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Idées, débats... - Page 440

  • Référundum catalan : « L'indépendance n'est qu'un slogan »

     

    Par   

    Cet entretien de Paul Gérard avec Benoît Pellistrandi [Figarovox, 25.09] donne un éclairage à la fois informé, argumenté et juste sur la situation grave de la Catalogne et de l'Espagne, à la veille du référendum catalan de dimanche prochain, 1er octobre. Les événements qui s'y passent, dans la polémique, l'agitation, la tension et même l'affrontement, concernent la France. L'Espagne est un pays voisin, latin, comme nous atlantique et méditerranéen, avec lequel nos liens sont multiséculaires et où règne un Bourbon. En aucun cas sa dislocation ne ferait notre affaire. On pourra se reporter à nos propres réflexions sur le sujet,  brièvement données dans notre article Barcelone : « No tinc por », paru à la suite de l'attentat du mois dernier dans la capitale catalane [Lien ci-dessous].   LFAR

     

    maxresdefault.jpgLe Parlement catalan avait adopté le 9 novembre 2015 une résolution visant à créer une république indépendante de Catalogne si le « oui » l'emporte au référendum du 1er octobre. Pourquoi la Catalogne, dont l'autonomie accordée par la constitution de 1978 et augmentée par la loi de 2006, tient-elle à son indépendance ? 

    L'indépendantisme a longtemps été une option politique minoritaire et marginale en Catalogne. Si aujourd'hui les thèses indépendantistes ont gagné du terrain c'est que trois phénomènes majeurs se sont produits ces dix dernières années.

    D'abord, il y a eu la crise économique. Rappelons-nous : entre 2008 et 2012, l'Espagne plonge et se trouve au bord d'une situation comparable à la Grèce. Dans ces conditions, un discours dénonçant le « racket fiscal » auquel l'Espagne soumettrait la Catalogne devient largement audible. Et les responsables catalans de masquer derrière cet argument leurs propres choix budgétaires entre 2010 et 2013. L'indépendantisme se nourrit d'un populisme antiespagnol encouragé par le gouvernement de Catalogne.

    Deuxième élément clef : la crise économique provoque l'affaiblissement dramatique du PSOE (Parti Socialiste). La Catalogne était un traditionnel fief électoral du PSOE: en 2008, aux élections générales, les socialistes obtiennent 25 députés sur les 47 que la Catalogne envoie à Madrid. En 2011, 14 ; en 2015, 8 ; en 2016, 7.

    La Gauche Républicaine Catalane (ERC) a vu l'occasion historique de liquider ce parti national en Catalogne. L'irruption de Podemos a achevé le processus. Si bien qu'a disparu un parti national essentiel à l'articulation des liens entre la Catalogne et le reste de l'Espagne. Le Parti Populaire a toujours été faible en Catalogne et la représentation politique semble être majoritairement nationaliste et indépendantiste.

    Troisième élément : les effets d'une politique culturelle, éducative et audiovisuelle (TV3 est une télévision publique catalane) qui ont véritablement « catalanisé » une génération. Les militants les plus radicaux sont des jeunes de moins de 40 ans… Comme l'estime l'ancien président du parlement européen, le catalan socialiste Josep Borell, « la radicalisation d'une partie de la société catalane n'est pas étrangère à une propagande systématique ». L'indépendantisme est moins une revendication venue de la société catalane qu'une instruction diffusée par les institutions catalanes.

    Le problème de l'indépendance, c'est que ce n'est qu'un slogan. Aucune discussion précise n'a eu lieu pour essayer de penser et de décrire ce que serait une Catalogne coupée de l'Espagne et hors de l'Union européenne. L'indépendance est une revendication passionnelle mais pas un projet argumenté.

    En 2012 le ministre de l'éducation nationale de l'époque José Ignacio Wert avait appelé à « espagnoliser » les jeunes catalans. Y a-t-il donc un tel hiatus culturel entre la Catalogne et l'Espagne ?

    Oui. Aujourd'hui, selon les sondages, 40% des Catalans se sentent aussi Espagnols que Catalans et seulement 25% ne se sentent que Catalans. Ce sont ces 25% qu'on entend principalement. La Catalogne comme région autonome à la compétence des questions éducatives. Elle a aussi des compétences culturelles et linguistiques.

    Tout récemment, le maire de Sabadell a proposé de modifier le nom des rues pour effacer les traces du franquisme. Parmi les noms qu'il fallait oublier, celui d'Antonio Machado (1875-1939), le grand poète libéral et laïque de l'Espagne populaire, mort à Collioure de tristesse à la suite de la victoire de Franco. Son crime : avoir écrit le recueil Champs de Castille, un hymne à l'endurance des populations rurales, humbles et pauvres !

    Une telle ignorance dit à quel point certains Catalans se sont enfermés sur eux-mêmes et vivent dans une représentation biaisée du reste du monde… et d'eux-mêmes ! L'ambition du ministre José Ignacio Wert était de remettre, par l'enseignement, un peu de liens communs entre tous les Espagnols. Il y a eu une « balkanisation » de l'éducation en Espagne qui est très regrettable. On apprend la géographie de sa communauté autonome (pas seulement en Catalogne) et on ignore celle de l'Espagne !

    Alors même que la consultation du 1er octobre a été déclarée inconstitutionnelle par le Tribunal constitutionnel espagnol, les indépendantistes poursuivent leur agenda. En cas de « oui » au scrutin, Madrid peut-elle empêcher la sécession de la Catalogne ?

    Bien entendu. Une déclaration unilatérale d'indépendance aurait un caractère absolument ridicule. Seul le Venezuela s'est déclaré prêt à reconnaître le nouvel État… L'Union Européenne insiste sur le caractère anticonstitutionnel de la démarche de Barcelone. Ce que l'on sait c'est que le gouvernement catalan a préparé une agence fiscale catalane. Il s'est aussi emparé des données de la Sécurité sociale.

    Mais de quels moyens disposerait le nouvel État fantôme ? Ce serait casser encore plus une société catalane qui est déjà fracturée.

    Ce qui est certain c'est que le gouvernement espagnol - je préfère cette expression à Madrid car en opposant Madrid et Barcelone, on oublie l'existence de 47 millions d'Espagnols - n'opposera jamais la violence à l'action des responsables catalans mais toujours les instruments de l'État de droit. Nous sommes en 2017… pas en 1936, malgré les discours délirants et irresponsables de certains.

    Quelle est l'histoire de l'indépendantisme catalan ? Pourquoi a-t-il une telle vigueur aujourd'hui ?

    Il faut distinguer l'indépendantisme et le nationalisme, ou plutôt les nationalismes.

    Ceux-ci précédent l'indépendantisme. Le nationalisme naît à la fin du XIXe siècle à la faveur d'abord d'une renaissance culturelle du catalan. La langue n'était plus qu'utilisée oralement et elle a bénéficié d'une remise en valeur écrite. Sont d'ailleurs à l'origine de ce mouvement des érudits catholiques, souvent très conservateurs ! Puis la bourgeoisie catalane a voulu faire valoir ses intérêts face à Madrid: elle est en effet protectionniste alors que les céréaliers castillans sont favorables au libre-échange. Mais d'un autre côté, le développement d'un prolétariat en Catalogne a donné des forces à la gauche et un nationalisme révolutionnaire s'est développé. Dans les années 1930, ces deux nationalismes sont concurrents… et la banque catalane financera le coup d'État des militaires de juillet 1936 pour écraser la gauche prolétaire !

    En 1977, l'ancien président en exil de la Généralité de Catalogne, Josep Tarradellas, est rétabli dans ses fonctions. C'est un accord avec le président Suárez (chef du gouvernement espagnol de 1976 à 1981). Il s'agit en effet de consolider le centre-droit et la démocratie-chrétienne contre la gauche catalane. L'opération fonctionne et Jordi Pujol (Convergence et Union) dirigera la région de 1980 à 2003 !

