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Actualité Europe - Page 61

  • La défaite de la Grèce, la défaite de l'Europe ?

    (Crédits : REUTERS/Stringer/Pool)

    Notre analyse de la crise grecque, nous l'avons donnée mardi dernier 7 juillet. L'on peut s'y reporter. Sur ce sujet brûlant, nous ne voulons pas d'une réflexion qui se fonderait sur un sentiment d'antipathie ou au contraire d'empathie à l'égard du peuple grec. Nous traitons des intérêts de la France, de sa politique étrangère, de sa position au sein de l'Europe et des menaces que fait peser sur son existence même, non pas une concertation européenne réaliste des Etats et des nations, mais une certaine idéologie européiste, en réalité libéralo-mondialiste, aujourd'hui dominante. Un commentaire pertinent et raisonnablement mais très profondément critique de l'accord du 13 juillet a été donné par la Tribune. Il s'agit d'une analyse qui va beaucoup plus loin que le seul terrain économique. Pour, le cas échéant, en débattre, nous versons cet article au dossier déjà fort volumineux de l'affaire grecque. Il s'agit en réalité de la remise en cause de l'idéologie libéralo-européiste.  LFAR

     

    Les dirigeants de la zone euro ont imposé un accord aux conditions encore plus dures, presque punitif, aux Grecs. Mais la défaite d'Alexis Tsipras résonne comme une défaite pour toute la zone euro.

    Jamais, dans le jargon européen, le terme de « compromis » n'aura semblé si peu adapté. « L'accord » atteint au petit matin du 13 juillet entre la Grèce et le reste de la zone euro a désormais des allures de déroute pour le gouvernement grec. Une déroute qui a un sens pour le reste de l'avenir de la zone euro.

    Erreur stratégique

    Avant d'en venir aux conséquences, il faut expliquer cette défaite d'Athènes. Le gouvernement grec avait accepté jeudi soir le plan des créanciers présenté le 26 juin. Un plan déjà extrêmement difficile à accepter pour la majorité parlementaire grecque. Cette dernière s'était d'ailleurs fissurée vendredi soir dans le vote à la Vouli, le parlement grec. Alexis Tsipras, le Premier ministre grec, pouvait cependant alors prétendre pouvoir arracher un accord sur la dette comme « compensation. » Malheureusement pour lui, les créanciers ont alors immédiatement compris le message : l'exécutif grec craignait davantage la sortie du pays de la zone euro que l'abandon de son propre programme. On aurait pu s'en douter dès le 22 juin lorsqu'Athènes avait déjà présenté un plan d'austérité. Mais le « non » au référendum avait été une contre-offensive qui, compte tenu du résultat, pouvait donner un mandat implicite au premier ministre pour réaliser le Grexit. Il n'en a pas jugé ainsi. En grande partie parce qu'il a commis l'erreur de ne pas le préparer.

    La curée

    Dès lors, la position grecque était extrêmement fragile. En effet, pour un petit pays aussi affaibli et endetté que la Grèce, la seule force dans les négociations était la menace de la sortie de la zone euro. Menace que, sans doute, il fallait éviter de mettre en oeuvre si c'était possible, mais qu'il fallait brandir assez sérieusement pour faire douter le camp d'en face. Dès lors que cette menace était levée, Athènes n'avait aucun moyen de pression. La position grecque s'était alors entièrement découverte. Et les créanciers ont pu, sans crainte d'une rupture, augmenter leurs exigences. Pour cela, le moyen était fort simple : il suffisait de menacer la Grèce d'une sortie de la zone euro. Comme cette dernière n'en voulait à aucun prix, il était simple de lui faire accepter d'autres conditions et d'annuler ainsi une partie des succès obtenus durant six mois de négociations, notamment le retour des « revues » de la troïka, l'instauration du travail du dimanche et la mise en place d'un fonds de 50 milliards d'euros issus des privatisations pour recapitaliser les banques, rembourser la dette et faire des investissements productifs. Et pour bien faire comprendre à la Grèce qu'elle devait filer droit cette semaine et voter les « réformes » souhaitées, le premier ministre néerlandais Mark Rutte a prévenu que le « Grexit n'était pas encore exclu. »

    Quelques succès ?

    Les créanciers ont donc tellement tourmenté Alexis Tsipras que ce dernier a pu présenter quelques concessions sur les exigences nouvelles de ce week-end comme des succès : l'absence de Grexit, le maintien du Fonds en Grèce (et non son transfert au Luxembourg comme l'Eurogroupe l'avait demandé) ainsi que le report d'un quart de son montant sur des investissements productifs (autant que la part réservée aux créanciers et moitié moins que celle réservée pour les banques). Mais son seul vrai succès est d'avoir obtenu l'ouverture d'une discussion sur un « reprofilage » de la dette, autrement dit sur un nouvel échéancier. Mais il faut se souvenir que ce plan va encore augmenter la dette et qu'un rééchelonnement risque simplement de « lisser » les effets de cette augmentation. Et, comme on a pu le constater, Athènes est tout sauf en position de force pour bien négocier ce rééchelonnement. Encore une fois, les créanciers - et Angela Merkel l'a confirmé explicitement - restent attachés au mythe de la viabilité de la dette publique grecque. Un mythe qui va continuer de coûter cher à la Grèce qui va ployer pendant des décennies sous le poids absurde de cette dette, la condamnant à une austérité sans fin et à la méfiance des investisseurs.

    Prélude à la chute d'Alexis Tsipras ?

    Alexis Tsipras va devoir désormais faire accepter ce plan à son parlement. Or, ce plan n'est rien d'autre qu'une négation explicite des deux votes grecs du 25 janvier et du 5 juillet. Les créanciers avaient pour but, d'emblée, d'obtenir l'annulation de fait de ces votes. Ils sont en passe de l'obtenir. Les parlementaires de Syriza ont désormais le choix entre provoquer une crise politique en désavouant Alexis Tsipras et adoptant un programme basé sur la sortie de la zone euro ou devenir un nouveau Pasok, un parti qui tente de « réduire l'impact » des mesures des créanciers sans avoir aucune certitude d'y parvenir. Face à un tel choix, Syriza pourrait se scinder, comblant les vœux des créanciers et de Jean-Claude Juncker qui souhaitait, en janvier, « revoir des têtes connues. » Car, avec de nouvelles élections, qui semblent désormais inévitables, les perdants des 25 janvier et 5 juillet pourraient profiter de cette division pour remporter le scrutin. Quoi qu'il en soit, si le Syriza « modéré » d'Alexis Tsipras l'emporte, sa capacité de résistance est désormais très faible. Le « danger politique » est écarté, comme le voulaient les dirigeants de la zone euro.

    La victoire de Tsipras : un révélateur de la nature de la zone euro

    Il est cependant un point sur lequel Alexis Tsipras a clairement gagné : il a mis à jour par ses six mois de résistance et ce déchaînement de « vengeance » comme le note ce lundi matin le quotidien britannique The Guardian en une, la nature de la zone euro. Ce lundi 13 juillet, on y voit plus clair sur ce qu'est la zone euro. A l'évidence, les gouvernants européens ont agi comme aucun Eurosceptique n'aurait pu l'espérer.

    L'imposition de la logique allemande

    D'abord, on a appris que l'euro n'était pas qu'une monnaie, mais aussi une politique économique particulière, fondée sur l'austérité. Le premier ministre grec avait fait le pari que l'on pouvait modifier la zone euro de l'intérieur et réaliser en son sein une autre politique économique. Preuve est désormais faite de l'impossibilité d'une telle ambition. Les créanciers ont clairement refusé une réorientation de la politique d'austérité budgétaire qui, pour un pays comme la Grèce, n'a réellement plus aucun sens aujourd'hui et l'empêche de se redresser. On a continué à imposer cette logique qui fonde la pensée économique conservatrice allemande : la réduction de la dette et la consolidation budgétaire ont la priorité sur une croissance économique qui ne peut être le fruit que « d'efforts douloureux » appelés « réformes. » Même dans un pays économiquement en ruine  comme la Grèce qui a démontré empiriquement l'échec de cette logique. Si Alexis Tsipras a perdu son pari, il n'est pas le seul fautif. Les Etats européens comme la France et l'Italie le sont aussi, qui en validant les réformes engagées depuis 2011 dans la zone euro (Two-Pack, Six-Pack, MES, semestre européen, pacte budgétaire) ont assuré la prééminence de cette logique.

    Français et Italiens ne peuvent donc pas s'étonner de la radicalisation de l'Allemagne et de ses alliés. Ils l'ont préparée par leur stratégie de concessions à Berlin, se trompant eux-mêmes sur leur capacité future de pouvoir ainsi « infléchir » la position allemande dans le futur.

    Gouvernance économique aveugle

    La gouvernance économique de la zone euro - jadis tant souhaitée par les gouvernements français - existe donc bel et bien, et ne souffre aucune exception, fût-elle la plus modérée. Aussi, qui veut la remettre en cause devient un adversaire de l'euro. La diabolisation de Syriza pendant six mois l'a prouvé. Ce parti n'a jamais voulu renverser l'ordre européen, le gouvernement grec a rapidement fait de larges concessions (que l'on songe à l'accord du 20 février). Mais sa demande d'une approche plus pragmatique dans le traitement du cas grec conduisait à une remise en cause de la vérité absolue de la logique "austéritaire" décrite plus haut. Il fallait donc frapper fort pour faire cesser à l'avenir toute velléité de remise en cause de l'ordre européen établi. Il y a dans cette Europe un air de « Sainte Alliance » de 1815, révélé désormais au grand jour. Comment autrement expliquer cet acharnement face à Athènes ce week-end, cette volonté de « vengeance » ? Alexis Tsipras avait cédé sur presque tout, mais ce n'était pas assez, il fallait frapper les esprits par une humiliation supplémentaire.

    Identification entre euro et austérité

    Le problème, c'est que, désormais, l'identification entre l'euro et l'austérité est totale. Le comportement des dirigeants de la zone euro avant et après le référendum pour faire du « non » aux mesures proposées un « non » à l'euro le prouvent aisément. La volonté explicite de durcir les conditions imposées à la Grèce pour rester dans la zone euro ce week-end enfonce le clou. Aujourd'hui, c'est bien la question de la « réforme de la zone euro » et de sa gouvernance qui est posée. C'est un cadeau magnifique fait en réalité aux Eurosceptiques qui auront beau jeu désormais de fustiger la faiblesse d'Alexis Tsipras et de faire de la sortie de la zone euro la condition sine qua non d'un changement, même modéré, de politique économique. Cette fin de semaine, une certaine idée, optimiste et positive, de la zone euro a perdu beaucoup de crédibilité.

