoi derrière l’Europe ?

 

Et, pourtant, qui ne voit que la machine échappe à tout le monde. Les Anglais pragmatiques n’ont qu’une idée, la quitter, après en avoir tiré tous les profits possibles et y avoir instillé leur conception du droit privé et du droit des affaires qui annihile notre propre droit de civilisés latins. Les juristes intelligents et honnêtes – ça existe encore – savent parfaitement de quoi il retourne.

Les Allemands ne se sentent bien dans une telle Europe qu’en y préservant leur propre souveraineté de peuple allemand que leur Cour constitutionnelle établit naturellement en norme supérieure ; ils imposent en conséquence aux autres peuples leur conception de droit public, leur méthode d’organisation économique et de direction budgétaire. L’Allemagne a opéré sa réunification par décision souveraine sur un seul et unique mark, et ce grâce à l’Europe ; et l’euro n’est rien d’autre que sa propre monnaie. Tant que l’Europe servira les intérêts allemands, en particulier à l’Est, l’Allemagne la soutiendra, comme dans l’entre-deux-guerres avant qu’Hitler ne donnât un tour violent à ses revendications. Car Hitler rêvait aussi d’Europe unifiée !

Les autres peuples d’Europe ont cru dans l’Europe bruxelloise comme à une sorte de songe heureux d’enrichissement facile que l’abus des fonds structurels semblait justifier jusqu’au moment du retournement de situation. Car qu’est la richesse sans le travail ? La Grèce en est le plus bel exemple.

Quant aux Français – on leur serinait cette leçon –, ils s’imaginaient que l’Europe était leur affaire, leur grande idée, une transposition au niveau international de leur conception républicaine, socialiste autant que libérale, jacobine autant que libertaire, ce modèle que, d’après leur doctrine officielle, le monde entier leur enviait : quoi de plus réjouissant, en effet, dans le genre de conception qui anime nos politiciens et leurs intellectuels stipendiés, que de réglementer, oui, comme en France, encore réglementer, toujours réglementer afin de supprimer toutes les libertés particulières si gênantes et ainsi instaurer l’Égalité dans la Liberté. C’était ça, l’Europe d’abord et aussi ! Le socialisme français ferait l’Europe libérale et l’Europe libérale se plierait aux concepts du socialisme français ! Giscard, Mitterrand, Chirac, Jospin, Sarkozy, Hollande, même combat !

Quel mécompte ! Schengen, Maastricht, Amsterdam, Lisbonne, ce ne fut successivement que des tours de passe-passe manigancés par des politiciens sans scrupule pour, d’une matrice mal formée, accoucher leur invivable idée européenne aux forceps. Et concrètement la France a été flouée et ses intérêts les plus certains sacrifiés : la voici envahie, jetée dans le chômage,  désindustrialisée, appauvrie, vendue, rackettée.

Voilà déjà douze ans que dans ces colonnes il était écrit que l’Europe exploserait à cause de ses contradictions et, en particulier, que l’approfondissement et l’élargissement poursuivis concurremment se révéleraient une impossible gageure. Rien n’ouvre les yeux des dirigeants français qui se sont mis à l’abri, quant à eux, des conséquences néfastes de leurs décisions qu’ils continuent d’inscrire et d’accumuler dans le fatras inepte des pétitions de principe qui leur servent de conception politique. Tant que leurs comptes seront garnis en fin de mois, ils ne comprendront rien : ils ne connaissent pas la vie des Français. Il est même des élus aujourd’hui pour le dire. Salutaire prise de conscience !

Alors que la France crève littéralement du régime des partis, ainsi qu’à peu près tous les pays d’Europe, il faut encore que ce système devienne une norme européenne, comme une prétendue panacée démocratique. Les pays ne sont plus représentés ; la représentation est livrée aux partis ! Il est vrai que pareil système a toujours fait bon ménage avec la pire des technocraties qui n’a rien à en redouter : le réel seul lui fait peur. Rien ne pourra arrêter cette machine folle, sauf l’abîme.

Le vote partisan, même national, n’est malheureusement pas une solution. Que peuvent faire quelques députés européens ? Rien. Rien ne sera donc fait. Sauf que tout ira de mal en pis.

 

Hollande vers la fin ?

 

Dans sa ridicule situation, Hollande a trouvé un « truc » de plus pour tenter d’occuper le terrain : la réforme territoriale que Valls est chargé de mettre en œuvre. Mal conçue, de manière technocratique, pour complaire aux « lobbies » européens, elle sera mal faite et ne visera qu’à supprimer des réalités françaises dont tout ce personnel politicien se contrefiche pourvu que se maintienne son système à lui.  

De quel droit ce petit monde de gens sans culture, sans attache familiale, sans enracinement historique, sans foi, sans autre loi que leur République abstraite, sorte de déesse qui justifie tous leurs abus de droit et leur passion déréglée du pouvoir, se permet-il de décréter l’existence ou la non-existence des régions de France, de nos provinces, de nos pays ? La France et ses provinces existaient avant eux. Sont-ils nos maîtres à ce point qu’ils en décident en fonction de leurs intérêts électoraux ? Questions financières ? Voire : il est à parier que les machineries qu’ils vont construire coûteront encore plus cher, comme il arrive à chaque fois qu’ils prétendent réformer. En vérité, la centralisation comme la décentralisation sont en France des échecs depuis des décennies pour l’unique raison qu’elles ne sont plus que des instruments du régime des partis. Tout fonctionnaire un peu sagace, tout élu sincère qui se dévoue à sa tâche, le sait parfaitement. Notre décentralisation est devenue aussi monstrueuse que notre centralisation. Hollande ni Valls ni les autres qui ne sont que des hommes de parti, ne résoudront rien. Il faudrait des hommes de gouvernement et, pour l’heure, ça n’existe pas sur le marché des politiciens.

En revanche, ces politiciens sans morale continuent imperturbablement à détruire la famille française – c’est toujours en cours –, à faire de l’éducation un levier de pouvoir pour leur domination, à corrompre les mœurs et, pire encore, les esprits. Ce qu’ils veulent, une société à leur image qui légitime un pouvoir à leur image : leur pouvoir. De fait les armes du pouvoir sont à leur service. Rien n’est pour eux plus jouissif que de voir les Français, et souvent les meilleurs gens du monde, être obligés d’obéir et de collaborer à leur œuvre de perdition : au nom de l’intérêt national ! Au nom de la France ! Jusqu’à quand ?

Hollande pour tenir en haleine un pauvre peuple désarçonné, et alors que la France est déjà en déflation, prend le ton prophétique d’un grand pontife en extase : « la courbe du chômage va s’inverser, la croissance est là, les impôts vont baisser ». Le tout assorti de janotismes qui émaillent si habituellement ses discours et qui ajoutent au grotesque de sa mauvaise comédie. Le président devrait méditer sur le sort réservé dans la Bible aux faux prophètes. Le sage Montaigne avertissait : « C’est don de Dieu que la divination : voilà pourquoi ce devrait être une imposture punissable d’en abuser… Ceux qui manient les choses sujettes à la conduite de l’humaine suffisance sont excusables d’y faire ce qu’ils peuvent ; mais ces autres qui nous viennent pipant des assurances d’une faculté extraordinaire qui est hors de notre connaissance, faut-il pas les punir de ce qu’ils ne maintiennent l’effect de leur promesse, et de la témérité de leur imposture ? » (Essai, I, XXXI).

Hollande n’est qu’au début de sa punition. Hélas, ce sera dur pour tout le monde.  

 

* Analyse politique parue dans le numéro 130 (juin 2014) de Politique magazine

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