    Aujourd'hui, la coalition au pouvoir noue ensemble des nationalismes idéologiquement très distincts : vous avez les héritiers de Jordi Pujol mais aussi les républicains de gauche et surtout les bolcheviques de la Candidature d'Unité Populaire. Ces derniers (10 sièges au parlement de Catalogne sur 135) sont la clef qui donne la majorité absolue et tout se fait par eux, avec eux, grâce à eux et à cause d'eux.

    Or, la CUP veut voir dans l'indépendance l'occasion de la révolution sociale. D'ailleurs, ces jours-ci, les structures catalanes de Podemos rallient la revendication du référendum car les militants et leurs leaders, Pablo Iglesias et Ada Colau (maire de Barcelone) y voient l'occasion de lancer un grand mouvement contre le Parti Populaire au pouvoir à Madrid.

    On est dans une convergence d'aspirations contradictoires. Cela s'est déjà vu… en 1937 : et ce fut une guerre civile dans la guerre civile espagnole. C'est dire comme la situation de confusion est grave et combien faire de l'indépendantisme l'alpha et l'oméga de toute la politique risque de conduire à de rudes désenchantements.

    Madrid a-t-elle selon vous raison de réprimer l'organisation du référendum en allant jusqu'à emprisonner des responsables catalans ?

    Personne n'est emprisonné. La justice espagnole a lancé des procédures contre des hauts fonctionnaires qui, obéissant à un gouvernement qui excède ses compétences, sont dans l'illégalité. Un juge d'instruction (de Barcelone) a lancé une opération judiciaire. Des hauts fonctionnaires ont été entendus dans le cadre d'une garde à vue. Ils sont depuis libérés mais mis en examen. D'autres hauts fonctionnaires sont restés eux dans le cadre de la loi.

    On peut citer le secrétaire général du Parlement de Catalogne qui a refusé d'entériner le coup de force parlementaire du 6 septembre. On doit citer les juges, les policiers qui font leur travail. Comment pourrait-on leur reprocher ? Il faut aussi mesurer l'intimidation politique et administrative à laquelle sont soumis les fonctionnaires catalans. En novembre 2014, quand une première consultation fut organisée, la Généralité de Catalogne ordonna aux proviseurs des lycées d'ouvrir leur établissement. Une proviseure, Dolores Agenjo, a demandé un ordre écrit : elle ne l'a jamais reçu parce que c'était illégal. Mais elle a dû faire face à des pressions considérables. On lui doit un livre très éclairant: SOS. Séquestrée par le nationalisme (2016).

    L'action de l'État de droit espagnol vise tout simplement à protéger les citoyens espagnols en Catalogne face aux dérives d'un pouvoir qui se croit tout-puissant et qui entend forcer la démocratie.

    A-t-il jamais existé, en réalité, une nation espagnole?

    Voilà une redoutable question qui agite les Espagnols, les historiens et les penseurs depuis plusieurs siècles. Quand en 2008, l'Espagne a remporté la coupe d'Europe de football, qu'elle a répété cet exploit en 2012 et qu'entre-temps elle remporte la coupe du monde en 2010, les Espagnols se sentaient fiers de leur équipe. Quand Nadal triomphe sur les courts de tennis, les Espagnols aiment ce champion modeste, travailleur et génial. Quand en 1992, Barcelone a accueilli les Jeux Olympiques, ce fut une fierté nationale.

    Oui, il y a des moments d'unité et les Espagnols savent se reconnaître entre eux. Alors bien sûr, l'histoire de l'Espagne est marquée par des épisodes dramatiques, au premier rang la guerre civile. Les fractures sont énormes. Mais quelle nation européenne n'est pas ainsi lacérée par son histoire et ses mémoires contradictoires ? Croyez-vous que la nation italienne soit une évidence ? Et la nation allemande ? Du coup, le pessimisme historique sur l'Espagne affaiblit un sentiment national difficile.

    Ce qui manque à l'Espagne est une appréciation juste et comparée de son histoire. Trop souvent, elle porte en elle-même une vision exagérée de ses échecs ce qui conduit à un discours sévère sur le pays. Mais c'est manquer de vision : ce pays existe. Attention aux instrumentalisations de l'histoire. Quand la Catalogne a-t-elle été une nation indépendante ? Il y a mille ans… et le concept de nation n'a pas alors le sens qu'on lui donne.

    Une nation, c'est une histoire commune : comment douter qu'existe en Espagne une histoire commune ? Une nation, c'est une culture : comment douter que l'Espagne a fourni une manière de dire la vie, de la traduire et de la comprendre ? Une nation, c'est un peuple : or le peuple espagnol existe, comme réalité politique et constitutionnelle mais aussi comme réalité singulière en Europe. Une nation, c'est également la manière dont les autres pays la voient. Or, qui, dans le monde, doute de l'existence de l'Espagne ?  

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    Agrégé d'histoire et ancien élève de l'Ecole normale supérieure, Benoît Pellistrandi est professeur en classes préparatoires au lycée Condorcet à Paris et spécialiste de l'histoire espagnole. Il a notamment publié Histoire de l'Espagne. des guerres napoléoniennes à nos jours chez Perrin en 2013.

    Lire dans Lafautearousseau ... 

    Barcelone : « No tinc por  »

  • La guerre du vocabulaire. Ou comment réapprendre à parler sans se soumettre aux censeurs

     

    Par  Mathieu Bock-Côté

    Dans cette tribune du Journal de Montréal [19.09], Mathieu Bock-Côté traite des interdits qui pèsent sur certains mots du vocabulaire de notre famille de pensée. A chacun d'eux, il restitue sons sens vrai ; il montre les réalités profondes que ces mots proscrits recouvrent et saisit l'occasion pour rappeler quelques vérités essentielles et profondes. Qui valent dans son Québec natal, comme elle valent en France et en Europe. Mathieu Bock-Côté finit toujours par aller à l'essentiel, par le faire découvrir. Et c'est, pour l'esprit, une joie vraie.  En reprenant nombre de ses publications, tout simplement, nous la faisons partager. LFAR

     

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    De bons amis, soucieux de notre bonne réputation, disent souvent aux nationalistes québécois: n'utilisez pas le mot « identitaire » lorsque vous parlez de votre vision du Québec, il est contaminé par les groupuscules qui le revendiquent. Identitaire serait un mot toxique, à proscrire.

    Ces mêmes amis nous disent : n'utilisez pas le mot « conservateur », il vous fera passer pour des nostalgiques de Stephen Harper. Il témoigne d’une psychologie du repli sur soi, presque antimoderne.

    Ces mêmes amis poursuivent : ne vous dites pas « nationalistes», ce mot, en Europe, est associé à l'extrême-droite.

    Et il arrive même que ces amis nous disent : souverainiste, c'est un mot qui laisse croire que vous êtes fermé à la mondialisation. À tout le moins, en France, on en fait un symbole de fermeture.

    À ce rythme, nous finirons par ne plus rien dire. 

    Certes, le langage est l'objet d'un débat politique. Chacun cherche à imposer son vocabulaire à l'adversaire : on veut survaloriser ses propres mots et dévaloriser ceux du camp d'en face. C’est ainsi depuis toujours et cela ne changera pas demain.

    Mais je constate que ceux qui sont attachés à la cause nationale se laissent intimider par ceux qui cherchent chaque fois à disqualifier leur vocabulaire. Ils se laissent piéger. Ils ne savent plus trop comment parler.

    Retrouvons le sens premier de ces mots.

    Identitaire ? On réfère ainsi à la part existentielle de la communauté politique. On rappelle qu’elle n’est pas un pur artifice juridique et qu’elle s’est nouée dans la culture et l’histoire. On rappelle qu’un corps politique est nécessairement historique et qu’aucune nation ne saurait durer sans le souci de sa singularité, sans le désir de persévérer dans son être.