    Grexit ou pas, le précédent existe désormais

    Du reste, ceux qui se réjouissent d'avoir sauvé l'intégrité de la zone euro se mentent à eux-mêmes. Pour la première fois, l'impensable a été pensé. L'irréversibilité de l'euro est morte au cours des deux dernières semaines. Grexit ou pas, la possibilité d'une sortie de la zone euro est désormais établie. La BCE l'a reconnue par la voix de deux membres de son directoire, Benoît Coeuré et Vitor Constancio, et l'Eurogroupe en a explicitement menacé la Grèce. Dès lors, la zone euro n'est plus un projet politique commun qui supposerait la prise en compte des aspirations de tous ses Etats membres par des compromis équilibrés. Elle est un lieu de domination des forts sur les faibles où le poids de ces derniers ne comptent pour rien. Et ceux qui ne se soumettent pas à la doctrine officielle sont sommés de rendre les armes ou de sortir. On accuse Alexis Tsipras d'avoir « menti » à son peuple en prétendant vouloir rééquilibrer la zone euro. C'est faux, car il ne connaissait pas alors la nature de la zone euro. Maintenant il sait, et les Européens aussi.

    C'est la réalisation du projet « fédéral » de Wolfgang Schäuble : créer une zone euro plus centralisée autour d'un projet économique accepté par tous, ce qui suppose l'exclusion de ceux qui le remettent en cause. Angela Merkel s'est ralliée à ce projet parce qu'elle a compris qu'Alexis Tsipras ne sortirait pas de lui-même. Elle a donc pensé pouvoir obtenir la discipline et l'intégrité de la zone euro. Mais elle se trompe, elle a ouvert une boîte de Pandore qui pourrait coûter cher à l'avenir au projet européen. De ce point de vue, peu importe que le Grexit n'ait pas eu lieu  : sa menace suffit à modifier la nature de la zone euro.

    La nature de l'euro

    L'euro devait être une monnaie qui rapprochait les peuples. Ce devait être la monnaie de tous les Européens. Or, cette crise a prouvé qu'il n'en est rien. On sait que, désormais, on peut priver certains habitants de la zone euro de l'accès à leur propre monnaie. Et que cette privation est un moyen de pression sur eux. Il sera donc bien difficile de dire encore « l'euro, notre monnaie » : l'euro est la monnaie de la BCE qui la distribue sur des critères qui ne prennent pas en compte le bien-être des populations, mais sur des critères financiers dissimulant mal des objectifs politiques. L'euro est, ce matin, tout sauf un instrument d 'intégration en Europe. En réalité, on le savait depuis la gestion de la crise de Chypre en 2013, qui, on le comprend maintenant, n'était pas un « accident. »

    Le choc des démocraties réglé par le protectorat

    La résistance d'Alexis Tsipras et l'accord obtenu mettent également à jour le déséquilibre des légitimités démocratiques. Longtemps, l'argument a été que les Grecs ne pouvaient pas imposer leurs choix démocratiques aux autres démocraties. Ceci était juste, à condition que ce soit réciproque.

    Or, ce lundi 13 juillet, la démocratie grecque a été fragilisée et niée par ses « partenaires » européens. On a ouvertement rejeté le choix des Grecs et imposé à la place celui des autres gouvernements démocratiques. Le débat ne se tenait pas entre démocraties mais entre créanciers et débiteurs. Jamais la zone euro n'a voulu prendre au sérieux les choix grecs. Et toujours on a cherché à se débarrasser de ceux qui étaient issus de ces choix. Il est donc possible de faire d'un pays de la zone euro une forme moderne de protectorat financier. C'est là encore un dangereux cadeau fait aux Eurosceptiques qui auront beau jeu de venir se présenter en défenseurs de la souveraineté populaire et de la démocratie.

    Plus d'intégration ?

    François Hollande a promis « plus d'intégration » dans la zone euro les mois prochains. Ceci ressemble dangereusement à une fuite en avant. Angela Merkel a prouvé qu'elle avait choisi le camp de Wolfgang Schäuble, de concert avec la SPD. On ne peut donc que s'inquiéter de cette promesse de l'hôte de l'Elysée qui ne peut aller que dans le sens des erreurs commises. Enivrée par leurs victoires sur un peuple déjà à genoux, les dirigeants de la zone euro doivent prendre garde de ne pas aggraver encore un bilan qui, au final, est aussi négatif pour les vainqueurs que pour les vaincus. 

    Romaric Godin - La Tribune 13.07.2015

     

  • Guy Mettan - « Russie : l’attitude des intellectuels français ? Une énorme déception »

     

    Entretien réalisé par Grégoire Arnould

    Homme politique et journaliste suisse – détenteur également de la nationalité russe-, Guy Mettan vient de publier aux éditions des Syrtes Russie-Occident, une guerre de mille ans. Une enquête sur la russophobie occidentale qui trouve sa source, selon l’auteur, dans l’action de Charlemagne et le schisme qui a suivi, deux siècles plus tard. Depuis, rien n’a changé et la Russie est toujours regardée par les Occidentaux d’un œil méfiant et suspectée des pires crimes, même lorsqu’elle est innocente.

    Dans quel contexte avez-vous écrit ce livre ?

     Je dispose de la double nationalité suisse et russe depuis quelques années, ce qui m’a rendu plus attentif à la manière dont la presse occidentale parlait de ce pays. Et comme mon domaine d’activité est précisément le journalisme, j’ai voulu écrire sur ce sujet. A savoir que mes confrères tordent la réalité russe ou la présentent systématiquement de manière biaisée. Cette façon de procéder n’est pas conforme aux standards journalistiques. Mon livre a vocation à rétablir certaines vérités.

    Cette manière de traiter la Russie est-elle équivalente en Suisse et en France ?

     En France, c’est pire ! La presse française ne remplit pas sa mission d’information. Elle cite toujours les mêmes sources, ne confronte jamais les opinions et, dans le cas de la Russie, ne donne jamais la parole à ceux qui défendent la position russe. Cela m’avait particulièrement marqué lors des JO de Sotchi. C’était un russian-bashing terrible alors que la Russie, qui avait payé de sa poche tous les investissements nécessaire à l’organisation de ces JO, n’avait rien à se reprocher ! Cela n’a pas empêché les Occidentaux de l’accuser de tous les maux de la terre : soi-disant déplacements de populations, soi-disant répression de militants LGBT. Puis la couverture médiatique occidentale et particulièrement française des récents événements en Ukraine m’ont tellement agacé que cela a fini par me convaincre de la nécessité d’écrire ce livre.

    L’objet de votre livre est de dénoncer cette russophobie ?

     Je suis parti de la situation actuelle et j’ai pris quatre exemples contemporains où, bien que la Russie ne soit absolument pas en cause, elle a été jugée coupable. D’abord, l’affaire du crash d’Uberlingen en 2002 où un avion russe Tupolev) et un Boeing de la compagnie DHL sont entrés en collision. On a accusé tout de suite le pilote russe d’être responsable de l’accident, arguant qu’il avait trop bu ou qu’il ne parlait pas anglais etc. Des accusations sans aucune analyse ! 48 heures après, l’enquête a démontré qu’il s’agissait d’une erreur des aiguilleurs du ciel suisse de Zurich. Même chose, en 2004, avec la tragédie de Beslan. 1 000 enfants sont alors pris en otage par des Tchétchènes. Qui est accusé ? Les Russes ! Imaginez si l’on avait accusé les Américains d’être responsables du 11 septembre… Autre illustration : la Géorgie en 2008. Toutes les enquêtes, même celles du Conseil de l’Europe, pourtant pas pro-russe, ont montré que ce sont les Géorgiens qui ont attaqué les premiers. Ce qui n’empêche pas les grands journaux nationaux, aujourd’hui encore, sous la plume de journalistes en principe qualifiés, d’expliquer que c’est un coup des Russes ! Un mensonge éhonté, une nouvelle fois.

    Comment expliquer cette mise en accusation permanente des Russes ?

     Une grande partie du livre est, justement, une enquête historique. Mon objectif était de chercher les causes de la russophobie dans l’histoire. Je suis remonté jusqu’à Charlemagne. C’est la première rivalité géopolitique entre l’Occident et le monde greco-oriental. Ensuite, la rupture s’est poursuivie sur le plan religieux avec le schisme de 1054 et la naissance du Saint Empire Romain Germanique. Après la chute de Constantinople, quand la Russie a repris à son compte l’héritage byzantin, les préjugés anti-grecs se sont transférés sur la Russie. Il faut attendre le XVIIIe siècle, sous Pierre Le Grand, pour entrevoir des moments de russophilie, avec notamment Voltaire ou Diderot… Mais dès la fin du siècle, une nouvelle forme de russophobie se développe en France avec Montesquieu… Elle s’est caractérisée par la rédaction d’un faux testament de Pierre Le Grand, que Napoléon a refait imprimer juste avant la campagne de Russie pour légitimer son intervention militaire. Il y était écrit que les Russes projetaient une invasion et une annexion de l’Europe.

    La Russie n’est-elle donc qu’un bouc-émissaire ?

     On reproche à la Russie son manque de démocratie… Pourtant, aujourd’hui comme hier, les Anglais ou les Américains ne se sont jamais interdits de s’allier avec les pires despotes de la planète ! Que l’on pense aux sultans de l’empire ottoman ou aux émirs d’Arabie Saoudite de nos jours. Faut-il rappeler qu’il y a eu cent décapitations chez les Saoudites au premier semestre 2015 ? Combien en Russie ? A-t-on entendu Obama s’indigner ? On a ainsi affaire à un double langage des Occidentaux, qui utilisent la démocratie comme un prétexte.

    Derrière ce double langage, faut-il y voir une peur du réveil russe ?

    Du point de vue géopolitique, les Russes sont les concurrents directs des Anglo-saxons pour la maîtrise du monde. D’où l’interventionnisme des Américains au sein de l’Union européenne pour déstabiliser la Russie. C’est écrit noir sur blanc chez Zbigniew Brzeziński, l’un des plus influents géopoliticiens américain : la Russie est un obstacle pour les ambitions américaines. Dès lors, les événements d’Ukraine apparaissent sous un jour différent ! Les stratèges américains n’ont pas beaucoup de scrupules.

    Et en France, pourquoi ce sentiment anti-russe ?

    C’est une énorme déception que de voir l’attitude des intellectuels français. De Gaulle avait compris que la force de la France reposait sur le maintien des équilibres entre l’Europe et les États-Unis en s’appuyant, si nécessaire, sur la Russie. En entrant dans l’Otan, elle a abdiqué toute autonomie et indépendance de pensée. Je suis frappé de voir à quel point ce pays, qui est le seul en Europe à pouvoir faire contrepoids à l’Allemagne, n’existe presque plus sur la scène internationale. Elle pourrait pourtant retrouver son influence en tendant intelligemment la main à la Russie. 

    Russie-Occident, une guerre de mille ans, de Guy Mettan, éditions des Syrtes, 472p., 20 euros. 

  • Aujourd'hui, Saint Benoît, patron de l'Europe : si l'Europe veut exister, qu'elle commence par ses racines

     

    Saint Benoît-sur-Loire : « une des plus anciennes églises romanes de France. Ses fondations remontent au XIème siècle. (...) La basilique apparaît derrière un écran d'aubépines. Dieu, qu'elle est belle dans sa robuste simplicité ! Sa façade, couleur de vieil ivoire, ressemble à une plaque d'évangéliaire. (...) Dans la crypte, je distingue, dans la pénombre, un sarcophage très ancien : c'est celui de Philippe 1er. Puis, une châsse plus ancienne encore, contenant les reliques de Saint Benoît, le saint patron de l'Europe ».    

     

    Jacques Benoist-Méchin

    A l'épreuve du temps, Tome 2, 1940-1947, Julliard, 1989

     

  • Houellebecq à Matignon, Boutih à l’Intérieur ?

     

    Leurs analyses de la radicalisation islamiste convergent : c'est ce que Pascal Bories expose  dans Causeur.

    On notera simplement le caractère très critique des dites analyses à l'endroit du « corpus de valeurs » et de « l’ordre social très peu contraignant de nos sociétés démocratiques occidentales » et même à l'endroit de « la notion de République [...] inintelligible, comme diluée dans le libéralisme et la modernité ». Décidément, la contestation du régime gagne tous les milieux. « Déliquescence de notre système démocratique » ? Telle est l'expression que Pascal Bories utilise. Nous aussi.  LFAR

     

    pbories_thumbnail.jpgLa semaine dernière, Malek Boutih rendait un rapport sur la radicalisation djihadiste, qui lui avait été commandé par Manuel Valls fin février, dans la foulée des attentats de Paris. Un rapport « choc » pour les médias, bien qu’il ne recèle aucun scoop. Au même moment paraissait le numéro de juillet de la Revue des deux mondes, dans laquelle on peut lire une interview de Michel Houellebecq notamment consacrée aux questions de l’islam et du djihadisme. Là non plus, aucune provoc à signaler, hormis le soutien de l’écrivain à Michel Onfray qui aurait selon lui trouvé « le mot juste » en qualifiant le Premier ministre de « crétin ». 

    A priori, le député de l’Essonne et l’auteur de Soumission ne s’étaient pas consultés, mais leurs analyses très similaires apportent un vent de fraîcheur salvatrice en ces jours de canicule. Lisez plutôt. Boutih : « Là où la société se demande pourquoi part-on mourir à vingt ans au bout du monde, le djihadiste, lui, voit un chemin pour sortir de l’ennui de la pauvreté, de l’absence de perspectives. » Houellebecq : « Le terrorisme et le militantisme sont des moyens de socialisation. Ça doit être très sympa de vivre des moments ensemble, des moments forts contre la police… L’impression d’être ensemble contre tous. Ça crée de vraies relations, une amitié forte, voire l’amour dans le cas des femmes de djihadistes. »

    Malek Boutih développe : « Le corpus de valeurs et l’ordre social très peu contraignant de nos sociétés démocratiques occidentales ne fournissent pas un cadre suffisamment englobant et sécurisant pour s’y ancrer et s’y attacher. » Ou encore, plus loin : « La notion de République est inintelligible, comme diluée dans le libéralisme et la modernité, et le sentiment d’appartenance à une communauté nationale est très affaibli. Or une partie de la jeunesse refuse ces valeurs trop “molles” et cherche à se distinguer. » L’écrivain poursuit, en écho : « Une action violente quelconque peut effectivement être vue comme un moyen de sortir de l’anomie (désorganisation sociale résultant de l’absence de normes communes) désespérante.»

    Dans son texte intitulé Génération radicale, Malek Boutih tire donc la sonnette d’alarme, citant un sondage récent : « 61% des jeunes interrogés participeraient à un mouvement de révolte de grande ampleur. Rien de surprenant lorsque la frustration se combine à l’impuissance du monde politique. Les conditions de la radicalisation sont réunies, pas seulement pour une frange marginalisée, mais pour une majorité de la jeunesse ». Inquiet de « l’anomie » française, Houellebecq remarque : « On est davantage ensemble quand on a beaucoup d’ennemis. » De quoi faire réfléchir les chantres du « vivre ensemble », cette belle intention condamnée à paver l’enfer contemporain tant qu’on ne propose aucun combat commun…

    L’un et l’autre prennent d’ailleurs la défense de la mobilisation monstre du 11 janvier. Houellebecq juge qu’elle était « impressionnante et sincère » et avoue, chose rarissime chez cet incurable blasé : « Cette réaction massive m’a quand même fait plaisir ». Pour Boutih aussi, Todd n’a rien compris : « Face à un tel évènement la simple observation de données statistiques, de cartes et de graphiques, ne suffit pas à construire une analyse politique. » Et le député PS de dénoncer au contraire, sans langue de bois : « Sous l’effet d’une certaine gauche à court d’idéologie, les musulmans sont devenus la figure du peuple opprimé et Israël, puis les juifs par extension, le symbole de l’oppresseur occidental. » Heureusement, après les attentats, « la domination totale » de la gauche dans la sphère intellectuelle « s’est nettement fissurée », assure Houellebecq.

    Leur seul point de divergence ? Pour Boutih, « le succès des recruteurs djihadistes auprès des jeunes repose sur l’adhésion à un projet politique entrant en résonnance avec leurs préoccupations internationales et leur rejet de la société démocratique occidentale, plus qu’à une doctrine religieuse fondamentaliste ». Tandis que pour Houellebecq, il s’agit tout de même de « combattre une secte religieuse ». Ce qui n’est selon lui « pas une chose facile », et pour cause : « Une réponse purement policière à une secte religieuse n’a pas de garantie de l’emporter. Quand on n’a pas peur de la mort, la police on s’en fout un peu. »

    A cette exception près, la réapparition de telles convergences entre hommes politiques et gens de lettres est une excellente nouvelle. Le relatif courage de certains politiciens, comme Malek Boutih, et ce que Michel Houellebecq appelle « la tentation de liberté chez certains intellectuels » pourraient même – qui sait – nous fournir un début de remède à la déliquescence de notre système démocratique : la possibilité d’appeler un chat un chat.  

    Pascal Bories - Causeur 

    * Photo : EFE/SIPA/00711526_000002

     

  • Grèce : Dosis facit venenum

     

    Est-il possible d'analyser la crise grecque autrement qu'avec excès et passion ? Est-il possible d'en exclure phobies (les détestations a priori) et philées (les empathies irraisonnées) ? Les Français n'ont que trop coutume d'en embarrasser leur jugement en matière de politique étrangère. Est-il possible de ranger au musée des accessoires inutiles les illusions et les naïvetés ? Nous n'avions, au lendemain du référendum grec, ni à chanter les louanges suspectes de la démocratie et à lui concéder la vertu de changer la réalité des choses et des problèmes, comme les Grecs l'ont cru naïvement, ni à vouer le peuple grec à la vindicte de créanciers mauvais joueurs, et, somme toute, par avance, mauvais perdants. Dans une situation où tout le monde est largement fautif, l'Europe autant que la Grèce, sinon plus, sachons au moins raison garder, fixons notre politique en fonction des intérêts de la France et, si nous élargissons la perspective, de l'Europe, qui, jusqu'à preuve du contraire, inclut les Grecs. L'Europe, sinon l'Euro. Tachons, s'il se peut, d'être bainvilliens, ou, si l'on veut, d'Action Française.   

    La Grèce est entrée dans la Communauté Economique Européenne (CEE) au temps de Valéry Giscard d'Estaing - qui en fut le promoteur principal - Helmut Schmidt et Constantin Caramanlis [1981] pour des raisons symboliques (berceau de la démocratie et de la civilisation européenne), fussent-elles discutables, pour des raisons géostratégiques, tenant à l'affrontement Est-Ouest, et pour des raisons d'équilibre européen (équilibre Nord-Sud, auquel tenait la France). En soi, son admission dans ce qui deviendrait un jour l'Union Européenne n'entraînait de trop grands engagements pour personne.

    Son adhésion à la zone Euro (2001) était - comme on le voit aujourd'hui - d'une tout autre portée. Les Grecs l'ont alors quasiment imposée, à la stupéfaction des Allemands, Gerhard Schröder étant alors chancelier, mais, surtout, grâce à l'appui de la France, en la personne de Jacques Chirac. L'objectif du gouvernement grec était principalement de bénéficier des fonds structurels et des taux d'intérêt européens, pour financer sa dette. On sait ce qu'il en fut, que la Grèce en a profité plus que de raison, et que cette manne fut aussi son poison. Dosis facit venenum et la dose n'a pas été mince. Le poison non plus. Il est trop tard pour en pleurer. A la limite, il ne serait peut-être pas exagéré d'accuser les créanciers de la Grèce de soutien abusif.

    Les Institutions Européennes, les Etats, imbus d'une logique purement financière, ont cru, ou fait semblant de croire pour se cacher la vérité, que les milliards déversés sur la Grèce serviraient à son développement. A ce que l'on appelle, lorsqu'on consent au parler-vrai, son économie réelle. Les Grecs les ont utilisés pour le développement de leur bien-être immédiat et de la corruption. Et pour, en plus, faire de la dette. Comme les autres Etats européens, somme toute, mais dans des proportions très supérieures et sans production de richesse ou à peu près.

    Au cours des nombreux débats de la semaine écoulée, il nous a semblé que les observateurs les plus perspicaces - souvent eux-mêmes Grecs - étaient justement ceux qui concluaient que les milliards européens avaient, en fait, desservi, ou, si l'on veut, empoisonné la Grèce. Pays séculairement pauvre, elle a cessé de produire le peu qu'elle produisait jadis, elle a laissé mourir les industries qu'elle possédait, elle importe, aujourd'hui, jusqu'à son alimentation, qu'elle ne produit plus. Elle est devenue une économie de rente et de richesses gaspillées. Les finances européennes ont surtout servi à son affaiblissement. 