    Conservateur ? Le conservatisme est une philosophie de l’enracinement, qui rappelle que l’homme est un héritier, et qu’il doit s’inscrire dans une histoire particulière pour accéder à l’universel. Le conservatisme incite aussi à se méfier des fausses promesses de la modernité et de ses dérives, ce qui ne veut pas dire qu’il la congédie en elle-même.

    Nationaliste ? Ce mot est inscrit dans notre histoire. Il désigne une fidélité première au Québec et rappelle que jamais notre existence nationale ira sans combat en Amérique. Je veux bien croire qu’il change de signification en traversant l’Atlantique mais on ne saurait pour cela abolir la culture politique québécoise qui rend compte des singularités de notre aventure collective.

    Souverainiste ? Lui aussi est inscrit dans l’histoire politique du Québec : c’est ainsi qu’on a nommé la quête d’indépendance depuis la Révolution tranquille. Quand on nous invite à utiliser un autre terme parce que celui-là, en Europe, serait connoté à droite, on en vient encore une fois à dissoudre la singularité québécoise dans un contexte qui n’est pas le sien.

    On me répondra : ne nous disputons pas pour des mots. Et pourtant il faut le faire. Parce qu’à bannir sans cesse des mots, c’est la possibilité d’exprimer certaines idées qu’on en vient à censurer. À force de se soumettre à la police du langage, on développe un très fort réflexe d’autocensure, on ne parvient plus à parler librement, et à terme, on en vient à penser contre soi, de peur de heurter les gardiens de la rectitude politique.     

    Mathieu Bock-Côté

    Mathieu Bock-Côté est docteur en sociologie, chargé de cours aux HEC à Montréal et chroniqueur au Journal de Montréal et à Radio-Canada. Ses travaux portent principalement sur le multiculturalisme, les mutations de la démocratie contemporaine et la question nationale québécoise. Il est l'auteur d'Exercices politiques (VLB éditeur, 2013), de Fin de cycle : aux origines du malaise politique québécois (Boréal, 2012) de La dénationalisation tranquille (Boréal, 2007), de Le multiculturalisme comme religion politique (éd. du Cerf, 2016) et de Le Nouveau Régime (Boréal, 2017).

  • Où Simone Weil pointe l'une des maladies les plus dangereuses de l'âme et des sociétés humaines ...

     

    « L'enracinement est peut-être le besoin le plus important et le plus méconnu de l'âme humaine… Le déracinement est de loin la plus dangereuse maladie des sociétés humaines. » 

     

    Simone Weil

    L'Enracinement - Prélude à une  déclaration des devoirs envers l'être humain, Gallimard (Folio)

  • Jean-Christophe Buisson : La stratégie de Mélenchon ressemble à celle de Lénine en 1917

     

    Entretien par  

    [Figarovox, 22.09]

    Appels répétés à la manifestation, refus d'alliance avec quiconque à gauche... Les méthodes et la rhétorique de Jean-Luc Mélenchon rappellent celles de Lénine, analyse Jean-Christophe Buisson. Pour lui, la prise de pouvoir par les Bolcheviques hante et inspire le chef des Insoumis. Une comparaison intéressante qui éclaire sur la personnalité de Jean-Luc Mélenchon.  LFAR

     

    4092689597.jpgVous avez écrit un livre sur l'année 1917. Peut-on considérer que le mouvement mené par Lénine cette année-là puisse inspirer Jean-Luc Mélenchon. Existe-t-il des correspondances ? 

    Militant trotskiste dans ses jeunes années, Jean-Luc Mélenchon connaît sur le bout des doigts les détails de la révolution russe de 1917. Je ne peux pas croire qu'il ne soit pas hanté, en cette période où on commémore le centenaire du coup d'Etat bolchevik, par la manière dont Lénine (flanqué de Trotski pour l'aspect militaire) a réussi à s'emparer du pouvoir politique au gré de circonstances qu'il a en partie favorisées.

    Ces circonstances, quelles sont-elles ? Durant l'hiver 1917, un vaste mouvement dégagiste naît en Russie : fatigue de la guerre et rébellion contre un commandement souvent incompétent et brutal (le pays compte près d'un million de déserteurs, d'« insoumis » refusant de continuer à servir sous les drapeaux impériaux), rejet d'un système politique autoritaire à bout de souffle, désir de changement réel, notamment dans les campagnes où prévaut une organisation quasi féodale, etc. Ce mouvement se cristallise en février-mars 1917 avec des manifestations populaires qui aboutissent au renversement de la monarchie russe. Lui succède un gouvernement provisoire qui maintient la révolution à un niveau « dantonien » : des terres sont redistribuées, un vaste assouplissement des institutions est organisé, la Russie maintient ses alliances militaires traditionnelles en continuant à faire la guerre aux empires centraux aux côtés des Alliés, etc.

    La révolution à petits pas, en quelque sorte. Or, pendant ce temps, que fait Lénine, dont tous les écrits montrent qu'il est obsédé par la figure de Robespierre et convaincu que seule une violence extrême peut accoucher d'un monde nouveau ?

    Lui-même, qui avait dit récemment craindre de ne pas voir de son vivant une révolution, revient en Russie grâce à la bienveillance des Allemands et s'installe comme premier opposant au pouvoir réformiste en place en prônant une véritable révolution, considérant que le régime en train de se mettre en place ne va pas assez loin dans le changement.

    Via les soviets de soldats, d'ouvriers et de paysans élus au printemps, les responsables bolcheviks, quoique minoritaires dans le pays (le parti ne compte que quelques milliers d'adhérents), harcèlent le gouvernement et encadrent les mécontentements sociaux qui se font jour dans le pays. On est alors un peu dans la France de l'été 2017…

    En quoi la terminologie de la France Insoumise rappelle celle de 1917 en Russie ?

    La violence de la terminologie, que relate dans ses détails Stéphane Courtois dans sa biographie éblouissante de Lénine, « inventeur du totalitarisme », est connue. Elle se résume en quelques idées qui sonnent avec une certaine familiarité à nos oreilles.

    Selon lui, la légitimité démocratique (sinon électorale) née de la révolution de février-mars doit céder le pas à celle de la rue, qui se manifeste quotidiennement dans des manifestations encouragées par les bolcheviks contre la faim, la guerre, les inégalités sociales, etc.

    Il est temps pour le peuple, dit-il, de « déferler » dans toute la Russie pour en finir avec le gouvernement provisoire bourgeois. Le but est de « conquérir le pouvoir » - par la force, s'il le faut.

    Selon Lénine, il y a eu une sorte de confiscation de la révolution qui n'a pas tenu ses promesses sociales. Un « coup d'Etat social » , en quelque sorte…

    Au-delà des vocabulaires qui se ressemblent, les situations sont tout de même extrêmement différentes. Est-ce que votre analogie n'est pas un peu forcée ?

    Comparaison n'est pas raison mais observons de près les choses et acceptons d'être un peu troublés.

    L'homme qui a accédé au pouvoir après la révolution dégagiste de février-mars 1917 s'appelle Alexandre Kerenski. Il n'a pas 40 ans, vient de la société civile (il est avocat), séduit les foules par sa jeunesse, sa beauté, son charisme, son aisance oratoire, son romantisme, son talent à se mettre en scène.

    Une fois nommé à la tête du gouvernement provisoire (après avoir fait partie du gouvernement précédent…), au début de l'été 17, il s'applique à réformer le pays mais en se refusant à un extrémisme socialisant. Au point que les membres du parti KD (constitutionnel-démocrate), de centre-droit, le soutiennent parfois.