    Dans ces conditions, il serait somme toute assez cocasse que les Européens négocient maintenant la question des montants dont ils pourraient reprendre les versements à la Grèce, une fois la crise passée ... On sait que ces transferts - qui ne pourront durer indéfiniment - ne feront que prolonger une situation en soi malsaine. 

    Quelle pourrait être alors la solution réaliste et saine ? Sans-doute celle qui libèrerait la Grèce du remboursement de sa dette - au moins jusqu'à retour à bonne fortune (?) - sa sortie aidée de la zone euro, puis son indépendance monétaire, qui l'amènerait à créer sa propre monnaie, et financière qui exclurait tout nouveau plan d'aide européen.

    Les créanciers de la Grèce - dont nous-mêmes - ne perdraient pas grand chose car chacun sait que la Grèce ne remboursera jamais sa dette. Simplement, comme le dit Dominique Strauss Khan, ils "prendraient" leur perte, et la Grèce devrait recréer, par son effort propre, sa capacité industrielle, retrouver autant que possible son autosuffisance alimentaire, et assainir ses institutions politiques, ce qui, il est vrai, ne sera pas une mince affaire, dans un pays, habitué, depuis les siècles ottomans à dissimuler ses richesses, à refuser l'impôt, à cultiver l'incivisme.

    Ce que la crise grecque aura montré c'est la faible solidarité des peuples européens autant que leur persistance à être spécifiquement eux-mêmes, l'incapacité des institutions européennes à gérer les réalités de l'Union, et la pertinence des nations comme réalité politique exclusive. C'est sur elles, elles seules, que l'on pourrait envisager, malgré les échecs passés, les déceptions cumulées, de reprendre le projet européen.  LFAR

     

  • Quand le Pape parle avec Poutine ... Le point de vue de François d'Orcival

    Le point de vue de François d'Orcival

    L'on n'est pas forcé d'être en tous points d'accord avec les interventions de l'Eglise dans les affaires politiques. Reconnaissons aussi que la diplomatie vaticane a souvent du bon ... C'est ce que suggère de façon claire cet article de François d'Orcival. LFAR  

    Le  pape multiplie les marques de bienveillance à l'égard de Vladimir Poutine. Il vient de le recevoir au Vatican. Pour la deuxième fois en deux ans. Il lui avait même adressé une lettre, le 5 septembre 2013, à l'occasion du sommet du G20 qu'il accueillait à Saint-Pétersbourg. Comment ne pas se poser la question : quand le pape fera-t-il le voyage de Moscou ?

    Les deux hommes ont besoin l'un de l'autre. Tout est lié : le dossier ukrainien, les relations avec les orthodoxes et le patriarcat de Moscou, la protection des minorités chrétiennes d'Orient et la mise hors d'état de nuire du « califat islamique ». Et toute solution passe par le Kremlin.

    « La situation dramatique du bien-aimé peuple syrien dure depuis bien trop longtemps,écrivait le pape à Poutine en septembre 2013. Elle risque d'apporter une plus grande souffrance à une région amèrement touchée par des conflits. » Il nese trompait pas. Depuis, Daech a surgi en Orient et la guerre civile, en Ukraine. Le 6 juin dernier, François dénonçait à Sarajevo le « climat de guerre qui domine le monde ».

    Les Occidentaux ont puni Poutine, accusé d'être le fauteur de guerre en Ukraine, en sanctionnant son économie et en l'excluant du G8 (redevenu le G7). Mais c'est lui qui a la clé de la situation en Orient, et donc du sort des chrétiens ; c'est aussi de lui que dépend la résolution des Nations unies dont les Occidentaux ont besoin pour démanteler les trafics de passeurs de migrants clandestins sur les côtes libyennes.

    C'est bien là que le pape a saisi l'opportunité de devenir le médiateur de la paix — en cherchant avec Poutine un compromis en Ukraine et une issue en Syrie. Perspective que Valéry Giscard d'Estaing est allé plaider lors d'une conférènce prononcée le 5 juin à New York; lui aussi souhaite que la question ukrainienne soit débloquée avant la fin de l'année, afin que la Russie puisse devenir ensuite un « partenaire privilégié » de l'Europe, ce qui devrait entraîner non seulement « des projets communs », mais aussi « une coopération militaire ». On imagine ce que serait la situation de l'Etat islamique si l'Occident et la Russie décidaient ensemble de le chasser... Le pape voit loin quand il parle avec Poutine

    Figaro magazine du 20 juin 2015

     

  • Le péché originel, par Louis-Joseph Delanglade

     

     

    Lundi 29 juin, M. Juncker, président de la Commission européenne, semble effondré : « En une nuit, en une seule nuit, la conscience européenne en a pris un sacré coup ». Vendredi 4 juillet, M. Guetta, géopolitologue patenté de France Inter, se demande si « la pérennité même de lUnion » nest pas en cause. Quelles quen soient les suites immédiates, les événements qui, du fait de la crise grecque, agitent la zone euro, servent - enfin - de révélateur. Tout le monde sait que la Grèce a « triché » mais tout le monde admet désormais que jamais la Grèce ne pourra rembourser ses créanciers. Dans un accès de réalisme froid, M. Strauss Kahn déclare quil faut effacer la dette grecque, cest-à-dire au fond la « passer » en négatif : après tout, elle ne pèse pas grand chose dans le total des dettes cumulées des autres membres de la zone.

     

    Pourtant, « acter » lannulation de la dette grecque ne serait pas sans risque. Quelle serait alors lattitude des autres pays endettés ? Ce qui se passe en Grèce pourrait bien se reproduire ailleurs, dans des proportions autrement dévastatrices. Augmentation, à la carte, des taux dintérêt cest-à-dire, de façon mécanique, de lendettement des uns et des autres. Donc, effet domino : à qui le tour après la Grèce ? Obligation, sans doute, pour la B.C.E de soutenir certaines banques ou « institutions » par des émissions de monnaie, ce qui, en période de faible croissance, ressemble fort à de la « cavalerie »: on serait loin alors de lorthodoxie financièreCertains diront que cest ce que font les Etats-Unis quand ils le jugent bon. Mais les Etats-Unis peuvent le faire car ils détiennent la force politique et militaire qui leur permet dimposer leurs intérêts financiers au reste de la planète - ce qui nest pas le cas des Européens

     

    Le péché originel des idéologues européistes - naïveté ou incohérence, peu importe - aura été de bâtir lEurope sur la monnaie et, par voie de conséquence, sur la finance, une finance par définition mondialiste et qui ne cherche que le gain. Dailleurs, quand on prête pour se faire payer les seuls intérêts dune dette, cela est pire que lusure. Linfernale spirale de la dette menace en fait ainsi demporter lun après lautre des pays qui sessoufflent en vain pour suivre le rythme allemand. Imposer une monnaie unique à des pays dune trop grande disparité sociale et fiscale, le faire par ailleurs sans que cette monnaie  sappuie sur un Etat souverain, quelle gageure !

     

    En mésestimant, voire en niant, les fondamentaux de lEurope - la géographie, lHistoire, la culture, la religion, etc. - les apprentis sorciers de l« Union » ont fourvoyé les pays européens dans une impasse. Il fallait commencer par mettre laccent sur tout ce qui nous réunit - et, de fait, nous distingue des autres. La vraie Europe, la seule qui soit envisageable et souhaitable, réunira des peuples, des pays, des nations - tous représentés par des Etats. Il faudra tout remettre à plat et re-commencer par le commencement. 

  • Les habits neufs du Président Juncker ... vus par Régis de Castelnau dans Causeur

     

    Nous sommes d'accord avec l'analyse qui suit. Nous entendrons par démocratique ce qui tient au sentiment profond des peuples et à la souveraineté des Etats. Et non pas ce qui tient de la démocratie idéologique à la française, au régime des partis, à la tyrannie de la doxa politico-médiatique, au Système ... LFAR

     

    J’ai appris qu’on surnommait « Juncker the drunker » le Président de la Commission Européenne. Surnom que sa jovialité active à base, d’embrassades, de claques affectueuses, et de mimiques intempestives semblent justifier. Il paraît que Tsipras avait prévenu François Hollande et Angela Merkel avant l’annonce du référendum. Mais pas Jean-Claude Juncker, « qui plongé dans un profond sommeil n’avait pas décroché ». En pleine montée de la tension dans la crise grecque, le président de la commission, probablement autour de 3 g, ronflait comme un sonneur. Finalement réveillé, il est arrivé tard pour exprimer chagrin et déception. Son vin gai est devenu triste. 

    Il est vrai que l’Union Européenne semble assez dévêtue, et le Président de la Commission avec. Jérôme Leroy a exprimé la surprise que l’on pouvait ressentir devant la violence des réactions du mainstream face à une démarche de simple bon sens démocratique. Celle d’un Premier ministre grec ayant reçu un mandat et souhaitant le faire revalider par son peuple. Et pour aussi sortir de l’ambiguïté et de la contradiction qui consiste, ce qui n’est pas nouveau concernant la Grèce, à vouloir le beurre et l’argent du beurre. Rester dans l’Europe et dans l’euro, et ne pas rembourser tout ou partie de la dette. 

    Mais les profiteurs s’inquiètent et jappent. Le retour de la politique et du fonctionnement démocratique par la fenêtre, ça provoque des courants d’air. Et ils ont peur de prendre froid. Cette brave Madame Lagarde, dont on apprend qu’elle a corrigé et raturé au stylo rouge les propositions grecques, ce qui en dit long sur son sens des convenances, n’a rien trouvé de mieux que de proférer cette énormité : « le référendum est illégal ». Pardon Madame? Contraire au droit européen? Ce dernier n’a rien à voir là-dedans, il s’agit d’une négociation entre un groupe informel (l’Eurogroupe) et le gouvernement d’un État pour tenter de trouver des solutions à une crise d’endettement. Cette négociation n’obéit à aucune règle juridique particulière que la Grèce aurait violée. Voulez-vous dire alors que le référendum serait illégal en droit interne grec ? Cette consultation ne concerne que les Grecs. De quoi vous mêlez-vous? Vous pouvez considérer qu’elle est inopportune, déloyale ou immorale, mais pourquoi proférer cette insanité ? 

    Parlons justement un peu de droit. Économistes,  financiers, politologues monopolisent le débat, ce qui est bien normal. Les juristes sont très discrets. C’est dommage, car en se référant au droit, on peut peut-être un peu approcher la réponse à la vraie question: « Quelle partie est-elle en train de se jouer ? » 

    La Grèce est en état « de cessation des paiements ». Son niveau d’endettement est tel qu’elle ne peut plus faire face. Lorsque quelqu’un se trouve dans cette situation, il est soumis à des procédures fondées sur des règles et des principes stricts. Dont l’objectif prioritaire est de le sauver. L’ensemble des dettes sont gelées jusqu’à la mise en place « d’un plan de redressement », permettant l’apurement d’une partie du passif et la poursuite de l’activité. Ce qui veut dire que les créanciers vont se manger des pertes. Et pour eux ce sera ça ou rien. Pour la période d’observation jusqu’à l’adoption du plan de redressement, les dirigeants sont flanqués de mandataires qui les surveillent et assument une partie de leurs responsabilités. 

    La notion de « période suspecte », permet de fixer la date de l’état de cessation de paiement. En remontant assez loin dans le temps. En conséquence, tout ce qui a été payé par la structure en difficulté pendant cette période doit lui être remboursé et « rapporté à la masse des créanciers ». Si ces règles étaient appliquées à la Grèce, cela pourrait créer quelques situations amusantes. Et en particulier jeter un éclairage sur la magouille Trichet/DSK de 2011. Alors que la Grèce était déjà manifestement insolvable, le FMI en violation de ses statuts lui a prêté  l’argent qui a servi à rembourser les banques françaises et allemandes lourdement exposées. Prêter de l’argent à une entreprise en difficulté porte un nom : « le soutien abusif ». En conséquence, la responsabilité des prêteurs est lourdement engagée. Usant d’un mauvais jeu de mots, on peut dire que DSK s’il n’a, bien sûr jamais été proxénète, est quand même « un souteneur… abusif ». Dont la responsabilité devrait être engagée. 

    Car, et c’est une autre des caractéristiques des procédures de faillite, on recherche les responsabilités. Celles des créanciers, celles des dirigeants dans la déconfiture. Banqueroute, faillite frauduleuse sont des délits dont la sanction permet d’appeler les auteurs en comblement du passif. En ce qui concerne la Grèce, non seulement il n’y a aucun moyen juridique de revenir sur le passé, mais il est quasiment interdit d’en parler. Qui a fait entrer la Grèce dans l’euro où elle n’avait rien à faire ? Qui a prêté, qui a dépensé ? No comment. 

    Ces principes juridiques et toutes ces procédures ne sont pas réservés aux seules entités privées. En France par exemple, les collectivités territoriales qui pourtant s’administrent librement en application de la Constitution ne peuvent pas fonctionner avec des budgets en déséquilibre. Si c’est le cas, le préfet, assisté par la Chambre Régionale des Comptes prend la main sur la compétence financière. Fixe les recettes (impôts et taxes) et engage les dépenses. Cette souveraineté limitée fonctionne jusqu’au retour à l’équilibre. Cela peut être ainsi parce que la France est un État unifié, ce que l’UE n’est en aucun cas. Ni de près ni de loin. Et c’est là que réside le nœud du problème. 

    J’avais dit dans ces colonnes ou se situait à mon sens la contradiction. Qui vient de se révéler brutalement dans toute sa nudité. Pas parce que le méchant Juncker et ses comparses eurocrates refusent le référendum. Mais parce que l’UE NE PEUT PAS l’accepter.  L’UE n’est pas un organisme démocratique. Elle n’est pas anti-démocratique, mais a-démocratique. Conçue comme telle par ses fondateurs et leurs continuateurs. Précisément, par méfiance vis-à-vis des peuples, pour faire échapper toute une série de questions à la délibération démocratique. La démocratie, c’est la moitié des voix plus une qui gouverne. Pour que la moitié moins une accepte, il faut qu’elle sache qu’elle pourra défaire ce que la majorité précédente a fait si elle même arrive au pouvoir. Dans l’UE, l’essentiel de ce qui devrait en relever est ossifié dans des traités à valeur constitutionnelle non modifiables. Circulez, il n’y a plus rien à débattre. 

    Sur le plan de la théorie constitutionnelle, c’est un drôle de monstre juridique quand même. Ni un État unifié, voire fédéral, ni une fédération ou un simple groupe d’États. Au-delà de la puissance de sa bureaucratie, l’Union n’est pas non plus une tyrannie, le prétendre au-delà de l’effet de tribune, ne serait pas très sérieux. On parle beaucoup du mandat démocratique dont disposerait Tsipras, beaucoup moins de celui, tout aussi démocratique dont dispose Merkel. Et on voit là, le retour du politique, où chacun défend fort normalement les intérêts de son pays. Sauf qu’il y a un rapport de force est que c’est l’Allemagne qui domine. Par sa puissance économique obtenue essentiellement par l’euro qui n’est qu’un Mark étendu. 

    Mais alors les rêveurs vont nous poser la question, comment faire pour que l’Europe puisse être démocratique. Et redevenir un idéal pour les peuples ? Malheureusement… 

    L’Europe des 28 constitue-t-elle l’espace pertinent de la délibération démocratique, une nation européenne avec un peuple européen ? Non. Une culture, une histoire, une civilisation, oui. Pas une nation. J’obéis aux normes que produit mon pays, parce que je n’ai pas le choix. Dans les rapports entre Etats, ce n’est pas la même chose. En dernière instance, les États-nations font ce qu’ils veulent, et les pouvoirs de Bruxelles n’existeront que tant que les nations qui composent l’Union le décideront. 

    Écoutons Charles de Gaulle que l’on interrogeait à propos du silence du traité de Rome sur la possibilité de sortie d’un pays : « C’est de la rigolade ! Vous avez déjà vu un grand pays s’engager à rester couillonné, sous prétexte qu’un traité n’a rien prévu pour le cas où il serait couillonné ? Non. Quand on est couillonné, on dit : “Je suis couillonné. Eh bien, voilà, je fous le camp ! ” Ce sont des histoires de juristes et de diplomates, tout ça. » (1). 

    On a qualifié de « moment gaullien » le choix par le Premier ministre grec du référendum. Que dire du choix conscient d’une éventuelle sortie de la zone euro et même de l’Union. On comprend que Juncker puisse se sentir trahi par Tsipras qui, jouant le rôle du petit garçon dans le conte d’Andersen, vient de lui dire qu’il était tout nu. 

     

    1. C’était de Gaulle d’Alain Peyrefitte – Tome II.

    * Photo : Virginia Mayo/AP/SIPA. AP21758038_000002.

    Régis de Castelnau - Causeur

     

  • Matteo Renzi ne l'a pas envoyé dire à ses collègues de l'U.E. ... Il a raison !

     

    Le président du conseil italien n'a pas mâché ses mots en apostrophant ses collègues de la sorte. Il leur a même lancé : « Vous êtes indignes de l'Europe ! ». C'est, en effet, toute la question : ces gens-là, ces institutions-là sont indignes de l'Europe. LFAR  •

  • Traité transatlantique : le dessous des cartes

     

    L'analyse de Jean-Michel Quatrepoint 

     

    Pour Jean-Michel Quatrepoint, ce traité sert les intérêts des « empires » allemand et américain, qui veulent contenir la Chine, dans la « guerre économique mondialisée ». Et la France dans tout ça ? C'est la question qui est posée. (Retrouvez la première partie de la réflexion de Jean-Michel Quatrepoint, sur les « empires » publiée hier, ici-même). 

     

    PHO1159e20e-cc52-11e3-a4f2-b373f3cdeec9-150x100.jpgLe traité transatlantique qui est négocié actuellement par la Commission européenne pourrait consacrer la domination économique des États-Unis sur l'Europe. Pourquoi l'Union européenne n'arrive-t-elle pas à s'imposer face au modèle américain ?

    La construction européenne a commencé à changer de nature avec l'entrée de la Grande-Bretagne, puis avec l'élargissement. On a privilégié la vision libre-échangiste. Libre circulation des capitaux, des marchandises et des hommes. Plus de frontières. Mais en même temps on n'a pas uniformisé les règles fiscales, sociales, etc. Ce fut la course au dumping à l'intérieur même de l'espace européen. C'est ce que les dirigeants français n'ont pas compris. Dès lors qu'on s'élargissait sans cesse, le projet européen a complètement changé de nature. Ce qui n'était pas pour déplaire aux Américains qui n'ont jamais voulu que l'Europe émerge comme une puissance, comme un empire qui puisse les concurrencer. L'Europe réduite à une simple zone de libre-échange, qui se garde bien de défendre des champions industriels européens, les satisfait. Un Airbus leur suffit. Les Américains défendent leurs intérêts, il faut comprendre leur jeu. Ils ont une vision messianique de leur rôle, celle d'apporter la démocratie au monde, notamment à travers les principes du libre-échange.

    Selon vous, le traité transatlantique est aussi pour les États-Unis un moyen d'isoler la Chine. Pouvez-vous nous expliquer la stratégie américaine ?

    La force des États-Unis, c'est d'abord un dynamisme, un optimisme qui leur donne une capacité de rebond extraordinaire. C'est une jeune nation. Ils se sont endormis sur leurs lauriers d'hyperpuissance dans les années 1990 et ont commencé à rencontrer des résistances. Il y a eu le choc du 11 Septembre. Mais Bush s'est focalisé sur l'ennemi islamiste, sans voir que la Chine était pendant ce temps-là en train de monter en puissance. Cette dernière est entrée dans l'OMC quelques jours après le 11 Septembre alors que tout le monde était focalisé sur al-Qaida. Mais quand on analyse les courbes du commerce mondial, c'est édifiant : tout commence à déraper en 2002. Les excédents chinois (et aussi allemands) et les déficits des autres puissances. La Chine est entrée dans l'OMC, car c'était à l'époque l'intérêt des multinationales américaines qui se sont imaginé qu'à terme elles pourraient prendre le marché chinois. Pari perdu : celui-ci est pour l'essentiel réservé aux entreprises chinoises.

    Un protectionnisme qui a fait s'écrouler le rêve d'une Chinamérique…

    La Chinamérique était chimérique, c'était un marché de dupes. Dans ce G2 les Américains voulaient être numéro un. Les Chinois aussi. Les Américains s'en sont rendu compte en 2006, lorsque les Chinois ont rendu public un plan baptisé « National medium and long term program for science and technology development » dans lequel ils affichaient leur ambition d'être à l'horizon 2020 autonomes en matière d'innovation, et en 2050 de devenir le leader mondial : non plus l'usine mais le laboratoire du monde ! Là, les Américains ont commencé à s'inquiéter, car la force de l'Amérique c'est l'innovation, la recherche, l'armée et le dollar. Si vous vous attaquez à la recherche, que vous mettez en place une armée et une marine puissantes et que vous développez une monnaie pour concurrencer le dollar, là vous devenez dangereux. Lorsque les Chinois ont affiché leur volonté de faire du yuan l'autre monnaie internationale pour pouvoir se passer du dollar, notamment dans leurs accords commerciaux bilatéraux, cela a été la goutte d'eau de trop.