    De l'autre côté de l'échiquier politique, que se passe-t-il ? A la tête d'un mouvement, je le répète, très minoritaire, Lénine suit une stratégie qui peut paraître étonnante  : pas d'ami à gauche. Plutôt que de s'attaquer frontalement à Kerenski, il n'a de cesse d'attaquer les rivaux de son propre camp (mencheviks, socialiste-révolutionnaires, etc) et de refuser toute alliance avec ceux que son ami Trotski, dans une formule célèbre vouera bientôt à « finir dans les poubelles de l'Histoire ».

    Son objectif ? Etre le seul à incarner une véritable opposition à Kerenski. Lénine est persuadé que celui-ci va devenir impopulaire par sa politique et sombrer dans une forme d'hubris qui détournera ses admirateurs de février de leur passion initiale. Et c‘est ce qui arrive.

    Ivre de son pouvoir, Kerenski multiplie les fautes. La plus remarquable : chasser brutalement de l'état-major de l'armée son chef, le général Broussilov - coupable de ne pas lui avoir envoyé une garde digne de son nom à la descente d'un train.

    On peut imaginer que Mélenchon trouve dans toutes ces anecdotes certaines analogies avec la situation actuelle. Quand celui-ci passe son temps à tancer ses concurrents à gauche (Hamon Laurent, etc), il est pour moi dans une stratégie très léninienne.

    Quel est l'objectif de cette stratégie ?

    D'abord, faire en sorte qu'il soit le seul adversaire digne de ce nom du pouvoir en place. La droite étant en pleine (et pénible) réorganisation, l'extrême-droite en train d'exploser, il ne lui restait qu'à imposer son leadership (fût-il provisoire) à gauche : c'est fait.

    Susciter une agitation sociale dans tous les secteurs de l'économie (fonctionnaires, retraités, ouvriers, jeunes, etc.) sans qu'il en apparaisse forcément l'organisateur: c'est fait - même si sa tentative de prendre le contrôle du syndicat étudiant UNEF il y a quelques semaines a échoué.

    Attendre que les mouvements de révolte sociale et syndicale coagulent et suscitent un rejet du gouvernement, créant les conditions d'une prise de pouvoir dans un minimum de violence (ce qui fut le cas en octobre-novembre 1917, n'en déplaise aux historiens marxistes décrivant la prise du Palais d'Hiver en geste héroïque quand elle n'aura mobilisé que quelques centaines de combattants, le pouvoir étant tombé alors comme un fruit mûr), ce n'est certes pas fait.

    Mais c'est sans doute le rêve de Mélenchon, 66 ans, qui n'a sûrement pas envie d'attendre quatre ans pour diriger la France. N'a-t-il pas lui-même dit qu'il ne se représenterait pas en 2022 à l'élection présidentielle ?

    En ce cas, comment compte-t-il accéder au pouvoir suprême sinon au bénéfice d'une situation de type de celle de la Russie de l'automne 1917 ?   

    Jean Christophe Buisson est écrivain et directeur adjoint du Figaro Magazine. Il présente l'émission hebdomadaire Historiquement show4 et l'émission bimestrielle L'Histoire immédiate où il reçoit pendant plus d'une heure une grande figure intellectuelle française (Régis Debray, Pierre Manent, Jean-Pierre Le Goff, Marcel Gauchet, etc.). Il est également chroniqueur dans l'émission AcTualiTy sur France 2. Son dernier livre, 1917, l'année qui a changé le monde, vient de paraître aux éditions Perrin.

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    1917, l'année qui a changé le monde de Jean-Christophe Buisson, Perrin, 320 p. et une centaine d'illustrations, 24,90 €.

    Vincent Trémolet de Villers

    Vincent Trémolet de Villers est rédacteur en chef des pages Débats/opinions du Figaro et du FigaroVox 

  • AUJOURD'HUI : FILM « LA RÉBELLION CACHÉE » à NANCY

     

    1158c.JPGRetenez dès maintenant la date du  lundi 25 septembre 2017.

    Ce jour là, à Nancy, sera projeté le film « La rébellion cachée » de Daniel Raboudin. Ce film rend hommage aux martyrs vendéens.

    L’auteur du film devrait être présent.

    Il sera projeté dans la salle Saint Jean-Paul II sous la basilique Notre Dame de Lourdes. Ce sera la séance d’inauguration du nouveau club de cinéma chrétien.

    Plus de précisions prochainement, mais prévoyez dès maintenant d’être présent et invitez vos amis.  

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  • Société • PMA-GPA : Quand Michel Onfray est lumineux et vrai philosophe

     

     

     

    Par  Alexandre Devecchio 

    VIDEO - Pour Michel Onfray, l'ouverture de la PMA aux femmes célibataires et aux couples lesbiens est un pas de plus vers la gestation pour autrui (GPA). Mais il dit bien plus que cela : c'est une réflexion philosophique, anthropologique, très sûre qu'il développe ici avec clarté. [Figarovox, 23.09]. Alexandre Devecchio en dresse un excellent résumé, mais l'on devra voir la vidéo elle-même qui peut être regardée en plein écran.  LFAR

     

    La PMA pour toutes ne fait pas seulement sursauter les militants de Sens commun et les « lodens » de la Manif pour tous.

    C'est peut-être à gauche que les réactions à la proposition de Marlène Schiappa d'ouvrir la procréation médicalement assistée aux femmes célibataires et aux couples de femmes de même sexe ont été les plus virulentes. Après l'édito à charge de Charlie Hebdo et l'entretien sans concession de la sociologue Nathalie Heinich dans le Figaro, c'est Michel Onfray qui réagit sur Michel Onfray TV. Pour le philosophe, cette proposition repose sur une « fiction idéologique », sur l'idée fausse que « la nature n'existe pas et que tout est culture: qu'il n'y pas de sexe, pas d'homme, de femme, d'hormone femelle, d'hormone mâle, que les testicules et les ovaires n'existent pas non plus.».

    Michel Onfray dénonce également la « sophistique » égalitariste du gouvernement. Selon lui, justifier la PMA pour toutes « au nom de l'égalité » ouvre logiquement la porte à la gestation pour autrui (GPA). « Au nom de cette logique d'égalité, il n'y a pas de raison que les couples d'hommes n'aient pas le droit, comme les couples de femmes, de recourir à la procréation médicalement assistée, donc à la GPA », prévient le philosophe. Michel Onfray voit dans la gestation pour autrui le symbole de l'inégalité entre les plus aisés et les plus modestes. « Au nom de l'égalité, nous allons vers la prolétarisation des utérus des femmes les plus pauvres », conclut-il.  •

    1630167502.jpgXVM8d8b71a4-8f2b-11e7-b660-ef712dd9935a-150x200.jpgAlexandre Devecchio est journaliste au Figaro, en charge du FigaroVox. Il vient de publier Les Nouveaux enfants du siècle, enquête sur une génération fracturée (éd. du Cerf, 2016) et est coauteur de Bienvenue dans le pire des mondes (éd. Plon, 2016).

    Alexandre Devecchio

  • Histoire & Actualité • Le Code noir de Colbert fut un immense progrès !

     

    Par Richard Hanlet
     
    Une excellente réflexion [Boulevard Voltaire, 22.09] qui vient s'ajouter aux nôtres (liens ci-dessous) sur le même sujet.  LFAR 
     

    23176e270b3947c73c7ca2d302a17c79.pngOn sait que les délires américains du politiquement correct mettent un certain temps à traverser l’Atlantique. Mais ils finissent toujours par nous arriver. Et, apparemment, le mouvement s’accélère.

    À peine levée la vague de retraits des symboles confédérés des espaces publics aux États-Unis, voici que le CRAN (Conseil représentatif des associations noires) invite à « débaptiser les collèges et lycées Colbert ». Pour son président, poste qui apparemment nourrit bien son homme, « le ministre de Louis XIV est celui qui jeta les fondements du Code noir, monstre juridique qui légalisa ce crime contre l’humanité ».