    Toute attaque sur le dollar est un casus belli. Lorsqu'ils ont créé l'euro, les Européens ont fait très attention à ne pas en faire une monnaie concurrente du dollar, même si les Français le souhaitaient au fond d'eux-mêmes. Les Américains ont laissé l'Europe se développer à condition qu'elle reste à sa place, c'est-à-dire un cran en dessous, qu'elle reste une Europe atlantiste. Avec une monnaie surévaluée par rapport au dollar. Cela tombe bien puisque l'économie allemande est bâtie autour d'une monnaie forte. Hier le mark, aujourd'hui l'euro.

    Le traité transatlantique peut-il néanmoins être profitable à l'Europe ?

    Les principaux bénéficiaires de ce traité seront les multinationales américaines et l'industrie allemande, notamment automobile. L'Amérique se veut plus que jamais un empire, qui règne à la fois par le commerce, la technologie et la monnaie, mais aussi par l'idéologie.

    D'où les traités transpacifiques et transatlantiques initiés par Hillary Clinton. Celle-ci vise la présidence en 2016. Elle est à la manœuvre depuis 2010 dans une stratégie de containment vis-à-vis de la Chine, mais aussi de la Russie. L'idée est de fédérer les voisins de la Chine et de la Russie, dans une zone de libre-échange et de faire en sorte que les multinationales américaines y trouvent leur compte afin que progressivement le modèle américain s'impose et que les États-Unis redeviennent le centre du monde. C'est pourquoi les États-Unis ont empêché le Japon de se rapprocher de la Chine, la querelle entre les deux pays sur les îles Diaoyu-Senkaku ayant opportunément surgi pour casser toute velléité de rapprochement. Le Japon avec le nouveau premier ministre conservateur Abe est revenu dans le giron de Washington.

    Le principal levier de pression de cette stratégie élaborée par Hillary Clinton est l'énergie. Grâce au gaz et au pétrole de schiste, l'objectif des Américains est de ne plus dépendre des importations pétrolières (et donc de se détacher du bourbier oriental), de donner un avantage compétitif aux entreprises américaines, de rapatrier la pétrochimie sur le sol américain. Les industriels américains ont désormais une énergie beaucoup moins chère que les industriels européens, notamment allemands. L'objectif est de devenir non seulement indépendant, mais aussi exportateur d'hydrocarbures, pour faire en sorte notamment que l'Europe ne soit plus dépendante du gaz russe.

    L'énergie est la clé pour comprendre le traité transatlantique. On donne aux Allemands ce qu'ils veulent, c'est-à-dire la possibilité non seulement de développer leur industrie automobile aux États-Unis, mais aussi d'avoir les mêmes normes des deux côtés de l'Atlantique. Ils pourront produire en zone dollar avec des coûts salariaux inférieurs, des modèles qu'ils pourront vendre en zone euro, voire dans le Pacifique. Cette uniformisation des normes profitera également aux multinationales américaines. Elles sont directement à la manœuvre et participent aux négociations. Leurs objectifs : uniformiser les règles, les normes en les alignant si possible sur le niveau le moins contraignant. Notamment dans la santé, l'agriculture, les industries dites culturelles. Faire en sorte que les Etats ne puissent pas remettre en cause ces normes. Ces traités délèguent en fait une part des souverainetés populaires aux multinationales. Si les Européens acceptent cette sorte de mise sous tutelle, alors les Américains condescendront à nous exporter du gaz et surtout du pétrole de schiste à bon prix. Merkel a un plan : passer de la dépendance au gaz russe à la dépendance au charbon et au gaz américain, tout en ne froissant pas les Russes, qui restent avant tout des clients. À l'opposé de Schröder, elle est américanophile et russophobe.

    Et la France dans tout ça ? Comment peut-elle tirer son épingle du jeu ?

    La France n'a rien à gagner à ce traité transatlantique. On nous explique que ce traité va générer 0,5 point de croissance, mais ces pourcentages ne veulent rien dire. Le problème de la France c'est : comment et où allons-nous créer de l'emploi ? Et pas seulement des emplois de service bas de gamme. Notre seule chance aujourd'hui est de créer des emplois à valeur ajoutée dans le domaine de l'économie numérique, ce que j'appelle « Iconomie », c'est-à-dire la mise en réseau de toutes les activités. L'Allemagne traditionnellement est moins portée sur ces secteurs où la France est relativement en pointe. La France crée beaucoup de start-up, mais dès qu'elles grossissent un peu, elles partent aux États-Unis ou sont rachetées par des multinationales. Il faut que l'on développe nos propres normes. La France doit s'engager dans la révolution numérique. Je suis partisan de doter tous les enfants d'une tablette, ça ne coûte pas plus cher que les livres scolaires, et si on les faisait fabriquer en France (11 millions de tablettes, renouvelées tous les trois ans), cela créerait de l'emploi. Et dans le sillage des tablettes, d'innombrables applications pourraient naitre et se vendre sur le marché mondial.

    Il n'y a pas de raisons de laisser Google et autres Amazon en situation de monopole. La visite de l'Opéra Garnier en live numérique, c'est Google qui l'a faite ! La France avait tout à fait les moyens de le faire ! Si nous n'y prenons pas garde, la France va se faire « googeliser » !

    Il y a un absent dans votre livre: la Russie. Celle-ci, avec Vladimir Poutine, semble pourtant avoir renoué avec le chemin de la puissance…

    Les Américains avaient un plan, il y a 20 ans : démanteler totalement l'URSS, la réduire en de multiples confettis, pour contrôler la Russie et ses matières premières, avec pour ambition de donner l'exploitation des matières premières russes en concession aux multinationales. Si Khodokovski a été victime de la répression poutinienne, c'est bien parce qu'il allait vendre le groupe pétrolier Ioukos aux Anglo-Saxons pour 25 milliards de dollars. Et qu'il pensait s'acheter la présidence de la Russie avec cet argent. Poutine est alors intervenu. À sa manière. Brutalement. Un peu comme en Géorgie hier et en Ukraine aujourd'hui. On peut le comprendre. Il défend ce qu'il considère être les intérêts de son pays. Mais il faut aussi lui faire comprendre qu'il y a des lignes à ne pas franchir.

    Ce pourrait-il qu'elle devienne un quatrième empire ?

    Pour le moment non. Le sous-titre de mon livre c'est: qui dominera l'économie monde? La Russie est un pétro-État, c'est sa force et sa faiblesse. Poutine n'a pas réussi pour le moment à diversifier l'économie russe: c'est la malédiction des pays pétroliers, qui n'arrivent pas à transformer la manne pétrolière en industrie dynamique.  

     

    Jean-Michel Quatrepoint est journaliste économiste. il a travaillé entre autres au Monde, à la Tribune et au Nouvel Economiste. Il a écrit de nombreux ouvrages, dont La crise globale en 2008 qui annonçait la crise financière à venir. Dans son dernier livre, Le Choc des empires. Etats-Unis, Chine, Allemagne: qui dominera l'économie-monde ? (Le Débat, Gallimard, 2014), il analyse la guerre économique que se livrent les trois grands empires qui règnent en maitres sur la mondialisation : les Etats-Unis, la Chine et l'Allemagne. 

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    Entretien réalisé par Eugénie Bastié et Alexandre Devecchio

     

  • Zone euro : ça chauffe !

     

    Par Ludovic Greiling 

     

    « Cette fois-ci, c’est du sérieux », lançait récemment un gérant. Un échec des négociations sur la dette grecque pourrait entraîner des turbulences financières importantes ainsi qu’un arrêt du projet européen et américain. Passage en revue.

    L’État grec, aujourd’hui, c’est encore une dette publique de 310 milliards d’euros, soit 180% du PIB national et neuf années de rentrées fiscales au niveau actuel. C’est une croissance qui peine à repartir après une chute du PIB de 25% en quatre ans, en raison notamment de l’austérité voulue par les créanciers occidentaux qui ont pris en main la politique grecque : la Banque centrale européenne, le Fonds monétaire international et la Commission européenne.

    Depuis plusieurs années, les études des établissements financiers sur le « risque politique » foisonnent, les banquiers étant particulièrement inquiets du résultat des élections pour l’avenir des dettes publiques européennes.

    L’élection d’un mouvement d’extrême-gauche en Grèce en janvier dernier et son alliance avec un petit parti souverainiste pourraient mettre un terme à la progression de l’euro, monnaie « irrévocable » affirmait le président de la BCE il y a trois ans.

    L’euro bute sur la Grèce

    Les négociations sur la dette, sans cesse remise sur le plan de travail depuis six mois, pourraient échouer. Résultat : sur le marché libre, le taux d’intérêt payé par le gouvernement grec pour emprunter à dix ans est remonté à 13% alors même que l’inflation dans le pays a disparu.

    La crainte d’une sortie d’un pays de la zone euro – qui serait une grande première en seize années d’existence – pourrait provoquer une réaction en chaîne, d’autres États pouvant être tenté de reprendre une monnaie nationale.

    Logiquement, les taux d’intérêt sur la dette se sont tendus au Portugal, en Espagne mais aussi en France et en Allemagne ces dernière semaines. Ils restent néanmoins bas eu égard aux taux pratiqués lors de la crise financière de 2012.

    Marginalisation ?

    Pour la Grèce, une devise nationale permettrait de dévaluer sa monnaie vis-à-vis des créanciers, de retrouver une marge de manœuvre souveraine en matière budgétaire, et de protéger de nouveau le marché et l’industrie locale au sein de l’Europe par le biais de taux de change adaptés à sa situation.

    Elle constituerait en revanche un recul dans le « processus politico-stratégique » engagé en Europe* et ferait courir le risque d’une marginalisation commerciale et géopolitique.

    Pour abolir ce risque, le premier ministre grec Aléxis Tsípras a d’ors et déjà tenté un rapprochement avec le président russe Vladimir Poutine et les dirigeants des Brics, dont la banque en cours de constitution pourrait prêter des devises à Athènes.

    En Allemagne, les médias scrutent les rares détails qui ressortent des négociations en cours. Un renflouement d’Athènes serait très mal perçu par l’opinion publique, alors même que les créanciers ont déjà accepté l’annulation de 100 milliards d’euros de dette publique il y a deux ans et qu’une partie des prêts des pays européens – qui détiennent aujourd’hui les deux tiers de la dette grecque – avaient été accordés dans des conditions exceptionnelles (ils n’apporterons un intérêt que dans huit ans).