    En réalité, ce code visait à préciser le statut civil et pénal des esclaves qui, auparavant, n’en avaient aucun. Selon Wikipédia, ses textes consacrent « le principe chrétien de l’égalité ontologique de tous les hommes, par-delà leurs conditions sociales et leurs races. Ils prévoient donc le baptême, l’instruction et les mêmes pratiques et sacrements religieux pour les esclaves que pour les hommes libres. De ce fait, les esclaves ont droit au repos du dimanche et des fêtes, la possibilité de se marier solennellement à l’église, d’être enterrés dans les cimetières, d’être instruits. Les maîtres ne peuvent ni torturer de leur propre chef, ni mettre à mort leurs esclaves » (art. 43). Le Code noir prévoit aussi que les esclaves ont la possibilité de se plaindre auprès des juges locaux en cas d’excès ou de mauvais traitements (art. 26). On pourrait voir, là, une ébauche des droits de l’Homme noir partant de bons sentiments, surtout à une époque où, « en métropole », le servage existait encore, et où il suffisait d’être déserteur ou fraudeur de la gabelle pour se retrouver sur une galère. À Paris, c’était même la peine prévue pour ceux qui auraient brisé les lanternes d’éclairage des rues de la ville ! (On rêverait que le même châtiment soit rétabli pour les casseurs des manifestations…)

    Colbert serait-il moins estimable qu’Abraham Lincoln, icône de la bien-pensance, qui, deux siècles après le Code noir, affirmait encore : « Je ne suis pas ni n’ai jamais été pour l’égalité politique et sociale des Noirs et des Blancs […] il y a une différence physique entre la race blanche et la race noire qui interdira pour toujours aux deux races de vivre ensemble dans des conditions d’égalité sociale et politique » ? Gageons que le CRAN exigera promptement le retrait de son effigie du billet de cinq dollars…

    Juger des événements historiques à l’aune des valeurs d’aujourd’hui est évidemment une pure bouffonnerie. Le thème de l’esclavage ne sert qu’à culpabiliser les Blancs, alors que ce sont les seuls qui, dans l’Histoire, l’aient aboli dans les territoires soumis à leur contrôle, et qu’il persiste encore aujourd’hui, tout particulièrement en terre d’islam. 

    Débaptiser les lycées Colbert, chiche ! Mais allons jusqu’au bout, débaptisons les lycées Jules-Ferry : « Il faut dire ouvertement qu’en effet les races supérieures ont un droit vis-à-vis des races inférieures. Parce qu’il y a un devoir pour elles. Elles ont un devoir de civiliser les races inférieures. » Puis les rues Léon-Blum : « Nous admettons le droit et même le devoir des races supérieures d’attirer à elles celles qui ne sont pas parvenues au même degré de culture. »

    « Le raciste s’exaspère, parce qu’il soupçonne, en secret, que les races sont égales ; l’antiraciste également, parce qu’en secret, il soupçonne qu’elles ne le sont pas » (Nicolás Gómez Dávila).  •   

  • Famille de France • Le Duc et la Duchesse de Vendôme, invités d’honneur des 900 ans de l’Abbaye de Josaphat

     

    Le vendredi 15 septembre, Leurs Altesses Royales, le duc et la duchesse de Vendôme, étaient à Lèves pour assister à l’inauguration officielle d’une plaque célébrant les 900 ans de l’abbaye de Josaphat.

    L’héritier de la Maison royale de France est venu à cette inauguration accompagné de Stéphane Bern et de Victor Provôt, le Maire de Thiron-Gardais. 

    À l’occasion de cette cérémonie, le prince a pu s’entretenir avec Monseigneur Pansard évêque de Chartres, les sénateurs Albéric de Montgolfier et Chantal Deseyne.

    Située en Eure-et-Loir, l’Abbaye de Josaphat est l’ancienne nécropole des évêques de Chartres, malheureusement détruite en partie lors de la Révolution Française.

    À l’occasion des 900 ans de l’abbaye Notre-Dame de Josaphat, la ville de Lèves, l’association des Amis de l’abbaye de Josaphat et la Fondation d’Aligre, mettent à l’honneur ce site patrimonial fondé en 1117 par l’évêque de Chartres, Geoffroy de Lèves, afin soutenir la préservation de ce patrimoine aujourd’hui en danger et afin de financer la restauration des vestiges de l’Abbaye de Josaphat et des éléments patrimoniaux de la Fondation d’Aligre.  

     

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    La Couronne

  • Société • Le téléphone qui rend imbécile

     

    Par  Mathieu Bock-Côté

    Nous avons beaucoup aimé cette tribune publiée jeudi dernier dans le Journal de Montréal [21.09]. Elle nous rappelle ce que nous avons lu ou entendu sur ce sujet, venant de Fabrice Hadjadj, de Michel Onfray, de Régis Debray ou d'Alain Finkielkraut. Pointant les pédagogues qui rêvent d'intégrer à l'école « tous les écrans possible », sa conclusion est souveraine : c'est « comme s’ils voulaient accélérer le désastre.  »  LFAR

     

    501680460.5.jpgOn a beaucoup parlé, la semaine dernière, du iPhone X, le nouveau téléphone intelligent d’Apple, qui se vendra plus de 1000 $ et qui intégrera un système de reconnaissance faciale.

    Il faut dire qu’on parle toujours du « nouveau iPhone », dès qu’il est annoncé. C’est presque un rituel qu’Apple nous impose, à la manière d’une nouvelle église, qui sait garder et exciter ses fidèles.

    En temps et lieu, ils se rueront sur l’objet de leur désir comme si leur vie en dépendait. Et le système médiatique se soumet plus que docilement à tout cela. 

    iPhone

    Il y a comme un suspense Apple. De quelle manière la compagnie nous surprendra-t-elle ? Quelle sera la dernière innovation qui bouleversera nos vies ? 

    Certains justifieront cette mise en scène à cause de la place que le téléphone intelligent prend dans nos vies. Il est vrai que nos contemporains passent désormais une partie importante de leur vie à n’en jamais détourner le regard, comme s’ils étaient hypnotisés par lui.

    Dans la rue, ils regardent leur écran. Au restaurant, ils regardent leur écran. Au souper, à la maison et en famille, ils regardent leur écran. Même lorsqu’ils vont au musée, ils ne regardent plus les œuvres directement, ils les prennent en photo avec leur téléphone, comme si leurs yeux ne pouvaient plus se passer du filtre de l’écran.

    C’est à travers l’écran qu’ils abordent le monde et c’est vers lui qu’ils se réfugient systématiquement, dès qu’ils ont le moindre malaise.

    On peut croire qu’au fond de lui-même, le commun des mortels sent que ce monde est absurde. Qu’à se rendre absolument dépendant de son téléphone intelligent, on se soumet à un esclavage imbécile.

    De temps en temps, il se révolte, il n’en peut plus... et le ferme pour une heure. C’est presque une victoire. Il se délivre. Mieux, il se libère. C’est un peu comme s’il voulait s’arracher à une domination, mais très vite, il retourne vers son maître.

    À la campagne, dans la forêt, s’il constate qu’il n’a pas de réseau, il paniquera. Il se sent coupé du monde parce qu’on lui a fait croire qu’il avait accès à presque la totalité de l’univers avec sa machine.

    Personne ne s’imagine un instant que nous pourrions revenir dans le monde d’avant. Qui le souhaiterait vraiment, d’ailleurs ?

    Mais le vieux dilemme revient : ou nous dominons la technologie, ou elle nous domine.

    Résister

    Évidemment, ce n’est pas aussi simple. Mais il faut quand même se demander si, comme civilisation, nous entendons résister à ce nouveau conditionnement qui place Apple et compagnie à la tête de notre gouvernement mental.

    Théoriquement, l’école devrait résister à cette manie et apprendre aux jeunes générations l’existence d’un monde délivré de l’écran. Elle devrait cultiver l’amour immodéré du livre.

    Hélas, plusieurs pédagogues rêvent plutôt de la rallier à cet univers, en intégrant tous les écrans possibles dans leurs classes. Comme s’ils voulaient accélérer le désastre.    

    Mathieu Bock-Côté

    Mathieu Bock-Côté est docteur en sociologie, chargé de cours aux HEC à Montréal et chroniqueur au Journal de Montréal et à Radio-Canada. Ses travaux portent principalement sur le multiculturalisme, les mutations de la démocratie contemporaine et la question nationale québécoise. Il est l'auteur d'Exercices politiques (VLB éditeur, 2013), de Fin de cycle : aux origines du malaise politique québécois (Boréal, 2012) de La dénationalisation tranquille (Boréal, 2007), de Le multiculturalisme comme religion politique (éd. du Cerf, 2016) et de Le Nouveau Régime (Boréal, 2017).

  • Charlie Hebdo contre la PMA

     

    par Gérard Leclerc

    Nous ne sommes toujours pas Charlie. Mais tout à fait d'accord, en l'occurrence, avec Gérard Leclerc.  LFAR

     

    2435494823.jpgÉmoi chez beaucoup de lecteurs de Charlie Hebdo, Caroline Fourest, son ancienne collaboratrice est contrariée.

    Il y a de quoi. L’éditorialiste de l’hebdomadaire anarchiste – comment l’appeler autrement ? - émet de sérieuses objections à l’ouverture de la procréation médicalement assistée à toutes les femmes.

    L’attaque est même directe à l’encontre de Marlène Schiappa, qui a récemment rappelé qu’il s’agissait d’une promesse de campagne d’Emmanuel Macron et qu’elle serait suivie d’effet. Revendiquer la PMA au nom de la justice sociale, écrit Gérard Biard l’éditorialiste, est parfaitement absurde : « Sauf à considérer qu’il y a bien un “droit à l’enfant” - ou plutôt à produire un enfant – et que l’on veut absolument, quel qu’en soit le prix, promouvoir une société ou un gosse, c’est comme une Rolex, si on n’en a pas un à 40 ans, c’est qu’on a raté sa vie. Ne serait-il pas plus simple, et pour le coup plus juste, d’avoir enfin le courage politique de dire que ne pas avoir d’enfant(s) n’est pas une maladie bien grave ? »

    Non content de tenir ce discours ferme dans son éditorial, Charlie Hebdo publie également un long entretien avec le professeur Jacques Testart, pionnier de la PMA puisqu’il permit la naissance du premier bébé éprouvette en 1982, mais qui, depuis lors, n’a jamais cessé de dénoncer le danger d’un processus qui amène à la fabrication d’enfants objets : « Tout ça concourt à préparer une véritable révolution dans l’espèce, où l’on fabriquera, au sens industriel du terme, des bébés. »

    Et d’expliquer très clairement les conséquences de la privation d’un père. Beaucoup d’enfants nés d’une insémination artificielle « sont aujourd’hui sur le divan d’un psychanalyste et ils souffrent. Est-ce qu’on a le droit de fabriquer, délibérément, un enfant orphelin de ses racines génétiques ? » Et Jacques Testart de dénoncer le principe du droit à l’enfant, qui est, pour lui, monstrueux : « On a le droit a des objets et pas à tous d’ailleurs, mais on n’a pas le droit à une personne ! »  •

    Gérard Leclerc

    Chronique diffusée sur Radio Notre-Dame le 21 septembre 2017.

  • Pourquoi le CRAN ne demande-t-il pas de débaptiser les écoles, collèges, lycées et rues Victor Hugo, Jean Jaurès, Léon Blum et Edouard Herriot ?

     

    Par Bernard Lugan

     

    1275257356.jpgLe journal Le Monde nous apprend que le CRAN (Conseil représentatif des associations noires de France) organisation ultra confidentielle mais percevant des subventions prélevées sur les impôts des Français, fait actuellement circuler une singulière pétition ayant pour cible le grand ministre que fut Colbert.

    Parmi les signataires de cette pétition, on relève les noms de Lilian Thuram (footballeur), Harry Roselmack (journaliste) et Rokhaya Diallo (journaliste-documentaliste). 

    Egalement celui d’une certaine Mireille Fanon-Mendès-France qui se présente comme « ancienne présidente du groupe d’experts de l’ONU sur les personnes d’ascendance africaine » (???). Ce titre ronflant fait d’elle, et en toute modestie, la porte-parole auto-proclamée de plus d’un milliard d’hommes et de femmes, ce qui n’est pas rien… Il pousse également à poser la question de savoir qui est l’actuel(le) président(e) de cet organisme et quels émoluments il (elle) perçoit du « machin » auquel la France, 5° contributeur à son budget ordinaire, verse annuellement 122,6 millions de dollars US prélevés, là encore, sur les impôts des Français.

    La pétition du CRAN demande rien de moins que de débaptiser les collèges et les lycées portant le nom de Jean-Baptiste Colbert et de déboulonner ses statues au motif qu’il « fonda la Compagnie des Indes occidentales, compagnie négrière de sinistre mémoire ».

    Mais pourquoi donc le CRAN s’en tient-il à Colbert ? Au nom du « vivre ensemble » et de l’antiracisme, n’est-il en effet pas nécessaire et plus urgent, de débaptiser les édifices publics portant les noms de Victor Hugo, Jean Jaurès, Léon Blum et Edouard Herriot… pour commencer. La liste est en effet longue de ces personnalités constituant le panthéon de nos gloires républicaines et laïques, de ces figures montrées en exemple de la défense des droits de l’homme, de la tolérance, de la fraternité universelle et qui, en réalité, seraient d’horribles racistes-colonialistes dont les propos abjects font penser aux plus sombres heures de notre passé colonial-esclavagiste. Que l’on en juge :

    Victor Hugo, qui a donné son nom à 2555 rues et avenues de France, juste derrière Louis Pasteur, ce chantre de la liberté, n’hésita pas à afficher un détestable mépris à l’égard des Africains auxquels il alla jusqu‘à contester l’appartenance au genre humain :

    « L’Asie a son histoire, l’Amérique a son histoire, l’Australie même a son histoire qui date de son commencement dans la mémoire humaine, l’Afrique n’a pas d’histoire ; une sorte de légende vaste et obscure l’enveloppe.(…) Le Blanc a fait du Noir un homme (…) Emparez-vous de cette terre. Prenez-là. A qui ? à personne. »

    Concernant la conquête coloniale, cette forme moderne de l’esclavage selon le CRAN, Jean Jaurès dont 2215 voies, rues, boulevards ou avenues portent le nom considérait que :

    « La France a d’autant le droit de prolonger au Maroc son action économique et morale que (…) la civilisation qu’elle représente en Afrique auprès des indigènes est certainement supérieure à l’état présent du régime marocain »

    Léon Blum et Edouard Herriot ne sont pas dans le « top 10 » des noms de rues et voies, ce qui est heureux, même si des centaines d’écoles, collèges, lycées, maisons de la culture, portent encore leurs noms. Leurs cas sont en effet encore plus graves que ceux de Victor Hugo et de Jean Jaurès. Celui de Léon Blum est même emblématique. Cet internationaliste aux mains pures, ce défenseur de Dreyfus, cet indéfectible soutien des « républicains » espagnols devenu éminente personnalité du Front populaire, compterait en effet, aux côtés d’Arthur de Gobineau, de Vachet de la Pouge et même du taxinomiste racial George Montandon, parmi les théoriciens (horresco referens !) de l’inégalité des races puisque, cause aggravante, ce fut devant les députés qu’il osa déclarer, l’hémicycle en frémit encore, que :

    « Nous admettons le droit et même le devoir des races supérieures d’attirer à elles celles qui ne sont pas parvenues au même degré de culture ».