    Les élections jouent pour beaucoup dans la fermeté actuelle du gouvernement allemand. L’an dernier, le parti anti-euro Alternative für Deutschland avait atteint près de 10% des votants dans plusieurs régions lors d’élections partielles, grignotant des voix à la CDU d’Angela Merkel. 

    * C’est ainsi que l’ancien président de la Banque centrale européenne et actuel président pour l’Europe de la puissante organisation Trilatérale, Jean-Claude Trichet, définissait l’unification européenne en août dernier (entretien dans Le Temps de Genève, 16 août 2014)

      - Politique magazine

     

  • L'Europe, empire allemand ? Les analyses de Jean-Michel Quatrepoint*

     

    Nous donnons une fois de plus la parole à Jean-Michel Quatrepoint, parce que ses analyses, données au Figaro, sont à la fois extrêmement lucides, réalistes, fondées sur une profonde connaissance des sujets traités, et que les positions qu'elles expriment sont presque en tous points les nôtres. Nous n'y ajouterons rien si ce n'est que la question posée en titre ne doit pas être comprise en termes d'hostilité à l'égard de l'Allemagne. La position dominante qu'elle occupe aujourd'hui en Europe est due en grande partie au décrochage de la France... Ajoutons pour finir que nous publierons demain le deuxième volet de cette réflexion : « Traité transatlantique : le dessous des cartes ».   LFAR

     

    PHO1159e20e-cc52-11e3-a4f2-b373f3cdeec9-150x100.jpgPour le journaliste économiste Jean-Michel Quatrepoint, auteur du Choc des empires, la construction européenne a totalement echappé à la France et se trouve désormais au service des intérêts allemands. Première partie de l'entretien accordé au Figarovox.

    Dans votre livre vous expliquez que le monde se divise désormais en trois empires : les Etats-Unis, la Chine, l'Allemagne. Qu'est-ce qu'un empire ?

    Pour être un empire, il faut d'abord se vivre comme un empire. Ensuite, il faut une langue, une monnaie, une culture. Sans parler des frontières. L'Amérique, c'est Dieu, le dollar et un drapeau. La Chine, c'est une économie capitaliste, une idéologie communiste et une nation chinoise qui a sa revanche à prendre, après l'humiliation subie au XIXème siècle. Quant à l'Allemagne, c'est en empire essentiellement économique. Quand Angela Merkel a été élue en 2005, son objectif premier était de faire de l'Allemagne la puissance dominante en Europe: elle a réussi. Maintenant il s'agit de façonner l'Europe à son image. Mais avec des contradictions internes: pour des motifs historiques bien compréhensibles, Berlin ne veut pas aller jusqu'au bout de la logique de l'empire. Elle n'impose pas l'allemand, et est réticente sur la Défense. Elle veut préserver ses bonnes relations avec ses grands clients: la Chine, les Etats-Unis et la Russie.

    Vous écrivez « L'Union européenne qui n'est pas une nation ne saurait être un empire ».

    C'est tout le problème de l'Europe allemande d'aujourd'hui, qui se refuse à assumer sa dimension d'empire. 28 états sans langue commune, cela ne peut constituer un empire. L'Angleterre ne fait pas partie du noyau dur de la zone euro. Les frontières ne sont pas clairement délimitées: elles ne sont pas les mêmes selon qu'on soit dans l'espace Schengen ou la zone euro. L'Europe est un patchwork et ne peut exister en tant qu'empire, face aux autres empires.

    « L'Allemagne est devenue, presque sans le vouloir, le nouveau maitre de l'Europe », écrivez-vous. Comment se traduit cette domination de l'Allemagne en Europe ? D'où vient-elle ? Sur quels outils s'appuie cette hégémonie ?

    Cette domination vient de ses qualités…et de nos défauts. Mais ce n'est pas la première fois que l'Allemagne domine l'Union européenne. A la fin des années 1980, juste avant la chute du mur, elle avait déjà des excédents commerciaux considérables. La réunification va la ralentir un instant, car il va falloir payer et faire basculer l'outil industriel allemand vers un autre hinterland. La RFA avait un hinterland, c'était l'Allemagne de l'Est: le rideau de fer n'existait pas pour les marchandises. Les sous-ensembles (par exemple les petits moteurs équipant l'électroménager allemand) étaient fabriqués en RDA à très bas coût (il y avait un rapport de 1 à 8 entre l'Ost mark et le Deutsche Mark), puis assemblés en Allemagne de l'Ouest. Avec l'équivalence monétaire décidée par Kohl à la réunification (1 deutsche mark= 1 Ost mark), les Allemands perdent tous ces avantages. Il faut trouver un nouvel hinterland pour retrouver des sous-traitants à bas coût. Ce que l'Allemagne a perdu dans la réunification, elle le retrouvera par l'élargissement de l'UE. Ce sera dans la Mittleuropa, l'espace naturel allemand, reconstitué après l'effondrement du communisme. La Hongrie, la Tchéquie, et même la Pologne: c'est la Germanie, le Saint Empire romain germanique..

    Dans un premier temps ils ont donc implanté des usines modernes dans les pays de l'Est pour fabriquer des sous-ensembles, qui sont assemblés en Allemagne où l'on fabrique un produit fini, que l'on vend avec une kyrielle de services voire avec le financement. La grande force de l'Allemagne c'est d'avoir choisi dans la division internationale du travail un créneau où ils sont quasiment seuls, l'industrie de qualité, principalement automobile (elle leur assure une part très importante de leurs excédents commerciaux).

    Un hinterland permis par l'élargissement, une « deutsche qualität », mais aussi « un euro fort » qui sert les intérêts allemands…

    L'euro c'est le mark. C'était le deal. Les Français ont péché par naïveté et se sont dit: faisons l'euro, pour arrimer l'Allemagne à l'Europe. Les Allemands ont dit oui, à condition que l'on joue les règles allemandes: une banque centrale indépendante (basée à Francfort), avec un conseil des gouverneurs dirigé par des orthodoxes, dont la règle unique est la lutte contre l'inflation, la BCE s'interdisait dès le départ d'avoir les mêmes outils que la FED ou la banque d'Angleterre et depuis peu la Banque du Japon, même si Mario Draghi est en train de faire évoluer les choses. Mais le mal est fait.

    Vous dites que l'Allemagne fonctionne sur une forme de capitalisme bismarckien mercantiliste. Pouvez-vous nous définir les caractéristiques de cet « ordolibéralisme » allemand ?

    L'ordolibéralisme allemand se développe dans l'entre deux guerres et reprend les principes du capitalisme mercantiliste bismarckien. Bimarck favorise le développement d'un capitalisme industriel et introduit les prémices de la cogestion . Il invente la sécurité sociale. Pas par idéal de justice sociale, mais pour que les ouvriers ne soient pas tentés par les sirénes du socialisme et du communisme. C'est la stratégie qu'a déployé l'Occident capitaliste entre 1945 et 1991. Le challenge du communisme a poussé l'Occident à produire et à distribuer plus que le communisme. La protection sociale, les bons salaires, étaient autant de moyens pour éloigner des populations de la tentation de la révolution. Une fois que le concurrence idéologique de l'URSS a disparu, on est tenté de reprendre les avantages acquis… 1 milliard 400 000 chinois jouent plus ou moins le jeu de la mondialisation, la main d'œuvre des pays de l'Est est prête à travailler à bas coût…tout cela pousse au démantèlement du modèle social européen. Les inégalités se creusent à nouveau.

    L'ordolibéralisme se développe avec l'école de Fribourg. Pour ses tenants, l'homme doit être libre de créer , d'entreprendre, de choisir ses clients, les produits qu'il consomme , mais il doit aussi utiliser cette liberté au service du bien commun. l'entreprise a un devoir de responsabilité vis-à-vis des citoyens. C'est un capitalisme organisé, une économie sociale de marché où les responsabilités sont partagées entre l'entreprise, le salarié et l'Etat. Il y a quelque chose de kantien au fond: l'enrichissement sans cause, et illimité n'est pas moral, il faut qu'il y ait limite et partage.

    Le mercantilisme, c'est le développement par l'exportation. Il y a d'un coté les pays déficitaires, comme les Etats-Unis et la France et de l'autre trois grands pays mercantilistes : l'Allemagne, le Japon et la Chine. Ces trois pays sont des pays qui ont freiné leur natalité et qui sont donc vieillissants, qui accumulent donc des excédents commerciaux et des réserves pour le jour où il faudra payer les retraites. L'Amérique et la France sont des pays plus jeunes, logiquement en déficit.

    Les élections européennes approchent et pourraient déboucher pour la première fois dans l'histoire sur un Parlement européen eurosceptique. Comment voyez-vous l'avenir de l'Europe ? Comment sortir de l'Europe allemande ?

    L'Europe est un beau projet qui nous a échappé avec l'élargissement, qui a tué la possibilité même du fédéralisme. On a laissé se développer une technocratie eurocratique, une bureaucratie qui justifie son existence par le contrôle de la réglementation qu'elle édicte.

    Ce qui ne veut pas dire pour autant qu'il ne faut pas avoir une bonne gestion. Il faut absolument réduire nos déficits, non pas pour plaire à Bruxelles ou à Berlin, mais parce que c'est la condition première et nécessaire du retour de notre souveraineté. John Adams, premier vice-président américain disait: « il y a deux manières de conquérir un pays : l'une par l'épée, l'autre par la dette ». Seuls les Américains échappent à la règle, justement parce qu'ils ont une épée tellement puissante qu'ils peuvent se permettre de faire de la dette ! Nous ne pouvons pas nous le permettre. Ce n'est pas une question de solidarité intergénérationnelle, ou de diktat bruxellois. Si notre dette était financée intégralement par l'épargne française, comme c'est le cas des japonais, il y aurait beaucoup moins de problèmes. On aurait dû financer notre dette par des emprunts de très long terme, voire perpétuels, souscrits par les épargnants français.

    A 28 l'Europe fédérale est impossible, de même qu'à 17 ou à 9. Il y a de telles disparités fiscales et sociales que c'est impossible. Je suis pour une Confédération d'Etats-nations, qui mette en œuvre de grands projets à géométrie variable (énergie, infrastructures, métadonnées etc ). Il y a une dyarchie de pouvoirs incompréhensible pour le commun des mortels: entre Van Rompuy et Barroso, entre le Conseil des ministres et les commissaires. Dans l'idéal il faudrait supprimer la commission! Il faut que les petites choses de la vie courante reviennent aux Etats: ce n'est pas la peine de légiférer sur les fromages! Le pouvoir éxécutif doit revenir aux conseils des chefs d'état et aux conseils des ministres, l'administration de Bruxelles étant mise à leur disposition et à celui d'un Parlement dont la moitiée des députés devraient être issus des parlements nationaux. Si l'on veut redonner le gout de l'Europe aux citoyens il faut absolument simplifier les structures.