    Toujours devant les députés, Edouard Herriot, cette icône de la fraternité laïque, ce chantre de la tolérance républicaine si chère aux Lyonnais, ce frère de tous les humains, ce croisé du suffrage universel, n’a, quant à lui, pas craint d’oser dire que :

    « Si nous donnions le droit de vote aux peuples de l’Empire, la France deviendrait la colonie de ses colonies ».

    Alors, oui, amplifions le grand mouvement de nettoyage de l’histoire de France lancé par le CRAN, qui n’en manque décidémment pas, et établissons au plus vite des listes de personnalités qui ne méritent plus d’être respectées. Au nom de l’antiracisme et de l’amour du genre humain, épurons ! Epurons ! Epurons ! Et que revienne le temps béni des Fouquier Tinville, Carrier ou Collot d’Herbois…  

    Blog officiel de Bernard Lugan

     

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  • Le dernier numéro de La Nouvelle Revue Universelle vient de paraître : été 2017

     

    Un numéro qui propose de nouveau un dossier exceptionnel ... Lecture recommandée ! 

    NRU - Copie (2).jpg

  • Un « maurrassien » d'Outre-Atlantique qui n'est pas le premier venu

    Charles Mauras, Stephen Miller 

     

    En deux mots.jpgConnaissez-vous Stephen Miller ?

    Il né à Santa Monica, en Californie, Etats-Unis, dans une famille juive aisée, le 23 août 1985. Il a 32 ans, a étudié à l'université de Duke, puis a exercé le très moderne métier de « communiquant » ; enfin il est nommé en 2017 « Haut conseiller politique du président des Etats-Unis ». 

    Tout New-York se demandait, paraît-il, hier, si ce serait lui qui écrirait le discours de Donald Trump à l'ONU. C’est ce que nous apprend MSN, et bien autre chose de plus important : « Les mauvaises langues rappellent que Miller a comme livre de chevet, parmi d’autres, l’œuvre de Charles Maurras. Inutile d'ajouter dès lors que cette inspiration contribuera à donner un discours très ethnocentré à l’ONU, sévère pour cette institution, accusée par Trump lui-même il y a quelques années d’être minable, d'abriter des gens qui y bavardent sans rien faire. » 

    Ainsi, Maurras n'est pas M le maudit pour tout le monde. Pas plus Outre-Atlantique qu’en vérité en France et ailleurs. Cette condition qui lui est faite est l’un des aspects de la réalité de sa destinée politique et littéraire. Elle est artificiellement maintenue par nos élites politiques, médiatiques et, en partie, intellectuelles. Et, quelques fois encore, par de vieux maurrassiens complexés. Elle est une réalité secondaire et nous aurions tort aussi bien de la nier que de la mettre en avant. Dans la réflexion politique contemporaine, en vérité, et même si tout est fait pour ne pas avouer la place qu’il tient, Maurras est bien plutôt, selon l’expression d’Olivier Dard, ce « contemporain capital » qu’il n’est ni inutile, ni ringard de lire. Bien des signes, bien des choses le montrent, que nous n’allons pas détailler ici. 

    Stephen Miller, par exemple, lit Maurras, y puise son « inspiration ». L’oeuvre de Maurras, nous dit-on, est sur la table de chevet de ce jeune-homme de 32 ans. Et figurez-vous qu’accessoirement, il écrit les discours du président des Etats-Unis. •

     Retrouvez l'ensemble de ces chroniques en cliquant sur le lien ci-dessous

    En deux mots, réflexion sur l'actualité

  • Entretenir la flamme ? Avis contradictoires dans les commentaires ...

     

    1417414836 - Copie.jpgLe Lundi de Louis-Joseph Delanglade que nous avons publié hier - Entretenir la flamme - a suscité aussitôt des commentaires intéressants et, d'ailleurs, contradictoires. Nous avons retenu les deux premiers qui sont argumentés et opposés. On les lira avec intérêt.  LFAR

     

    Le commentaire de Pierre Builly

    Presque en rien d'accord avec cet édito : j'ai ressenti, pour ma part, une immense joie par cette désignation. Après les échecs enregistrés pour les Jeux de 1992, 2008 et 2012, Paris ne pouvait pas renoncer à organiser l'événement mondial sportif le plus important qui se puisse.

    Les avoir obtenus, dans le « deal » que le CIO a proposé avec Los Angeles, n'était pas anodin ni facile : il fallait surtout tenir bon sur 2024, ne laisser aucune échappatoire permettant de penser que notre Capitale pourrait se contenter de 2028. Cette fermeté têtue a payé et il faut en féliciter les promoteurs de cette candidature.

    Se poser la question du « rendement financier » de la désignation est puéril : bien sûr que les Jeux vont - dans une stricte démarche comptable - coûter plus qu'ils ne « rapporteront ». 

    Eh ! Ne croit-on pas que l'Opéra de Paris, les centaines de musées éparpillés çà et là sur le territoire et dont certains ne reçoivent que quelques centaines de visiteurs par an mais entretiennent gardiens et billetteries sont « rentables » ? Que le défilé du 14 juillet est rentable ?

    Outre que l'organisation matérielle des Jeux va transformer radicalement une banlieue pourrie - comme le stade de France, conçu pour la Coupe du monde de football de 1998 l'a fait pour l'autre partie de la Plaine Saint Denis - et laisser à la place de taudis un nouveau quartier, les infrastructures de transport seront accélérées et modernisées, une grande piscine sera construite, etc.

    Qu'on daube sur la dérive financière des performances des sportifs montre aussi en quel mépris on tient, dans nos milieux, le « geste »  sportif : pour moi, qui suis depuis toujours fana du spectacle sportif, la performance est bien plus émouvante et admirable que des trucs révérés par ceux qui préfèrent... je ne sais pas, moi, la peinture au kilomètre des Renoir ou des Monet. Revoir Renaud Lavillenie réussir son 3ème essai victorieux à 5,96 à Londres me fera toujours plus d'effet que l'accumulation des gribouillis de Picasso.

    Je conçois parfaitement qu'on puisse ne pas aimer l'émotion sportive, qu'on soit insensible à la haute cuisine, qu'une simple ritournelle populaire puisse laisser indifférent. 

    Je conçois aussi qu'on puisse trouver plaisir aux Offices de nuit de Solesmes, aux solennelles peintures de Poussin, aux tragédies tardives de Corneille : ce n'est pas mon cas et je n'y vibre pas : suis-je si méprisable ? C'est possible, mais je ne suis sûrement pas le seul en mon cas.

    Et donc vive les JO, vive les sportifs (surpayés ? dopés ? Et alors ? si vous croyez que les artistes contemporains ne sont ni l'un, ni l'autre, vous vous mettez gravement le doigt dans l'œil), vive les émotions que nous rencontrerons dans 3 ans à Tokyo, dans 7 ans à Paris !

    Le patriotisme « vvisible » s’est réfugié dans le sport et, à chacune de nos grandes victoires, beaucoup de gens ont eu beaucoup de bonheur à agiter des drapeaux tricolores et à chanter « La Marseillaise » : c'est bien dérisoire ? Possible... Mais c'est déjà ça... À nos gouvernements de profiter de ces moments de communion nationale pour diriger l'émotion populaire sur l'amour du pays.

    Et c'est cela la vraie objection, la vraie question : en 1998 le bonheur de la victoire aurait pu donner lieu à un chant d'amour à la France, toutes couleurs confondues, à un moment d'exaltation vraiment nationale ; au-dessus des différences visibles, il y avait « notre » victoire...

    Espérons...

     

    Le commentaire d'Antiquus

    J'approuve quant à moi l'édito de L.J. Delanglade, et je ne partage pas l'enthousiasme de Pierre Builly.

    En 1998 je n'ai nullement éprouvé ce moment de « communion nationale », et je dirai même que j'espérais bien que les croates eussent le dessus sur l'équipe black black beur. La comparaison avec l'opéra de Paris et les musées est fallacieuse car ces monuments sont durables alors que les JO ne sont qu'une flambée éphémère.

    A propos de flambée, tout va flamber à cette occasion : les prix, les loyers, les denrées, mais aussi la délinquance, le vandalisme, et la situation des parisiens français en sera encore dégradée. Et une fois les monceaux d'ordures nettoyés et les touristes partis, gorgés de mauvaise nourriture et peut-être nantis d'une chaude-pisse, il faudra payer l'addition et ce sont les impôts qui vont flamber à leur tour.

    Vraiment, je ne vois pas une seule bonne raison de me réjouir. Mais peut-être des événements imprévus empêcheront-ils cette bacchanale de se dérouler, et même s'ils charrient de mauvaises occurrences, d'un mal pourra jaillir un bien. En tout cas, comme Montaigne fuyant la peste de Bordeaux, je fuirai Paris pendant les jeux, si toutefois je suis encore en vie. 

    Entretenir la flamme

  • Livres • Élisabeth de Fontenay et Alain Finkielkraut, la victoire de la pensée

      

    Par  

    Une superbe recension du livre - à paraître - d'Alain Finkielkraut et Élisabeth de Fontenay, dont on parle déjà beaucoup. Vincent Trémolet de Villers évoque ici les débats des deux philosophes. Ils portent sur les grands sujets qui intéressent aujourd'hui la France, la Civilisation, leur existence même. [Figarovox, 11.09].  LFAR

     

    3085200083.jpgQuand ils se voient, les deux philosophes, amis depuis près de quarante ans, se querellent inévitablement. Pour leur ouvrage, En terrain miné, à paraître aux éditions Stock, ils ont choisi de s'écrire et seront les invités des rencontres du Figaro le 25 septembre, à la Salle Gaveau, à Paris.

    La politique menace tout ce qui n'est pas elle, même l'amitié. Vingt ans après, Athos et Aramis, Porthos et d'Artagnan défendent deux camps opposés ; sous l'œil d'Ettore Scola, Gianni, Nicola et Antonio ne parviennent même plus à s'entendre. Les héros de Nous nous sommes tant aimés voulaient changer le monde mais c'est le monde qui les a changés.

    Alain Finkielkraut et Élisabeth de Fontenay sont amis depuis près de quarante ans. Écrivains, professeurs, ils partagent, écrit la philosophe, « un mélange idiomatique d'appartenance juive et d'enchantement par le génie du christianisme, d'esprit laïc et républicain, mais aussi d'attachement douloureux et glorieux à la totalité de l'Histoire de France ». Autrefois, ils avaient les mêmes préjugés : « Canaille décomplexée, salaud et fier de l'être : tel m'apparaissait l'homme de droite », confie Finkielkraut. C'était il y a un demi-siècle. Depuis, l'eau a coulé sous le pont des Arts et si l'admiratrice de Derrida est restée sur la rive gauche, l'ami de Kundera a revêtu sous la coupole l'habit d'académicien. Pire encore, il n'a pas craint de frayer, en mauvaise compagnie, sur la rive droite. Quand ils se voient, inévitablement les deux amis se querellent. Pour cet ouvrage, ils ont choisi de s'écrire. La lettre (« ce vieil outil littéraire », dit Fontenay) permet la précision et la distance, le repentir et la nuance. Elle contraint la pensée à s'ordonner et donne, dans ce carcan, une très grande liberté. Sans grimace ni colère, les amis donc se disent tout. L'une reprochant à son ami une dérive « ultradroitière », des engagements « compromettants » (la pétition de Denis Tillinac «Touche pas à mon Église » dans Valeurs actuelles), une amitié coupable (celle qui le lie à Renaud Camus). L'autre tentant d'expliquer l'angoisse qui le tourmente : celle de la disparition d'un monde. Pas des principes, non, mais ce « certain arrangement des choses » (Saint-Exupéry) que le travail des siècles a établi et qu'on appelle la civilisation. 

    L'immigration, l'islam, l'école, le pape François, les études de genre… Les deux amis n'esquivent aucun sujet. Ils s'éloignent sur Rousseau, se rapprochent sur Israël mais ne parviennent pas à se rejoindre sur le cœur de leur controverse : «Ton destin fatal, Alain, il se nomme Renaud Camus.» Et c'est moins la personne qui compte à ses yeux que le symbole d'un pacte accepté avec des forces maléfiques : celle de la « droite réactionnaire ».

    Élisabeth de Fontenay est tenace, ne lâche rien, et le « mécontemporain » se dévoile lettre après lettre. Il répond, scrupuleusement, et dessine un saisissant autoportrait intellectuel. Ni pacte ni dérive, mais une obsession : « La réconciliation de la raison et de la finitude. » Aux lendemains qui chantent ont succédé les trésors d'hier, aux utopies grandioses, la mesure et la précaution, à la présomption inhéritière, la probité du débiteur, aux préoccupations mondaines, l'urgence de la transmission.

    « Je n'ai pas d'opinions, avoue Finkielkraut, je suis affecté par les événements du monde et mes idées, quand il m'en vient, naissent sous l'effet d'un choc, d'une inquiétude ou d'un chagrin.» Quel choc ? Quelle inquiétude ? Quel chagrin ? « La France est devenue pour moi une patrie charnelle, depuis que sa disparition est entrée dans l'ordre du possible

    Cet attachement qui mêle les vers de Racine aux vaches de Normandie, l'église de Saint-Armand-de-Coly et la montagne Sainte-Victoire l'étreint. La disparition ou l'enlaidissement des formes extérieures - images, paysages, langue - l'accablent parce qu'elles conspirent contre le dernier sanctuaire, la vie intérieure.« Naguère encore, écrit Finkielkraut, nous lisions les classiques, parce que nous avions le sentiment qu'ils nous lisaient

    Noble inquiétude

    Qu'Élisabeth de Fontenay soit remerciée ! En le poussant, d'une plume élégante et incisive, dans ses retranchements, en lui faisant subir « mille morts » pour qu'il s'explique, la philosophe a élevé son contradicteur à une altitude renversante. Ses détracteurs le disent scellé dans ses certitudes : il montre un esprit en perpétuel mouvement. Ils le peignent volontiers en « Monsieur Jadis » quand il ouvre courageusement les yeux sur les malheurs à venir. On le croque installé sur son Aventin quand à l'inverse il descend dans l'arène et ne se dérobe jamais : « Une fois qu'à force de tâtonnements, de ratures et d'insomnies, cet objectif me paraît atteint, je l'expose et je m'expose sans compromis ni calcul. » C'est ce souci constant d'honnêteté accompagné d'un soin amoureux de la langue française qui donnent à chacune de ses lettres une telle intensité. Cette noble inquiétude explique aussi l'aura unique que le philosophe conserve sur les jeunes générations. Pour elles, s'il n'est pas un maître à penser, il est sans aucun doute un maître à réfléchir.

    « Le fou, disait Chesterton, c'est celui qui a tout perdu sauf la raison. » Finkielkraut n'a rien perdu et c'est tout l'être qui pense. L'esprit et la chair : « Accorde à ton serviteur, dit le psalmiste, un cœur intelligent. »  

    Élisabeth de Fontenay et Alain Finkielkraut seront les invités des rencontres du «Figaro», le 25 septembre, Salle Gaveau. Réservations: 01 70 37 31 70. www.lefigaro.fr/rencontres

    Vincent Tremolet de Villers

    Vincent Trémolet de Villers est rédacteur en chef des pages Débats/opinions du Figaro et du FigaroVox