    Comment fait-on pour réduire la dette avec une monnaie surévaluée ? Faut-il sortir de l'euro ?

    Une dette perpétuelle n'a pas besoin d'être remboursée. Je suis partisan d'emprunts à très long terme, auprès des épargnants français, en leur offrant un taux d'intérêt digne de ce nom.

    Le traité de Maastricht a été une erreur: on a basculé trop vite de la monnaie commune à la monnaie unique. Il n'est pas absurde de prôner le retour à une monnaie commune et à du bimétalisme: un euro comme monnaie internationale et 3 ou 4 euros à l'intérieur de la zone euro. Mais cela nécessite l'accord unanime des pays membres, et c'est une opération très compliquée. Sur le fond, la sortie de l'euro serait l'idéal. Mais il faut être réaliste: nous n'aurons jamais l'accord des Allemands.

    Si nous sortons unilatéralement, d'autres pays nous suivront …

    Pour sortir unilatéralement, il faut être très fort, or notre pays, dans l'état dans lequel il est aujourd'hui, ne peut pas se le permettre. Quand aux autres: Rajoy suivra Merkel, les portugais aussi (ces dirigeants appartenant au PPE), Renzi joue son propre jeu. La France est isolée en Europe. Elle ne peut pas jouer les boutefeux. Hollande et Sarkozy ne se sont pas donné les moyens d'imposer un chantage à l'Allemagne. Il fallait renationaliser la dette, pour ne plus dépendre des marchés et s'attaquer au déficit budgétaire, non pas pour plaire à Merkel, mais pour remettre ce pays en ordre de marche. Sarkozy faisait semblant de former un duo avec la chancelière alors que c'est elle qui était aux commandes. Hollande, lui fuit, et essaye de gagner du temps, deux mois, trois mois. Il cherche l'appui d'Obama nous ramenant aux plus beaux jours de la Quatrième République, à l'époque où on quémandait l'appui des Américains pour exister.

    Comme vous l'expliquez dans votre livre, la France, faute d'industrie, essaie de vendre les droits de l'homme…

    Oui nous avons abandonné le principe de non ingérence en même temps que nous avons laissé en déshérence des pans entiers de notre appareil industriel. Alors que la guerre économique fait rage, que la mondialisation exacerbe les concurrences, nous avons d'un coté obéré notre compétitivité et de l'autre on s'est imaginé que l'on tenait avec les droits de l'homme un « plus produit » comme on dit en marketing. Or ce sont deux choses différentes. Surtout quand il s'agit de vendre dans des pays où les gouvernements exercent une forte influence sur l'économie. Les droits de l'homme ne font pas vendre. C'est malheureux mais c'est ainsi. De plus la France à une vision des droit de l'homme à géométrie variable. Pendant qu'on fait la leçon à Poutine, on déroule le tapis rouge au Qatar où à l'Arabie Saoudite. Avec la Chine on tente de rattraper les choses. Mais les Chinois, contrairement à nous, ont de la mémoire. Savez-vous pourquoi le président chinois lors de sa venue en France s'est d'abord arrêté à la mairie de Lyon avant celle de Paris ? Parce que M Delanoë avait reçu le dalaï-lama, et que les Chinois se souviennent du trajet de la flamme olympique en 2008 dans la capitale. Nous occidentaux, nous n'avons pas de leçons à donner au reste du monde. Les espagnols ont passé au fil de l'épée les Indiens, les Anglais ont mené une guerre de l'opium horriblement humiliante pour les Chinois au XIXème. Arrêtons de vouloir donner des leçons au reste du monde, sinon le reste du monde sera en droit de nous en donner ! 

    Jean-Michel Quatrepoint est journaliste économiste. il a travaillé entre autres au Monde, à la Tribune et au Nouvel Economiste. Il a écrit de nombreux ouvrages, dont La crise globale en 2008 qui annonçait la crise financière à venir. Dans son dernier livre, Le Choc des empires. Etats-Unis, Chine, Allemagne: qui dominera l'économie-monde ? (Le Débat, Gallimard, 2014), il analyse la guerre économique que se livrent les trois grands empires qui règnent en maitres sur la mondialisation : les Etats-Unis, la Chine et l'Allemagne.  

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    Entretien réalisé par Eugénie Bastié et Alexandre Devecchio

     

  • Retour géopolitique de 25 ans en arrière, avec Thomas Molnar : Déclin de l'empire soviétique

     

    1978112346.jpgC'est un document d'archives exceptionnel que nous vous proposons aujourd'hui, tiré précisément des archives de Lafautearousseau. Il s'agit d'une conférence de Thomas Molnar, donnée à Marseille vers le milieu des années 1980, pour l'Union Royaliste Provençale

    Ce document est exceptionnel d'abord parce qu'il permet de retrouver le penseur puissant que fut Thomas Molnar et le cheminement de ses analyses. A notre connaissance, il existe peu d'enregistrements de lui. Celui-ci est l'un des rares.

    Ce document est aussi exceptionnel par le sujet traité : le déclin de l'empire soviétique. Il en prévoyait la fin prochaine. Nous doutions un peu à cette époque qu'elle fût possible à court ou moyen terme. Elle se produisit quatre ou cinq ans après.

    Enfin, dans cette conférence Molnar donne sur la Russie de toujours, sur la Mitteleuropa, sur la montée de l'Islam, sur les Etats-Unis d'Amérique, l'Allemagne et la France, des aperçus qui valent toujours pour le monde d'aujourd'hui, qui l'expliquent et l'éclairent. LFAR  • 

     

     

    Sur Thomas Molnar l'on pourra lire la très courte notice de Wikipédia. 

    Voir aussi la note que nous lui avions consacrée, l'année de sa mort (2010)

     

  • Brexit or not Brexit ? Par Jacques Burnel*

     

    Les résultats inattendus des élections législatives en Grande-Bretagne dessinent des inconnues dans les horizons anglais et européens.

    Et le « Brexit » est devenu une perspective envisageable… En faisant mentir tous les sondages qui promettaient des résultats serrés, la réélection triomphale du Premier ministre David Cameron a bouleversé la donne au Royaume-Uni. Exit Ed Miliband, dirigeant d’un parti travailliste qui connait sa plus sévère défaite depuis 1987. Avec 331 sièges à la Chambre des communes, les conservateurs obtiennent la majorité absolue. Confirmé dans ses fonctions par la reine, comme c’est l’usage dans cette monarchie parlementaire, David Cameron aura les mains libres pour former un gouvernement 100% Tories même s’il a affirmé vouloir « rassembler le pays ». Il a ainsi rendu hommage à son ex vice-premier ministre libéral-démocrate Nick Clegg, l’un des grands perdants de ce jeu électoral aux résultats inattendus. Avec Ed Miliband et Nigel Farage (dont le parti anti européen UKIP n’a obtenu, en raison du mode de scrutin majoritaire, qu’un seul siège malgré son arrivée en troisième position), il fait partie de ces dirigeants de parti pour lesquels ces élections auront été fatales.

    Quelles sont les raisons d’une victoire que même les plus optimistes des conservateurs n’espéraient pas ? La première tient à l’enjeu européen revêtu par cette élection britannique. Poussé par l’aile eurosceptique de son parti (1/3 des députés Tories) et la montée en puissance de l’UKIP, qui milite pour une sortie de l’UE, David Cameron avait promis, en cas de victoire, de tenir d’ici fin 2017 (mais il pourrait finalement avoir lieu dès 2016) un référendum sur le maintien ou non du Royaume-Uni dans l’Union européenne. Une promesse qui a visiblement été entendu par une opinion britannique travaillée par cette question.

    La deuxième tient à la déroute des travaillistes en Ecosse, un bastion historique du New Labour. Le pays au chardon a offert 56 sièges sur 59 au SNP (Scottish National Party, indépendantiste et classé à gauche de l’échiquier politique), privant le Parti travailliste d’autant de voix à Westminster. Les électeurs écossais de gauche ont-ils voulu faire payer au Parti travailliste son alliance avec le Parti conservateur sur la question de l’indépendance, rejetée par référendum en 2014 ? Ou se sont-ils souvenus que, lors de la magistrature précédente, Miliband s’était interdit de s’allier avec eux au Parlement de Londres ? Toujours est-il que les indépendantistes écossais deviennent le troisième parti représenté à la Chambre des communes et que, si ce succès inédit enfonce les travaillistes, il pourrait jouer des tours à la majorité conservatrice dont les marges de manœuvre seront étroites. Car les représentants du SNP ne manqueront pas de faire valoir le manque de légitimité du gouvernement de Londres pour les représenter.

    D’autant plus que le SNP, pro européen, voit d’un très mauvais œil le référendum sur l’adhésion à l’UE. En cas de « Brexit » et d’indépendance de l’Ecosse, Glasgow devrait en effet renégocier une laborieuse et hypothétique adhésion à l’UE. C’est ce qui avait freiné un certain nombre d’écossais en 2014, tentés par l’indépendance. « Emancipez-vous de la Grande-Bretagne et vous sortez de l’Europe ! », leur avait dit Bruxelles, oubliant tous ses principes fédéralistes dans la crainte d’un fâcheux précédent…

    Reste à David Cameron à naviguer entre ces différents écueils pour réussir à éviter un « Brexit » qu’il ne souhaite pas. Avant les législatives, il a prévenu qu’il avait l’intention de faire campagne pour le maintien dans l’Europe. Mais seulement si Bruxelles répond à ses exigences comme celle de rapatrier certaines de ses compétences vers les Etats membres, notamment en ce qui concerne la politique agricole commune, la politique énergétique et l’immigration. Un sujet de plus en plus sensible en Angleterre. L’UE pourrait céder sur un certain nombre de points. Mais quelle sera la réaction des autres partenaires européens ? C’est l’inconnue de l’après élection en Grande-Bretagne. En attendant celle, majuscule, du résultat du référendum de 2016 ou 2017. 

    *   - Politique magazine

  • « Vous avez dit souveraineté ? » : c'est le dossier du numéro de mai de Politique magazine - qui vient de paraître

     

    Découvrez le numéro de mai !

    Dossier : Vous avez dit souveraineté ?

    Quarante ans d’abandons successifs de souveraineté ont profondément altéré l’indépendance et l’autorité de notre pays dans le monde. Sont-ils irréversibles ? La réponse est non. Alors, comment faire pour retrouver nos marges de manœuvre sans compromettre nos grands équilibres ?

    Sommaire (Cliquez sur l'image ci-dessous) 

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